PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
POUR UN MONDE JUSTE ET FRATERNEL SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N° 759 – FÉVRIER 2023 COMPRENDRE PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ? RENCONTRER WILLIAM ACKER, DÉFENSEUR DES « GENS DU VOYAGE » EXPLORER DANS L’ENFER DES PASSOIRES THERMIQUES
31 06 28 Supplément au trimestriel Messages 14 du Secours Catholique-Caritas France : 106, rue du Bac – 75341 Paris CEDEX 07 Tél. : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50 Présidente et directrice de la publication : Véronique Devise 04 RÉAGIR Directrice de la communication : Agnès Dutour La politique nationale de lutte contre la pauvreté Rédacteurs en chef : Emmanuel Maistre (7576) Clarisse Briot (7339) 06 INNOVER Rédacteur en chef adjoint : Redon : des véhicules à disposition des plus précaires Jacques Duffaut (7385) Rédacteurs : Aurore Chaillou 11 DÉBATTRE Benjamin Sèze (5239) Cécile Leclerc-Laurent (7534) Comment protéger les migrants environnementaux ? Rédacteur-graphiste : Guillaume Seyral (7414) 14 COMPRENDRE Rédactrice photo : Elodie Perriot (7583) 14 Enquête. Personnes sans papiers : pourquoi régulariser ? Correction : 22 L’entretien : « Il faut sortir de l’hypocrisie et faire Le champ rond en sorte que les étrangers qui travaillent puissent être régularisés. » Imprimerie : Imaye Graphic © Messages 26 Ici et là-bas. Colombie : les migrants vénézuéliens régularisés du Secours Catholique – Caritas France, reproduction des textes, des photos 27 Des outils pour comprendre et des dessins interdite, sauf accord de la rédaction. Le présent numéro a été tiré à 54 213 exemplaires. 28 RENCONTRER Dépôt légal : n° 115 534 William Acker. Défenseur des « gens du voyage » Numéro de commission paritaire : 1127 H 82430 / Édité par le Secours Catholique – Caritas France. 31 EXPLORER Photo de couverture : Xavier Schwebel / SCCF Dans l’enfer des passoires thermiques 38 POINT DE VUE Stéphanie Lacombe. « Avec tout son respect » 39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE Ce produit est imprimé par une usine certifiée ISO 14001 dans le respect Et paf, le chômeur des règles environnementales. 2 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
ÉDITORIAL RÉGULARISER LES PERSONNES GAEL KERBAOL / SCCF SANS-PAPIERS : UNE MESURE RÉALISTE VÉRONIQUE DEVISE PRÉSIDENTE NATIONALE DU SECOURS CATHOLIQUE ET LAURENT GIOVANNONI RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT ACCUEIL ET DROITS DES ÉTRANGERS DU SECOURS CATHOLIQUE I l est de bon ton d’opposer en matière d’immigration les « bons sentiments » des associations humanitaires et le « réalisme » des responsables politiques. Sur le sujet de la régularisation des personnes étrangères SCCF présentes sur le territoire, nous affirmons clairement que les réalistes sont toutes celles et ceux qui demandent, comme nous le faisons, que de LES PERSONNES SANS larges mesures de régularisation soient adoptées ! En effet, quelque 400 000 à PAPIERS NE DEMANDENT 500 000 personnes vivent parmi nous sans droit au séjour et au travail, sans QU’UNE CHOSE : possibilité de vivre dignement, depuis plusieurs années. La plupart travaillent, AVOIR UN STATUT POUR et/ou élèvent des enfants nés ou scolarisés en France, ont développé des liens et une vie sociale dans nos quartiers. Elles ne demandent qu’une chose : avoir VIVRE COMME TOUT un statut pour vivre comme tout un chacun et contribuer à la vie du pays. Le UN CHACUN discours maintes fois entendu selon lequel ces personnes « ont vocation » à ET CONTRIBUER À LA VIE être reconduites à la frontière est trompeur, pour ne pas dire mensonger. Pour DU PAYS. de multiples raisons et notamment la présence d’enfants en France ou de danger dans leur pays d’origine, pour la plupart d’entre elles, la reconduite n’est pas possible, quelle que soit l’appréciation que chacun porte sur la politique d’immigration et d’asile. Alors qui a intérêt à laisser toutes ces personnes et ces familles au ban de la société, en leur interdisant la possibilité de sortir de la précarité, en les condamnant à la pauvreté ? Personne. Oui, il est dans l’intérêt général de régler le maximum de situations : il s’agit d’humanité d’abord, de respect de la dignité des personnes, mais aussi d’équilibre et de cohésion sociale, d’intérêts bien compris égale- ment pour notre économie qui a besoin de leur travail et de leurs com- pétences, de leur dynamisme, de leurs projets. Le dossier de ce numéro de Résolutions consacré à ces personnes le démontre. Le projet de loi Asile et immigration qui sera bientôt débattu au Parlement ouvre la voie en proposant la création d’un titre de séjour « métiers en tension » pour des étrangers présents sur le territoire. C’est un pas dans la bonne direc- tion que propose le gouvernement ! Un pas qui en appelle d’autres : nous espérons et appelons la représentation nationale à élargir les voies de ré- gularisation à bien d’autres catégories de personnes – femmes, familles, personnes pouvant travailler quel que soit le secteur d’activité, etc.Il y va de l’intérêt général, comme de la dignité de chacune et chacun, donc du bien commun de notre société. Mesdames et messieurs les parlemen- taires, soyez réalistes et pragmatiques : régularisez ! FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 3
