Parasite - LE MENSUEL - Les Fiches du Cinéma
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LE MENSUEL Parasite de Bong Joon Ho Être vivant et le savoir JUIN 2019 de Alain Cavalier Piranhas de Claudio Giovannesi Zombi Child de Bertrand Bonello Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre • rencontre avec Blaise Harrison pour Les Particules #6
SOMMAIRE FILMS DU 5 JUIN 2019 L’Autre continent de Romain Cogitore HH L’Enseignante de Denis Dercourt H Être vivant et le savoir de Alain Cavalier HHH Face au vent de Meritxell Collel Aparicio HHH Ma de Tate Taylor H Palmyre de Monika Borgmann et Lokman Slim HH Parasite de Bong Joon Ho HHHH Les Particules de Blaise Harrison HHH Rencontre avec Blaise Harrison Piranhas de Claudio Giovannesi HHH Salauds de pauvres Film collectif HH X-Men : Dark Phoenix de Simon Kinberg HH FILMS DU 12 JUIN 2019 A Dog’s Journey de Gail Mancuso HH Charlotte a 17 ans de Sophie Lorain HH Cyrano & la petite valise de Marie Frapin HH Greta de Neil Jordan m Lune de miel de Élise Otzenberger HHH 11 fois Fátima de João Canijo HHH Roxane de Mélanie Auffret HH Sillages de Léa Rinaldi H Un havre de paix de Yona Rozenkier HH Zombi Child de Bertrand Bonello HH
FILMS DU 19 JUIN 2019 Anna, un jour de Zsófia Szilágyi HHH Buñuel après L’Âge d’or de Salvador Simó HHH Le Choc du futur de Marc Collin H Contre ton cœur de Teresa Villaverde HH Le Daim de Quentin Dupieux HH Dirty God de Sacha Polak HHH Les Frenchmen de Olivier Goujon H Little de Tina Gordon Chism H Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre HHH Noureev de Ralph Fiennes HH Porte sans clef de Pascale Bodet HHH Tolkien de Dome Karukoski HH FILMS DU 26 JUIN 2019 Bixa Travesty de Claudia Priscilla et Kiko Goifman HH Brightburn de David Yarovesky H Conséquences de Darko Stante HH La Femme de mon frère de Monia Chokri H Jumpman de Ivan I. Tverdovsky HH Teen Spirit de Max Minghella HH Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière HHH Yves de Benoît Forgeart HH
ÉDITO La grâce et l’artiste Attention ! Du 6 au 10 juin 2019, Amazing Grace va illuminer les salles LES FICHES DU CINÉMA 26, rue Pradier obscures. Un documentaire exceptionnel dont la sortie tient du miracle. 75019 Paris Tourné en 1972 (à la demande d’Aretha Franklin) par un Sydney Administration & Rédaction : Pollack fort de son triomphal On achève bien les chevaux, il a végété 01.42.36.20.70 40 ans durant sur une étagère de la Warner. Sans l’obstination Fax : 09.55.63.49.46 .............................................................. d’Alan Elliott, producteur d’Atlantic, et les progrès de la technologie RÉDACTEUR EN CHEF numérique, sans doute y serait-il resté. En effet, les rushes avaient Nicolas Marcadé été conservés sans clap pour relier les images et le son ! Or il réunit redaction@fichesducinema.com en majuscule l’art, l’Histoire, le spirituel et le politique. RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Michael Ghennam Quand tant d’hagiographies actuelles ont pour vocation de servir michael@fichesducinema.com complaisamment l’industrie musicale, la musique et son interprète SECRÉTAIRE DE RÉDACTION s’illuminent ici mutuellement jusqu’à rendre son âme et son esprit Thomas Fouet au cinéma dont on oublie trop souvent la part d’inspiration dont thomas@fichesducinema.com .............................................................. il est redevable en tant que (7e) art. Pour une raison de fond : Aretha ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Franklin, qui rafla 17 grammy awards entre 1968 et 2006, offre François Barge-Prieur, Isabelle un lumineux démenti à tous les purs esprits assurant que, de Céline Boudet, Clément Deleschaud, à Alain Delon, il faut dissocier l’être humain de son œuvre. Volens Thomas Fouet, Margherita Gera, Michael Ghennam, Roland Hélié, nolens, influencée par Mahalia Jackson et Clara Ward, (présente Simon Hoareau, Aude Jouanne, dans ce film, ainsi que Mick Jagger) mais aussi par son père pasteur Amélie Leray, Julie Loncin, Nicolas baptiste, C.L. Franklin, cette icône de la soul est inséparable de son Marcadé, Keiko Masuda, Marine engagement en faveur des Droits Civiques auprès de Martin Luther Quinchon, Gaël Reyre, Gilles Tourman, Valentine Verhague. King. Il faut de plus se rappeler, par-delà le plaisir proustien de Les commentaires des «Fiches» retrouver le grain et l’écran splité typiques des 70’s, combien, à cette reflètent l’avis général du comité époque, l’engagement politique faisait corps avec le divertissement. .............................................................. À ce titre, le film comptait surfer sur la vague du Woodstock de PRÉSIDENT François Barge-Prieur Michael Wadleigh (1970). De plus, qui, de la cathédrale américaine ADMINISTRATRICE de Paris à l’Abyssinian Baptist Church de Harlem, a eu le bonheur Chloé Rolland d’assister à un concert de Gospel, a nécessairement ressenti, croyant administration@fichesducinema.com ou non, la puissance transcendante de ces cantiques. C’est donc TRÉSORIER Guillaume de Lagasnerie bien dans ce qui la constituait elle, et qui nourrit ce documentaire, Conception Graphique qu’il faut voir et écouter cette sublime interprète capable de chanter 5h55 plusieurs notes sur une seule syllabe pour transcender son public www.5h55.net avec autant de grâce. Qu’on la tire du grec karis, de l’hébraïque chén IMPRESSION Compédit Beauregard ou du latin gratia (qu’on trouve dans le célèbre Ars gratia Artis), 61600 La Ferté-Macé la grâce concentre en effet les notions de charme, de beauté, de Tél : 02.33.37.08.33 reconnaissance et de cadeau reçu en vertu de la faveur du roi ou de .............................................................. la divinité. Il n’est pas question, bien sûr, ici, de “religion”, même si, DÉPÔT LÉGAL Juin 2019 là encore, Aretha Franklin y était foncièrement liée. Mais d’évoquer COMMISSION PARITAIRE cette force “mystique” qui transporte les spectateurs, que ce soit en 0320 G 86313 - ISSN 0336-9331 direct, comme ceux du film, ou devant un écran de cinéma. Amazing «Les Fiches du Cinéma». Grace nous rappelle ainsi salutairement ce qui séparera à jamais Tous droits réservés. Toute reproduction même partielle des l’esthétisme qui se contemple et se juge de la beauté qui se ressent textes est soumise à autorisation. et élève, démontrant, une fois de plus, la légitimité du documentaire Photo de couverture : - qui a inauguré le cinéma avec La Sortie de l’usine Lumière à Lyon, Parasite (The Jokers Films) en 1895, ne l’oublions jamais -, à sortir en salle. © The Jokers Films WWW.FICHESDUCINEMA.COM Amazing Grace (89 minutes. États-Unis, 2018). En salles le 6 juin avec CGR Events. GILLES TOURMAN
