Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires - Études & Résultats
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Études & Résultats Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires S E P T. 2 0 2 1 Face au droit, nous sommes tous égaux
études & résultats Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires : les facteurs influençant les (non)décisions locales en France et aux États-Unis s e p t. 2 0 2 1
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Cette publication constitue une synthèse de la recherche « Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires : les facteurs influençant les (non)décisions locales en France et aux États- Unis », menée de 2017 à 2020 avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, de la Caisse des dépôts et consignations, du Défenseur des droits, du Plan urbanisme construction architecture et de l’Union sociale pour l'habitat, par Thomas Kirszbaum, sociologue, chercheur associé à l'Institut des sciences sociales du politique (Paris Saclay), Edward G. Goetz et Yi Wang (Center for Urban and Regional Affairs, University of Minnesota). Les opinions mentionnées dans cette publication n’engagent que ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position des organisations ayant soutenu la recherche. 3
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Résumé En France et aux États-Unis, des mesures ont multivariée et des enquêtes qualitatives été adoptées pour augmenter la proportion concernant la mise en œuvre locale de l’article de logements sociaux dans des communes 55 de la loi Solidarité et renouvellement considérées comme déficitaires. En France, urbains (SRU) et l’un de ses équivalents elles reposent sur une obligation légale états-unien, la loi « Chapter 40B » du instituée par la loi d'orientation pour la Ville Massachusetts. du 13 juillet 1991 et renforcée par l’article 55 L’analyse quantitative et qualitative de la de la loi Solidarité et renouvellement urbains mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU (SRU) du 13 décembre 2000. Aux États-Unis, fait nettement ressortir trois variables en l’absence de norme fédérale, certains influençant la dynamique de production gouvernements locaux ont pris l’initiative d’une offre de logement social dans les de créer des dispositifs, plus ou moins communes déficitaires : la composition contraignants, de production de logements sociodémographique de ces communes, la sociaux ou abordables. stratégie des maires et l’exercice de leurs Cette recherche vise à identifier les facteurs prérogatives par les préfets. Concernant permettant d’expliquer les performances les États-Unis, la revue de la littérature et inégales des communes soumises à l’exemple du Massachusetts montrent la l’obligation d’atteindre un seuil légal de prégnance des enjeux raciaux, mais aussi la logements sociaux dans les deux contextes relative réussite d’une politique qui restreint nationaux. Elle repose sur un bilan de la les prérogatives des maires. littérature scientifique, une analyse statistique 5
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Introduction En France comme aux États-Unis, des Cette recherche vise à approfondir la mesures ont été adoptées pour augmenter compréhension des mécanismes pouvant la proportion de logements sociaux dans les conduire à l’exclusion par certains territoires communes considérées comme déficitaires. des populations dépendantes du logement Côté français, il s’agit d’une obligation légale social, en introduisant notamment les instituée par la loi d'orientation pour la Ville du variables de l’immigration et de la proximité 13 juillet 1991 et renforcée par l’article 55 de la de quartiers populaires stigmatisés parmi un loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) ensemble assez large de facteurs susceptibles du 13 décembre 2000. Aux États-Unis, en d’expliquer les performances inégales des l’absence de norme fédérale, ce sont certains communes. L’hypothèse générale est que États (comme celui du Massachusetts) ou des le respect de l’obligation légale dépend gouvernements locaux qui ont pris l’initiative d’une combinaison de facteurs internes (ou de créer des dispositifs plus ou moins endogènes) et externes (ou exogènes) aux contraignants de production de logements communes devant rattraper leur retard. aidés. Parmi les facteurs internes, sont étudiées Pour expliquer les performances inégales les caractéristiques sociales, résidentielles des communes, les travaux scientifiques et politiques des communes, mais aussi américains ont surtout souligné jusqu’à leur expérience de la diversité ethno-raciale. présent l’imbrication de facteurs socio- Parmi les facteurs externes figurent les économiques et ethno-raciaux. Le refus caractéristiques de l’environnement socio- plus ou moins frontal du logement social urbain et institutionnel des communes. Il s’agit témoignerait non seulement d’une inefficacité notamment de regarder dans quelle mesure des incitations et sanctions, mais aussi d’une la proximité de quartiers de la politique de volonté des élus locaux et de leurs électeurs la ville (QPV) alimente des représentations de préserver l’homogénéité sociale et/ou négatives sur le logement social et la crainte raciale de leur territoire. En France, malgré d’une importation des problèmes associés le renforcement du dispositif de l’article 55 à ces quartiers. Il s’agit aussi d’apprécier le de la loi SRU, notamment par la loi Duflot du rôle d’impulsion des intercommunalités et la 18 janvier 2013, plus de la moitié (53 %) des manière dont l’État local exerce ses pouvoirs 1 035 communes déficitaires n’ont pas atteint de sanction. Le contrepoint états-unien de la leurs objectifs au cours de la période 2017- recherche vise à apprécier le poids respectif 20191. Pour expliquer ces retards persistants, des facteurs raciaux, socio-économiques différentes études ont insisté tour à tour sur et fiscaux dans les performances inégales les stratégies de contournement des maires, des communes soumises à la loi du le caractère trop peu incitatif des pénalités, Massachusetts intitulée « Chapter 40B ». l’importance du stock initial de logements sociaux dans les communes concernées ou encore le prix et la disponibilité du foncier. 1 Sur les 550 communes n’ayant pas rempli leurs objectifs, 240 n’ont atteint ni leurs objectifs quantitatifs (nombre de logements locatifs sociaux à produire), ni leurs objectifs qualitatifs (équilibre entre les logements les plus sociaux, financés en PLAI, et ceux plus proches du marché, les PLS). 6
