Pour mémoire : 1960, année de l'Afrique
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Sommaire Sommaire __________________________________________________________2 Introduction ________________________________________________________4 Quelles revendications pour l’Afrique noire ? ____________________________6 Introduction ____________________________________________________________6 L’Afrique en 1945 ________________________________________________________6 L’ONU _________________________________________________________________6 Les deux grands________________________________________________________10 Du côté des métropoles : le cas français____________________________________11 L’émergence du tiers-monde : la conférence de Bandung _____________________13 Mouvements anticolonialistes et nationalistes _______________________________15 Des décolonisations multiformes _____________________________________16 Introduction ___________________________________________________________16 Phases et modalités_____________________________________________________16 Les grandes phases ___________________________________________________________ 17 Les modalités ________________________________________________________________ 17 Des modèles ? _________________________________________________________19 Du côté britannique : une décolonisation exemplaire ? Le cas du Kenya __________________ 19 Du côté français : l’échec de la Communauté _______________________________________ 20 Du côté belge : une indépendance dans la violence. La république du Congo (futur Zaïre) ____ 22 Les « héros de l’indépendance » ______________________________________25 Introduction ___________________________________________________________25 Kwame Nkrumah (Ghana) (1902-1972) ______________________________________25 Sekou Touré (Guinée) ___________________________________________________26 Patrice Lumumba (République démocratique du Congo) (1925-1961) ____________27 Jomo Kenyatta (Kenya) __________________________________________________27 Félix Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire) (1905-1993) __________________________28 De Gaulle, acteur et pédagogue de la décolonisation _________________________29 Le temps des célébrations ___________________________________________32 Introduction ___________________________________________________________32 Les cérémonies ________________________________________________________32 Un emblème de souveraineté : les timbres-poste_____________________________34 Panorama___________________________________________________________________ 34 Un exemple sénégalais ________________________________________________________ 41 L’indépendance… et après ? _________________________________________42 Introduction ___________________________________________________________42 Les enjeux de l’après-indépendance _______________________________________42 © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 2
Les tentatives d’organisation _____________________________________________43 Une organisation continentale : l’OUA _____________________________________________ 43 Une organisation régionale : l’OCAM ______________________________________________ 44 Le temps des vicissitudes________________________________________________44 Néocolonialisme ou coopération ? Les ambiguïtés de la « Françafrique » ________48 Mémoire et commémorations : 2010, année de l’Afrique ?_________________49 Introduction ___________________________________________________________49 Tableau d’ensemble _____________________________________________________49 Au Sénégal ____________________________________________________________53 Au Cameroun __________________________________________________________55 En République démocratique du Congo ____________________________________56 En guise de conclusion _____________________________________________59 Les textes officiels _________________________________________________60 Collège, 3e _____________________________________________________________60 Lycée _________________________________________________________________60 Terminale L/ES/S _____________________________________________________________ 60 Terminale STG _______________________________________________________________ 60 Terminale ST2S ______________________________________________________________ 61 Ressources _______________________________________________________62 Bibliographie __________________________________________________________62 Ressources vidéos______________________________________________________62 Sitographie ____________________________________________________________62 © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 3
