Religions et développement social Religion and Social Development Religiones y desarrollo social - Érudit
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Document généré le 14 sept. 2022 15:38 International Review of Community Development Revue internationale d’action communautaire Religions et développement social Religion and Social Development Religiones y desarrollo social Patrick de Laubier Numéro 17 (57), printemps 1987 Résumé de l'article Survivances et modèles de développement Quel est l’impact du religieux sur les politiques sociales dans le monde actuel ? L’article montre d’abord comment cette influence peut se situer à différents URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034374ar niveaux et prendre des aspects forts variés, pour ensuite l’illustrer à partir de DOI : https://doi.org/10.7202/1034374ar trois exemples contemporains, à savoir l’influence de Gandhi en Inde, celle de l’enseignement social de l’Église catholique depuis l’élection de Jean-Paul II et l’impact de l’islam dans les pays d’Afrique noire. Il conclut sur la faillite des Aller au sommaire du numéro idées forces du XIXe siècle encore présentes aujourd’hui, le positivisme et l’idéal socialiste, impuissantes à donner un sens à l’activité quotidienne. Éditeur(s) Lien social et Politiques ISSN 0707-9699 (imprimé) 2369-6400 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article de Laubier, P. (1987). Religions et développement social. International Review of Community Development / Revue internationale d’action communautaire, (17), 127–133. https://doi.org/10.7202/1034374ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 1987 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
Religions et développement social P. de Laubier L'influence des religions sur le religieux sur les politiques socia- « sociétaires » plutôt que « commu- développement économique et les dans le monde actuel. nautaires ». social des nations1 a été au cen- Si l'on remarque des traits com- La politique sociale se situe tre des grandes oeuvres sociologi- entre la politique proprement dite muns dans l'action des forces reli- ques de Montesquieu à nos jours — qui est l'activité organisatrice de gieuses, l'extrême diversité des en passant par A. Compte, F. Le la société, notamment par l'inter- situations rend difficile l'appréhen- Play et surtout Max Weber, dont les médiaire du pouvoir étatique — et sion d'une scène aussi vaste. On travaux constituent une étape l'économie, qui a trait à la produc- ne peut se contenter de rappeler majeure de la sociologie de la reli- tion des richesses. Elle peut être les idées directrices des grandes gion. Aujourd'hui, cette approche étudiée à partir des cinq causes traditions culturelles et religieuses sociologique du rôle des forces reli- classiques : ni se hasarder dans la multiplicité gieuses dans le domaine social sus- des expériences concrètes, quoi- cite un regain d'intérêt qui s'expli- 1) la cause efficiente concerne que les unes et les autres soient les acteurs de la politique sociale, que notamment par un certain indispensable. renouveau de la conscience reli- à savoir l'État, les partis politiques, gieuse de l'humanité, à travers des les associations professionnelles, Il est possible de distinguer deux les groupes de pression et enfin les expériences aussi variées que le grands types de sociétés selon la fondamentalisme, les persécutions institutions et les hommes agissant terminologie de Tonnies : celles qui et les souffrances résultant aussi au titre de la religion et des valeurs présentent des traits communau- bien de la prospérité matérielle (dro- religieuses ; taires plus marqués, en général des gue, suicides) que de la misère sociétés dites traditionnelles que 2) la cause matérielle, qui tou- (famine) ou des craintes causées l'urbanisation n'a pas modifiées de che les secteurs de la politique par la violence sous toutes ses for- manière décisive, et les sociétés sociale comme la sécurité sociale, mes. Notre dessein n'est pas offrant une physionomie plus l'emploi, l'éducation et les libertés d'analyser les formes complexes anonyme où l'urbanisation a créé civiles et religieuses ; d'un certain renouveau religieux, des liens d'ordre surtout juridique 3) la cause formelle, visant les mais plutôt d'examiner l'impact du débouchant sur des relations structures de l'organisation sociale
