Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Pour mémoire :
1960, année de l’Afrique
Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Sommaire
Sommaire __________________________________________________________2
Introduction ________________________________________________________4
Quelles revendications pour l’Afrique noire ? ____________________________6
 Introduction ____________________________________________________________6
 L’Afrique en 1945 ________________________________________________________6
 L’ONU _________________________________________________________________6
 Les deux grands________________________________________________________10
 Du côté des métropoles : le cas français____________________________________11
 L’émergence du tiers-monde : la conférence de Bandung _____________________13
 Mouvements anticolonialistes et nationalistes _______________________________15
Des décolonisations multiformes _____________________________________16
 Introduction ___________________________________________________________16
 Phases et modalités_____________________________________________________16
   Les grandes phases ___________________________________________________________ 17
   Les modalités ________________________________________________________________ 17
 Des modèles ? _________________________________________________________19
   Du côté britannique : une décolonisation exemplaire ? Le cas du Kenya __________________ 19
   Du côté français : l’échec de la Communauté _______________________________________ 20
   Du côté belge : une indépendance dans la violence. La république du Congo (futur Zaïre) ____ 22
Les « héros de l’indépendance » ______________________________________25
 Introduction ___________________________________________________________25
 Kwame Nkrumah (Ghana) (1902-1972) ______________________________________25
 Sekou Touré (Guinée) ___________________________________________________26
 Patrice Lumumba (République démocratique du Congo) (1925-1961) ____________27
 Jomo Kenyatta (Kenya) __________________________________________________27
 Félix Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire) (1905-1993) __________________________28
 De Gaulle, acteur et pédagogue de la décolonisation _________________________29
Le temps des célébrations ___________________________________________32
 Introduction ___________________________________________________________32
 Les cérémonies ________________________________________________________32
 Un emblème de souveraineté : les timbres-poste_____________________________34
   Panorama___________________________________________________________________ 34
   Un exemple sénégalais ________________________________________________________ 41
L’indépendance… et après ? _________________________________________42
 Introduction ___________________________________________________________42
 Les enjeux de l’après-indépendance _______________________________________42

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Les tentatives d’organisation _____________________________________________43
   Une organisation continentale : l’OUA _____________________________________________ 43
   Une organisation régionale : l’OCAM ______________________________________________ 44
 Le temps des vicissitudes________________________________________________44
 Néocolonialisme ou coopération ? Les ambiguïtés de la « Françafrique » ________48
Mémoire et commémorations : 2010, année de l’Afrique ?_________________49
 Introduction ___________________________________________________________49
 Tableau d’ensemble _____________________________________________________49
 Au Sénégal ____________________________________________________________53
 Au Cameroun __________________________________________________________55
 En République démocratique du Congo ____________________________________56
En guise de conclusion _____________________________________________59
Les textes officiels _________________________________________________60
 Collège, 3e _____________________________________________________________60
 Lycée _________________________________________________________________60
   Terminale L/ES/S _____________________________________________________________ 60
   Terminale STG _______________________________________________________________ 60
   Terminale ST2S ______________________________________________________________ 61
Ressources _______________________________________________________62
 Bibliographie __________________________________________________________62
 Ressources vidéos______________________________________________________62
 Sitographie ____________________________________________________________62

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Introduction
         L’année 1960 a été « l’année de l’Afrique » (sous-entendu : de l’Afrique noire) car elle a vu, au
milieu de la surprise et de l’incrédulité des autres continents, 18 colonies de l’Europe accéder en quelques
mois à la souveraineté et à la reconnaissance internationale en tant qu’États. Cette vague triomphale,
inaugurée en 1957 par l’ancienne Gold Coast, devenue Ghana, marquait une troisième phase de la
décolonisation, après l’Asie et l’Afrique du Nord. Beaucoup plus précoce et rapide que ce que les
gouvernements et les opinions publiques avaient pu prévoir, cette émancipation, par son caractère négocié
et pacifique, est volontiers citée comme modèle de réussite. Dans le cas français en particulier, elle
s’oppose avec éclat aux décolonisations violentes et douloureuses de l’Indochine et de l’Algérie.
Cependant, elle fut aussitôt mise à l’épreuve. D’abord, le processus d’émancipation était loin d’être achevé.
En 1960, vingt-sept colonies africaines étaient encore soumises à la domination européenne, et nombre de
crises accompagnèrent les indépendances, certaines confirmant la détermination des anciennes
puissances coloniales à tout mettre en œuvre pour défendre leurs intérêts dans leurs anciennes colonies.
Par ailleurs, les jeunes États, et leurs dirigeants, furent amenés à devoir répondre aux immenses
aspirations de peuples longtemps opprimés par la domination coloniale tout en gérant l’héritage qui en
découle, qu’il s’agisse des frontières ou des économies. Enfin, ces États devaient se positionner dans un
monde nouveau pour eux, celui des relations interafricaines, des rapports avec les anciennes métropoles,
mais aussi de la guerre froide puis de la mondialisation. En donnant brusquement satisfaction aux luttes
pour l’émancipation des peuples africains, les indépendances de 1960 levèrent de profondes espérances,
et donc de possibles désillusions. Nombre de questions qui sont apparues dans les années 1960, comme
celles de la démocratie, du développement, des rapports Nord-Sud, ont nourri la thèse de « l’afro-
pessimisme ».

