Qu'est-ce que l'affaire Wikileaks nous apprend de la diplomatie am ericaine ? - GO02 - Les grands enjeux internationaux contemporains
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GO02 - Les grands enjeux internationaux contemporains Université de Technologie de Belfort-Montbéliard Qu’est-ce que l’affaire Wikileaks nous apprend de la diplomatie américaine ? Pierre-Jean Hückel et Benjamin Marconnet Printemps 2013
Chapitre 1 Qu’est-ce que Wikileaks ? Partant du constat que les États cherchent à avoir le plus possible d’informations sur les citoyens tout en cachant eux- même de nombreuses informations, l’australien Julian As- sange a fondé en 2006 le site Internet Wikileaks. Il est possible de traduire littéralement le nom du site par « wiki des fuites », un wiki étant un site web dont les pages sont modifiables librement par les visiteurs. Comme son nom l’indique, le site permet à des informateurs de diffuser des données confidentielles, des « fuites ». Ces documents sont généralement institutionnels, en relation logo de Wikileaks avec les gouvernements, ce qui explique qu’il existe une notion très importante d’anonymat pour les informateurs. Cette volonté de révéler des informations cachées sur les gouvernements est confirmée par le slogan du site : « We open governments ». Parmi les données confidentielles révélées, une qui a fait le plus grand bruit a été une vidéo datant de 2007, filmée en Irak, montrant un hélicoptère américain tirant sur des personnes au sol et faisant une douzaine de morts. L’armée a justifié cette attaque en clamant que les personnes touchées étaient des insurgés et des rebelles. Pourtant, la vidéo montre des personnes qui étaient calmes avant l’attaque, et parmi elles, se trouvaient deux employés de Reuters, une agence de presse. L’armée américaine a ensuite justifié l’attaque en disant que ces personnes étaient mortes dans des coups de feux entre les forces améri- caines et des insurgés. Reuters a demandé qu’une investigation soit faite, et sachant qu’il y avait des caméras sur les hélicoptères, a voulu une copie de la vidéo du moment de l’attaque. Wikileaks a obtenu cette vidéo, l’a édité pour expliquer certains passages et l’a ensuite diffusé. Les diffusions d’informations ne concernent pas seulement les États-Unis : par exemple, il a pu être trouvé qu’en 2008, des militaires français ont ouvert le feu sur un bus qui « s’ap- prochait trop près » d’un de leur convoi, près d’un village à Kaboul. Huit enfants qui se trouvaient dans le bus ont été blessés, ce qui fait donc penser à une bavure, mais aucune investigation n’a été faite plus tard. 2
En Août 2010, peu de temps après que Wikileaks ait publié 77 000 documents confi- dentiels de l’armée américaine en Afghanistan, Julian Assange a été accusé d’un « viol » qui se serait passé en Suède. L’accusation contre l’australien s’est ensuite transformée, après que la jeune femme qui a porté plainte ait admis que leur relation était consentante, en délit de « sexe par surprise » (qui serait condamnable selon le droit suédois). Julian Assange était au Royaume-Uni au moment de son arrestation. Après avoir bénéficié d’une remise sous caution, il a fait une demande d’asile politique à l’Équateur en 2012. Toujours sous le coup d’une demande d’extradition demandée par la Suède, il vit actuellement dans l’ambassade du pays sud-américain, à Londres. En septembre 2010, Wikileaks a reçu plus de 250 000 télégrammes en rapport aux missions diplomatiques américaines. Même si Wikileaks n’a pas révélé l’identité des in- dividus qui leur livre des documents, les autorités américaines ont suspecté le militaire américain Bradley Manning d’être responsable. Cet homme, qui avait accès à la base de données sécurisée utilisée par les militaires et les diplomates américains, est actuellement en détention préventive et encourt la prison à perpétuité. 3