Revue internationale d'action communautaire 17/57 l'Église catholique depuis l'élection de Jinnah, mais ne peut empêcher Religions et développement social de Jean-Paul II et l'impact de l'is- la séparation et les troubles san- lam dans les pays d'Afrique noire. glants qui vont l'accompagner. Il paie lui-même de sa vie le refus du fana- tisme. L'extraordinaire figure de Gandhi ne se prête guère à de brèves éti- quettes permettant de le classer ; en fait, il a exercé une influence qui dépasse largement l'Inde tout en s'enracinant profondément dans la tradition hindoue, dont il ne reniait aucune pratique, y compris la véné- que la politique sociale conforte ou ration des idoles et le respect des contribue à modifier, qu'il s'agisse vaches sacrées. Soucieux avant tout de pays à économie de marché ou d'une réforme morale, il n'a rien d'un de pays à économie planifiée. Ce sont les différents systèmes socio- économiques dans leurs rapports avec la politique sociale ; v w. Gandhi en Inde utopiste. Cet ancien avocat n'est pas seulement un prophète charisma- tique qui suscite l'enthousiasme des foules, c'est en même temps un stra- M. K. Gandhi, le Mahatma tège qui, avec une étonnante éco- 4) la cause finale s'exprime ici (grande âme), né en 1869, est mort nomie de moyens, désarme la force à travers les objectifs que se fixe assassiné en 1948, à New Delhi, par par la douceur et la prudence cou- une société, les idéologies domi- un Hindou fanatique qui lui repro- rageuse. Des contradictions appa- nantes, les conceptions du bien chait son attitude fraternelle à rentes trouvent des solutions pra- commun, etc. l'égard des Indiens de religion tiques inattendues ; c'est ainsi 5) la cause exemplaire, enfin, musulmane. Avocat à Londres en qu'après avoir accepté le système concerne les modèles concrets que 1891, il s'installa douze ans en Afri- des castes il donne aux parias le l'on se propose de réaliser confor- que du Sud (1893-1905), où il prit nom d'Harijan (enfants de Dieu) et mément aux traditions propres d'un la défense des Indiens en inaugu- les défend de l'intérieur, si Ton peut pays. rant la résistance non violente dire, en proposant non pas de nou- On voit que l'influence des tra- (Satyagrapha) aux autorités. De velle structures sociales, mais un ditions culturelles et religieuses sur retour en Inde, en 1915, il fonde un nouvel esprit fraternel dans la les politiques sociales peut se situer ashram (Ahmenabad) et joue bientôt manière de vivre les rapports entre à différents niveaux et prendre des un rôle décisif dans la vie politique castes. aspects très variés. Dans les sociétés pré- indienne : non-coopération avec les Gandhi a donné un statut spi- industrielles les facteurs religieux Anglais, boycottage des produits rituel à l'action politique en la situant tiennent et ont tenu un rôle décisif anglais, grève de l'impôt. En 1930, au coeur même du dynamisme reli- dans l'organisation des services il organise une marche à la mer gieux traditionnel de l'hindouisme. d'entraide et plus généralement (Ahmenabad à Dandi) pour protester Loin de se servir de la religion pour dans le renforcement des liens de contre la taxe sur le sel. Emprisonné réaliser des objectifs politiques, il solidarité à tous les niveaux, notam- en 1931, il participe, en 1931, à la a utilisé les circonstances politiques ment à celui de la société politique. seconde conférence de la table pour réanimer la religion. En ce Les civilisations chinoise, indienne, ronde à Londres. À nouveau empri- sens on peut dire que la politique précolombienne, l'antiquité gréco- sonné, il multiplie les jeûnes, qui sociale entrait davantage dans les romaine, Israël, l'islam et le chris- le font connaître dans le monde vues de Gandhi que la politique pro- tianisme montrent que dans tous entier. Un hebdomadaire, Harijan, prement dite ; ce qui lui importait les cas on constate l'action décisive est créé en 1933 et connaît une dif- c'était non pas la formulation d'une des influences religieuses dans la fusion considérable, mais Gandhi, nouvelle constitution politique, mais vie concrète des solidarités sociales. qui ne pratique pas une politique la mise en oeuvre de pratiques On peut illustrer ce propos par de style classique, démissionne de sociales concrètes. On se trompe trois exemples contemporains, à la présidence du parti du Congrès en interprétant son refus de l'indus- savoir l'influence de Gandhi en Inde, et quitte même l'organisation (1934), trialisation comme un archaïsme celle de l'enseignement social de sans pour autant renoncer à agir désespéré ; il fallait de toute manière politiquement (campagne pour la désobéissance civile en 1940). Opposé à la partition négocie avec de l'Inde, il la ligue musulmane