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Méthodologie Outre une revue de la littérature scientifique Ces enquêtes ont permis de tester localement reposant sur l’exploitation d’un large corpus la robustesse de certaines corrélations de travaux issus de disciplines variées (droit, mises en évidence à l’échelon national, économie, géographie, sociologie et science mais également d’introduire de nouvelles politique), la recherche combine une approche variables non prises en compte dans l’analyse quantitative consistant en une analyse quantitative (problématique du foncier, outils statistique multivariée et une approche d’urbanisme, mobilisations de riverains, qualitative de type sociologique. stratégies des élus locaux, processus d’attribution des logements sociaux…). Une analyse statistique multivariée L’enquête a été conduite sur le territoire de trois intercommunalités : Communauté À partir d’une analyse multivariée fondée d’agglomération du Bassin d’Arcachon Sud- sur les techniques de régression, il s’agit Pôle Atlantique, Conseil de territoire du Pays d’établir des corrélations entre des variables d’Aix, Communauté d'agglomération Melun « dépendantes » relatives à la production Val-de-Seine, situées respectivement en de logements sociaux (LLS) durant chaque région Nouvelle Aquitaine, Provence-Alpes- période triennale de mise en œuvre de Côte d’Azur (Paca) et Île-de-France. la loi SRU (les obligations de rattrapage Outre une analyse documentaire (diagnostics, des communes sont fixées par tranches études, documents d’orientation des politiques de trois ans) et une série de variables urbaines et du logement…), des entretiens « indépendantes » (caractéristiques ont été conduits de septembre 2018 à avril sociodémographiques, résidentielles et 2019 avec une centaine d’acteurs des trois politiques des communes ; environnement territoires : élus locaux, techniciens des urbain et institutionnel des communes) collectivités locales, agents de l’État et des susceptibles d’expliquer la valeur et l’évolution établissements publics fonciers, acteurs HLM des variables dépendantes. Ces variables ont et associations de riverains. été observées à l’échelle de chaque commune déficitaire dans une période comprise entre 2002 et 2016 (le bilan triennal le plus récent Le volet états-unien de la recherche n’a donc pas été pris en compte). Certains résultats de l’analyse statistique doivent L’analyse de la mise en œuvre du dispositif encore être consolidés dans la perspective de « Chapter 40B » de l’État du Massachusetts publications scientifiques à venir. combine aussi une approche statistique, fondée sur des hypothèses qui croisent pour partie celles qui sous-tendent l’analyse Une enquête sociologique au sein de trois statistique de la loi SRU, et des entretiens intercommunalités effectués en mai 2019 avec une quinzaine d’acteurs locaux (essentiellement des Au-delà de l’approche statistique nationale, maires) d’un panel de six villes de l’État du des enquêtes locales ont cherché à identifier Massachusetts. quels étaient, du point de vue des acteurs locaux, les facteurs les plus significatifs – endogènes ou exogènes – associés à l’atteinte ou non des objectifs de la loi SRU. 7
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Résultats L’analyse statistique rend compte du succès 1. L es facteurs endogènes influençant quantitatif de la loi SRU. Rapportée à la population des communes soumises à l’article la décision de produire (ou pas) des 55, la production de logements sociaux s’est logements sociaux constamment accrue entre 2002 et 2016. Le ratio entre le nombre de communes atteignant leurs objectifs et celles qui affichent les La dynamique d’urbanisation des communes « SRU » moins bonnes performances s’est fortement amélioré. Le nombre de communes atteignant L’analyse statistique nationale comme leurs objectifs a également augmenté, même l’enquête menée dans trois territoires si leur proportion a fléchi dans les deux intercommunaux montrent que les communes dernières périodes étudiées. Ce fléchissement les plus peuplées affichent souvent de peut s’expliquer tout à la fois par l’entrée d’un meilleures performances au regard de la loi grand nombre de communes nouvelles dans SRU. Mais la corrélation est loin d’être absolue le dispositif et, à partir de 2013, par l’entrée entre la taille de la population municipale et le en vigueur de la loi Duflot qui a porté le seuil respect des objectifs triennaux apprécié sur la légal de logements sociaux de 20 à 25 % longue durée. pour une grande majorité de communes, En revanche, une corrélation systématique tout en imposant des contraintes nouvelles entre l’atteinte des objectifs triennaux et concernant la typologie des financements du l’importance du parc social des communes logement social. est mise en évidence : les communes les À cet égard, l’absence de données permettant moins éloignées du seuil légal sont les plus de décomposer la production de logements enclines à respecter leurs objectifs triennaux. sociaux selon le type de financement (PLAI2, Les enquêtes locales confirment l’existence PLUS, PLS), que les bilans triennaux du de cette corrélation, mais aussi le poids des ministère du Logement n’intégraient pas héritages historiques : les communes dont le avant 2016, atténue l’ampleur du « succès stock initial de logements sociaux était le plus quantitatif » de la loi SRU. La hausse