Présence du cinéma latino-américain au Festival de Toronto
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Document generated on 10/02/2023 7:35 p.m. 24 images Présence du cinéma latino-américain au Festival de Toronto Gaston Lillo Number 31-32, Winter 1987 URI: https://id.erudit.org/iderudit/22084ac See table of contents Publisher(s) 24/30 I/S ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital) Explore this journal Cite this review Lillo, G. (1987). Review of [Présence du cinéma latino-américain au Festival de Toronto]. 24 images, (31-32), 29–31. Tous droits réservés © 24 images inc., 1986 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
PRÉSENCE DU CINÉMA LATINO-AMÉRICAIN AU FESTIVAL DE TORONTO Gaston Lillo e XP Festival de Toronto, le jet, ainsi que par la rupture qu'a souligner que dans cette période, à côté L «Festival of Festivals», a réservé au cinéma de l'Améri- que latine une place de choix. Ce bloc entraînée l'émergence du cinéma avant- gardiste. Toutefois, il me semble que le temps est venu de nuancer cette condam- nation par trop généralisatrice pour des imitations holloywoodiennes médio- cres, il y a eu certains films notables qui, même s'ils ne reflètent pas la position idéologique la plus juste, font preuve représentait l'une des plus importantes rétrospectives de films latino-américains jamais réalisées. Avec pratiquement une Hombre mirando al Sudeste d'Eliseo Subiela centaine de réalisations, le Festival a per- mis à une partie du public d'effectuer pour la première fois une promenade à travers une période de l'histoire filmique de ce continent, et à un autre public plus familier de réévaluer et d'actualiser cer- taines œuvres tombées dans l'oubli, notamment quelques classiques de ce qu'on a convenu d'appeler le «nouveau cinéma latino-américain» — courant esthético-politique qui se manifeste simultanément durant les années 60, dans plusieurs pays du continent, et qui, par opposition au cinéma commercial hégémonique, prône un cinéma impliqué avec les mouvements de libération qui éclatent, en ce moment-là, un peu par- tout en Amérique latine —. Le «Cinema nôvo» brésilien (Terra em transe, Vidas secas), l'école du documentaire de Santa Fé (Los inundados) et le «Movimiento Cine Liberaciôn» de l'Argentine (La hora de los hornos), des cinéastes de l'«Unidad Popular» au Chili (El Chacal de Nahueltoro), le Grupo Ukamau de Bolivie (El coraje del pueblo), le jeune cinéma mexicain (Reed, Mexico in- surgente), et le cinéma cubain de la Révolution (Memorias del sub-desar- rollo); dont les représentants les plus marquants: Glauber Rocha, Fernando Solanas, Octavio Getino, Fernando Birri, Miguel Littin, Jorge Sanjinés, Paul Leduc, Tomàs Gutierrez Aléa (et d'autres encore), sont tous des exemples de ce vaste mouvement culturel que le Festival de Toronto nous a donné l'occa- sion de voir ou de revoir. Dans cet esprit historique qui semblait inspirer la rétrospective, le grand absent (excepté le film-hommage au photo- graphe mexicain Gabriel Figueroa) a été le cinéma antérieur aux années 60. Absence sans doute provoquée par les condamnations, du point de vue mili- tant, dont ce «vieux» cinéma a fait l'ob- 29
d'une grande maîtrise tant sur le plan du centré sur le cas de l'Argentine) et sur la Miss Mary (la gouvernante) et l'adoles- traitement de l'image que sur celui de la violence révolutionnaire comme arme de cent de la maison, qui s'éveille à la narration. Je me réfère, entre autres, à libération. Le même Solanas réalise en sexualité, fera éclater ce monde clos au quelques films du cinéma mexicain. 