Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ? La dérive d'un modèle d'affaires
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Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2015 « Prix des nouveaux médicaments : quelle logique ? » Intervention de Marc-André Gagnon, professeur adjoint en politique publique à l’université Carleton (Ottawa, Canada) Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ? La dérive d’un modèle d’affaires L e prix de certains médi- caments spécialisés, dits "de niche" puisqu’ils visent nor- Le prix des médicaments n’est pas lié à leur coût en recherche et développement la R&D interne de la firme Pfizer qui n’a réussi à faire autoriser que 9 mé- dicaments entre 2000 et 2008, mais malement des marchés restreints, aurait consacré 60 milliards en R&D, est en général très élevé. L’industrie pharmaceutique cherche soit un coût moyen record de 6,7 mil- Ce qui est nouveau est la tendance souvent à justifier les prix élevés de ses liards par médicament (8). Les patients générale qui voit ces médicaments médicaments en avançant qu’ils sont devraient-ils accepter de payer plus spécialisés devenir le vecteur principal nécessaires pour financer la recherche cher les médicaments pour cette firme des hausses de coûts dans les systèmes et le développement (R&D) de nou- parce que ses coûts sont plus élevés nationaux de santé. Un exemple veaux produits (5). L’industrie fixerait étant donné l’inefficience de sa R&D ? récent est celui du sofosbuvir ainsi ses prix de manière à recouvrer Enfin, la moitié de la somme de 2,56 (Sovaldi°, ou Harvoni° en associa- le coût de ses investissements. Cepen- milliards de dollars correspond à une tion avec le lédipasvir), qui ferait plus dant, en pratique, il n’y a peu ou pas estimation d’un "manque à gagner" que doubler le coût total en médi- de corrélation entre le prix d’un mé- dû au fait que l’argent, ayant été in- caments prescrits aux États-Unis dicament donné et le coût investi en vesti en R&D, n’a pas été investi ail- d’Amérique si tous les patients infectés R&D par une firme, pas plus qu’entre leurs (coût d’opportunité de l’inves- par l’hépatite C avaient recours à ces le prix d’un médicament et son coût tissement). L’estimation ne tient en traitements (a) (1,2). de fabrication (c). revanche pas compte des généreux Bien qu’ils ne totalisent qu’environ crédits d’impôts dont bénéficient gé- 1 % des prescriptions, les médicaments Coûts de R&D : des estimations néralement les firmes pharmaceu- "de niche" (en anglais, "specialty me- industrielles à relativiser. Selon tiques et qui peuvent aller jusqu’à la dications") peuvent représenter plus l’estimation du Tufts Center for the moitié des coûts de R&D (9). du quart des dépenses totales en mé- Study of Drug Development, un institut Au total, même en se basant sur dicaments prescrits (1). Et il est estimé en grande partie financé par les firmes ces données, les dépenses réelles re- que les dépenses pour ces médicaments pharmaceutiques, le coût de R&D d’un présenteraient en moyenne plutôt le spécialisés devraient quadrupler d’ici nouveau médicament jusqu’à l’ob- quart de la somme de 2,56 milliards 2020 (3). Contrairement au sofosbuvir, tention d’une autorisation de mise de dollars pour chaque médicament la plupart des nouveaux médicaments en marché serait en moyenne de 2,56 autorisé. "de niche" n’apportent souvent qu’une milliards de dollars US (6). contribution thérapeutique minime. En Cette estimation est toutefois for- oncologie par exemple, ils ne rallongent tement contestée. En effet, elle re- a- Après l’acquisition de la firme Pharmasset en parfois l’espérance de vie du patient que pose sur des données confidentielles 2011, la firme Gilead a annoncé la mise sur le de quelques semaines, mais font courir fournies par les firmes et porte sur un marché du sofosbuvir contre l’hépatite C au prix de 1000 dollars US par comprimé, soit un coût des risques d’effets indésirables graves et échantillon de produits sélectionnés total de 84 000 dollars par cure. Si, aux États- peuvent coûter plus de 100 000 dollars parmi les plus coûteux, sans aucune Unis d’Amérique, les 