Que faire de la dette Covid ? Perspectives revendicatives - Note Économique

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Que faire de la dette Covid ? Perspectives revendicatives - Note Économique
Numéro
        Note Économique
                                  159
                          Septembre
                          2021

Que faire de la dette
Covid ? Perspectives
  revendicatives
Que faire de la dette Covid ? Perspectives revendicatives - Note Économique
>2

   La crise sanitaire a eu entre autres pour effet    La dette n’est pas soutenable ? C’est faux. Si    Les taux d’intérêt sont actuellement, et pour
   de provoquer dans tous les pays une explo-         la dette augmente, son coût, lui, diminue.        quelque temps encore, très bas, voire néga-
   sion de la dette publique. En France, celle-ci     Le montant des intérêts payés par l’État est      tifs. C’est donc une opportunité pour finan-
   représente désormais l’équivalent de 120 %         passé de 56 milliards en 2011 à 32 milliards      cer des investissements qui bénéficient à
   du PIB. On est loin du plafond de 60 %             en 2020 et devrait se réduire à 27 milliards      l’ensemble de la collectivité.
   imposé par les traités européens ou même           en 2021. En effet, la créance sur l’État fran-
   de la limite de 90 % au-delà de laquelle cer-      çais est jugée sûre et est considérée comme       L’intervention publique est nécessaire pour
   tains économistes pronostiquaient la catas-        une valeur de garantie pour les spéculateurs.     réaliser des investissements indispensables
   trophe économique. Nécessité faisant loi,                                                            mais dont la rentabilité ne peut s’apprécier
   les discours alarmistes ont été mis un temps       La dette, publique ou privée, est un moyen        qu’à long terme ou en fonction de critères
   en sourdine mais reviennent aujourd’hui en         d’anticiper la création de richesses qui per-     non financiers. Il s’agit bien évidemment des
   force. Ainsi le Programme de stabilité bud-        mettra d’en amortir le coût. Le problème est      secteurs de la santé (dont on mesure
   gétaire que le gouvernement vient de trans-        donc moins son niveau que son utilisation.        aujourd’hui les risques que fait courir sa
   mettre à la Commission européenne prévoit          Si l’État s’endette pour investir afin de         marchandisation) et de l’éducation, essen-
   une réduction à marche forcée des dépenses         répondre aux besoins de la collectivité, en       tiels pour l’avenir du pays et de sa popula-
   publiques. L’endettement public n’aurait           termes de conditions de vie, de formation,        tion. Cela concerne aussi les infrastructures
   pour conséquence que l’austérité, ou au            de mobilité, de préservation de l’environne-      dont le coût est rédhibitoire pour des acteurs
   contraire celui-ci ne pourrait-il pas être un      ment, cela se traduira par davantage de           privés mais qui sont nécessaires au bon
   moyen de répondre aux besoins sociaux ?            croissance, d’emplois, des hausses de salaires    fonctionnement de l’économie. On pense
                                                      et une meilleure prise en compte de la crise      notamment au réseau de la SNCF dont
   Les poncifs sur la dette publique, complai-        climatique. In fine cela engendrera de nou-       l’amélioration et le développement sont
   samment distillés par les gouvernants et les       velles recettes fiscales qui permettront          d’autant plus justifiés qu’ils permettront de
   médias dominants, relèvent plus des « fake         d’absorber sans douleur le coût de la dette.      répondre aux défis de la transition écolo-
   news » que de la réalité. De fait, faire de la                                                       gique. D’autres domaines sont affectés par
   dette un épouvantail permet de justifier                                                             cet impératif (énergie, rénovation thermique
   l’austérité.                                         Pas de la dette… de                             des bâtiments…) qui nécessite des investis-
                                                        l’investissement et du                          sements massifs difficilement réalisables
   La dette publique est un fardeau pour les            patrimoine public !                             sans recours à l’endettement. Sans même
   générations futures ? C’est faux. Comme                                                              parler de l’indispensable politique indus-
   toute dette, elle a pour contrepartie un actif       Il est toujours intéressant de noter que        trielle pour envisager enfin sérieusement la
   (écoles, hôpitaux, routes…). Or, non seule-          quand il s’agit du privé, on parle systé-       rupture du point de vue environnemental.
   ment le solde est largement positif en               matiquement « d’investissement »
   France, mais surtout les dépenses préparent          quand pour le public on insiste lourde-         Répondre aux besoins de la collectivité
   l’avenir.                                            ment sur la « dette »… et ce alors même         implique que tous ses membres, en tout
                                                        que l’investissement privé est large-           point du territoire, puissent s’exprimer et
   Le pays vit au-dessus de ses moyens, il faut         ment financé par endettement et que             que les conditions d’un débat collectif soient
   donc réduire les dépenses publiques ? C’est          la dette publique finance de l’investis-        réunies pour effectuer les choix et définir
   faux. L’augmentation de la dette provient            sement ! Ainsi, le patrimoine public est        des priorités. Cela suppose de mettre en
   davantage de la baisse organisée des                 évalué à 3668.6 milliards d’euros en            place une planification démocratique et
   recettes que de l’augmentation des                   2018. Chaque français ne nait donc pas          décentralisée qui associe tous les acteurs
   dépenses.                                            avec une « dette », mais avec un patri-         économiques et sociaux, aux niveaux natio-
                                                        moine net de 4500€. Pour reprendre les          nal et local, sous le contrôle actif des habi-
   L’État est en faillite ? C’est faux.                 termes de l’économiste Michel Aglietta,         tants. Ce processus permettra de décider du
   Contrairement à une entreprise, un État ne           « la vraie richesse des nations est leur        mode de financement des investissements
   peut pas faire faillite. Il peut seulement faire     capital public »1. Pour aller plus loin, voir   retenus et placera ainsi la dette publique
   défaut, c’est-à-dire ne pas payer ses créan-         la fiche pédagogique numéro 5.                  sous le contrôle actif des citoyens.
   ciers. La durée de vie d’un État est illimitée
   et il a la faculté de lever l’impôt et de battre                                                     Pour la CGT, la dette publique ne justifie en
   monnaie. La situation actuelle et les mesures        1. https://www.lemonde.fr/idees/                rien la poursuite des politiques d’austérité,
                                                        article/2020/05/15/michel-aglietta-la-
   prises pour faire face à la crise sanitaire                                                          le démantèlement de la protection sociale
                                                        vraie-richesse-des-nations-est-leur-capi-
   montrent d’ailleurs l’inanité des discours           tal-public_6039727_3232.html                    et la destruction des services publics. Elle
   antérieurs à ce propos.                                                                              doit être au contraire un outil, sous contrôle

      Note
économique
        n° 159
Septembre 2021
Que faire de la dette Covid ? Perspectives revendicatives - Note Économique
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des citoyens, pour financer les besoins
sociaux et préparer un avenir durable de
justice sociale et de solidarité.