         50 ans après, ces États commémorent leur indépendance et l’on célèbre, surtout dans le monde
francophone – premier concerné par cette vague d’émancipation – le « cinquantenaire des indépendances
africaines » (on notera que le monde anglophone n’a pas érigé l’année 1960 en date emblématique, et qu’il
tend même à associer cette date à la décolonisation française). À l’heure des commémorations, quel bilan
peut-on dresser de ce demi-siècle d’indépendance ? 2010 est-elle celle de la « renaissance africaine » ?

          Si l’année 1960 peut sembler pouvoir résumer l’émancipation de l’Afrique subsaharienne, braquer
de la sorte le projecteur sur cet épisode, présente cependant toute une série de biais et peut conduire à
certaines illusions rétrospectives. Le risque est de déformer la réalité de la décolonisation en occultant, en
amont, les luttes des peuples colonisés et les réponses apportées par les métropoles ; et, en aval, les
difficultés des lendemains des indépendances et la perpétuation, sous d’autres formes, de la domination
occidentale, objet des études postcoloniales. Ce choix privilégie également le cas français, puisque 15 des
indépendances de 1960 concernent des colonies ou des territoires sous tutelle française, au risque de
mettre dans l’ombre le rôle et la place d’autres territoires, notamment d’Afrique australe marqués par
l’apartheid. Il met enfin en valeur une décolonisation négociée, donnant ainsi une vision optimiste du
processus, au détriment des indépendances arrachées ou des indépendances immédiatement suivies de
crises violentes.

         L’année 1960 mérite donc un examen à une double échelle. Il s’agit d’abord de la replacer dans le
temps moyen de la décolonisation, des contestations du système colonial au lendemain des
indépendances et jusqu’à aujourd’hui. Nombre de questions restent posées. Comment expliquer
« l’accélération » des indépendances en Afrique autour de 1960 ? Cette année est-elle représentative du
processus d’émancipation de l’Afrique subsaharienne, qui se poursuit bien au-delà ? Et que reste-t-il
aujourd’hui des rêves et des espoirs de 1960 ? Cette émancipation apparemment complète du continent –
à la différence par exemple des Antilles où d’anciennes colonies ont, non sans heurts, choisi la voie de
l’assimilation et de la départementalisation – est-elle pour autant parfaitement achevée ? Y a-t-il aujourd’hui
des formes de domination post ou néocoloniales ? Dans quelle mesure les difficultés actuelles de l’Afrique
sont-elles imputables à la colonisation ?

         Il s’agit aussi d’examiner de plus près les événements afin de dresser un tableau plus nuancé de
l’année 1960 qui permettra de réviser la traditionnelle opposition entre un modèle britannique et un modèle
français ainsi que de relativiser l’image d’une décolonisation « douce ».

         Pour répondre à ces questions, le choix a été fait de privilégier les archives de l’Institut national de
l’audiovisuel (Ina) sans exclure d’autres sources ou documents. L’intérêt est multiple : constituer une sorte
de fil rouge à l’étude, problématiser l’approche (ici : comment les actualités ou la télévision française

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
rendent-elles compte de l’émancipation des colonies africaines ?), faire appel à l’esprit critique des élèves,
notamment face aux images d’actualités et à leur commentaire…

        Ce choix axe l’étude sur le cas français, et le point de vue de la métropole. Ces aspects ne sont
pas à cacher, au contraire : on amènera les élèves à saisir ce double biais et on les invitera à chercher des
points de vue alternatifs autres que ceux qui sont déjà fournis dans ce dossier.

Conception et réalisation du dossier :

Auteur : Olivier Dautresme
Chargée de mission : Marie-Christine Bonneau-Darmagnac
Chef de projet éditorial : Bernard Clouteau
Iconographe : Laurence Geslin
Graphiste : Julien Lassort
Intégration technique : François Thibaud
Intégration éditoriale : Fanny Dieumegard
Secrétaires de rédaction : Sophie Roué, Julie Desliers-Larralde

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Quelles revendications pour l’Afrique noire ?
Introduction

        Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, la colonisation est mise en
cause à la fois sur le plan international et dans les territoires dépendants.

