POUR DES CHEVREUILS DE QUALITE - Tir, chasse et aménagements : une méthode Francis Roucher avec la collaboration du docteur Hervé Debou - FCJC ...

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      POUR DES CHEVREUILS DE QUALITE

          Tir, chasse et aménagements : une méthode

                            Francis Roucher

        avec la collaboration du docteur Hervé Debou

Courriel : francis@roucher.org
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                                SOMMAIRE

Avant propos

I. Pourquoi intervenir ?

II. Qualité du tir

      Comment faire un tir foudroyant ?
      Effets comparés de l’impact de la balle

III. Qualité de la chasse

      La battue
      L’affût
      L’approche
      La poussée calme de déplacement

IV. Qualité des chevreuils

       Comment l’évaluer ?
       Qu’est-ce qui assure la qualité des chevreuils ?
       Comment vont évoluer les chevreuils ?

V. Comment intervenir ?

      En phase de colonisation d’un paysage
      Au stade de saturation du milieu de vie

VI. Des cas concrets

Bibliographie

      Quelques ouvrages de base
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                              AVANT PROPOS

Durant des décennies, le plan de chasse au grand gibier a fonctionné selon la
théorie du surplus récoltable établie par le célèbre forestier américain Aldo
Leopold en 1933 (1). Ce dernier transposait sur les populations de Cervidés un
calcul de la possibilité de récolte annuelle qui convenait à l’économie forestière :
volume d’arbres recensés sur une parcelle multiplié par un pourcentage
d’accroissement. Cela n’a pas marché. Les chevreuils bougent et se cachent. Ils
ne se prêtent pas aussi facilement que les arbres aux dénombrements et
l’accroissement annuel « moyen » de leurs effectifs n’existe pas puisqu’il varie
entre quarante et zéro % ou même moins. D’où, à la longue, une abondance mal
contrôlée qui ne fait pas l’affaire de la régénération forestière. Il fallait bien
trouver autre chose.

La méthode ici proposée résulte non pas d’une illumination subite mais d’un
cheminement et de rencontres fructueuses. Chassant dans ma jeunesse sur trois
grands domaines princiers en Souabe, je croyais dur comme fer aux méthodes
germaniques traditionnelles et au tir sélectif. Jusqu’au jour où devenu sociétaire
d’une chasse de huit mille hectares en forêt domaniale de la Grande Chartreuse,
je m’aperçus que les brocards qui pesaient là bas18 kilos en pesaient entre 28 et
30 dans ce massif qu’ils colonisaient depuis peu.

Dans les années soixante-dix j’eus la chance d’entrer et de rester en contact avec
des esprits novateurs :

- en premier lieu l’anglais Richard Prior (2) qui sauva le chevreuil dans le
Royaume Uni. Engagé par les forestiers de la Couronne pour éradiquer
totalement ces « nuisibles » qui ravageaient leurs plantations, il prouva qu’on
pouvait les conserver à condition de les chasser conformément à leur structure
sociale, de maintenir leur nombre au dessous de la capacité d’accueil du milieu
de vie et d’épargner les brocards territoriaux ;

- ensuite les allemands Hermann Ellenberg et Dietlef Eisfeld (3 et 4) qui
préconisèrent de remplacer les douteux comptages de chevreuils par la
mensuration d’indices biologiques tels que la longueur de la mâchoire inférieure
des adultes, reflet de leur croissance ;

- enfin l’américain Dale McCullough (5) qui démontra que la productivité d’une
petite population de chevreuils vigoureux pouvait égaler celle d’une population
surabondante de chevreuils chétifs.
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C’est sous l’inspiration de ces auteurs que s’est formée une méthode
d’aménagement des chevreuils plus conforme à leur écologie.

Je dois à l’ingénieur général des forêts Jean de Chancel, directeur de la Chasse
au ministère de l’Environnement, d’avoir pu passer outre aux pesanteurs
administratives de notre pays pour mettre en œuvre la présente méthode.
Inaugurée en Alsace en 1982, elle apparut comme révolutionnaire alors qu’elle
n’était que simplement logique.

D’autres m’ont honoré de leur confiance et de leurs conseils comme Paul
Pesson, professeur de zoologie à l’Institut national d’Agronomie de Paris-
Grignon, Jean Dorst, dernier successeur de Buffon au Muséum national
d’Histoire naturelle et Bernard Fischesser (6), directeur de l’unité Ecologie du
Paysage de Montagne au Centre d’études du Génie rural, des Eaux et des Forêts.
Comme on peut le constater, je ne prétends pas avoir inventé la brouette.

Références :

1. Leopold, A. (1933). Game management. New York : Charles Srcribner’s
Sons.

2. Prior, R. (1968). The Roe Deer of Cranborne Chase. An ecological survey.
Oxford University Press, London, 222 p.

3. Ellenberg, H. (1974). Die Körpergrösse des Rehes als bioindicator.
Verhandlungen der Gesellschaft für Ökologie, Erlangen : 141-154.

4. Eisfeld, D. und Ellenberg, H. (1975). Rehwild Abschussplanung ohne
Zählung. Wild und Hund, 77 : 541-543.

5. McCullough, D. R. (1979). The George Reserve Deer Herd. Population
ecology of a K-selected species. University of Michigan Press, Ann Arbor, 270
p.

6. Fischesser, B. et Dupuis-Tate, M. F. (1996). Le Guide illustré de l’Ecologie.
La Martinière, Paris, 319 p.
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                       I. POURQUOI INTERVENIR ?

Le but d’un aménagement soutenu des populations de chevreuils et de leur
milieu de vie est de répondre à divers besoins de la société en les intégrant. Etant
donnée la fluidité du maillage de la population, pour être efficace, cet
aménagement doit s’étendre à l’échelle du paysage occupé par l’espèce jusqu’à
ses limites naturelles, c'est-à-dire d’un à plusieurs milliers d’hectares. C’est dire
l’importance de la coopération entre voisins et groupes d’intérêts différents.