dissocier le vecteur anglais de la d'une doctrine spirituelle formulée on, libérer l'homme, non pas de modernité et cette dernière. La bril- par une instance hiérarchique très Dieu, mais du péché. En dénonçant lante expérience japonaise d'indus- structurée s'est fait sentir. Dans les les péchés comme source d'alié- trialisation à outrance, à la manière années 1970 des revendications de nation, l'Église permet un climat de nord-américaine, montre les risques style réformiste ou révolutionnaire liberté. On ne nie pas que les chré- qu'elle comporte sur le plan spiri- avaient trouvé des interprètes chez tiens aient été trop souvent indignes tuel, celui auquel s'attachait préci- des théologiens qui se réclamaient de leur trésor, et le monde catholi- sément le Mahatma. L'Inde im- de l'Évangile pour dénoncer les que peut être décevant; mais mense et pauvre, culturellement injustices sociales dans un conti- l'Église qui passe, à travers les hétérogène, exigeait davantage de nent à majorité catholique. Un docu- coeurs (Ch. Journet), reste maî- temps et Gandhi l'a pris. Sous nos ment officiel romain paru en 1985 tresse de vérité et de liberté. Les yeux, nous avons la preuve que la sous le titre Liberté chrétienne et saints d'hier et d'aujourd'hui ont croissance peut être donnée par libération a fait le point sur la posi- montré quels fruits l'arbre portait : surcroît à un authentique dévelop- tion du magistère à l'égard de la n'est-ce pas chez eux que l'on véri- pement social qui tient compte de théologie de la libération. Presque fie, non pas simplement une option, l'inextricable mélange de bien et de au même moment (novembre 1986), mais un amour préférentiel pour les perversion des traditions culturel- les évêques nord-américains pauvres ? Citons ce passage : les et religieuses. Gandhi voulait publiaient un document sur l'éco- « Dieu n'a pas créé l'homme comme conserver le système des castes ; nomie de la plus grande puissance un "être solitaire", mais il l'a voulu ce faisant il offrait dans l'immédiat de l'âge post-industriel en dénon- comme un "être social". La vie un obstacle à la prolétarisation, à çant les exclusions résultant de la sociale n'est donc pas extérieure l'anomie, c'est-à-dire aussi à une politique néo-libérale. On verra que à l'homme : il ne peut croître et réa- forme d'injustice typique des socié- le document romain a une portée liser sa vocation qu'en relation avec tés en voie d'industrialisation. Le qui dépasse l'Amérique latine et les autres. L'homme appartient à passage critique d'une société poli- même le Nouveau Monde; il diverses communautés : familiale, tique de la dominante « communau- s'adresse à tous, en offrant une professionnelle, politique, et c'est taire » (Gemeinschaft) à la domi- synthèse de l'enseignement social en leur sein qu'il doit exercer sa nante « sociétaire » (Gesellschaft) de l'Église catholique, dont l'impact liberté responsable. Un ordre social donne souvent naissance à des pratique connaît actuellement un juste offre à l'homme une aide irrem- traumatismes sociaux (déracine- incontestable renouveau sous l'im- plaçable pour la réalisation de sa ment) dont les conséquences spi- pulsion de Jean-Paul II. libre personnalité. Au contraire un rituelles sont difficiles à évaluer. ordre social injuste est une menace Gandhi le savait et aujourd'hui l'Inde Pour résumer ce texte dense, et un obstacle qui peuvent compro- lui doit pour une part non négligea- parfois un peu austère, disons que mettre sa dignité ». ble d'être devenue et restée une la libération, qui est le recouvrement démocratie, la plus nombreuse du d'une liberté perdue, passe par une Nous nous