         Le conflit a accéléré le développement des revendications nationales en Afrique comme dans les
autres parties du monde sous domination européenne. Comme pendant les années 1914-1918, les aléas
de la guerre remettent en cause la suprématie des Blancs et contribuent à détériorer l’image de l’Europe.
Nombreux furent aussi les Africains qui espérèrent une récompense de leur loyauté. Les populations
coloniales, qui avaient participé à la guerre, étaient convaincues qu’on avait exigé d’elles des sacrifices
pour combattre l’oppression au nom d’une liberté dont elles devaient bénéficier. En outre, les pays
traditionnellement opposés à la colonisation, les États-Unis et l’URSS, sortaient renforcés du conflit alors
que les métropoles étaient affaiblies. La victoire des Alliés engendrait donc de l’espoir. L’Organisation des
Nations unies (ONU), née de la Seconde Guerre mondiale, est aussi intervenue dans le processus,
encourageant l’émancipation et fournissant une tribune aux anticolonialistes. Dans ce contexte nouveau,
les puissances coloniales ont tenté de s’adapter, usant de la réforme, de la négociation mais aussi de la
répression.

         Quelle était la situation de l’Afrique en 1945 ? En quoi le contexte de l’après-guerre favorisa-t-il
l’émergence de revendications en Afrique ? Quelles furent ces revendications ? Comment les puissances
coloniales y répondirent-elles ?

L’Afrique en 1945

          La plus grande partie du continent africain est, en 1945, sous domination coloniale. Si certains
territoires ont été colonisés précocement (l’Afrique du Sud dès le XVIIe siècle, l’Algérie à partir de 1830), la
plupart des territoires sont passés sous souveraineté européenne autour de la fin du XIXe siècle. En 1945, la
carte indique cinq pays indépendants : l’Égypte (depuis 1922), le Liberia (depuis 1945), l’Érythrée (mais ce
territoire fait alors partie de l’Éthiopie avant de s’en séparer en 1993), l’Éthiopie (qui n’a jamais été
colonisée hormis la parenthèse de l’occupation italienne entre 1935 et 1941), l’Union sud-africaine (qui est
alors un dominion britannique et le restera jusqu’en 1961, date de sa pleine et entière indépendance). En
dehors de l’Érythrée, ce sont les quatre pays africains signataires de la charte des Nations unies.

Frontières de 1945 et souverainetés coloniales
Voir la carte sur le site de la Documentation française

L’ONU

         L’ONU était considérée par les colonisés comme ayant vocation à soutenir leurs revendications du
fait de ses textes de référence (charte des Nations unies et Déclaration universelle des droits de l’homme)
et du fait qu’elle exerçait une tutelle sur certaines colonies comme le Togo. L’ONU constitua une tribune
dans laquelle les pays non-colonisateurs ou fraîchement décolonisés critiquèrent les colonisateurs.

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
La charte des Nations unies

Dès le 14 août 1941, Roosevelt et Churchill avaient affirmé, dans la charte de l’Atlantique : « Chaque
peuple a le droit de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre. »

Cette déclaration était ambiguë car, si elle visait d’abord les peuples d’Europe occupés par les puissances
de l’Axe, elle pouvait s’appliquer également à toutes les populations assujetties, y compris coloniales.

Dans son discours du 5 octobre 1941, Churchill récusa cette interprétation : « Je désire être clair : ce que
nous avons, nous le gardons. Je ne suis pas devenu Premier ministre de Sa Majesté afin de procéder à la
liquidation de l’Empire britannique. »

Cependant, le travailliste Clément Attlee, s’adressant à des étudiants ouest-africains, estimait que la charte
concerne toutes les « races » : « Après les horreurs de la guerre et la destruction, nous arriverons à un
monde de paix, de sécurité et de justice sociale non pour un peuple, non pour un continent, mais pour tous
les peuples de tous les continents du monde. » (Times, 16 août 1941).

Du côté américain, le président Roosevelt reprenait à son compte la tradition anticolonialiste des États-
Unis, qui s’était déjà exprimée à la conférence de Berlin (1885) ou lors de la question des mandats (1919).
L’Organisation des Nations unies traduisit ces préoccupations en mentionnant dans sa charte (26 juin
1945) l’existence de populations dépendantes, ce que certains appelèrent la « charte coloniale » :

Chapitre XI : Déclaration relative aux territoires non autonomes

Article 73

Les membres des Nations unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont
les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la
primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation
de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité
internationales établi par la présente charte et, à cette fin :

1. D’assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et
social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les
abus.

2. De développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des
populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques, dans la
mesure appropriée aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations et à leurs degrés
variables de développement.