RÉAGIR NOS (+) NOS (-) LA POLITIQUE NATIONALE DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ Quel est le bilan de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (2018-2022), adoptée lors du premier quinquennat du président Emmanuel Macron ? Alors qu’un nouveau Pacte des solidarités est en cours d’élaboration, décryptage de la politique gouvernementale mise en œuvre jusque-là pour éradiquer la pauvreté. PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT Force est de constater que malgré la crise du La promesse du RUA (revenu universel d’activi- coronavirus, le taux de pauvreté est resté stable té) n’a pas abouti. Elle devait permettre de lutter grâce aux mesures compensatoires mises en œuvre. contre le non-recours. Elle est cependant reprise dans la “solidarité à la source” annoncée en ce début de Mais dans les faits, le Secours Catholique observe second quinquennat. un appauvrissement des plus pauvres dont le reste à vivre se détériore, en raison de l’inflation, mais La capacité d’hébergement d’urgence a aug- aussi de l’adoption de réformes qui risquent de plonger menté lors de la crise du coronavirus et reste les gens dans l’extrême pauvreté (la réforme de l’assu- élevée. Le gouvernement prône par ailleurs la doctrine rance chômage, la baisse des APL, le décrochage du du « logement d’abord ». RSA par rapport au SMIC, et à venir la proposition deloi sur l’occupation illicite des logements). Mais dans les faits, les moyens ne suffisent pas. La production de logement social a connu un La revalorisation de la prime d’activité, suite au niveau historiquement bas ces dernières années. Et mouvement des Gilets jaunes, a permis de limiter le dispositif de l’hébergement d’urgence est saturé, le phénomène des travailleurs pauvres. De même, la faute de mécanismes de sortie, par l’accès au loge- mise en œuvre de la complémentaire santé solidaire a ment très social ou par l’accès à un titre de séjour simplifié et accru la couverture santé pour les personnes ouvrant la possibilité de se loger. en situation de précarité. On constate moins de sorties sèches de l’Aide REPÈRES sociale à l’enfance à 18 ans, et la Garantie jeunes de personnes sont en situation de pour les 18-25 ans a été étendue (puis transformée pauvreté monétaire en 2020, c’est-à- en Contrat d’engagement jeune). dire vivant avec 60 % du niveau de vie médian, soit avec moins de 1 132 euros Mais le Secours Catholique demande leur par mois pour une personne seule. extension face à la pauvreté des jeunes, ainsi que le droit à un revenu minimum étendu aux 18-25 ans. Cela représente 14,3 % de la population. De manière générale, le discours public des res- ponsables politiques reflète un regard négatif sur les personnes pauvres et les migrants. La lutte contre leur stigmatisation est plus nécessaire que Source : Ressources et conditions de vie, Insee, 2022. jamais. 4 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
RÉAGIR NOTRE ALTERNATIVE PAR JEAN MERCKAERT, DIRECTEUR ACTION ET PLAIDOYER FRANCE FAIRE DE LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ LE COEUR DE TOUTES LES POLITIQUES PUBLIQUES A ux yeux du Secours confiance et de proximité, plutôt que cun l’accès à un hébergement ou un Catholique, il faut que la de diminuer les droits des chômeurs. logement décent, ce qui suppose politique du gouvernement Cela passe aussi par un socle de re- de rendre le parc privé plus acces- passe d’une logique conjoncturelle sible et d’investir dans le logement (prime pour l’énergie ou le carburant) très social. La transition écologique à une logique structurelle. Il faut faire doit elle aussi être une opportunité de la lutte contre la pauvreté le cœur NOUS ATTENDONS UNE de lutter contre la pauvreté, en fi- de toutes les politiques publiques. LOGIQUE D’INVESTISSEMENT nançant et en systématisant la ré- La France s’est d’ailleurs engagée SOCIAL DANS LES novation thermique du logement envers l’ONU : elle doit éradiquer la PERSONNES EN PRÉCARITÉ. des ménages modestes, en rendant grande pauvreté à l’horizon 2030. accessibles les mobilités propres et Concrètement, nous attendons du le choix d’une alimentation saine et gouvernement une logique d’inves- venus décents garanti (sans risque durable pour chacun. Enfin, la pau- tissement social dans les personnes de sanctions) dès 18 ans, pour que vreté touche une grande proportion qui vivent la précarité. Cela passe par personne ne vive en dessous du seuil des étrangers, pour lesquels il faut un droit à l’accompagnement et à de grande pauvreté. Investir dans la faciliter et élargir l’accès aux titres de l’emploi décent, dans une logique de société, c’est encore garantir à cha- séjour et au travail. DROIT DE SUITE COP27 : UN PAS POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE L a COP27 s’est achevée en no- vembre à Charm-el-Cheikh en Égypte. Le Secours Catholique et ciations se sont déroulées en Afrique où les effets du changement clima- tique se font sentir, alors que nos du Secours Catholique regrettent que les pays de la COP27 aient re- fusé d’inscrire la sortie des éner- ses partenaires se réjouissent de émissions de gaz à effet de serre gies fossiles dans le texte de l’adoption d’un fonds des pertes (GES) sont négligeables », analyse l’accord. « Nous avions espéré plus et dommages, un mécanisme Lucy Esipila, chargée de plaidoyer d’ambitions sur la réduction des GES. de financement qui pourra aider à Caritas Africa, qui espère que ce Par ailleurs, nous aurions aimé un les pays du Sud à faire face aux fonds sera accessible aux ONG coup de projecteur sur les besoins dommages causés par le change- locales et nationales pour mieux de l’Afrique qui ne dispose que de ment climatique. « Les décideurs toucher les communautés. Mais ressources trop limitées pour une n’avaient d’autre choix que de tenir au-delà de ce pas vers la justice cli- transition vers les énergies renouve- leur promesse d’autant que les négo- matique, les associations proches lables », note Lucy Esipila. C.L.-L. FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 5