L’Autre continent de Romain Cogitore Maria et Olivier se rencontrent à Taïwan. Ils tombent MÉLODRAME Adultes / Adolescents amoureux, mais leur bonheur n’est pas destiné à durer. Romain Cogitore nous montre la puissance et u GÉNÉRIQUE la fragilité de l’amour dans un mélodrame fascinant, Avec : Déborah François (Maria), Paul Hamy (Olivier), Daniel Martin qui tourne autour du thème de la mémoire. (Jacques), Christiane Millet (Sophie-Charlotte), Vincent Perez (le professeur Deglacière), Aviis Zhong (le professeur Chen), Nanou Garcia (Danouta). Scénario : Romain Cogitore Images : Thomas Ozoux Montage : Florent Vassault et Romain Cogitore 1er assistant réal. : Franck Heslon Musique : Mathieu Lamboley Son : Olivier Dandré, Manu Vidal et Benjamin Viau Décors : David Faivre et Liao Huei-li Costumes : Zoe Wang Chia-Hui et Morgane Lambert Dir. artistique : David Faivre Maquillage : Agnès Laguerre Casting : Laure Cochener Production : Cinéma Defacto et House on Fire Producteurs : Tom Dercourt et Vincent Wang Coproducteurs : Sophie Erbs, Nobu Tsai Hsin-Hung et Estela Valdivieso Chen Dir. de production : Fred Bellaïche, Benjamin Lanlard et Nobu Tsai Hsin-Hung Distributeur : Sophie Dulac Distribution. © Cinéma Defacto - House On Fire HH La mémoire et ses différentes facettes imprègnent le deuxième long métrage de Romain Cogitore, qui après son premier film Nos résistances, sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte d’un jeune maquisard, 90 minutes. France - Taiwan, 2018 nous raconte ici l’histoire d’un amour puissant et fragile Sortie France : 6 juin 2019 à la fois. La même contradiction est perceptible visuellement u RÉSUMÉ dans les paysages de Taïwan, dont les rues surmontées par Maria part à Taïwan afin d’écrire un livre dans la veine d’Into les gratte-ciels et la nature épargnée des forêts reflètent The Wild et travailler comme guide touristique. Pendant les sentiments des deux protagonistes. Dans le sillage les visites guidées aux temples, elle rencontre un collègue de Lost in Translation de Sofia Coppola, Maria et Olivier de son âge, Olivier. Un soir, ils sortent ensemble et Maria se rencontrent dans un pays qui n’est pas le leur et, découvre qu’Olivier parle quatorze langues. Il lui explique au début, ne se comprennent pas totalement. Par la suite, alors la méthode qu’il utilise pour se les rappeler, qui ils commencent à se parler dans telle ou telle langue, consiste à ranger chaque langue dans un lieu précis de selon ce qu’ils veulent échanger, en inventant un langage sa mémoire. Au fur et à mesure que les jours passent, ils tombent amoureux. qui n’appartient qu’à eux. Pour Olivier les langues sont strictement liées à la mémoire et c’est lorsqu’il explique à SUITE... Un an après, Maria et Olivier habitent ensemble. Maria sa méthode - qui consiste à associer chaque idiome au Un jour, Maria apprend qu’elle est enceinte, mais elle décide d’avorter. Une nuit, Olivier se sent mal. Ils se rendent souvenir d’un lieu - que tous deux se rapprochent. Les lieux, à l’hôpital, où les médecins lui apprennent que mentaux et non, jouent donc un rôle essentiel dans le film, l’augmentation de ses globules blancs est le symptôme et la correspondance entre intérieur et extérieur est d’une maladie grave. Ils reviennent en France, où Olivier également visible dans l’alternance entre plans larges des commence une thérapie intensive au centre d’hématologie paysages taïwanais et images au microscope de globules de Strasbourg. Maria voudrait rentrer à Taïwan pour blancs. Le hasard veut que la maladie d’Olivier affecte travailler, mais elle décide finalement de ne pas partir. justement sa mémoire et, même s’il arrive à survivre, Olivier tombe dans un coma profond. Maria reste à ses les souvenirs des lieux où ils avaient vécu ensemble ne côtés. Un jour, grâce à son influence bénéfique, il se réveille miraculeusement. Il sort de l’hôpital, même s’il n’est pas seront plus les mêmes. S’il risque parfois de tomber dans complètement guéri et souffre de perte de mémoire. un sentimentalisme excessif, L’Autre continent évite Ils partent à Taïwan pour se marier, mais les troubles la banalité et parvient à fasciner grâce à un montage qui mentaux d’Olivier les empêchent de conduire une vie combine habilement réel et onirisme, et à la performance normale. Enfin, Maria, exaspérée, décide de le quitter. admirable de Déborah François et Paul Hamy. _M.G. Olivier continue à lui écrire des lettres. Visa d’exploitation : 134171. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 100 copies. 5 © les Fiches du Cinéma 2019
L’Enseignante (Die Lehrerin) de Denis Dercourt À Berlin, un migrant libanais désireux d’apprendre FABLE SOCIALE Adultes / Adolescents sociale la langue allemande suit les cours d’une enseignante aux méthodes radicales. Dans cette fable sur l’accueil u GÉNÉRIQUE faussement bienveillant que nous réservons aux Avec : Julia Franzke (l’enseignante), Olivier Dovergne (le migrant). étrangers, la monotonie prend le pas sur la cruauté. Scénario : Denis Dercourt Images : Manfred Berg Montage : Maria Wedding Musique : Jérôme Lemonnier Son : Wihelm Sannino Production : Cinema Alexanderplatz Producteur : Jan Waterloo Distributeur : Vendredi Distribution. © Cinema Alexanderplatz H Une alternance de gravures représentant des tortures médiévales et d’intertitres expliquant la pédagogie actionnelle prônée par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) : dès l’ouverture, 77 minutes. Allemagne, 2019 le parallèle est explicite. À partir d’une politique bien réelle, Sortie France : 5 juin 2019 le film de Denis Dercourt nous entraîne dans