Le secteur de la construction navale militaire allemande : un bateau ivre ? - FRS
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Le secteur de la construction navale militaire allemande : un bateau ivre ? Trois récentes annonces ont fait l’effet d’un coup de ton- Le visage de la construction navale allemande a aussi changé. nerre : 1/ en mars 2018, l’éviction du consortium thys- Si un mouvement de concentration s’est opéré autour des senkrupp Marine Systems (TKMS)/Lürssen de l’appel d’offres chantiers Meyer (Papenburg, ~3.800 personnes), spécialisés pour les bâtiments de combat multi-rôles Mehrz- dans les paquebots, plusieurs acteurs majeurs du secteur weckkampfschiff MKS180 destinés à la marine allemande, 2/ sont aussi passés sous pavillon étranger. C’est, entre autres, quelques semaines plus tard, les rumeurs d’une cession des le cas des chantiers Lloyd Werft Bremerhaven (Bremerhaven) activités navales de thyssenkrupp (TK), enfin 3/en août der- et Nordic Yards (Wismar, Rostock, Stralsund, évoluant désor- nier, l’accord de coopération entre German Naval Yards Kiel mais sous le nom de MV Werften) rachetés, respectivement, (GNYK) et TKMS sur le programme MKS180. Ces événements en 2015 et 2016 par Genting Hong Kong. Flensburger appellent une triple interrogation : comment se structure le Schiffbau (Flensburg), qui avait, par le passé, participé à la paysage de la construction navale militaire en Allemagne ? construction de ravitailleurs polyvalents et de pétroliers pour Quelle influence exerce l’Etat allemand sur ce secteur d’acti- la Deutsche Marine, a été repris en 2014 par les Norvégiens vités ? Un échelon programmatique peut-il avoir un impact de Siem Industries. aussi important sur le niveau sectoriel ? Le segment naval militaire (conception, construction, répara- Le présent article, qui s’appuie sur plusieurs entretiens con- tions, maintenance, refit et logistique) représente, pour sa duits entre août et septembre 2018 auprès d’acteurs poli- part, un CA de plus d’un milliard d’euros, réalisé à plus de tiques, économiques et administratifs allemands, se propose 70% sur le marché international2. Si le domaine de la répara- d’y répondre en remettant en perspective les évolutions du tion demeure particulièrement dispersé, le secteur de la secteur (acteurs et gouvernance) et les interactions entre les construction navale, qui a aussi subi au cours des dernières dimensions industrielle et politique. années des bouleversements suite à des opérations de ra- chat et de cession, concerne actuellement cinq entreprises. Etat des lieux d’un secteur en constante mutation Celles-ci se caractérisent par un portefeuille d’activités dual Caractéristiques générales et un profil de plate-formistes intégrateurs sur le segment L’économie maritime allemande pèse près de 50 milliards de des bâtiments de surface. TKMS constitue, dans ce paysage, chiffre d’affaires (CA) annuel et compte plus de 400.000 em- une exception notable : systémier au portefeuille exclusive- plois directs et indirects. La construction navale représente, ment militaire et présent tant dans les navires de surface que quant à elle, plus de 500 entreprises, principalement issues les sous-marins conventionnels. du Mittelstand, et 90.000 emplois. Elle affiche un CA de 18 Autre particularité : ce secteur à tendance oligopolistique est milliards d’euros1. Ce secteur a subi une profonde mutation marqué par un système coopératif poussé, qui trouve son au cours des deux dernières décennies. Pour faire face à une expression dans la constitution régulière de consortia dotés concurrence asiatique croissante, il a ainsi délaissé, dès le d’une personnalité juridique et dénommés Arbeitsge- milieu des années 2000, avec une accélération après la crise meinschaften (ARGE), à qui est confiée la réalisation de de 2008, la construction de porte-conteneurs pour se con- grands programmes. Citons, par exemple, la ARGE F125 centrer sur des segments complexes, voire à haute valeur entre Lürssen (20%) et TKMS (80%) ou encore la ARGE pour ajoutée : les bâtiments de croisière, les mega-yachts, les rou- la production des frégates destinées à l’Algérie entre TKMS liers, les ro-pax, les chimiquiers ou méthaniers. Cette évolu- et GNYK. Ces unions d’entreprises permettent aux parties tion la cantonne à une production en petites séries ou à l’éla- prenantes d’organiser contractuellement la répartition des boration de solutions individuelles. Pour préserver une tâches et de garantir un partage des risques, notamment avance technologique, elle a choisi de miser sur le dévelop- financier, sur un projet donné. Elles contribuent ainsi à ré- pement de solutions vertes (« green shipping ») et intelli- duire en Allemagne les effets de concurrence. gentes (« smart ships »). 6
Profil des acteurs de la construction navale militaire en Allemagne Nature du Type de Catégorie portefeuille plateformes Sites Effectifs d’entreprise d’activités militaires réalisées Abeking & Rasmussen Entreprise familiale Chasseurs de mines, Dual Lemwerder 520 Schiffs- und Yachtwerft A.G. (famille Schaedla) patrouilleurs Patrouilleurs, Entreprise familiale Fassmer Group Dual bâtiments de soutien Berne 1 100 (famille Fassmer) médical Frégates, corvettes, Brême, Wilhelmshafen, Fr. Lürssen Werft GmbH & Co. Entreprise familiale patrouilleurs, Hamburg, Wolgast, Dual 2 700 KG (famille Lürssen) chasseurs de mines, Schacht-Audorf, Rends- bâtiments de soutien burg, Lemwerder German Naval Yards Filiale du groupe Dual Frégates, corvettes Kiel, Rendsburg 1 000 Holdings Privinvest Filiale du conglomérat thyssenkrupp AG, qui détient par ailleurs Frégates, corvettes, Kiel, Hambourg, Brême, thyssenkrupp Maritime 100% du capital Défense sous-marins Emden 3 380 Systems GmbH (TKMS) d’Atlas conventionnels Elektronik (Brême, 2 100 personnes) Les principaux acteurs : entre déconsolidation, grecques (Hellenic Shipyards, vendue en 2010 à Abu Dhabi consolidation et affirmation MAR) et suédoise (Kockums, vendue, sous pression de l’Etat TKMS : la mal-aimée, amputée