PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?

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PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
POUR UN MONDE JUSTE
                      ET FRATERNEL

SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N° 759 – FÉVRIER 2023

    COMPRENDRE

    PERSONNES SANS
    PAPIERS : POURQUOI
    RÉGULARISER ?
    RENCONTRER

   WILLIAM ACKER,
   DÉFENSEUR DES « GENS
   DU VOYAGE »
    EXPLORER

   DANS L’ENFER DES PASSOIRES
   THERMIQUES
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
31

                             06

                                                                               28

                                                                               Supplément au trimestriel Messages

                                                                        14     du Secours Catholique-Caritas France :
                                                                               106, rue du Bac – 75341 Paris CEDEX 07
                                                                               Tél. : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50
                                                                               Présidente et directrice de la publication :
                                                                               Véronique Devise
04 RÉAGIR                                                                      Directrice de la communication :
                                                                               Agnès Dutour
La politique nationale de lutte contre la pauvreté                             Rédacteurs en chef :
                                                                               Emmanuel Maistre (7576)
                                                                               Clarisse Briot (7339)
06 INNOVER                                                                     Rédacteur en chef adjoint :
Redon : des véhicules à disposition des plus précaires                         Jacques Duffaut (7385)
                                                                               Rédacteurs :
                                                                               Aurore Chaillou
11 DÉBATTRE                                                                    Benjamin Sèze (5239)
                                                                               Cécile Leclerc-Laurent (7534)
Comment protéger les migrants environnementaux ?
                                                                               Rédacteur-graphiste :
                                                                               Guillaume Seyral (7414)
14 COMPRENDRE                                                                 Rédactrice photo :
                                                                               Elodie Perriot (7583)
14 Enquête. Personnes sans papiers : pourquoi régulariser ?
                                                                               Correction :
22 L’entretien : « Il faut sortir de l’hypocrisie et faire                   Le champ rond
     en sorte que les étrangers qui travaillent puissent être régularisés. »   Imprimerie : Imaye Graphic © Messages
26 
   Ici et là-bas. Colombie : les migrants vénézuéliens régularisés             du Secours Catholique – Caritas France,
                                                                               reproduction des textes, des photos
27 Des outils pour comprendre                                                  et des dessins interdite, sauf accord
                                                                               de la rédaction. Le présent numéro a été
                                                                               tiré à 54 213 exemplaires.
28  RENCONTRER                                                                Dépôt légal : n° 115 534
William Acker. Défenseur des « gens du voyage »                                Numéro de commission paritaire :
                                                                               1127 H 82430 / Édité par le Secours
                                                                               Catholique – Caritas France.
31 EXPLORER                                                                    Photo de couverture :
                                                                               Xavier Schwebel / SCCF
Dans l’enfer des passoires thermiques

38 POINT DE VUE
Stéphanie Lacombe. « Avec tout son respect »

39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE                                      Ce produit est imprimé par une usine
                                                                               certifiée ISO 14001 dans le respect
Et paf, le chômeur                                                             des règles environnementales.

2 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
ÉDITORIAL
                                               RÉGULARISER LES PERSONNES
                         GAEL KERBAOL / SCCF
                                               SANS-PAPIERS : UNE MESURE
                                               RÉALISTE
                                               VÉRONIQUE DEVISE PRÉSIDENTE NATIONALE DU SECOURS CATHOLIQUE
                                               ET LAURENT GIOVANNONI RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT ACCUEIL
                                               ET DROITS DES ÉTRANGERS DU SECOURS CATHOLIQUE

                                               I
                                                  l est de bon ton d’opposer en matière d’immigration les « bons sentiments »
                                                  des associations humanitaires et le « réalisme » des responsables
                                                  politiques. Sur le sujet de la régularisation des personnes étrangères
                         SCCF

                                                  présentes sur le territoire, nous affirmons clairement que les réalistes
                                                  sont toutes celles et ceux qui demandent, comme nous le faisons, que de
LES PERSONNES SANS                             larges mesures de régularisation soient adoptées ! En effet, quelque 400 000 à
PAPIERS NE DEMANDENT                           500 000 personnes vivent parmi nous sans droit au séjour et au travail, sans
QU’UNE CHOSE :                                 possibilité de vivre dignement, depuis plusieurs années. La plupart travaillent,
AVOIR UN STATUT POUR                           et/ou élèvent des enfants nés ou scolarisés en France, ont développé des liens
                                               et une vie sociale dans nos quartiers. Elles ne demandent qu’une chose : avoir
VIVRE COMME TOUT
                                               un statut pour vivre comme tout un chacun et contribuer à la vie du pays. Le
UN CHACUN                                      discours maintes fois entendu selon lequel ces personnes « ont vocation » à
ET CONTRIBUER À LA VIE                         être reconduites à la frontière est trompeur, pour ne pas dire mensonger. Pour
DU PAYS.                                       de multiples raisons et notamment la présence d’enfants en France ou de
                                               danger dans leur pays d’origine, pour la plupart d’entre elles, la reconduite n’est
                                               pas possible, quelle que soit l’appréciation que chacun porte sur la politique
                                               d’immigration et d’asile. Alors qui a intérêt à laisser toutes ces personnes et
                                               ces familles au ban de la société, en leur interdisant la possibilité de sortir de
                                               la précarité, en les condamnant à la pauvreté ? Personne.
                                               Oui, il est dans l’intérêt général de régler le maximum de situations : il
                                               s’agit d’humanité d’abord, de respect de la dignité des personnes, mais
                                               aussi d’équilibre et de cohésion sociale, d’intérêts bien compris égale-
                                               ment pour notre économie qui a besoin de leur travail et de leurs com-
                                               pétences, de leur dynamisme, de leurs projets. Le dossier de ce numéro
                                               de Résolutions consacré à ces personnes le démontre. Le projet de loi
                                               Asile et immigration qui sera bientôt débattu au Parlement ouvre la voie
                                               en proposant la création d’un titre de séjour « métiers en tension » pour
                                               des étrangers présents sur le territoire. C’est un pas dans la bonne direc-
                                               tion que propose le gouvernement ! Un pas qui en appelle d’autres : nous
                                               espérons et appelons la représentation nationale à élargir les voies de ré-
                                               gularisation à bien d’autres catégories de personnes – femmes, familles,
                                               personnes pouvant travailler quel que soit le secteur d’activité, etc.Il y va
                                               de l’intérêt général, comme de la dignité de chacune et chacun, donc du
                                               bien commun de notre société. Mesdames et messieurs les parlemen-
                                               taires, soyez réalistes et pragmatiques : régularisez ! 