Introduction L’année 1960 a été « l’année de l’Afrique » (sous-entendu : de l’Afrique noire) car elle a vu, au milieu de la surprise et de l’incrédulité des autres continents, 18 colonies de l’Europe accéder en quelques mois à la souveraineté et à la reconnaissance internationale en tant qu’États. Cette vague triomphale, inaugurée en 1957 par l’ancienne Gold Coast, devenue Ghana, marquait une troisième phase de la décolonisation, après l’Asie et l’Afrique du Nord. Beaucoup plus précoce et rapide que ce que les gouvernements et les opinions publiques avaient pu prévoir, cette émancipation, par son caractère négocié et pacifique, est volontiers citée comme modèle de réussite. Dans le cas français en particulier, elle s’oppose avec éclat aux décolonisations violentes et douloureuses de l’Indochine et de l’Algérie. Cependant, elle fut aussitôt mise à l’épreuve. D’abord, le processus d’émancipation était loin d’être achevé. En 1960, vingt-sept colonies africaines étaient encore soumises à la domination européenne, et nombre de crises accompagnèrent les indépendances, certaines confirmant la détermination des anciennes puissances coloniales à tout mettre en œuvre pour défendre leurs intérêts dans leurs anciennes colonies. Par ailleurs, les jeunes États, et leurs dirigeants, furent amenés à devoir répondre aux immenses aspirations de peuples longtemps opprimés par la domination coloniale tout en gérant l’héritage qui en découle, qu’il s’agisse des frontières ou des économies. Enfin, ces États devaient se positionner dans un monde nouveau pour eux, celui des relations interafricaines, des rapports avec les anciennes métropoles, mais aussi de la guerre froide puis de la mondialisation. En donnant brusquement satisfaction aux luttes pour l’émancipation des peuples africains, les indépendances de 1960 levèrent de profondes espérances, et donc de possibles désillusions. Nombre de questions qui sont apparues dans les années 1960, comme celles de la démocratie, du développement, des rapports Nord-Sud, ont nourri la thèse de « l’afro- pessimisme ». 50 ans après, ces États commémorent leur indépendance et l’on célèbre, surtout dans le monde francophone – premier concerné par cette vague d’émancipation – le « cinquantenaire des indépendances africaines » (on notera que le monde anglophone n’a pas érigé l’année 1960 en date emblématique, et qu’il tend même à associer cette date à la décolonisation française). À l’heure des commémorations, quel bilan peut-on dresser de ce demi-siècle d’indépendance ? 2010 est-elle celle de la « renaissance africaine » ? Si l’année 1960 peut sembler pouvoir résumer l’émancipation de l’Afrique subsaharienne, braquer de la sorte le projecteur sur cet épisode, présente cependant toute une série de biais et peut conduire à certaines illusions rétrospectives. Le risque est de déformer la réalité de la décolonisation en occultant, en amont, les luttes des peuples colonisés et les réponses apportées par les métropoles ; et, en aval, les difficultés des lendemains des indépendances et la perpétuation, sous d’autres formes, de la domination occidentale, objet des études postcoloniales. Ce choix privilégie également le cas français, puisque 15 des indépendances de 1960 concernent des colonies ou des territoires sous tutelle française, au risque de mettre dans l’ombre le rôle et la place d’autres territoires, notamment d’Afrique australe marqués par l’apartheid. Il met enfin en valeur une décolonisation négociée, donnant ainsi une vision optimiste du processus, au détriment des indépendances arrachées ou des indépendances immédiatement suivies de crises violentes. L’année 1960 mérite donc un examen à une double échelle. Il s’agit d’abord de la replacer dans le temps moyen de la décolonisation, des contestations du système colonial au lendemain des indépendances et jusqu’à aujourd’hui. Nombre de questions restent posées. Comment expliquer « l’accélération » des indépendances en Afrique autour de 1960 ? Cette année est-elle représentative du processus d’émancipation de l’Afrique subsaharienne, qui se poursuit bien au-delà ? Et que reste-t-il aujourd’hui des rêves et des espoirs de 1960 ? Cette émancipation apparemment complète du continent – à la différence par exemple des Antilles où d’anciennes colonies ont, non sans heurts, choisi la voie de l’assimilation et de la départementalisation – est-elle pour autant parfaitement achevée ? Y a-t-il aujourd’hui des formes de domination post ou néocoloniales ? Dans quelle mesure les difficultés actuelles de l’Afrique sont-elles imputables à la colonisation ? Il s’agit aussi d’examiner de plus près les événements afin de dresser un tableau plus nuancé de l’année 1960 qui permettra de réviser la traditionnelle opposition entre un modèle britannique et un modèle français ainsi que de relativiser l’image d’une décolonisation « douce ». Pour répondre à ces questions, le choix a été fait de privilégier les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) sans exclure d’autres sources ou documents. L’intérêt est multiple : constituer une sorte de fil rouge à l’étude, problématiser l’approche (ici : comment les actualités ou la télévision française © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 4