trouvons ici, non plus monde. La politique sociale c'est reconnaissance des effets destruc- seulement devant le charisme d'un aussi le respect des libertés. teurs du péché, « source de division homme, Jean-Paul II, qui s'est fait et d'oppression ». A. Comte propo- connaître au monde par des voya- sait de renoncer au pourquoi des ges pastoraux au cours desquels choses, pour se borner à en éluci- il a développé les enseignements der le comment. Un théologien ne sociaux de l'Église, mais avec une peut faire cette économie, qui doctrine précise et une institution- débouche sur le pur empirisme et nalisation très poussée (Église hié- donne naissance à des idéologies rarchique). Alors que Gandhi se pré- coupées de toute dimension trans- sentait en homme seul, le Magis- cendante. Liberté et vérité doivent tère catholique offre une institution- se donner la main et, pour les nalisation au service de son mes- auteurs du document, seule une sage. À l'égard de la politique théologie qui remonte aux causes, sociale, l'influence de l'Église catho- au pourquoi, est en mesure d'as- lique est complexe, car son objec- L'Amérique latine : liberté surer cette harmonie. L'autre terme tif premier n'est pas de combattre et libération chrétiennes de l'alternative conduit à faire de les maux sociaux, mais de libérer Dans un tout autre contexte, l'homme le seul auteur de sa liberté l'homme de l'aliénation du péché, celui de l'Amérique latine, l'influence et à rejeter Dieu. Il faut, nous dit- qui est lui-même la cause profonde
Revue internationale d'action communautaire 17/57 C'est précisément l'Afrique noire communauté des croyants est là, Religions et développement social et l'influence qu'y exerce l'islam que malgré ses divisions internes, pour nous allons évoquer maintenant. On proposer de nouvelles structures y compte 340 millions d'habitants d'accueil, pour recréer une atmos- (1985), dont environ 90 millions de phère de groupe. Aussi on ne s'éton- musulmans selon des estimations nera pas de la forte poussée que dignes de foi, parmi lesquels se connaît l'islam dans les villes. Le trouvent environ 40 millions de Nigé- milieu urbain est un univers d'in- riens (43 % de la population totale sécurité, de compétition et souvent du Nigeria). Dix autres millions sont de désespoir. La communauté Éthiopiens. L'Afrique occidentale et musulmane, par contraste, recrée orientale noire se partagent à peu une ambiance familiale, clanique, près également 40 autres millions villageoise » (Ch. Coulon, dans d'Africains musulmans. Il s'agit d'es- Balta, 1986 : 233). On notera cepen- 130 directe ou indirecte des souffran- timations qui donnent un ordre de dant que les solidarités tribales ont ces individuelles et collectives. On grandeur des populations concer- aussi, dans les villes, ce caractère ne peut donc juger de l'influence nées, mais la situation est en pleine communautaire et que, par ailleurs, de l'Église en ne retenant que les évolution et il semble bien que l'is- les paroisses chrétiennes offrent critères socio-économiques. Il n'est lam connaisse une expansion également un cadre d'accueil. Ce pas possible non plus d'en faire abs- rapide, comme d'ailleurs le catho- qu'il y a de particulier à l'islam, c'est traction puisqu'il faut un minimum licisme, qui compte aujourd'hui 70 son inculturation plus poussée en de bien-être matériel pour pratiquer millions de baptisés (2 millions au terre africaine, qui n'exclut pas des la vertu (saint Thomas). début du siècle). solidarités plus larges manifestées On peut dire qu'aujourd'hui, en La simplicité de l'islam (cinq à l'occasion d'un pèlerinage à la Amérique latine, où l'Eglise catho- piliers), le fait que la polygamie y Mecque, non plus que des soutiens lique joue un rôle décisif, la réso- soit reconnue et enfin son exten- d'ordre économique de la part des lution de la question sociale passe sion dans les pays du Tiers monde États arabes (construction de mos- pour une part à travers l'action des ne sont pas les seuls facteurs de quées, par exemple). paroisses, des communautés de son succès. Il faut, en effet, souli- Les difficultés et même les dra- base ; et au plan régional ou natio- gner la dimension communautaire mes que connaissent nombre nal, l'attitude de la