                                                                                                  FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 3
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
RÉAGIR

                                                            NOS (+) NOS (-)

           LA POLITIQUE NATIONALE DE LUTTE
                 CONTRE LA PAUVRETÉ
Quel est le bilan de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la
pauvreté (2018-2022), adoptée lors du premier quinquennat du président Emmanuel Macron ?
Alors qu’un nouveau Pacte des solidarités est en cours d’élaboration, décryptage de la politique
gouvernementale mise en œuvre jusque-là pour éradiquer la pauvreté.

PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT

      Force est de constater que malgré la crise du                        La promesse du RUA (revenu universel d’activi-
      coronavirus, le taux de pauvreté est resté stable                    té) n’a pas abouti. Elle devait permettre de lutter
grâce aux mesures compensatoires mises en œuvre.                    contre le non-recours. Elle est cependant reprise dans
                                                                    la “solidarité à la source” annoncée en ce début de
       Mais dans les faits, le Secours Catholique observe           second quinquennat.
       un appauvrissement des plus pauvres dont le
reste à vivre se détériore, en raison de l’inflation, mais                 La capacité d’hébergement d’urgence a aug-
aussi de l’adoption de réformes qui risquent de plonger                    menté lors de la crise du coronavirus et reste
les gens dans l’extrême pauvreté (la réforme de l’assu-             élevée. Le gouvernement prône par ailleurs la doctrine
rance chômage, la baisse des APL, le décrochage du                  du « logement d’abord ».
RSA par rapport au SMIC, et à venir la proposition deloi
sur l’occupation illicite des logements).                                 Mais dans les faits, les moyens ne suffisent pas.
                                                                           La production de logement social a connu un
       La revalorisation de la prime d’activité, suite au           niveau historiquement bas ces dernières années. Et
       mouvement des Gilets jaunes, a permis de limiter             le dispositif de l’hébergement d’urgence est saturé,
le phénomène des travailleurs pauvres. De même, la                  faute de mécanismes de sortie, par l’accès au loge-
mise en œuvre de la complémentaire santé solidaire a                ment très social ou par l’accès à un titre de séjour
simplifié et accru la couverture santé pour les personnes           ouvrant la possibilité de se loger.
en situation de précarité.
                                                                          On constate moins de sorties sèches de l’Aide
REPÈRES
                                                                          sociale à l’enfance à 18 ans, et la Garantie jeunes
                   de personnes sont en situation de                pour les 18-25 ans a été étendue (puis transformée
                   pauvreté monétaire en 2020, c’est-à-             en Contrat d’engagement jeune).
                   dire vivant avec 60 % du niveau de vie
                   médian, soit avec moins de 1 132 euros
                                                                          Mais le Secours Catholique demande leur
                   par mois pour une personne seule.
                                                                          extension face à la pauvreté des jeunes, ainsi
                                                                    que le droit à un revenu minimum étendu aux
                                                                    18-25 ans.
                                                Cela représente

                                                14,3 %
                                                de la population.
                                                                          De manière générale, le discours public des res-
                                                                          ponsables politiques reflète un regard négatif
                                                                    sur les personnes pauvres et les migrants. La lutte
                                                                    contre leur stigmatisation est plus nécessaire que
 Source : Ressources et conditions de vie, Insee, 2022.
                                                                    jamais. 

4 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
RÉAGIR

                        NOTRE ALTERNATIVE

                      PAR JEAN MERCKAERT, DIRECTEUR ACTION ET PLAIDOYER FRANCE

                      FAIRE DE LA LUTTE CONTRE
                      LA PAUVRETÉ LE COEUR DE TOUTES
                      LES POLITIQUES PUBLIQUES

A
         ux yeux du Secours                 confiance et de proximité, plutôt que    cun l’accès à un hébergement ou un
         Catholique, il faut que la         de diminuer les droits des chômeurs.     logement décent, ce qui suppose
         politique du gouvernement          Cela passe aussi par un socle de re-     de rendre le parc privé plus acces-
passe d’une logique conjoncturelle                                                   sible et d’investir dans le logement
(prime pour l’énergie ou le carburant)                                               très social. La transition écologique
à une logique structurelle. Il faut faire                                            doit elle aussi être une opportunité
de la lutte contre la pauvreté le cœur
                                               NOUS ATTENDONS UNE                    de lutter contre la pauvreté, en fi-
de toutes les politiques publiques.
                                            LOGIQUE D’INVESTISSEMENT                 nançant et en systématisant la ré-
La France s’est d’ailleurs engagée
                                                 SOCIAL DANS LES                     novation thermique du logement
envers l’ONU : elle doit éradiquer la
                                             PERSONNES EN PRÉCARITÉ.                 des ménages modestes, en rendant
grande pauvreté à l’horizon 2030.                                                    accessibles les mobilités propres et
Concrètement, nous attendons du                                                      le choix d’une alimentation saine et
gouvernement une logique d’inves-           venus décents garanti (sans risque       durable pour chacun. Enfin, la pau-
tissement social dans les personnes         de sanctions) dès 18 ans, pour que       vreté touche une grande proportion
qui vivent la précarité. Cela passe par     personne ne vive en dessous du seuil     des étrangers, pour lesquels il faut
un droit à l’accompagnement et à            de grande pauvreté. Investir dans la     faciliter et élargir l’accès aux titres de
l’emploi décent, dans une logique de        société, c’est encore garantir à cha-    séjour et au travail. 

                                                  DROIT DE SUITE

                    COP27 : UN PAS POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE

 L   a COP27 s’est achevée en no-
     vembre à Charm-el-Cheikh en
 Égypte. Le Secours Catholique et
                                            ciations se sont déroulées en Afrique
                                            où les effets du changement clima-
                                            tique se font sentir, alors que nos
                                                                                     du Secours Catholique regrettent
                                                                                     que les pays de la COP27 aient re-
                                                                                     fusé d’inscrire la sortie des éner-
 ses partenaires se réjouissent de          émissions de gaz à effet de serre        gies fossiles dans le texte de
 l’adoption d’un fonds des pertes           (GES) sont négligeables », analyse       l’accord. « Nous avions espéré plus
 et dommages, un mécanisme                  Lucy Esipila, chargée de plaidoyer       d’ambitions sur la réduction des GES.
 de financement qui pourra aider            à Caritas Africa, qui espère que ce      Par ailleurs, nous aurions aimé un
 les pays du Sud à faire face aux           fonds sera accessible aux ONG            coup de projecteur sur les besoins
 dommages causés par le change-             locales et nationales pour mieux         de l’Afrique qui ne dispose que de
 ment climatique. « Les décideurs           toucher les communautés. Mais            ressources trop limitées pour une
 n’avaient d’autre choix que de tenir       au-delà de ce pas vers la justice cli-   transition vers les énergies renouve-
 leur promesse d’autant que les négo-       matique, les associations proches        lables », note Lucy Esipila.  C.L.-L.