Chapitre 2 Révélations de télégrammes de la diplomatie américaine (cablegate) Avant d’entrer complètement dans le sujet, il est important de définir la notion de diplomatie : c’est la connaissance des traditions qui règlent les rapports mutuels des États et l’art de concilier leurs intérêts respectifs 1 . Ce que l’on a appelé cablegate est la révélation à partir du 28 novembre 2010 de 251 287 télégrammes (composés de dépêches diplomatiques et de directives) envoyés aux mis- sions diplomatiques américaines. Parmi ces télégrammes, 15 652 étaient classés « secret » et 101 748 « confidentiels » selon les règles de confidentialité du département d’État des États-Unis. Les sujets les plus fréquemment discutés dans ces documents sont la politique intérieure (122 896 documents), les Droits de l’Homme (55 211 documents) et l’économie (49 044 documents). Le terrorisme est mentionné dans 28 801 télégrammes. 2.1 Diffusion par les médias Cinq journaux partenaires de Wikileaks ont participé à la modification des documents bruts, pour préserver la sécurité de personnes impliquées et pour rendre les informa- tions plus lisibles. Ces médias sont The New York Times (États-Unis), The Guardian (Royaume-Uni), Der Spiegel (Allemagne), Le Monde (France) et El País (Espagne). Plus tard, un quotidien norvégien et un journal russe s’est aussi vu accorder l’accès aux télégrammes. Ensuite, pour accélérer la diffusion des documents, de nombreux autres médias ont été contacté et ont eu accès aux documents (dont 20 minutes et Mediapart en France). 1. définition par le site fr.wiktionary.org 4
2.2 Critiques contre des décideurs et leaders étrangers Dans ces télégrammes, de nombreuses critiques contre des dirigeants et des leaders du monde entier ont pu être trouvées : En Afrique : – Zine el-Abidine Ben Ali, ex-président tunisien, décrit comme un dictateur cor- rompu et avide de pouvoir ; – Omar Bongo, ex-président gabonais, aurait détourné de l’argent, qui aurait profité à des partis politiques français, dont Nicolas Sarkosy ; – Mouammar Khadafi, ex-président libyen, qui conserverait le pouvoir en manipu- lant les tribus libyennes. Sa famille est sont aussi qualifiée de voyous, « à qui on ne peut rien refuser ». En Asie : – Kim Jong-il, alors leader nord-coréen, est qualifié de « vieillard infirme marqué physiquement et psychologiquement par une attaque cérébrale ». Au Moyen-Orient : – Mahmoud Ahmadinejad, président iranien, est comparé à Adolf Hitler ; – Hamid Karzai, président afghan, est « conduit par la paranoïa », serait « extrê- mement faible » et « enclin à se laisser convaincre par des théories du complot ». En Europe : – Dmitri Medevedev, président russe à l’époque, qualifié de « falot et hésitant » par rapport à Vladimir Poutine qui serait un « mâle dominant ». Le secrétaire de la défense américaine estime d’ailleurs que « la démocratie russe a disparu et le gouvernement est une oligarchie dirigée par les services de sécurité ». La Russie serait un « État mafieux », où les partis politiques agissent « main dans la main » avec la Mafia russe ; – Slobodan Milošević, ex-président de la Yougoslavie puis de la Serbie, « pouvait manipuler toute une nation, mais avait du mal à gérer sa femme » ; – Silvio Berlusconi, qui était président du conseil italien à l’époque de la révélation, est décrit comme « incapable » et « inefficace » ; – Nicolas Sarkosy, ex-président français, qualifié de « très susceptible et autori- taire ». 2.3 Politiques extérieures On parle de politique étrangère ou extérieure pour décrire l’action menée par un État en vue d’établir des relations avec d’autres États, de coopération, commerciales, diplomatiques et militaires. 5
