Politique locale : quelle place pour les asso' ?

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Politique locale : quelle place pour les asso' ?
© Pascal Pavani/AFP
                                                                                                                                                                                                   dOssier

                      Politique locale :
                      quelle place pour les asso’ ?
             L
                             es associations composent aujourd’hui avec des pouvoirs publics locaux qui se soucient de plus en plus de
                             la cohérence et de l’impact de leur soutien. Reconnaissance d’une représentation collective, renouvellement                dans ce dossier
                             des dirigeants associatifs et des engagements bénévoles, lisibilité des projets sur un territoire : progressive­
                      ment, la vie associative devient une compétence des collectivités locales. Cette évolution peut être synonyme de                 ●●Analyse :
                      démocratie et de développement local. Mais elle est quelque peu ternie par la crise et ses contraintes budgétaires.              - Vie associative, la mise à l’épreuve d’un nouveau référentiel
                      Depuis dix ans, les financements publics se tarissent et la commande publique se généralise au détriment de la                   de l’action publique locale
                      subvention 1 (page 10).                                                                                                          - À qui vont les subventions ?
                           Certes, les responsables associatifs ne sont pas sans ressources. Aux cotisations, dons et ventes, s’ajoute le recours au   ●●Expériences :
                      bénévolat et aux contributions volontaires. Mais, pour Viviane Tchernonog 2, ces évolutions vont encore accroître les iné­       - Portrait de René Jouquand, ancien délégué général de la
                      galités de développement entre les tissus associatifs locaux (et notamment les associations de taille moyenne) qui dépendent     Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine et actuel adjoint à la
                      de plus en plus des niveaux relatifs de richesse et de pauvreté des territoires (page 11). Des territoires inégaux dans une      culture de Rennes
                      France mal découpée où l’État ne joue pas assez son rôle de réducteur des injustices. Jacques Lévy plaide pour une « mise        - La Ligue de l’enseignement de Moselle et la concertation
                      en mouvement » des territoires, avec des citoyens et des acteurs de la société civile consultés en amont (page 15).              sur la réforme des rythmes scolaires
                           Concertation, co-production, co-élaboration… tous nos invités témoignent de la nécessité d’un dialogue perma­               - Les associations de Seine-Saint-Denis et la politique
                      nent entre les associations et les pouvoirs publics locaux. Pour développer un projet éducatif de territoire, la Ligue           d’éducation populaire du conseil général
                      de l’enseignement de Moselle a animé une concertation de grande ampleur sur la réforme des rythmes scolaires en                  ●●Point de vue : Vers un empowerment à la française ?
                      réunissant enseignants, élus, parents et animateurs (page 13). René Jouquand, ancien délégué général de la Ligue de              La critique du rapport Bacqué-Mechmache
                      l’enseignement d’Ille-et-Vilaine et actuel adjoint à la culture de Rennes, côtoie de près ces deux mondes aux fron­              ●●Éclairage : « Faire coïncider l’espace des problèmes et des
                      tières « poreuses ». La politique culturelle de la ville bretonne est d’ailleurs née de l’associatif. Aujourd’hui pourtant,      solutions », entretien avec le géographe Jacques Lévy
                      le « modèle rennais » s’essouffle un peu : perte de confiance réciproque, institutionnalisation des partenaires (page 12).
                      En Seine-Saint-Denis, les associations ont également pesé en amont de la politique d’éducation populaire du conseil              Rédacteurs en chef du dossier :
                      général mais les changements de majorité politique auraient ralenti la dynamique (page 13).                                      Ariane Ioannides et Richard Robert
                           On peut alors imaginer d’améliorer un dialogue. Comment ? Préserver l’indépendance de la société civile et conso­
                      lider ses capacités d’action, soutenir la construction conflictuelle de l’intérêt général figurent parmi les mesures pré­
                                                                                                                                                       1. Subventions et commandes occupent une place équivalente dans les
                      conisées par le rapport Bacqué-Mechmache « Pour une réforme radicale de la politique de la ville ». Des réformes                 budgets associatifs (en 2005 les subventions étaient encore deux fois
                      trop radicales, sans doute, pour l’actuelle politique de la ville (lire la critique de Thomas Kirszbaum page 14).                plus importantes en termes de volume).
                          L’enjeu, souligne Laurent Fraisse, « tient à la capacité locale des associations à agir collectivement (…) face aux          2. 61 % des associations perçoivent aujourd’hui un financement
                                                                                                                                                       public, qu’il s’agisse de subvention ou d’une commande. Ce chiffre
                      forces centrifuges du chacun pour soi et à peser localement et nationalement par le débat public sur la pertinence et            s’explique principalement par la fréquence des subventions publiques
                      les conditions des arbitrages budgétaires » (page 10). Ce dossier montre bien que la vitalité associative dépend à la            que les mairies octroient aux associations sans salarié implantées sur
                      fois de la capacité du secteur à innover mais aussi à agir collectivement. La recherche de critères communs, la valo­            le territoire de la commune et qui animent la vie locale. En termes de
                                                                                                                                                       volume de financement, les conseils généraux sont devenus le premier
                      risation des processus, la création d’espaces interassociatifs, comme les CPCA régionales, ou comme le suggère Jacques           partenaire des associations devant les communes. Le financement
                      Lévy, un mouvement vers plus d’interterritorialité 3, sont autant de conditions qui devraient permettre d’éviter une             public des associations, entre subventions et commandes, juillet 2013.
                      gouvernance par la performance et les indicateurs qui formatent les pratiques 4.                                                 3. Réinventer la France, trente cartes pour une nouvelle cartographie,
                                                                                                                                                       Fayard, août 2013.
                                                                                                                                                       4. La subvention à l’épreuve de la diversité des régulations locales de la
                      ●●Ariane Ioannides                                                                                                               vie associative, juin 2013.

                                                                                                  Les idées en mouvement              le mensuel de la Ligue de l’enseignement                    n° 217      MARS 2014 9.
Politique locale : quelle place pour les asso' ?
dOssier

 Analyses

Vie asso’, la mise à l’épreuve d’un nouveau
référentiel de l’action publique locale
À l’instar de la démocratie participative ou de l’innovation sociale,
la vie associative s’intègre progressivement dans les référentiels
de l’action publique locale, là où elle était encore il y a quelques
années une revendication de la société civile organisée. C’est en
soi un progrès pour la démocratie et le développement local.
Mais paradoxalement, les associations n’ont plus le monopole
du discours et de l’action sur la vie associative.