                                                                                              FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 5
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
INNOVER

                                                                                                                        STEVEN WASSENAAR / SCCF
REDON : DES VÉHICULES À
DISPOSITION DES PLUS PRÉCAIRES
PAR JACQUES DUFFAUT

Parce qu’un nombre toujours croissant de personnes en difficulté            même problème, nous avons monté
se plaignaient d’être isolées faute de moyens de locomotion                 un partenariat pour y répondre. »
ou de transports en commun adéquats, l’équipe du Secours
                                                                            Citoyenneté assumée
Catholique de Redon (Ille-et-Vilaine) s’est alliée à l’équipe locale        L’agglomération de Redon, aux
de la Croix-Rouge pour mettre à la disposition de ceux qui en               confins de l’Ille-et-Vilaine, couvre
ont le plus besoin une voiture ou un chauffeur.                             31communes pour environ

                                 E
                                                                            66 000 habitants. Mireille Naudin
                                              n 2017, nous avons réalisé    porte un regard aiguisé sur l’ampleur
                                              que la mobilité constituait   des difficultés rencontrées : « Ce terri-
                                              le principal problème des     toire comprend de nombreuses poches
                                              gens que nous recevions,      de pauvreté. Une misère cachée accrue
                                              toujours plus nombreux à      par le manque de mobilité. Le cas d’une
                                   nous demander un microcrédit pour        mère et sa fille qui ne pouvaient plus se
                                   faire réparer un véhicule, acheter une   voir parce qu’aucune n’avait accès à un
 Mindy, aide soignante,           voiture d’occasion ou passer le per-     véhicule a suscité notre mobilisation
a pu emprunter                     mis, explique Mireille Naudin, res-      sur cette problématique. »
un véhicule à RMP
                                   ponsable de l’équipe du Secours          En 2018, les deux associations font
le temps de trouver
une solution à son                 Catholique de Redon. Comme la            appel au volontariat de chauffeurs.
problème de mobilité.              Croix-Rouge de Redon rencontrait ce      Dix-huit personnes ont répondu.

6 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
MODE D’EMPLOI
         LES BESOINS IDENTIFIÉS                                 redon mobilités partagées

                                                Parce que la possession d’un véhicule individuel coûte

    Pour quoi ?                                 en moyenne 295 € par mois, ou que le coût moyen du permis
                                                de conduire s’élève à 1600 €, de nombreuses personnes
                                                se trouvent isolées, faute de moyens financiers.

                                                 Mettre à disposition des personnes en difficulté deux
                                                 véhicules « propres » pour apporter des solutions aux
                                                 problèmes de mobilité :
         L’IDÉE                                  • soit en empruntant directement le véhicule pendant
                                                 quelques heures ;
                                                 • soit en se faisant conduire par un chauffeur bénévole.

               QUI ? COMBIEN?

            LES OBJECTIFS

                  Fournir                    Aider ceux             Permettre l’accès aux       Rendre
               une amplitude             qui ont un travail           besoins de la vie     concret le droit
                de mobilité             ou qui en cherchent            courante (soins,     d’aller et venir
              aux populations            un à se déplacer.           courses, démarches     aux personnes
                  rurales                                             administratives...)       isolées.

           LES LEVIERS D’ACTION                                                     LES PARTENAIRES

Le Secours Catholique de Redon entretient d’excellentes                  Secours Catholique-Caritas France
relations avec la Croix-Rouge locale, le Centre communal d’action        Croix-Rouge
sociale (CCAS) et le lycée professionnel Marcel-Callo,
ce qui a permis la mise en place de Redon Mobilités partagées            Conseil départemental
et d’apporter une solution aux problèmes rencontrés                      Lycée professionnel Marcel-Callo
sur le territoire.

                                                                                  FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 7
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
INNOVER

   « Nous avons construit le projet       d’une voiture automatique hybride,      née. Le prêt est valable pour un
avec eux, indique Dominique Papin,        acquise par la Croix-Rouge pour         maximum de deux jours consécu-
secrétaire général de la Croix-           18 000 euros, dont 13 000 financés      tifs, ou de 72 heures si l’emprunt
Rouge locale. Ensemble, nous avons        par le département d’Ille-et-Vilaine.   se fait sur un week-end.
décidé d’acquérir deux voitures, de       La Croix-Rouge subvient aussi aux       « Je me sers de ce service depuis
mettre en place des coordinateurs         frais de fonctionnement estimés à       le début, annonce Catherine, une
pour tenir le planning et mettre en re-   3 000 euros par an.                     habituée de l’accueil du Secours
lation clients et chauffeurs. »                                                   Catholique. J’habite seule, à Saint-
Sur d’autres territoires, il existe ce                                            Nicolas-de-Redon, à vingt minutes à
service de chauffeurs volontaires,                                                pied. Ma retraite arrive le 10 du mois.
« mais avec des véhicules ther-                                                   Je réserve le véhicule pour le mercre-
miques normaux, précise Dominique         LA VOITURE À DISPOSITION                di suivant, et Joël, un des chauffeurs,
Papin. À Redon, nous voulions être        A ÉTÉ LA SOLUTION                       vient me chercher et m’emmène au
dans la transition écologique et pri-     TEMPORAIRE LA PLUS                      supermarché. En une demi-heure
vilégions les véhicules propres ». Le     EFFICACE.                               j’achète tout ce qu’il me faut pour
coût est supérieur mais s’inscrit                                                 le mois. Il me ramène chez moi. Ce
dans un mouvement de citoyen-                                                     n’est pas loin mais mes courses sont
neté assumé.                              Le service a commencé courant           lourdes. La voiture aura été mobili-
Le partenariat associatif intitulé        2021 avec 316 demandes de par-          sée pendant une heure et ça m’aura
Redon Mobilités partagées (RMP),          ticuliers souhaitant disposer d’une     coûté un euro. Ce service a changé
une fois l’équipe de chauffeurs et de     des automobiles ou être véhiculés       ma vie. »
coordinateurs en place, s’est équi-       par un chauffeur. Une contribution
pé d’un véhicule sans permis, entiè-      de 0,10 centime d’euro au kilomètre     Équipe à l’écoute
rement électrique, qui se recharge        est demandée à l’emprunteur. Un         Joël, 69 ans, un des 12 chauffeurs
sur une prise domestique normale,         forfait de 5 euros pour 100 kilo-       bénévoles de RMP, conduisait des
et payé près de 7 000 euros par           mètres inclus est également prévu       cars avant de prendre sa retraite.
le Secours Catholique. Ainsi que          pour un emprunt sur toute une jour-     « Cela ne me posait aucun problème
                                                                                  pour conduire une petite voiture, dit-
                                                                                  il. Et puis j’aime parler avec ceux que
          REGARD                                                                  je conduis, toutes ces personnes sont
                                                                                  différentes. J’emmène certaines faire
  NADÈGE PÉRION, DIRECTRICE DU CENTRE COMMUNAL                                    des courses, d’autres à la banque, à la
  D’ACTION SOCIALE DE REDON                                                       pharmacie, à la poste, et même dans
                                                                                  les hôpitaux de Rennes ou de Vannes.
  UNE RÉPONSE ADAPTÉE                                                             Les clients habituels sont contents
                                                                                  du service rendu et nous rappellent
   En analysant les besoins sociaux des habitants de Redon, il appa-              parfois pour nous remercier. »
   raît que le besoin de mobilité arrive en tête et touche tous les âges,         Mindy, trentenaire et aide-soignante
   principalement les jeunes et les personnes âgées. Pour y remédier,             à domicile, s’est récemment trouvée
   nous avons passé une convention avec les taxis redonnais, mais la              sans véhicule pour travailler. Elle a
   convention ne s’applique qu’aux personnes en situation de handicap             appelé RMP et a pu obtenir une voi-
   et aux personnes âgées, et est cantonnée au périmètre de l’agglo-              ture dès le lendemain. « En attendant
   mération. Redon Mobilités partagées en revanche est un service                 d’obtenir un crédit pour acheter un
   innovant et souple qui permet à toute personne en difficulté d’em-             véhicule, la voiture à disposition de
   prunter une automobile ou bien de se faire conduire par un chauf-              RMP a été la solution temporaire la
   feur sans contrainte géographique. Ce service permet de dépasser               plus efficace. Cela m’a bien aidée pen-
   les limites de l’agglomération et d’aller jusqu’à Rennes ou Vannes             dant un mois. Et c’était plaisant grâce
   par exemple. Ce qui correspond à un besoin réel. Un vrai plus.                à une équipe à l’écoute, toujours prête
                                                                                  à vous rendre service. » Service ra-