L’absence de chasse aurait des conséquences néfastes. Outre la dégradation
végétale, la prolifération des chevreuils entraînerait leur chétivité, leur
infécondité, leur vulnérabilité aux infections parasitaires et microbiennes, la
mortalité des faons et le vieillissement des populations. Il n’y a pas de chevreuils
malades dans des populations qui sous-utilisent leur milieu de vie.

Le retour des grands prédateurs a pu être présenté comme « la » solution par les
dévots d’une nature sacralisée. Ces derniers ignorent-ils que c’est le nombre de
proies qui détermine le nombre de prédateurs et non l’inverse ? En Amérique du
Nord, il a été vérifié qu’au-delà d’une densité de sept cerfs de Virginie* aux cent
hectares, les loups sont incapables d’en diminuer les effectifs. Dans les Vosges
alsaciennes, la réapparition du lynx n’a pas empêché la prolifération de
chevreuils de médiocre qualité.

C’est donc à l’homme et en particulier aux chasseurs et aux sylviculteurs
qu’incombe la charge d’un aménagement aboutissant à de beaux et vigoureux
chevreuils dans des boisements variés en régénération naturelle. Un bel art plus
qu’une austère technique.

Tout se tient. Pas d’aménagement adapté à la nature du chevreuil, à sa vie
sociale et à son écologie qui ne s’appuie sur une chasse à la fois efficiente et peu
perturbante. C’est ce qui sera traité en premier lieu.

* Le «cerf » de Virginie et le «cerf » mulet sont en réalité les chevreuils de l’Amérique du
Nord. Appartenant à la même famille que leurs cousins d’Eurasie, celle des Odocoïléinés, ils
sont appelés chevreuils par les Québécois et jadis aussi par Buffon. Ils n’ont rien de commun
avec le wapiti qui lui, est le cerf élaphe du Nouveau monde. Pour ajouter aux confusions de
langage, les anciens pionniers ont dénommé ces cerfs « Elk » - qui veut dire Elan – parce
qu’ils étaient de grande taille… et c’est resté dans la langue américaine moderne !
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                           1I. QUALITE DU TIR

Si un chasseur se dit satisfait de sa carabine, c’est qu’il en a choisi la marque et
le calibre en connaissance de cause. Il a raison, inutile d’en débattre. La plupart
des armes de chasse disponibles dans le commerce permettent de bons
groupements.

Comme en photographie, le succès dépend de celui qui est derrière l’oculaire.
En la matière, personne n’est parfait. Qui d’entre nous ne garde-t-il pas en
mémoire l’humiliation d’avoir manqué le brocard d’une vie ou le cuisant
remords d’avoir blessé et perdu une chevrette en privant ses deux faons du
soutien maternel ?

Le tir sur du vivant est un acte grave qui ne tolère pas l’à peu près.

Mettons donc les chances de notre côté pour que tout chevreuil tiré s’écroule
avant même d’avoir entendu le coup de feu. Ce qui consiste à devenir aussi bon
que sa carabine et à savoir placer sa balle dans le corps de l’animal avec la
précision d’un bon praticien.

Trois conditions déterminantes :

- de l’entraînement : par économie, avec une carabine 22 ou même à air
comprimé jusqu’à la parfaite coordination des gestes et de l’œil. Ensuite au
stand avec la carabine de chasse jusqu’à ce qu’elle devienne aussi familière à
son propriétaire que sa fourchette de table ;

- de la retenue : ne jamais hésiter à s’abstenir si les conditions rendent le tir
hasardeux (animal en mouvement, trop grande distance ou mauvaise
présentation, visibilité douteuse, essoufflement, stress, « buck fever »). Pas de
regret : une seconde occasion se présentera tôt ou tard ;

- une connaissance de l’anatomie topographique du chevreuil, c'est-à-dire de
la projection des organes internes sur sa silhouette.
C’est simple et c’est indispensable.

Comment faire un tir foudroyant ?

En visant vers l’avant du thorax.

Le tir classique au défaut de l’épaule (à la verticale de la patte) n’abat pas
forcément l’animal sur place. Touché au muscle cardiaque avant l’expansion de
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la balle, il peut détaler sur 50 mètres et disparaître à couvert. Si l’impact est top
bas, il casse la patte. S’il est trop postérieur, il perce le poumon et permet une
fuite assez longue avant d’être fatal.

Le tir au cou peut soit paralyser l’animal sans le tuer (nécessité d’un coup de
grâce), soit manquer la colonne vertébrale. Le tir à la tête peut fracasser la
mâchoire, interdisant l’alimentation. Heureusement, il y a plus expéditif :

Le tir aux gros vaisseaux de la base du cœur

Leur aire de projection se situe au centre d’un triangle formé par :
- l’épaule (omoplate) oblique vers l’avant,
- le bras (humérus) oblique vers l’arrière
- et la verticale abaissée de la pointe de l’omoplate jusqu’au coude.

C’est le triangle mou que la balle pénètre sans résistance.

          Le tir « au triangle mou » (Roucher , 1978)

           Calque d’une radiographie de chevreuil debout
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Effets comparés de l’impact de la balle :

(a) La perforation du ventricule, muscle épais, n’empêche pas le sang de se
propulser vers le cerveau tant que la pompe cardiaque n’est pas désamorcée par
la fuite du sang. L’animal peut encore courir.

(b) La blessure de l’aorte prive instantanément le cerveau de l’afflux sanguin.

   La destruction de l’oreillette, mince membrane, désamorce la pompe
   cardiaque.

Ainsi, l’animal tombe sur place sans avoir même entendu le coup de feu.

      Tir au ventricule                   Tir aux gros vaisseaux
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Faon de cerf tiré à l’approche par l’auteur en hiver dans le massif du Vercors.

On voit l’impact au « triangle mou » dans l’angle omoplate-humérus.