suédois, en 2014 à Saab AB). Il est difficile de comprendre l’état du secteur sans revenir En revanche, TKMS a poursuivi sa stratégie d’intégration ver- sur les développements qu’a connus TKMS depuis une dé- ticale en procédant en 2017 à la reprise de la totalité du capi- cennie. A cet égard, un premier détour par ses relations avec tal d’Atlas Elektronik (Brême), dont 49% étaient encore déte- son actionnaire, thyssenkrupp (TK), s’impose. Depuis les an- nus par Airbus. De plus, ses activités de conception, de pro- nées 2008-2009, la rentabilité de TKMS est régulièrement duction et de réparation de sous-marins, segment sur lequel interrogée par le conglomérat basé à Essen 3. De plus, il est elle anticipait une forte demande internationale d’ici à 2020 reproché à la filiale maritime de ne pas s’intégrer véritable- et qui représente son domaine d’excellence, ont été mainte- ment dans les projets développés pour faire entrer TK dans nues. Elles se déroulent essentiellement sur le site de Kiel- une ère post-acier. Heinrich Hiesinger, PDG de TK de 2011 à Gaarden. 2018, évoquait même la vente de TKMS comme une option Le modèle économique de TKMS basé sur les exportations a stratégique en cours d’évaluation4. La pression sur la cependant connu des turbulences. Outre ses difficultés sur branche navale s’est accentuée avec l’arrivée au capital de certains contrats (retard dans le cas turc, soupçons de cor- TK des investisseurs suédois (Cevian Capital, 2013) et améri- ruption dans le cas israélien), ses positions sur le marché cains (Elliott, printemps 2018)5. La décision, prise en sep- export ont été fragilisées suite à la perte successive de plu- tembre dernier de scinder le conglomérat en deux entre- sieurs appels d’offres majeurs (Inde, Brésil, Australie). La prises (thyssenkrupp Materials AG et thyssenkrupp Indus- concession d’importants transferts de technologies et d’acti- trials AG) et de rattacher TKMS à tk Materials pourrait bien vités à certains partenaires, notamment sud-coréen et turc, être la première étape concrète vers un divorce définitif. est aussi considérée comme un facteur ayant favorisé l’arri- Dans ce contexte tumultueux, la structure de TKMS n’a cessé vée de nouveaux entrants dans la compétition, comme Dae- d’évoluer. L’entreprise s’est ainsi progressivement délestée woo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME). de ses activités de constructions civiles et militaires de sur- Si le contrat singapourien (U218SG) lui a offert un répit, face en vendant les chantiers de Nordseewerke Emden TKMS demeure condamnée par ses choix à évoluer dans le (2010), HDW-Gaarden (Kiel, 2011) et Blohm + Voss Shipyards haut du segment. Elle doit aujourd’hui concrétiser son projet (Hambourg, 2012). Sur le segment des navires de surface, de sous-marins 212CD, proposés à la Norvège et à l’Alle- elle a procédé à un recentrage sur les solutions d’ingénierie. magne. Les atouts de ce bâtiment se situeraient principale- Elle misait sur les seules capacités d’innovation de ses bu- ment dans sa plateforme d’un volume supérieur aux autres reaux d’études, installés à Hambourg, pour augmenter sa produits TKMS, et dans une furtivité améliorée grâce à un présence sur le marché international à moindre frais. Cette design de coque tout en facettes à angles vifs, ainsi que dans réorientation est aujourd’hui contestée pour avoir entraîné une endurance et une vitesse augmentées par un nouveau une perte des savoir-faire de réalisation. Dans un autre mou- système de propulsion. Ce dernier serait, notamment, ali- vement de déconsolidation, TKMS s’est séparé de ses filiales menté grâce à des batteries au lithium-ion6. Un tel projet 7
reste fragilisé par la question des coûts de développement. troisième pilier de la holding. Colocalisé avec les installations On peut dès lors s’interroger : ces derniers s’inscriront-ils de construction sous-marine de TKMS à Kiel-Gaarden, GNYK dans l’épure financière prévue par les Etats norvégien et est le descendant du chantier HDW-Gaarden. Ce dernier allemand ? avait été intégré en 2008 à la branche civile de TKMS, alors baptisée Blohm + Voss Shiphyards and Services GmbH. Il a Le renforcement de Lürssen sur le segment militaire finalement été vendu en 2011 à Abu Dhabi MAR, aujourd’hui A l’inverse, le groupe Lürssen, dont l’activité se partage entre Privinvest. Si HDW-Gaarden était orienté sur les navires mar- une branche « Yacht » et une autre « Defence », s’est impo- chands, les porte-conteneurs et les yachts, le site est mainte- sé, ces dernières années, comme un acteur pivot de la con- nant principalement dédié au segment militaire. Le chantier solidation domestique du secteur naval. Cette entreprise emploie, à ce jour, près de 500 personnes, un chiffre en familiale, basée sur la rive droite du fleuve Weser dans la constante progression. banlieue nord de Brême et partenaire historique incontour- Après une décennie de restructuration, GNYH développe une nable des forces navales allemandes depuis la Première stratégie de croissance destinée à étoffer ses capacités dans Guerre mondiale, a cherché à étendre ses positions, notam- la construction navale militaire. Celle-ci se manifeste non ment sur le segment de la construction et de la réparation seulement par une volonté de spécialisation, qui a amené à militaire dans l’objectif d’aborder sous les meilleures condi- la récente séparation des activités civiles et militaires entre tions un mouvement de consolidation européenne, perçue Nobiskrug et GNYK, mais aussi par un renouvellement d’une comme inéluctable. partie de l’équipe dirigeante. Il convient de retenir l’arrivée La dernière décennie a, en effet, été consacrée à la re- chez GNYK de Jörg Herwig, un homme qui s’était auparavant cherche de la taille critique, et ce par une stratégie de crois- illustré chez TKMS pour sa gestion de projets complexes, en sance externe ciblant des chantiers de la façade maritime remplacement de Susanne Wiegand. Cette dernière a, au allemande : demeurant, également