globale élevé au moment de l’entrée en application de la production sociale observée depuis le de l’article 55 de la loi SRU affichent début des années 2000 peut en effet masquer généralement les meilleures performances. des stratégies d’évitement des logements Inversement, nombre de petites communes (notamment les PLAI) spécifiquement périurbaines ayant connu une forte croissance destinés aux ménages pauvres ou modestes. fondée sur l’habitat pavillonnaire, très consommateur de foncier, ont accumulé un retard devenu difficile à combler à partir des années 2000. Dans les communes les plus retardataires, les élus locaux invoquent souvent les caractéristiques physiques, immobilières ou foncières de leur territoire. Mais ces facteurs internes aux communes fournissent une explication seulement partielle aux faibles 2 Les logements PLAI, financés par le Prêt Locatif Aidé d’Intégration, sont attribués aux locataires disposant de ressources très modestes. Les logements PLUS, financés par le Prêt Locatif à Usage Social correspondent aux locations HLM (habitation à loyer modéré). Les logements PLS sont financés par le Prêt Locatif Social et attribués aux candidats locataires ne pouvant prétendre aux locations HLM, mais ne disposant pas de revenus suffisants pour se loger dans le parc privé. 8
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 performances qu’elles enregistrent : des et « ségrégationnistes », au sens où « elles communes confrontées aux mêmes types de excluent volontairement certaines catégories contraintes respectent de manière inégale les de la population » [Charmes 2011]. Mais on obligations découlant de l’article 55. Ainsi, dans peut se demander si le refus du logement le Bassin d'Arcachon Sud et le Pays d'Aix où le social correspond d’abord au refus de la prix des transactions foncières peut atteindre diversité socio-économique et/ou au refus de des sommets, et où une partie significative la mixité des origines ethniques ou raciales. de l’espace est inconstructible du fait des L’analyse statistique multivariée ne confirme normes de protection de l’environnement pas l’existence d’un « exclusivisme de classe ». et de prévention des risques naturels, des Toutes choses égales par ailleurs, le fait de communes soumises à des contraintes remplir ou non les objectifs triennaux de la loi équivalentes affichent des performances très SRU n’est jamais associé au taux de ménages inégales. Mobiliser du foncier tout en luttant en situation de pauvreté au sein de ces contre l’artificialisation des sols suppose de communes3. Au fil des bilans triennaux, le taux déployer une gamme d’outils opérationnels de logements sociaux pour 1 000 habitants (veille sur les déclarations d’intention apparaît même négativement corrélé au taux d’aliéner, constitution de réserves foncières, de pauvreté : plus la proportion de ménages conventions avec les établissements publics en situation de pauvreté est élevée au sein fonciers, exercice du droit de préemption des communes « SRU » et moins celles-ci urbain, inscription d’emplacements réservés produisent de logements sociaux. ou de secteurs de mixité sociale dans les On pouvait s’attendre à ce que les deux PLU, opérations d’acquisition-amélioration formes d’exclusion – sociale et ethno-raciale de l’habitat privé…). Or, la sous-utilisation de – jouent dans le même sens, mais cela n’est ces outils est manifeste dans les communes pas vérifié par l’analyse statistique : alors que retardataires. La volonté politique semble donc ce sont les communes abritant le moins de faire la différence. ménages pauvres qui remplissent le mieux leurs obligations vis-à-vis de la loi SRU, ce La dynamique socio-politique des communes « SRU » sont les communes les moins diverses au plan ethno-racial qui produisent le moins de Les contraintes objectives (disponibilité logements sociaux – la diversité étant mesurée et prix du foncier, espaces naturels à par une variable d’approximation, celle de préserver des communes) ne suffisent pas l’importance de l’immigration en général, à expliquer les faibles performances d’une et de l’immigration africaine et maghrébine partie des communes soumises à la loi SRU. en particulier dans la population totale de la Des résultats médiocres reflètent d'abord commune4. Le pourcentage d’immigrés (en une volonté politique déficiente s’agissant particulier d’origine africaine) est positivement de définir une stratégie de diversification de corrélé aux variables dépendantes (atteinte l’habitat et les moyens opérationnels pour y ou non des objectifs triennaux ; appartenance parvenir. Le projet politique des maires peut ou non au groupe des communes les moins viser au contraire à préserver les équilibres performantes), même si cette corrélation sociaux existants. n’est pas statistiquement significative dans la plupart des périodes étudiées. L’hypothèse Pour expliquer les résistances locales à la loi d’une « exclusion ethno-raciale » semble SRU, des observateurs ont évoqué un « refus davantage accréditée par l’observation d’une de la mixité sociale (...) significatif d’une corrélation forte entre l’immigration et le forme d’apartheid rampant » [Subra 2006] nombre de logements sociaux produits pour ou encore une logique de « clubbisation » 1 000 habitants5. fondée sur des politiques « exclusivistes » 3 e critère du taux de pauvreté a été préféré à celui du revenu médian des ménages pour éviter les problèmes de multicolinéarité entre ces L deux variables négativement corrélées l’une avec l’autre. 4 L’hypothèse est que les localisations géographiques des descendants d’immigrés, notamment ceux dont les deux parents sont immigrés, diffèrent peu de celles de leurs parents, comme l’a montré l’enquête TeO [Arestoff et Mouhoud 2020]. 5 On note cependant que l’association entre immigration et production de logements sociaux pour 1 000 habitants ne se vérifie plus dans la dernière période triennale étudiée (2014-2016) pour les communes appartenant aux départements les plus urbanisés, lesquelles produisent moins de logements sociaux quand elles sont plus diverses. 9