un conte cruel, u RÉSUMÉ à la manière des frères Grimm. L’enseignante évoquée Un homme raconte un conte sanglant à un inconnu dans dans le titre prend les préconisations européennes à le métro berlinois. Un mois plus tôt, ce même homme, la lettre. Le migrant doit devenir acteur de ses apprentissages Hector, un migrant libanais, se rend chez une enseignante ? Soit. Cette logique sera poussée jusqu’à l’extrême. pour apprendre l’allemand. Elle lui explique sa méthode, Elle gravera dans sa chair les mots pour dire la douleur, la pédagogie actionnelle : le migrant doit faire lui- le désir, la culpabilité, la mort. Hector, lui, se soumet même l’expérience de tout ce qu’il apprend pour mieux docilement à cette méthode on ne peut plus radicale. le mémoriser. Pour la première leçon, elle lui propose de Sans manifester de surprise particulière, il se laisse réduire tuer quelqu’un pour venger la mort de son chien écrasé par une voiture. Ils se rendent au parc, où un jogger à un asservissement absolu. Le décalage entre le cadre est ensuite retrouvé mort. Lors de la deuxième leçon, réaliste et le comportement déroutant des personnages, l’enseignante drogue Hector pour lui apprendre la douleur. qui agissent comme si tout était parfaitement normal, Il est hospitalisé. Quand il rentre chez lui, la police surveille commence par fonctionner : on est séduit par son domicile. l’humour noir de la première leçon, le ton pédagogue SUITE... Il se réfugie chez l’enseignante, qui l’installe dans qu’emploie l’enseignante lorsqu’elle énumère sa cave, où elle le nourrit de viande crue et lui fait apprendre les différentes armes possibles pour commettre 500 noms d’animaux en lui demandant de s’imaginer un meurtre et les victimes potentielles. Mais parce que dans la peau de chacun d’eux. Un jour, Hector embrasse le film commence fort, il est difficile ensuite de surenchérir, l’enseignante et la mord jusqu’au sang. En colère, elle lui dit et l’on tombe assez rapidement dans une certaine monotonie. qu’il est libre de partir. Il sort, mais après avoir été agressé Certes, Hector se soumet de plus en plus, jusqu’à remplacer dans la rue, il revient à la cave. L’enseignante l’emmène alors sur le lieu où le jogger a été trouvé, afin qu’il éprouve en quelque sorte le chien de l’enseignante, qui n’apprécie la culpabilité, et le félicite d’être un si bon élève. Retour au que la compagnie des animaux. Mais à cause de cette perte métro : après avoir raconté son conte à l’inconnu, Hector de rythme, le film ne parvient pas à être aussi dérangeant le suit, le tue et le mange. Enfin, l’enseignante l’emmène faire qu’il le voudrait, et nous laisse avec l’impression paradoxale une promenade en barque et lui fait boire du champagne d’être à la fois trop littéral et pas assez clair. _J.L. empoisonné pour lui apprendre un dernier mot : la mort. Visa d’exploitation : en cours. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 6 © les Fiches du Cinéma 2019
Être vivant et le savoir de Alain Cavalier La maladie d’une amie proche fait dévier le cours de ESSAI DOCUMENTAIRE Adultes / Adolescents l’habituel journal de bord filmé d’Alain Cavalier, qui livre ici, par petites touches intimistes et chaleureuses, u GÉNÉRIQUE une bouleversante réflexion sur la fin de vie. Un chef- Avec : Emmanuèle Bernheim, Teymour Al Attar, Jean-Louis Faure, d’œuvre à la fois trivial et profond. Saïd Shayestehkia, Alexandre Badaoui, Alain Cavalier. Scénario : Alain Cavalier Images : Alain Cavalier Montage : Alain Cavalier Son : Aliocha Fano-Bernheim et Florent Lavallée Production : Camera One Coproduction : Arte France Cinéma Producteur délégué : Michel Seydoux Distributeur : Pathé. © Camera One 82 minutes. France, 2019 HHH … Et Alain Cavalier continue de filmer, Sortie France : 5 juin 2019 inlassablement, dans un geste qu’on imagine continu, à la fois compulsif et thérapeutique. Il filme un couple le support d’une réflexion profonde et poignante de pigeons qui jouent, des courges, de tailles et de formes sur la mort (celle des êtres humains, mais différentes, en état plus ou moins avancé de décomposition, aussi celle des animaux et des végétaux), et sur la photo d’une amie disparue, en l’honneur de laquelle la façon de l’accueillir de la façon la plus digne et il allume une bougie. Les images se succèdent, comme naturelle possible. D’autant que dans le film qu’il autant de moments de vie et de réflexions intimes, avait originellement prévu de faire, Alain Cavalier accompagnées par la voix, toujours plus chaleureuse était censé jouer le père, mourant, d’Emmanuèle et caressante, du cinéaste. Une voix espiègle, curieuse, Bernheim... La maladie de cette dernière permet calme et envoûtante, qui compose une musique entêtante, au cinéaste à la fois de se remémorer les êtres chers se faisant tour à tour sous-titre, commentaire, analyse déjà disparus, et de se préparer à son propre départ poussée ou simple remarque, anodine ou grave, mais qu’il semble deviner, sinon imminent, du moins toujours en prise, en résonance, avec les images filmées prochain. Tout le génie d’Alain Cavalier est de parvenir - comme si la voix du cinéaste était, tout autant que son à ne pas aborder son sujet frontalement, et de préférer, regard, un véritable outil d’appréhension du monde. à une succession étouffante de visites à l’hôpital, Contrairement à certains de ses précédents films, nul laisser sa caméra divaguer au gré de ses rêveries flirt avec la fiction dans Être vivant et le savoir, mais plutôt et de ses angoisses. Ainsi, la réparation d’une statue un journal de bord, chronologique, de sa collaboration avec du Christ par un artisan, la lecture d’un texte ancien, son amie Emmanuèle Bernheim, auteure, entre autres, du ou simplement les tentatives d’un pigeon blessé pour roman Tout s’est bien passé, dont ils avaient prévu de tirer voler à nouveau, constituent une mosaïque d’images, un film dans lequel ils joueraient tous les deux. La découverte qui font surgir autant d’émotions variées, à travers du cancer de la romancière va perturber l’avancée du projet, lesquelles le cinéaste nous invite à naviguer - à et transformer en profondeur l’objet filmique qu’Alain vue, cela va de soi. Et son invitation est tellement Cavalier nous donne finalement à voir. Car Être vivant ouverte, à la fois pudique et généreuse, qu’on se et le savoir, de simple chronique quotidienne, devient un prend rapidement à laisser dériver nos pensées médium lui permettant d’accompagner, à sa manière, de concert avec les siennes, et que les images la maladie de son amie, dont il suivra, une à une, surgies de nos souvenirs viennent se mêler à celles les différentes étapes. Ainsi, le film se teinte petit à petit projetées sur l’écran, dans une communion que seuls d’une tonalité mélancolique et angoissée, et devient les grands films savent faire naître. _F.B-P. Visa d’exploitation : 149398. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 45 copies. 7 © les Fiches du Cinéma 2019