réalisé une partie de sa carrière chez Neue Jade-Werft (Wilhelmshafen, Basse-Saxe; ~100 TK. personnes) en 2004 (réparation et refit) Dans ce contexte, GNYK a exprimé de nouvelles ambitions. Norderwerft (Hambourg; ~100 personnes) en 2012 Jusqu’alors essentiellement adossé à TKMS, qui lui avait con- (réparation) fié en sous-traitance la réalisation d’une partie ou de l’inté- Peene-Werft (Wolgast, Mecklenburg-Poméranie anté- gralité de certains contrats7, le chantier compte faire usage rieure ; ~300 personnes) en 2013 (construction ; en de ses imposantes installations8 dans la baie de Kiel pour particulier, réalisation de coques) devenir entrepreneur principal. L’intention de l’Etat alle- Blohm + Voss (Hambourg ; ~650 personnes) en 2016 mand d’attribuer, sans appel d’offres, la construction du deu- (refit de yachts et construction militaire ; en particulier, xième lot de corvettes K130 lui a fourni une première oppor- intégration de systèmes). tunité pour contester la domination du marché domestique Grâce à ces opérations, Lürssen a pu étendre ses capacités par TKMS et Lürssen et devenir un interlocuteur à part en- de production et s’implanter sur des sites à forte notoriété, tière du ministère fédéral de la Défense. Sur les bancs des comme Blohm + Voss, ou à moindre coût. A ce titre, sa pré- tribunaux, GNYK a ainsi gagné, au printemps 2017, une posi- sence à Wolgast n’est ainsi pas le fruit du hasard ; elle lui tion de co-traitant dans la ARGE dédiée au projet, se plaçant permet de s’épargner des relations de sous-traitance et dans le schéma industriel sur un pied d’égalité avec ses deux d’afficher une production « made in Germany » tout en bé- concurrents nationaux. Retenu pour la dernière étape de néficiant des conditions salariales favorables offertes par la l’appel d’offres pour le programme allemand MKS180, GNYK proximité avec la frontière polonaise. a franchi une étape supplémentaire dans sa stratégie. Son La pérennité de cette stratégie reste toutefois soumise à point faible demeure, néanmoins, les capacités de concep- deux conditions : d’une part, son maintien dans la course des tion, qui le rendent dépendant des partenariats conclus avec grands programmes allemands, à l’image des contrats pour d’autres entreprises, Alion ou TKMS notamment, à l’heure un deuxième lot de corvettes K130, qui pèse particulière- où le secteur de la construction navale reste peu attractif sur ment pour l’avenir du chantier Blohm + Voss, et pour les bâ- le marché du travail allemand. timents MKS180 ; d’autre part, sa capacité d’export, qui lui impose de composer avec le discours gouvernemental res- Privinvest trictif et avec les exigences croissantes de contenu local. Président-directeur général : Iskandar Safa. German Naval Yards : le phénix de Kiel ? Filiales en France (Chantiers Mécaniques de Normandie), en German Naval Yards Holdings (GNYH), propriété de Privin- Allemagne (German Naval Yards Holdings réunissant les chan- tiers Nobiskrug, Lindenau et German Naval Yards Kiel), au vest, détient trois chantiers. Nobiskrug, spécialisé sur le seg- Royaume-Uni (Isherwoods), en Grèce (Hellenic Shipyards) et ment des yachts de luxe, est basé à Rendsburg. Il a été repris aux Emirats Arabes Unis (Abu Dhabi MAR). en 2009 à Eagle River Capital LTD, qui en avait, lui-même, fait Segments d’activités : navires militaires, superyachts, navires l’acquisition en 2007 suite à sa cession par TKMS (alors HDW- de commerce, systèmes de surveillance intégrée et de pro- Nobiskrug). Le second, basé à Kiel-Friedrichsort, a été acquis tection. en 2013 auprès de la famille Lindenau et est principalement consacré aux activités de réparation. GNYK forme le 8
La construction navale militaire et le système d’autre part, l’affaissement de la coordination horizontale, le institutionnel allemand tout sur fond de vive contestation du fédéralisme coopératif L’analyse ne peut se limiter aux seuls opérateurs privés. La par les Länder riches du sud de l’Allemagne11. Dans ce con- dynamique du secteur est, en effet, intrinsèquement liée à texte, l’élaboration d’un consensus interrégional sur une des institutions politiques qui participent à sa gouvernance, à politique sectorielle qui concerne principalement le nord du différentes échelles et selon des degrés d’influence variés. La pays devient ardue. Les particularismes économiques régio- construction navale militaire, à la confluence de plusieurs naux sont ainsi mis en concurrence. Le pilotage du politiques publiques, fait ainsi intervenir une diversité d’ac- « Masterplan » sur les technologies maritimes (Nationaler teurs politico-administratifs. Masterplan Maritime Technologien) en est une illustration flagrante puisqu’elle n’associe que les Länder disposant Les acteurs étatiques d’une façade maritime12. Au niveau fédéral, elle mobilise plusieurs ministères Sans nier les progrès accomplis dans le dialogue entre les (Défense, Economie et énergie, Formation et recherche, Fi- ministères fédéraux de l’Economie et de la Défense, attestés nances, Transports et infrastructures numériques9), le coor- par l’existence d’une stratégie gouvernementale pour le ren- dinateur maritime du Gouvernement fédéral ainsi que le forcement de l’industrie de défense en Allemagne13, une Bundestag dans la mesure où le parlementarisme allemand seule catégorie d’acteurs dispose aujourd’hui d’une capacité lui accorde de codiriger les politiques publiques. Le niveau à pouvoir se constituer en pôle d’articulation des positions infra-étatique, impliqué en raison de l’entrelacement du fé- locales et fédérales, et des préoccupations économiques et déral et du fédéré (Politikverflechtung) sur les domaines de stratégiques : les parlementaires originaires des Länder du législation concurrente (compétence législative partagée nord et siégeant dans les commissions de la Défense ou du entre la Fédération (Bund) et les 16 Länder)10, fait principale- Budget du Bundestag. L’exemple le plus récent provient des ment intervenir les gouvernements et parlements régionaux députés