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 L’analyse statistique multivariée dessine Dans les communes les plus retardataires, les ainsi l’image de communes politiquement acteurs interrogés localement mentionnent conservatrices, dont les piètres résultats au souvent des logiques d’entre-soi et de regard de l’article 55 de la loi SRU pourraient fermeture à l’altérité qu’ils expliquent par refléter le souci de protéger une identité les attributs sociaux de la population des considérée comme menacée par le logement communes soumises à l’article 55. Parmi social – celui-ci étant associé, dans l’esprit des ces caractéristiques, la variable de l’âge est la élus comme des résidents, à des populations plus systématiquement associée aux faibles minoritaires. performances des communes, aussi bien dans l’analyse quantitative que dans les enquêtes Différents paramètres socio-politiques qualitatives : plus le poids de la population viennent appuyer cette hypothèse, à âgée de plus de 65 ans est élevé et moins la commencer par l’orientation politique des dynamique en faveur du logement social est communes les plus retardataires. L’analyse forte. statistique met en évidence une corrélation assez nette entre une faible production de Les acteurs locaux désignent en particulier les logements HLM et l’importance du vote pour propriétaires-occupants à la retraite comme le la droite ou l’extrême droite. Les enquêtes groupe social le plus réfractaire au logement menées localement confirment le caractère social (pour un résultat convergent, voir assez fortement prédictif de l’orientation [Rivière 2014]). Dans les réunions publiques politique des maires. Certes, les oppositions ou lors de discussions informelles avec les à la loi SRU qui s’exprimaient frontalement élus, ces résidents expriment des inquiétudes dans les années 2000, et qui émanaient pour concernant le risque de voir leur patrimoine l’essentiel d’élus locaux de droite, ont beaucoup immobilier se déprécier. À mots plus ou perdu en vigueur. Mais les enquêtes locales moins couverts, ils n’hésitent pas non plus montrent que les maires les plus volontaristes à stigmatiser les locataires HLM considérés continuent de se situer plus souvent à gauche comme des « assistés sociaux » ou des qu’à droite de l’échiquier politique. « fauteurs de troubles ». Outre la multiplication de recours contentieux individuels, la capacité des riverains « en colère » à s’organiser collectivement peut retarder, 10
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 voire compromettre des projets immobiliers « appel d’air » pour des populations extérieures comportant des logements sociaux, surtout synonymes de « charge sociale » accrue. À quand ces habitants parviennent à établir l’inverse, le PLAI paraît bien accepté là où il a des rapports de connivence avec les élus été compris comme un moyen de servir des municipaux. Mais lorsqu’ils se constituent catégories certes modestes, mais appartenant en association afin d’être reconnus comme à la commune plutôt qu’à des populations des interlocuteurs légitimes, ces habitants extérieures. s’abstiennent généralement d’exprimer La localisation des constructions HLM, une aversion pour le logement social et ses leur qualité urbaine, architecturale et locataires. Leurs arguments portent alors environnementale, mais aussi la qualité de la sur la préservation de l’environnement et gestion des bailleurs sociaux jouent enfin un du cadre de vie, à l’instar d’associations très rôle majeur dans leur acceptation politique actives dans certains des sites enquêtés, et sociale. Dans les trois territoires étudiés, notamment dans le Bassin d’Arcachon Sud et l’ensemble des partenaires s’attache à réussir l’agglomération de Melun. l’insertion, voire l’invisibilisation des logements Les élus les plus réfractaires à la loi SRU sociaux dans le paysage urbain (voir aussi ne se privent pas d’instrumentaliser ces [Desage 2012]). Les ensembles résidentiels mobilisations d’habitants pour justifier leur mixant habitat social et privé tendent à devenir propre inaction. Mais de plus en plus d’élus la norme, même si subsistent ici ou là des sont désormais convaincus de l’atout projets dédiés au seul logement HLM, alors que constitue le logement social pour le que d’autres secteurs de la commune sont développement de leur territoire quand délibérément « préservés » de tout logement celui-ci est confronté aux problématiques de cette nature, moyennant une accentuation du vieillissement, de l’exode des jeunes, de des ségrégations intra-communales. la fermeture des écoles ou de l’engorgement des axes de circulation. Afin de convaincre leurs administrés, ils convoquent alors un argument décisif : ces logements sont avant 2. L es facteurs exogènes influençant tout destinés aux habitants de la commune, notamment aux jeunes décohabitants et aux la décision de produire (ou pas) des personnes âgées, et non à des populations logements sociaux extérieures. Dans le contexte de flambée des prix de L’environnement socio-urbain des communes « SRU » l’immobilier, le logement social s’avère une ressource clientéliste précieuse. Selon les élus Alors que les logements sociaux construits interrogés, c’est avec l’emploi la principale au sein des communes « SRU » n’évoquent demande que leur adressent leurs administrés. ni de près ni de loin les cités HLM construites L’analyse statistique nationale réalisée sur dans les années 1960 ou 1970, la présence la période triennale 2014-2016 montre en dans l’environnement de ces communes de effet une corrélation forte entre la demande quartiers d'habitat social hérités de cette de logement social émanant de résidents période, constitue un vivier dans lequel les des communes « SRU » et les performances opposants locaux – élus ou résidents – au de ces municipalités. La pratique montre logement social puisent abondamment leurs cependant un désajustement partiel entre la arguments. production de logements sociaux et les besoins réels des ménages les plus modestes : alors Dans le Pays d’Aix, l’imaginaire local sur le même qu’une large partie des demandeurs de logement social se cristallise sur les quartiers logements sociaux entre dans les plafonds du nord de Marseille, pourtant extérieurs au PLAI6, ce produit continue d’être regardé avec territoire (au sein du Pays d'Aix, seule la appréhension dans une partie des communes commune des Pennes-Mirabeau possède où l’on estime qu’il pourrait agir comme un une frontière commune avec les 15e et 16e 6 Prêt locatif aidé d’intégration. Pour rappel, il s’agit de logements attribués aux locataires disposant de ressources très modestes. 11