I. D’où vient la dette
   Covid ?
Elle n’a rien de mystérieux, elle correspond
à une chute des recettes et à une hausse
des dépenses. Il ne faut pas chercher bien
loin les raisons de la hausse de l’endette-
ment public en cours. La crise sanitaire a
entraîné des fermetures administratives et
plus généralement un ralentissement de
l’activité qui, sans intervention de la puis-
sance publique et de la Sécurité sociale,
auraient conduit à une catastrophe écono-              « mesures d’urgence », largement sup-       à 120 % du PIB en 2021. La crise que nous
mique difficile à imaginer. Les principaux             portées par la Sécurité sociale, ont        vivons, l’explosion des besoins sociaux et la
éléments qui font augmenter le ratio dette/            constitué l’essentiel de la hausse. Les     nécessité urgente de repenser notre modèle
PIB sont les suivants :                                dernières données disponibles sont          économique face à l’urgence climatique ne
                                                       éloquentes. Activité partielle              font pas dévier d’un iota les principaux com-
1.   La crise sanitaire a conduit à l’augmen-          (22,6 Mds), fonds de solidarité (11,7       mentateurs et membres du gouvernement
     tation des dépenses de santé pour plus            Mds), report de cotisations (23,8 Mds       sur la question de la dépense publique.
     de 15 milliards d’euros ;                         dont la grande partie devrait toutefois     Contre toute logique économique sérieuse,
                                                       être recouvrée en 2021), sans compter       des voix s’élèvent pour demander à ce qu’on
2.   La chute de l’activité a entraîné méca-           le « plan de relance » et notamment la      rembourse « au plus vite » cette dette nou-
     niquement une baisse des recettes                 baisse des impôts de production             velle, jugée insoutenable (sur quels critères ?
     fiscales (moins de TVA, d’impôts sur le           (10 Mds).                                   On ne le saura jamais). Deux idées écono-
     revenu pour environ 3 milliards d’eu-                                                         miques chez les cassandres de la dette
     ros, sur les sociétés, etc.) mais aussi une   Tout ceci entraîne pour 2020 et pour les        émergent alors : l’une d’une stupidité éco-
     baisse des recettes de la Sécurité            années suivantes un déficit public impor-       nomique totale et l’autre paraissant plus
     sociale, et une hausse des dépenses,          tant (plus de dépenses et moins de recettes),   sensée mais est tout aussi stupide et dan-
     notamment d’assurance chômage ;               et donc une augmentation de la dette            gereuse.
                                                   publique (la somme des déficits) qui devrait
3.   En plus de l’effet mécanique, les             croître rapidement passant de 100 % en 2019

II. L’austérité est l’idée grossière à combattre

Balayons d’abord l’idée stupide, qui semble        dépenses.                                       revenus des autres ! Que se passerait-il si
pourtant frappée du sceau du bon sens.                                                             pendant cette crise nous réduisions forte-
Puisque notre dette augmente, la solution          L’austérité aggraverait la crise                ment les dépenses publiques ? Exemple :
la plus sérieuse pour limiter notre endette-                                                       réduction du nombre de fonctionnaires,
ment est évidemment de diminuer les                Sauf que les dépenses publiques sont d’un       diminution des projets d’investissement
dépenses publiques. Cela paraît logique, et        autre ordre, et que l’État n’est pas un         publics. L’effet est immédiat : on retire de
conforté par l’expérience personnelle : si je      ménage. Il faut rappeler une notion de base     l’économie des revenus. Moins de fonction-
suis trop endetté, je dois réduire mes             en économie : les dépenses des uns sont les     naires, c’est aussi moins de salaires de fonc-

                                                                                                                                     Note
                                                                                                                                     économique
                                                                                                                                     n° 159
                                                                                                                                     Septembre 2021
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   tionnaires. La consommation des                   boulangerie, etc. Les financements publics       publique ? Tout simplement, le fameux ratio
   fonctionnaires vient alimenter les débou-         sont multipliés.                                 dette/PIB (les 120 % de dette) augmente
   chés du secteur privé. Même chose pour la                                                          parce que le PIB diminue ! Voilà pourquoi
   commande publique : un chantier public,           L’austérité augmenterait en                      cette idée est si stupide économiquement.
   c’est aussi des revenus pour des entreprises      réalité l’endettement public                     Voilà pourquoi personne, à part les quelques
   privées. Par exemple, si la puissance publique                                                     hurluberlus médiatiques habituels comme
   investit dans une école, cela fait fonctionner    Autrement dit, l’austérité c’est l’appauvris-    Agnès Verdier-Molinié, ne demande de
   des entreprises du BTP, puis des producteurs      sement immédiat et généralisé. Mais ce           diminution des dépenses publiques immé-
   de mobilier scolaire. À terme, cela suppose       n’est pas tout ! Puisque l’activité (le PIB)     diatement.
   aussi un nouvel arrêt de bus, une nouvelle        diminue, que se passe-t-il pour notre dette