Johannes Kahrs (SPD, Hambourg) et Eckhardt des littoraux des mers du Nord et baltique (Hambourg, Basse Rehberg (CDU, Mecklenburg-Poméranie antérieure) qui ont -Saxe, Schleswig-Holstein, Brême, et Mecklenburg- œuvré, à l’automne 2016, à l’acquisition d’un deuxième lot Poméranie antérieure), par ailleurs représentés au Bunde- de corvettes K130, servant ainsi leurs clientèles électorale et srat. administrative. Ce rôle reste néanmoins instable car tribu- Chacun concourt, dans le périmètre de ses attributions, à la taire de la composition de l’arène parlementaire et liée à prise de décision. Ainsi, alors qu’une majorité des institutions l’implication et à la détermination de personnalités indivi- parties prenantes du processus est guidée par une préoccu- duelles. pation fonctionnelle pour les aspects territoriaux, écono- Les formes du besoin d’Etat miques et sociaux de la construction navale militaire, la no- tion de Standort (site de production) ne trouve pas réelle- Dans cette configuration générale et bien que le besoin ment de résonance dans le discours du ministère fédéral de d’Etat soit régulièrement mis à l’agenda, un accord sur les la Défense. Celui-ci cherche, en termes de politique indus- termes précis de l’interventionnisme étatique dans le do- trielle d’armement, à faire prévaloir son intérêt pour trois maine de la construction navale militaire s’avère difficile. En dimensions : la sécurité d’approvisionnement des matériels l’occurrence, ce sont moins les moyens que les objectifs et ou composants, la préservation d’une avance technologique, cibles d’une politique de soutien qui font débat. Une inter- vue comme un atout sur le champ de bataille, ainsi que le vention indirecte sur le secteur par un contrôle des investis- maintien de la capacité allemande de coopération au travers sements étrangers, les commandes publiques, les incitations d’une base industrielle performante. à l’innovation ou l’accompagnement à l’export (allant de la meilleure prise en compte des besoins de coopération mili- Les interactions étatiques taire des clients à la mise en place d’accords intergouverne- Le portage politique est non seulement déconcentré, mais mentaux) semble faire consensus. Plusieurs décisions en aussi non stabilisé et compartimenté. Si les attitudes sont attestent : l’appui déployé à l’exportation de sous-marins en nécessairement interdépendantes, l’espace de concertation Israël (prise en charge d’une partie de la commande) comme et de coordination est limité, voire entravé. Cet état de fait en Norvège (partenariat stratégique, commande de deux tient, en premier lieu, au Ressortprinzip qui consacre l’auto- sous-marins pour la Deutsche Marine, déplacement du mi- nomie de chaque ministre sur son département ministériel. nistre-président du Schleswig-Holstein) ou encore l’attribu- Ce principe, conforté par une répartition partisane des tion de financements pour des programmes de recherche postes au sein des coalitions gouvernementales, n’encourage tels que le Large Modifiable Unterwater Mothership 14. L’effet pas les interactions directes entre l’ensemble des acteurs de repoussoir que provoque l’industrie de défense auprès de la problématique navale et, en l’absence de relations hiérar- l’opinion publique semble, à cet égard, avoir une prise limi- chiques, autorise les solutions unilatérales. tée dans le domaine naval. Les évolutions du fonctionnement du fédéralisme allemand Les termes de la discussion portent en réalité sur les objectifs entrent également en ligne de compte. A cet égard, il im- et finalités d’une plus importante prise en considération du porte particulièrement de garder en tête les dynamiques secteur au niveau étatique. Une comparaison entre l’Agenda communes à l’aménagement du territoire (Raumordnung), à maritime 202515 et la Stratégie gouvernementale pour le la politique régionale (Regionalpolitik) et à la redistribution renforcement de l’industrie de défense en Allemagne laisse fiscale : d’une part, la régionalisation des approches, et, apparaître, au sein de l’Etat allemand, deux options de cahier 9
La Deutsche Marine et ses capacités en bref de la Défense à faire évoluer la liste en ce sens, le sujet de- Effectifs vrait être évoqué lors de la prochaine conférence maritime 16.300 femmes et hommes nationale (Nationale Maritime Konferenz) qui se tiendra en 2019 à Duisburg, et pourrait alors faire l’objet d’un nouvel Principales plateformes en service arbitrage politique. Ce dernier pourrait proposer une lecture 6 sous-marins d’attaque type U212A 2 frégates de la classe Bremen (F122, retrait du service prévu extensive de la compétence intégratrice, évoquée en petits entre 2019 et 2021), 4 F123 (classe Brandenburg, retrait du ser- caractères dans le tableau des technologies de la stratégie de vice prévu à horizon 2027-2030), 3 F124 (classe Sachsen) 201521. 5 corvettes de classe Braunschweig Le cas MKS180 10 chasseurs de mines de classe Frankenthal, 2 dragueurs de mines de classe Ensdorf En apparence, le schéma de fonctionnement du jeu institu- 6 ravitailleurs de classe Elbe, 3 ravitailleurs de classe Berlin, 1 tionnel allemand ne permet pas de faire émerger une véri- pétrolier de classe Rhön table figure d’arbitre, aucun acteur ne disposant d’une posi- Principaux bâtiments en cours de construction, d’essais ou pla- tion dominante sur le secteur. Pourtant, l’adoption d’une nifiés nouvelle procédure d’acquisition pour un matériel majeur, 2 212CD (coopération avec la Norvège), 4 F125 (classe Baden- les MKS180, a partiellement modifié la donne. Württemberg, acceptation de la livraison prévue pour le 1er tri- mestre 2019), 4 MKS 180 (entrée en service du FoC prévue pour Les caractéristiques du programme 2023, option d’achat pour 2 unités supplémentaires), 5 K130 Le MKS 180, qui s’intégrait initialement dans la transforma- deuxième lot tion de la Bundeswehr en armée d’intervention (Armee im Einsatz), a été conceptualisé comme un bâtiment de combat des charges différentes et l’absence d’ajustement entre les