1985 Tangos, el exilio de Gardel, fiction moment où en Argentine un mouvement Aujourd'hui, le temps des déclarations qui, sans mettre de côté les questions social, soutenu par Péron, annonce incendiaires et des manifestes pour un politiques, est régie par des critères d'un l'épanouissement populaire. «tiers cinéma», un cinéma imparfait ou autre ordre esthétique. On y observe une Pour sa part, Hombre mirando al suit- un cinéma artisanal, a cédé le pas à une utilisation intertextuelle d'un genre es te (1986) de Eliseo Subiela, gagnant du perspective, qui sans tourner le dos à sa caractéristique de la tradition filmique prix de la critique, représente une pro- fonction sociale et politique et à une américaine, la comédie musicale. position intéressante dans l'exploration recherche de nouvelles expressions esthé- D'autres films argentins marquent aussi des possibilités d'un cinéma fantastique tiques, ne dédaigne pas la tradition nar- ce changement de ton. Le film Miss inspiré de la littérature du même genre rative classique et envisage le cinéma Mary (1986), une production très qui compte en son sein des écrivains tels aussi en termes de conquête de marchés soignée de Maria Luisa Bemberg, vise les que Adolfo Bioy Casarès et Jorge Luis et de publics. salles internationales en mettant en Borges. Le film fait le procès de la psy- On peut illustrer cette évolution avec vedette Julie Christie, qui joue le rôle chiatrie à travers la relation entre le l'exemple de l'Argentin Fernando Sola- d'une gouvernante anglaise dans une mystérieux personnage «Rantes», un nas qui, avec son compatriote Octavio famille aristocratique argentine des jeune homme qui prétend venir d'une Getino, réalise entre 1965 et 1968, La années 30. La forme narrative, proche autre planète, et son psychiatre. Accusé hora de los hornos (L'Heure des du romanesque, crée une atmosphère in- au début de simulation, Rantes, grâce à brasiers), documentaire sur le néo- timiste en centrant l'histoire dans le ses délires à la fois parfaits et complexes colonialisme économique et culturel en monde clos et isolé de cette famille de et à sa sensibilité, finit par obtenir Amérique Latine (bien que le film soit «estancieros». La relation interdite entre l'amitié du médecin qui mettra en doute Hombre mirando al Sudeste d'Eliseo Subiela 30
ses connaissances rationnelles sur la confondue avec d'autres internées. Les Gutierrez Aléa. De ce réalisateur, le folie. Profondément humaniste le film ressorts narratifs du film sont basés sur Festival nous a présenté Las doces sillas nous présente Rantes comme une espèce l'erreur et la coïncidence. Le scénario est (1962), comédie qui relate les aventures de Christ, qui aide ceux qui ont faim et signé Garcia Marquez. d'un aristocrate et de son serviteur à la froid et dit préparer «el rescate de los recherche d'une chaise de collection, où quebrados por el horror». De la Colombie, on a vu Tiempo de sa femme a caché les bijoux de famille, morir (1985) de J.A. Triana (présenté quand eurent lieu les nationalisations; Le changement de perspective observé aussi au Festival des Films du Monde) et Muerte de un burôcrata (1966), satire entre les films des années 60 et ceux des Gamins (1977) du cinéaste Ciro Durân, politique où l'humour noir, d'ascenden- années 80 implique aussi une reprise de documentaire sur les enfants aban- ce surréaliste, permet la critique à la modèles narratifs conventionnels qui donnés de Bogota. À partir du cas de sacralisation de l'«ouvrier exemplaire» avaient été bannis par l'esthétique du «Pinoccho», un enfant vagabond, le et à la tare des bureaucrates héritée de cinéma engagé. Si Tangos réutilise en film nous montre comment ces enfants l'ancien régime, ainsi que la mise en évi- partie la comédie musicale, avec Mala- luttent, à leur façon, pour survivre. Ils dence de la réthorique pseudo-révolu- brigo (1984) du cinéaste péruvien commencent par mendier de l'argent aux tionnaire; le classique Memorias delsub- Claudio Durant, on assiste à une vérita- passants et des restants aux clients des desarrollo (1968), un des films les plus ble récupération du modèle narratif du restaurants. Plus tard, ils connaîtront la intelligents jamais réalisés en Amérique film d'enquête. À travers la recherche drogue, la prostitution et la délinquance. latine, reproduit subjectivement les im- que fait Sonia de son mari, disparu Le film essaie de donner une explication pressions d'un bourgeois qui décide de mystérieusement dans le village presque au phénomène à partir de la dépendance ne pas quitter le pays pour suivre, sans abandonné de Malabrigo, le spectateur économique de la Colombie et de l'in- pour autant s'impliquer, le cours