rendent-elles compte de l’émancipation des colonies africaines ?), faire appel à l’esprit critique des élèves, notamment face aux images d’actualités et à leur commentaire… Ce choix axe l’étude sur le cas français, et le point de vue de la métropole. Ces aspects ne sont pas à cacher, au contraire : on amènera les élèves à saisir ce double biais et on les invitera à chercher des points de vue alternatifs autres que ceux qui sont déjà fournis dans ce dossier. Conception et réalisation du dossier : Auteur : Olivier Dautresme Chargée de mission : Marie-Christine Bonneau-Darmagnac Chef de projet éditorial : Bernard Clouteau Iconographe : Laurence Geslin Graphiste : Julien Lassort Intégration technique : François Thibaud Intégration éditoriale : Fanny Dieumegard Secrétaires de rédaction : Sophie Roué, Julie Desliers-Larralde © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 5
Quelles revendications pour l’Afrique noire ? Introduction Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, la colonisation est mise en cause à la fois sur le plan international et dans les territoires dépendants. Le conflit a accéléré le développement des revendications nationales en Afrique comme dans les autres parties du monde sous domination européenne. Comme pendant les années 1914-1918, les aléas de la guerre remettent en cause la suprématie des Blancs et contribuent à détériorer l’image de l’Europe. Nombreux furent aussi les Africains qui espérèrent une récompense de leur loyauté. Les populations coloniales, qui avaient participé à la guerre, étaient convaincues qu’on avait exigé d’elles des sacrifices pour combattre l’oppression au nom d’une liberté dont elles devaient bénéficier. En outre, les pays traditionnellement opposés à la colonisation, les États-Unis et l’URSS, sortaient renforcés du conflit alors que les métropoles étaient affaiblies. La victoire des Alliés engendrait donc de l’espoir. L’Organisation des Nations unies (ONU), née de la Seconde Guerre mondiale, est aussi intervenue dans le processus, encourageant l’émancipation et fournissant une tribune aux anticolonialistes. Dans ce contexte nouveau, les puissances coloniales ont tenté de s’adapter, usant de la réforme, de la négociation mais aussi de la répression. Quelle était la situation de l’Afrique en 1945 ? En quoi le contexte de l’après-guerre favorisa-t-il l’émergence de revendications en Afrique ? Quelles furent ces revendications ? Comment les puissances coloniales y répondirent-elles ? L’Afrique en 1945 La plus grande partie du continent africain est, en 1945, sous domination coloniale. Si certains territoires ont été colonisés précocement (l’Afrique du Sud dès le XVIIe siècle, l’Algérie à partir de 1830), la plupart des territoires sont passés sous souveraineté européenne autour de la fin du XIXe siècle. En 1945, la carte indique cinq pays indépendants : l’Égypte (depuis 1922), le Liberia (depuis 1945), l’Érythrée (mais ce territoire fait alors partie de l’Éthiopie avant de s’en séparer en 1993), l’Éthiopie (qui n’a jamais été colonisée hormis la parenthèse de l’occupation italienne entre 1935 et 1941), l’Union sud-africaine (qui est alors un dominion britannique et le restera jusqu’en 1961, date de sa pleine et entière indépendance). En dehors de l’Érythrée, ce sont les quatre pays africains signataires de la charte des Nations unies. Frontières de 1945 et souverainetés coloniales Voir la carte sur le site de la Documentation française L’ONU L’ONU était considérée par les colonisés comme ayant vocation à soutenir leurs revendications du fait de ses textes de référence (charte des Nations unies et Déclaration universelle des droits de l’homme) et du fait qu’elle exerçait une tutelle sur certaines colonies comme le Togo. L’ONU constitua une tribune dans laquelle les pays non-colonisateurs ou fraîchement décolonisés critiquèrent les colonisateurs. © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 6
La charte des Nations unies Dès le 14 août 1941, Roosevelt et Churchill avaient affirmé, dans la charte de l’Atlantique : « Chaque peuple a le droit de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre. » Cette déclaration était ambiguë car, si elle visait d’abord les peuples d’Europe occupés par les puissances de l’Axe, elle pouvait s’appliquer également à toutes les populations assujetties, y compris coloniales. Dans son discours du 5 octobre 1941, Churchill récusa cette interprétation : « Je désire être clair : ce que nous avons, nous le gardons. Je ne suis pas devenu Premier ministre de Sa Majesté afin de procéder à la liquidation de l’Empire britannique. » Cependant, le travailliste Clément Attlee, s’adressant à des étudiants ouest-africains, estimait que la charte concerne toutes les « races » : « Après les horreurs de la guerre et la destruction, nous arriverons à un monde de paix, de sécurité et de justice sociale non pour un peuple, non pour un continent, mais pour tous les peuples de tous les continents du monde. » (Times, 16 août 1941). Du côté américain, le président Roosevelt reprenait à son compte la tradition anticolonialiste des États- Unis, qui s’était déjà exprimée à la conférence de Berlin (1885) ou lors de la question des mandats (1919). L’Organisation des Nations unies traduisit ces préoccupations en mentionnant dans sa charte (26 juin 1945) l’existence de populations dépendantes, ce que certains appelèrent la « charte coloniale » : Chapitre XI : Déclaration relative aux territoires non autonomes Article 73 Les membres des Nations unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente charte et, à cette fin : 1. D’assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les abus. 2. De développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques, dans la mesure appropriée aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations et à leurs degrés variables de développement. 