INNOVER STEVEN WASSENAAR / SCCF REDON : DES VÉHICULES À DISPOSITION DES PLUS PRÉCAIRES PAR JACQUES DUFFAUT Parce qu’un nombre toujours croissant de personnes en difficulté même problème, nous avons monté se plaignaient d’être isolées faute de moyens de locomotion un partenariat pour y répondre. » ou de transports en commun adéquats, l’équipe du Secours Citoyenneté assumée Catholique de Redon (Ille-et-Vilaine) s’est alliée à l’équipe locale L’agglomération de Redon, aux de la Croix-Rouge pour mettre à la disposition de ceux qui en confins de l’Ille-et-Vilaine, couvre ont le plus besoin une voiture ou un chauffeur. 31communes pour environ E 66 000 habitants. Mireille Naudin n 2017, nous avons réalisé porte un regard aiguisé sur l’ampleur que la mobilité constituait des difficultés rencontrées : « Ce terri- le principal problème des toire comprend de nombreuses poches gens que nous recevions, de pauvreté. Une misère cachée accrue toujours plus nombreux à par le manque de mobilité. Le cas d’une nous demander un microcrédit pour mère et sa fille qui ne pouvaient plus se faire réparer un véhicule, acheter une voir parce qu’aucune n’avait accès à un Mindy, aide soignante, voiture d’occasion ou passer le per- véhicule a suscité notre mobilisation a pu emprunter mis, explique Mireille Naudin, res- sur cette problématique. » un véhicule à RMP ponsable de l’équipe du Secours En 2018, les deux associations font le temps de trouver une solution à son Catholique de Redon. Comme la appel au volontariat de chauffeurs. problème de mobilité. Croix-Rouge de Redon rencontrait ce Dix-huit personnes ont répondu. 6 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
MODE D’EMPLOI LES BESOINS IDENTIFIÉS redon mobilités partagées Parce que la possession d’un véhicule individuel coûte Pour quoi ? en moyenne 295 € par mois, ou que le coût moyen du permis de conduire s’élève à 1600 €, de nombreuses personnes se trouvent isolées, faute de moyens financiers. Mettre à disposition des personnes en difficulté deux véhicules « propres » pour apporter des solutions aux problèmes de mobilité : L’IDÉE • soit en empruntant directement le véhicule pendant quelques heures ; • soit en se faisant conduire par un chauffeur bénévole. QUI ? COMBIEN? LES OBJECTIFS Fournir Aider ceux Permettre l’accès aux Rendre une amplitude qui ont un travail besoins de la vie concret le droit de mobilité ou qui en cherchent courante (soins, d’aller et venir aux populations un à se déplacer. courses, démarches aux personnes rurales administratives...) isolées. LES LEVIERS D’ACTION LES PARTENAIRES Le Secours Catholique de Redon entretient d’excellentes Secours Catholique-Caritas France relations avec la Croix-Rouge locale, le Centre communal d’action Croix-Rouge sociale (CCAS) et le lycée professionnel Marcel-Callo, ce qui a permis la mise en place de Redon Mobilités partagées Conseil départemental et d’apporter une solution aux problèmes rencontrés Lycée professionnel Marcel-Callo sur le territoire. FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 7
INNOVER « Nous avons construit le projet d’une voiture automatique hybride, née. Le prêt est valable pour un avec eux, indique Dominique Papin, acquise par la Croix-Rouge pour maximum de deux jours consécu- secrétaire général de la Croix- 18 000 euros, dont 13 000 financés tifs, ou de 72 heures si l’emprunt Rouge locale. Ensemble, nous avons par le département d’Ille-et-Vilaine. se fait sur un week-end. décidé d’acquérir deux voitures, de La Croix-Rouge subvient aussi aux « Je me sers de ce service depuis mettre en place des coordinateurs frais de fonctionnement estimés à le début, annonce Catherine, une pour tenir le planning et mettre en re- 3 000 euros par an. habituée de l’accueil du Secours lation clients et chauffeurs. » Catholique. J’habite seule, à Saint- Sur d’autres territoires, il existe ce Nicolas-de-Redon, à vingt minutes à service de chauffeurs volontaires, pied. Ma retraite arrive le 10 du mois. « mais avec des véhicules ther- Je réserve le véhicule pour le mercre- miques normaux, précise Dominique LA VOITURE À DISPOSITION di suivant, et Joël, un des chauffeurs, Papin. À Redon, nous voulions être A ÉTÉ LA SOLUTION vient me chercher et m’emmène au dans la transition écologique et pri- TEMPORAIRE LA PLUS supermarché. En une demi-heure vilégions les véhicules propres ». Le EFFICACE. j’achète tout ce qu’il me faut pour coût est supérieur mais s’inscrit le mois. Il me ramène chez moi. Ce dans un mouvement de citoyen- n’est pas loin mais mes courses sont neté assumé. Le service a commencé courant lourdes. La voiture aura été mobili- Le partenariat associatif intitulé 2021 avec 316 demandes de par- sée pendant une heure et ça m’aura Redon Mobilités partagées (RMP), ticuliers souhaitant disposer d’une coûté un euro. Ce service a changé une fois l’équipe de chauffeurs et de des automobiles ou être véhiculés ma vie. » coordinateurs en place, s’est équi- par un chauffeur. Une contribution pé d’un véhicule sans permis, entiè- de 0,10 centime d’euro au kilomètre Équipe à l’écoute rement électrique, qui se recharge est demandée à l’emprunteur. Un Joël, 69 ans, un des 12 chauffeurs sur une prise domestique normale, forfait de 5 euros pour 100 kilo- bénévoles de RMP, conduisait des et payé près de 7 000 euros par mètres inclus est également prévu cars avant de prendre sa retraite. le Secours Catholique. Ainsi que pour un emprunt sur toute une jour- « Cela ne me posait aucun problème pour conduire une petite voiture, dit- il. Et puis j’aime parler avec ceux que REGARD je conduis, toutes ces personnes sont différentes. J’emmène certaines faire NADÈGE PÉRION, DIRECTRICE DU CENTRE COMMUNAL des courses, d’autres à la banque, à la D’ACTION SOCIALE DE REDON pharmacie, à la poste, et même dans les hôpitaux de Rennes ou de Vannes. UNE RÉPONSE ADAPTÉE Les clients habituels sont contents du service rendu et nous rappellent En analysant les besoins sociaux des habitants de Redon, il appa- parfois pour nous remercier. » raît que le besoin de mobilité arrive en tête et touche tous les âges, Mindy, trentenaire et aide-soignante principalement les jeunes et les personnes âgées. Pour y