flexible, polyvalent, hautement mobile et, dans le prolonge- dimensions stratégiques, économiques et sociales de la ment des frégates F125, déployable pour de longues pé- problématique : l’une axée sur le tout-innovation en vue de riodes (jusqu’à 24 mois) avec la mise en place d’équipages garantir la compétitivité et l’emploi chez les industriels alle- roulants (Mehrbesatzungsmodell). Véritable factotum de la mands, l’autre identifiant la fragmentation de l’industrie de Deutsche Marine, il doit pouvoir assurer des missions allant défense européenne, notamment du secteur naval, comme de la présence dissuasive à la collecte de renseignements, en le nœud du problème de la compétitivité des industriels et passant par la poursuite d’actions de combat, l’aide humani- du développement de programmes d’armement rentables taire, l’affirmation du principe de la liberté des mers, les opé- pour les Etats européens16. La seconde se contente, toute- rations d’évacuation, le contrôle d’embargo ou la conduite fois, de suggérer aux industriels l’intelligence d’une initiative d’opérations maritimes ou, de manière limitée, interarmées de consolidation nationale ou européenne. En laissant à ces dans un cadre multinational. Son architecture doit ainsi ga- derniers le soin de s’organiser entre eux, le gouvernement rantir un pont d’envol pour hélicoptères et drones, un han- fédéral donne à penser qu’il se juge illégitime à endosser une gar pour stocker ces derniers, des ateliers d’entretien et de responsabilité directrice en la matière et, de fait, échoue à maintenance, et un hôpital embarqué. Le concept de modu- requalifier l’enjeu de la consolidation dans des termes rele- larité lui permet d’élargir temporairement ses capacités vant de sa compétence. Il justifie, par la même occasion, grâce, notamment, à des modules de guerre électronique, de l’échec des tentatives gouvernementales passées à restruc- lutte anti-sous-marine, de guerre des mines, d’embarque- turer le secteur naval17. ment de commandos pour mener des actions à partir de la L’identification des technologies de souveraineté nationale, mer ou de détection de plongeurs ou nageurs de combat. autrement dénommées deutsche Schlüsseltechnologie 18, Les étapes – clés de l’appel d’offres MKS180 constitue un autre objet de controverse. Le document fédé- ral de 2015 avait choisi de ne retenir que la filière de la cons- Juillet 2015 : Lancement de l’appel d’offres européen truction sous-marine dans cette catégorie. Le ministère de la Automne 2015 : Demande de participation de six potentiels Défense estimait la maîtrise de celle des bâtiments de sur- soumissionnaires : GNYK/BAE Systems, Lürssen/tkMS, Da- face moins exigeante et percevait un nombre suffisamment men/Blohm+Voss, DCNS, Fincantieri, Navantia. élevé de fournisseurs pour que les intérêts allemands ne Mai 2016 : Dépôt de la première offre de trois consortia : soient pas mis en péril. La pertinence de cette différence de GNYK/BAE Systems, Lürssen/tkMS, Damen/Blohm+Voss. traitement entre les deux filières est cependant régulière- Courant 2017 : Retrait de la compétition de BAE Systems. Décembre 2017 : Dépôt de la deuxième offre. ment remise en cause, non seulement par les industriels et Mars 2018 : Exclusion du consortium Lürssen/tkMS à l’is- les organisations professionnelles et syndicales, mais aussi sue de la deuxième phase de négociations. par d’autres acteurs étatiques, à commencer par le ministère Août 2018 : Annonce d’un accord de coopération entre fédéral de l’Economie et les députés de la majorité19. Une GNYK et tkMS, qui devient sous-traitant du premier. manifestation de cette contestation est apparue dans la par- Automne 2018 : Demande d’introduction de la meilleure tie dédiée à l’économie du dernier contrat de coalition fédé- offre finale. rale : « nous catégoriserons la construction de bâtiments de Avant l’été 2019 : Soumission au Bundestag du projet de surface comme une technologie clé allemande contrat final et d’une proposition de décision d’attribution [traduction] »20. Malgré les réticences du ministère fédéral du marché. 10
A l’origine prévu en remplacement des patrouilleurs lance- soit de manière épisodique sous le mandat de Thomas de missiles Gepard – sortis du service en 2016 – , le programme Maizière (MEADS, Eurohawk) et, de façon plus systématique, est désormais aussi appelé à régler la succession des frégates sous Ursula von der Leyen. Cette dernière a, en effet, peu de classe Brandenburg (F123), qui devraient être désarmées après sa nomination, commandé une revue de programmes. à la fin de la prochaine décennie et, en complément des fré- Le diagnostic posé par KPMG, P3 Group et TaylorWessing en gates F125, celle des deux dernières frégates de classe Bre- septembre 2014 était implacable : le ministère y apparaît men (F122), dont le retrait du service est fixé à la période comme un piètre pouvoir adjudicateur, trop faible pour faire 2019-2021. Après avoir envisagé jusqu’à la réforme de la respecter ses objectifs financiers, calendaires et techniques Bundeswehr de 2011 une acquisition de huit navires, le mi- dans son dialogue avec l’industrie. En cause, principalement : nistère ne prévoit plus qu’une commande de quatre bâti- son manque de réalisme, son imprécision et sa vulnérabilité ments, avec une option d’achat pour deux unités supplémen- à l’influence des groupes d’intérêts. L’examen du programme taires. L’arrivée du premier bâtiment de la classe est es- pour les frégates F125 révélait, quant à lui, une opacité dans comptée pour 202322. la gestion du projet ; en outre, un important retard dans la Ce programme est dimensionnant et emblématique à plus livraison du premier bâtiment de la classe et une augmenta- d’un titre : son coût, évalué à 5,138 milliards d’euros23, en tion des coûts y étaient anticipés. fait aujourd’hui le programme le plus onéreux de l’histoire L’audit réalisé par le consortium privé ne s’arrêtait pas là : il de la Deutsche Marine. Il dispose d’un effet levier à l’export formulait des préconisations