U
         ne des évolutions de la dernière dé­       ciative font partie des réflexions et des déli­
         cennie est l’émergence de nouvelles        bérations sur lesquelles un nombre croissant
         postures et compétences des élus et        de collectivités locales sont amenées à réflé­
collectivités locales. Portefeuilles d’élus,        chir et à se prononcer.
création de directions dédiées, dispositifs                                                             tions qui fragilisent des services et des em­      peuvent, selon les cas, s’appuyer, dans une
spécifiques de soutien et d’accompagne­             Arbitrages financiers en temps                      plois plus anciens dont l’utilité sociale des      relation de proximité, sur l’expertise associa­
ment, mise en place de conseils locaux ou           de crise                                            activités est pourtant justifiée par la précari­   tive pour construire une politique et soute­
d’instances de consultation, la vie associa­             Les collectivités locales sont de plus en      sation des conditions de vie d’une part crois­     nir des services aux populations. Mais le dé­
tive est devenue, ici et là, une compétence         plus soumises à des contraintes budgétaires         sante de la population. C’est toute l’ambiva­      faut de compétences en interne et les
des collectivités locales. Une des consé­           qui les conduisent à des arbitrages qui af­         lence d’un discours sur l’innovation sociale       moyens financiers limités peuvent aussi
quences de cette montée en compétence est           fectent la vie associative locale. Conven­          à l’heure où les politiques d’austérité qui se     jouer dans le sens inverse. Faute de services
que les associations doivent composer avec          tionnement à moyens constants, saupou­              généralisent en Europe commencent à tou­           dédiés, certaines collectivités sont aussi sen­
les pouvoirs publics locaux sur des enjeux          drage des subventions ou recentrage des             cher les collectivités locales. De même, la        sibles aux discours et stratégies de groupes
très concrets tels que la structuration d’une       aides aux acteurs institués, baisse du bud­         demande d’intégration d’emplois d’avenir se        d’entreprises qui présentent des solutions,
parole commune et la reconnaissance d’une           get alloué lors du renouvellement d’une             réalise dans une conjoncture difficile pour        clés en main, pour gérer des services sociaux
représentation collective, le renouvellement        DSP (délégation de service public), l’austé­        l’emploi associatif où certains postes de per­     sur plusieurs années. Notons enfin que l’ap­
des dirigeants associatifs et des engage­           rité financière touche diversement tous les         manents sont menacés.                              propriation de nouvelles compétences (pe­
ments bénévoles, la régulation de la con­           modes de contractualisation.                             Tout l’enjeu tient à la capacité locale des   tite enfance) par des communautés de com­
currence entre associations, la lisibilité et la         La conjoncture peut donner lieu à un as­       associations à agir collectivement dans une        munes dans les territoires semi-urbains peut
cohérence des projets soutenus sur un ter­          souplissement de modalités de versement des         période de contraction des ressources face         aussi favoriser le passage de la commande
ritoire ainsi que les modes de contractuali­        subventions pour faire face aux difficultés de      aux forces centrifuges du chacun pour soi          publique dans la mise en place de services
sation et les conditions d’octroi des subven­       trésorerie des associations. Elle peut aussi        et à peser localement et nationalement par         couvrant plusieurs municipalités. L’ancrage
tions.                                              conduire à une sécurisation de financements         le débat public sur la pertinence et les condi­    territorial des initiatives et engagements as­
    Ces enjeux donnent lieu généralement            par des CPO (conventions pluriannuelles             tions des arbitrages budgétaires.                  sociatifs s’en trouve questionné.
à diverses formes de concertation et de par­        d’objectifs) par anticipation des arbitrages                                                                Cette première investigation des enjeux
tenariat qui cherchent à clarifier les respon­      budgétaires futurs. Inversement, le passage         La taille et les compétences                       locaux, qui pèsent aujourd’hui sur les mo­des
sabilités et à préserver l’autonomie de cha­        à l’appel à projets peut signaler la volonté        des collectivités                                  de contractualisation des associations, té­
que partie prenante.                                d’une collectivité d’éviter un soutien dans la          La taille des collectivités est un facteur     moigne d’une extrême diversité de trajec­
    Mais des engagements publics forts de           durée dans un contexte de forte incertitude         parfois évoqué dans l’évolution des modes          toires et peut justifier en soi la nécessité
certains élus en faveur des valeurs et pra­         budgétaire. Les contraintes financières des         de contractualisation. Pour autant, ses effets     d’une clarification nationale du cadre de la
tiques de la vie associative peuvent aussi se       collectivités peuvent enfin accélérer le pas­       sont loin d’être unilatéraux et sont à contex­     subvention ainsi qu’un travail pédagogique
faire dans un contexte de relative anomie et        sage à la commande publique au nom d’une            tualiser. Les collectivités de tailles consé­      auprès des élus, techniciens et responsables
de segmentation du milieu associatif local.         gestion présumée plus efficace de la dépense        quentes (grandes villes, conseils généraux,        associatifs locaux. La complexité locale serait
Ce sont parfois les élus qui se font les prin­      publique alors même que les études d’im­            conseils régionaux) présentent l’avantage          révélatrice d’une pluralité d’interprétations
cipaux relais et défenseurs des valeurs asso­       pacts comparés des différentes modalités de         de pouvoir plus facilement créer une com­          de la règle génératrice de confusion politique
ciatives dans l’espace public et interpellent       financement sont rares.                             pétence dédiée à la vie associative et adop­       et d’incertitude juridique qu’il conviendrait
des associations à participer et à s’impliquer           Reste qu’il est encore trop tôt pour sa­       ter un positionnement public de soutien            de lever, d’autant que les acteurs locaux sont
à diverses instances, à davantage s’organiser       voir si les contraintes budgétaires actuelles       aux acteurs. Elles disposent aussi d’une cer­      inégalement dotés pour faire face à des évo­
et à co-opérer entre elles, à innover pour ré­      conduiront plutôt à une modulation des              taine autonomie budgétaire permettant de           lutions législatives complexes.
pondre à des besoins sociaux non satisfaits,        paramètres d’octroi des subventions (durée          faire des choix, y compris en clarifiant et
etc. L’existence d’un référentiel associatif par­   plus courte, montants moins élevés et dé­           sécurisant les conventionnements avec les          ●●Laurent Fraisse 1
tagé par une coalition d’acteurs locaux             gressifs, renouvellements limités, nombre           associations.
publics et privés peut se traduire par des en­      de projets réduits, thématiques ou secteurs             À l’inverse, les services généraux et juri­    1. Laurent Fraisse est socioéconomiste au Crida
gagements publics sur les questions de con­         prioritaires…) au sein des procédures exis­         diques y sont plus structurés et influents et      (Centre de recherche et d’intervention pour la
tractualisation ou de financement des asso­         tantes ou à un basculement vers d’autres            peuvent, dans un contexte d’incertitude            démocratie et l’autonomie) et membre du Lise
                                                                                                                                                           (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie
ciations. Certaines collectivités prennent          modes de contractualisation.                        juridique, pousser dans le sens de la com­         économique/CNAM-CNRS). Il est l’auteur de
position pour, par exemple, circonscrire le              Autre enjeu financier à réguler, la coexis­    mande publique. Enfin, la transversalité et        La subvention à l’épreuve de la diversité des
recours à la commande publique et à la ges­         tence d’injonctions financières plus ou moins       la cohérence entre politiques sectorielles et      régulations locales de la vie associative, une
                                                                                                                                                           communication issue d’une recherche exploratoire
tion de services sociaux des entreprises pri­       ambivalentes. Le lancement d’appels à pro­          services administratifs qui soutiennent les        du ministère des Sports, de la Jeunesse, de
vées lucratives. D’autres s’engagent, à travers     jets visant à promouvoir l’innovation sociale       associations, suivant des modalités contrac­       l’Éducation populaire et de la Vie associative sur
des chartes, à sécuriser dans la durée les fi­      sur des besoins non satisfaits dans tel ou tel      tuelles diverses, sont parfois plus difficiles à   les relations contractuelles entre associations et
                                                                                                                                                           collectivités locales. Pour le texte complet (juin
nancements des projets associatifs. Bref, les       secteur peut coexister avec des politiques          mettre en œuvre.                                   2013) : www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/27Juin_
modes de contractualisation de la vie asso­         sectorielles de rationalisation des conven­             Les communes de taille petite ou moyenne       diversite_regulations.pdf