remédier, à domicile, s’est récemment trouvée nous avons passé une convention avec les taxis redonnais, mais la sans véhicule pour travailler. Elle a convention ne s’applique qu’aux personnes en situation de handicap appelé RMP et a pu obtenir une voi- et aux personnes âgées, et est cantonnée au périmètre de l’agglo- ture dès le lendemain. « En attendant mération. Redon Mobilités partagées en revanche est un service d’obtenir un crédit pour acheter un innovant et souple qui permet à toute personne en difficulté d’em- véhicule, la voiture à disposition de prunter une automobile ou bien de se faire conduire par un chauf- RMP a été la solution temporaire la feur sans contrainte géographique. Ce service permet de dépasser plus efficace. Cela m’a bien aidée pen- les limites de l’agglomération et d’aller jusqu’à Rennes ou Vannes dant un mois. Et c’était plaisant grâce par exemple. Ce qui correspond à un besoin réel. Un vrai plus. à une équipe à l’écoute, toujours prête à vous rendre service. » Service ra- 8 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
INNOVER seurs du lycée évaluent bénévo- lement les réparations à faire sur les véhicules en panne ainsi que la valeur des voitures d’occasion que les personnes accompagnées par RMP envisagent d’acheter. Main d’œuvre gratuite « Au début de notre partenariat, ex- plique Bertrand Ricaud, directeur des études du lycée professionnel, nous pensions que nous ferions de l’entre- tien courant. Nous nous sommes vite aperçus que nous étions surtout solli- cités pour des pannes. Nous avons fait davantage de diagnostics que prévu, ce qui est intéressant pour notre qua- rantaine d’élèves en CAP et pour les 90 élèves qui sont en bac profession- nel. Pour nos élèves, il est important de travailler sur des véhicules qui souffrent d’usure, ceux qu’ils connaî- tront dans leur vie professionnelle. » Le coût de la réparation est de 10 euros pour les consommables (huile, liquide de refroidissement, © STEVEN WASSENAAR / SCCF nettoyant frein, etc.) en plus de l’achat des pièces nécessaires. La main-d’œuvre est gratuite. « Ce service ouvre la voie à une culture de l’autopartage qui devrait se développer dans les prochaines pide pour les clients, souple pour les le lieu, l’objet du déplacement avec années », estime Daphné Chamard- chauffeurs bénévoles qui peuvent un chauffeur et nous rappelons le de- Teirlinck, responsable du départe- choisir leurs créneaux d’intervention mandeur pour confirmer. » ment Mobilité inclusive et durable grâce à un groupe What’sApp géré RMP a dernièrement ajouté à son au Secours Catholique, qui rappelle par les coordinateurs. « Le premier activité un partenariat avec le lycée qu’environ « 80 actions mises en chauffeur qui répond prend le service, privé Marcel-Callo. Ce lycée d’excel- place par l’association sont actuelle- explique Alain, autre chauffeur béné- lence qui forme à Redon un millier ment menées partout en France pour vole. Ainsi, tous les autres chauffeurs d’élèves aux métiers de l’industrie contrer le manque de mobilité ». Ces sont au courant. » automobile et aéronautique a ac- actions locales apportent des ré- Lydie est un des cinq coordinateurs. cueilli favorablement la demande ponses appropriées aux besoins Sa mission : « Prendre les appels des du Secours Catholique et de la du terrain en prenant la forme de personnes qui demandent une loco- Croix-Rouge d’aider les plus né- prêts ou locations de véhicules ou motion. Nous nous assurons d’abord cessiteux à trouver des solutions de vélos, d’aides financières, de que ces personnes ont bien été orien- à leurs problèmes de mobilité, soit garages solidaires, ou encore de tées vers nous par une assistante so- en réparant leurs véhicules, soit en plaidoyers locaux auprès des col- ciale, une association caritative ou le les aidant à trouver des véhicules lectivités pour améliorer la des- CCAS. Ensuite, nous fixons l’horaire, d’occasion. Deux anciens profes- serte des transports en commun. FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 9
INNOVER HÉRAULT LA MÉCANIQUE ILS Y PENSENT AUSSI PAR CLARISSE BRIOT DE L’INSERTION À Montpellier, l’atelier Mécam de l’association Passerelles-Insertion réunit plusieurs activités d’aide à la mobilité pour favoriser l’insertion. Garage soli- daire, il réalise diagnostics, réparations et entretiens à tarifs préférentiels pour des automobilistes aux moyens financiers limités. Il met à disposition à prix modéré des véhicules (jusqu’à trois mois). Et il est aussi chantier d’insertion pour 20 à 35 salariés par an (dont des personnes en situation de migration) GAEL KERBAOL / SCCF se formant aux métiers de la mécanique. Plus d’infos sur : www.passerelles-chantiers.fr SEINE-SAINT-DENIS TARN-ET-GARONNE LE PERMIS POUR L’AUTONOMIE L’AUTOSTOP REVISITÉ « Ne lâcher personne », telle est la raison d’être de La coopérative Rézo Pouce, implantée à Moissac l’auto-école sociale et solidaire départementale de (82), développe depuis 2015 une solution d’autostop l’association Rues et Cités, à Montreuil (93). Cette au quotidien, solidaire et gratuite, via une commu- structure accompagne jusqu’au permis de conduire nauté et une application mobile, « pour que cha- environ 200 apprenants par an, âgés de 17 à 60 ans, cun puisse bouger quand il veut, où il veut ». Depuis majoritairement sans diplômes et rencontrant des 2021, elle a fusionné avec la coopérative Mobicoop, difficultés pour accéder au marché de l’emploi. « Des spécialiste du covoiturage, afin de continuer à ac- parcours sont mis en place, explique Véronique Renard, compagner des collectivités territoriales dans la la responsable, avec des entretiens individuels et des mise en place de services de mobilité partagée. ateliers complémentaires, par exemple sur la confiance Aujourd’hui, la grande coopérative ainsi formée en soi. » L’auto-école peut s’enorgueillir