3,2 millions de personnes infectées par l’hépatite C recouraient au sofosbuvir par patient et par année (b) (4). transparence quant aux données (Sovaldi°) ou à l’association sofosbuvir + lédipasvir Le décalage important - et grandis- avancées. Selon le PDG de Glaxo (Harvoni°), il en coûterait environ 270 milliards de dollars, ce qui ferait plus que doubler le coût sant - entre la valeur thérapeutique SmithKline lui-même, Andrew Witty, total en médicaments prescrits dans ce pays (réf. 2). de nombreux nouveaux médicaments l’idée selon laquelle il en coûterait en b- C’est le cas de 11 des 12 médicaments contre le cancer approuvés en 2012 par l’agence étatsunienne de niche et leur prix permet de com- moyenne plus d’un milliard de dollars (Food and Drug Administration, FDA) (réf. 34). prendre pourquoi ces médicaments de pour mettre sur le marché un nou- c- Le coût de fabrication des médicaments n’est pas un élément significatif du prix du produit. Par niche se retrouvent au centre du nou- veau médicament est un mythe, et les exemple, dans le cas du sofosbuvir, une équipe de veau modèle d’affaires des firmes phar- firmes pourraient tout à fait être plus chercheurs a estimé à environ 100 dollars (entre 68 et 136 dollars) par patient le coût de production de maceutiques. efficaces (7). Par exemple, la revue ce traitement vendu 84 000 dollars aux États-Unis Fortune a démontré l’inefficience de d’Amérique (réf. 35). Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2015 • Gagnon M-A “Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ?” • Page 1
Des coûts de R&D plutôt de nels seront réinvestis en recherche. faire des profits. Les prix des médica- l’ordre de 100 millions de dollars La concurrence créée par l’arrivée des ments brevetés sont ainsi fixés selon US. D’autres estimations indépen- génériques à expiration des brevets le prix maximum que les patients et le dantes du coût de R&D par médica- est en effet le principal incitatif qui système de santé accepteront de payer. ment arrivent à des résultats très dif- stimule les firmes à investir dans la L’industrie pharmaceutique a été férents de ceux du Tufts Center. Des R&D de nouveaux médicaments. En l’industrie la plus rentable en 2013, chercheurs nord-américains ont recal- corollaire, si les génériques ne peuvent et elle l’est vraisemblablement restée culé les chiffres du Tufts Center en utili- pénétrer correctement le marché une en 2014 (16). L’année 2014 a aussi sant une méthodologie plus complète, fois le brevet expiré, la nécessité d’in- été une année record quant aux ra- permettant d’inclure dans le calcul des vestir en recherche pour développer chats d’actions et aux fusions-acquisi- médicaments moins chers ou produits de nouveaux produits s’amenuise tions dans le secteur pharmaceutique en partie avec des fonds publics ou d’autant. (17,18). des crédits d’impôts. Selon eux, le coût moyen serait plutôt de 90 millions Les profits ne sont pas associés de dollars par nouveau médicament à des investissements en R&D. Du modèle d’affaires des et le coût médian de 60 millions de Croire qu’une augmentation des pro- "blockbusters" à celui dollars (10). L’organisation non gou- fits conduira à une augmentation des des"nichebusters" vernementale Médecins sans Frontières investissements est un leurre. considère, sur la base de 10 années Dans les dynamiques capitalistes de Pour comprendre pourquoi les prix d’expérience avec l’organisation de l’économie du savoir, les profits sont des médicaments ont augmenté si ra- recherche à but non lucratif Drugs en général redistribués aux action- pidement ces dernières années, il faut for Neglected Diseases Initiative, que le naires, soit par des dividendes, soit par s’intéresser aux particularités du nou- coût moyen est plutôt de l’ordre de 50 des rachats d’action. Ils peuvent aussi veau modèle d’affaires "nichebusters", millions de dollars par nouveau mé- être utilisés pour racheter des concur- qui commence à s’imposer dans le sec- dicament, ou 186 millions de dollars rents par des fusions et acquisitions teur pharmaceutique. en prenant en compte les développe- qui occasionnent souvent la