3. D’affermir la paix et la sécurité internationales.

4. De favoriser des mesures constructives de développement, d’encourager des travaux de recherche, de
coopérer entre eux et, quand les circonstances s’y prêteront, avec les organismes internationaux
spécialisés, en vue d’atteindre effectivement les buts sociaux, économiques et scientifiques énoncés au
présent article ;

5. De communiquer régulièrement au secrétaire général, à titre d’information, sous réserve des exigences
de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de
nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils
sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les chapitres XII et XIII. »

On notera que le texte se montre prudent (il n’emploie pas le terme de « colonies » pour ne pas heurter de
front les métropoles) et peu innovant dans la mesure où les puissances coloniales demeurent libres
d’apprécier « les conditions particulières de chaque territoire » et « leurs degrés variables de
développement ». En outre, les termes d’indépendance et même de self-government sont soigneusement
évités.

« Chapitre XII : Régime international de tutelle

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Article 75

L’Organisation des Nations unies établira, sous son autorité, un régime international de tutelle pour
l’administration et la surveillance des territoires qui pourront être placés sous ce régime en vertu d’accords
particuliers ultérieurs. Ces territoires sont désignés ci-après par l’expression “territoires sous tutelle” ».

Les territoires sous mandat sont confiés en tutelle aux anciens pays mandataires. Le chapitre XII crée un
Conseil de tutelle, qui dispose de pouvoirs d’investigation. On observera que cela n’a guère accéléré
l’accession à l’indépendance de ces territoires : Cameroun, Togo, Rwanda, Burundi, Sud-ouest africain.

Résolution 637 des Nations unies sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, 16 décembre
1952

Cette résolution précise le devoir, pour les puissances coloniales, de préparer les territoires non autonomes
« à l’autonomie complète ou à l’indépendance ». Elle s’explique par l’admission à l’ONU de colonies
récemment parvenues à l’indépendance (Inde, Pakistan, Ceylan, Birmanie, Indonésie, Libye) et reflète la
structuration de l’afro-asiatisme. Voir sur le site de l’ONU

637 (VII). Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes

Considérant que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes est une condition préalable de
la jouissance de tous les droits fondamentaux de l’homme,

Considérant que les articles 1 et 55 de la charte des Nations unies visent à développer entre les nations
des relations amicales fondées sur le respect de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes, en vue de consolider la paix du monde,

Considérant que la charte des Nations unies reconnaît que certains membres de l’Organisation des Nations
unies ont la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore
complètement elles-mêmes et proclame les principes dont ils doivent s’inspirer,

Considérant que chaque membre de l’Organisation doit, conformément à la charte, respecter le maintien du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les autres États,

L’assemblée générale recommande ce qui suit :

1. Les États membres de l’Organisation doivent soutenir le principe du droit de tous les peuples et de toutes
les nations à disposer d’eux-mêmes ;

2. Les États membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne
les populations des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle placés sous leur administration,
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et doivent faciliter l’exercice de ce droit aux populations de
ces territoires compte tenu des principes et de l’esprit de la charte des Nations unies en ce qui concerne
chaque territoire et de la volonté librement exprimée des populations intéressées, la volonté de la
population étant déterminée par voie de plébiscite ou par d’autres moyens démocratiques reconnus, de
préférence sous l’égide des Nations unies ;

3. Les États Membres de l’Organisation qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non
autonomes et des territoires sous tutelle prendront des mesures pratiques, en attendant la réalisation du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et afin de préparer cette réalisation, pour assurer la participation
directe des populations autochtones aux organes législatifs et exécutifs du gouvernement de ces territoires,
ainsi que pour préparer lesdites populations à l’autonomie complète ou à l’indépendance.

403e séance plénière, le 16 décembre 1952.

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Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
Résolution 1514 « sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », 14 décembre
1960

Cette résolution, prend acte pour s’en réjouir de la récente accession à l’indépendance de nombreux
territoires, est beaucoup plus radicale car elle attaque directement le « colonialisme dans toutes ses
manifestations ».
En septembre, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, accueille solennellement les
représentants de ces nouveaux États devant le siège de l’Organisation.