3. D’affermir la paix et la sécurité internationales. 4. De favoriser des mesures constructives de développement, d’encourager des travaux de recherche, de coopérer entre eux et, quand les circonstances s’y prêteront, avec les organismes internationaux spécialisés, en vue d’atteindre effectivement les buts sociaux, économiques et scientifiques énoncés au présent article ; 5. De communiquer régulièrement au secrétaire général, à titre d’information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les chapitres XII et XIII. » On notera que le texte se montre prudent (il n’emploie pas le terme de « colonies » pour ne pas heurter de front les métropoles) et peu innovant dans la mesure où les puissances coloniales demeurent libres d’apprécier « les conditions particulières de chaque territoire » et « leurs degrés variables de développement ». En outre, les termes d’indépendance et même de self-government sont soigneusement évités. « Chapitre XII : Régime international de tutelle © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 7
Article 75 L’Organisation des Nations unies établira, sous son autorité, un régime international de tutelle pour l’administration et la surveillance des territoires qui pourront être placés sous ce régime en vertu d’accords particuliers ultérieurs. Ces territoires sont désignés ci-après par l’expression “territoires sous tutelle” ». Les territoires sous mandat sont confiés en tutelle aux anciens pays mandataires. Le chapitre XII crée un Conseil de tutelle, qui dispose de pouvoirs d’investigation. On observera que cela n’a guère accéléré l’accession à l’indépendance de ces territoires : Cameroun, Togo, Rwanda, Burundi, Sud-ouest africain. Résolution 637 des Nations unies sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, 16 décembre 1952 Cette résolution précise le devoir, pour les puissances coloniales, de préparer les territoires non autonomes « à l’autonomie complète ou à l’indépendance ». Elle s’explique par l’admission à l’ONU de colonies récemment parvenues à l’indépendance (Inde, Pakistan, Ceylan, Birmanie, Indonésie, Libye) et reflète la structuration de l’afro-asiatisme. Voir sur le site de l’ONU 637 (VII). Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes Considérant que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes est une condition préalable de la jouissance de tous les droits fondamentaux de l’homme, Considérant que les articles 1 et 55 de la charte des Nations unies visent à développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, en vue de consolider la paix du monde, Considérant que la charte des Nations unies reconnaît que certains membres de l’Organisation des Nations unies ont la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes et proclame les principes dont ils doivent s’inspirer, Considérant que chaque membre de l’Organisation doit, conformément à la charte, respecter le maintien du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les autres États, L’assemblée générale recommande ce qui suit : 1. Les États membres de l’Organisation doivent soutenir le principe du droit de tous les peuples et de toutes les nations à disposer d’eux-mêmes ; 2. Les États membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne les populations des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle placés sous leur administration, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et doivent faciliter l’exercice de ce droit aux populations de ces territoires compte tenu des principes et de l’esprit de la charte des Nations unies en ce qui concerne chaque territoire et de la volonté librement exprimée des populations intéressées, la volonté de la population étant déterminée par voie de plébiscite ou par d’autres moyens démocratiques reconnus, de préférence sous l’égide des Nations unies ; 3. Les États Membres de l’Organisation qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle prendront des mesures pratiques, en attendant la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et afin de préparer cette réalisation, pour assurer la participation directe des populations autochtones aux organes législatifs et exécutifs du gouvernement de ces territoires, ainsi que pour préparer lesdites populations à l’autonomie complète ou à l’indépendance. 403e séance plénière, le 16 décembre 1952. © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 8