insistant sur l’importance de puisque les commandes de la Deutsche Marine constituent, mettre en place une stratégie nationale, autrement dit inter- selon plusieurs acteurs industriels allemands, la référence ministérielle, en matière d’acquisition d’armement ainsi que pour leurs marchés d’exportation ; la procédure d’acquisition sur l’exigence d’efficacité, de transparence des processus et retenue est inédite pour un programme de cette ampleur 24. de concurrence26. Celles-ci ont constitué la base de l’Agenda Pour la première fois, l’Allemagne a choisi d’ouvrir à la con- armement (Agenda Rüstung), initié sous l’ère de la secrétaire currence internationale un marché d’acquisition en lançant d’Etat Katrin Suder (2014-2018). un appel d’offres européen. La décision a été annoncée par C’est cette même rhétorique néo-managériale qui a légitimé la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, le 9 juin le recours à un appel d’offres européen pour l’acquisition des 2015. Dans la foulée, un avis de marché a été publié le 16 MKS180. Transparence et mise en concurrence deviennent juillet 2015 sur la plateforme des marchés publics de la Fédé- les premiers qualificatifs employés pour caractériser cette ration e-Vergabe et le 18 juillet 2015 sur la base européenne procédure. Cela transparaît dès le discours de la ministre du en ligne TED. Dans ce cadre, l’Allemagne a officialisé son sou- 9 juin 201527, puis se trouve martelé dans l’ensemble des hait de mettre en œuvre une procédure négociée 25. Trois ans documents officiels ayant trait au sujet, en particulier les plus tard, les soumissionnaires encore en lice, à savoir GNYK rapports d’étape sur les affaires d’armement (Bericht des en coopération avec TKMS et le consortium des chantiers Verteidigungsministeriums zu Rüstungsangelegenheiten). néerlandais Damen et allemand Blohm+Voss, devraient être autorisés, dans les semaines à venir, à introduire leur meil- Plus encore, le programme MKS180 est devenu le symbole leure offre finale (Best and Final Offer). La décision d’attribu- d’une manière de faire de la politique d’acquisition tion de ce marché n’est, quant à elle, pas attendue avant le « autrement », selon une méthodologie considérée comme printemps 2019. plus moderne et garantissant une gestion vertueuse des de- niers publics28 : la position de négociation du ministère se Les soubassements de l’appel d’offres européen trouverait renforcée grâce à un rééquilibrage des liens Etat- De nombreux observateurs issus des sphères administrative, industrie29, lui-même rendu possible par la mise à distance parlementaire ou industrielle allemandes s’accordent pour des industriels et de leurs alliés gouvernementaux. Dans ce analyser la décision de ne pas s’abriter derrière l’article 346 contexte, seuls les objectifs militaires et les principes d’effi- du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne cacité économique semblent importer, donnant corps à la (TFUE) et de jouer le jeu de la directive Défense 2009/81/CE revendication des partenaires de coalition formulés en 2013 : comme le signe d’une volonté de la ministre de faire figure « La Bundeswehr achète ce dont elle a besoin et non ce qui de « bonne élève » de la libéralisation des marchés de dé- lui est proposé [traduction] »30. L’acquisition d’armement est fense européens. Il est vrai que le lancement de cet appel alors présentée comme un processus purement bureaucra- d’offres européen peut être envisagé comme une étape dans tique, un exercice apparemment neutre car non soumis aux la démonstration de l’engagement de la ministre et de l’Alle- pressions politiques et centré sur des critères fonctionnels et magne en faveur d’une Union européenne de défense gestionnaires. (Europäische Verteidigungsunion). Les premiers effets observés Plus encore, le choix d’une telle procédure a marqué le sou- Bien que le marché des MKS180 ne soit pas encore attribué, hait d’introduire une brèche dans la politique d’acquisition plusieurs effets peuvent déjà être observés. Le premier du ministère et de faire évoluer les cadres d’action. A cet d’entre eux porte sur les modes d’acquisition de biens de égard, il convient de s’attarder sur les conditions dans défense. A cet égard, l’appel d’offres européen apparaît lesquelles est intervenue la décision. Pour y parvenir, il faut maintenant comme une mesure d’expérimentation peu à revenir sur la mise en lumière d’anomalies dans la gestion de même de neutraliser un retour au fonctionnement antérieur programmes majeurs d’armement de la Bundeswehr, que ce et donc porteuse d’inertie. 11
Il convient ainsi de remarquer qu’il constitue toujours un qui améliorerait significativement les performances finan- modèle isolé dans l’acquisition d’équipements majeurs du cières de TKMS et modifierait la grille de lecture des action- ministère de la Défense. Le fait même qu’une application du naires de la TK, le marché MKS180 devrait effectivement principe de mise en concurrence n’ait pas été véritablement contribuer à déterminer l’évolution du rapport de forces discutée dans le cas de l’acquisition du deuxième lot de cor- entre les industriels. Cela place alors le ministère de la Dé- vettes K130 invite à questionner la crédibilité de la volonté fense en position non pas d’accompagner la restructuration de changement radical de pratique exprimé par l’exécutif de la construction navale militaire, mais de la conduire. La ministériel, tant les deux décisions d’une même équipe sont rhétorique d’une dépolitisation des procédures d’acquisition aux antipodes. Ensuite, alors qu’il ne fait aucun doute que la grâce aux appels d’offres européens s’en trouve ainsi invali- procédure aille jusqu’à son terme, celle-ci a suscité une telle dée. opposition de la part d’acteurs politiques – personnalités Conclusion et scénarii d’avenir issues de l’échelon infra-étatique et parlementaires issus des rangs de la majorité –, économiques et sociaux qu’un con- Le secteur allemand de la construction navale de surface est sensus se dégage