Le ventricule musculaire du cœur est intact tandis que les oreillettes et la crosse
de l’aorte, ici béante, sont détruites
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                     III. QUALITE DE LA CHASSE

Chasser court et bien consiste à gratifier les chevreuils d’une quiétude quasi
permanente en pratiquant des prélèvements brefs, discrets et efficaces. Du point
de vue du bien être des chevreuils, tous les modes de chasse ne se valent pas.

La battue répétée avec chiens courants et rabatteurs bruyants ayant été traitée
dans l’introduction, nous n’y reviendrons pas. C’est le meilleur moyen d’aboutir
à des chevreuils stressés et donc invisibles de jour, à des populations
déstructurées, à des orphelins et des blessés-perdus. Tout cela au nom de la
convivialité et de l’aléatoire « tir au saut du layon » dont on se vantera au
moment du casse-croûte ! L’élégant chevreuil ne mérite-t- il pas mieux que cette
loterie de foire ambulante ?

L’affût perché, par contre, allie la discrétion, la poésie contemplative et la
commodité d’un tir appuyé, calme et précis. Le mirador souvent situé en lisière
des champs ou d’une clairière doit être accessible par le chemin le plus court et
le plus direct de façon à répandre le moins d’odeur possible. Comme l’affût est
souvent pratiqué le soir, un tir foudroyant évite une recherche de nuit.

L’approche appelée stalking par les britanniques et pirsch par les germaniques
est le plus exaltant des sports. Dans la fraîcheur d’un petit matin, l’esprit tendu,
qui n’a pas tressailli au cri soudain d’un coq faisan ou à l’envol d’un ramier ?

Aujourd’hui, la chasse individuelle n’est pas assez efficace à elle seule pour
maîtriser les effectifs de chevreuils, surtout quand ils sont ajustés à l’exigence
d’une régénération naturelle. Elle requiert d’investir de plus en plus de temps
pour réaliser le plan de tir. Son dérangement permanent de juin à février
prochain s’ajoute à celui, croissant, des promeneurs.

Cervidés et sangliers ont en commun – en l’absence de dérangements – d’utiliser
le plein jour pour leur phase d’activité. Une chasse individuelle trop étalée dans
le temps leur fait identifier tout promeneur à un chasseur et les pousse à se
dérober et à devenir nocturnes. Il en découle le besoin de faire appel à certaines
méthodes de chasse collectives pour un meilleur ajustement aux conditions qui
se sont modifiées. Alors par nécessité, un mode de chasse plus performant se
répand aujourd’hui en Europe.

La poussée calme de déplacement vers des tireurs perchés
.
Heureux retour de l’Histoire, cette méthode est la plus traditionnelle qui soit.
C’est la chasse des gens de pied codifiée au quatorzième siècle dans Le Livre du
Roi Modus et de la Reine Ratio par le normand Henri de Ferrières pour abonder
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le château en venaison fraîche. On poussait gentiment le gibier vers des archers
comme on le ferait de vaches nonchalantes.

Cette méthode permet de parachever un plan de tir en peu de temps. Elle
mobilise les animaux sans stress. Elle est efficace à condition d’être exécutée
dans les règles de l’art comme c’est le cas en forêt domaniale de Basse-Saxe.

Elle s’exécute une seule fois par an sur chaque parcelle d’au moins 200 hectares
avec 60 à 80 personnes, tireurs et marcheurs dont une vingtaine de maîtres
chiens, chacun parcourant de façon désordonnée mais lente une dizaine
d’hectares plusieurs fois de suite pendant trois heures. Les tireurs sont postés à
l’aube sur des petites chaises hautes garnies de brande et d’une barre d’appui et
disposées à l’intérieur des peuplements en bordure d’endroits dégagés que les
animaux traversent calmement en marquant l’arrêt de temps en temps.

Les marcheurs doivent avoir une connaissance approfondie de la parcelle
parcourue, des remises et des voies habituelles des animaux. Ils se signalent à
voix normale. Ils doivent intriguer le gibier, le mettre en éveil plutôt qu’en état
d’alarme. Le gros du travail de mise sur pied est fait par le vent. Les marcheurs
progressent avec et non contre le vent. Si le gibier se met à courir, la partie est
irrémédiablement perdue et il vaut mieux rentrer à la maison.

La poussée calme de déplacement se révèle comme un des plus passionnants
exercices de la chasse. Chacun des acteurs - tireurs, marcheurs, maîtres chiens,
gardes, organisateurs - y apporte son expertise et sa satisfaction d’exécuter cet
art en harmonie mutuelle comme dans un orchestre symphonique.

L’éthique de la chasse y trouve son compte puisqu’elle assure la tranquillité du
gibier pour le reste de l’année. Les brocards sont tirés à l’affût en leur saison.

Ndlr. : Pour compléter son information, le lecteur peut consulter le livre de l’auteur,
Chevreuils d’Hier et d’Aujourd’hui, 2éme édition 2008, au chapitre La Poussée, pp. 205 à 225.
Il y trouvera le récit d’une journée de chasse d’hiver en forêt domaniale de Basse-Saxe et la
traduction du Merkblatt n° 26, note d’instruction du Service forestier du Land de Basse-Saxe
intitulée : Méthodes de chasse collectives : substitut à la chasse individuelle au grand gibier.

Ceux qui voudraient expérimenter cela sur place peuvent s’adresser à :
Dr Hans Werner Streletzki
Niedersächsisches Ministerium für Ernhärung Landwirtschaft
Verbraucherschutz und Landesentwicklung
Calenberger Strasse 2
30 169 Hannover
Tel. 0511-120-2254
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                  IV. QUALITE DES CHEVREUILS

1. Comment l’évaluer ?

En tirant du chevreuil abattu des informations chiffrables sur sa corpulence, sa
croissance et s’il s’agit d’une femelle, sur sa fertilité. Cumulées sur au moins
trente sujets de même classe sociale (faon, yearling, adulte, mâle et femelle) on
en extraira des moyennes qui traduisent l’état des chevreuils locaux à un
moment donné. C’est le point de repère à partir duquel sera enregistrée la
tendance des animaux vers la stabilité, le progrès ou la régression de leur
qualité.