Parmi les télégrammes, ont été révélés : – une liste de sites industriels sensibles, répartis à travers le monde, que les États-Unis souhaitait protéger d’attaques terroristes en cachant leur location 2 ; – une tentative de renvoie de prisonniers du camp de Guantanamo dans d’autres pays en échange d’argent ou d’une rencontre avec le président Obama ; – une demande d’Hillary Clinton de recueillir des informations (tel que des mots de passe et des numéros de cartes de crédit) sur le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, et sur d’autres dirigeants de l’ONU ; – que les États-Unis aurait espionné en 2009 le secrétaire général de l’OTAN, le danois Anders Fogh Rasmussen ; – que Nicolas Sarkosy a envisagé de participer à une coalition militaire en Irak. 2.4 Affaires internationales En regroupant les informations obtenues en analysant les télégrammes, il est possible de s’apercevoir d’une méfiance importante de pays arabes envers l’Iran. Des pressions de leur part (notamment par le roi Abdallah d’Arabie Saoudite) ont été faites pour que les États-Unis interviennent militairement pour contrer le programme nucléaire iranien. Il est aussi possible d’apprendre que des officiels américains ont demandé en 2007 à l’Allemagne de ne pas incriminer des agents de la CIA qui ont capturé un ressortissant allemand et qui l’ont torturé pendant plusieurs mois dans une prison afghane. Ce citoyen allemand était innocent, et a été confondu avec un homonyme. De nombreux autres projets ou missions, jusque là tenu secrètes ont été mises à jour : – début 2010, Alger a secrètement autorisé des vols de reconnaissances américains pour lutter contre Al-Qaida au Maghreb islamique ; – le gouvernement du Yémen aurait secrètement autorisé les forces américaines à bombarder des camps d’Al-Quaida sur son territoire, et aurait passer ses opérations pour son œuvre ; – les services de sécurité américains et brésiliens coopèrent dans l’anti-terrorisme au Brésil. Les personnes interpelées dans leurs opérations sont condamnées pour d’autres délits (comme le trafic de drogue) pour éviter d’attirer l’attention des mé- dias ; – les USA pourraient communiquer des informations sur la force nucléaire britannique à la Russie pour favoriser des accords sur la limitation des armements ; – enfin, des télégrammes diplomatiques américains révèlent des entretiens en 2009 avec Israël, en vue de préparer une guerre au Moyen-Orient, qui serait soutenu par les membres du Congrès. 2. cable contenant les locations disponible sur wikileaks.ch/cable/2009/02/09STATE15113.html 6
2.5 Réactions Suite à la révélation des télégrammes, de nombreuses réactions des gouvernements du monde entier ont pu être entendues. Il est intéressant de noter qu’il y a eu plusieurs types de réactions, bien différentes. Tout d’abord aux États-Unis, la Maison Blanche critique vivement la révélation et souligne que cela « met en danger les diplomates et les gens à travers le monde qui aident les USA à promouvoir la démocratie ». La secrétaire d’État Hillary Clinton souligne ce- pendant que « ceux qui liront les notes comprendront leur politique et leurs craintes concernant l’Iran ». Du coté des pays « alliés » des États-Unis, le ministre canadien des Affaires Étrangères a qualifié la révélation des documents de « fuites irresponsables et déplorables », et qui « risque de menacer la sécurité nationale ». En France, le porte-parole du gouvernement de l’époque, François Barroin, a parlé de « menaces » et est « très solidaire de l’admi- nistration américaine ». L’ancien ministre français de la Défense Alain Juppé a qualifié « d’irresponsable pour se faire mousser de porter sur la place publique de telles révéla- tions ». Franco Frattini, alors ministre des Affaires Étrangères italiens, parle d’un « 11 septembre de la diplomatie mondiale » et décrit cela comme une « activité criminelle ». L’OTAN parle de fuite « illégale, irresponsable et dangereuse ». Un peu plus contrasté, le ministre des affaires australiens Kevin Rudd a d’abord condamné la publication des informations, puis à accepter de porter à Assange une aide consulaire, en justifiant « qu’Assange n’est pas lui-même responsable de la publication non autorisée de 250 000 documents tirés du réseau de communication diplomatique des États-Unis. Les Américains en sont responsables. ». En Russie, pour le directeur du Service des renseignements extérieurs de la Fédéra- tion de Russie Mikhaïl Fradkov, « ces données constituent une matière première riche à analyser ». Dmitri Medvedev, alors président a parlé de « fuites instructives qui montrent au monde entier le cynisme des appréciations et des raisonnements qui dominent dans la politique étrangère des États-Unis. ». Enfin, le président iranien Ahmadinejad a déclaré que « ces documents ont été prépa- rés et diffusés par le gouvernement américain selon un plan et dans un objectif précis. Ils font partie d’une campagne de guerre de l’information ». 7