.10 Les idées en mouvement                le mensuel de la Ligue de l’enseignement                     n° 217   MARS 2014
Politique locale : quelle place pour les asso' ?
dOssier

À qui vont les subventions publiques ?
Le financement public représente près de la moitié du
financement total du secteur associatif. Aujourd’hui, ce sont les
grandes associations employeuses qui captent l’essentiel des
subventions publiques.

L’
            augmentation du nombre d’asso­             Ces deux secteurs apparaissent concrète­
            ciations participe sans doute aux          ment seuls susceptibles d’accéder aux com­
            tensions qui pèsent sur l’accès aux        mandes publiques. Les secteurs de l’action
subventions publiques, mais dans les faits,            humanitaire, sociale et de la santé sont par
les jeunes associations accèdent très faible­          ailleurs ceux pour lesquels le financement
ment aux circuits de financements publics              public prend le plus souvent la forme de
et aux subventions publiques en particu­               commandes : 64 % des financements pu­
lier : les associations créées à partir de 2006        blics en direction de ces secteurs le sont
représentent 23 % du nombre total d’asso­              sous forme de commandes publiques.
ciations mais ne perçoivent que 4 % des
subventions publiques en direction du                  Subventions et commandes                              d’innovations, s’appuyant de manière im­                breux financements publics et en particu­
monde associatif. La majeure partie des                publiques concentrées dans                            portante sur un engagement citoyen, ces                 lier à la baisse des subventions publiques.
subventions publiques sont reconduites                 les très grandes associations                         associations, dont les projets dépassent lar­           Mais le recours aux usagers induit des pro­
auprès des associations plus anciennes qui                 Les financements publics – subventions            gement l’intérêt de leurs membres, em­                  cessus croissants de sélection des publics
vivent de subventions publiques. L’accès               ou commandes – s’adressent pour l’essen­              ploient des professionnels salariés et vivent           associatifs en fonction de leur solvabilité.
difficile des jeunes associations aux subven­          tiel aux associations employeuses : les               grâce au travail bénévole et à partir de mon­           La baisse des subventions publiques a en
tions publiques est préoccupant dans la                quelque 183 000 employeuses – qui repré­              tages complexes de ressources publiques                 outre pour effet de fragiliser les associations
mesure où il constitue un obstacle au re­              sentent 14 % du nombre total d’associa­               mais surtout privées dans lesquelles la par­            moyennes qui ne sont pas en mesure d’ac­
nouvellement de l’action des associations.             tions – perçoivent 91 % des subventions               ticipation des usagers a une part impor­                céder aux commandes publiques. Le déve­
                                                       publiques et 95 % des commandes pu­                   tante : c’est surtout dans ces associations             loppement du secteur associatif dans la pé­
Une relative diversité                                 bliques.                                              que les subventions publiques jouent un                 riode récente montre d’ailleurs un triple
des subventions publiques                                  La plupart des nombreuses petites asso­           rôle essentiel de soutien des dépenses de               phénomène : une augmentation du nombre
selon les secteurs d’activité                          ciations ne perçoivent qu’une part minime             fonctionnement. Souvent, ces associations               des petites associations de membres s’ap­
    Le secteur médico-social est le principal          des subventions publiques : elles s’appuient          ne disposent pas, en raison de leur taille,             puyant principalement sur le bénévolat et
destinataire des subventions publiques : il            pour l’essentiel sur quelques petits finance­         des compétences et des moyens nécessaires               la participation des usagers, la concentra­
perçoit 45 % des subventions publiques en              ments privés apportés par leurs membres               pour participer aux appels d’offres ou accé­            tion du poids économique des grandes as­
direction des associations, ce qui s’explique          et surtout sur le travail bénévole pour fonc­         der aux circuits de commandes publiques :               sociations qui contribuent à la mise en
notamment par la taille du secteur et la na­           tionner : 71 % des associations ont un bud­           la généralisation de ces dernières les a par­           place des politiques publiques et l’amenui­
ture des fonctions remplies par ces associa­           get annuel inférieur à 10 000 euros et per­           ticulièrement fragilisées.                              sement du nombre et du poids des associa­
tions dont les publics sont souvent en situa­          çoivent 2 % des subventions publiques.                                                                        tions moyennes dont l’importance est pour­
tion de difficulté et qui sont fortement                   Les subventions publiques sont surtout            La baisse des subventions                               tant essentielle à l’équilibre du secteur
employeuses de professionnels salariés. La             concentrées dans les grandes associations :           fragilise les associations                              associatif.
répartition des subventions selon le secteur           2 % des associations (environ 27 000) per­            moyennes
d’activité apparaît cependant assez diversi­           çoivent 71 % des subventions publiques,                   La baisse massive des subventions dans              ●●Viviane Tchernonog 1
fiée : les associations culturelles, récréatives       pour un montant moyen de l’ordre de                   les dernières années, et son corollaire – la
et sportives, les associations d’éducation et          360 000 euros. Ces associations sont de très          généralisation des commandes publiques –                1. Viviane Tchernonog est chercheuse au CNRS, au
de formation, les associations de gestion              grosses associations, vivant souvent de fi­           ont des conséquences importantes sur                    Centre d’économie de la Sorbonne et spécialiste de
                                                                                                                                                                     l’analyse socioéconomique des associations. Elle
d’une activité économique perçoivent res­              nancements publics et dont la subvention              l’avenir des associations et sur les fonctions          est l’auteur de deux notes récentes : Le financement
pectivement 23 %, 14 % et 12 % des sub­                est d’ailleurs parfois l’unique ressource.            qu’elles remplissent. L’impact de cette évo­            public des associations, entre subventions et
ventions publiques en direction des asso­              Participant à des missions de service pu­             lution sur la capacité du secteur à innover             commandes, juillet 2013 et Les associations entre
                                                                                                                                                                     crise et mutations : les grandes évolutions, octobre
ciations.                                              blic, très fortement employeuses, ces asso­           est relativement bien repéré par les acteurs            2013.
    La concentration des commandes pu­                 ciations ont souvent vu leurs subventions             en présence, mais d’autres conséquences
bliques apparaît en revanche très élevée :             reconduites en priorité.                              sont moins visibles. Pour de nombreuses
74 % des commandes publiques sont con­                     Les associations de taille moyenne se             associations, le recours à une augmentation
centrées dans les associations dans l’action           trouvent dans une situation particulière :            de la participation des usagers est en réalité
sociale et la santé, 11 % dans l’éducation.            souvent plus jeunes, souvent porteuses                la seule alternative à la contraction de nom­
à sAvoir