8 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
INNOVER

                                                                                                              seurs du lycée évaluent bénévo-
                                                                                                              lement les réparations à faire sur
                                                                                                              les véhicules en panne ainsi que la
                                                                                                              valeur des voitures d’occasion que
                                                                                                              les personnes accompagnées par
                                                                                                              RMP envisagent d’acheter.

                                                                                                              Main d’œuvre gratuite
                                                                                                              « Au début de notre partenariat, ex-
                                                                                                              plique Bertrand Ricaud, directeur des
                                                                                                              études du lycée professionnel, nous
                                                                                                              pensions que nous ferions de l’entre-
                                                                                                              tien courant. Nous nous sommes vite
                                                                                                              aperçus que nous étions surtout solli-
                                                                                                              cités pour des pannes. Nous avons fait
                                                                                                              davantage de diagnostics que prévu,
                                                                                                              ce qui est intéressant pour notre qua-
                                                                                                              rantaine d’élèves en CAP et pour les
                                                                                                              90 élèves qui sont en bac profession-
                                                                                                              nel. Pour nos élèves, il est important
                                                                                                              de travailler sur des véhicules qui
                                                                                                              souffrent d’usure, ceux qu’ils connaî-
                                                                                                              tront dans leur vie professionnelle. »
                                                                                                              Le coût de la réparation est de
                                                                                                              10 euros pour les consommables
                                                                                                              (huile, liquide de refroidissement,
                                                                                  © STEVEN WASSENAAR / SCCF

                                                                                                              nettoyant frein, etc.) en plus de
                                                                                                              l’achat des pièces nécessaires. La
                                                                                                              main-d’œuvre est gratuite.
                                                                                                              « Ce service ouvre la voie à une
                                                                                                              culture de l’autopartage qui devrait
                                                                                                              se développer dans les prochaines
pide pour les clients, souple pour les    le lieu, l’objet du déplacement avec                                années », estime Daphné Chamard-
chauffeurs bénévoles qui peuvent          un chauffeur et nous rappelons le de-                               Teirlinck, responsable du départe-
choisir leurs créneaux d’intervention     mandeur pour confirmer. »                                           ment Mobilité inclusive et durable
grâce à un groupe What’sApp géré          RMP a dernièrement ajouté à son                                     au Secours Catholique, qui rappelle
par les coordinateurs. « Le premier       activité un partenariat avec le lycée                               qu’environ « 80 actions mises en
chauffeur qui répond prend le service,    privé Marcel-Callo. Ce lycée d’excel-                               place par l’association sont actuelle-
explique Alain, autre chauffeur béné-     lence qui forme à Redon un millier                                  ment menées partout en France pour
vole. Ainsi, tous les autres chauffeurs   d’élèves aux métiers de l’industrie                                 contrer le manque de mobilité ». Ces
sont au courant. »                        automobile et aéronautique a ac-                                    actions locales apportent des ré-
Lydie est un des cinq coordinateurs.      cueilli favorablement la demande                                    ponses appropriées aux besoins
Sa mission : « Prendre les appels des     du Secours Catholique et de la                                      du terrain en prenant la forme de
personnes qui demandent une loco-         Croix-Rouge d’aider les plus né-                                    prêts ou locations de véhicules ou
motion. Nous nous assurons d’abord        cessiteux à trouver des solutions                                   de vélos, d’aides financières, de
que ces personnes ont bien été orien-     à leurs problèmes de mobilité, soit                                 garages solidaires, ou encore de
tées vers nous par une assistante so-     en réparant leurs véhicules, soit en                                plaidoyers locaux auprès des col-
ciale, une association caritative ou le   les aidant à trouver des véhicules                                  lectivités pour améliorer la des-
CCAS. Ensuite, nous fixons l’horaire,     d’occasion. Deux anciens profes-                                    serte des transports en commun. 

                                                                                                                      FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 9
PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
INNOVER                                                                          HÉRAULT

                                                                                 LA MÉCANIQUE
ILS Y PENSENT AUSSI PAR CLARISSE BRIOT                                           DE L’INSERTION
                                                                                 À Montpellier, l’atelier Mécam de l’association
                                                                                 Passerelles-Insertion réunit plusieurs activités d’aide
                                                                                 à la mobilité pour favoriser l’insertion. Garage soli-
                                                                                 daire, il réalise diagnostics, réparations et entretiens
                                                                                 à tarifs préférentiels pour des automobilistes aux
                                                                                 moyens financiers limités. Il met à disposition à prix
                                                                                 modéré des véhicules (jusqu’à trois mois). Et il est
                                                                                 aussi chantier d’insertion pour 20 à 35 salariés par
                                                                                 an (dont des personnes en situation de migration)

                                                           GAEL KERBAOL / SCCF
                                                                                 se formant aux métiers de la mécanique. 
                                                                                    Plus d’infos sur : www.passerelles-chantiers.fr