fermeture ments n’ayant pas abouti (11). Une de laboratoires de recherche. Modèle d’affaires "blockbus- analyse méthodique des publications Une étude comptable sur l’évolu- ters" : dominant des années 1990 portant sur les coûts de la R&D montre tion financière des dix plus grandes au milieu des années 2000. Un mé- qu’il est en réalité impossible d’avoir firmes pharmaceutiques pendant 10 dicament blockbuster (alias "médica- une idée précise de ce que coûte la ans a montré que les bénéfices nets ment vedette") est un médicament R&D d’un nouveau médicament (12). d’exploitation après impôt se sont éle- qui génère un chiffre d’affaires de plus vés à 413 milliards de dollars, soit un d’un milliard de dollars par an à la Peu importe le coût exact de taux de profit net (rendement après firme qui le commercialise. Dans les la R&D, l’objectif est de maxi- impôt sur l’avoir des actionnaires) de années 1990 et 2000, ce modèle d’af- miser les profits. Selon le PDG de 28,7 %, un taux très élevé par rapport faires était considéré comme le modèle Pfizer, Hank McKinnell, « c’est une à la moyenne de l’industrie (15). Ces dominant. Il reposait sur la commer- illusion de laisser croire que notre indus- firmes ont redistribué 77 % des béné- cialisation de médicaments destinés à trie, ou toute autre industrie, fixe le prix fices nets (317 milliards de dollars) à être vendus à une population-marché d’un produit de manière à recouvrer les leurs actionnaires sous forme de divi- la plus large possible (d) (19). dépenses de R&D » [notre traduction] dendes ou de rachats d’actions, 16 % Dans le modèle "blockbusters", les (13). Ainsi, peu importe le coût exact des bénéfices nets (66 milliards de dol- "nouveaux médicaments" étaient de la R&D : le prix demandé vise sim- lars) ont été provisionnés en vue de souvent des substances de structure plement à maximiser les profits et cor- fusions acquisitions, et 10 % des béné- proche des médicaments existants respond au maximum de ce que les fices nets (43 milliards de dollars) ont (alias "me-too") sans véritable valeur systèmes de santé seront prêts à payer été investis en immobilisations. thérapeutique additionnelle, mais ("willingness-to-pay" en anglais). pour lesquels le prix était souvent ma- Malgré tout, certains continuent En somme : prix fixé au maxi- joré de 20 % à 40 % par rapport au de croire qu’il est nécessaire que les mum de ce que les acheteurs sont médicament précédent (19). marges de profits de l’industrie phar- prêts à payer. Si le prix des médica- Le succès d’un nouveau médica- maceutique restent des plus élevées ments n’est pas lié à leur coût de dé- ment reposait moins sur sa valeur possibles, afin que l’industrie puisse veloppement ou de fabrication et si les thérapeutique que sur la capacité des investir davantage en R&D. Parfois, profits ne sont pas corrélés aux inves- firmes à mettre en place de larges cam- médecins et pharmaciens favorisent tissements des firmes en R&D, com- pagnes promotionnelles auprès des même les produits de marque par ment le prix des médicaments est-il médecins pour faire prescrire le médi- rapport aux génériques avec l’illusion déterminé en réalité ? La réponse est cament au plus grand nombre de gens d’aider ainsi à un plus grand inves- simple : le prix d’un médicament est tissement en recherche (14). Une at- le résultat du rapport de force entre d- Les catégories thérapeutiques de prédilection titude qui s’avère être emprunte de le vendeur et l’acheteur. Le but d’une étaient par exemple les anticholestérolémiants (sta- naïveté : il n’y a en effet aucune rai- firme pharmaceutique n’est pas de tines), les antidépresseurs, les antipsychotiques, les anti-hypertenseurs et les inhibiteurs de la pompe son de penser que des profits addition- produire des médicaments mais de à protons. Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2015 • Gagnon M-A “Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ?” • Page 2