Résolution 1514 « sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », 14 décembre 1960 Cette résolution, prend acte pour s’en réjouir de la récente accession à l’indépendance de nombreux territoires, est beaucoup plus radicale car elle attaque directement le « colonialisme dans toutes ses manifestations ». En septembre, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, accueille solennellement les représentants de ces nouveaux États devant le siège de l’Organisation. L'Assemblée générale, Consciente de ce que les peuples du monde se sont, dans la Charte des Nations Unies, déclarés résolus à proclamer à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, et à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande, Consciente de la nécessité de créer des conditions de stabilité et de bien-être et des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect des principes de l'égalité de droits et de la libre détermination de tous les peuples, et d'assurer le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, Reconnaissant le désir passionné de liberté de tous les peuples dépendants et le rôle décisif de ces peuples dans leur accession à l'indépendance, Consciente des conflits croissants qu'entraîne le fait de refuser la liberté à ces peuples ou d'y faire obstacle, qui constituent une grave menace à la paix mondiale, Considérant le rôle important de l'Organisation des Nations Unies comme moyen d'aider le mouvement vers l'indépendance dans les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes, Reconnaissant que les peuples du monde souhaitent ardemment la fin du colonialisme dans toutes ses manifestations, Convaincue que le maintien du colonialisme empêche le développement de la coopération économique internationale, entrave le développement social, culturel et économique des peuples dépendants et va à l'encontre de l'idéal de paix universelle des Nations Unies, Affirmant que les peuples peuvent, pour leurs propres fins, disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles sans préjudice des obligations qui découleraient de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'avantage mutuel, et du droit international, Persuadée que le processus de libération est irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises, il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s'accompagne, Se félicitant de ce qu'un grand nombre de territoires dépendants ont accédé à la liberté et à l'indépendance au cours de ces dernières années, et reconnaissant les tendances toujours plus fortes vers la liberté qui se manifestent dans les territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, Convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l'exercice de leur souveraineté et à l'intégrité de leur territoire national, PROCLAME solennellement la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations; Et, à cette fin, Déclare ce qui suit : © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 9
1. La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales. 2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel. 3. Le manque de préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans celui de l'enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l'indépendance. 4. Il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu'elles soient, dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d'exercer pacifiquement et librement leur droit à l'indépendance complète, et l'intégrité de leur territoire national sera respectée. 5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes. 6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies. 7. Tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la présente Déclaration sur la base de l'égalité, de la non- ingérence dans les affaires intérieures des Etats et du respect des droits souverains et de l'intégrité territoriale de tous les peuples. Les deux grands Les États-Unis et l’URSS, qui s’imposent comme les puissances majeures au lendemain de la guerre, condamnent le colonialisme mais selon des arguments différents. Dans le contexte de la guerre froide, la question coloniale devient un sujet de rivalités entre l’Est et l’Ouest, comme en témoigne cette confrontation d’Eisenhower et Khrouchtchev à l’ONU en 1960. Images INA - A New York, l’ONU centre du monde (Les Actualités Françaises - 28/09/1960) Voir la vidéo sur le site de l’INA On discernera dans ce compte rendu le double enjeu de cette assemblée de l’ONU : − l’admission à l’ONU des 14 nations africaines qui viennent d’accéder à l’indépendance, marque symbolique de leur souveraineté ; − la rivalité, qui se manifeste à la tribune de l’ONU, entre États-Unis et URSS, Eisenhower annonçant un « plan Marshall pour l’Afrique », Khrouchtchev dénonçant avec violence le « colonialisme ». On éclairera cette intervention d’Eisenhower à la lumière de la stratégie du containment, qui a déjà justifié le plan Marshall pour l’Europe en 1947, l’objectif étant d’endiguer l’expansion du communisme. On explicitera également les ressorts idéologiques du discours de Khrouchtchev, dans la tradition de la dénonciation de « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». On observera pour finir que jusque dans les années 1950, les problèmes africains restent au second plan derrière ceux de l’Asie et que, hormis l’Indochine, la décolonisation n’a suscité aucune crise grave entre les deux blocs. © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 10