 SEINE-SAINT-DENIS                                                               TARN-ET-GARONNE
 LE PERMIS POUR L’AUTONOMIE                                                      L’AUTOSTOP REVISITÉ
 « Ne lâcher personne », telle est la raison d’être de                           La coopérative Rézo Pouce, implantée à Moissac
 l’auto-école sociale et solidaire départementale de                             (82), développe depuis 2015 une solution d’autostop
 l’association Rues et Cités, à Montreuil (93). Cette                            au quotidien, solidaire et gratuite, via une commu-
 structure accompagne jusqu’au permis de conduire                                nauté et une application mobile, « pour que cha-
 environ 200 apprenants par an, âgés de 17 à 60 ans,                             cun puisse bouger quand il veut, où il veut ». Depuis
 majoritairement sans diplômes et rencontrant des                                2021, elle a fusionné avec la coopérative Mobicoop,
 difficultés pour accéder au marché de l’emploi. « Des                           spécialiste du covoiturage, afin de continuer à ac-
 parcours sont mis en place, explique Véronique Renard,                          compagner des collectivités territoriales dans la
 la responsable, avec des entretiens individuels et des                          mise en place de services de mobilité partagée.
 ateliers complémentaires, par exemple sur la confiance                          Aujourd’hui, la grande coopérative ainsi formée
 en soi. » L’auto-école peut s’enorgueillir de détenir le                        compte 500 000 utilisateurs, dans 1 200 collecti-
 meilleur taux de réussite au permis du département.                            vités territoriales. 
    Plus d’infos sur : www.ruesetcites.fr                                           Plus d’infos sur : www.mobicoop.fr

RETOUR SUR…

UNE DOUCHE ITINÉRANTE TOUJOURS AUSSI MOBILISÉE

E
        n Avignon, le dispositif            voles coiffeurs. « Tout être humain                      fixes – un par soir – où nos accueil-
        Mobil’Douche, soutenu par           a droit à la dignité, confie Jasmine                     lis sont sûrs de nous trouver. » Pour
        le Secours Catholique, pour-        Zeroug, représentante de l’asso-                         ces derniers, ces rendez-vous sont
 suit sa route. Depuis 2016, ce cam-        ciation Mobil’Douche. Quand je vois                      aussi l’occasion de discuter avec les
 ping-car aménagé offre un service          quelqu’un qui ressort propre, avec le                    bénévoles et, parfois, de trouver des
 de douche itinérant aux personnes          sourire, je suis heureuse. » En sep-                     solutions. « Grâce aux compétences
 sans-abri et mal logées, à raison          tembre 2022, la ville a attribué au vé-                  et aux réseaux de notre équipe, nous
 de trois soirs par semaine. Chaque         hicule trois lieux de stationnement                      pouvons les conseiller et les orien-
 personne accueillie profite ainsi de       autour des remparts d’Avignon.                           ter au mieux, explique Jasmine.
 trente minutes pour une douche             « Nous ne faisons plus de maraudes                       Récemment, trois de nos habitués
 chaude ou encore une coupe de              intra-muros, poursuit Jasmine.                           sont sortis de la rue. 
 cheveux proposée par deux béné-            Désormais, nous avons trois points                                          Dimitri Partouche

10 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
DÉBATTRE

        COMMENT PROTÉGER LES MIGRANTS
            ENVIRONNEMENTAUX ?
CONTEXTE. Les changements climatiques et la dégradation de l’environnement poussent de plus
en plus de personnes sur les routes de l’exil. Chaque année, des millions d’hommes, de femmes et
d’enfants se déplacent ainsi à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs pays. Comment les protéger alors
          que la notion de « réfugié climatique » n’existe pas d’un point de vue juridique ?

                                       MAUD GATEL,        PATRICIA SPADARO
                                DÉPUTÉE MODEM            CHARGÉE DE PLAIDOYER MIGRATIONS
              DE LA 11E CIRCONSCRIPTION DE PARIS         INTERNATIONALES DU SECOURS CATHOLIQUE

Patricia Spadaro : Au Secours                grants dits environnementaux. Cela     ou à la pauvreté. Ces drames
Catholique, nous constatons via nos          peut prendre la forme de visas tem-    viennent s’ajouter aux difficultés
partenaires internationaux que les           poraires ou d’exemption de visa, par   structurelles des pays.
changements climatiques et la dé-            exemple. Il faut aussi appliquer le
gradation de l’environnement sont            principe de non-refoulement, c’est-    P. S. : Oui, ce qui est nouveau, c’est
un facteur de migration. Cela inclut         à-dire qu’une personne ne soit pas     l’accélération et la portée du phéno-
des catastrophes soudaines (inon-            renvoyée dans son pays où elle         mène. On l’a vu notamment l’été der-
dations, tempêtes…) et des phé-              risque sa vie.                         nier avec le Pakistan, dont un tiers
nomènes de dégradation lente de                                                     de la superficie du pays a été sub-
l’environnement, comme la séche-             Maud Gatel : La question de l’im-      mergée par les inondations après
resse ou les impacts des projets ex-         migration climatique n’est certes      des températures qui ont dépas-
tractivistes. Tout cela amène à des          pas nouvelle, mais elle tend à avoir   sé 50 degrés ! Le phénomène des
violations des droits humains – le           une acuité plus forte aujourd’hui      migrants environnementaux est
droit à la vie, à l’eau, à l’alimentation,   parce qu’on voit les changements       plus visible et plus fort. Mais il est
etc. – et pousse chaque année des            climatiques à l’œuvre. Aujourd’hui,    impossible d’isoler ce facteur en-
millions de personnes à quitter leur         les différentes raisons d’immigra-     vironnemental qui est un facteur
pays. Nous sommes donc convain-              tion se cumulent : les populations     accélérateur. Prenons l’exemple de
cus que les États devraient mettre           victimes des changements clima-        notre partenaire, la Caritas sénéga-
en place des voies sûres et régu-            tiques sont également souvent          laise, qui nous alerte sur le réchauf-
lières de migration pour ces mi-             celles exposées aux conflits armés     fement de l’eau à cause duquel