en faveur d’une politique d’achat des équi- à l’aune d’une profonde transformation. L’éventail des évo- pements majeurs de défense basée sur l’article 346 du TFUE. lutions possibles est large. Outre le scénario du statu quo La coalition de cause ainsi formée a mis en avant une argu- évoqué précédemment, deux autres grandes options peu- mentation qui peut être résumée de la manière suivante : le vent être esquissées : gouvernement fédéral aurait pris le risque de fragiliser son Une nouvelle assise pour Privinvest en Europe : une vic- industrie nationale et les bassins d’emploi afférents en ou- toire du contrat MKS180 par GNYK constituerait un tour- vrant son marché alors même que les conditions pour une nant pour ce chantier ; dans un même temps, il renforce- compétition européenne n’étaient pas réunies, en raison de rait considérablement les liens avec TKMS. Elle ferait de l’existence de champions nationaux qui provoquerait une Privinvest, qui a déjà manifesté publiquement son inté- distorsion de la concurrence31. rêt33, un interlocuteur naturel du conglomérat d’Essen Si l’appel d’offres européen n’a pas modifié le paradigme dans le cas effectif d’une mise en vente de la branche dominant en matière d’acquisition, il aura joué un rôle déter- surface de TKMS, redevenue attractive depuis la perspec- minant dans la transformation du paysage industriel alle- tive d’une acceptation de la livraison des frégates F125. mand de la construction navale de surface. Ce qui était con- Un tel rapprochement permettrait à GNYK de ne plus être çu comme une mise en concurrence européenne s’est, en dépendant de l’extérieur pour les travaux d’ingénierie34 effet, soldé par une compétition entre industriels nationaux et ainsi de prétendre à une montée en gamme en se pla- qui a déstabilisé l’oligopole en place. çant, à l’échelle européenne, au niveau de Naval Group et de BAE Systems. La procédure a finalement vu s’affronter trois consortiums tout ou partie allemands. Elle a ainsi non seulement mis une La constitution d’une alliance de chantiers nordiques distance entre l’Etat et les industriels nationaux, mais égale- (« Nordallianz ») : Lürssen ne fait pas mystère de sa dis- ment entre les industriels eux-mêmes, contraints de modifier position à jouer un rôle actif dans la consolidation du les positions commerciales habituelles sur le marché domes- secteur, que ce soit en Allemagne ou dans le nord de l’Eu- tique. Il est évident pour les dirigeants de Lürssen et de rope. Dès lors, si Damen et Blohm & Voss remportaient le GNYK que toutes les forces allemandes, que ce soit en marché MKS180, le groupe familial de Brême serait en termes d’ingénierie ou de production, seront requises pour meilleure position pour négocier avec TK. Il pourrait aussi construire les MKS180 dans les délais impartis, à l’instar des sceller la première étape d’un rapprochement industriel grands programmes passés qui ont vu la création d’une germano-néerlandais, qui formerait le pendant de la coo- ARGE. Toutefois, un climat de méfiance, déjà latent sur les pération militaire bilatérale, renforcée ces dernières an- dossiers K130 et F125, s’est, désormais, installé entre eux et nées. Pour assurer sa pérennité, une telle alliance serait une lutte pour le label « Made in Germany » s’est engagée32, néanmoins dépendante du lancement d’autres pro- ce qui affaiblit le système d’ententes qui avait cours dans le grammes de coopération. Or, faute de nouveaux projets secteur avec l’accord tacite de l’Etat. à moyen terme35, la seule option serait, pour l’heure, de lier le contrat MKS180 à une acquisition de sous-marins Cette tension entre industriels a été exacerbée, le 3 août allemands par la marine néerlandaise. Cette hypothèse dernier, par la décision de TKMS d’apporter son concours, en est compliquée en raison des liens établis entre Damen et qualité cette fois de sous-traitant, à l’offre de GNYK. Analy- le groupe suédois Saab. Elle imposerait également de sée par plusieurs observateurs comme le signe d’une instabi- s’interroger sur l’avenir de Thales Nederland, Atlas Elek- lité de TK et de sa stratégie court-termiste, destinée à maxi- tronik et Hensoldt. miser la valeur de TKMS en vue d’une cession d’actifs, l’opé- ration marque une modification de la hiérarchie des acteurs Bien que les segments des navires de surface et de sous- industriels tout en relançant la question d’un besoin de con- marins conventionnels soient deux problématiques dis- solidation nationale. A cet égard, tout porte à croire que tinctes, se pose en creux la question du devenir de la filière l’avenir du segment surface allemand se jouera entre les sous-marine allemande. Dans le cas où le conglomérat TK deux industriels allemands encore en lice pour le contrat chercherait à sortir intégralement des activités de construc- MKS180 : GNYK et Lürssen. Sauf retournement de situation, tion navale, plusieurs alternatives peuvent être envisagées : favorisé par la victoire de contrats exports, Egypte en tête, la cession à un investisseur privé sur le modèle d’Hensoldt, 12
une reprise par un industriel européen du secteur ou, ainsi Deutscher Bundestag: Antrag der Fraktionen CDU/CSU und SPD. Inno- que cela avait été envisagé en 2014 avec Rheinmetall, un vation und Forschung als Wettbewerbsvorteil der deutschen mariti- désengagement au profit d’un acteur allemand désireux de men Wirtschaft; Drucksache BT 18/11725, 28 .03.2017, p. 10. 20.„Den Überwasserschiffbau werden wir als Schlüsseltechnologie se diversifier. Dans tous les cas, l’Etat fédéral serait amené à Deutschlands einstufen.