Face au vent (Con el viento) de Meritxell Collel Aparicio Danseuse à Buenos Aires, Monica, 47 ans, rentre en DRAME FAMILIAL Adultes / Adolescents Espagne où son père vient de mourir. Entre sa mère, sa sœur et sa nièce, elle va tenter de recoller aux vingt u GÉNÉRIQUE années qu’elle a vécues loin de là. Un film d’ombres et Avec : Mónica García (Mónica), Concha Canal (Pilar), Ana Fernández de lumières saisissant comme un tableau du Caravage. (Elena), Elena Martín (Berta), Xavier Martín (Pep), Paquita Pérez (Paquita), Rakhal Herrero (Rakhal), Florencio Ortega (Florencio), José Mari Martín (José Mari), José Mari Crespo (Crespo). Scénario : Meritxell Collel Aparicio Images : Julián Elizalde et Aurélien Py Montage : Ana Pfaff Scripte : Laura Arrom Son : Verónica Font Production : Polar Star Films Coproduction : Paraiso Productions et Habitación 1520 Producciones Producteur : Carles Brugueras Coproducteurs : Lorena Muñoz, Nathalie Trafford, Maximiliano Dubois et Benjamín Avila Productrice associée : Belén Sánchez Distributeur : La Huit Production / Paraiso Production. © Polar Star Films HHH Pour son premier long métrage de fiction, dédié à ses grands-parents, la documentariste catalane Meritxell Colell Aparicio crée une œuvre crépusculaire d’une profondeur pénétrante où, de souvenirs en confidences 108 minutes. Espagne - France - Argentine, 2018 et d’objets en paysages, s’entremêlent le temps perdu, Sortie France : 5 juin 2019 le temps qui renaît et le temps qui s’enfuit à l’ombre de u RÉSUMÉ l’immuable mesa pesant de toute sa masse sur la ferme Alors qu’elle répète à Buenos Aires sur une chorégraphie que les années ont figée. Les silences, les gros plans, de Pina Bausch, Monica, 47 ans, reçoit d’Espagne le rythme distendu, les rues désertes, la rudesse du climat, un appel de sa sœur Elena. Leur père se meurt. Quand les lumières façon Le Caravage... rendent admirablement elle arrive dans la ferme située au nord du pays, il est prégnante la nostalgie planant sur ces douloureuses décédé. Pilar, la mère, décide de vendre la bâtisse. retrouvailles familiales, empreintes de rancœur pour Absente depuis vingt ans, Monica s’installe à ses côtés Elena et de culpabilité chez Monica. Les convulsions le temps qu’une transaction se réalise. Tandis qu’un puissant chorégraphiques de Monica jaillissent comme autant de vent d’automne souffle sur les environs et dans les rues désertes, Monica redécouvre les plaisirs simples de son répons désespérés défiant la pesanteur mortifère d’un enfance : la récolte des pommes de terre, le parfum monde et d’une époque qui s’éteignent. Les scènes où d’une soupe, la coupe du bois de chauffe, le jardinage... et elle se laisse envahir par l’esprit des lieux en frôlent même le bonheur de se faire offrir par sa mère un pull de laine la transe chamanique. La réalisatrice nous invite ainsi à fait main. Elle renoue aussi avec sa nièce Berta, fille d’Elena. ne pas gâcher la vie qui défile. Rien ne remplacera jamais SUITE... Un couple d’acheteurs semble intéressé. Comme le vécu et le sensible. En atteste ce subtil moment où Berta pour rattraper le temps perdu, Monica restaure le vélo veut conserver les vieux sabots que Pilar souhaite jeter de son père, prend soin de sa mère, joue aux cartes avec car devenus inutiles. Celui où Monica veut dérisoirement elle. Danse à l’écart de tous. Affronte le vent de face. repeindre le vélo de son père. Et plus encore quand Un jour, Elena lui reproche ses prévenances actuelles Elena reproche à Monica d’avoir été absente alors que alors qu’elle l’a laissée s’occuper seule de leur père leur père souffrait d’Alzheimer. C’est en affrontant atteint d’Alzheimer. L’hiver arrive. Monica se réconcilie avec Elena et encourage Berta, qui rêve d’aller vivre à la puissance du vent que Monica se régénérera, tout comme Berlin ou à Lisbonne. Le couple décide d’acheter. Il faut le printemps reverdira le plateau. Commencé dans le noir choisir les meubles à déménager et les objets à jeter. Après et le bleu, le film pourra dès lors s’achever dans les lueurs un dernier regard avec sa mère sur le paysage de son rouges, comme pour signifier que le grand œuvre s’est enfance, Monica se livre à une ultime danse dans la grange accompli en elle. _G.To. puis sur le plateau balayé par le vent Visa d’exploitation : 147840. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 8 © les Fiches du Cinéma 2019