L'Assemblée générale,

Consciente de ce que les peuples du monde se sont, dans la Charte des Nations Unies, déclarés résolus
à proclamer à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la
personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et
petites, et à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus
grande,

Consciente de la nécessité de créer des conditions de stabilité et de bien-être et des relations pacifiques et
amicales fondées sur le respect des principes de l'égalité de droits et de la libre détermination de tous les
peuples, et d'assurer le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales
pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion,

Reconnaissant le désir passionné de liberté de tous les peuples dépendants et le rôle décisif de ces
peuples dans leur accession à l'indépendance,

Consciente des conflits croissants qu'entraîne le fait de refuser la liberté à ces peuples ou d'y faire
obstacle, qui constituent une grave menace à la paix mondiale,

Considérant le rôle important de l'Organisation des Nations Unies comme moyen d'aider le mouvement
vers l'indépendance dans les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes,

Reconnaissant que les peuples du monde souhaitent ardemment la fin du colonialisme dans toutes ses
manifestations,

Convaincue que le maintien du colonialisme empêche le développement de la coopération économique
internationale, entrave le développement social, culturel et économique des peuples dépendants et va à
l'encontre de l'idéal de paix universelle des Nations Unies,

Affirmant que les peuples peuvent, pour leurs propres fins, disposer librement de leurs richesses et
ressources naturelles sans préjudice des obligations qui découleraient de la coopération économique
internationale, fondée sur le principe de l'avantage mutuel, et du droit international,

Persuadée que le processus de libération est irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises,
il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il
s'accompagne,

Se félicitant de ce qu'un grand nombre de territoires dépendants ont accédé à la liberté et à
l'indépendance au cours de ces dernières années, et reconnaissant les tendances toujours plus fortes vers
la liberté qui se manifestent dans les territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance,

Convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l'exercice de leur
souveraineté et à l'intégrité de leur territoire national,

PROCLAME solennellement la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme
sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations;

Et, à cette fin,
Déclare ce qui suit :

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1. La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue
un déni des droits fondamentaux de l'homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la
cause de la paix et de la coopération mondiales.

2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur
statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.

3. Le manque de préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans celui de
l'enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l'indépendance.

4. Il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu'elles soient,
dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d'exercer pacifiquement et librement
leur droit à l'indépendance complète, et l'intégrité de leur territoire national sera respectée.

5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et
tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux
peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux
librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de
jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.

6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un
pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.

7. Tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations
Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la présente Déclaration sur la base de
l'égalité, de la non- ingérence dans les affaires intérieures des Etats et du respect des droits souverains et
de l'intégrité territoriale de tous les peuples.

Les deux grands

          Les États-Unis et l’URSS, qui s’imposent comme les puissances majeures au lendemain de la
guerre, condamnent le colonialisme mais selon des arguments différents. Dans le contexte de la guerre
froide, la question coloniale devient un sujet de rivalités entre l’Est et l’Ouest, comme en témoigne cette
confrontation d’Eisenhower et Khrouchtchev à l’ONU en 1960.

Images INA - A New York, l’ONU centre du monde (Les Actualités Françaises - 28/09/1960)
Voir la vidéo sur le site de l’INA

On discernera dans ce compte rendu le double enjeu de cette assemblée de l’ONU :
         − l’admission à l’ONU des 14 nations africaines qui viennent d’accéder à l’indépendance,
             marque symbolique de leur souveraineté ;
         − la rivalité, qui se manifeste à la tribune de l’ONU, entre États-Unis et URSS, Eisenhower
             annonçant un « plan Marshall pour l’Afrique », Khrouchtchev dénonçant avec violence le
             « colonialisme ».

           On éclairera cette intervention d’Eisenhower à la lumière de la stratégie du containment, qui a déjà
justifié le plan Marshall pour l’Europe en 1947, l’objectif étant d’endiguer l’expansion du communisme. On
explicitera également les ressorts idéologiques du discours de Khrouchtchev, dans la tradition de la
dénonciation de « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme ».

        On observera pour finir que jusque dans les années 1950, les problèmes africains restent au
second plan derrière ceux de l’Asie et que, hormis l’Indochine, la décolonisation n’a suscité aucune crise
grave entre les deux blocs.

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Du côté des métropoles : le cas français

        Les années de guerre et celles qui suivent sont l’histoire d’un vaste malentendu entre colonisateurs
et colonisés. Les Européens restent attachés à leurs empires, rempart de leur puissance en déclin. Ils
concèdent à leurs colonies africaines des réformes de faible portée tout en ayant le sentiment de faire
preuve d’une grande générosité. Mais les Africains veulent plus : ils franchissent le pas qui sépare l’espoir
de progrès de la volonté d’obtenir un changement radical.

          La célèbre conférence de Brazzaville illustre cette incompréhension et témoigne du fossé croissant
entre colonisateurs et colonisés. Réunie dans la tradition des grandes conférences impériales, elle fut
l’objet d’un mythe – comme la conférence de Berlin – qui lui a conféré une signification, un poids et une
portée bien éloignés de la réalité.