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 arrondissements de Marseille). Pour les élus Les craintes liées aux projets de rénovation du Pays d'Aix les plus hostiles à la loi SRU, urbaine engagés dans les quartiers de la tout comme à la constitution de la métropole politique de la ville se sont pareillement Aix-Marseille-Provence, agiter le spectre du amenuisées. Dans aucun des territoires déferlement des « familles marseillaises » est étudiés, il n’est plus question aujourd'hui de une figure rhétorique presque obligée. Dans reconstruire dans d’autres communes les l’agglomération de Melun, les quartiers nord de logements HLM démolis dans les quartiers la ville-centre, les cités de Dammarie-lès-Lys en renouvellement urbain. L’éventualité d’un ou encore le quartier des Tarterêts situé non relogement dans les communes « SRU » loin à Corbeil, remplissent la même fonction des ménages concernés par les démolitions d’épouvantail. Dans le Bassin d'Arcachon dans les quartiers « Anru » est un sujet plus Sud, la référence aux quartiers hérités de tabou encore, que ni les agents de l’État ni les l’urbanisme des Trente glorieuses renvoie à bailleurs sociaux n’osent aborder avec les élus des réalités géographiquement plus éloignées, de ces communes. Interrogés sur ce sujet, celle des quartiers de Bordeaux et de la rive ces élus soulignent le danger qu’il y aurait à droite de la Garonne (Cenon, Lormont, Floirac) « déraciner » ces populations impossibles, situés à près de 60 kilomètres. Bien que selon eux, à intégrer notamment dans le ces quartiers soient plus paisibles et moins contexte de petites communes périurbaines. stigmatisés que les quartiers nord de Melun Dans une quasi-unanimité, élus, techniciens, ou de Marseille, ils jouent aussi le rôle de agents de l’État et bailleurs sociaux font le repoussoirs. constat d’un manque d’attrait « objectif » des communes périurbaines pour ce public. La présence de ces quartiers dans Les difficultés des habitants des quartiers l’environnement proche des communes n’a populaires ne pourraient qu’être redoublées plus nécessairement d’impact aujourd'hui par la cherté des loyers, le manque de services, sur leurs performances en matière de l’insuffisante desserte en transports en logement social, sauf dans les communes plus commun ou l’éloignement des zones d’emplois. réfractaires. Pour justifier le refus du logement Il est toutefois remarquable qu’aucun ou social dans les communes déficitaires, il était presque des acteurs interrogés localement courant dans les années 2000 de convoquer n’évoque l’hypothèse que certains locataires les grandes cités HLM, objets de toutes les HLM des quartiers ciblés par l’Agence représentations fantasmatiques associant nationale pour la rénovation urbaine (Anru) logement social, ghettoïsation, pauvreté, puissent aspirer au mode de vie périurbain et insécurité, trafics, immigration et islam. disposent des ressources (emploi stable et À l’instar des enquêtes locales, l’analyse voiture individuelle) qui leur permettraient de quantitative semble indiquer une moindre concrétiser cette aspiration résidentielle. centralité de ces quartiers comme figure rhétorique servant à justifier – au moins dans Avec la loi d'orientation pour la Ville puis le discours des élus – l’absence de dynamique la loi Solidarité et renouvellement urbains, en faveur du logement social. En retenant la stratégie nationale de lutte contre la l’intensité locale des révoltes de l’automne ségrégation résidentielle reposait sur l’idée 2005 comme indicateur de la mauvaise d’une complémentarité entre les démolitions réputation locale de ces quartiers, il ressort réalisées dans les quartiers de la politique de l’analyse statistique que les communes de la ville et la reconstruction d’une partie au localisées dans les départements les plus moins de ces logements dans les communes affectés par ces révoltes ont nettement déficitaires, avec l’idée sous-jacente d’y moins produit de logements sociaux que les accueillir des ménages relogés qu’il s’agissait autres communes entre 2006 et 2013 ; dans de disperser dans l’espace. Les exemples la période 2014-2016, ces communes ont au étudiés montrent qu’il y a loin entre cette contraire davantage produit que les autres. rationalisation initiale et des pratiques locales significatives du refus de toute notion de partage du « fardeau des quartiers ». Dans aucun des terrains d’enquête, la production 12