possible. Le succès de ces campagnes Les "nichebusters" comme nou- les médicaments orphelins sont desti- promotionnelles déterminait alors si le veau modèle d’affaires. Souvent nés à des marchés où n’existent que nouveau produit devenait le nouveau produits par biotechniques, les nou- peu ou pas d’alternatives thérapeu- "blockbuster" de sa catégorie (19). veaux médicaments spécialisés sont tiques, limitant d’autant le pouvoir de Malgré l’absence de données pro- notamment destinés au traitement négociation des régimes d’assurance. bantes sur la meilleure efficacité thé- des maladies rares et à celui de dif- En particulier, la notion de maladie rapeutique de ces nouveaux médica- férentes formes de cancer. En visant rare ou encore de cancer accorde sou- ments, les acheteurs, en particulier des marchés spécialisés pour lesquels vent une plus grande acceptabilité so- les régimes d’assurance-médicaments, il n’existe pas de thérapie établie, les ciale à un prix plus élevé. Par exemple, acceptaient de les rembourser sans trop firmes peuvent en effet exiger des prix certains pays, dont le Royaume-Uni, de difficulté (19). plus élevés que pour des marchés déjà ont établi des fonds pour les médica- saturés de médicaments existants. ments anti-cancer afin de permettre Depuis 10 ans, essoufflement du Certains médicaments censés être leur remboursement même si leur ap- modèle d’affaires "blockbusters". "de niche", comme l’imatinib (Glivec°) port thérapeutique ne justifie pas leur Vers le milieu des années 2000, et le trastuzumab (Herceptin°), ont prix (e) (25). Finalement, puisque les victime de son propre succès, le mo- progressivement été autorisés dans médicaments "de niche" visent des dèle a lentement saturé le marché des de nombreuses indications thérapeu- marchés spécialisés, les prescriptions "me-too" (20). tiques, sans que leur prix ne soit revu à dépendent de certaines catégories de Avec un taux de croissance des la baisse (22). Avec des ventes respec- médecins spécialistes peu nombreux, ventes plus rapide que celui de la tives d’environ 5 et 6 milliards de dol- requérant un moindre effort promo- croissance du produit intérieur brut, et lars en 2012, ils ont atteint le statut de tionnel pour les atteindre, d’où des avec des nouveaux médicaments qui blockbusters. D’où la dénomination de coûts de marketing réduits par rapport n’apportaient souvent pas de progrès "nichebusters" pour les médicaments à une promotion de masse (24). thérapeutique, le modèle n’était pas "de niche" qui génèrent un chiffre d’af- soutenable. Dans une période où les faires de plus d’un milliard de dollars Un marché en plein développe- gouvernements cherchent à contenir par an (19-21). ment. Avec 66 médicaments désignés les dépenses de santé, les différents orphelins dans l’Union européenne régimes d’assurance-médicaments ont entre janvier 2006 et octobre 2014, commencé à faire le tri parmi les nou- Les "nichebusters" ou quand les politiques visant à encourager leur veautés et à en exiger plus pour leur tous veulent devenir "orphelin" commercialisation atteignent claire- argent. La supériorité clinique face à ment leurs objectifs (23,24,26). Ces un placebo n’était plus suffisante, les Au cœur du modèle d’affaires politiques sont parfois susceptibles firmes devaient désormais démontrer "nichebusters" se trouvent les poli- de favoriser de véritables innovations la valeur pharmaco-économique du tiques mises en place pour encourager bénéficiant aux patients atteints de nouveau médicament pour qu’il puisse la production de médicaments dits or- maladies rares. Cependant, avec les être remboursé (21). phelins. Un médicament obtient le sta- avancées des biotechniques et le déve- De même, un prix plus élevé se jus- tut réglementaire d’"orphelin" lorsqu’il loppement de tests génétiques censés tifiait seulement par une valeur thé- est indiqué dans le traitement d’une permettre une médecine plus "person- rapeutique plus élevée. Le recours de maladie rare c’est-à-dire qui, selon les nalisée", la frontière entre maladies plus en plus important à l’évaluation standards européens, touche 5 indivi- rares et maladies communes devient pharmaco-économique des technolo- dus ou moins sur 10 000 (23). de plus en plus malléable (27,28). gies de santé dans les différents pays de l’Organisation de coopération et de Des avantages