hiérarchie épis- de l'islam, qui répond, surtout dans d'États d'Afrique noire ne provien- copale est un facteur essentiel. les villes, à un besoin très vivement nent pas d'une cause unique, et les Même dans un pays officiellement ressenti : « La percée islamique en récentes tragédies d'ordre écono- laïque comme le Mexique, où Afrique noire, a-t-on écrit, tient beau- mique et social qui frappent les pays l'Église a un statut quasi marginal, coup aux structures de vie collec- du Sahel, Ethiopie, Mozambique ou son influence effective auprès du tive et de sécurité qu'offre cette reli- Angola, touchent des pays à majo- grand nombre est considérable. gion. L'islam n'est pas une affaire rité tant musulmane que chrétienne. D'autre pays auraient pu être privée ou intérieure, elle est avant Dans trois de ces pays, l'adoption mentionnés, comme l'Espagne, la tout une façon de vivre ; elle imprè- d'un système dictatorial d'inspira- Pologne ou les Philippines, pour gne les pratiques sociales quotidien- tion communiste a entraîné des per- illustrer d'autres types d'influence nes. Les musulmans de Côte- sécutions religieuses aussi bien à exercés par l'Église catholique sur d'Ivoire, du Sénégal ou de Tanza- rencontre des chrétiens qu'à l'égard le plan social et indirectement sur nie ne sont pas tous des croyants des musulmans. Il n'en reste pas les politiques sociales ; mais puis- parfaits : leur connaissance du moins qu'une des raisons majeu- que la majorité des catholiques Coran est souvent notoirement res de la fragilité des structures seront latino-américains à la fin du insuffisante et ils ne respectent pas sociales des pays d'Afrique noire siècle, il convenait d'insister sur le toujours les interdits. Toutefois, ils est le fractionnement ethnique, qui cas de ce continent. participent intensément à un mode paralyse souvent la mobilisation des L'islam en Afrique noire de vie islamique : leur vie de tous forces au niveau des nations. Nous Le troisième exemple concerne les jours est marquée par une socia- avons souligné, il y a un instant, le l'islam, qui touche plus de 800 mil- bilité musulmane, une façon d'être caractère positif des solidarités tri- lions de personnes réparties du liés les uns aux autres, de s'entrai- bales quand il s'agit de faire face Maghreb à l'Indonésie en passant der. Au fur et à mesure que les à la prolétarisation urbaine, et il est par le Moyen-Orient et l'Iran, sans anciennes formes de vie collective vrai que, dans l'immédiat, ce type oublier l'Afrique noire musulmane. se modifient ou se détériorent, la
de lien communautaire pallie le l'Afrique comme d'une « terre Sur environ 4 800 000 êtres déracinement provoqué par l'émi- d'Évangile » et on peut compren- humains dont 32 % se réclament gration rurale vers la ville ; mais, à dre cette expression comme une du christianisme et 17 % de l'islam, plus long terme, les effets négatifs reconnaissance de la disponibilité les croyants paraissent largement prennent des proportions redouta- africaine, notamment dans les majoritaires, mais la réalité est vrai- bles, notamment au plan politique. régions traditionnelles de l'ani- semblablement assez différente. Si C'est ici que l'influence d'une reli- misme. Depuis la rencontre d'As- l'on prend le cas du catholicisme, gion comme l'islam peut avoir un sise (1986), il est possible de voir dont les statistiques sont plus pré- effet unificateur à condition de ne l'Afrique comme une terre de ren- cises, le fait d'être baptisé suffit pour pas déboucher sur un autre type contre des religions, non pas au figurer comme catholique, mais la de totalitarisme lié à la religion. L'ab- plan des formulations théologiques, proportion de pratiquants réguliers sence de distinction entre le spiri- ni même des philosophies, mais au (messe hebdomadaire) varie de tuel et le temporel fait de l'islam une plan des actions caritatives au ser- 14 % dans un pays comme la « théocratie laïque et égalitaire », vice des plus démunis. Cela n'ex- France à 50 °/o aux Etats-Unis, pour pour reprendre l'expression de Mas- clut pas une réflexion plus fonda- prendre des exemples de pays occi- signon, qui pensait surtout au mentale sur les raisons et les sour- dentaux à majorité soit catholique monde arabe. En pays