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 de HLM dans les communes « SRU » ne quo social, ethno-racial et territorial. Sans s’inscrit dans une stratégie de rééquilibrage exception aucune, les élus interrogés dans les territorial de l’offre sociale, ni de diversification communes « SRU » assument et revendiquent du peuplement des communes déficitaires. une « préférence communale » conférant un Les élus de ces communes récusent l’idée avantage aux populations résidentes dans d’une mixité sociale « par le bas » que l’accès aux nouveaux logements sociaux, permettrait l’arrivée de ménages issu de et pénalisant du même coup les candidats milieux populaires, voire de mixité tout court extérieurs à la commune, à commencer par les dans les communes les plus bourgeoises, où ménages issus des quartiers populaires des prédominent les classes supérieures, dont ils grandes villes limitrophes. assument et valorisent au contraire l’identité La préférence communale n’est pas illégale spécifique. à condition d’être mise en œuvre dans les Les minorités ethno-raciales sont rarement conditions prévues par la loi. L’article R. rejetées comme telles dans ces discours, mais 441-2-3 du Code de la construction et de elles le sont à partir d’arguments portant sur l'habitation prévoit qu’« aucune condition de les « coûts » que ces populations feraient résidence préalable ne peut être opposée au peser sur les communes « d’accueil » en demandeur pour refuser l'enregistrement de termes de cohésion sociale et de finances sa demande ». La loi Égalité et Citoyenneté locales. Tout au plus le mécanisme de l’article du 27 janvier 2017 a modifié l’article L.441 du 55 doit-il servir, selon les élus interrogés, même code en introduisant une disposition à préserver une diversité « endogène », précisant que « l’absence de lien avec la en offrant des opportunités de parcours commune d'implantation du logement ne résidentiels aux ménages déjà installés dans peut constituer à soi seul le motif de la non la commune, ou qui y travaillent, mais qui attribution d'un logement adapté aux besoins ne trouvent pas de solutions de logement et aux capacités du demandeur ». Il reste adaptées à leurs possibilités financières. néanmoins possible de refuser un logement social en tenant compte, parmi d’autres Dans les trois territoires étudiés, la maîtrise de critères, de « l’éloignement des lieux de travail, l’attribution des logements sociaux produits à de la mobilité géographique liée à l'emploi et la faveur de la loi SRU est la pierre angulaire de la proximité des équipements répondant de stratégies visant à préserver le statu aux besoins des demandeurs ». 13
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Dans les trois territoires étudiés, les services Les enquêtes locales ne permettent municipaux – et souvent les élus en personne pas de conclure à l’existence ou non de – investissent fortement le processus discriminations visant directement les d’attribution des logements sociaux afin de immigrés d’origine africaine ou leurs prioriser les candidatures d’habitants de la descendants. Si les élus et bailleurs interrogés commune. Hautement revendiquée par les se défendent de toute prise en compte des élus municipaux, la préférence communale fait caractéristiques ethniques ou raciales des l’objet d’arrangements avec les organismes demandeurs, leur résidence dans un quartier d’HLM, qui restent décisionnaires en dernier stigmatisé ressort bel et bien comme un ressort, ainsi qu’avec les autres réservataires. critère décisif de leur non-désirabilité dans Les arrangements entre mairies et organismes les communes « SRU ». Les minorités ethno- d’HLM sont souvent scellés très en amont de raciales étant fortement surreprésentées la livraison des logements. Puis la coopération parmi les demandeurs issus des quartiers se poursuit au stade de la sélection des de la politique de la ville, le filtrage des dossiers, phase au cours de laquelle bailleurs attributions selon le critère racialement et mairies travaillent de concert pour trouver neutre – en apparence – de l’appartenance des demandeurs de la commune dont les territoriale peut donc s’analyser comme une profils sont en adéquation avec les logements discrimination indirecte à l’encontre de cette proposés. Les agents des services de l’État catégorie de demandeurs. gérant les contingents préfectoraux se montrent tout aussi conciliants. Face aux craintes des maires vis-à-vis des ménages L’environnement institutionnel des communes « Dalo », les agents de l’État acceptent « SRU » de croiser leurs fichiers de demandeurs avec ceux des mairies afin de prioriser les Les logiques communales en faveur du statu candidats proposés par ces dernières. C’est quo résidentiel se reflètent à l’échelle des ainsi que des demandeurs résidant dans les agglomérations, où les coalitions pilotant communes « SRU » qui n’avaient pas saisi la les structures intercommunales peuvent commission de médiation se voient qualifiés trouver préférable de conserver en l’état la comme « Dalo » pour les besoins de la cause. stratification sociale de l’espace (pour des Ce phénomène a été constaté dans les trois résultats convergents voir [Desage 2012 ; terrains d’enquête. Rousseau 2017]). Dans les trois terrains étudiés, l’enjeu du logement social reste Certes, la fermeture de ces communes vis-à- largement à l’abri des controverses politiques. vis de candidatures extérieures ne saurait être Les maires des communes déficitaires sont totale. Outre le fait que les demandes émanant rarement interpellés par leurs collègues des de leurs résidents peuvent être inférieures au communes populaires où se concentre l’habitat nombre de logements sociaux à réaliser dans social. Dans une communauté d’agglomération, le cadre de la loi SRU, une partie plus ou moins un pacte de non-agression mutuelle réunit les importante des logements attribués échappe maires des quatre communes-membres de au contrôle direct ou indirect des élus. Mais l’EPCI, toutes déficitaires au sens de la loi SRU. dans tous les sites enquêtés, le « lien avec la Dans une ex-communauté d’agglomération, commune », qu’il soit de nature familiale ou il n’est pas non plus d’usage de stigmatiser professionnelle, s’impose comme un critère les maires récalcitrants qui y ont longtemps décisif pour se « protéger » de candidatures été en position de force. Dans une troisième non désirées. Or, aux dires de tous les acteurs communauté d'agglomération, le débat interrogés, les habitants des quartiers classés politique est tué dans l’œuf par les communes- en politique de la ville sont situés au bas centres, dont les maires, engagés dans une d’une échelle de la désirabilité (le Bassin politique de réduction de la part du logement d'Arcachon Sud fait néanmoins exception car social, assurent ne pas chercher à exporter les demandeurs provenant de ces quartiers « (leurs) problèmes » vers les communes semblent très rares). périphériques. 14