de détenir le compte 500 000 utilisateurs, dans 1 200 collecti- meilleur taux de réussite au permis du département. vités territoriales. Plus d’infos sur : www.ruesetcites.fr Plus d’infos sur : www.mobicoop.fr RETOUR SUR… UNE DOUCHE ITINÉRANTE TOUJOURS AUSSI MOBILISÉE E n Avignon, le dispositif voles coiffeurs. « Tout être humain fixes – un par soir – où nos accueil- Mobil’Douche, soutenu par a droit à la dignité, confie Jasmine lis sont sûrs de nous trouver. » Pour le Secours Catholique, pour- Zeroug, représentante de l’asso- ces derniers, ces rendez-vous sont suit sa route. Depuis 2016, ce cam- ciation Mobil’Douche. Quand je vois aussi l’occasion de discuter avec les ping-car aménagé offre un service quelqu’un qui ressort propre, avec le bénévoles et, parfois, de trouver des de douche itinérant aux personnes sourire, je suis heureuse. » En sep- solutions. « Grâce aux compétences sans-abri et mal logées, à raison tembre 2022, la ville a attribué au vé- et aux réseaux de notre équipe, nous de trois soirs par semaine. Chaque hicule trois lieux de stationnement pouvons les conseiller et les orien- personne accueillie profite ainsi de autour des remparts d’Avignon. ter au mieux, explique Jasmine. trente minutes pour une douche « Nous ne faisons plus de maraudes Récemment, trois de nos habitués chaude ou encore une coupe de intra-muros, poursuit Jasmine. sont sortis de la rue. cheveux proposée par deux béné- Désormais, nous avons trois points Dimitri Partouche 10 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
DÉBATTRE COMMENT PROTÉGER LES MIGRANTS ENVIRONNEMENTAUX ? CONTEXTE. Les changements climatiques et la dégradation de l’environnement poussent de plus en plus de personnes sur les routes de l’exil. Chaque année, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants se déplacent ainsi à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs pays. Comment les protéger alors que la notion de « réfugié climatique » n’existe pas d’un point de vue juridique ? MAUD GATEL, PATRICIA SPADARO DÉPUTÉE MODEM CHARGÉE DE PLAIDOYER MIGRATIONS DE LA 11E CIRCONSCRIPTION DE PARIS INTERNATIONALES DU SECOURS CATHOLIQUE Patricia Spadaro : Au Secours grants dits environnementaux. Cela ou à la pauvreté. Ces drames Catholique, nous constatons via nos peut prendre la forme de visas tem- viennent s’ajouter aux difficultés partenaires internationaux que les poraires ou d’exemption de visa, par structurelles des pays. changements climatiques et la dé- exemple. Il faut aussi appliquer le gradation de l’environnement sont principe de non-refoulement, c’est- P. S. : Oui, ce qui est nouveau, c’est un facteur de migration. Cela inclut à-dire qu’une personne ne soit pas l’accélération et la portée du phéno- des catastrophes soudaines (inon- renvoyée dans son pays où elle mène. On l’a vu notamment l’été der- dations, tempêtes…) et des phé- risque sa vie. nier avec le Pakistan, dont un tiers nomènes de dégradation lente de de la superficie du pays a été sub- l’environnement, comme la séche- Maud Gatel : La question de l’im- mergée par les inondations après resse ou les impacts des projets ex- migration climatique n’est certes des températures qui ont dépas- tractivistes. Tout cela amène à des pas nouvelle, mais elle tend à avoir sé 50 degrés ! Le phénomène des violations des droits humains – le une acuité plus forte aujourd’hui migrants environnementaux est droit à la vie, à l’eau, à l’alimentation, parce qu’on voit les changements plus visible et plus fort. Mais il est etc. – et pousse chaque année des climatiques à l’œuvre. Aujourd’hui, impossible d’isoler ce facteur en- millions de personnes à quitter leur les différentes raisons d’immigra- vironnemental qui est un facteur pays. Nous sommes donc convain- tion se cumulent : les populations accélérateur. Prenons l’exemple de cus que les États devraient mettre victimes des changements clima- notre partenaire, la Caritas sénéga- en place des voies sûres et régu- tiques sont également souvent laise, qui nous alerte sur le réchauf- lières de migration pour ces mi- celles exposées aux conflits armés fement de l’eau à cause duquel FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 11
DÉBATTRE ELODIE PERRIOT / SCCF Le mécanisme européen de solidarité et des voies Les États devraient mettre en place des sûres de migration pourrait être mis en place, voies sûres et régulières de migration en lien avec les besoins économiques pour les migrants environnementaux et des pays membres de l’Union européenne. appliquer le principe de non-refoulement. MAUD GATEL PATRICIA SPADARO les poissons se déplacent de plu- P. S. : Vous avez raison : les migra- faut plutôt peser sur le pacte asile et sieurs centaines de kilomètres, donc tions sont souvent internes. Mais migration au niveau européen. Sous les pêcheurs sont obligés d’aller en quand elles sont transfrontalières, l’effet de la guerre en Ukraine, l’Eu- Guinée-Bissau ou en Mauritanie. même si celles-ci sont minoritaires, rope a énormément avancé. Cela Cela crée des tensions avec les po- il y a un vide juridique. Alors com- doit nous inspirer. Le mécanisme pulations de ces pays, exacerbées ment combler ce vide ? Parler de européen de solidarité et des voies par la surpêche qui fait qu’il y a une réfugié climatique n’a aucun sens sûres de migration pourrait être mis raréfaction des ressources. Là se juridique, et au Secours Catholique, en place, en lien avec les besoins rejoignent la question climatique, la nous sommes persuadés que ce économiques des pays membres. question économique et la question n’est pas une bonne idée de négo- Nous assistons à une montée des des tensions sociales. cier de nouveau la convention de populismes avec un retrait sur soi Genève. Le contexte actuel de rétré- et l’étranger fait peur. Je souhaite M. G. : Aujourd’hui le cadre juri- cissement des