Chapitre 3 Que retenir de la diplomatie américaine après le cablegate ? Tout d’abord, il a été possible de voir que de nombreux leaders, présidents ou gouver- nements sont qualifiés de corrompus, de manipulateurs par les américains. On peut aussi trouver des remarques qui ne sont pas « politiquement correctes » sur l’état de santé, et des attaques directes aux personnes, que l’on peut décrire comme offensives, ont aussi été faites. Grâce à Wikileaks et avec ces révélations d’informations, il est possible, officielle- ment ou presque, de dire que les membres du gouvernement américain ne respectent pas forcément tous les chefs d’états et ont un certain mépris pour des leaders du monde entier. Nous savons aussi désormais que peu importe le statut d’une personne, le gouverne- ment américain n’hésitera pas à avoir recours à de l’espionnage pour en apprendre plus sur elle. Il a été possible de mettre à jour de nombreuses alliances « insoupçonnées » (avec l’Algérie et le Yémen notamment pour combattre Al-Qaida). Du « marchandage » existe, comme de l’échange de prisonnier contre de l’argent. Pour conclure, nous pourrions dire que les États-Unis agissent dans le monde entier « comme chez eux » (les agents de la CIA au dessus des lois est un exemple), nous savons aussi que la plupart des pays alliés des États-Unis, bien qu’insultés par les propos américains, ne réagissent pas et prennent, encore une fois, le parti des États-Unis. Enfin, nous pensons que l’ex-président russe Dmitri Medvedev résume parfaitement l’affaire de la révélation des télégrammes : « Ces fuites sont instructives et montrent au monde entier le cynisme des appréciations et des raisonnements qui dominent dans la politique étrangère des États-Unis d’Amérique ». 8
Sources Article « Afghanistan war logs : French convoy shoots 8 children on bus », disponible sur guardian.co.uk. Article « WikiLeaks : portraits acides des leaders mondiaux », disponible sur lemonde.fr. Article « WikiLeaks : les leaders mondiaux vus par les diplomates US », disponible sur http://fr.rian.ru. Article « Selon WikiLeaks, Omar Bongo aurait détourné des fonds au profit de partis français », disponible sur lemonde.fr. Article « Wikileaks : La blague en vogue en Tunisie en 2006 ? Ben Ali a 3 objectifs : rester au pouvoir, rester au pouvoir et rester au pouvoir », disponible sur dna-algerie.com. Article « La famille Kadhafi épinglée par Wikileaks », disponible sur lesoir.be. Article « Wikileaks montre un Kadhafi maître de la manipulation », disponible sur slate. fr. Article « US embassy cables leak sparks global diplomatic crisis », disponible sur guardian. co.uk. Article « WikiLeaks : Nicolas Sarkozy, “l’Américain” », disponible sur lemonde.fr Article « Wikileaks release of embassy cables reveals US concerns », disponible sur bbc. co.uk Article « US diplomats spied on UN leadership », disponible sur guardian.co.uk. Article « Saudi Arabia urges US attack on Iran to stop nuclear programme », disponible sur guardian.co.uk. Article « Wikileaks : l’Algérie, partenaire clé “paranoïaque” des Américains », disponible sur guardian.co.uk. Article « Le premier grand scoop de Wikileaks », disponible sur globe.blogs.nouvelobs. com. Article « WikiLeaks cables : US agrees to tell Russia Britain’s nuclear secrets », disponible sur telegraph.co.uk. Article « Les dépêches de WikiLeaks révèlent des pourparlers de guerre américano- israéliens », disponible sur mbetv.com 9
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