           les subventions, le quart du budget associatif et un poids en forte baisse
           Le développement du secteur associatif (2,5 % en moyenne          de 3 % tandis que les commandes publiques ont augmenté à              risques de requalification des subventions en commandes pu-
           annuelle dans la dernière période) a été porté par une privati-   un rythme très rapide : 73 % sur la période, soit 10 % en             bliques. La montée en charge des collectivités territoriales dans
           sation de son financement : le financement privé a augmenté       moyenne annuelle.                                                     le financement du secteur associatif contribue aussi à cette
           à un rythme annuel de 3,1 %, beaucoup plus rapide que le fi-      La transformation rapide des subventions en commandes pu-             évolution, les régions et les conseils généraux ayant tendance
           nancement public (+1,9 % de croissance annuelle). C’est la        bliques a plusieurs origines. Un changement de philosophie            à préférer les financements de type commandes aux subven-
           participation croissante des usagers au service rendu par         dans le financement public des associations, les incertitudes         tions pour des motifs variés (formatage des actions des asso-
           l’association, avec une augmentation de l’ordre de 4 % par an     pesant sur le statut juridique de la subvention au regard des         ciations en fonction des politiques locales, meilleure visibilité des
           – soit 29 % sur la période 2005/2011 – qui explique seule la      réglementations européenne et nationale – surtout en l’absence        acteurs publics).
           privatisation des ressources. Les subventions publiques ont       de définition légale de celle-ci – conduisent les collectivités pu-
           diminué en six ans de 17 %, soit une baisse annuelle moyenne      bliques à développer les commandes publiques pour éviter les

                                                                                 Les idées en mouvement                  le mensuel de la Ligue de l’enseignement                          n° 217      MARS 2014 11.
Politique locale : quelle place pour les asso' ?
dOssier

 Expériences

« Il n’y a pas de
démocratie sans
co-production »
On a parfois érigé en « modèle rennais », une certaine manière de déléguer la
vie de quartier, le socioculturel et une partie des services à de simples citoyens
actifs et motivés. Cette culture de l’associatif est née dans la tradition bretonne
de l’engagement et du collectif, mais elle s’appuie aussi, depuis près de 50 ans,

                                                                                                                                                                                                                    © D. Gouray / Ville de Rennes – Rennes Métropole
sur une relation conçue et discutée entre les associations et le pouvoir politique
local. René Jouquand, adjoint à la culture depuis 2008 et ancien délégué général
de la Ligue d’Ille-et-Vilaine revient sur ce dialogue dont il est l’un des acteurs.