         Convoquée à l’initiative de de Gaulle avec comme mission de réfléchir à l’avenir de l’empire, elle
est conçue et organisée par René Pleven, le commissaire aux Colonies de la France libre, et se tient du
30 janvier au 8 février 1944 dans la ville qui a été érigée en capitale de la France libre en 1941. Elle a un
double but : affirmer la mainmise française sur son empire face aux manœuvres anticoloniales
américaines ; témoigner que la participation des peuples colonisés dans la « libération nationale » serait
prise en compte.

         Outre de Gaulle (qui n’est resté que deux jours) et Félix Eboué, son hôte (Noir originaire de
Guyane, il avait rallié la France libre dès août 1940 alors qu’il était gouverneur du Tchad, avant d’être
nommé gouverneur général de l’AEF, premier Noir à occuper un poste aussi élevé dans l’administration
coloniale française), la conférence réunit les gouverneurs et les grands administrateurs de l’Afrique
française. Aucun Africain n’est invité à participer aux travaux. Les « évolués » peuvent seulement
transmettre leurs revendications par le biais du gouverneur Eboué.

            Le discours d’ouverture de Pleven rappelle simplement la « mission civilisatrice » de la France en
Afrique :

« Nous continuerons simplement les grandes traditions coloniales de la France, celle des grands hommes à
qui le pays doit son empire. [...] Votre présence [...] nous permet de faire de cette conférence africaine
française ce que nous voulons en premier lieu qu’elle soit : l’affirmation de notre foi en la mission de la
France en Afrique, de notre conviction que les Français portent en eux l’aptitude, la volonté de la force de la
mener à bien, enfin, l’affirmation de notre volonté de prendre nous-mêmes et surtout sans les partager avec
aucune institution anonyme, les immenses mais exaltantes responsabilités qui sont les nôtres, vis-à-vis des
races qui vivent sous notre drapeau. »

Discours de de Gaulle à Brazzaville (janvier 1944)

Images INA - De Gaulle discours de Brazzaville (janvier 1944)
Voir la vidéo sur le site de l’INA

        Tout en justifiant la colonisation française en Afrique, de Gaulle évoque la perspective d’une
« gestion de leurs propres affaires » par les Africains :

« En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il
n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas
moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables
de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte
qu’il en soit ainsi. Tel est le but vers lequel nous avons à nous diriger. Nous ne nous dissimulons pas la
longueur des étapes. »
         Cette phrase est en partie à l’origine du mythe. En réalité, il n’était nullement question
d’indépendance des colonies africaines. En effet, les réformes sociales prévues étaient importantes mais
aucune place ne fut laissée au dialogue, et le préalable à la recommandation votée par la conférence
excluait toute perspective d’indépendance ni même d’autonomie :

© SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010                                                                                   11
« Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée
d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire : la constitution éventuelle,
même lointaine, de self-government dans les colonies est à écarter. »

         L’œuvre de la conférence fut diversement jugée. Pour les uns, elle représentait une volonté de
nouveauté par rapport à l’immobilisme précédent et contenait un programme audacieux. Pour les autres,
elle restait conservatrice, voire rétrograde, surtout en ce qui concerne le travail forcé et l’avenir politique des
colonisés.

         Considérée par la suite comme un tournant de la politique coloniale française, elle prit alors une
signification mythique consacrée par de Gaulle, lorsqu’il commença sa tournée africaine en 1958 par la
capitale du Congo.

La conférence de Brazzaville (janvier 1944)

Images INA - De Gaulle discours de Brazzaville 30 janvier 1944 (Office Français d'Informations
Cinématographiques - 01/01/1944)
Voir la vidéo sur le site de l’INA

        « Et voici Brazzaville, Brazzaville qui arrêta la capitulation au nord de l’Équateur, Brazzaville,
refuge pendant ces cruelles années de l’indépendance et de l’honneur français.

           C’était bien ici que devait se réunir la conférence africaine. C’était bien ici que devaient se réunir
les meilleurs serviteurs de la civilisation française en Afrique. Parce qu’ils étaient les serviteurs de cette
civilisation, pour la première fois dans une conférence de ce genre, la primauté fut accordée non plus aux
problèmes économiques mais aux problèmes humains.

         Et enfin pour cette raison, déclara le général de Gaulle, ayant tiré du drame la leçon qu’il convient,
la France nouvelle a décidé, pour ce qui la concerne et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent
d’elle, de choisir noblement, largement des chemins nouveaux en même temps que pratiques vers le
destin.

        C’est l’homme, c’est l’Africain, devait résumer aussi le commissaire aux colonies René Pleven, ce
sont ses aspirations, ses besoins, c’est l’Africain comme individu et membre de la société qui sera la
préoccupation constante de la conférence. »

         Ce compte rendu est révélateur de la manière dont la métropole envisage l’avenir de l’Afrique au
sein de l’empire colonial français. Il insiste d’abord sur le choix de Brazzaville, symbole de l’attachement de
la métropole à son empire. Il reprend des éléments des discours de de Gaulle et de Pleven au caractère
paternaliste et excessivement flou. Enfin, de manière involontaire, par l’image, il illustre le fossé séparant
les Blancs, présents à la conférence, des Noirs, cantonnés dans la rue.