Ma (Ma) de Tate Taylor Souffre-douleur de sa classe à l’adolescence, Sue Ann THRILLER Adultes / Adolescents propose aux enfants de ses anciens camarades de lycée qui l’ont humiliée, de venir faire la fête chez elle. u GÉNÉRIQUE Oppressant dans sa première moitié, Ma perd ensuite Avec : Octavia Spencer (Sue Ann), Diana Silvers (Maggie), Juliette en puissance par manque de prise de risques. Lewis (Erica), McKaley Miller (Haley), Corey Fogelmanis (Andy), Gianni Paolo (Chaz), Dante Brown (Darrell), Tanyell Waivers (Genie), Dominic Burgess (Stu), Heather Marie Pate (Ashley), Tate Taylor (l’agent Grainger), Luke Evans (Ben), Margaret Fegan (Stephanie), Missi Pyle (Mercedes), Allison Janney (le docteur Brooks), Kyanna Simone Simpson (Sue Ann, jeune), Matthew Welch (Ben, jeune), Skyler Joy (Erica, jeune), Nicole Carpenter (Mercedes, jeune). Scénario : Scorry Landes Images : Christina Voros Montage : Jin Lee et Lucy Donaldson 1re assistante réal. : Cleta Ellington Scripte : David Bush Musique : Gregory Tripi Son : Robert C. Bigelow et Laura Wiest Costumes : Megan Coates Effets visuels : Gregor Punchatz Dir. artistique : Marc Fisichella Maquillage : Karri Farris et Latoya Henderson Casting : Kerry Barden et Paul Schnee Production : Blumhouse et Wyolah Producteurs : Jason Blum, Tate Taylor et John Norris Producteurs exécutifs : Couper Samuelson, Jeanette Volturno, Octavia Spencer et Robin Mulcahy © Blumhouse Fisichella Coproducteurs : Beatriz Sequeira, Ryan Turek et Cleta Ellington Distributeur : Universal Pictures. H Trois ans après La Fille du train, Tate Taylor poursuit avec Ma son incursion dans le genre du thriller, en flirtant avec les codes du film d’horreur. Dans ce nouveau long métrage, le réalisateur de La Couleur des sentiments 99 minutes. États-Unis, 2019 (2011) a choisi le décor isolé d’une petite ville de l’Ohio, où tout Sortie France : 5 juin 2019 le monde se connaît et où le passé ne s’oublie jamais vraiment. u RÉSUMÉ Sans être un réel huis clos, Ma est néanmoins imprégné, Maggie et sa mère Erica quittent la Californie pour revenir dans sa première partie, d’une ambiance oppressante vivre dans la ville où a grandi cette dernière, dans l’Ohio. et claustrophobique, proche de celle du Get Out de Jordan Dans son nouveau lycée, Maggie fait la connaissance de Peele. Le personnage trouble et inquiétant de Sue Ann Hailey, Andy, Stu et Darrell, qui lui proposent de venir faire alias Ma, interprété par Octavia Spencer, s’y meut à la fête avec eux. Pour se procurer de l’alcool, ils se postent merveille, animé par un besoin de vengeance larvé depuis devant une supérette et Maggie demande à une femme, de nombreuses années. Les rouages du traumatisme prêt Sue Ann, si elle veut bien leur acheter des bouteilles. Elle à refaire surface se mettent en place, non sans rappeler accepte et, quelques jours plus tard, leur achète à nouveau de l’alcool et les invite à boire dans son sous-sol inoccupé. l’atmosphère de Carrie, autant pour son univers que pour Seule condition : ils ne doivent jamais monter chez elle. ses thématiques. Pris dans la machination de Sue Ann, L’endroit devient le repaire des lycéens de la ville, qui on est dans l’attente d’une véritable montée en puissance la surnomment Ma. et d’une fin façon slasher. Un dénouement sanglant, qui aurait SUITE... Lors d’une fête, Hailey et Maggie se rendent chez vu la mort brutale d’adolescents, auquel Tate Taylor n’était Ma pour aller aux toilettes. Elles entendent Ma parler à visiblement pas prêt, puisqu’en réalité, (presque) rien de tout quelqu’un avant qu’elle ne les surprenne et les chasse. cela n’arrive. De plus en plus avare en sensations fortes au fil Lorsque Hailey perd sa bague chez Ma, elle et Maggie se des évènements, Ma ne tient pas la distance, contrairement rendent chez elle en son absence. Elles découvrent que à sa promesse initiale. Tout au plus sommes-nous gratifiés Ma était au lycée avec leurs parents. Elles sont surprises de quelques rares jump scares, qui donnent l’impression par Genie, la fille de Ma, qui n’a pas le droit de sortir de d’être mis en scène pour remplir consciencieusement chez elle. Elles s’enfuient. Maggie ne veut plus retourner chez Ma et interdit à Andy, son petit ami, d’y aller. Au cours le cahier des charges du film d’horreur. Après une révélation d’une fête, Ma envoie une vidéo à Maggie, sur laquelle expédiée des motivations de Sue Ann, Ma s’achève finalement celle-ci voit ses amis s’amuser dans son sous-sol. Inquiète, sur l’accomplissement plus que tiède de la fameuse elle se rend chez Ma, mais cette dernière les drogue. vengeance de son personnage principal. Comme un air de À leur réveil, ils sont attachés. Grâce à Genie, ils arrivent à “tout ça pour ça”. _A.Jo. s’échapper mais la maison prend feu et Ma meurt. Visa d’exploitation : en cours. Interdit aux moins de 12 ans. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 9 © les Fiches du Cinéma 2019
Palmyre [Tadmor] de Monika Borgmann et Lokman Slim Dans une école désaffectée près de Beyrouth, DOCUMENTAIRE Adultes / Adolescents d’anciens détenus politiques libanais reconstituent la sinistre prison de Palmyre et content avec sobriété u GÉNÉRIQUE les sombres années qu’ils y ont passées, rejouant leur Avec : Ali Abou Dehn, Raymond Bouban, Rachid Mirhoum, Moussa quotidien sous l’œil pudique de la caméra. Saab, Saadedine Saifeddine, Elias Tanios, Moustafa Shamseddine, Jalal Abdelrahim, Darwish Abdallah Ahmad, Fouad Abou Ghader, Mahmoud Ahmad, Marwan Assaf, Camille Bawaridi, Houssein Daishoum, Jamil Dib, Sa’ib Hamoud, Ibrahim Harshi, Mahmoud Koja, Ali Qadri, Ali Shahin, Jamal Shahrani, Yahya Zahra. Scénario : Monika Borgmann Images : Talal Khoury Montage : Olivier Zuchuat Musique : Pierre Jodlowski Son : Rawad Hobeika, Rayan Obeydine et Chadi Roukoz Production : Umam Productions, Les Films de l’Étranger et GoldenEggProduction Production associée : RTS, SRG SSR et Unlimited Producteurs : Philippe Avril, Monika Borgmann et Gabriella Bussmann Producteurs associés : Serge Gordey et Anne Grange Distributeur : Vendredi Distribution. © Umam Prod. 103 minutes. France - Liban - Qatar - Suisse - Émirat HH Un groupe d’hommes s’affaire dans un Arabes Unis, 2016. Sortie France : 5 juin 2019 bâtiment délabré. Ils percent des trous dans le sol, fixent des barreaux aux fenêtres, coupent des lanières dans justifiant toutes les humiliations, tous les sévices. des blocs de mousse… Des intertitres viennent peu à peu Ils détaillent les stratégies désespérées qu’ils éclairer ces images intrigantes, offrant un contexte aux inventaient pour survivre, envers et contre tout gestes énigmatiques exécutés sous nos yeux : ces hommes, - l’un conversant avec les insectes, l’autre mémorisant ce sont d’anciens détenus de Palmyre (“Tadmor” en le Coran et refusant de donner à ses bourreaux arabe), l’une des prisons syriennes où furent envoyées la satisfaction de crier sous leurs coups. Sur les scènes d’innombrables personnes durant la guerre civile qui sévit au de reconstitution, en revanche, pas de commentaire : Liban entre 