R
       ené Jouquand est ado­               vier Sabouraud, s’implique dans la         social et culturel rennais (OSCR)
       lescent quand il rencontre          Maison internationale de Rennes et         créé en 1960 sous la municipalité
       pour la première fois le            le Centre chorégraphique national.         Fréville. « Rennes avait cette
monde associatif. Il se passionne          Il crée, dans un bar rennais, l’Elsa       culture ancienne de la co-opéra­
alors pour la vie du ciné-club du          Popping, les premiers cafés ci­            tion avec l’associatif. On était dans
lycée Charcot de Saint-Malo où il          toyens de la ville, lieu de débats et      l’invention bouillonnante de la
est pensionnaire. C’est une décou­         d’échanges fréquentés par les habi­        démocratie sociale à partir du fait     cipalité propose alors aux associa­         du lien social et d’améliorer des per­
verte du monde et de la culture            tants comme par les politiques lo­         associatif et syndical. Ce mouve­       tions de signer une « charte d’en­          formances de la collectivité. « Il faut
autant qu’un apprentissage du              caux. C’est dans ces interactions          ment grandissant a été un vivier        gagements réciproques » qui doit            aller vers la co-production. Il n’y a
collectif, que vient encore renfor­        régulières avec les élus que prend         d’élus pour la gauche en 77. Il a       éviter de diluer les soutiens en            pas de démocratie sans cette ren­
cer son implication au sein des            racine l’idée d’un mandat électif. Il      aussi fait émerger un outil com­        s’appuyant sur les complémenta­             contre. » Une approche qui doit
Éclaireurs de France. « Ma fibre           rejoint en 2008 l’équipe de Daniel         mun capable de s’autogérer. »           rités des actions et des savoir-            combiner vision du territoire et
éducative, mon parcours associa­           Delaveau, le maire PS de la ville.         L’OSCR fédérait 400 associations.       faire. Il s’agit, aussi, d’aider les        indépendance des projets : « On ne
tif et militant sont nés à cette                                                      C’était à la fois un laboratoire so­    associations qui répondent aux be­          va pas demander à une troupe de
époque, de ces rencontres. »               Le « modèle » associatif                   cial, lieu de débats et de discus­      soins que la ville ne peut prendre          théâtre de monter Shakespeare ou
                                           rennais                                    sions et une structure de gestion en    directement à son compte. « Le              Kafka, mais lui suggérer, par
Itinéraire d’un associatif                     À Rennes, plus qu’ailleurs peut-       charge des maisons de quartier.         premier objectif d’une municipa­            exemple, d’élargir son projet à un
comblé                                     être, la frontière entre vie associative       Financé par la ville, mais aussi    lité c’est de faire la ville. Pour ça,      public défavorisé. C’est normal :
     Le jeune instituteur est titula­      et politique a toujours été poreuse.       par la Caf et les organismes HLM,       elle a besoin d’être en action dans         c’est notre projet politique pour la
risé dans une école rennaise, mais         Ces deux mondes reconnaissent              l’OSCR institue un dispositif de        chaque rue… et ça correspond à              culture. »
les relations avec son directeur           qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Les     subvention original : c’est lui qui     la présence associative dans une                 À quelques jours de la fin d’un
sont difficiles. C’est la Ligue de         élus, souvent eux-mêmes issus des          répartit les dotations entre les as­    ville comme Rennes. Tout ne peut            mandat qu’il ne renouvellera pas,
l’enseignement qui lui offrira la          associations, se révèlent d’autant         sociations. Des commissions spé­        pas se faire à partir de services mu­       René Jouquand est lucide sur les
porte de sortie tant attendue. « À         plus sensibles à la valeur morale          cialisées discutent et préparent        nicipaux. D’autres acteurs doivent          marges de progrès dans le fonc­
l’époque, des instituteurs étaient         de l’engagement qu’ils y voient un         ces répartitions qui doivent être       se mobiliser. Par exemple dans le           tionnement du système rennais.
mis à disposition de la Ligue.             remède à l’individualisme. « Pen­          validées par les instances de l’Of­     domaine de la lecture publique, il          « La ville a un mode de gouver­
C’était une forme de reconnais­            dant des années j’ai croisé des élus       fice. Cette organisation, conçue        ne convient plus de multiplier in­          nance qu’il faudra dépasser pour
sance de son action éducative. Ça          qui avaient derrière eux un long           dans un esprit de délégation et         définiment les bibliothèques. On            faire plus collectif. Aujourd’hui les
m’a permis de me retrouver dans            parcours de militant associatif.           d’autonomie, permettra, outre la        a besoin des bibliothèques de               décisions sont très segmentées.
mes valeurs… et j’y ai fait tout           Même si ces voies d’accès à la fonc­       structuration du réseau associatif,     rues, de Lire et faire lire, des es­        De plus, la professionnalisation
mon parcours professionnel, de             tion politique sont aujourd’hui            la création d’événements et de          paces lectures, des cercles de lec­         des élus ajoute la légitimité du sa­
1974 à 2007. » Il y exercera les           moins fréquen­tes, elles sont im­          lieux comme le Comité local d’in­       teurs… ça ne fonctionne que lors­           voir à celle du suffrage universel.
fonctions de délégué culturel puis         portantes. Il y a chez certains élus       sertion sociale ou le Centre ren­       qu’il y a des initiatives conjointes.       Cela devient un bloc dur face à
de délégué général pour l’Ille-et-         l’idée que la seule légitimité vient       nais d’information des femmes.          Ce qui est vrai pour la lecture l’est       des associatifs dont la seule légiti­
Vilaine, mais aussi de délégué ré­         du suffrage universel… je ne suis          Elle servira également la création      pour tous les champs. »                     mité est construite par l’action ci­
gional et de président de l’union          pas d’accord. Elle a, bien sûr, le         d’un maillage d’équipements so­              Aujourd’hui, c’est bien la co­         toyenne. » Les associations doivent
régionale.                                 dernier mot mais elle doit rencon­         cio-éducatifs sans égal en France.      construction que René Jouquand              elles aussi être vigilantes à ne pas
     Trois idées forces structurent        trer d’autres légitimités notam­                                                   met en avant dans la politique              être « seulement dans la mise en
son action au cours de ces années :        ment celle d’acteurs qui s’autodé­         La co-construction :                    culturelle de la ville. « Si j’ai accepté   œuvre des politiques de la ville ».
la laïcité, l’éducation artistique et la   terminent dans leurs projets et            un new deal associatif ?                cette délégation c’est parce que je         C’est là aussi que se bâtit l’indé­
valorisation de l’associatif. « Le tra­    font entendre leur propre voix.                Mais le modèle rennais s’es­        pouvais porter ici mon expérience           pendance du mouvement associa­
vail d’une association comme la            C’est cette rencontre qui construit        souffle. Institutionnalisation des      d’accoucheur de projets acquise à           tif. « Le mode collaboratif ça fonc­
Ligue est culturel et social… mais         une légitimité plus forte. »               partenaires et perte de confiance       la Ligue. Je suis là pour faire advenir     tionne ! Il n’y a pas de politique
aussi politique, car il vise à inven­          Depuis les années 60, la ville         réciproque ; en 2004 la ville décide    les projets que portent collective­         publique qui puisse réussir, si elle
ter d’autres voies possibles et à les      se bâtit sur ce dialogue. Résultat,        de ne pas reconduire la convention      ment les acteurs engagés. » À               ne rencontre pas, à travers le
donner à voir et à vivre. » La Ligue,      des Transmusicales à l’Espace des          qui la lie à l’Office. « L’OSCR était   Rennes comme ailleurs, ces rela­            monde associatif, les gens qui
interface entre les citoyens et les        sciences, une grande partie de la          un entre-deux. Ce genre de struc­       tions sont plus que jamais pensées          vont s’engager et agir. »
différents acteurs de la ville. René       politique culturelle est née de l’as­      ture doit être en phase avec le         dans le cadre d’un développement
Jouquand fonde le cercle Condor­           sociatif. Cette spécificité s’est long­    monde associatif et avec la ville.      global du territoire. La vie associa­       ●●Anne Chevrel
cet avec Jacques Faucheux et Oli­          temps illustrée à travers l’Office         Ce n’était plus le cas. » La muni­      tive est à la fois un moyen de créer