1. LA CORPULENCE est traduite par le poids de la bête totalement vidée
depuis la trachée jusqu’ à l’anus. Le poids vidé correspond aux ¾ du poids vif.
Ce correctif est utile à connaître lorsqu’on ne dispose que du poids vif d’une
série.

C’est dans les paysages où la densité est la plus basse par rapport à l’offre du
milieu de vie (densité relative) que l’on trouve les chevreuils les plus lourds,
comme le montre ce tableau comparatif :

      - les colonnes A, B et C correspondent à la moyenne des poids vifs des
chevreuils dans trois régions en voie colonisation : Sussex et Surrey en
Angleterre il y a quarante ans ; Emilie - Romagne en Italie aujourd’hui.

      - la colonne D correspond à une forêt privée de 600 ha en Normandie où
l’abondance mal maîtrisée des chevreuils se traduit déjà par une baisse modérée
des poids et par des dégâts inacceptables à la régénération naturelle du chêne.
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Dans les régions surpeuplées en chevreuils depuis des décennies comme en
Alsace et en Bavière, les poids vidés moyens descendent aussi bas que 12 à13
kg pour les adultes et à 9 à10 kg pour les faons.

    Influence de la densité relative des chevreuils sur leur prise de poids
                                                                 (Loudon 1979)

- à densité modérée, le poids d’adulte (ici : poids vidé) est pratiquement atteint à
18 mois, ce qui permet à un jeune mâle de partir à la conquête d’un territoire
dès sa deuxième année ;

- à densité trop élevée pour la capacité d’accueil du milieu végétal, un chevreuil
n’atteint pas en trois ans le poids qu’il devrait avoir à 18 mois. Les yearlings
émigrent peu ou pas du tout et contribuent à encombrer leur lieu de naissance.

2. LA CROISSANCE du chevreuil est exprimée par la longueur d’un os.
Certains se contentent de mesurer la patte postérieure. Cependant, il paraît plus
instructif et plus précis de mesurer la longueur de la mâchoire inférieure (lmi) :
       - elle est corrélée à la longueur de la base du crâne ;
       - depuis les années soixante-dix, elle a été utilisée en Allemagne pour
         établir des plans de chasse sans comptages et sert de référence ;
       - chez l’adulte (2 ans révolus) elle montre jusqu’à quel point a pu
         s’élever la croissance d’un individu ;
       - enfin, l’état de la dentition permet de retenir trois classes d’âge :
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- faon : 0 (présence de la 3ème prémolaire trilobée qui disparaît vers 1 an),

- yearling : 2 - (molaires hautes, acérées, dernière molaire neuve, bordée d’une
rigole osseuse, le tout coïncidant avec, à la coupe horizontale du crâne, une
cloison nasale cartilagineuse ou très peu ossifiée),

- adulte : 2 + sans plus de précision au simple examen visuel, tant les erreurs
d’appréciation sont grandes comparées à l’examen des coupes de cément
dentaire au microscope. La table dentaire des vrais vieux est complètement
abaissée et aplanie.

      Comment doit être mesurée la longueur de la mandibule

Depuis le rebord alvéolaire des incisives jusqu’au bord postérieur de apophyse
articulaire (et non jusqu’à l’angle de la mâchoire dont l’ouverture varie selon les
individus indépendamment de leur croissance).

3. LA FERTILITE de la population s’exprime par la production annuelle de
faons. Comme on ne peut dénombrer ces derniers avec certitude sur le terrain, il
est plus fiable d’examiner l’appareil génital des chevrettes abattues en comptant
le nombre de fœtus qu’il comporte.
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 Hélas, ce serait trop simple ! Parmi les Cervidés, le chevreuil est la seule espèce
chez laquelle l’accouplement ait lieu en juillet tandis que le ou les embryons ne
commencent à grossir qu’au début du mois de janvier, ce qui permet aux
naissances d’avoir lieu en mai-juin. On appelle cela la diapause embryonnaire.
Les fœtus ne sont visibles et ne peuvent donc être comptés que si la chevrette
est abattue après le début de janvier.

Or il est fréquent que le prélèvement des femelles ait lieu en novembre et
décembre. Il est même autorisé à partir du 23 août dans les départements
alsaciens. C’est donc seulement par l’examen des ovaires que le taux de
fécondation peut être facilement connu. D’où l’intérêt de savoir les trouver en
vidant l’animal. Ce sont deux petites boules de la grosseur d’un poids chiche
situées aux extrémités des trompes utérines.

   L’appareil génital de la chevrette, ovaires et trompes utérines

A la coupe (une lame bien aiguisée suffit) s’observent le ou les corps jaunes
(CJ), glandes sécrétrices d’hormone de gestation. Leur nombre correspond
grosso modo à celui d’embryons présents. Le voile du mystère est ainsi aisément
levé.
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                          Coupe des deux ovaires

Bien visibles sur ce cliché, un corps jaune de couleur chamois sur chaque ovaire.
Comme les fœtus, on peut en compter zéro, un, deux ou trois par chevrette et
même rarement quatre.

Plus les femelles pèsent lourd, plus elles sont fécondes. A partir d’un certain
poids les yearlings sont aussi fécondes que les adultes et participent donc à
l’accroissement annuel de la population. Les faons femelles de poids élevé (16
kg vif et plus) peuvent avoir été couverts en automne et présenter un corps jaune
sans pour autant mener une grossesse à terme. C’est une des explications du
second rut.