1975 et 1990. À la suite du soulèvement populaire le film établit une nette distinction entre ce qui est dit contre le régime de Bachar Al-Assad en 2011, ces rescapés et ce qui est montré. Le principe est plutôt bon, mais ont décidé de sortir du silence et de raconter leur expérience si les témoignages frappent généralement par leur dans cette geôle qui comptait parmi les plus terribles puissance, les scènes “jouées”, elles, ne sont pas du pays. Pour ce faire, ils ont choisi de la recréer dans toujours parlantes pour le spectateur. On ne doute une école abandonnée non loin de Beyrouth et de se mettre pas qu’il s’agisse là d’une démarche cathartique, en scène, incarnant tantôt leur propre rôle, tantôt celui de nécessaire au processus de réappropriation de leur leurs bourreaux. Les préparatifs des acteurs - reproduisant histoire entrepris par ces hommes, mais on peine le décor, fabriquant les accessoires - font office de prologue parfois à saisir la pleine signification de ce que l’on à cette reconstitution aux vertus thérapeutiques. S’ensuit voit. Certaines scènes sont éloquentes - le partage une série de scènes du quotidien carcéral, entrecoupées d’un œuf, minutieusement tranché en parts minuscules de récits livrés par les détenus dans un cadre neutre : assis à l’aide d’un fil, et réparti à l’aveugle comme on sur une chaise placée au centre d’une pièce aux murs gris, partagerait une galette des rois -, mais à d’autres dépouillée à l’extrême, ils témoignent des horreurs qu’ils moments, en dépit de son ambition immersive, ont vécues. Pas de larmes, pas de pathos, mais au contraire le dispositif nous tient à distance, et l’on se prend à une simplicité, et parfois même un humour, désarmants. attendre le prochain témoignage. Malgré l’inégale Ils racontent les repas, les inspections, les nuits, la douche efficacité de ses scènes, le film, dans son extrême - à laquelle beaucoup ne survivaient pas -, les tortures sobriété, rend un digne hommage à la souffrance et au toujours plus inventives, la mort omniprésente, la peur courage de ces hommes qui ont attendu si longtemps qui régnait nuit et jour. Ils dévoilent le fonctionnement de mettre des mots et des images sur ce qu’ils ont de la prison, la hiérarchie, les rôles imposés aux détenus, vécu. _J.L. Visa d’exploitation : en cours. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 10 © les Fiches du Cinéma 2019
Parasite (Gisaengchung) de Bong Joon Ho Dissimulant leurs identités, les membres d’une famille THRILLER SATIRIQUE Adultes / Adolescents pauvre entrent au service d’un foyer de la haute bourgeoisie. Retour au sommet pour Bong Joon Ho qui, u GÉNÉRIQUE avec cette farce tragique rejouant la lutte des classes Avec : Song Kang Ho (Ki-taek), Lee Sun Kyun (Monsieur Park), Cho en milieu domestique, n’a pas volé sa Palme d’or. Yeo Jeong (Yeon-kyo Park), Choi Woo Shik (Ki-woo), Chang Hyae Jin (Chung-sook), Park So Dam (Ki-jung), Lee Jung Eun (Moon- gwang), Jung Hyeon Jun (Da-song Park), Jung Ziso (Da-hye Park), Park Seo-joon (l’ami de Ki-woo), Andreas Fronk (le père allemand), Jung Ik-han, Lee Joo-hyung, Lee Ji-hye, Park Keun-rok. Scénario : Bong Joon Ho et Han Jin Won Images : Hong Kyung Pyo Montage : Yang Jinmo Musique : Jung Jae Il Son : Choi Tae Young Décors : Lee Ha Jun Costumes : Choi Se Yeon Effets spéciaux : Hong Jeong Ho Effets visuels : Park Kyung-soo et Jung Do-ahn Maquillage : Kim Seo Young Production : Barunson E&A Pour : CJ Entertainment Producteurs : Kwak Sin Ae, Moon Yang Kwon et Jang Young Hwan Producteurs exécutifs : Miky Lee et Heo Min Heoi Coproducteur : Lee Joo-hyung Distributeur : The Jokers Films. © Barunson E&A HHHH Home invasion d’un genre singulier (pas besoin de mettre le pied dans la porte : l’invasion, insidieuse, est préparée, puis mise en scène, avec une minutie comparable aux préparatifs d’un casse), Parasite rejoue la lutte des classes 131 minutes. Corée du Sud, 2019 en milieu domestique, façon guerre de position et partie de Sortie France : 5 juin 2019 cache-cache confinant çà et là à un minimalisme géométrique, u RÉSUMÉ les pauvres s’évanouissant dans (ou surgissant d’un) rectangle Ki-taek, Yeon-Kyo et leurs enfants, Ki-Jung et Ki-Woo, tous au d’obscurité, celui d’une porte conduisant à la cave (peuple chômage, se partagent un modeste sous-sol. Un jour, Ki-Woo, du sous-sol contre gens de la surface : Parasite réorchestre par l’entremise d’un ami, se fait embaucher comme professeur la société à étages de l’Us de Jordan Peele). Jusqu’à ce que particulier auprès de Da-hye, fille adolescente de M. et Mme les éléments se déchaînent : que l’ordre social soit mis à mal, Park - riches bourgeois de Séoul - et sœur du jeune Da-song. ou que soient ajourés les rapports de force qui le fondent, Il recommande aux Park de recourir aux services de Ki-Jung et dès lors la tempête inonde les entresols, le sang coule, pour enseigner le dessin à Da-song. Ki-jung tait son lien les toilettes débordent. Car c’est bien l’esprit du film que familial avec Ki-Woo. Puis, le frère et la sœur s’arrangent pour faire renvoyer le chauffeur et la gouvernante des de mettre en évidence, en une économie de plans bluffante Park et faire embaucher, à leur place, Ki-taek et Yeon-Kyo. (le mari rentre à la maison, aussitôt les petits chiens accourent, la gouvernante aussi ; ce sont deux plans distincts, mais ils font SUITE... Un soir que les Park sont partis en week-end, et que Ki-taek et les siens profitent de la maison, l’ancienne l’objet de travellings de même valeur et mettent sur un pied gouvernante sonne à la porte : elle vient nourrir son époux, d’égalité animaux de compagnie et personnel d’intérieur), ces Moon-gwang, qui, depuis des années, vit caché au sous-sol. rapports-là, et procéder, si ce n’est à leur inversion, à la brève Découvrant que Ki-taek et les siens forment une famille, revanche des sans-grades sur les bourgeois - envisagée comme la gouvernante et son époux se font menaçants. Tandis que une remontée d’égout -, sans rien taire, toutefois, de la part de les Park annoncent leur retour à l’improviste, la famille de Ki- servitude volontaire qu’implique tout rapport de