“: CDU, CSU, SPD: Ein neuer Aufbruch für jouer un rôle déterminant dans le choix de l’acquéreur grâce Europa. Eine neue Dynamik für Deutschland. Ein neuer Zusammenhalt au mécanisme de contrôle des prises de participation für unser Land. Koalitionsvertrag zwischen CDU, CSU und SPD. 19. (Investitionsprüfung) dans les entreprises allemandes évo- Legislaturperiode; 2018, p. 58. luant dans des domaines stratégiques36. Au besoin, il pour- 21.Bundesregierung: op.cit, p.4. rait choisir de détenir une action spécifique (golden share) 22.Jürgen Rosenthal: „Zum Mehrzweckkampfschiff MKS180 für die ou exiger de l’acquéreur des conditions et engagements à Deutsche Marine“, Hardthöhenkurier. Das Magazin für Soldaten und caractère obligatoire (Auflagen und Bedingungen). Un tel Wehrtechnik, 01/2013, K&K Medienverlag-Hardthöhe, p. 66-69. processus constituerait, à tout le moins, un test de la solidité Peter Wiemann: „Forderungen der Marine an das Mehrzweckkampf- schiff Klasse 180. Modularer maritimer Fähigkeitsträger“, MarineFo- des annonces de 2015 en matière de technologies clés natio- rum, Mittler Report Verlag, Bonn, 11-2013, pp. 18-25. nales. 23.Martin Murphy, Donata Riedel: „Das kampfstärkste Schiff in der Gaëlle WINTER Geschichte der Bundeswehr wird immer teurer“, Handelsblatt, Ham- Chercheure associée, FRS bourg, 16 septembre 2018. A titre comparatif, le coût des frégates g.winter@frstrategie.org F125 est aujourd’hui estimé à plus de trois milliards d’euros. 24.Behörden Spiegel / Heiko Höfler : „Neue Wege in der Rüstungsbe- Notes schaffung“, Behörden Spiegel, Bonn, octobre 2015, p. 66. 1.Bundesministerium für Wirtschaft und Energie: Maritime Agenda 25.L’avis de marché est disponible sur: https://ted.europa.eu/udl? 2025. Für die Zukunft des maritimen Wirtschaftsstandorts Deutsch- uri=TED:NOTICE:252505-2015:TEXT:DE:HTML land; mars 2017, Berlin. 26.KPMG, P3 GROUP, TAYLOR WESSING: Umfassende Bestandsauf- 2.Verband für Schiffbau und Meerestechnik: Jahresbericht 2017- nahme und Risikoanalyse zentraler Rüstungsprojekte – Exzerpt; 30 2018, Hambourg, avril 2018, p. 19. septembre 2014. 3.Kai Burmeister, Peter Wilke, Jörg Weingarten : Perspektiven der 27.Thomas Wiegold : „Kommt nachher : Entscheidungen zu TLVS und deutschen militärischen Schiffbaukapazitäten im europäischen Kon- MKS180“ (enregistrement audio), blog Augen Geradeaus!, Berlin, 9 text ; IG Metall, Kurzreport 11/2010, décembre 2010, p. 15-18. juin 2015. 4.„Thyssenkrupp zu Verkauf der U-Boote-Sparte bereit“, finan- 28.Deutscher Bundestag : Stenographischer Bericht. 120. Sitzung. zen.net, 24 novembre 2014. Berlin, Mittwoch, den 9. September 2015; Plenarprotokoll 18/120, pp. 5.Dennis Kremer, Lars Förberg : „Was führt dieser Mann im Schil- 11661-11679 ; Elisa Winterscheidt: „Ausschreibung für Kampfschiff: de ?“, Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, 14.01.2018, p. 35. Von der Leyen lässt nicht nach“; dts Nachrichtenagentur, Halle, 15 Arno Balzer : „Thyssenkrupp hat das Zeug zum Klassenprimus“, avril 2018. Welt Online, 1er août 2018. 29.La notion de dialogue d’égal à égal – « auf Augenhöhe » – consti- 6.Lars Hoffmann: „Neue U-Boote des Typs U212CD mit interessan- tue un leitmotiv du discours gouvernemental. ten Entwurfsmerkmalen“, Europäische Sicherheit & technik, Mittler 30.„Die Bundeswehr beschafft, was sie braucht, und nicht, was ihr Report, Bonn, 10/2018, pp. 72-78. angeboten wird.“, CDU, CSU, SPD: Deutschlands Zukunft gestalten. 7.Ex.: premier lot des corvettes K130 de la Deutsche Marine, 2 fré- Koalitionsvertrag zwischen CDU, CSU und SPD. 18. Legislaturperiode, gates MEKO pour l’Algérie, 4 corvettes Sa’ar 6 pour Israël. 17 décembre 2013, p. 178. 8.German Naval Yards : « Unsere Werft in Zahlen », Site web GNY. 31.Bundesministerium der Verteidigung, Bundesverband der Sicher- 9.Celui-ci finance jusqu’en 2019 le Deutsches Maritimes Zentrum, heits- und Verteidigungsindustrie: 1. Ergebnisbericht. Dialog zu The- un think tank consacré aux problématiques maritimes et né d’une men der Agenda Rüstung zwischen dem Bundesministerium der Ver- initiative du VSM et d’IG Metall Küste. teidigung, und dem Bundesverband der Sicherheits- und Verteidi- 10.Cf. : articles 72 et 74 de la Loi fondamentale gungsindustrie e.V., Berlin, 15 juin 2015, p. 43. 11.Ines Härtel (dir.): Handbuch Föderalismus – Föderalismus als Donata Riedel: „Große Koalition will neue Rüstungsaufträge nicht demokratische Rechtsordnung und Rechtskultur in Deutschland, mehr ausschreiben“, Handelsblatt Online, Hambourg, 5 avril 2018. Europa und der Welt. Band I Grundlagen des Föderalismus und der Christoph Prössl: „Keine Einigung im Streit um Marine-Schiffbau“, deutsche Bundesstaat et Band II Probleme, Reformen, Perspektiven NDR Info (ndr.de), Hambourg, 26 avril 2018. des deutschen Föderalismus; Springer Verlag, Heidelberg, 2012. 32.« Germany & MKS180 : is the competition only a regional issue », Tobias Hentze : Die Abschaffung des Länderfinanzausgleichs – Was blog DefenceChronicles, Bruxelles, 19 septembre 2018. der neue Finanzkraftausgleich für Bund und Länder bedeutet; Insti- 33. Vincent Groizeleau : « Iskandar Safa : ‘La consolidation du naval tut der deutschen Wirtschaft Köln, IW Policy Paper 16/2017. en Europe est inévitable’ », Mer et Marine, 5 octobre 2018. 12.NMMT : Organigramm. Consulté sur : http://www.nmmt.de 34.Dans le cadre du programme MKS180, GNYK bénéficie aussi de 13.Bundesregierung : Strategiepapier der Bundesregierung zur Stär- l’expertise de l’entreprise américaine Alion. L’implication de cette kung der Verteidigungsindustrie in Deutschland, Berlin, 8.07.2015. dernière pourrait devenir problématique pour la maintenance et les 14.Présentation du „MUM Projekt“, www.mum-project.de capacités export du bâtiment si ses travaux tombaient sous la coupe 15.Bundesministerium für Wirtschaft und Energie: op.cit., p. 6-7. des réglementations ITAR. 16.Bundesregierung : op. cit., p. 3. 35.Une harmonisation des besoins pour les frégates de défense aé- 17.Manfred Fischer: « Nur Fusionen retten die Armee »; Welt am rienne de future génération n’est encore qu’à l’état embryonnaire. Sonntag, Berlin, 18 mars 2001. 36.§60 du décret sur le commerce extérieur – Außenwirtschaftsve- 18.Bundesregierung : op. cit. rordnung. 19.Deutscher Bundestag: Antrag der Fraktionen CDU/CSU und SPD. Die maritime Wirtschaft stärken und ihre Bedeutung in Deutschland hervorheben; Drucksache BT 18/6328, 13 octobre 2015, p. 10. 13
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