significatifs, no- "Saucissonnage" d’indications développement économiques (OCDE) tamment réglementaires. Dans thérapeutiques. Afin d’obtenir la dé- a été un facteur fondamental derrière l’Union européenne et en Amérique signation de médicament "orphelin", la crise du modèle "blockbusters". du Nord, lorsqu’un médicament est les firmes ont intérêt, dans un premier En réponse à cette crise, les firmes désigné "orphelin", la firme qui le temps, à demander une autorisation de dominantes du secteur pharmaceu- commercialise bénéficie d’avantages mise sur le marché (AMM) pour une tique ont réagi de différentes manières, significatifs tels qu’un processus d’au- indication thérapeutique restreinte, notamment par d’importantes mesures torisation accéléré, des crédits d’impôts correspondant autant que possible de rationalisation (baisse des effectifs, supplémentaires, de l’aide financière à à une affection touchant moins de fermeture de départements de R&D) la recherche, et des périodes d’exclusi- 5 personnes sur 10 000. Le médica- et par une vague de fusions et acqui- vité plus étendues (23,24). ment peut ensuite être soumis à nou- sitions (21). D’autres firmes ont plutôt Le choix de commercialiser des mé- veau pour une nouvelle indication cherché à se diversifier en pénétrant le dicaments "orphelins" apporte aussi thérapeutique restreinte et accumuler secteur des génériques ou des vaccins. d’autres avantages liés à leur nature. les désignations de médicament Après une période de transition d’une D’abord, les essais cliniques nécessaires "orphelin". dizaine d’années, le nouveau modèle pour leur autorisation sont plus petits d’affaires émergeant semble toutefois et donc en général moins coûteux, e- Au Royaume-Uni, on accepte normalement de être celui des médicaments "de niche", même si le recrutement des partici- rembourser environ 30 000 livres sterling par QALY alias "nichebusters". pants peut s’avérer plus long. Ensuite, (Quality-Adjusted Life Year). Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2015 • Gagnon M-A “Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ?” • Page 3
Cette pratique de "saucissonnage" En somme : les "nichebusters", ment inabordable n’est pas plus efficace (en anglais, "salami-slicing") des in- un nouveau modèle d’affaires qu’un traitement qui n’existe pas. dications thérapeutiques est d’ailleurs s’avérant aussi être une impasse devenue la norme, constituant la Marc-André Gagnon principale stratégie corporative pour Le modèle d’affaires "nichebusters" accroître les ventes des médicaments repose sur deux éléments complémen- Déclaration de liens d’intérêts : "orphelins" (24). Ainsi l’imatinib (Gli- taires : la "personnalisation" du trai- Marc-André Gagnon : « Je déclare ne pas vec°) a reçu 7 autorisations de mise tement dans des créneaux rentables avoir de liens d’intérêts qui puissent conduire à la mise en cause de mon indépendance. sur le marché pour des indications (alias "niches"), qui permet de surcroît Mes travaux actuels sont financés uni- différentes, obtenant ainsi 7 fois le l’obtention d’une AMM sur la base quement par des sources publiques ou statut de médicament "orphelin" aux d’une évaluation minimaliste (petits es- des organisations à but non lucratif, dont États-Unis, et la substance interfé- sais menés pendant une durée courte) ; les Instituts de Recherche en Santé du Canada et la Fédération canadienne des ron, mise sur le marché sous 9 noms et des prix si élevés qu’ils auraient été syndicats d’infirmières et d’infirmiers. » de marque différents, a quant à elle impensables il y a 10 ans (f). obtenu 33 désignations de médicament Accepter de payer des prix déme- "orphelin" (24). surés pour des médicaments ayant f- Cette tendance n’est pas sur le point de se ré- sorber. Au contraire, les premiers traitements Par ailleurs, le "saucissonnage" des obtenu le statut plus ou moins mal- géniques, vendus plus d’un million d’euros, de- indications thérapeutiques est aussi léable d’"orphelins" et souvent insuf- vraient apparaître en Europe en 2015 (réf. 36). un moyen efficace pour obtenir une fisamment évalués biaise les incitatifs période