Ne serait-il pas dommage, en vidant une chevrette ou un faon femelle après le
tir, de se passer de la précieuse source d’information que représente son degré de
fécondation ? Faute d’avoir enregistré le poids, la taille et la fécondité moyenne
des chevreuils d’un territoire pris en location, impossible de savoir à partir de
quel état initial leur qualité évolue ou de comparer avec d’autres territoires

2. Qu’est-ce qui assure la qualité des chevreuils ?

L’élimination des déficients ? La structure de la population ? L’affouragement ?
La richesse du biotope ? Pas nécessairement :

a/ Eliminer les brocards mal coiffés, tradition germanique, n’a jamais abouti au
moindre résultat car cela relève d’un contresens. La sélection naturelle agit par
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la multiplication des mieux adaptés et non par l’élimination de tel ou tel type
arbitraire d’individus.

b/ Intervenir sur la structure sociale d’une population (proportion des sexes et
des classes d’âge) n’a guère d’influence qualitative tant que ses effectifs saturent
le milieu de vie, cas fréquent aujourd’hui.

c/ L’affouragement fausse la sélection naturelle et concentre les dégâts de gibier
autour des points de nourrissage.

d/ Même la qualité apparente du paysage peut ne jouer qu’un rôle secondaire.
Au Danemark, les chevreuils sont plus rares mais plus grands et plus lourds dans
les mornes landes à résineux du nord-ouest que dans le verdoyant bocage du
sud-est où ils abondent, du fait d’un goulot d’étranglement hivernal.

Et pour ceux qui s’intéressent aux trophées primés, les deux meilleurs spécimens
français proviennent de biotopes apparemment arides de la Provence comme :
      - Canjuers (Var) : 233 points CIC, 12 pointes, crâne : 810 gr net,
      - Cadarache (Bouches du Rhône) : 206 points, 6 pointes, crâne : 761 gr.
Autre paradoxe, à Wareham Forest (Dorset) sur un site officiellement classé
comme un des plus pauvres d’Europe : 140 points CIC, 8 pointes, 560 gr.

De la Suède à l’Espagne et de la Bretagne à la Sibérie, le chevreuil est expert
dans l’art de s’adapter, au prix de quatre exigences de sa nature. Il est :

1. Territorial pendant sept mois de l’année, ce qui assure la dispersion des
groupes familiaux et une exclusivité pour la nourriture. Il lui faut disposer
d’espaces libres à occuper.

2. Sélecteur de pousses, de fleurs et de bourgeons riches et tendres assimilables
à 95 % par digestion directe rapide tandis que les brindilles coriaces
consommées en hiver ne le sont qu’à 15 % après lente fermentation bactérienne.

3. Non-capitalisateur de graisse : contrairement au Cerf, il ne dispose que de
très peu de réserves pour subsister en hiver (# 3% de son poids). Pour
compenser ce handicap, un chevreuil consomme par jour environ 2000 brins
d’arbres ou d’arbustes d’un gramme. En forêt, combien de pousses consommées
par 100 sujets en 120 jours d’hiver ? Faites le calcul et vous comprendrez les
préventions des sylviculteurs !

4. Dépendant d’un fragile bilan énergétique. 75% de l’énergie fournie par sa
nourriture est destinée au maintien de sa température interne, 24 % l’est à ses
dépenses locomotrices, digestives et cardiaques et seulement 1% à la croissance
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et à la maintenance de ses tissus corporels. Le moindre déficit alimentaire
retentit donc en premier lieu sur la taille des chevreuils et sur la dimension des
bois des mâles. Or la disponibilité des ressources nutritives varie avec la
concurrence entre individus sur un même territoire.

Lorsque les chevreuils se multiplient, leur qualité devient donc très vite
dépendante de leur densité relative par rapport à l’offre alimentaire de leur
milieu de vie. En voici deux illustrations :

      - en 1979 aux USA, Dale McCullough avait fait varier les effectifs des
chevreuils (Odocoïleus virginianus) durant 19 ans sur un territoire clos de 464
hectares dans le Michigan. Il en a tiré la conclusion suivante :

« La taille d’une population est, de loin, la variante la plus importante qui
influence la qualité corporelle des individus et l’accroissement annuel de leur
nombre.
Comparées à cela, les autres variables (biotope, structure sociale, climat,
pluviosité etc…) qu’on tient pour importantes, sont relativement sans
importance.»

      - la même année, nous avons eu la curiosité de mesurer des milliers de
longueurs de mâchoires inférieures chevreuils provenant de 23 départements
français et de 6 pays européens en sélectionnant les adultes. Présentée en 1982
en Autriche au Conseil International de la Chasse, cette étude mit en évidence
des différences considérables entre les chevreuils chétifs des régions surpeuplées
(lmi autour 150 mm) et les grands chevreuils (lmi de 160 mm à plus de 170 mm)
des régions en voie de colonisation.

3. Comment vont évoluer les chevreuils ?

Passons de l’individu à la population. Celle-ci se comporte comme un
organisme dont l’activité propre tend à se perpétuer et à se propager dans un
milieu en continuelle évolution. Les chevreuils agissent sur leur milieu et
réciproquement. Ni leur nombre ni leur environnement végétal ne restent jamais
stables. La notion d’équilibre sylvo-cynégétique est une vue de l’esprit.

En s’introduisant dans un paysage vacant, les chevreuils se multiplient d’abord
faiblement parce qu’ils sont peu nombreux. Puis leur multiplication s’accélère,
favorisée par une offre alimentaire sans limite. A partir d’un point critique où
l’abondance des consommateurs provoque une érosion végétale, leur
multiplication se ralentit. Elle continue pourtant jusqu’à ce que le nombre de
morts compense celui des naissances. Il s’établit ce qu’on croit être un équilibre
19

stable entre les effectifs de chevreuils et la capacité d’accueil de leur milieu de
vie. Mais il n’en est rien.

         Population de Chevreuils : variations d’abondance
                                                            (Roucher 1996)

Que se passe-t-il en réalité et sur le long terme ? L’accroissement numérique
outrepasse la capacité d’accueil du milieu ambiant. La dégradation végétale
s’accentue et s’accompagne d’un effondrement de population. Du coup, la
végétation se reconstitue et permet un nouvel accroissement des effectifs de
chevreuils. Mais la végétation se restaurant moins vite que la population, celle-ci
se heurte à un plafond de ressources de plus en plus bas. Il n’y a donc pas un
équilibre stable mais une succession de déséquilibres réajustés.