   III. Le « cantonnement » est aussi de l’austérité – tout juste
       est-elle plus subtile
   Cet argument-ci est plus subtil, et donc plus     le gouvernement décidait de stopper l’aug-       gagnants ou perdants de la crise, peu
   important à déconstruire. Il correspond en        mentation des cotisations sociales.              importe qu’ils soient riches ou pauvres. Il
   plus à la stratégie du gouvernement qu’on                                                          s’agit donc de faire porter l’effort sur les
   pourrait résumer ainsi. À court terme, « quoi     Alors que la dette gérée par la Cades arrivait   travailleurs, indépendants et retraités, alors
   qu’il en coûte ». Il faudra pourtant ensuite      à sa fin et que les prélèvements consacrés       que les employeurs (sans parler des plus
   rembourser. Puisque la dette est exception-       à son financement auraient pu servir à           aisés, nous y reviendrons) seront totale-
   nelle, le mieux serait « d’isoler » la partie     répondre à des besoins sociaux urgents,          ment exemptés de cette charge. Autrement
   qui correspond à la dette « Covid » du reste      l’État a fait un choix complètement diffé-       dit, les efforts d’un côté de l’échelle sociale,
   de la dette. Séduisante, cette idée corres-       rent. En août 2020, 136 milliards d’euros de     la paix royale de l’autre. Drôle de concep-
   pond en réalité à une deuxième version de         dette ont été transférés à la Cades. Cette       tion de la justice. De plus, alors que la plu-
   l’austérité.                                      dernière, qui devait disparaître en 2024, est    part des dépenses ont permis le maintien
                                                     finalement prolongée jusqu’en 2033 (et           de la santé des entreprises, ces dernières
   La logique économique                             gageons, sans doute au-delà à situation          n’auront pas à participer à l’effort national
   du cantonnement                                   politique constante). Ce choix, en plus d’être   pour rembourser la dette, car seuls les
                                                     injuste socialement, est aberrant économi-       ménages payent la CRDS. C’est inaccep-
   L’argument est simple : puisque cette crise       quement, et permet de continuer de justi-        table.
   nécessite des dépenses « exceptionnelles »,       fier des réformes de fond pour la Sécu.
   il faut traiter la « dette Covid » de manière                                                      Ces remboursements sont autant de fonds
   exceptionnelle, en l’isolant du reste de la       Pourquoi c’est                                   consacrés à la dette plutôt qu’aux dépenses
   dette de l’État. La logique économique est        particulièrement injuste                         sociales, ce qui fait peser le risque d’affaiblir
   d’envoyer un « signal » aux marchés finan-                                                         le système de Sécu et donc les dépenses de
   ciers : « N’ayez crainte, la situation est sous   La ressource qui sert à rembourser la dette      santé, de mieux-être, et de retraite, quitte
   contrôle puisque nous avons isolé cette par-      cantonnée dans la Cades est constituée de        à ne plus pouvoir faire face à une poten-
   tie de la dette. » Avec l’espoir que les taux     deux impôts tristement célèbres : la CSG         tielle crise sanitaire ou sociale.
   d’intérêt sur la dette restent faibles par la     (contribution sociale généralisée) et la CRDS
   suite.                                            (contribution à la réduction de la dette         Pourquoi c’est une erreur
                                                     sociale). Ces impôts sont particulièrement       économique
   On connaît le mécanisme puisqu’il s’agit de       injustes puisque leur taux est le même pour
   transférer cette dette Covid dans la              tous les contribuables (y compris les plus       En plus d’être injuste, cette idée est une
   « Cades » (Caisse d’amortissement de la           pauvres !).                                      aberration économique. Car la dette sociale
   dette sociale), dont l’origine remonte au                                                          est amenée à être remboursée, contraire-
   milieu des années 1990, et qui avait pour         Autrement dit, il faut bien mesurer ce qui       ment à celle de l’État qui fait « rouler sa
   but d’amortir dans un temps court la dette        se joue et le choix politique du gouverne-       dette ». En isolant la dette, on se force à
   issue des déficits de la Sécurité sociale après   ment : tous les ménages seront mis à contri-     rembourser non seulement les intérêts sur
   la récession de 1992, en même temps que           bution, peu importe qu’ils aient été             la dette, mais également le « principal »,

      Note
économique
        n° 159
Septembre 2021
Que faire de la dette Covid ? Perspectives revendicatives - Note Économique
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   Le financement de la Sécurité sociale
   et la Caisse d’amortissement de la dette sociale

   Le financement par cotisation sociale de la Sécu

   La Sécurité sociale est une administration séparée de l’État. Elle a ses propres comptes. Pendant longtemps son principal financement
   était la cotisation sociale. Cette dernière, prise sur la valeur ajoutée créée par le travail, justifie sa gestion en partie par les travailleurs :
   celui qui paye gère ! Cependant, depuis quarante ans les gouvernements successifs ont voulu reprendre le pouvoir sur la Sécu en
   baissant ses recettes issues uniquement du travail et en les remplaçant par l’impôt qui s’applique à tous les revenus (la CSG par
   exemple). Rappelons que pour les revenus d’activité, la CSG est de 9,2 % actuellement contre 2,4 % en 1995 ! Aujourd’hui, les cotisations
   sociales ne représentent que 50 % du financement de la Sécu.
   Le financement par l’impôt justifie la prise de pouvoir de l’État sur la Sécu (rappelez-vous : celui qui paye, gère !) Dans le même temps,
   l’augmentation des cotisations (qui suivait les besoins sociaux) a été freinée et les cotisations sur le travail (prises sur la valeur ajou-
   tée) transformée en CSG prise sur les revenus. En effet les cotisations sociales sont du salaire socialisé : une partie de la valeur ajoutée
   qui revient aux travailleurs pour en faire quelque chose de commun. Baisser les cotisations sociales, c’est donc baisser les salaires et
   permettre aux entreprises de faire plus de profit. Remplacer les cotisations sociales en CSG, c’est épargner les employeurs en faisant
   payer la Sécu sur les revenus des ménages. Bref, cette politique de baisse de recette face à une augmentation « naturelle » des besoins
   et des dépenses (vieillissements de la population, progrès médicaux, etc.) a creusé le déficit de la Sécu et donc sa dette. Au lieu d’aug-
   menter les recettes, le gouvernement a créé la Cades.

   La Caisse d’amortissement de la dette sociale

   Créée en 1992, cette caisse stocke la dette de la Sécurité sociale qu’elle place sur les marchés financiers. La création de cette caisse va
   à l’encontre des principes fondateurs de la Sécu qui supposaient que ses recettes soient immédiatement dépensées de manière qu’elle
   ne soit pas soumise au marché. Cette dette est remboursée par les recettes d’un prélèvement social spécifique, la CRDS (contribution
   au remboursement de la dette sociale), prélevée au taux de 0,5 % sur tous les revenus dont les salaires, et plus récemment par une
   partie de la CSG.
   Pendant des années, en dehors de toute logique économique, la Sécu a été contrainte de rembourser à marche forcée cette dette au
   détriment d’autres dépenses sociales.
   En 2024, la dette de la Sécu détenue par la Cades devait être complètement remboursée. Les prélèvements qui lui étaient affectés
   auraient pu être transformés en cotisations sociales et affectés à des questions sociales urgentes comme le financement de la santé
   (et en son sein la prise en charge de la perte d’autonomie).

c’est-à-dire le capital emprunté. Rappelons          les créanciers eux-mêmes, puisqu’ils               La première est idéologique : le gouverne-
que la dette de l’État n’a pas de limite dans        prêtent à cinquante ans à l’État français à        ment ne veut surtout pas ouvrir la brèche
le temps, et ne sera jamais remboursée, ce           des taux historiquement bas ! Pourquoi             qui montrerait que finalement, quand on
qui est normal et bienvenu ! Quand l’État            diable se forcer à traiter cette dette diffé-      veut financer des propositions, on en a les
emprunte 100 sur dix ans à 2 %, que se               remment de la dette de l’État ? Pourquoi           moyens. Il a donc l’urgence politique d’in-
passe-t-il ? Il paie les intérêts (soit 2) pendant   ne pas profiter des taux d’intérêt extrême-        venter des montages pour revenir le plus
dix ans, puis rembourse le principal (100)…          ment faibles pour réduire le poids de l’en-        rapidement possible à la situation « nor-
qu’il réemprunte immédiatement ! On dit              dettement (c’est-à-dire la charge d’intérêt)       male » précédente et couper court aux
que l’État fait « rouler sa dette ».1                dans nos finances publiques ? Pourquoi se          discussions.
                                                     forcer à rembourser sur douze ans via la
Il faut bien comprendre que le gouverne-             Cades plutôt que d’étaler dans le temps le         La seconde est notre dépendance aux mar-
ment cherche à « rembourser » cette dette            poids de ces dépenses supplémentaires ? Il         chés financiers. La crainte de voir les taux
en vingt ans… ce que ne demandent pas                n’y a que deux réponses convaincantes.             remonter oblige à créer ce genre de méca-