chrétien, la ces de la foi, mais replace cette (85 % des Français se déclarent présence des Églises et, dans le démarche dans un climat de coo- catholiques), soit protestante (les cas du catholicisme, l'existence d'un pération pratique, capable de sus- catholiques constituent 23 % de la centre à Rome, constituent d'effi- citer le respect voire l'amitié avec population totale aux USA). Dans caces contre-pouvoirs à l'omnipo- celui qui croit autrement. La une ville comme Genève, la prati- tence des États; par ailleurs le détresse que connaissent tant de que religieuse est de 11,5 % (messe caractère international des Églises pays d'Afrique facilite une pareille hebdomadaire) pour les catholiques est aussi un facteur de rassemble- rencontre, qui s'avère beaucoup plus et de 4,8 % pour les protestants. ment interethnique dans chacun des difficile dans les pays riches. Près de 60 % de la population totale pays considérés. (59,3) a abandonné toute pratique. La rencontre des religions En revanche, dans les pays com- Dans ses drames actuels l'Afri- Les pages précédentes condui- que noire est probablement en train munistes, les pratiquants sont poten- sent à poser plus largement la ques- tiellement plus nombreux que ne de rendre un grand service à la tion de la coopération des religions communauté humaine en montrant le laissent croire les statistiques ; dans la lutte contre des fléaux il en va de même dans les pays où que les religions peuvent se ren- comme la faim, les épidémies et contrer pour faire face, chacune à le manque de prêtres ne permet pas surtout la guerre, qui ravagent ou d'assurer des offices (Afrique, Amé- sa manière, à des tragédies qui menacent tous les pays, surtout les menacent l'existence même des rique latine)2. plus pauvres. Voici quelques chif- Africains : la guerre, les épidémies, fres relatifs aux appartenances reli- Le critère de la pratique régu- la famine. L'échec patent des régi- gieuses dans le monde en 1986 : lière n'est pas suffisant pour éva- mes communistes en Afrique tient probablement pour une bonne part Chrétiens 1 500 000, dont 886 000 catholiques, à leur méconnaissance hostile de 450 000 protestants, 171 000 orthodoxes la dimension religieuse, si vive en Musulmans 837 000, dont 110 000 chiites Afrique. Hindous 661 000 On ne peut pas non plus sous- estimer le danger d'un affrontement Confucianistes 310 000 entre chrétiens et musulmans en Bouddhistes 300 000 Afrique, notamment avec la mon- Shintoïstes 85 000 tée du fondamentalisme, et des exemples récents montrent ce qu'il Taoïstes 53 000 pourrait advenir de nations encore Juifs 18 000 fragiles. L'Afrique peut apporter aux Autres religions 439 000 religions une occasion de rencon- Agnostiques 337 000 tre, mais elle fait aussi écho à des antagonismes venus de l'extérieur Athées 213 000 qui pourraient aggraver encore une Source : Documentation catholique, 21 décembre 1986, p. 1172, reproduisant un texte situation si sérieuse à maints de Fides, 27 septembre-1 er octobre 1986. Il s'agit d'une compilation de différentes esti- égards. Le pape Paul VI parlait de mations qui n'ont qu'un caractère approximatif.
Revue internationale d'action communautaire 17/57 vement pourrait être non pas dans sécrète la société industrielle. Loin Religions et développement social le sens d'une réduction, mais plu- de libérer les esprits, la sécularisa- tôt dans une redécouverte des ins- tion débouche sur des impasses pirations les plus profondes de cha- culturelles et spirituelles dont les que tradition religieuse. Il est signi- pays en voie de développement sont ficatif de constater que dans les priè- remarquablement conscients, ce qui res pour la paix exprimées à Assise, explique des résistances qui décon- en octobre 1986, toutes les inter- certent les exportateurs d'une cer- ventions, sauf dans le cas des Boud- taine modernité sans âme. Les reli- dhistes, ont fait référence à un Dieu gions elles-mêmes connaissent une suprême qui fonde, en dernière purification qui les oblige à faire la analyse, les droits de l'homme. part de l'essentiel et celle de l'ac- Même dans le cas de la prière boud- cessoire. Une intériorisation des dhiste, l'intercession des Bodhi- convictions religieuses aux dépens luer l'influence des croyances