classe. D’Us taek assomme les gouvernants et les enferme à la cave puis, à ce Parasite d’une maîtrise insigne, et ponctué de trouvailles à l’exception de Yeon-Kyo, se cache. Une tempête éclate. burlesques, un fil a été tendu : il s’agit, classe contre classe, L’appartement de Ki-taek est inondé. Le lendemain, on fête l’anniversaire de Da-song dans le jardin des Park. Ki-Woo famille contre famille, d’identifier son parasite - mais aussi descend à la cave pour achever les gouvernants. La gouvernante de se reconnaître en tant que tel -, et de rappeler que c’est est tuée. Moon-gwang se libère et, dans le jardin, commence à encore à l’extérieur que les prolos jouent le mieux. À domicile, poignarder des invités, tue Ki-Woo, puis s’en prend à M. Park. la bourgeoisie est prenable : le terrain est trop grand, l’équipe Mais Chung-sook le tue. Puis Ki-teak tue M. Park. Plus tard. trop sûre de sa possession de balle. _T.F. Ki-taek, jamais retrouvé, vit reclus dans la cave des Park... Visa d’exploitation : en cours. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD Atmos. 150 copies (vo). 11 © les Fiches du Cinéma 2019
Les Particules de Blaise Harrison Drôle de film protéiforme, terrassant et badin, que ces CHRONIQUE FANTASTIQUE Adultes / Adolescents Particules, qui oscille sans cesse entre mouvement fantastique et décélération naturaliste, sans trancher u GÉNÉRIQUE - épousant ainsi avec brio les errances transitoires de Avec : Tomas Daloz (P.A.), Néa Lüders (Roshine), Salvatore ces héros velléitaires, mais résolus à habiter l’Espace. Ferro (Mérou), Léo Couilfort (Cole), Nicolas Marcant (JB), Emma Josserand (Léa), Johana Untersinger (Johana), Valder Lärka (Thomas), Liam Gras (Adam), Barbara Slusarz (Lise), Franck Philippe (Franck), Richard Kellog (le physicien), Robin Hauser (le rappeur). Scénario : Blaise Harrison et Mariette Désert Images : Colin Lévêque Montage : Isabelle Manquillet et Gwénola Héaulme 1er assistant réal. : Lucas Loubaresse Musique : Èlg Son : Marc von Stürler Costumes : Isa Boucharlat Effets visuels : Thibault Martegani Casting : Blaise Harrison et Elie Grappe Production : Les Films du Poisson et Bande à Part Films Coproduction : Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et RTS Producteurs : Estelle Fialon et Lionel Baier Productrices associées : Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez Dir. de production : Tatiana Bouchain Distributeur : Les Films du Losange. © Les Films du Poisson - Bande à Part Films HHH Les Particules, ce sont celles sous les pieds empêchés qui filent à toute allure, dans un simili big-bang, accélérées par le CERN. Les Particules, ce sont aussi des adolescents, vivotant dans le pays de Gex, non-lieu à la frontière 98 minutes. France - Suisse, 2019 franco-suisse, zone-tampon, ni champignonnière péri- Sortie France : 5 juin 2019 urbaine, ni paradis montagnard. Les Particules, c’est donc u RÉSUMÉ un film de tension, de pôles, c’est Kiyoshi Kurosawa qui PA, jeune adolescent vivant à la frontière franco-suisse, s’endort permute avec Les Beaux gosses, c’est une adolescence qui - dans un car scolaire. Il se fait réveiller par Mérou, son ami cauchemar suprême - perd son apparat transitoire, c’est d’enfance. Mérou est extraverti, PA timide. Après le lycée, PA fait la mort tapie dans la politesse, et c’est le désir oblique qui un tour de vélo, près de l’accélérateur de particules du CERN, naît dans les “no adult’s land” pavillonnaires. Dès lors, le film et ressent d’étranges vibrations. Il visite ensuite, avec sa classe, est nécessairement souterrain, dramatiquement (les visions ce fameux accélérateur. Alors qu’avec ses amis, ils se rendent en où PA, le héros voit se dyn-habiter l’espace, avec la douleur soirée, il aperçoit Mérou en train d’embrasser la fille qu’il sourde de celui qui “voit mieux”), géographiquement, avec ses convoitait. Les cours continuent. Un jour où PA et ses amis se rendent chez leur dealer, celui-ci leur conseille de prendre des maisons de plain-pied qui nient toute aspiration verticale, et champignons. Ils refusent, puis acceptent. Au lycée, PA fait même discursivement - comment sur-vivre dans cet espace la connaissance d’une élève franco-allemande, Roshine, du monde si calme et si enclin au chaos, où sous le humus de victime d’une étrange maladie inconnue. la classe moyenne triste se niche la recréation des conditions SUITE... Ils flirtent, et PA lui avoue avoir pris très longtemps des d’existence même de l’univers. À ce petit jeu vertigineux médicaments pour soigner son hyper-activité. PA voit de plus d’échelles, Blaise Harrison parvient à faire naître la beauté en plus de phénomènes étranges, quand la bande de quatre amis d’un rien, comme dans ces magnifiques trouées rohmériennes partent camper près d’une source. Ils prennent des où l’amour est avant tout cette zone où les cheveux de l’être champignons, et PA, victime d’un mauvais trip, voit Mérou aimé se mêlent au duvet naissant de la joue (belle métaphore partir en fumée de particules. Le lendemain, Mérou a disparu. d’un Beau qui n’est bizarre que tant qu’il est point aveugle, Ils sont interpellés par la police, persuadés qu’ils savent où comme l’adolescence), et à terrifier avec peu - une migraine, est Mérou. PA regarde la maison de Mérou sur Google Maps : il n’y voit rien. Mais, quand il tourne le dos, l’écran montre une apparition, un chasseur, un arbre tortueux. Les Particules, Mérou à la fenêtre. PA voit alors une lueur. Il avance dans c’est donc aussi, et surtout, des jeunes qui cherchent enfin sa direction : c’est un arbre dont émane une lueur étrange. l’au-delà oblatif, cet horizon que l’on atteint lorsque enfin on Il rejoint Roshine, qui lui annonce qu’elle doit repartir arrête de s’esquiver, ce réel jamais si vivace que lorsqu’on en Allemagne. Ils se rendent près de l’arbre, s’enlacent, et se cogne contre ses murs putréfiés. _C.D. disparde particules. Visa d’exploitation : 148013. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 62 copies. 12 © les Fiches du Cinéma 2019