1. Voir fiche pédagogique sur la dette n° 4

                                                                                                                                           Note
                                                                                                                                           économique
                                                                                                                                           n° 159
                                                                                                                                           Septembre 2021
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   nismes. C’est le seul argument sérieux, qui        quement, elle est en vérité l’avatar de l’aus-       donc diminuer les dépenses du fait de
   impose justement qu’on sorte nos finances          térité, en version plus compliquée (on               la règle d’or… et donc aggraver la crise.
   publiques du pouvoir des marchés finan-            combat toujours plus difficilement ce qu’on          C’est exactement ce qu’on a appliqué
   ciers – nous y reviendrons également.              comprend mal). C’est la stratégie du gou-            à l’économie grecque, avec les résultats
                                                      vernement, et cette Note devrait désor-              connus : perte de 25 % du PIB en
   Les conséquences bien réelles                      mais aider à la comprendre et la combattre.          quelques années et explosion de la
   du cantonnement                                                                                         dette publique rapportée au PIB. Se
                                                      « Règle d’or », la proposition                       lier les mains avec une telle règle, c’est
   Que se passera-t-il concrètement avec le can-      insensée du rapport Arthuis                          empêcher toute politique dite
   tonnement ? Il y a donc désormais 136 mil-                                                              « contracyclique », c’est-à-dire de
   liards d’euros (ce sera bien plus si le            Rendu en mars 2021, le rapport Arthuis pro-          relance de l’économie pour grossir le
   gouvernement décide d’affecter d’autres            pose une « règle d’or » des finances                 trait ;
   parts de la dette à la Cades) à rembourser d’ici   publiques. Concrètement, l’idée serait
   à 2033, soit un peu plus de 11 milliards par an.   d’imposer que les dépenses publiques aug-        •   imaginons maintenant que nous
                                                      mentent moins vite que les recettes. Cela            soyons au plein-emploi (ce qui ne
   L’équation est simple : puisque le gouver-         paraît être frappé du bon sens que ne pas            risque pas d’arriver avec le gouverne-
   nement refuse de réfléchir à augmenter les         dépenser plus que ce que l’on gagne. Mais            ment actuel). Les recettes sont impor-
   ressources, il ne reste que l’austérité sur une    c’est une fois de plus une profonde stupi-           tantes, ce qui permettrait suivant la
   dizaine d’années. Moins de dépenses pour           dité économique.                                     logique du rapport Arthuis… de
   la santé, pour l’éducation, pour l’environ-                                                             dépenser plus, alors même que l’on
   nement. Une arme de chantage massive               Comme nous l’avons déjà dit, les dépenses            n’en aurait pas besoin !
   pour les salaires des fonctionnaires. Et sur-      des uns sont les revenus des autres.
   tout, la justification de nouvelles « réformes     Diminuer la dépense publique, c’est de fait      Voilà le type d’aberration auxquelles on
   structurelles » comme celles des retraites         diminuer le niveau de l’activité et de la        arrive sous couvert de « bon sens » quand
   et de l’assurance chômage, puisque le gou-         richesse produite dans le pays. Cela dété-       on ramène la question budgétaire à une
   vernement a décidé de nous lier les mains          riore en retour les comptes publics. Qu’on       question comptable.
   avec la Cades.                                     mesure bien l’absurdité des propositions
                                                      du rapport :                                     Voilà pour le volet « défensif », les trois
   On comprend donc tout le problème du                                                                points suivants servent à appuyer l’offen-
   cantonnement. En plus d’être une idée              •   en période de crise, les recettes dimi-      sive qu’il nous faut mener sur la question
   injuste socialement, aberrante économi-                nuent fort logiquement. Il faudrait          de la dette Covid.

   IV. À court terme, il n’y a aucun problème de financement
      de nos dépenses

   Soutenabilité                                      chaque année dans le budget de l’État. Le        nue depuis une trentaine d’années des taux
   et taux d’intérêt                                  premier graphique page ci-contre rappelle        d’intérêt sur la dette publique.
                                                      la réalité à ce sujet.
   Cette simple vérité mérite qu’on s’y attarde                                                        Comme on le voit sur le deuxième gra-
   un moment. Il n’y a, aujourd’hui absolument        En moins de dix ans, la « charge de la           phique, le taux d’intérêt sur l’emprunt à dix
   aucune contrainte qui nous empêche.                dette », c’est-à-dire les intérêts que nous      ans était encore de l’ordre de 5 % en 2009.
                                                      payons chaque année sur la dette, a été          Il est aujourd’hui inférieur à 0 ! Qu’on mesure
   Cela peut paraître paradoxal alors que la          divisée par deux en pourcentage du PIB !         bien ce que cela veut dire : quand il s’endette
   dette publique rapportée au PIB (les                                                                à dix ans, l’État rembourse moins que ce
   fameux 120 % de dette publique) aug-               La charge de la dette diminue                    qu’il a emprunté ! Comment voir une quel-
   mente. Mais c’est qu’en réalité ce qui             parce que les taux sont bas                      conque contrainte sur la dépense publique
   importe, ce n’est pas le niveau de la dette,                                                        aujourd’hui ? Ne pas dépenser est un choix
   mais les taux d’intérêt sur cette dette. Ce        Comment expliquer cette baisse de la             politique extrêmement contestable.
   sont ces derniers qui pèsent effectivement         « charge de la dette » ? Par la baisse conti-

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                                                                                                 centrale européenne (BCE). Sans rentrer
                                                                                                 dans le détail, le mécanisme est le suivant :