         De manière générale, en face de positions internationales favorables à la décolonisation, la France
et le Royaume-Uni réforment leur empire. Cela se traduit par un changement de dénomination. En France,
l’empire fait place à l’Union française, plus conforme aux idées développées dans le préambule de la
Constitution de 1946 :
« La France forme avec les peuples d’outre-mer une union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs,
sans distinction de race ni de religion. L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent
en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives,
accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend
conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer
démocratiquement leurs propres affaires, écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle
garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés
proclamés ou confirmés ci-dessus. »

© SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010                                                                                       12
L’émergence du tiers-monde : la conférence de Bandung

Les pays participant à la conférence de Bandung en 1955
Voir la carte sur le site de la Documentation française

        La conférence de Bandung se tient du 18 au 25 avril 1955 en Indonésie. Le président Soekarno est
l’hôte de 29 délégations venues d’Afrique, d’Asie et du Proche-Orient et qui ont toutes en commun
d’appartenir à ce que le démographe français Alfred Sauvy a désigné en 1952 sous le terme de « tiers-
monde ».

         La carte est représentative de l’avancée du processus de décolonisation en 1955 : alors que l’Asie,
très largement émancipée, fournit le gros des participants, seuls six États africains sont présents à
Bandung.

         Cette conférence est perçue par Senghor, alors envoyé officiel français et futur président du
Sénégal, comme un « coup de tonnerre ». En effet, les États-Unis et l’URSS ont été tenus à l’écart des
débats et c’est ce qui explique en partie la curiosité médiatique qui entoure l’événement. De plus, dans le
communiqué final, ces pays appellent à la poursuite de la décolonisation en Afrique (dont certains pays
encore colonisés sont invités en tant qu’observateurs) et à la non-ingérence des grandes puissances dans
leurs affaires intérieures. Ils adoptent également le principe d’une coopération internationale pour aider au
développement des pays les plus pauvres.

         Mais au terme de cette conférence, utilisée comme vitrine internationale pour des pays comme la
Chine (représentée par son ministre des Affaires étrangères Zhou Enlai), des divergences d’opinions
apparaissent entre pays pro-occidentaux, communistes et neutralistes. Elles ne permettent pas aux
délégations présentes d’affirmer une position claire et commune de non-alignement par rapport aux États-
Unis et à l’URSS.

Extrait du communiqué final de la conférence, 24 avril 1955 :

« C) Droits de l’Homme et auto-détermination

1. La Conférence afro-asiatique déclare appuyer totalement les principes fondamentaux des droits de
l’homme tels qu’ils sont définis dans la charte des Nations unies et prendre en considération la Déclaration
universelle des droits de l’homme comme un but commun vers lequel doivent tendre tous les peuples et
toutes les Nations.
La Conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-
mêmes tel qu’il est défini dans la charte des Nations unies et prendre en considération les résolutions des
Nations unies sur le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, qui est la condition préalable
à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’homme.

2. La Conférence afro-asiatique déplore la politique et les pratiques de ségrégation et de discrimination
raciales qui forment la base du système politique et des rapports humains dans de vastes régions d’Afrique
et dans d’autres parties du monde. Un tel comportement est non seulement une violation grossière des
droits de l’homme mais encore une négation des valeurs essentielles de la civilisation et de la dignité de
l’homme.
La Conférence exprime sa profonde sympathie et son appui pour l’attitude courageuse prise par toutes les
victimes de la ségrégation raciale, particulièrement par les peuples d’origine africaine, indienne et
pakistanaise en Afrique du Sud ; approuve chaleureusement tous ceux qui soutiennent leur cause ;
réaffirme la détermination des peuples asiatiques et africains d’extirper toute trace de racisme qui pourrait
exister dans leurs propres pays, et s’engage à user de toute son influence morale pour mettre en garde
ceux qui courraient le danger d’être victimes du même fléau dans leur lutte pour l’extirper.

3. Considérant la tension existant au Moyen-Orient, tension qui est causée par la situation en Palestine, et
considérant le danger que cette tension constitue pour la paix mondiale, la Conférence afro-asiatique
déclare appuyer les droits du peuple arabe de Palestine et demande l’application des résolutions des
Nations unies sur la Palestine et la réalisation d’une solution pacifique du problème palestinien.