Rencontre avec Blaise Harrison “Je cherche dans le réel la fiction que je veux raconter” Le film se déroule dans un espace bien défini, reconnaissable, la musique qu’ils écoutaient, sur leurs peines, leurs joies, le pays de Gex en Haute-Savoie, qui est le lieu de votre enfance. leurs passions... Le casting était un moment d’échange où Est-ce que, avec Les Particules, vous avez voulu raconter je voulais à la fois vérifier s’ils pouvaient se fondre dans un habitat avant d’en présenter les habitants ? les personnages que j’imaginais, et en même temps sentir Je pense que les deux sont liés. J’avais envie de faire un film une adolescence différente de celle parisienne, dans son dans ce territoire depuis très longtemps, je l’avais déjà rapport presque anachronique au monde. C’est tout le projet : photographié et filmé à de nombreuses reprises, je passais des partir du réel pour l’injecter dans la fiction que je tourne. Tous journées entières à photographier la région en super 8. C’est les lieux du film sont des lieux où, potentiellement, ils iraient un lieu qui me fascine, pour de multiples raisons. Je voulais - pas mes personnages, mais les jeunes que j’ai rencontré lors y parler de mon adolescence - âge que j’aime filmer, et je me du casting. D’ailleurs, si possible, je voulais que les acteurs suis donc inspiré de mes souvenirs dans ces lieux particuliers. du film tournent dans leurs vraies maisons. Au-delà d’un attachement spatial, il y a donc aussi C’est donc ici la fiction qui s’infiltre dans le tissu du réel, plus une représentation temporelle, une période de que l’inverse. l’existence représentée avec un sens du détail quasi- Oui, sauf qu’il y a quand même un scénario, une histoire à anthropologique... raconter, et j’y tiens. Je cherche dans le réel la fiction que Une période, mais pas une époque. Je voulais que le film puisse je veux raconter, et pas rester arc-bouté sur mes propres s’ancrer dans le présent, dans un aujourd’hui. Je n’ai pas fait envies de lieux. d’études particulières des jeunes, mais j’ai passé des semaines à rencontrer des adolescents de la région. Je devais mêler Ce qui est très beau dans le film, c’est cette tension entre mes souvenirs aux leurs pour ne pas paraître complètement le mouvement (l’accélérateur de particules comme canal décalé, et je me suis aperçu que les questionnements sont entre le passé et le futur - presque de la science-fiction - et les mêmes qu’avant - et les changements sont presque l’aspect transitoire d’un paysage entre deux pays, entre deux montagnes, qu’est le Pays de Gex. Cela pourrait être le lieu cosmétiques. Fondamentalement, il y a quelque chose idéal d’un “paysage mental”, celui, transitoire par essence, d’universel dans l’adolescence. Je les ai questionnés sur 13 © les Fiches du Cinéma 2019
de l’adolescence. Et pourtant, tout ce que fait PA ne relève pas En Haute-Savoie, on a parfois l’impression de vivre dans un d’une volonté de grandir. Vouliez-vous éviter l’écueil possible espace distordu, dans un no man’s land à perte de vue, où du film d’apprentissage adolescent ? le temps se dilate étrangement... Je voulais en effet représenter cette période sans son “avant” Dans ces régions, il faut trouver le temps de s’occuper, et son “après”, comme une période en tant que telle, sans et parfois on se retrouve dans un espace très dense, avec entrer dans des problématiques ontologiques. Ce sont des énormément de monde, et puis, pour rentrer chez soi, ados typiques parce qu’ils sont léthargiques, un peu mous, il faut faire du vélo pendant une heure au milieu de nulle ils n’ont pas de perspectives définies - il y aurait le bac, mais part. C’est quelque chose qui m’a nourri, et a contribué à ma ils s’en foutent -, ils vivent dans le temps du présent, mais sensibilité. Je vois le monde différemment de quelqu’un qui a grandissent malgré eux, deviennent plus attentifs, perçoivent grandi dans une grande ville. C’est une vie adolescente sans différemment leurs amis, leurs parents. C’est une recherche problèmes en fait, et qui donc se rend disponible à de multiples de sa place dans le monde, et PA, dans cette recherche, questionnements. La présence mystique des montagnes du navigue : il prend le bus, il est à la ville, à la campagne, chez ses Jura, la science profonde sous les pieds... Ces mondes qui copains. Il est constamment dans un mouvement, mais dans cohabitent et qui perforent le pur réel. un espace clos. Il se questionne sur sa place dans un monde Le film est aussi très doux, dans son rapport à la perte par incompréhensible, que la science ne peut même pas expliquer exemple : plus que du deuil au sens propre, on est proche de - la physique quantique nous dit que tout ce qu’on pense savoir l’éloignement progressif d’une amitié, d’un amour... est en fait énigmatique, et c’est très angoissant. Les Particules C’est en effet plus métaphorique qu’autre chose. Je ne veux sont presque pré-apocalyptiques. On part d’un environnement pas donner d’explication rationnelle à, par exemple, la tension connu, banal, balisé, mais où progressivement, un glissement entre PA et son ami Mérou. À cet âge-là, les sentiments s’opère, et on ne sait pas où ce glissement va nous emmener. changeants, les trahisons, les histoires de filles, cela peut Dans sa psyché, dans sa folie, dans son intériorité ? Ce trajet être très violent. Cela ouvre une brèche. Un seul regard, et le - du naturalisme au trip intérieur - m’a beaucoup intéressé. J’ai monde se désagrège, et c’est dans ce mouvement de la vie, essayé de montrer à la fois une ligne très claire, une histoire quand on quitte le lycée, quand on quitte ses amis, que se intime, mais à travers des sentiers sinueux, qui déconstruisent manifeste ce monde à la fois doux et mystérieux, angoissant, le récit et troublent la temporalité et le réalité du film. où les parents sont impuissants - ce monde naturaliste et Un souvenir n’est jamais linéaire, il n’apparaît que par taches, fantastique. et je voulais montrer cela. Comme des particules, qui sont des fragments disparates qui se rencontrent, se percutent, Propos recueillis à Cannes par Clément Deleschaud et forment un tout, cohérent et mystérieux. 14 © les Fiches du Cinéma 2019
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