reli- sattva (êtres promis à l'éveil, à la des appartenances purement socio- gieuses dans la vie des sociétés sainteté), et de Bouddha comme logiques (mais dans le respect des humaines, mais il permet de corri- manifestation de l'absolu (Adibud- indispensables structures sociales ger dans un sens plus réaliste les dha) : « l'état de Bouddha », rejoint qui font partie intégrante de la vie seules indications statistiques d'ap- à sa manière les autres expressions religieuse vécue) s'impose avec une partenance à une religion. théocentriques. force croissante dans des contex- Pour l'islam, la pratique des priè- N'en concluons pas trop vite que tes sociaux dont les médias reflè- res, de l'aumône et du ramadan et toutes les religions vont converger tent les traits chaotiques et où coha- le pèlerinage à la Mecque sont des autour d'une croyance à un même bitent la tragédie, la futilité et par- réalités massives dans les pays où Dieu, parce que parallèlement à un fois le sublime. la religion musulmane est majori- incontestable mouvement centri- taire et aussi dans le cadre de com- pète, on observe aussi des forces Conclusion munautés regroupant des migrants. centrifuges puissantes, tendant à Ce qu'un homme politique Individuellement la pratique reli- faire des croyances religieuses des suisse (K. Furgler) appelle « l'éro- gieuse est plus difficile que dans idéologies conflictuelles redouta- sion intellectuelle, culturelle, spiri- le cas du christianisme par exem- bles, non seulement entre religions tuelle des démocraties européen- ple. différentes, mais aussi à l'intérieur nes » est une réalité d'envergure pla- La plupart des autres religions des communautés religieuses elles- nétaire, et si l'on insiste sur le cas ne donnent pas lieu à des statisti- mêmes. Maritain parlait du double de l'Europe c'est en raison de la ques de la pratique, exception faite progrès dans le bien et dans le mal richesse de son apport au monde du judaïsme. qui caractérise l'évolution historique, moderne, qui rend le tarissement Les nouveaux moyens de com- et ce mouvement est illustré, sous de son dynamisme préoccupant. munications et les médias introdui- nos yeux, par des conflits placés Pour une part, il est lié à la faillite sent des facteurs de connaissance sous l'égide de traditions religieu- des idées forces proposant un sens et de rencontre sans précédent dont ses et, à l'inverse, par des initiati- à l'activité quotidienne : progrès, phi- commence à bénéficier le dialogue ves de paix et de dialogue prises lanthropie, dans le style du 19e siè- des religions. Une sorte d'opinion au nom des religions elles-mêmes. cle, qui ouvrit un âge historique publique mondiale s'instaure autour Le marxisme manifeste, face au dominé par le positivisme et l'idéal de la reconnaissance des droits de phénomène religieux une hostilité socialiste. Dans les deux cas, la l'homme, qui concerne directement radicale qui mérite de retenir l'at- dimension religieuse a été écartée les religions. Les particularismes tention, en raison de l'influence qu'il comme archaïque ou nuisible, et deviennent plus vulnérables sur une exerce au niveau mondial. Le com- une civilisation foncièrement sécu- scène aussi élargie et le critère de bat qu'il mène au nom de l'athéisme larisée s'est bâtie sur ces fonde- l'universalité s'impose de manière scientifique est une sorte de révé- ments dont nous mesurons plus évidente. Les traits communs lateur des enjeux de demain. Con- aujourd'hui les limites, notamment et fondamentaux des grandes reli- sidérée comme « l'opium du peu- en Europe occidentale, où l'on a vu gions peuvent ainsi se dégager. ple », la religion pourrait bien se la réalisation de ce progrès et de Mais il ne saurait être question d'un révéler comme le seul anti-opium cette philanthropie. Il y a là une syncrétisme qui ruinerait ce que des peuples menacés, notamment expérience très significative. Le chacune d'entre elles a de plus pro- dans leur population plus jeune, par désenchantement du monde dont fond et de plus original. Le mou- les intoxications multiples que parle M. Weber est bien autre chose