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 L’échelon intercommunal a été envisagé par Mais s’ils peuvent faciliter la mise en œuvre le législateur à la fois comme le niveau le plus des politiques municipales, ils n’impulsent pas pertinent de mise en œuvre des politiques véritablement de politique propre. Aucune des de l’habitat et comme un garde-fou face trois intercommunalités examinées ne s’est aux pratiques ségrégatives des communes affirmée en particulier comme un espace de [Brouant 2006]. Les EPCI doivent relayer et fabrication d’une norme de mixité de l’habitat adapter les objectifs nationaux, tout en étant qui s’imposerait aux communes-membres appelés, au plan interne, à composer avec les (voir aussi [Epstein 2011]). Si volontarisme communes selon des règles consensuelles. des communes « SRU » il y a, il est avant tout L’intercommunalité permet ainsi d’éviter le le fait des municipalités, lesquelles peuvent choc frontal entre les communes et l’État, trouver des ressources au sein de l’EPCI pour tout en étant chargée d’accompagner les les accompagner dans leurs démarches. C’est communes pour qu’elles satisfassent leurs dans le Pays d'Aix – le moins performant obligations nationales. Ce partage des tâches des trois terrains étudiés – que l’ex- avec l’État a permis aux EPCI de développer communauté d'agglomération a le mieux joué des modalités d’intervention souples, fondées ce rôle d’accompagnement des communes sur le dialogue et la pédagogie, dans le respect volontaristes, tout en restant sans effet sur les de l’autonomie des municipalités [Cordier performances d’une majorité de communes 2011 ; Desage 2016]. peu actives par défaut de volonté politique. L’analyse quantitative établit une corrélation Plus sûrement que l’impulsion des positive entre les performances des intercommunalités, c’est le renforcement de communes soumises à l’article 55 et les la contrainte exercée par l’État qui a joué un compétences exercées par les EPCI dans le rôle dans l’amélioration des performances domaine du logement social : les communes communales constatée à partir des années appartenant à des EPCI dotés de larges 2010. En interdisant le reversement des compétences dans ce domaine affichent pénalités aux EPCI et en donnant au préfet de meilleurs résultats. Les EPCI des trois la possibilité de majorer jusqu’à cinq fois le territoires étudiés se sont certes affirmés prélèvement sur les communes déficitaires, la à des degrés divers comme des espaces loi Duflot de 2013 a certainement eu un effet d’analyse des besoins et de conception d’outils catalyseur. d’aide à la production de HLM. 15
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 De plus en plus isolées sont les communes 3. L es actions en faveur d’une répartition aisées qui persistent à opter pour le paiement de l’amende, même si les élus redoutent équitable du logement aidé aux moins le prélèvement financier que l’arrêté de États-Unis carence et la perte de souveraineté qui peut en découler. Sous réserve de l’exercice effectif de ses prérogatives par le préfet, le constat Aux États-Unis, l’inégale distribution de carence équivaut en effet à une quasi- géographique des logements bon marché, mise sous tutelle du droit de l’urbanisme et du qu’ils soient privés ou aidés, a joué un rôle pouvoir d’attribution des municipalités. majeur dans la persistance d’une ségrégation spatiale, de nature à la fois économique et L’analyse statistique menée au niveau national raciale, qui atteint un niveau particulièrement met bien en évidence l’effet du renforcement élevé, même s’il diminue tendanciellement. de la contrainte étatique à partir de 2013. La concentration dans les villes-centres Durant les neuf premières années de mise en de ces logements, fortement associés aux œuvre de la loi SRU, les constats de carence populations pauvres et aux minorités ethno- n’avaient engendré aucune dynamique raciales, s’explique notamment par l’opposition de production dans les communes ainsi historique des banlieues résidentielles à sanctionnées. Les communes « carencées » l’accueil et au développement d’une offre à l’issue de la période triennale 2005-2007 résidentielle bon marché [Danielson 1976 ; continuaient d’appartenir au groupe des Bonastia 2006]. Si ce phénomène « NIMBY » communes les moins performantes lors de (Not In My BackYard7) est caractéristique des la période triennale suivante. Les arrêtés de espaces où dominent les classes moyennes et carence pris dans la période 2008-2013 n’ont aisées blanches, les efforts pour développer le eu aucune influence, positive ou négative, sur logement aidé dans les banlieues résidentielles les performances des communes concernées. peuvent aussi rencontrer de fortes résistances C’est seulement au cours de la période 2014- dans les espaces de la classe ouvrière [Goering 2016 que l’effet de la carence est devenu très 2003]. Les réticences des habitants sont perceptible : les communes pénalisées à l’issue souvent relayées par les élus locaux et trouvent du précédent bilan triennal ont bien davantage une traduction institutionnelle dans la pratique rempli leurs objectifs. du « zonage d’exclusion » (exclusionary Les enquêtes de terrain indiquent néanmoins zoning) consistant à adopter des règlements que le constat de carence n’a d’impact que si le d’utilisation des sols très restrictifs (exigences préfet exerce effectivement la plénitude de ses relatives à la densité maximale et à la taille des prérogatives. Le territoire le plus performant lots résidentiels) afin de prévenir l’installation parmi les trois étudiés, celui de l’agglomération de populations « indésirables ». de Melun, est aussi celui où l’État local exerce Les espaces périphériques des grandes la pression la plus forte sur les communes. villes ont toutefois connu de profondes Dans le