Du côté des métropoles : le cas français Les années de guerre et celles qui suivent sont l’histoire d’un vaste malentendu entre colonisateurs et colonisés. Les Européens restent attachés à leurs empires, rempart de leur puissance en déclin. Ils concèdent à leurs colonies africaines des réformes de faible portée tout en ayant le sentiment de faire preuve d’une grande générosité. Mais les Africains veulent plus : ils franchissent le pas qui sépare l’espoir de progrès de la volonté d’obtenir un changement radical. La célèbre conférence de Brazzaville illustre cette incompréhension et témoigne du fossé croissant entre colonisateurs et colonisés. Réunie dans la tradition des grandes conférences impériales, elle fut l’objet d’un mythe – comme la conférence de Berlin – qui lui a conféré une signification, un poids et une portée bien éloignés de la réalité. Convoquée à l’initiative de de Gaulle avec comme mission de réfléchir à l’avenir de l’empire, elle est conçue et organisée par René Pleven, le commissaire aux Colonies de la France libre, et se tient du 30 janvier au 8 février 1944 dans la ville qui a été érigée en capitale de la France libre en 1941. Elle a un double but : affirmer la mainmise française sur son empire face aux manœuvres anticoloniales américaines ; témoigner que la participation des peuples colonisés dans la « libération nationale » serait prise en compte. Outre de Gaulle (qui n’est resté que deux jours) et Félix Eboué, son hôte (Noir originaire de Guyane, il avait rallié la France libre dès août 1940 alors qu’il était gouverneur du Tchad, avant d’être nommé gouverneur général de l’AEF, premier Noir à occuper un poste aussi élevé dans l’administration coloniale française), la conférence réunit les gouverneurs et les grands administrateurs de l’Afrique française. Aucun Africain n’est invité à participer aux travaux. Les « évolués » peuvent seulement transmettre leurs revendications par le biais du gouverneur Eboué. Le discours d’ouverture de Pleven rappelle simplement la « mission civilisatrice » de la France en Afrique : « Nous continuerons simplement les grandes traditions coloniales de la France, celle des grands hommes à qui le pays doit son empire. [...] Votre présence [...] nous permet de faire de cette conférence africaine française ce que nous voulons en premier lieu qu’elle soit : l’affirmation de notre foi en la mission de la France en Afrique, de notre conviction que les Français portent en eux l’aptitude, la volonté de la force de la mener à bien, enfin, l’affirmation de notre volonté de prendre nous-mêmes et surtout sans les partager avec aucune institution anonyme, les immenses mais exaltantes responsabilités qui sont les nôtres, vis-à-vis des races qui vivent sous notre drapeau. » Discours de de Gaulle à Brazzaville (janvier 1944) Images INA - De Gaulle discours de Brazzaville (janvier 1944) Voir la vidéo sur le site de l’INA Tout en justifiant la colonisation française en Afrique, de Gaulle évoque la perspective d’une « gestion de leurs propres affaires » par les Africains : « En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi. Tel est le but vers lequel nous avons à nous diriger. Nous ne nous dissimulons pas la longueur des étapes. » Cette phrase est en partie à l’origine du mythe. En réalité, il n’était nullement question d’indépendance des colonies africaines. En effet, les réformes sociales prévues étaient importantes mais aucune place ne fut laissée au dialogue, et le préalable à la recommandation votée par la conférence excluait toute perspective d’indépendance ni même d’autonomie : © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 11
« Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire : la constitution éventuelle, même lointaine, de self-government dans les colonies est à écarter. » L’œuvre de la conférence fut diversement jugée. Pour les uns, elle représentait une volonté de nouveauté par rapport à l’immobilisme précédent et contenait un programme audacieux. Pour les autres, elle restait conservatrice, voire rétrograde, surtout en ce qui concerne le travail forcé et l’avenir politique des colonisés. Considérée par la suite comme un tournant de la politique coloniale française, elle prit alors une signification mythique consacrée par de Gaulle, lorsqu’il commença sa tournée africaine en 1958 par la capitale du Congo. La conférence de Brazzaville (janvier 1944) Images INA - De Gaulle discours de Brazzaville 30 janvier 1944 (Office Français d'Informations Cinématographiques - 01/01/1944) Voir la vidéo sur le site de l’INA « Et voici Brazzaville, Brazzaville qui arrêta la capitulation au nord de l’Équateur, Brazzaville, refuge pendant ces cruelles années de l’indépendance et de l’honneur français. C’était bien ici que devait se réunir la conférence africaine. C’était bien ici que devaient se réunir les meilleurs serviteurs de la civilisation française en Afrique. Parce qu’ils étaient les serviteurs de cette civilisation, pour la première fois dans une conférence de ce genre, la primauté fut accordée non plus aux problèmes économiques mais aux problèmes humains. Et enfin pour cette raison, déclara le général de Gaulle, ayant tiré du drame la leçon qu’il convient, la France nouvelle a décidé, pour ce qui la concerne