.12 Les idées en mouvement                 le mensuel de la Ligue de l’enseignement                     n° 217     MARS 2014
Politique locale : quelle place pour les asso' ?
dOssier

Appréhender un projet par la concertation
La Ligue de l’enseignement de Moselle a animé la
concertation sur la réforme des rythmes scolaires.
Un travail de fond, point de départ du projet
éducatif de territoire.

F
        orte de sa mission d’accom­       nauté de communes de Cattenom,
        pagnement des collectivités       à Sarreguemines et à Florange,
        du département sur la poli­       nous avons organisé des réunions
tique éducative territoriale qu’elle      pour chaque typologie d’acteurs
porte depuis quinze ans, la Ligue         – enseignants, parents, élus… –,
de l’enseignement de Moselle a            pour d’abord comprendre chacun
naturellement été en première             d’entre eux. Puis des réunions in­
ligne pour accompagner la mise            teracteurs, par secteurs géogra­
en place locale de la réforme des         phiques ou par quartiers dans les
rythmes scolaires. « Nous sommes          villes, pour croiser les regards. »
bien identifiés parce que nous

                                                                                                                                                                                                              © Benoît Debuisser
avons mis en place des dispositifs        S’adapter
d’accueil périscolaire sur les 120        à la sociologie
communes que nous accompa­                des territoires
gnons », précise Sandrine Pellenz,             Une approche pertinente qui
responsable des politiques éduca­         a permis de débattre des ques­
tives territoriales à la fédération. Or   tions de fond : les besoins de l’en­     ne sont pas les mêmes quand on             cher du côté du contenu de la             les horaires d’école, selon San­
quelques territoires ont voulu aller      fant et des familles, les passerelles    est sur un territoire où la plupart        prise en charge sur le temps péri­        drine Pellenz, « de manière dé­
plus loin et l’ont sollicitée pour        à faire entre les temps scolaire et      des parents sont deux à travailler         scolaire, dans l’autre, du côté de        tournée, nous sommes allés bien
qu’elle anime non seulement la            périscolaire pour améliorer l’ap­        et dont les enfants restent tard sur       l’aide à la parentalité. Parfois, l’en­   plus loin, jusqu’au point de dé­
consultation, mais aussi la concer­       prentissage de l’enfant, etc. « Cha­     le temps périscolaire, que sur des         jeu est davantage celui des trans­        marrage de l’écriture du projet
tation des acteurs. Il s’agissait dès     que fois, nous avons abouti à un         quartiers où beaucoup de parents           ports, pour que les enfants de            éducatif de territoire (PEDT) ».
lors d’élaborer une démarche par­         double état des lieux, à la fois de      ne comprennent pas toujours                telle école puissent avoir accès à
ticulière : « Après de nombreuses         l’offre existante, mais aussi de la      bien les consignes inscrites dans          telle offre péri­scolaire… »              ●●Stéphanie Barzasi
réunions d’information pour expli­        sociologie des territoires qui doit      les cahiers de leurs enfants : dans             Si dans un premier temps les
quer la réforme, sur la commu­            la déterminer. Car les choix à faire     un cas, les réponses sont à cher­          élus voulaient surtout connaître

Le chantier permanent de la co-construction
La politique actuelle du conseil général de Seine-Saint-Denis en matière d’éducation populaire résulte largement du travail conjoint mené
avec le réseau associatif pendant plusieurs années. Mais la co-construction des politiques publiques ne suit pas un parcours linéaire.