qu'une perte de la dimension affec- tive ou poétique de la vie, c'est une disparition des raisons de vivre avec ses conséquences mortelles et même meurtrières (violence). Ce sont là des choses connues ; la nouveauté est peut-être de pren- dre conscience de l'apport des civilisations des pays pauvres (Tévoedjré, 1978), s'inspirant d'idéaux religieux, dans la revita- lisation des pays industrialisés invi- tés à retrouver leurs racines spiri- tuelles et religieuses. Fayard, 1984, qui est une remarquable enquête concernant l'islam, l'hindouisme Patrick de Laubier NOTES et le bouddhisme, notamment en Inde et Professeur 1 Voici quelques indications bibliographi- en Indonésie. Université de Genève ques. Sur les religions en général, de Mir- Pour l'islam, voir L Islam et l'État, sous cea Eliade, on pourra lire Histoire des la direction d'Olivier Carré, PUF, 1982, la croyances et des idées religieuses, Paris, revue Hérodote, n° 35 (1984) et n° 36 Payot, 1978-1983, 3 vol. D'autres ouvra- (1985), et le dossier L'Islam dans le ges du même auteur mériteraient d'être monde, établi et présenté par Paul Balta indiqués, mais on trouvera dans ces trois (La Découverte/Le Monde, 1986). H. Bou- volumes une imposante histoire des idées larès, ancien ministre tunisien de la Cul- forces inspirant les grandes religions de ture, est l'auteur d'un ouvrage très clair l'humanité. On pourra le compléter par et bien informé, L'Islam, la peur et l'es- un ouvrage plus sommaire, mais pré- pérance, Paris, Lattes, 1983. Pour l'islam cieux : Guide illustré des religions dans en Afrique, le livre de Vincent Monteil, L'Is- le monde, par un groupe d'auteurs anglo- lam noir (1964) Paris, Seuil, 3 e édition, saxons (1982 ; trad, française, Centurion, 1986, est une source importante d'infor- 1985). Le Secrétariat pour les non- mations ; l'auteur, ancien officier français, chrétiens (Rome) a publié un ouvrage inti- s'est converti à l'islam en 1977. tulé Religions, thèmes fondamentaux pour L'Amérique latine et la théologie de une connaissance dialogique (1970), qui la libération ont fait l'objet de nombreu- apporte une contribution intéressante d'un ses études en espagnol, en anglais et en point de vue catholique. Voir enfin le Dic- français. Outre les documents romains tionnaire des religions des PUF, Paris, comme Liberté chrétienne et libération 1984, et les textes d'Assise, Paris, Cen- (Cerf, 1986, Instructions de 1984 et 1985), turion, 1986. En anglais on peut consul- on pourra se reporter au recueil de docu- ter : Trevor Ling, A History of Religion East ments : Théologies de la libération, and West (MacMillan, 1986), et en alle- Cerf/Le Centurion, 1985. Voir aussi G. mand : Jacques Waardenburg, Religio- Gutierez, Théologie de la libération, nen und Religion (Berlin, W. de Gruyter, Bruxelles, 1974, et G. Cottier, Le Conflit 1986). Sur Max Weber, voir Reinhart Ben- des espérances, Desclée de Brouwer, dix, Max Weber, An Intellectual Portrait, 1977. Voir enfin le n° 196 de Concilium (Le Doubleday, 1960. Sur les rapports entre peuple de Dieu au milieu des pauvres, religions et travail, voir les actes de deux sous la direction de L. Boff et V. Elizondo), colloques, Travail, cultures et religions Paris, 1984. (1982 et 1986), organisés par l'Institut inter- 2 Sources : France : enquête du Monde, national d'études sociales, BIT, Genève. 1 e r octobre 1986. États-Unis : rapport de L'ouvrage de Louis Gardet, Ouvrir les Mgr Malone au Synode des évêques à frontières de l'esprit, Paris, Cerf, 1982, est Rome (1985). Genève : enquête de la Tri- une excellente synthèse sur la culture bune de Genève, 23 mai 1986. indienne, l'humanisme musulman, l'hu- manisme chrétien et l'homme marxiste. Du même auteur, on pourra lire L'Islam. Religion et communauté, Desclée de Brouwer, 1967. Sur l'Inde, on trouvera une Bibliographie introduction à la pensée de Gandhi dans les textes choisis présentés sous le titre : BALTA, P. 1986. L'Islam dans le monde. La Gandhi. Tous les hommes sont frères découverte/Le monde. (1958), Gallimard, « Idées », 1980; voir TÉVOEDJRÉ, Albert. 1978. La Pauvreté aussi A. de Riencourt, L'Âme de l'Inde, richesse des peuples. Paris, Éd. Julliard/Âge d'homme, 1985 ; et plus géné- ouvrières. ralement, pour la pratique dans les gran- des religions d'Asie, voir Jean-Marie Bosc, L'Asie des grandes religions, Paris,
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