et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent d’elle, de choisir noblement, largement des chemins nouveaux en même temps que pratiques vers le destin. C’est l’homme, c’est l’Africain, devait résumer aussi le commissaire aux colonies René Pleven, ce sont ses aspirations, ses besoins, c’est l’Africain comme individu et membre de la société qui sera la préoccupation constante de la conférence. » Ce compte rendu est révélateur de la manière dont la métropole envisage l’avenir de l’Afrique au sein de l’empire colonial français. Il insiste d’abord sur le choix de Brazzaville, symbole de l’attachement de la métropole à son empire. Il reprend des éléments des discours de de Gaulle et de Pleven au caractère paternaliste et excessivement flou. Enfin, de manière involontaire, par l’image, il illustre le fossé séparant les Blancs, présents à la conférence, des Noirs, cantonnés dans la rue. De manière générale, en face de positions internationales favorables à la décolonisation, la France et le Royaume-Uni réforment leur empire. Cela se traduit par un changement de dénomination. En France, l’empire fait place à l’Union française, plus conforme aux idées développées dans le préambule de la Constitution de 1946 : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion. L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires, écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus. » © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 12
L’émergence du tiers-monde : la conférence de Bandung Les pays participant à la conférence de Bandung en 1955 Voir la carte sur le site de la Documentation française La conférence de Bandung se tient du 18 au 25 avril 1955 en Indonésie. Le président Soekarno est l’hôte de 29 délégations venues d’Afrique, d’Asie et du Proche-Orient et qui ont toutes en commun d’appartenir à ce que le démographe français Alfred Sauvy a désigné en 1952 sous le terme de « tiers- monde ». La carte est représentative de l’avancée du processus de décolonisation en 1955 : alors que l’Asie, très largement émancipée, fournit le gros des participants, seuls six États africains sont présents à Bandung. Cette conférence est perçue par Senghor, alors envoyé officiel français et futur président du Sénégal, comme un « coup de tonnerre ». En effet, les États-Unis et l’URSS ont été tenus à l’écart des débats et c’est ce qui explique en partie la curiosité médiatique qui entoure l’événement. De plus, dans le communiqué final, ces pays appellent à la poursuite de la décolonisation en Afrique (dont certains pays encore colonisés sont invités en tant qu’observateurs) et à la non-ingérence des grandes puissances dans leurs affaires intérieures. Ils adoptent également le principe d’une coopération internationale pour aider au développement des pays les plus pauvres. Mais au terme de cette conférence, utilisée comme vitrine internationale pour des pays comme la Chine (représentée par son ministre des Affaires étrangères Zhou Enlai), des divergences d’opinions apparaissent entre pays pro-occidentaux, communistes et neutralistes. Elles ne permettent pas aux délégations présentes d’affirmer une position claire et commune de non-alignement par rapport aux États- Unis et à l’URSS. Extrait du communiqué final de la conférence, 24 avril 1955 : « C) Droits de l’Homme et auto-détermination 1. La Conférence afro-asiatique déclare appuyer totalement les principes fondamentaux des droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la charte des Nations unies et prendre en considération la Déclaration universelle des droits de l’homme comme un but commun vers lequel doivent tendre tous les peuples et toutes les Nations. La Conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d’eux- mêmes tel qu’il est défini dans la charte des Nations unies et prendre en considération les résolutions des Nations unies sur le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, qui est la condition préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’homme. 2. La Conférence afro-asiatique déplore la politique et les pratiques de ségrégation et de discrimination raciales qui forment la base du système politique et des rapports humains dans de vastes régions d’Afrique et dans d’autres parties du monde. Un tel comportement est non seulement une violation grossière des droits de l’homme mais encore une négation des valeurs essentielles de la civilisation et de la dignité de l’homme. La Conférence exprime sa profonde sympathie et son appui pour l’attitude courageuse prise par toutes les victimes de la ségrégation raciale, particulièrement par les peuples d’origine africaine, indienne et pakistanaise en Afrique du Sud ; approuve chaleureusement tous ceux qui soutiennent leur cause ; réaffirme la détermination des peuples asiatiques et africains d’extirper toute trace de racisme qui pourrait exister dans leurs propres pays, et s’engage à user de toute son influence morale pour mettre en garde ceux qui courraient le danger d’être victimes du même fléau dans leur lutte pour l’extirper. 3. Considérant la tension existant au Moyen-Orient, tension qui est causée par la situation en Palestine, et considérant le danger que cette tension constitue pour la paix mondiale, la Conférence afro-asiatique déclare appuyer les droits du peuple arabe de Palestine et demande l’application des résolutions des Nations unies sur la Palestine et la réalisation d’une solution pacifique du problème palestinien. F) Déclaration sur les problèmes des peuples dépendants © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 13