«E
                ntre 2005 et 2008,        d’éducation populaire est réuni          de l’éducation populaire, la créa­         pulaire. « Le comité est davantage        de mal à copiloter chaque es­
                le projet d’éducation     dès 2005. Il prend le parti d’invi­      tion d’un site Internet collaboratif,      devenu technique », retrace l’ancien      pace ».
                populaire de Seine-       ter largement, au-delà des associa­      la participation collective à la Bien­     chargé de mission.                            Il n’existe plus de comité de
Saint-Denis a été élaboré en co-          tions d’éducation populaire, tous        nale de l’environnement, ainsi que                                                   pilotage depuis 2011. Si les poli­
construction entre le conseil géné­       les acteurs qui « ont le souci de        l’élaboration et la tenue d’un col­        Des modalités de                          tiques en faveur de l’éducation
ral et les associations du secteur »,     contribuer à ce que les habitants        loque sur l’éducation populaire.           concertation à trouver                    populaire ont pris de nouvelles
affirme Jean Bourrieau, qui a été         soient acteurs de leur vie, acteurs      Tous seront menés à bien. Le ré­               Le soutien à l’éducation se           formes, les modalités de co-
le chargé de mission dédié à ce           de transformation sociale » 1 : plu­     seau s’organise et le second comité        poursuit désormais sous d’autres          construction de ces politiques
projet dès 2005. À son arrivée à la       sieurs directions du conseil géné­       de pilotage s’élargit à toutes les as­     formes. Des outils sont créés et,         restent à construire.
présidence du conseil général en          ral, toutes les grandes associations     sociations qui participent réguliè­        en particulier un salon de l’éduca­
2004, Hervé Bramy se montre très          traditionnelles de l’éducation po­       rement aux réunions de travail.            tion populaire dont le premier se         ●●Stéphanie Barzasi
favorable à une éducation popu­           pulaire mais aussi du caritatif, ainsi   « Pendant quelques années, nous            tient en 2009. Ce salon a été con­
laire qui « permette aux habitants        que les syndicats, les associations de   avons vraiment avancé, nous avons          çu sous forme d’espaces thémati­          1. Extrait du manifeste.
de participer à l’élaboration des         parents d’élè­ves… « Une volonté de      réussi à préciser les relations et rôles   sés, chacun à partir de questions :       www.educationpopulaire93.fr
politiques publiques ». La compé­         concevoir l’éducation populaire          de chacun et nous avons abouti à           comment mobiliser les habitants ?
tence de l’éducation populaire est        non comme un champ, mais                 une expression collective. » En            Comment développer la réfle­
explicitement rattachée à une             comme une démar­che », précise           2008, le changement de majorité            xion ?… Pour chaque espace, as­
vice-présidente. Un état des lieux        Jean Bourrieau.                          politique au conseil général marque        sociations et conseil général ont
vient d’être élaboré, qui a mis en                                                 une nouvelle approche de l’éduca­          mis en commun leurs outils. La
évidence la richesse et la diversité      Au gré de la volonté                     tion populaire. Les associations           dé­marche a été très constructive.
des acteurs sur le département.           politique                                doivent s’adapter. Le comité de pi­        Un beau succès, réitéré au salon de
Les bases sont posées. Le premier             Quatre premiers chantiers sont       lotage est recentré sur les seules as­     2010. Mais, en 2011, « conseil gé­
comité de pilotage d’un réseau            arrêtés : la rédaction d’un manifeste    sociations agréées d’éducation po­         néral et associations ont eu plus

                                                                              Les idées en mouvement                le mensuel de la Ligue de l’enseignement                     n° 217       MARS 2014 13.
Politique locale : quelle place pour les asso' ?
dOssier

 point de vue

Vers un empowerment à la française ?
Le rapport Bacqué-Mechmache 1 propose des mesures ambitieuses et concrètes pour donner un contenu tangible à la notion
d’empowerment dans la politique de la ville. Dans un article publié dans « La Vie des idées », dont nous livrons quelques extraits,
Thomas Kirszbaum explique pourquoi les conditions politiques et institutionnelles ne semblent pas réunies 2.

T
        raduction imparfaite du mot       établis, ces groupes sont appelés à se    sinon la contradiction majeure du
        empowerment 3, le « pouvoir       transformer en « dispositifs de co­       rapport que de s’en remettre au
        d’agir » était jusqu’à présent    décision ». C’est dire que les habi­      pouvoir politique pour garantir son
un discours porté par certains pro­       tants et leurs associations ne de­        effectivité. Ainsi lit-on dans l’ultime
fessionnels, notamment ceux du            vraient pas être cantonnés à la           proposition relative aux élus que
volet social de la politique de la        seule « co-construction » des pro­        « la démarche et les propositions
ville, qui l’invoquaient comme pour       jets.                                     préconisées par ce rapport ne pour­