Cependant (graphique du bas : les jambages montants indiquent l’accroissement
annuel et les descendants, le prélèvement), sous l’effet d’une pression élevée -
prédation ou chasse - les effectifs de population sont maintenus bien en deçà de
l’offre du milieu de vie. Les fluctuations sont amorties, des chevreuils vigoureux
et féconds étant peu sensibles aux aléas climatiques et aux infections.
20

                     V. COMMENT INTERVENIR ?

Chacun a son idée sur la question en fonction des conditions et des coutumes
locales ou nationales. Nous n’exposerons pas des idées mais ce que nous ont
appris la pratique du terrain et les avancées de l’écologie.

Deux cas opposés peuvent se présenter, la colonisation du milieu ou sa
saturation.

1er cas : les chevreuils font irruption dans le paysage.

Il trouvent une végétation illimitée et disposent de tout l’espace voulu pour leur
expansion. Il existe assez de bons territoires vacants pour que des jeunes sujets
se les approprient. La régulation des effectifs de la population se fait par
l’émigration printanière des yearlings.

Dans ces circonstances, la qualité moyenne des animaux atteint en général le
maximum de leurs potentialités, tant en corpulence (28 à 30 kg vifs), qu’en
croissance (lmi entre 160 et 175 mm) et en fertilité (2 à 2,5 corps jaunes par
femelle) et le taux de survie des faons est élevé en été comme en hiver.

Alors est-il indispensable d’intervenir puisque la nature fait si bien son travail ?
Oui car faute d’anticiper l’accroissement de la population, celle-ci va passer du
régime de régulation par émigration des jeunes à celui de la régulation par la
nourriture.

La forte dynamique d’accroissement d’une population la conduit en moins
d’années qu’on ne se l’imagine à l’encombrement du paysage. Les yearlings ne
trouvent plus à occuper que les territoires de moindre qualité que délaissent les
brocards dominants. Les territoires de ces derniers rétrécissent en passant par
exemple de 30 à 10 hectares. Cependant la fécondité des femelles reste encore
élevée. Fatalement, il viendra un moment où la baisse de la qualité et de la
quantité de nourriture se répercutera sur les performances physiques de ces
animaux.

La chasse interviendra donc avec deux objectifs :

1. Maintenir les effectifs en dessous de la limite à partir de laquelle la
concurrence entre consommateurs retentit sur l’offre de nourriture ;

2. Conserver une structure sociale proche de la nature.
21

Le premier objectif est difficile à atteindre en raison de l’incertitude quant au
nombre d’animaux présents sur le terrain. Sans attendre que les chevreuils
deviennent plus petits et moins lourds, on notera la tendance évolutive d’indices
comme les frottis de brocards, le nombre de chevreuils vus par sorties à
différentes saisons, le nombre de brocards adultes venus à l’appeau en juillet et
août (compter 6 à 7 sujets présents pour un brocard territorial), le nombre de
collisions sur la voie publique. On ne manquera pas d’ajouter un généreux
coefficient de sous-estimation à ces conjectures. Il faudra sans doute quelques
années de tâtonnements pour arriver à se situer entre le trop et le trop peu. La
méthode essais-erreurs s’avère ici plus efficace que des calculs théoriques.

Le deuxième objectif est plus facile à réaliser : prélever de 20 à 30 % de
femelles de plus que de mâles et 60 % de jeunes (faons et yearlings)
conformément à la structure naturelle d’une population. On épargnera des
brocards mûrs qui, en repoussant les rivaux hors leur territoire, sont les meilleurs
auxiliaires du garde forestier.

Ces objectifs ne sont pas toujours atteints comme le montre ce qui peut se
produire lorsque l’accroissement des effectifs n’a pas été maîtrisé. La taille des
brocards, exprimée ici par la longueur moyenne de la mandibule, dégringole en
à peine six ans sur ce territoire d’Europe centrale :

          Evolution de la taille de brocards tchécoslovaques
                                                       (comm. personnelle)
22

2ème cas : présents depuis longtemps, les chevreuils saturent le paysage.

La courbe de l’accroissement des effectifs en France depuis les années 80
ressemble à celle d’une population non chassée… Comme si le plan de chasse –
d’abord instauré pour favoriser le repeuplement - n’avait ensuite servi à rien
pour maîtriser cet accroissement ! En 25 ans, l’effectif national est passé de cent
mille à près de deux millions.

Comment expliquer cela sinon par une sous-estimation chronique des effectifs
déclarés à l’autorité administrative pour le calcul des attributions de
prélèvements. Cette dernière n’est pas directement en cause. Les chasseurs et les
gardes qui lui déclarent les chiffres ont longtemps ignoré ou négligé le décalage
important entre l’observabilité des chevreuils et leur densité réelle. Ainsi lorsque
l’on compte un seul chevreuil à l’heure de marche, la densité sur le terrain peut
se situer entre 1 à 20 sujets aux 100 hectares. Et lorsqu’on en dénombre 12, elle
peut être de 60. Marge d’erreur suffisante pour invalider les déclarations
d’effectifs.

           Observabilité des chevreuils en fonction de leur densité

Il s’en est suivi des plans de chasse conservateurs. Soit, par exemple, une densité
réelle de 36 sujets aux cent hectares. Même un prélèvement annuel en apparence
élevé de 10 chevreuils n’aura aucun effet réducteur si le croît annuel est d’un
tiers, c'est-à-dire de 12 sujets. La population continuera à s’accroître. Le
décalage par rapport à la réalité s’avère couramment plus flagrant. Il est
23

aujourd’hui vérifié et admis que la sous-estimation des recensements de
chevreuils peut aller de 100 à 600 %.