La Conférence afro-asiatique a discuté les problèmes des peuples dépendants et du colonialisme et des maux résultant de la soumission des peuples à l’assujettissement de l’étranger, à leur domination et à leur exploitation par ce dernier. La Conférence est d’accord : 1. Pour déclarer que le colonialisme, dans toutes ses manifestations, est un mal auquel il doit être mis fin rapidement. 2. Pour déclarer que la question des peuples soumis à l’assujettissement à l’étranger, à sa domination et à son exploitation constitue une négation des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la charte des Nations unies et empêche de favoriser la paix et la coopération mondiales. 3. Pour déclarer qu’elle appuie la cause de la liberté et de l’indépendance de ces peuples. 4. Et pour faire appel aux Puissances intéressées pour qu’elles accordent la liberté et l’indépendance à ces peuples. » © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 14
Mouvements anticolonialistes et nationalistes En 1945, en Afrique subsaharienne, on ne remet pas fondamentalement en cause la tutelle de la France. Pourquoi ? Les conditions même d’une prise de conscience nationale n’existent pas : elles n’étaient pas réunies avant la colonisation, et des identités nationales fortes n’ont pas eu le temps de se former durant la colonisation, à l’intérieur des découpages coloniaux. C’est aussi un effet de la politique (ou du discours) d’assimilation culturelle de la France qui a encouragé parmi les élites davantage le désir d’égalité avec l’ensemble des citoyens français que celui du divorce. Autrement dit, il y a plus d’égalitarisme que d’indépendantisme, y compris chez un Senghor, ardent promoteur de la « négritude ». Parmi ces élites, nées avant ou pendant la Première Guerre mondiale et ayant vécu une colonisation tout à la fois assimilatrice et paternaliste, on peut citer Senghor (Sénégal), Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire), Modibo Keïta (Soudan-Mali), Philibert Tsiranana (Madagascar), Léon M’Ba (Gabon). Cependant, de nouvelles générations de militants et de leaders africains apparaissent, plus radicaux, plus attentifs à l’évolution générale du monde, formés par le syndicalisme ou par les universités de la métropole. Mais ce n’est pas qu’affaire de génération : aux radicaux Sékou Touré ou Ruben Um Nyobé (leader de l’Union des populations du Cameroun [UPC]), nés dans les années 1910-1920, s’opposent des « modérés » qui comptent des hommes jeunes comme Hmadou Ahidjo (adversaire de l’UPC au Cameroun) ou David Dacko (Oubangui). Quoiqu’il en soit, au cours des années 1950, les modérés sont débordés par des éléments plus radicaux au sein des syndicats, des organisations étudiantes, des associations. Beaucoup, marxisés, critiquent ouvertement l’impérialisme français, invoquant la solidarité des colonisés, et bientôt l’indépendance immédiate. En 1958, l’empire colonial français, rebaptisé depuis 1946 « Union française », reste l’objet d’un discours télévisuel à la gloire de l’œuvre réalisée par la France et qui passe entièrement sous silence l’émergence de ces mouvements contestataires. L’Union française en 1958 Images INA - Union française (JT 13H - 23/09/1958) Voir la vidéo sur le site de l’INA Réalisé à la veille du référendum du 28 septembre 1958 pour le journal télévisé, ce montage dresse un panorama de la situation démographique, politique et économique de l’Union française et de sa population autochtone. À l’aide d’images d’illustration, il présente des grands travaux menés à Madagascar, en Afrique occidentale et orientale : aménagements des voies navigables, développement du réseau routier, exploitations des richesses du sous-sol, ouverture d’hôpitaux et d’écoles publiques. Ce « chef-d’œuvre » de propagande coloniale s’inscrit dans une parfaite continuité avec l’entreprise de justification de la colonisation engagée notamment par Lyautey dans l’entre-deux-guerres… Le commentaire multiplie les éloges de l’œuvre coloniale : « Poursuivant un effort entrepris depuis plus de cinquante ans, la France a obtenu dans cette Afrique noire [...] des résultats qui la placent au tout premier rang des nations qui ont œuvré en faveur de pays incomplètement développés [...]. C’est à la France qu’ils devront leur éducation civique, leur émancipation sociale, la pratique de la démocratie, et aussi cette promotion dans l’ordre des valeurs humaines qui a donné aux Africains cette joie de vivre, cette authentique élégance, ce rythme moderne d’activité… » Par contre, le commentaire observe un silence total sur les intérêts de la métropole, les formes d’exploitation, l’émergence de mouvements contestataires, voire indépendantistes… © SCÉRÉN [CNDP-CRDP] 2010 15
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