                                                                                                                                                                                                                       © Anne-Lore Mesnage/Biosphoto
exorciser leur malaise face à la poli­         En comparaison du caractère          ront être mises en œuvre qu’à la
tique qu’ils mettent en œuvre, la         mono-public des contrats locaux           condition d’une volonté politique
jugeant dévoyée à cause de l’asymé­       tels qu’ils existent depuis une tren­     inscrite dans la durée ». Cette pro­
trie des relations de pouvoir et du       taine d’années, le rééquilibrage du       position en forme d’aveu de non-
paternalisme découlant du « faire         pouvoir serait pour le coup radical.      pouvoir n’est finalement que la con­
pour » plutôt que du « faire avec »       D’autant plus que les préconisa­          séquence logique d’une démarche
les habitants. On a désormais af­         tions du rapport ne s’arrêtent pas        d’acclimatation de l’empowerment
faire, avec le rapport Bacqué-Mech­       à la question du pilotage des dis­        aux spécificités françaises, la croyance
mache, à la première tentative sé­        positifs. Visant à créer des « contre-    en la toute puissance du politique
rieuse de combler l’écart entre le        pouvoirs » définis comme des « es­        n’étant pas la moindre. À cet égard,       social, formation des journalistes,       rapport Bacqué-Mechmache de­
dire et le faire.                         paces critiques et créatifs », ainsi      le projet d’un empowerment « à la          modalités du soutien public aux           vait avoir des retombées réelle­
     La vision de l’empowerment           qu’à soutenir la « construction con­      française » confine à l’oxymore.           associations, statut du bénévole,         ment significatives, ce serait parce
– ou du pouvoir d’agir – défendue         flictuelle de l’intérêt général », le                                                code des marchés publics pour la          que les habitants des quartiers
par les auteurs recouvre une di­          rapport fourmille de propositions         Des réformes radicales                     désignation des équipes de maîtrise       populaires auront su s’en saisir
mension essentiellement collective,       pour préserver l’indépendance de          hors de portée de la                       d’œuvre, utilisation de la réserve        grâce à leurs capacités propres
sociale et politique. Se réclamant        la société civile et consolider ses ca­   politique de la ville                      parlementaire et de la dotation aux       d’auto-organisation, c’est-à-dire
d’une « pers­­pective de trans­for­       pacités d’action. Enfin, l’ensemble            L’appel des auteurs du rapport        partis politiques, régulation du sys­     en dépit, voire en conflit, avec le
mation sociale », ils récusent claire­    des propositions est assorti de nom­      à « une véritable transformation           tème bancaire, etc.                       politique plutôt que grâce à lui.
ment les notions d’autonomie, d’ac­       breuses garanties procédurales pour       du regard sur ces populations »                 Ce sont là autant de raisons de      C’en serait alors fini de la véritable
tivation ou de responsabilité telles      que les « sans voix » en trouvent         est cohérent avec la nature du             douter des chances de succès de           exception française que constitue
que mobilisées dans les logiques de       une, au même titre que les « petites      problème qu’ils identifient, lequel        la « réforme radicale », aussi in­        la minorisation des minorités eth­
projet ou de contrat individuels. Le      associations » marginalisées par          renvoie non pas aux processus in­          dispensable soit-elle. La politique       niques et urbaines dans la vie pu­
modèle de participation des deux          l’évolution néo-managériale de la         ternes aux quartiers, mais à des           de la ville a certes une vocation         blique de ce pays.
auteurs ne se limite pas non plus à       politique de la ville.                    causes essentiellement exogènes.           interministérielle, mais sa capacité
ses dimensions « d’interpellation et                                                Outre la question du regard porté          à réformer les autres politiques          ●●Thomas Kirszbaum 4
d’initiative », mais doit embrayer sur    L’empowerment « à la                      par la société, leur diagnostic            publiques est étroitement tribu­
des « transformations institution­        française » : un oxymore ?                évoque tour à tour l’insécurité so­        taire de la coïncidence entre les         1. La sociologue, Marie-Hélène
nelles ». Le rapport oriente donc              On conçoit aisément que le           ciale, les discriminations, l’héritage     objectifs transversaux qu’elle porte      Bacqué et le fondateur d’AC Le feu,
                                                                                                                                                                         Mohamed Mechmache ont remis
vers un profond changement de sys­        potentiel subversif de telles recom­      colonial, les réformes néo-managé­         et les objectifs sectoriels des autres    leur rapport « Pour une réforme de
tème, suggéré par son titre : Pour        mandations n’ait pas soulevé d’en­        riales des politiques publiques, les       organisations publiques. Et lorsque       la ville. Ça ne se fera pas sans nous.
une réforme radicale de la politi­        thousiasme débordant du côté des          inégalités de traitement par les ser­      l’intérêt des quartiers et de leurs ha­   Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les
                                                                                                                                                                         quartiers populaires » le 8 juillet 2013
que de la ville. De fait, l’ambition      élus locaux, en particulier des mai­      vices publics, etc. Cette compré­          bitants ne rencontre pas l’intérêt        à François Lamy, ministre délégué
des auteurs n’est pas de construire       res bien installés dans leur rôle de      hension exogène amène logique­             sectoriel, ce dernier l’emporte iné­      chargé de la Ville. Ce travail est le fruit
une simple « boîte à outils », mais       « patrons » de la politique de la         ment les auteurs à sortir du champ         vitablement. Le destin probable           de mois de rencontres (collectifs et
                                                                                                                                                                         associations d’habitants) et de visites
de dépasser l’ère des expérimenta­        ville, avec la bénédiction de l’État.     de la politique de la ville lorsqu’il      du « reçu d’identité » visant à pré­      de terrain à travers la France. Rapport
tions institutionnelles et des initia­    S’agissant des élus, le rapport           s’agit de proposer des solutions.          venir les contrôles discriminatoires      téléchargeable sur :
tives éparses de la société civile se     n’avance en fait qu’une seule propo­           De manière frappante, la grande       de la police nationale, proposition       www.territoires.gouv.fr
                                                                                                                                                                         2. « Vers un empowerment à la
réclamant du community organizing,        sition (la dernière), celle de les for­   majorité de leurs propositions (23         n° 22 (!) du rapport, notoirement         française ? À propos du rapport Bacqué-
pour entrer dans l’âge de « la géné­      mer à la participation et de mettre       sur 31) relève en tout ou partie           soutenue par le ministre délégué à        Mechmache », La Vie des idées,
ralisation et surtout la transforma­      en discussion les propositions du         d’autres champs d’action publique          la Ville, est emblématique de la ca­      novembre 2013.
                                                                                                                                                                         3. Qui peut se définir comme le
tion des cultures professionnelles,       rapport au sein de leurs associations     et d’autres autorités publiques que        pacité d’influence pour le moins          processus par lequel un sujet, collectif
administratives et politiques ».          ou dans le cadre de rencontres lo­        le ministre délégué à la Ville. La         limitée de ce dernier.                    ou individuel, accède aux ressources lui
                                          cales et régionales ; le tout vise à      liste des questions soulevées par le            Mise en évidence de longue           permettant d’augmenter son pouvoir et
                                                                                                                                                                         de s’émanciper.
Les habitants                             accompagner ce que les auteurs ap­        rapport dont la solution se trouve         date, la faiblesse ontologique du         4. Thomas Kirszbaum est sociologue,
codécideurs ?                             pellent « le renversement de dé­          en dehors de la politique de la ville      ministère de la Ville reflète en dé­      chercheur associé à l’Institut des
     Le rapport place la barre très       marche » – soit le fait de remettre la    est extensive : droit de vote des          finitive la difficile conversion des      sciences sociales du politique (ENS-
                                                                                                                                                                         Cachan). Ses travaux portent sur les
haut en matière de démocratisa­           politique de la ville sur ses pieds.      étrangers aux élections locales,           demandes sociales des habitants           politiques de la ville, de mixité et de
tion de la politique de la ville. Pour    On peut douter que cette proposi­         modes d’intervention de la police          des quartiers populaires en de­           lutte contre les discriminations qu’il
l’élaboration des futurs contrats de      tion suffise à organiser le lâcher-       comprise comme un « service pu­            mandes politiques, au travers de          étudie notamment dans le cadre de
                                                                                                                                                                         comparaisons avec les États-Unis.
ville, les habitants et associations de   prise des élus sur « leur » politique     blic », relations entre école et pa­       groupes d’intérêt suffisamment
quartier auraient par exemple voca­       de la ville, sachant qu’ils n’ont pas     rents, composition des conseils            structurés pour les porter dans les
tion à occuper la moitié au moins         un tropisme très prononcé pour la         d’administration des organismes            lieux du pouvoir. Or, ce n’est pas
des sièges au sein de « groupes de        renonciation volontaire à l’une de        d’HLM, recrutement des agents de           cette dimension politique de l’em-
pilotage élargis » de quartier ou in­     leurs prérogatives.                       la fonction publique territoriale,         powerment que le ministre actuel
tercommunaux. Une fois les contrats            C’est sans doute la faiblesse,       principes et organisation du travail       paraît enclin à encourager. Si le

.14 Les idées en mouvement                le mensuel de la Ligue de l’enseignement                      n° 217     MARS 2014
Politique locale : quelle place pour les asso' ?
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