droits des personnes également qu’on travaille sur les dique international ne prend pas migrantes et de durcissement et sé- conditions d’intégration et sur un en considération les réfugiés clima- curisation des frontières fait craindre meilleur accueil pour augmenter tiques. D’ailleurs, le terme même une régression de la protection des l’acceptabilité sociale. « réfugié climatique » n’a pas de personnes. Ça serait ouvrir la boîte de sens juridique. Le statut de réfu- Pandore. Par contre, l’interprétation P. S. : Sur le repli sur soi, il y a une res- gié au titre de la convention de de cette convention pourrait évoluer. ponsabilité partagée des politiques Genève n’est pas attribué pour Dans les rares cas où l’on réussit à qui ciblent les personnes migrantes des questions climatiques : le cli- montrer que des personnes victimes et leur font porter tous les maux. Par mat n’est pas une raison suffisante de la dégradation de l’environnement exemple sur la question des migra- aujourd’hui pour permettre aux sont persécutées par les autorités tions environnementales, quand on personnes qui se déplacent d’être nationales, ou bien que les change- entend des chiffres chocs sur les protégées. C’est pourquoi je suis, ments climatiques sont source de personnes qui vont arriver, ça a un comme vous, favorable à l’instau- conflits armés, il serait possible de ré- impact sur l’acceptabilité sociale. ration de voies sûres. clamer pour ces personnes une pro- Cela crée un sentiment de peur qui Il faut aussi souligner qu’au- tection temporaire ou permanente. n’a pas lieu d’être ! Relativisons cette jourd’hui les migrants environne- vague d’immigration qui n’en est pas mentaux se déplacent beaucoup M. G. : Je vous rejoins : renégocier la une. Car nous l’avons dit : les per- plus à l’intérieur même des pays. convention de Genève est illusoire. Il sonnes restent souvent à l’intérieur 12 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
DÉBATTRE de leurs pays. Déconstruisons les l’objet d’un examen approfondi en devons tous agir en responsabilité discours qui disent : « Agissons sur fonction des besoins. J’étais en ce face aux enjeux climatiques à venir. le climat pour ne pas avoir des gens sens pour la liste des pays sûrs. Je vois les conséquences pour les qui frappent à notre porte. » Ce dis- Mais ça n’est pas parce qu’on n’est plus fragiles et la nécessité, à tra- cours n’est pas acceptable. Il faut pas menacé de mort pour ses opi- vers l’aide publique au développe- certes une action plus déterminée nions politiques que notre vie n’est ment, d’accompagner les pays du en matière de lutte contre le chan- pas en danger pour des questions Sud à aller vers des économies gement climatique. Toutefois, cette économiques. moins carbonées. action ne doit pas chercher à évi- Cette solidarité est garante d’huma- ter les migrations mais à faire des P. S. : Pour nous, il y a aussi une nité. Chaque jour, des centaines de migrations un choix et non pas une responsabilité de la France de par personnes risquent leur vie dans la nécessité. Les personnes doivent son industrialisation précoce dans mer Méditerranée. C’est inaccep- avoir le droit de migrer, et cela ne l’émission des gaz à effet de serre. table. Je ne vois pas comment on ne doit pas être une contrainte. Sur Tout le monde n’a pas contribué de peut pas mettre en place des routes la question de la protection des la même façon au changement cli- sûres. Il faut éviter cette errance pen- migrants environnementaux, des matique et à la dégradation de l’en- dant des années, avant et après le solutions politiques existent : vironnement. Ce phénomène affecte bateau. Les gens sont abandonnés nous avons suivi les négociations souvent les pays qui en sont le moins dans des conditions déplorables, du Pacte mondial migrations des responsables. Ce sont en majorité c’est le cas à Calais par exemple. Nations unies. C’est le premier des pays à faible développement qui texte international qui fait le lien dépendant des secteurs sensibles P. S. : Je partage votre point de entre migrations et changements au climat, comme l’agriculture, et vue : il faut tout faire pour éviter climatiques et qui engage les États qui ont des capacités limitées pour ces voyages périlleux avec des à développer des voies sûres et ré- s’adapter. Il y a ce principe de jus- violations des droits humains sur gulières de migration. Mais c’est tice climatique : à nous d’accueillir le parcours. Ça montre que l’asile un engagement qui dépend de la les personnes obligées de quitter est peu accessible et qu’il faut des volonté des États nations. Nous leur lieu de vie dans ce contexte et de voies sûres et légales de migration. avons l’exemple de l’Argentine qui a faire en sorte que leurs droits soient Mais pour nous, cette migration ne mis en place des voies de migration respectés. Le devoir d’accueil est lié doit pas répondre à des besoins de pour les victimes de catastrophes à cette question de responsabilité. pays d’accueil. C’est plutôt à nous naturelles en Amérique centrale. La de les accueillir, sans attente, pour France est signataire de ce pacte : M. G. : J’entends le sujet de jus- un meilleur vivre-ensemble. que fait-elle aujourd’hui ? tice climatique. Mais je ne suis Propos recueillis pas très à l’aise avec l’idée. Nous par Cécile Leclerc-Laurent M. G. : Nous devons agir pour limiter en dessous de 1,5 degré le réchauf- fement climatique en prenant en REPÈRES considération les effets sur les ter- ritoires fragilisés, mais également CE QUE DISENT LES TEXTES INTERNATIONAUX permettre à ceux qui le souhaitent La convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 de quitter leurs pays en les accueil- définit un réfugié sur la base de 5 critères possibles de persécu- lant dans les meilleures conditions tion : la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain possibles. Personne ne quitte son groupe social ou les opinions politiques.Le Pacte mondial migra- pays par plaisir. Pour moi, il faut tions des Nations unies adopté à Marrakech en 2018, bien que non impérativement préserver l’asile. contraignant, reconnaît dans son objectif 2 les effets des change- C’est l’honneur des pays qui le dé- ments climatiques comme des facteurs de migration et propose fendent. Je suis pour un traitement dans son objectif 5 l’instauration de voies légales de migration. différencié entre l’asile et les autres Il attend d’être traduit dans les politiques publiques nationales. types de migration qui doivent faire FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE ENQUÊTE PERSONNES SANS PAPIERS : POURQUOI RÉGULARISER ? PAR CLÉMENTINE MÉTÉNIER On estime aujourd’hui qu’entre 300 000 et 500 000 personnes étrangères vivent en France sans titre de séjour, parfois depuis plus de dix ans. Leur situation irrégulière, qui les prive de droits sociaux et d’autorisation de travailler, les plonge souvent dans une précarité multiforme, à la fois matérielle et psychologique. Elle est due à une politique migratoire devenue très restrictive, que nombre d’observateurs considèrent comme déconnectée de la réalité de la migration et des besoins de notre société. Ces personnes, qui pour beaucoup travaillent malgré tout, sont en effet essentielles à notre économie, notamment concernant les secteurs en panne de main d’oeuvre. Alors que le Gouvernement souhaite légiférer en matière de régularisation par le travail sur ces métiers en tension, le Secours Catholique et d’autres acteurs militent pour une régularisation plus large et plus rapide, afin de protéger ces milliers de personnes en leur conférant des droits, et de leur permettre de s’extraire de la pauvreté. Ainsi, elles pourront enfin mener une vie normale au sein de notre société et s’investir dans celle-ci en tant qu’actrices à part entière. XXXX / SCCF 14 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
COMPRENDRE FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 15
tidiennement. Nous demandons notre régulari- sation. » Aboubacar Dembele est le délégué d’une grève entamée en décembre 2021 contre Chronopost. Il espère le même dénouement que celui d’un premier mouvement qui, entre juin 2019 et janvier 2020, avait permis la ré- gularisation de 73 travailleurs sans papiers employés par RSI, une société d’intérim spé- cialisée dans le BTP basée à Gennevilliers, et DPD, filiale de La Poste au Coudray-Montceaux. ON NOUS DEMANDE DE VENIR À 2 HEURES DU MATIN, NOUS N’AVONS PAS DE PAUSE, NI LE DROIT D’ALLER AUX TOILETTES… TOUT ÇA POUR 600 EUROS, PAR MOIS Comme Aboubacar, des centaines de milliers d’étrangers en situation irrégulière en France sont soumis à des conditions de travail, d’hé- MATHIEU GÉNON / SCCF bergement, de vie, que jamais ils n’auraient pensé subir dans un « pays de droit ». Dans un courrier rédigé au mois de mai, et «D destiné à plusieurs candidats aux élections Aboubacar écharger un camion en trois législatives, une dizaine d’entre eux, accom- Dembele, délégué quarts d’heure, c’est pire pagnés par le Centre d’entraide pour les deman- d’une grève de que le froid glacial de l’hi- deurs d’asile et les réfugiés (Cedre), décrivaient, travailleurs sans ver. » Les mains tendues en quelques lignes, leur vie « dans les rues et la papiers entamée en décembre au-dessus d’un feu qui cré- galère, les squats, dans la gare, dans les bus de 2021. Alfortville pite, Aboubacar raconte ses conditions de nuit, de terminus en terminus, dans la misère », (Val-deMarne). travail, entouré de jeunes hommes africains avec ce sentiment de tourner en rond « dans une qui le regardent et acquiescent. « On nous de- prison à ciel ouvert », tenus à l’écart de la société. mande de venir ici à 2 heures du matin, sachant Combien sont-ils exactement ? Difficile de le qu’il n’y a pas de transports, nous n’avons pas savoir. « L’unique chiffre dont on dispose est de pause, ni le droit d’aller aux toilettes… tout ça celui de l’AME (Aide médicale d’État) qui est pour 600, allez, parfois 800 euros par mois », d’environ 330 000. Seul le gouvernement sait continue le jeune Malien âgé de 30 ans. combien de demandes de titres de séjour sont Autour de lui, un camp de fortune aux allures faites. On parle fréquemment de 400 000 per- calaisiennes, où s’entasse plus d’une cen- sonnes sans papiers mais elles pourraient être taine de personnes, s’étend sur le trottoir qui beaucoup plus nombreuses », explique Lise longe les entrepôts d›une grande entreprise Faron, responsable des questions « entrées, de livraison de colis, dans la zone industrielle séjour et droits sociaux » à la Cimade, une d’Alfortville (Val-de-Marne). « Le piquet que association française de défense des droits nous tenons depuis un an s’est dressé contre des personnes réfugiées et migrantes. l’exploitation des sans-papiers, le travail illégal, Beaucoup d’étrangers sans papiers l’esclavage moderne que nous subissons quo- travaillent. Pour être embauchés, certains 16 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