                                                                                                 1.   la BCE rachète massivement des titres
                                                                                                      de dette sur les marchés financiers
                                                                                                      (principalement de la dette publique).
                                                                                                      on appelle cela le « quantitative
                                                                                                      easing ». L’augmentation de la
                                                                                                      demande des titres de la dette fran-
                                                                                                      çaise implique que ces titres appa-
                                                                                                      raissent sur les marchés comme des
                                                                                                      valeurs sûres et « liquides » (c’est-à-
                                                                                                      dire qu’on peut le revendre à tout
                                                                                                      moment sans perdre d’agent). Les
                                                                                                      taux d’intérêt sont le coût du risque
                                                                                                      que prennent les acheteurs de titre.
                                                                                                      Si le risque et faible alors le taux d’in-
                                                                                                      térêt l’est aussi ;

                                                                                                 2.   la réglementation sur les banques
                                                                                                      (dite « prudentielle ») les oblige à
                                                                                                      détenir des actifs sûrs, c’est-à-dire
                                                                                                      concrètement des titres de dette
                                                                                                      publique française ou allemande. Cela
                                                                                                      conduit à augmenter la demande
                                                                                                      pour la dette publique, ce qui a pour
                                                                                                      conséquence de tirer les taux d’intérêt
                                                                                                      vers le bas, et même en dessous de
                                                                                                      zéro ;

                                                                                                 3.   l’effet recherché est d’éviter la spécu-
                                                                                                      lation sur les titres de dette des dif-
                                                                                                      férents pays européens. Très
                                                                                                      concrètement, la BCE envoie le signal
                                                                                                      suivant aux marchés financiers :
                                                                                                      « Nous garantissons des taux bas sur
                                                                                                      les dettes publiques européennes et
Pourquoi les taux d’intérêt                     vieillissement de la population, la produc-           nous rachèterons tous les titres si
sont faibles ?                                  tivité de plus en plus faible, sont des expli-        nécessaires. » La BCE détient plus d’un
                                                cations structurelles.                                quart de la dette publique des États
Il y a plusieurs explications. Certaines,                                                             de la Zone euro aujourd’hui. Nous ne
comme l’excès d’épargne dans l’économie         Mais une part importante de l’explication             sommes de fait plus en économie de
qui découle des inégalités importantes, le      est à chercher dans l’action de la Banque             marché.

  L’austérité est un choix

  Chaque crise est un rappel brutal aux fondamentaux : l’économie est affaire de choix politiques. En termes plus crus, quand les pouvoirs
  publics veulent, ils peuvent. S’il est possible de déverser de telles sommes en période de crise, il est également possible d’utiliser le
  levier budgétaire pour financer la rupture environnementale et sociale. La question n’est jamais celle des moyens ; elle est celle du
  pouvoir de décider de ce que nous faisons collectivement de ces moyens, et des conséquences macroéconomiques de la dépense
  publique. Cela ne revient pas à dire que l’on pourrait dépenser indéfiniment, n’importe comment sans conséquence ; cela veut simple-
  ment dire que l’on pourrait faire radicalement autrement, et que l’austérité est un choix politique et délibéré.

                                                                                                                                   Note
                                                                                                                                   économique
                                                                                                                                   n° 159
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   Comment les taux d’intérêt
                                                       Indice boursier S&P 500
   peuvent-ils être inférieurs à
   zéro ?
   Cela paraît incompréhensible : pourquoi des
   « investisseurs » accepteraient de
   « perdre » de l’argent en le prêtant ? Il y a
   au moins trois explications simples :

   1.   La recherche de sécurité : les investis-
        seurs préfèrent détenir de la dette
        publique allemande plutôt qu’un titre
        plus risqué. C’est une manière de
        garantir le capital, quitte à recevoir
        des taux d’intérêt négatifs.
        Concrètement, accepter un taux
        négatif revient à payer pour avoir
        accès à un coffre-fort. si je dépose
        1 000 € pendant cinq ans et que je
        paie 10 € (l’équivalent du taux néga-
        tif), je suis certain, quoi qu’il arrive, de   Source : investing.com ; notation des auteurs
        retrouver dans cinq ans mes 990 € ;
                                                       manquent, mais bien une vision pour coor-       cette mission), il n’y a rien, absolument rien
   2.   Les obligations des banques : elles            donner l’ensemble ; dommage que le              en termes de soutenabilité de la dette qui
        doivent légalement détenir des                 « commissariat au plan » ne remplisse pas       nous y empêche. Cela étant dit, faut-il uti-
        « actifs sans risques », c’est-à-dire
        essentiellement des titres de dette
        publique (allemande et française sont            S’inquiéter de la dette privée plutôt que de la dette publique
        très demandées), même si les taux
        d’intérêts sont négatifs !                       La dette privée suscite moins de commentaire que la dette publique. Pourtant son poids
                                                         est plus important, et représente 150% du PIB fin 2020.
   3.   Le risque perçu : plus le taux d’intérêt
        est faible, plus on peut estimer que le
        risque perçu par les créanciers est
        faible. Ainsi, les taux d’intérêt négatifs
        indiquent qu’il n’y a clairement pas
        d’inquiétude autour de la dette
        publique française aujourd’hui.

   On comprend donc plusieurs choses.

   D’abord que s’endetter n’a jamais « coûté »
   aussi peu cher aux pouvoirs publics ! Les taux
   d’intérêt sont historiquement faibles, du fait
   notamment de l’action de la Banque centrale.
   Et c’est bien ça qui compte en réalité, bien
   plus que les « 120 % de dette sur PIB » qui ne        C’est non seulement le résultat de l’endettement des ménages, mais surtout des entre-
   veulent finalement pas dire grand-chose.              prises, et notamment les multinationales qui financent leur « croissance externe » (rachat
                                                         d’entreprises) et des montages financiers complexes par endettement. La dette privée
   Ce constat se suffirait pratiquement à lui            est ainsi beaucoup plus risquée pour l’économie que la dette publique. Les crises finan-
   seul. Si demain nous décidions de dépenser            cières sont par ailleurs systématiquement associées à un endettement privé important.
   massivement (en créant des postes dans                Enfin, les pays européens qui affichent des dettes publiques plus faibles sont également
   l’enseignement, la santé, la rupture écolo-           ceux qui ont l’endettement privé parmi les plus élevés. Se focaliser sur la seule dette
   gique, ce ne sont pas les projets qui                 publique est une faute d’analyse. Pour aller plus loin, voir la fiche pédagogique 12

      Note
économique
        n° 159
Septembre 2021
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liser comme seul levier l’endettement et la         importants via notamment des achats             coup en cas de crise financière généralisée.
création monétaire ? Ce n’est pas sans              d’actions. Les cours en bourse américains,
risque, loin de là.                                 tirés par les secteurs dits de la « tech »,     Ensuite, cette explosion des cours en
                                                    atteignent des sommets jamais vus               bourse aggrave en retour les inégalités de
Le risque d’un effondrement                         jusqu’alors. On ne sait jamais quand une        patrimoine et fait gonfler l’épargne impro-
financier                                           bulle existe avant qu’elle n’éclate, mais le    ductive des plus riches qui possèdent
                                                    risque est très, très réel d’une déflagration   l’essentiel des titres financiers. Ceci
D’abord, la politique menée par la BCE              financière mondiale. Nous savons toutes         aggrave nos difficultés économiques et la
entretient d’énormes bulles spéculatives.           et tous déjà que nous ne gagnons rien dans      pression sur nos finances publiques. Cela
En cherchant la rentabilité, les « investis-        la phase « d’euphorie financière ». En          plaide donc pour utiliser massivement
seurs » prennent des risques de plus en plus        revanche, nous perdrons à nouveau beau-         l’outil fiscal dans la période.