d’exclusivité supplémentaire économiques censés permettre une re- Références : en étendant la protection des don- cherche médicale efficace répondant 1- Fegraus L et Ross M “Sovaldi, Harvoni, And nées réglementaires, permettant ainsi aux besoins des patients. Le re-cen- Why It’s Different This Time” Health Affairs Blog ; 21 novembre 2014 : 3 pages. (http:// de redonner de la rentabilité à un trage de la recherche sur les médica- healthaffairs.org/blog/2014/11/21/sovaldi- harvoni-and-why-its-different-this-time/) médicament dont le brevet a expiré ments "orphelins" s’accompagne aussi 2- Lawrence EC “Sovaldi: A Poster Child (23,24,27). de l’exercice de pressions réglemen- for Predatory Pricing” RxObserver.com ; 21 juillet 2014 : 3 pages. (www.rxobserver. taires visant à "adapter" l’autorisation com/?p=2339) Dérive des prescriptions hors- de mise sur le marché de manière à 3- CVS Caremark “Insights 2013 – Advancing the science of pharmacy care - Specialty Trend AMM. La désignation de médicament réduire les exigences réglementaires Management” 2013 (http://viewer.zmags. "orphelin" se fait pour des indications (développement de l’approche appe- com/publication/6283db2d#/6283db2d/1) 4- Fojo T et Grady C “How Much Is Life thérapeutiques très spécifiques, ren- lée "adaptive licensing" ou "adaptive Worth: Cetuximab, Non-Small Cell Lung dant les prescriptions hors-autorisation pathways") (20,31,32). Cancer, and the $440 Billion Question” Journal of the National Cancer Institute 2009 ; de mise sur le marché (AMM) d’autant De plus, dans un contexte où les 101 : 1044-1048. plus fréquentes sous l’influence de pra- maladies rares font l’objet d’une "ruée 5- Rosenblatt M “The Real Cost of ‘High- Priced’ Drugs” Harvard Business Review ; 17 tiques promotionnelles douteuses les vers l’or" de la part de l’industrie, une novembre 2014 : 3 pages. encourageant (29). Par exemple, aux politique de "chèque en blanc" aux 6- Tufts Center for the Study of Drug Deve- lopment “Cost to Develop and Win Marke- États-Unis, les prescriptions hors AMM firmes pour la fixation du prix des ting Approval for a New Drug Is $2.6 Billion” représentent environ 50 % des pres- médicaments de niche met en dan- Communiqué de presse ; 18 novembre 2014 : 2 pages. criptions en oncologie (23). ger la pérennité des systèmes de santé 7- Hirschler B “GlaxoSmithKline boss says (25,33). new drugs can be cheaper” Reuters 14 mars 2013 : 1 page. Vers une saturation du mar- Sans doute le modèle "nichebusters" 8- Elkind P et Reingold J “Inside Pfizer Palace ché des nichebusters ? Les avan- est-il en train de faire la démonstra- coup” Fortune ; 28 juillet 2011. 9- Gagnon M-A “L’aide publique à l’industrie tages consentis et les prix exorbitants tion par l’absurde des limites de la re- pharmaceutique Québécoise : le jeu en vaut-il accordés aux médicaments "orphelins" cherche industrielle organisée autour la Chandelle ?” Interventions Economiques/ Papers in Political Economy 2012 ; (44): 1-17. sont en train de complètement modi- de la maximisation de la rentabilité 10- Light D et Lexchin J “Pharmaceutical Re- fier les dynamiques de recherche. Par commerciale. Il s’agit maintenant de search and Development: What Do We Get for All that Money?” BMJ 2012 ; 344 : 5 pages. exemple, à la fin de l’année 2014, sept se questionner sur ce pour quoi nous 11- Médecins sans Frontière (Doctors Without médicaments différents visant à trai- sommes prêts à payer et quels types Borders) “R&D Cost Estimates: MSF Response to Tufts CSDD Study on Cost to Develop a ter une même indication, les cancers de recherche clinique nous désirons New Drug” Communiqué de presse ; 18 no- vembre 2014 : 1 page. du poumon causés par des réarran- encourager afin de répondre le mieux 12- Morgan S et al. “The Cost of Drug Deve- gements des gènes ALK (une malfor- possible aux besoins sanitaires réels. lopment: A Systematic Review” Health Policy 2011; 100 (1) : 4-17. mation génétique rare qui ne touche En effet, à bien des égards, les incita- 13- McKinnell H “A Call to Action: Taking que quelques milliers de malades), tifs financiers en place dans le modèle Back Healthcare for Future Generations” New York: McGraw Hill, 2005. étaient en cours d’essais cliniques aux "nichebusters" et les prix dispropor- 14- Le Pharmachien "La vraie différence entre États-Unis (30). Une situation qui res- tionnés des nouveaux traitements ne les médicaments génériques et originaux". 