                                                                                           FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 11
DÉBATTRE

                                                                                                                                     ELODIE PERRIOT / SCCF
Le mécanisme européen de solidarité et des voies Les États devraient mettre en place des
sûres de migration pourrait être mis en place,      voies sûres et régulières de migration
en lien avec les besoins économiques              pour les migrants environnementaux et
des pays membres de l’Union européenne.          appliquer le principe de non-refoulement.
           MAUD GATEL                                                                       PATRICIA SPADARO

les poissons se déplacent de plu-        P. S. : Vous avez raison : les migra-       faut plutôt peser sur le pacte asile et
sieurs centaines de kilomètres, donc     tions sont souvent internes. Mais           migration au niveau européen. Sous
les pêcheurs sont obligés d’aller en     quand elles sont transfrontalières,         l’effet de la guerre en Ukraine, l’Eu-
Guinée-Bissau ou en Mauritanie.          même si celles-ci sont minoritaires,        rope a énormément avancé. Cela
Cela crée des tensions avec les po-      il y a un vide juridique. Alors com-        doit nous inspirer. Le mécanisme
pulations de ces pays, exacerbées        ment combler ce vide ? Parler de            européen de solidarité et des voies
par la surpêche qui fait qu’il y a une   réfugié climatique n’a aucun sens           sûres de migration pourrait être mis
raréfaction des ressources. Là se        juridique, et au Secours Catholique,        en place, en lien avec les besoins
rejoignent la question climatique, la    nous sommes persuadés que ce                économiques des pays membres.
question économique et la question       n’est pas une bonne idée de négo-           Nous assistons à une montée des
des tensions sociales.                   cier de nouveau la convention de            populismes avec un retrait sur soi
                                         Genève. Le contexte actuel de rétré-        et l’étranger fait peur. Je souhaite
M. G. : Aujourd’hui le cadre juri-       cissement des droits des personnes          également qu’on travaille sur les
dique international ne prend pas         migrantes et de durcissement et sé-         conditions d’intégration et sur un
en considération les réfugiés clima-     curisation des frontières fait craindre     meilleur accueil pour augmenter
tiques. D’ailleurs, le terme même        une régression de la protection des         l’acceptabilité sociale.
« réfugié climatique » n’a pas de        personnes. Ça serait ouvrir la boîte de
sens juridique. Le statut de réfu-       Pandore. Par contre, l’interprétation       P. S. : Sur le repli sur soi, il y a une res-
gié au titre de la convention de         de cette convention pourrait évoluer.       ponsabilité partagée des politiques
Genève n’est pas attribué pour           Dans les rares cas où l’on réussit à        qui ciblent les personnes migrantes
des questions climatiques : le cli-      montrer que des personnes victimes          et leur font porter tous les maux. Par
mat n’est pas une raison suffisante      de la dégradation de l’environnement        exemple sur la question des migra-
aujourd’hui pour permettre aux           sont persécutées par les autorités          tions environnementales, quand on
personnes qui se déplacent d’être        nationales, ou bien que les change-         entend des chiffres chocs sur les
protégées. C’est pourquoi je suis,       ments climatiques sont source de            personnes qui vont arriver, ça a un
comme vous, favorable à l’instau-        conflits armés, il serait possible de ré-   impact sur l’acceptabilité sociale.
ration de voies sûres.                   clamer pour ces personnes une pro-          Cela crée un sentiment de peur qui
Il faut aussi souligner qu’au-           tection temporaire ou permanente.           n’a pas lieu d’être ! Relativisons cette
jourd’hui les migrants environne-                                                    vague d’immigration qui n’en est pas
mentaux se déplacent beaucoup            M. G. : Je vous rejoins : renégocier la     une. Car nous l’avons dit : les per-
plus à l’intérieur même des pays.        convention de Genève est illusoire. Il      sonnes restent souvent à l’intérieur

12 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
DÉBATTRE

de leurs pays. Déconstruisons les         l’objet d’un examen approfondi en         devons tous agir en responsabilité
discours qui disent : « Agissons sur      fonction des besoins. J’étais en ce       face aux enjeux climatiques à venir.
le climat pour ne pas avoir des gens      sens pour la liste des pays sûrs.         Je vois les conséquences pour les
qui frappent à notre porte. » Ce dis-     Mais ça n’est pas parce qu’on n’est       plus fragiles et la nécessité, à tra-
cours n’est pas acceptable. Il faut       pas menacé de mort pour ses opi-          vers l’aide publique au développe-
certes une action plus déterminée         nions politiques que notre vie n’est      ment, d’accompagner les pays du
en matière de lutte contre le chan-       pas en danger pour des questions          Sud à aller vers des économies
gement climatique. Toutefois, cette       économiques.                              moins carbonées.
action ne doit pas chercher à évi-                                                  Cette solidarité est garante d’huma-
ter les migrations mais à faire des       P. S. : Pour nous, il y a aussi une       nité. Chaque jour, des centaines de
migrations un choix et non pas une        responsabilité de la France de par        personnes risquent leur vie dans la
nécessité. Les personnes doivent          son industrialisation précoce dans        mer Méditerranée. C’est inaccep-
avoir le droit de migrer, et cela ne      l’émission des gaz à effet de serre.      table. Je ne vois pas comment on ne
doit pas être une contrainte. Sur         Tout le monde n’a pas contribué de        peut pas mettre en place des routes
la question de la protection des          la même façon au changement cli-          sûres. Il faut éviter cette errance pen-
migrants environnementaux, des            matique et à la dégradation de l’en-      dant des années, avant et après le
solutions politiques existent :           vironnement. Ce phénomène affecte         bateau. Les gens sont abandonnés
nous avons suivi les négociations         souvent les pays qui en sont le moins     dans des conditions déplorables,
du Pacte mondial migrations des           responsables. Ce sont en majorité         c’est le cas à Calais par exemple.
Nations unies. C’est le premier           des pays à faible développement qui
texte international qui fait le lien      dépendant des secteurs sensibles          P. S. : Je partage votre point de
entre migrations et changements           au climat, comme l’agriculture, et        vue : il faut tout faire pour éviter
climatiques et qui engage les États       qui ont des capacités limitées pour       ces voyages périlleux avec des
à développer des voies sûres et ré-       s’adapter. Il y a ce principe de jus-     violations des droits humains sur
gulières de migration. Mais c’est         tice climatique : à nous d’accueillir     le parcours. Ça montre que l’asile
un engagement qui dépend de la            les personnes obligées de quitter         est peu accessible et qu’il faut des
volonté des États nations. Nous           leur lieu de vie dans ce contexte et de   voies sûres et légales de migration.
avons l’exemple de l’Argentine qui a      faire en sorte que leurs droits soient    Mais pour nous, cette migration ne
mis en place des voies de migration       respectés. Le devoir d’accueil est lié    doit pas répondre à des besoins de
pour les victimes de catastrophes         à cette question de responsabilité.       pays d’accueil. C’est plutôt à nous
naturelles en Amérique centrale. La                                                 de les accueillir, sans attente, pour
France est signataire de ce pacte :       M. G. : J’entends le sujet de jus-        un meilleur vivre-ensemble. 
que fait-elle aujourd’hui ?               tice climatique. Mais je ne suis                              Propos recueillis
                                          pas très à l’aise avec l’idée. Nous               par Cécile Leclerc-Laurent
M. G. : Nous devons agir pour limiter
en dessous de 1,5 degré le réchauf-
fement climatique en prenant en              REPÈRES
considération les effets sur les ter-
ritoires fragilisés, mais également          CE QUE DISENT LES TEXTES INTERNATIONAUX
permettre à ceux qui le souhaitent           La convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951
de quitter leurs pays en les accueil-        définit un réfugié sur la base de 5 critères possibles de persécu-
lant dans les meilleures conditions          tion : la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain
possibles. Personne ne quitte son            groupe social ou les opinions politiques.Le Pacte mondial migra-
pays par plaisir. Pour moi, il faut          tions des Nations unies adopté à Marrakech en 2018, bien que non
impérativement préserver l’asile.            contraignant, reconnaît dans son objectif 2 les effets des change-
C’est l’honneur des pays qui le dé-          ments climatiques comme des facteurs de migration et propose
fendent. Je suis pour un traitement          dans son objectif 5 l’instauration de voies légales de migration.
différencié entre l’asile et les autres      Il attend d’être traduit dans les politiques publiques nationales. 
types de migration qui doivent faire