COMPRENDRE d’entre eux se font faire de faux documents justifiant de la régularité de leur présence en France, ou empruntent le titre de séjour d’une personne régularisée, un alias, qu’ils ré- REGARD SUR munèrent. Ces subterfuges leur permettent d’être déclarés par leurs employeurs qui, sou- vent, ignorent la réalité de leur situation. RÉGULARISATIONS : « Et du moment que le patron déclare son sala- UNE AFFAIRE POLITIQUE rié à l’Urssaf, ce qui est possible avec un simple 1 numéro de Sécurité sociale, ce dernier va cotiser 972 : les circulaires Marcellin-Fontanet donnent un pour le chômage et les retraites, payer des im- coup d’arrêt à l’immigration massive de travailleurs pôts… », précise Franck Ozouf, chargé de pro- venus combler les pénuries de main-d’œuvre pour jet Migration et accès aux droits en Bretagne construire l’Europe industrielle. De permanentes, les ré- et Pays-de-la-Loire au Secours Catholique. gularisations deviennent « exceptionnelles » et sont accor- Beaucoup de travailleurs sans papiers contri- dées sur la base de circulaires. En France, cela se traduit buent donc financièrement à un système de par des régularisations collectives et massives limitées droits dont ils ne bénéficient pourtant pas. À la dans le temps : « Elles vont concerner 40 000 personnes en différence d’un salarié lambda, ils ne touche- 1973 sur le fondement de la circulaire Gorse ; 130 000 per- ront pas de retraite et ne seront pas indemni- sonnes en 1981-1982 après l’arrivée de la gauche au pouvoir », sés s’ils se retrouvent au chômage. « On cotise, écrit Sara Casella Colombeau, maîtresse de conférences on paie des impôts, et nous n’avons aucune re- à l’université Grenoble-Alpes1. connaissance », souligne Aboubacar Dembele. Petit à petit, « les régularisations apparaissent comme la contre- Ils sont aussi nombreux à travailler au noir, par- partie inévitable d’une législation [en matière d’immigration] fois en proie à des employeurs peu scrupuleux trop rigoureuse et font fonction de soupape de sûreté lorsque du droit du travail. « Un patron peut t’envoyer sur la pression résultant de la présence en masse des sans-papiers des chantiers à n’importe quelle heure, te donner devient trop vive », résume la chercheuse qui précise qu’à en espèces seulement la moitié de la rémunéra- partir du milieu des années 2000, les grandes opérations de tion qu’il donne à un collègue déclaré, sans te faire régularisation se sont raréfiées, les gouvernants considérant de fiche de paie, évidemment. Tu travailles au jour que le coût de traitement des dossiers était trop élevé et le le jour. Parfois le patron te rappelle le lendemain, risque de récupération politique, trop grand. parfois non. » Ousmane se dit « exploité » depuis En 2012, la circulaire Valls – toujours en vigueur – étend cinq ans sur des chantiers immobiliers de la les critères de régularisation des étrangers en situation ir- banlieue parisienne. régulière. Les familles justifiant d’une présence d’au moins cinq ans sur le territoire français et ayant au moins un Un parcours du combattant enfant scolarisé depuis trois ans peuvent alors prétendre En France, la régularisation est encadrée, de- à un titre de séjour. Concernant le travail, il faut à présent puis 2012, par la circulaire « Valls » – ou cir- justifier de cinq ans de présence en France et huit mois culaire d’admission exceptionnelle au séjour de travail sur les deux dernières années ou de trois ans en – qui dresse les critères selon lesquels une France et deux ans de travail. « Nous avons bien accueilli personne sans papiers peut déposer une de- cette circulaire », se souvient Christophe Dague, délégué mande de titre de séjour dans une préfecture. confédéral CFDT qui, douze ans plus tard, dresse un bilan Pour être régularisé par le travail, la circulaire en demi-teinte. L’arbitraire des services préfectoraux et la demande de justifier, grâce aux fiches de paie, place centrale accordée aux employeurs sont au cœur des d’une activité professionnelle en France d’au principales critiques. moins 24 mois, de trois ans de présence sur le territoire français et d’une promesse d’em- 1 Dans un article intitulé « Les régularisations, composantes des politiques bauche. « Mais même si les critères de la cir- migratoires », Plein droit, octobre 2020. culaire sont remplis, la délivrance d’un titre de séjour par la préfecture n’est pas automa- FÉVRIER 2023 – RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE MATHIEU GENON / SCCF Un camp tique », explique Lise Faron, de la Cimade, emploi service universel (CESU) pour cinq de fortune qui précise qu’une circulaire est non contrai- heures de ménage par semaine afin de lui aux allures gnante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas valeur de permettre d’amasser des fiches de paie. Pour calaisiennes, loi. Ce sont les préfets cela, elle risque cinq où s’entasse plus d’une centaine qui décident. ans d’emprisonnement de grévistes, Obtenir des fiches de et une amende de s’étend dans la paie est un véritable AVOIR LES PAPIERS ME PERMET 15 000 euros. « Nous zone industrielle parcours du combat- DE REDEVENIR AUTONOME avons accepté, avec les d’Alfortville tant puisque légale- ET RESPONSABLE POUR autres familles qui em- (Val-de-Marne). ment, toute personne TOUTES MES DÉMARCHES ploient Najet, de prendre en situation irrégulière ADMINISTRATIVES. le risque, car c’est un n’a pas l’autorisation acte social. Nous la de travailler. Par souci faisons travailler pour de droiture, Ousmane qu’elle puisse nourrir s’est toujours refusé à utiliser des faux pa- ses enfants et avancer dans ses démarches piers ou à emprunter l’identité d’un autre. administratives. » Depuis cinq ans, il a demandé à plusieurs de ses employeurs de le déclarer. En vain. Sortir de la précarité durable Cela a pris trois ans à Najet, qui enchaîne les En moyenne, depuis dix ans, ce sont entre heures de ménage chez différentes familles 7 000 et 8 000 personnes qui sont régularisées à Pantin (banlieue nord-est de Paris), pour par le travail, chaque année. Le plus souvent au gagner la confiance de plusieurs particuliers cas par cas, parfois grâce à des mouvements qui acceptent de déclarer une personne sans de luttes collectives.Valbona garde un souve- papiers. nir vif de ce jour de janvier 2021 où elle a reçu Irène fait partie de ceux-ci. Par solidarité, elle son titre de séjour, après une demande de ré- a embauché la Tunisienne via un chèque gularisation par le travail. « Ça a été un moment 18 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2023
Vous pouvez aussi lire