de la découvre peu à peu avec elle que juste distribution de la richesse na- révolution. Gutierrez Aléa est aussi un d'autres disparitions et crimes sont le tionale. Il nous montre aussi la futilité théoricien du phénomène cinématogra- fait d'un groupe d'individus payés par la des efforts des institutions qui ne s'atta- phique. Son livre Dialéctica del espec- compagnie de pêche qui veut en finir quent pas aux causes structurales du tador (Dialectique du spectateur), qui avec le mouvement syndical. Le film uti- problème. C'est avec un regard amer fera l'objet d'un prochain article, est un lise, avec beaucoup d'adresse, les que l'une des séquences du film nous essai qui propose de coincilier l'esthéti- éléments de suspense et de mystère qui présente un moment de «rééducation» que brechtienne de la distanciation avec vont permettre de capter et de maintenir de ces enfants. Ils sont en train de l'esthétique aristotélicienne de l'iden- l'attention du spectateur dès la première chanter l'hymne national, expression de tification. séquence. Il arrive à recréer, par mo- l'exaltation du patriotisme qui ne sert en ment, une ambiance d'étrangeté grâce à pratique qu'à la classe dominante. l'utilisation, entre autres, du rêve dans le rêve. Malheureusement à la fin, tout est C'est dans le genre documentaire que si évident et conventionnel qu'on se nous pouvons voir, avec plus de force, croirait devant une parodie du genre, les traces du mouvement esthético- chose qui est loin d'être voulue. politique du cinéma latino-américain des années 60. Le cas de la production chi- Conséquent avec sa préoccupation pour lienne en est l'exemple le plus évident. les marginaux et le regard ironique qu'il On peut expliquer ceci en raison du con- porte sur des attitudes de la bourgeoisie, texte contraignant vécu par ce pays, où le mexicain Jaime Humberto Hermosillo la production culturelle doit lutter con- nous a présenté son dernier film Dona tre la répression et la censure pour pou- Herlinda y su hijo (1985). Une comédie voir s'exprimer. Le documentaire de pleine d'humour relatant les efforts Miguel Littin, Acta general de Chile d'une mère pour occulter l'homosexuali- (1985) s'inscrit dans cet effort de mainte- té de son fils unique. Elle arrive à établir nir en vie la mémoire populaire et de une complicité totale, mais non explici- dénoncer les injustices de la dictature te, avec son fils. Pour sa part, le fils, un chilienne. La valeur de son film réside, médecin dans la trentaine, joue le jeu de en grande partie, dans la clandestinité de sa mère et contribue à préserver son ima- son travail plutôt que dans le traitement ge publique d'«homme», en se mariant, particulier du genre documentaire. allant même jusqu'à avoir un enfant. Interdit de séjour au Chili, Miguel Littin Avec un petit budget (comme à son a dû se déguiser et se procurer un faux habitude) et une équipe de non-profes- passeport pour pouvoir entrer dans son sionnels, Hermosillo touche le thème pays et coordonner la réalisation du tabou de l'homosexualité en essayant de film. Sur son aventure, Garcia-Mârquez mettre à jour, à travers l'ironie et la a écrit un livre: La aventura clandestina parodie, les mécanismes cachés par les- de Miguel Littin en Chile. quels la société impose son contrôle sur les comportements sociaux des indivi- Un autre aspect important du Festival a dus. été la présence remarquée du cinéma cu- bain. En comparant le cinéma produit à Du même réalisateur, le Festival a pré- Cuba juste après la Révolution avec senté Maria de mi corazàn (1983) qui celui qui se fait aujourd'hui, on peut af- raconte les mésaventures d'une magi- firmer que jusqu'à maintenant, il n'y a cienne qui, suite à un accident de la pas eu de réalisations de la qualité de route, utilisera le téléphone d'un hôpital celles de la post-révolution. Le représen- psychiatrique pour femmes, après avoir tant le plus important de cette époque, été recueillie sur le chemin par l'autobus marquée par la recherche de nouvelles de ce même hôpital, et sera finalement esthétiques, est sans conteste Tomâs 31
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