                                                                                           FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE

              ENQUÊTE

               PERSONNES SANS PAPIERS :
               POURQUOI RÉGULARISER ?
              PAR CLÉMENTINE MÉTÉNIER

                On estime aujourd’hui qu’entre 300 000 et 500 000 personnes
                étrangères vivent en France sans titre de séjour, parfois depuis
                plus de dix ans. Leur situation irrégulière, qui les prive de droits
                sociaux et d’autorisation de travailler, les plonge souvent dans
                une précarité multiforme, à la fois matérielle et psychologique.
                Elle est due à une politique migratoire devenue très restrictive,
                que nombre d’observateurs considèrent comme déconnectée
                de la réalité de la migration et des besoins de notre société.
                Ces personnes, qui pour beaucoup travaillent malgré tout,
                sont en effet essentielles à notre économie, notamment
                concernant les secteurs en panne de main d’oeuvre. Alors
                que le Gouvernement souhaite légiférer en matière de
                régularisation par le travail sur ces métiers en tension, le
                Secours Catholique et d’autres acteurs militent pour une
                régularisation plus large et plus rapide, afin de protéger ces
                milliers de personnes en leur conférant des droits, et de leur
                permettre de s’extraire de la pauvreté. Ainsi, elles pourront
                enfin mener une vie normale au sein de notre société et
                s’investir dans celle-ci en tant qu’actrices à part entière.
XXXX / SCCF

              14 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
COMPRENDRE

  FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 15
tidiennement. Nous demandons notre régulari-
                                                                                                  sation. » Aboubacar Dembele est le délégué
                                                                                                  d’une grève entamée en décembre 2021 contre
                                                                                                  Chronopost. Il espère le même dénouement
                                                                                                  que celui d’un premier mouvement qui, entre
                                                                                                  juin 2019 et janvier 2020, avait permis la ré-
                                                                                                  gularisation de 73 travailleurs sans papiers
                                                                                                  employés par RSI, une société d’intérim spé-
                                                                                                  cialisée dans le BTP basée à Gennevilliers, et
                                                                                                  DPD, filiale de La Poste au Coudray-Montceaux.

                                                                                                      ON NOUS DEMANDE DE VENIR
                                                                                                  À 2 HEURES DU MATIN, NOUS N’AVONS
                                                                                                   PAS DE PAUSE, NI LE DROIT D’ALLER
                                                                                                     AUX TOILETTES… TOUT ÇA POUR
                                                                                                         600 EUROS, PAR MOIS

                                                                                                  Comme Aboubacar, des centaines de milliers
                                                                                                  d’étrangers en situation irrégulière en France
                                                                                                  sont soumis à des conditions de travail, d’hé-
                                                                           MATHIEU GÉNON / SCCF

                                                                                                  bergement, de vie, que jamais ils n’auraient
                                                                                                  pensé subir dans un « pays de droit ».
                                                                                                  Dans un courrier rédigé au mois de mai, et

                    «D
                                                                                                  destiné à plusieurs candidats aux élections
 Aboubacar                               écharger un camion en trois                             législatives, une dizaine d’entre eux, accom-
Dembele, délégué                          quarts d’heure, c’est pire                              pagnés par le Centre d’entraide pour les deman-
d’une grève de                            que le froid glacial de l’hi-                           deurs d’asile et les réfugiés (Cedre), décrivaient,
travailleurs sans
                                          ver. » Les mains tendues                                en quelques lignes, leur vie « dans les rues et la
papiers entamée
en décembre                               au-dessus d’un feu qui cré-                             galère, les squats, dans la gare, dans les bus de
2021. Alfortville   pite, Aboubacar raconte ses conditions de                                     nuit, de terminus en terminus, dans la misère »,
(Val-deMarne).      travail, entouré de jeunes hommes africains                                   avec ce sentiment de tourner en rond « dans une
                    qui le regardent et acquiescent. « On nous de-                                prison à ciel ouvert », tenus à l’écart de la société.
                    mande de venir ici à 2 heures du matin, sachant                               Combien sont-ils exactement ? Difficile de le
                    qu’il n’y a pas de transports, nous n’avons pas                               savoir. « L’unique chiffre dont on dispose est
                    de pause, ni le droit d’aller aux toilettes… tout ça                          celui de l’AME (Aide médicale d’État) qui est
                    pour 600, allez, parfois 800 euros par mois »,                                d’environ 330 000. Seul le gouvernement sait
                    continue le jeune Malien âgé de 30 ans.                                       combien de demandes de titres de séjour sont
                    Autour de lui, un camp de fortune aux allures                                 faites. On parle fréquemment de 400 000 per-
                    calaisiennes, où s’entasse plus d’une cen-                                    sonnes sans papiers mais elles pourraient être
                    taine de personnes, s’étend sur le trottoir qui                               beaucoup plus nombreuses », explique Lise
                    longe les entrepôts d›une grande entreprise                                   Faron, responsable des questions « entrées,
                    de livraison de colis, dans la zone industrielle                              séjour et droits sociaux » à la Cimade, une
                    d’Alfortville (Val-de-Marne). « Le piquet que                                 association française de défense des droits
                    nous tenons depuis un an s’est dressé contre                                  des personnes réfugiées et migrantes.
                    l’exploitation des sans-papiers, le travail illégal,                          Beaucoup d’étrangers sans papiers
                    l’esclavage moderne que nous subissons quo-                                   travaillent. Pour être embauchés, certains

16 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
COMPRENDRE

d’entre eux se font faire de faux documents
justifiant de la régularité de leur présence
en France, ou empruntent le titre de séjour
d’une personne régularisée, un alias, qu’ils ré-         REGARD SUR
munèrent. Ces subterfuges leur permettent
d’être déclarés par leurs employeurs qui, sou-
vent, ignorent la réalité de leur situation.
                                                        RÉGULARISATIONS :
« Et du moment que le patron déclare son sala-          UNE AFFAIRE POLITIQUE
rié à l’Urssaf, ce qui est possible avec un simple