V. L’enjeu de la fiscalité pour desserrer immédiatement la contrainte

Droit dans ses bottes, Bruno Le Maire               le propose Attac5 a peu d’importance, l’idée    touchées, et de viser particulièrement le
explique partout qu’il « refusera d’augmenter       est de faire dégonfler les gros patrimoines     commerce en ligne et les Gafam qui sortent
les impôts des Français ». Ce qu’il faut évi-       et de desserrer immédiatement, via l’im-        plus que gagnants de cette crise) et par là
demment lire derrière, c’est la chose suivante:     pôt, la contrainte budgétaire).                 même de laisser la Sécu, qui a permis d’amor-
Bruno Le Maire refuse d’augmenter les                                                               tir la crise, en dehors de cette histoire !
impôts des plus riches et des multinationales       Du côté des entreprises, il y a eu aussi des
qui, pour les plus aisés ont profité de la crise.   gagnants. Certaines ont vu leur chiffre d’af-   Évidemment, la question fiscale doit être
                                                    faire bondir parfois de plus de 60%6 et les     posée plus largement. Remettre à plat les
Car de fait, l’épargne des ménages2 aug-            marges des entreprises ont dans l’ensemble      coûteuses niches fiscales pour les entre-
mente pendant cette crise. Elle pourrait            très bien résisté du fait du soutien public     prises (au moins 60 milliards d’euros par an
atteindre 250 milliards d’euros fin 2021 si la      massif. Cela veut notamment dire que le         pour les seules entreprises), les niches
tendance actuelle se prolonge3. Selon le            niveau des profits se maintient, mais égale-    sociales (91 milliards d’euros), les méca-
Conseil d’analyse économique, 70 % de               ment que des dividendes colossaux conti-        nismes de subventions, les diminutions
l’épargne supplémentaire pendant la crise           nuent d’être versés. C’est particulièrement     d’impôts sur les sociétés, la production etc.
a été réalisée par les 20 % les plus riches4.       criant pour le CAC 407. Dans tous les cas, et   Les rapports se suivent et se ressemblent
Cette épargne contribue à alimenter en              comme le suggère l’économiste Henri             pour dénoncer le coût faramineux et l’inef-
retour la montée des cours en bourse, et            Sterdyniak, dans la note citée précédem-        ficacité de ces dispositifs. N’oublions pas
l’instabilité financière générale. On peut          ment, il est parfaitement envisageable de       que structurellement, la dette publique
donc tout à fait envisager une augmenta-            créer un impôt spécifique sur les entreprises   est d’abord un problème de baisses
tion d’impôts ciblée sur les hauts patri-           d’une certaine taille dont les bénéfices        continues de recettes fiscales et
moines (qu’on l’appelle ISF ou « Contribution       auraient augmenté en 2020 (ce qui permet        sociales. Cette crise doit être l’occasion
à la réduction de la dette Covid » comme            d’exclure là aussi les TPE et PME fortement     d’une remise à plat.

VI. Annuler la dette ?

Une partie des économistes (qui sont d’ail-         mentaire liée au Covid. En réalité, il s’agit   Banque de France). Si les objectifs sont
leurs proches de nos idées) proposent               d’annuler la partie de la dette détenue par     alignés aux nôtres (éviter l’austérité à tout
d’annuler une partie de la dette supplé-            la Banque centrale européenne (via la           prix), il y a des limites claires à cette idée.

2. Un ménage au sens statistique, ce sont les personnes vivant sous un même toit.
3. « Que faire de la dette Covid ? », Les Économistes atterrés, 5 janvier 2021, blog Mediapart.
4. CAE, octobre 2020.
5. https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/note-qui-doit-payer-la-dette-covid
6. Voir notamment : https://analyses-propositions.cgt.fr/memo-eco-linstitut-des-politiques-publiques-confirme-nos-craintes-sur-les-mesures-
gouvernementales
7. https://analyses-propositions.cgt.fr/memo-eco-benefices-du-cac-40-de-quelle-crise-parlez-vous
                                                                                                                                      Note
                                                                                                                                      économique
                                                                                                                                      n° 159
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   L’idée et le mécanisme                           2.   L’annulation permettrait de limiter la           tain que les marchés financiers réa-
   de l’annulation                                       hausse des taux d’intérêt, les inves-            gissent correctement au signal envoyé
                                                         tisseurs réagiraient positivement à la           et que les taux ne remontent pas ;
   Tout part d’un constat : la BCE détient envi-         baisse de la dette affichée ;
   ron 20 % de la dette publique française.                                                          4.   Liée au précédent point, la dernière
   L’idée serait que cette dette soit annulée,      3.   Cela permet d’éviter toute hausse                critique est la plus sérieuse.
   ce qui diminuerait immédiatement le ratio             d’impôts pour financer cette dette               L’annulation est une stratégie tech-
   dette/PIB. La dette publique affichée pas-            supplémentaire.                                  nique qui ne change rien au rapport
   serait de 120 % à moins de 100 % du PIB, ce                                                            de force politique et à notre dépen-
   qui correspond exactement à la hausse de         On peut partager ces objectifs, mais reste            dance aux marchés financiers. Au
   la « dette Covid ». En termes techniques,        une question : a-t-on vraiment besoin de              contraire, on transformerait de la
   une partie du stock de dette ne serait plus      l’annulation pour tout ceci ? La réponse est          dette détenue par la Banque centrale
   détenue par les administrations publiques,       clairement non. On peut formuler plusieurs            par de la dette détenue par des agents
   mais par la Banque centrale directement          critiques à cette proposition.                        privés, ce qui renforcerait cette
   (ce qui fait diminuer le ratio dette/PIB affi-                                                         dépendance. Il n’est pas possible
   ché). Elle n’est donc pas vraiment « annu-       Le jeu de l’annulation                                d’annuler le rapport de force par une
   lée » puisqu’elle est portée par la BCE qui      n’en vaut pas la chandelle :                          solution comptable.
   affichera des pertes.
                                                    1.   Les objectifs affichés (pas d’austérité,    Le coût politique de l’annulation est poten-
   Est-ce un problème que la BCE soit « défi-            pas de hausse d’impôts pour l’en-           tiellement très élevé (rapport de force avec
   citaire » ? Non, répondent les économistes,           semble des ménages etc.) peuvent            la BCE, avec les investisseurs privés, avec
   puisque la Banque centrale peut toujours              tous être réalisés sans passer par l’an-    les États qui refuseraient comme l’Alle-
   créer de la monnaie supplémentaire et                 nulation, du fait de la faiblesse des       magne) pour un gain qui peut être très
   qu’elle détiendrait finalement une dette…             taux d’intérêt. Nous avons déjà les         faible. Doit-on mettre nos forces dans ce
   sur elle-même. On comprend la stratégie :             moyens de financer nos revendications       combat ? On peut en douter. On peut au
   diminuer le stock de dette affiché par les            et le niveau de la dette, qu’il soit de     moins dire qu’à court terme l’annulation
   pouvoirs publics. L’annulation est donc               100 ou 120 %, n’est pas un problème ;       n’est pas nécessaire, et qu’il faut garder cet
   techniquement possible et les objectifs                                                           outil en cas de remontée excessive des taux
   sont multiples.                                  2.   L’austérité ne dépend jamais du             d’intérêt. En faire une priorité politique est
                                                         niveau de la dette. Déjà à 60 % de          un pari risqué.
   Les objectifs :                                       dette, les gouvernements poussaient
                                                         des cris d’orfraie pour limiter nos         Quitte à imaginer des solutions radicales
   1.   L’idée centrale des « annulation-                dépenses publiques. Quelques points         et de long terme, il semble plus judicieux
        nistes » est que ce montant écono-               de pourcentage de plus ou de moins          de remettre au centre des débats notre
        misé (baisse du stock de dette)                  ne changeront rien au rapport de            proposition de pôle financier public et de
        permet de financer immédiatement                 force sur ce sujet. L’annulation ne limi-   poser clairement l’objectif et l’horizon
        d’autres dépenses, et des investisse-            terait donc pas les velléités austéri-      revendicatif suivant : comment sortir de la
        ments seraient de fait une contrepar-            taires ;                                    dépendance aux marchés financiers et
        tie à cette annulation. C’est donc une                                                       comment reprendre la main sur le finance-
        stratégie « anti-austérité » ;              3.   L’annulation ferait peser un risque à       ment de l’économie ?
                                                         court terme. Il n’est pas du tout cer-