Bassin d'Arcachon Sud, les acteurs transformations au cours des dernières municipaux ont perçu un net durcissement de décennies, avec la suburbanisation massive la position de l’État, même si l’intransigeance des pauvres et des minorités qui résident de la préfecture de Gironde n’exclut pas désormais majoritairement en dehors des des accommodements avec les communes centres urbains. Les banlieues résidentielles retardataires. C’est dans le Pays d’Aix que se sont ainsi fragmentées en une mosaïque de l’État se montre le plus conciliant derrière un territoires fortement hétérogènes au plan social affichage de fermeté. C’est aussi celui des trois et ethno-racial. Il se pourrait que les habitants territoires étudiés où les performances des et élus des banlieues qui se spécialisent de communes sont les moins élevées. manière croissante dans l’accueil de ménages pauvres et minoritaires, résistent eux aussi au développement du logement abordable, considérant qu’ils en ont déjà pris leur « juste part ». On aurait alors affaire à un phénomène de type « Already In My Backyard »8 (AIMBY). 7 Littéralement « Pas dans mon jardin ». 16
Promouvoir le logement social dans les communes déficitaires 2021 Les actions menées au niveau fédéral et local Des institutions d’agglomération ont alors pris pour développer le logement aidé dans les espaces le relais, en recevant le pouvoir d’évaluer les suburbains demandes de subventions des collectivités locales adressées au gouvernement fédéral à Les politiques menées au niveau fédéral l’aune de leur impact sur les droits civiques. jusqu’au début des années 1960 ont joué un Mais les structures intercommunales ont une rôle actif dans la production de la ségrégation faible légitimité aux États-Unis et la résistance spatiale en encourageant la discrimination des des habitants et élus locaux n’a pas fléchi. minorités dans les marchés du logement, et en L’autorité métropolitaine de Minneapolis- facilitant l’exode des populations blanches vers Saint-Paul (Minnesota) est l’une des rares des enclaves territoriales très homogènes au à avoir conservé une politique dite de « fair plan racial comme économique. Ce n’est qu’en share », c'est-à-dire de répartition spatiale 1968, dans le prolongement du mouvement plus équitable des logements aidés [Goetz des droits civiques et sur fond d’extrêmes 2003a]. Un autre programme phare en la violences urbaines, que le pouvoir fédéral a matière est celui de l’État du New Jersey, entrepris de combattre les discriminations mis en place à la suite de la célèbre décision dans le logement avec l’adoption du Fair « Mount Laurel » de la Cour suprême de l’État Housing Act (loi sur l’accès équitable au en 19759. logement) au lendemain de l’assassinat de De son côté, l’État fédéral a commencé à Martin Luther King. développer, à partir du milieu des années 1970, L’objectif premier du Fair Housing Act était de une approche alternative à la production de sanctionner des pratiques discriminatoires logements aidés dans les banlieues. Au lieu endémiques sur le marché privé du logement de financer l’aide à la pierre, il s’agit d’aider [Sidney 2003]. Mais une disposition insérée directement les ménages à faibles ressources dans la loi enjoignait aussi le gouvernement (où les minorités sont surreprésentées) à fédéral à réorienter ses programmes de accéder à des logements privés localisés dans logements pour chercher « de manière active les espaces suburbains, en les munissant à atteindre l’objectif d’accès équitable au d’un certificat (voucher) garantissant aux logement » (in a manner affirmatively to propriétaires le paiement des loyers. Cette further fair housing). La portée opérationnelle méthode devait permettre l’insertion plus de cette phrase sibylline a été peu à peu discrète des minorités dans les territoires clarifiée par une myriade de décisions majoritairement blancs, mais elle n’est pas judiciaires. C’est ainsi que le gouvernement parvenue à étendre significativement la fédéral a dû adapter ses programmes de gamme des choix géographiques offerts logements aidés en veillant à ce que leur aux bénéficiaires de ce programme intitulé localisation ne renforce pas la ségrégation Housing Choice Voucher [Pendall 2000]. raciale. Afin de disséminer les logements Ce programme a néanmoins constitué une aidés dans un éventail plus large de matrice pour le déploiement de dispositifs territoires, le gouvernement fédéral a par locaux appelés « mobility programs », lesquels exemple décidé, au tout début des années incitent ou obligent leurs bénéficiaires 1970, de conditionner le financement des à s’établir dans des quartiers à faible infrastructures des collectivités à leur concentration de pauvres ou de minorités acceptation de ces logements. Mais face à la [Goetz 2003b]. Ces dispositifs cherchant révolte qui grondait dans certaines banlieues à promouvoir la mobilité résidentielle des de la classe ouvrière, le pouvoir fédéral a minorités résultent souvent de décisions rapidement fait machine arrière et renoncé à judiciaires dans des contentieux liés à la utiliser des moyens coercitifs. ségrégation raciale. 8 « Déjà dans mon jardin ». 9 ans ce jugement, la Cour suprême avait condamné la municipalité de Mount Laurel et l’État du New Jersey, tout en les laissant libres D de choisir leur stratégie pour développer des logements abordables. Faute de résultats suffisants, un second jugement rendu en 1983 se voulait beaucoup plus prescriptif. En réponse, l’État du New Jersey a adopté en 1985 une loi sur le logement équitable obligeant les 567 municipalités de l’État à produire leur « part équitable » (fair share) de logements bon marché, tout en leur donnant la possibilité d’en faire construire la moitié par d’autres municipalités ; une commission était également chargée de déterminer un quota de production de logements abordables pour chaque municipalité, et d’approuver leurs plans pour atteindre ces objectifs. 17
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