F) Déclaration sur les problèmes des peuples dépendants

© SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010                                                                                  13
La Conférence afro-asiatique a discuté les problèmes des peuples dépendants et du colonialisme et des
maux résultant de la soumission des peuples à l’assujettissement de l’étranger, à leur domination et à leur
exploitation par ce dernier. La Conférence est d’accord :

1. Pour déclarer que le colonialisme, dans toutes ses manifestations, est un mal auquel il doit être mis fin
rapidement.

2. Pour déclarer que la question des peuples soumis à l’assujettissement à l’étranger, à sa domination et à
son exploitation constitue une négation des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la charte des
Nations unies et empêche de favoriser la paix et la coopération mondiales.

3. Pour déclarer qu’elle appuie la cause de la liberté et de l’indépendance de ces peuples.

4. Et pour faire appel aux Puissances intéressées pour qu’elles accordent la liberté et l’indépendance à ces
peuples. »

© SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010                                                                                      14
Mouvements anticolonialistes et nationalistes

        En 1945, en Afrique subsaharienne, on ne remet pas fondamentalement en cause la tutelle de la
France. Pourquoi ?

        Les conditions même d’une prise de conscience nationale n’existent pas : elles n’étaient pas
réunies avant la colonisation, et des identités nationales fortes n’ont pas eu le temps de se former durant la
colonisation, à l’intérieur des découpages coloniaux.

         C’est aussi un effet de la politique (ou du discours) d’assimilation culturelle de la France qui a
encouragé parmi les élites davantage le désir d’égalité avec l’ensemble des citoyens français que celui du
divorce. Autrement dit, il y a plus d’égalitarisme que d’indépendantisme, y compris chez un Senghor, ardent
promoteur de la « négritude ». Parmi ces élites, nées avant ou pendant la Première Guerre mondiale et
ayant vécu une colonisation tout à la fois assimilatrice et paternaliste, on peut citer Senghor (Sénégal),
Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire), Modibo Keïta (Soudan-Mali), Philibert Tsiranana (Madagascar), Léon
M’Ba (Gabon). Cependant, de nouvelles générations de militants et de leaders africains apparaissent, plus
radicaux, plus attentifs à l’évolution générale du monde, formés par le syndicalisme ou par les universités
de la métropole. Mais ce n’est pas qu’affaire de génération : aux radicaux Sékou Touré ou Ruben Um
Nyobé (leader de l’Union des populations du Cameroun [UPC]), nés dans les années 1910-1920,
s’opposent des « modérés » qui comptent des hommes jeunes comme Hmadou Ahidjo (adversaire de
l’UPC au Cameroun) ou David Dacko (Oubangui). Quoiqu’il en soit, au cours des années 1950, les
modérés sont débordés par des éléments plus radicaux au sein des syndicats, des organisations
étudiantes, des associations. Beaucoup, marxisés, critiquent ouvertement l’impérialisme français, invoquant
la solidarité des colonisés, et bientôt l’indépendance immédiate.

        En 1958, l’empire colonial français, rebaptisé depuis 1946 « Union française », reste l’objet d’un
discours télévisuel à la gloire de l’œuvre réalisée par la France et qui passe entièrement sous silence
l’émergence de ces mouvements contestataires.

L’Union française en 1958

Images INA - Union française (JT 13H - 23/09/1958)
Voir la vidéo sur le site de l’INA

          Réalisé à la veille du référendum du 28 septembre 1958 pour le journal télévisé, ce montage
dresse un panorama de la situation démographique, politique et économique de l’Union française et de sa
population autochtone. À l’aide d’images d’illustration, il présente des grands travaux menés à Madagascar,
en Afrique occidentale et orientale : aménagements des voies navigables, développement du réseau
routier, exploitations des richesses du sous-sol, ouverture d’hôpitaux et d’écoles publiques.

          Ce « chef-d’œuvre » de propagande coloniale s’inscrit dans une parfaite continuité avec
l’entreprise de justification de la colonisation engagée notamment par Lyautey dans l’entre-deux-guerres…

        Le commentaire multiplie les éloges de l’œuvre coloniale : « Poursuivant un effort entrepris depuis
plus de cinquante ans, la France a obtenu dans cette Afrique noire [...] des résultats qui la placent au tout
premier rang des nations qui ont œuvré en faveur de pays incomplètement développés [...]. C’est à la
France qu’ils devront leur éducation civique, leur émancipation sociale, la pratique de la démocratie, et
aussi cette promotion dans l’ordre des valeurs humaines qui a donné aux Africains cette joie de vivre, cette
authentique élégance, ce rythme moderne d’activité… »

         Par contre, le commentaire observe un silence total sur les intérêts de la métropole, les formes
d’exploitation, l’émergence de mouvements contestataires, voire indépendantistes…

© SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010                                                                                  15
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