   VII. L’objectif de moyen terme : sortir de la logique marchande

   L’objectif le plus ambitieux – mais aussi le     rêt, au bon vouloir des « investisseurs », en    Elle a l’avantage de s’appuyer sur un précé-
   plus crédible – est de chercher à construire     un mot : définanciariser la dépense publique     dent et sur l’existant. Historiquement
   le rapport de force pour sortir notre dépense    et construire un système de financement          d’abord, puisque nos finances publiques
   publique de la dépendance aux marchés            hors marché. Notre revendication de Pôle         étaient gouvernées par le « Circuit du
   financiers, aux fluctuations des taux d’inté-    financier public s’inscrit dans cette logique.   Trésor » pendant plusieurs décennies.

      Note
économique
        n° 159
Septembre 2021
11 <

Aujourd’hui ensuite, puisqu’un nombre              tutions bancaires et l’État dans un tout          Évidemment, la difficulté est majeure : tout
important d’institutions publiques de finan-       unifié, à mille lieues de l’éclatement que l’on   ceci est interdit dans le cadre des traités
cement existent encore.                            connaît aujourd’hui entre banques privées,        européens. Il faut nécessairement repenser
                                                   banque centrale indépendante et État              le cadre européen, réécrire les traités et
Le précédent :                                     impuissant. Évidemment, cette construc-           imposer le rapport de force au niveau
le Circuit du Trésor                               tion était extrêmement technocratique, et         national comme au niveau européen. C’est
                                                   il ne s’agit de reproduire à l’identique ce qui   évidemment plus facile à dire qu’à faire,
Le Trésor public, c’est l’État. Plus spécifique-   existait en 1950, mais de s’en inspirer pour      mais l’horizon revendicatif est là et s’inscrit
ment, c’est, encore aujourd’hui, la partie         ouvrir la voie à des alternatives.                dans notre vision économique plus large.
financière de l’administration de l’État,
réseau d’organisation qui regroupe un              S’appuyer sur l’existant                          Retrouver la cohérence
nombre important de travailleurs.                                                                    dans le financement public
                                                   Toutes les institutions financières n’ont pas
Le circuit du trésor était un mode d’organi-       été privatisées. La Banque de France, la          On comprend que l’urgence est de recréer
sation des finances de l’État, largement           Caisse des dépôts, l’Agence des participa-        une architecture financière et monétaire
administré.                                        tions de l’État, la Banque publique d’inves-      cohérente et surtout libérée du bon vouloir
                                                   tissement, l’Agence française de                  des « marchés ». On a l’impression que le
Il regroupait trois dispositifs :                  développement sont l’essentiel de ce qui          fait que l’État s’endette via les marchés
                                                   reste de l’organisation financière publique       financiers est naturel. Mais l’importance
1.   Le Trésor remplissait le rôle de ban-         du pays.                                          des banques dans l’économie, l’importance
     quier de l’État (Caisse des dépôts,                                                             du rôle de la banque centrale rappellent
     Caisses d’épargne et Crédit agricole,         Ces institutions peuvent donner l’archi-          qu’on peut et qu’on doit faire autrement,
     institutions publiques à l’époque) ; plus     tecture de base du Pôle financier public          c’est-à-dire penser en même temps les
     de 50 % des dépôts (comme ceux que            que nous appelons de nos vœux. Pour le            questions monétaires, financières et bud-
     nous avons sur nos comptes bancaires          compléter, se pose nécessairement la              gétaires. Très concrètement cela veut dire :
     aujourd’hui) étaient gérés par des            question du statut des grandes banques
     organismes publics en 1955 ;                  privées. Imposer l’alternative au finance-        1.   Retrouver une vision stratégique dans
                                                   ment « par le marché » peut passer par                 la dépense publique. Que l’État rede-
2.   Le Trésor forçait les banques commer-         plusieurs éléments :                                   vienne investisseur plutôt qu’assureur
     ciales à détenir de la dette publique (ce                                                            du privé via les cadeaux fiscaux ;
     qu’on appelait le plancher d’effets           •   imposer à nouveau aux banques com-
     publics). En d’autres termes, c’était             merciales un « plancher » de dette            2.   Reprendre la main sur le système ban-
     l’État qui fixait les taux d’intérêt aux          publique. Elles auraient l’obligation,             caire, rouage majeur de l’architecture
     banques – c’est l’inverse aujourd’hui ;           avec un certain taux d’intérêt, de prê-            financière et des projets d’investisse-
                                                       ter à l’État ;                                     ments à tous les niveaux plutôt que
3.   La Banque de France pouvait prêter                                                                   de se soumettre à ses volontés ;
     directement au Trésor, ce que les trai-       •   de manière plus ambitieuse, on peut
     tés européens interdisent aujourd’hui.            revendiquer de rendre public au moins         3.   Reprendre la main collectivement sur
     C’est pourtant bien ce qu’a fait la               une partie du système bancaire, à                  la Banque centrale, ce qui veut dire
     Banque d’Angleterre en 2020.                      commencer par les Caisses d’épargne.               mettre fin à son indépendance et
                                                                                                          assurer la cohérence entre la création
On comprend que le rapport de force entre          L’Épargne accumulée pendant la période                 de monnaie et l’investissement public.
les pouvoirs publics et les marchés finan-         serait ainsi immédiatement fléchée vers
ciers était totalement inversé. La question        la dépense publique décidée collective-           Ceci peut être pensé dans un cadre natio-
des « moyens » ne se posait simplement             ment. Nous reprendrions la main et la             nal ou européen. Tout dépend de la stra-
pas puisque l’État jouait à la fois le rôle de     question « a-t-on les moyens » disparaî-          tégie portée et de la vision qu’on a sur le
banquier et de créancier. Dans la période,         trait au profit d’une autre : « quels moyens      rapport de force. Car ne nous leurrons pas :
le niveau d’endettement public était his-          se donne-t-on et pour répondre à quels            le capital a tout à perdre à un tel change-
toriquement faible.                                besoins ». On peut difficilement imaginer         ment de logique. C’est un bras de fer
                                                   un pôle financier public sans son néces-          majeur, que la question de la « dette
On voit aussi la coordination des différents       saire pendant : une véritable planification       Covid » a le mérite de remettre sur la table.
niveaux entre la Banque centrale, les insti-       industrielle et écologique.