                                                        1
numéro de Sécurité sociale, ce dernier va cotiser             972 : les circulaires Marcellin-Fontanet donnent un
pour le chômage et les retraites, payer des im-               coup d’arrêt à l’immigration massive de travailleurs
pôts… », précise Franck Ozouf, chargé de pro-                 venus combler les pénuries de main-d’œuvre pour
jet Migration et accès aux droits en Bretagne                 construire l’Europe industrielle. De permanentes, les ré-
et Pays-de-la-Loire au Secours Catholique.               gularisations deviennent « exceptionnelles » et sont accor-
Beaucoup de travailleurs sans papiers contri-            dées sur la base de circulaires. En France, cela se traduit
buent donc financièrement à un système de                par des régularisations collectives et massives limitées
droits dont ils ne bénéficient pourtant pas. À la        dans le temps : « Elles vont concerner 40 000 personnes en
différence d’un salarié lambda, ils ne touche-           1973 sur le fondement de la circulaire Gorse ; 130 000 per-
ront pas de retraite et ne seront pas indemni-           sonnes en 1981-1982 après l’arrivée de la gauche au pouvoir »,
sés s’ils se retrouvent au chômage. « On cotise,         écrit Sara Casella Colombeau, maîtresse de conférences
on paie des impôts, et nous n’avons aucune re-           à l’université Grenoble-Alpes1.
connaissance », souligne Aboubacar Dembele.              Petit à petit, « les régularisations apparaissent comme la contre-
Ils sont aussi nombreux à travailler au noir, par-       partie inévitable d’une législation [en matière d’immigration]
fois en proie à des employeurs peu scrupuleux            trop rigoureuse et font fonction de soupape de sûreté lorsque
du droit du travail. « Un patron peut t’envoyer sur      la pression résultant de la présence en masse des sans-papiers
des chantiers à n’importe quelle heure, te donner        devient trop vive », résume la chercheuse qui précise qu’à
en espèces seulement la moitié de la rémunéra-           partir du milieu des années 2000, les grandes opérations de
tion qu’il donne à un collègue déclaré, sans te faire    régularisation se sont raréfiées, les gouvernants considérant
de fiche de paie, évidemment. Tu travailles au jour      que le coût de traitement des dossiers était trop élevé et le
le jour. Parfois le patron te rappelle le lendemain,     risque de récupération politique, trop grand.
parfois non. » Ousmane se dit « exploité » depuis        En 2012, la circulaire Valls – toujours en vigueur – étend
cinq ans sur des chantiers immobiliers de la             les critères de régularisation des étrangers en situation ir-
banlieue parisienne.                                     régulière. Les familles justifiant d’une présence d’au moins
                                                         cinq ans sur le territoire français et ayant au moins un
Un parcours du combattant                                enfant scolarisé depuis trois ans peuvent alors prétendre
En France, la régularisation est encadrée, de-           à un titre de séjour. Concernant le travail, il faut à présent
puis 2012, par la circulaire « Valls » – ou cir-         justifier de cinq ans de présence en France et huit mois
culaire d’admission exceptionnelle au séjour             de travail sur les deux dernières années ou de trois ans en
– qui dresse les critères selon lesquels une             France et deux ans de travail. « Nous avons bien accueilli
personne sans papiers peut déposer une de-               cette circulaire », se souvient Christophe Dague, délégué
mande de titre de séjour dans une préfecture.            confédéral CFDT qui, douze ans plus tard, dresse un bilan
Pour être régularisé par le travail, la circulaire       en demi-teinte. L’arbitraire des services préfectoraux et la
demande de justifier, grâce aux fiches de paie,          place centrale accordée aux employeurs sont au cœur des
d’une activité professionnelle en France d’au            principales critiques. 
moins 24 mois, de trois ans de présence sur
le territoire français et d’une promesse d’em-
                                                        1	Dans un article intitulé « Les régularisations, composantes des politiques
bauche. « Mais même si les critères de la cir-             migratoires », Plein droit, octobre 2020.
culaire sont remplis, la délivrance d’un titre de
séjour par la préfecture n’est pas automa-

                                                                                                      FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE

                                                                                                                            MATHIEU GENON / SCCF
 Un camp               tique », explique Lise Faron, de la Cimade, emploi service universel (CESU) pour cinq
de fortune          qui précise qu’une circulaire est non contrai- heures de ménage par semaine afin de lui
aux allures         gnante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas valeur de permettre d’amasser des fiches de paie. Pour
calaisiennes,       loi. Ce sont les préfets                                                    cela, elle risque cinq
où s’entasse plus
d’une centaine
                    qui décident.                                                               ans d’emprisonnement
de grévistes,       Obtenir des fiches de                                                       et une amende de
s’étend dans la     paie est un véritable         AVOIR LES PAPIERS ME PERMET                   15 000 euros. « Nous
zone industrielle   parcours du combat-              DE REDEVENIR AUTONOME                      avons accepté, avec les
d’Alfortville
                    tant puisque légale-               ET RESPONSABLE POUR                      autres familles qui em-
(Val-de-Marne).
                    ment, toute personne              TOUTES MES DÉMARCHES                      ploient Najet, de prendre
                    en situation irrégulière               ADMINISTRATIVES.                     le risque, car c’est un
                    n’a pas l’autorisation                                                      acte social. Nous la
                    de travailler. Par souci                                                    faisons travailler pour
                    de droiture, Ousmane                                                        qu’elle puisse nourrir
                    s’est toujours refusé à utiliser des faux pa- ses enfants et avancer dans ses démarches
                    piers ou à emprunter l’identité d’un autre. administratives. »
                    Depuis cinq ans, il a demandé à plusieurs
                    de ses employeurs de le déclarer. En vain.         Sortir de la précarité durable
                    Cela a pris trois ans à Najet, qui enchaîne les En moyenne, depuis dix ans, ce sont entre
                    heures de ménage chez différentes familles 7 000 et 8 000 personnes qui sont régularisées
                    à Pantin (banlieue nord-est de Paris), pour par le travail, chaque année. Le plus souvent au
                    gagner la confiance de plusieurs particuliers cas par cas, parfois grâce à des mouvements
                    qui acceptent de déclarer une personne sans de luttes collectives.Valbona garde un souve-
                    papiers.                                           nir vif de ce jour de janvier 2021 où elle a reçu
                    Irène fait partie de ceux-ci. Par solidarité, elle son titre de séjour, après une demande de ré-
                    a embauché la Tunisienne via un chèque gularisation par le travail. « Ça a été un moment

18 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
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