En Europe de l’Ouest, on en arrive à des densités insoupçonnées du public et des
chasseurs mais authentifiées par certains organismes de recherche :
      - de 50 à 71 aux 100 ha comme au Danemark, en Pologne et en
Angleterre, ce qui correspond à 1,4 à 2 hectares par chevreuil ;
      - et que dire de ce terrain militaire britannique de 364 hectares de dunes,
de buissons et de bosquets où les gardes recensaient un effectif de 35
chevreuils ? Des comptages par hélicoptères répétés six années de suite en
révélèrent de 180 à 200 !

Ce conservatisme arrange bien des chasseurs. Sans se préoccuper des
répercussions sur la régénération de la forêt, ils se satisfont d’avoir assez de
chevreuils à tirer pour occuper la saison de chasse et rentabiliser le prix de
location d’un territoire. Consumérisme à courte vue. Beaucoup de forestiers
qualifient cette insouciance de cynisme cynégétique. Car à la longue, ces
situations peuvent devenir économiquement inacceptables. Alors que faire ?

Rétablir l’harmonie entre forêt et chevreuils : un art et une nécessité

Misérable tableau que cette forêt surpeuplée traitée en futaie régulière, au sol
désertifié, aux plantations et régénérations protégées par des clôtures tandis que
le poids, la taille et la fécondité des chevreuils sont au plus bas. Pour remonter
leur qualité, la première chose à faire, pense–t–on, serait d’améliorer leur habitat
en le modifiant en leur faveur : diversifier le peuplement forestier, l’éclairer par
des trouées, rétablir la strate herbacée et arbustive et la régénération naturelle.
Voeu pieux tant que la pression de ces herbivores sur le milieu n’est pas réduite.

Le seul moyen d’y arriver consiste à intervenir sur l’effectif de population de
façon non pas progressive mais immédiate, massive et soutenue durant des
années. En somme, frapper fort et longtemps. A savoir : augmenter le
prélèvement annuel non pas de 10, 15 ou 20 % - ce qui serait aussitôt compensé
par la même proportion de survies des faons – mais de 100, 300, 500 % l’an et
de façon prolongée. Cela peut justifier des plans de chasse de 20 chevreuils et
plus aux cent hectares.

Les causes d’échec de l’intervention sont de deux ordres :
- soit le prélèvement a été numériquement insuffisant (en dessous du croît
annuel d’effectifs sous-estimés),
- soit il a été insuffisamment soutenu.
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            Pour restaurer une forêt dégradée par les chevreuils,
                 commencer par un prélèvement de masse

                    Penser en stratège, agir en primitif

La peur de frapper trop fort est compréhensible surtout quand on ignore la
densité réelle des chevreuils. Cette peur est sans objet. La résilience des effectifs
d’une population de chevreuils est si rapide qu’il est bien plus risqué de ne pas
prélever assez que de le faire trop.

Plutôt que de se baser sur un calcul rationnel mais inexact, le prélèvement se
guidera de façon pragmatique sur le modèle aujourd’hui connu d’évolution de la
productivité d’une population de chevreuils. C’est plus simple qu’il ne le parait.
25

A surface constante, variation de l’accroissement annuel en
fonction des effectifs d’une population de chevreuils

Cette courbe des potentialités d’une population en relation avec son milieu de
vie (McCullough, 1979) mérite une explication : l’accroissement annuel
commence par augmenter, culmine puis se réduit sous l’effet de la pression sur
le milieu végétal

On voit clairement que la productivité annuelle d’un effectif de 60 chevreuils
vigoureux et féconds peut égaler celle d’un effectif de 140 animaux chétifs et
peu féconds. Sans viser à la productivité maximale - qui peut s’accompagner de
dégâts à la végétation - le chasseur aménageur fait bouger le curseur sur la
branche gauche de la courbe en recherchant la productivité optimale compatible
avec la régénération naturelle du peuplement forestier local. Les sociétaires y
trouveront leur intérêt car à effectif réduit, des chevreuils devenus plus grands
et mieux coiffés leur procureront autant d’occasions de tir que de chétifs
chevreuils surabondants.

Telle est une des clés de l’aménagement intégré forêt -chevreuils.
26

Le facteur temps

On ne corrige pas des décennies d’incurie en à peine un ou deux ans. Les étages
herbacé et arbustif de la forêt mettent des années à se reconstituer. En sol acide
par exemple, le manteau de bruyère callune et de myrtille, cette provende
d’hiver, ne retrouvera pas de sitôt son épaisseur car ce sont de petits ligneux à
pousse lente ; le nard raide, un « refus », concurrence les espèces appétentes. En
terrain calcaire, la raréfaction de la ronce et du framboisier, l’envahissement par
de la fougère aigle signent le surpâturage.

Du côté des chevreuils, il y a souvent un décalage de 4 à 5 ans entre le début
d’une majoration significative du plan de chasse et celui de leur réponse
corporelle. En effet, une population de chevreuils se renouvelle de 25 % par an.
Autrement dit, elle met environ 4 ans à se renouveler complètement. La
population étant purgée de ses sujets défectueux, ce n’est qu’au bout de ce délai
que s’amorce l’augmentation du poids moyen des yearlings (quelques centaines
de grammes) et de leur taille (quelques millimètres de longueur de mâchoire).
Par contre, la fécondité des chevrettes adultes (nombre de corps jaunes) réagit
vite à la diminution de la pression sur la végétation ambiante. Voilà pourquoi la
majoration du prélèvement annuel doit être maintenue de façon soutenue.

Forêt et chevreuils forment un couple. Or un couple ne peut durer de façon
harmonieuse que si chacun de ses partenaires tient compte du rythme de vie de
l’autre et s’y adapte. Il y a risque de divorce quand la régénération naturelle se
fait mal tandis que les animaux deviennent des crevures. L’aménageur joue le
rôle de l’entremetteur, du coach dirait-on aujourd’hui, qui va les relancer sur la
voie de l’harmonie.