                                                                                                                                       Note
                                                                                                                                       économique
                                                                                                                                       n° 159
                                                                                                                                       Septembre 2021
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   Conclusion : mettre sur la table nos propositions CGT
   Que faire de la dette Covid ? On sait désor-           contribution immédiatement ;                3.   Modifier le statut de la banque centrale
   mais ce qu’il faut combattre : l’austérité, et                                                          européenne et réformer les traités ;
   son « variant », le cantonnement de la           3.    La Banque centrale continuera
   dette. On sait aussi qu’on peut immédia-               d’assurer les dettes publiques. Sans        4.   Organiser conjointement une véri-
   tement dédramatiser le problème. Cette                 même parler d’une éventuelle annu-               table stratégie de planification et de
   note agit donc comme un guide d’autodé-                lation, on aboutit au même constat :             financement des projets.
   fense face aux discours patronaux et gou-              rien ne s’oppose à de l’investisse-
   vernementaux qui émergent déjà : « Nous                ment tout de suite.                         Enfin la question de la dette ne se réglera
   n’avons plus les moyens, il faut donc accep-                                                       que si on règle la question de la production.
   ter des coupes, des efforts », etc.              Cela ne règle pas notre dépendance aux            Quelle relance ? Quelle stratégie indus-
                                                    marchés financiers. La « dette Covid » nous       trielle, productive, pour quels emplois ?
   Des alternatives concrètes, et faciles à         donne l’opportunité de remettre en avant          Quelle planification ? En définitive, la ques-
   mettre en œuvre existent : via la fiscalité,     notre horizon revendicatif plus long : la créa-   tion des moyens est secondaire, en ce
   mais aussi via la monnaie. Cela donne l’ho-      tion d’un pôle financier public et la reprise     qu’elle vient après celle des besoins. Nous
   rizon revendicatif immédiat qui repose sur       en main collective sur le financement de          savons désormais que nous avons les
   trois piliers :                                  l’économie. À la logique marchande qui pré-       moyens, et nous avons également des pro-
                                                    vaut, nous opposons une logique de plani-         positions sur ce que nous voulons faire de
   1.   Il n’y a pas de problème avec cette         fication et de stratégie. Cela donne donc un      ces moyens. C’est bien la CGT qui porte la
        dette nouvelle du fait de la fai-           horizon revendicatif plus large qui repose        stratégie économique la plus claire et la
        blesse des taux d’intérêt. Cela veut        sur les idées suivantes :                         plus cohérente.
        dire, que si nous voulons financer nos
        propositions, nous le pouvons ! Encore      1.    Organiser à nouveau un Trésor public
        faut-il une volonté politique ;                   puissant ;                                  Plus d’infos sur la dette :

   2.   Il existe des marges de manœuvre            2.    Contraindre les banques à financer          https://analyses-propositions.cgt.fr/fiches-
        fiscales importantes. Les plus gros               l’État et l’économie ;                      pedagogiques-comprendre-la-dette-
        patrimoines peuvent être mis à                                                                publique

   Ont contibué à ce numéro :
   Alexandre Derigny (CGT Finances),                     Numéro       L’inflation :                        Numéro         Qu’est-ce que
   Mathieu Cocq (Pôle éco confédéral),                                De quoi s’agit-il                                   l’économie sociale
                                                         157          au juste ? Faut-il
                                                                                                           158            et solidaire ?
   Ilona Delouette (Pôle protection sociale).
                                                                      craindre son retour ?                               Comprendre
                                                                                                                          le débat pour
                                                                                                                          se l’approprier
             Derniers numéros parus                                                                                       syndicalement
             À retrouver sur :
   analyses-propositions.cgt.fr/economie                 Numéro       Le Smic a 50 ans :                   Numéro         L’économie sociale
                                                                      le comprendre                                       et solidaire : un état
                                                         155          et le défendre
                                                                                                           156            des lieux et des
                                                                                                                          interrogations

                                                         Numéro       « Les distinctions                   Numéro         Dette, monnaie,
                                                                      sociales ne peuvent                                 crise, 10 points
                                                         153          être fondées que sur
                                                                                                           154            pour comprendre le
                                                                      l’utilité commune » :                               débat économique
                                                                      chiche !                                            pendant la crise du
                                                                                                                          Covid-19

                                                         Numéro       La dette :                           Numéro         Comprendre
                                                                      les vrais et les faux                               l’indice des prix
                                                         151                                               152
      Note                                                            enjeux                                              à la consommation
économique                                                                                                                et la mesure du
                                                                                                                          pouvoir d’achat
        n° 159
Septembre 2021
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