11 octobre 2012 (http://lepharmachien.com/ semble de manière inquiétante à la dy- permettent plus de bien répondre aux la-vraie-difference-entre-les-medicaments- namique de concentration inefficiente besoins sanitaires de la population. generiques-et-originaux/) 15- Lauzon L-P et Hasbani M "Analyse so- des ressources en R&D qui a été obser- En attendant, il est important de rap- cio-économique : Industrie Pharmaceutique vée dans le modèle "blockbusters"... peler que, pour les patients, un traite- Mondiale pour la période de 10 ans 1996- Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2015 • Gagnon M-A “Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ?” • Page 4
2005" Chaire d’études socio-économiques de 24- Côté A “What is wrong with Orphan Drug 31- European Medicines Agency “Adaptive l’UQAM. 2006. Policies?” Value in Health 2012 ; 15 : 1185- pathways: a future approach to bring new me- 16- Anderson R “Pharmaceutical Industry 1191. dicines to patients?” Press release 15 décembre Gets High on Fat Profit” BBC News ; 6 no- 25- “The Cancer Drugs Fund is a costly mis- 2014 : 2 pages. vembre 2014 : 4 pages. take” Financial Times ; 14 décembre 2014 : 2 32- Eichler H-G (EMA’s chief medical officer) 17- “The Repurchase revolution” Economist ; pages. et coll. “From adaptive licensing to adaptive 13 septembre 2014 : 7 pages. 26- “Lists of medicinal products for rare di- pathways: Delivering a flexible life-span ap- 18- Ward A “Big Pharma cashes in as M&A seases in Europe “ Orphanet Report Series, proach to bring new drugs to patients” Clini- fever sweeps sector” Financial Times ; 26 dé- Orphan Drugs collection, October 2014 : 43 cal Pharmacology & Therapeutics Online version cembre 2014 : 2 pages. pages.(www.orpha.net/orphacom/cahiers/ (onlinelibrary.wiley.com) 27 novembre 2014 : docs/GB/list_of_orphan_drugs_in_europe. 23 pages. 19- Collier R “Bye, bye, blockbusters, hello niche busters” CMAJ 2011 ; 183 (11) : E697– pdf) 33- Ward A “Big Pharma waits decision on E698. 27- Herder M “When Everyone is an Orphan: cancer drugs” Financial Times ; 4 janvier 2015. 20- Gibson SG et Lemmens T “Niche markets Against Adopting a U.S.-Styled Orphan Drug 34- Experts in chronic myeloid leukemia and evidence assessment in transition: A cri- Policy in Canada” Accountability in Research “Price of Drugs for chronic myeloid leukemia tical review of proposed drug reforms” Medical 2013 ; 20 (4) : 227-269. (CML), reflection of the unsustainable cancer Law Review 2014 ; 22 (2) : 200-220. 28- Prescrire Rédaction "Pharmacogénétique drug prices: Perspective of CML experts” Blood et traitements personnalisés : garder un es- 2013 ; 121 (22) : 4439-42. 21- Montalban M et Sakinç ME “Financializa- tion and productive models in the pharmaceu- prit critique" Rev Prescrire 2013 ; 33 (353) : 35- Hill A et al. “Minimum costs to produce tical industry” Industrial and Corporate Change 216-219. hepatitis C direct acting antivirals for access 2013 ; 22 (4) : 981-1030. 29- Gagnon M-A “Corruption of Pharmaceu- programs in developing countries” Clinical In- tical Markets: Addressing the Misalignment fectious Disease 2014 ; 58 (7) : 928-936. 22- Prescrire Rédaction "Imatinib : un exemple caricatural de "médicament orphe- of Financial Incentives and Public Health.” 36- “Going Large” Economist ; 3 janvier lin"" Rev Prescrire 2006 ; 26 (277) : 783. The Journal of Law, Medicine & Ethics 2013 ; 41 2015 : 4 pages. (3): 571-580. 23- Simoens S “Pricing and reimbursement of orphan drugs: the need for more transpa- 30- Bach PB “Could High Drug Prices be Bad rency” Orphanet Journal of Rare Diseases 2011 ; for Innovation?” Forbes ; 23 octobre 2014 : 2 6 (42) : 8 pages. pages. Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2015 • Gagnon M-A “Pourquoi les médicaments sont-ils si chers ?” • Page 5
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