Le pas de temps du cycle évolutif est le siècle pour un peuplement d’arbres et la
décennie pour une population de Cervidés. Divers stades évolutifs de la forêt
peuvent supporter différentes densités de chevreuils. Tout l’art consiste à faire
coïncider l’un et l’autre de ces cycles asynchrones à une époque donnée. C’est la
recherche – non pas d’un illusoire équilibre – mais d’une harmonie évolutive
faune- flore, art d’un aménagement périodiquement réajusté de l’écosystème
dont le chasseur est un élément actif.

 L’harmonie est prise ici dans son acception musicale qui est l’accord entre deux
notes de longueur d’onde différente. Harmonie évolutive : de l’enchaînement de
ces accords résulte une mélodie. Pour qu’il y ait musique, il faut qu’il y ait un
instrument et un musicien. L’instrument, c’est l’écosystème et le musicien, c’est
l’aménageur, tantôt chasseur, tantôt forestier. Voyons en quelques exemples.
27

                        VI. DES CAS CONCRETS

1. Régulation naturelle en Sibérie orientale : le chaos

Facteurs limitants du chevreuil de Sibérie Capreolus pygargus :
- un climat contrasté : de + 40° en été à - 40° en hiver,
- une vague de froid # tous les 15 ans, qui tue 80 % des effectifs,
- des épisodes assez rares de neige épaisse pendant lesquels le loup soustrait
environ 30 % de la population et le lynx, jusqu’à 80 %,
- à quoi s’ajoute le braconnage à proximité des agglomérations et des camps
militaires frontaliers avec la Chine.

Moyens de survie :
- plus grand et plus haut sur pattes que le chevreuil d’Europe,
- migrations en foule de printemps et d’automne de # 200 km entre résidences
d’hiver et d’été pour l’alimentation,
- dispersion à très faible densité (1/1000 ha en Russie, 15/1000 ha en Chine et
25/1000 ha en Mongolie) rendant la prédation problématique,
- forte dynamique permettant la résilience rapide des populations raréfiées.
En résumé : des fluctuations d’effectifs irrégulières et de grande amplitude.

2. Quand le cerf élimine le chevreuil en Mongolie

Le Maral Cervus elaphus canadensis a été introduit dans la réserve de Bogdo
Ula (200000 ha). Il a suffi que sa densité atteigne de 8 à 9 individus aux 100 ha
pour que le chevreuil, très abondant en 1920, finisse par disparaître en 1980.

En forêt, le cerf est pour le chevreuil un redoutable concurrent alimentaire :
- son horizon de broutage dépasse de haut celui du chevreuil,
- grégaire et non sélectif, il consomme tout ce qui lui tombe sous la dent (de 15
à 30 kg par individu et par jour),
- les densités de cerf rencontrées en France pèsent lourdement sur la qualité et la
quantité des chevreuils.
Vue sous cet angle, la meilleure densité de cerfs serait la densité zéro.

3. Gestion sans comptages en Alsace : une première en France

Forêt des établissements De Dietrich, 4600 ha, Vosges du Nord. (Bas Rhin).
Parce que les propriétaires trouvaient les chevreuils « de plus en plus petits et de
moins en moins nombreux », l’auteur fut sollicité en 1982 pour remédier à une
situation de discordance extrême entre la forêt et les chevreuils. Le forestier
Brice de Turckheim souhaitait engager une sylviculture dite proche de la nature.
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Etat des lieux :
Blocs de futaie régulière équienne monospécifique de pin, chêne et hêtre.
Traitement en régénération artificielle clôturée. Au sol, absence quasi totale de
végétation d’accompagnement. Une pépinière de 20 ha pour les plantations.

Etat des chevreuils :
- adultes mâles : 14 kg vidés, lmi 153 mm ; femelles : 13 kg, lmi 151mm, 0,8
corps jaunes.
- yearlings femelles : 10 kg et parfois 6 ou 7 ; lmi 142 mm.
- depuis une décennie, prélèvement annuel : 1,3 aux 100 ha et tir sélectif
« améliorateur de la race » basé sur l’aspect des bois des mâles. Affouragement
hivernal et cultures à gibier.

Mesures prises (grâce à un appui ministériel) :
- augmentation immédiate de 500 % d’un prélèvement aléatoire annuel des
chevreuils soutenu pendant 8 ans comprenant l’élimination du premier cerf venu
(converti en unités-chevreuil) quel que soient le sexe et l’âge ;
- suppression des postes d’affouragement et des clôtures des plantations ;
- enregistrement des poids vidés, des lmi et des corps jaunes de trois classe
d’âge : faons, yearlings et adultes, par les quatre gardes forestiers-chasseurs.
En France, une augmentation aussi massive du prélèvement annuel se heurte
souvent à la réticence des commissions départementales de concertation. Hélas !

Résultats sur les chevreuils en 8 ans :
- la proportion de jeunes passe de 20 % à 65 % ;
- celle des corps jaunes passe 0,8 à 1,8 chez les femelles adultes mais ne
progresse pas chez les yearlings ;
- la survie des faons est multipliée par 3 ;
- chez les femelles yearlings les poids augmentent de 2,8 kg et les lmi, de 6 mm
mais ces données ne progressent pas chez les femelles adultes.
Interprétation : chez les adultes à croissance achevée, le supplément d’énergie
alimentaire fourni par la réduction des effectifs a été orienté vers la fécondité.
Chez les yearlings trop légères pour être fertiles, il l’a été vers la croissance.

Résultats sur la forêt :
- gains en frais de culture et d’exploitation (entre ¼ et ½ million d’euros par an);
- réapparition de la végétation d’accompagnement (ronce et framboisier) ;
- régénération spontanée possible hors clôture : la pépinière n’est plus utile ;
- conversion de l’ensemble du domaine en futaie irrégulière mixte avec
régénération naturelle sous ombre et production de gros bois de qualité.

Visites sur le domaine de forestiers et de biologistes du grand gibier allemands,
anglais, danois et suisses.
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