Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Les savoirs et leur transmission - MENSUEL DE L'ECOLE ...

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Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Les savoirs et leur transmission - MENSUEL DE L'ECOLE ...
Résonances
M E N S U E L D E L’ E C O L E V A L A I S A N N E

                                             Les savoirs
                                               et leur
                                            transmission

                                                N° 6 • Mars 2015
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Les savoirs et leur transmission - MENSUEL DE L'ECOLE ...
Sion
Aigle                                                                                     Courses d’école
                                                                                         à partir de 4 ans

Signal
                                                                                       Réservation online
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Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Les savoirs et leur transmission - MENSUEL DE L'ECOLE ...
ÉDITO

Des savoirs à débattre
Au départ de ce dossier, avec le Conseil de rédaction, nous voulions lancer la réflexion        «L'ignorance
sur les savoirs scolaires fondamentaux pour aujourd'hui, sur le moment propice pour les         totale n'est pas
introduire, tout en n’occultant pas la question sur ce qu’il en restera demain. Puis nous       curieuse, alors
y avons ajouté nos interrogations sur les différentes manières de transmettre ces savoirs.      que savoir un peu
                                                                                                ouvre l’appétit
Lors de la Balade des Savoirs, hormis la problématique du découpage horaire, il semblait        d’en savoir plus.»
évident qu’il n’y avait pas grand-chose à ajouter ou à retrancher au Plan d’études              Fernando Savater
romand, même en y incluant les spécificités cantonales. D’un côté, étant donné que
l’introduction du PER est récente, ce refus de bousculer la grille ou le programme est
logique, car il faut digérer le changement. D’un autre côté, cet évitement réflexif quant
aux améliorations possibles et adaptations à notre époque peut susciter l’étonnement.
J’ai discuté avec plusieurs enseignants pour comprendre le pourquoi du comment de
cette vision sous forme de statu quo. Certains m’ont avoué qu’ils auraient bien certaines
propositions à faire, mais seulement sous couvert d’anonymat. Parmi les remarques
en «off», quelques enseignants trouvent le découpage disciplinaire toujours trop
rigide, avec trop peu de passerelles interdisciplinaires. Certains se demandent si l’ordre
d’enseignement des langues est si évident, en se fondant sur le choix effectué par certains
cantons alémaniques. D'autres estiment que certains enseignements, dont celui de
l'histoire, doivent être réorientés. Les questionnements de ces enseignants invisibles
sont-ils pertinents? Difficile de le savoir sans argumenter, donc sans débattre.

Ce thème a aussi été choisi pour évoquer ce qu’il reste des apprentissages. La question
de la mémorisation apparaît en filigrane et à ce propos il convient de lire, hors dossier,
la brève interview de Mélissa Veith, dans le cadre de la rubrique p. 45. Pour cette jeune
enseignante-remplaçante, la mémorisation, pièce maîtresse de l’apprendre à apprendre,
mériterait davantage d’attention. N’y a-t-il point une part de vérité dans ce constat?

Et pour revenir à la Balade des Savoirs, lors du débat avec les élèves, il y a eu quelques
remarques intéressantes, notamment en ce qui concerne le «saucissonnage» des cours et le
fait de ne pas terminer tranquillement une activité avant de passer à une autre. C’est drôle
quand ce sont les enfants qui reprochent le zapping aux adultes, non?

Concernant les façons de transmettre le savoir, l’immersion en classe tend à démontrer la
variété des styles d’enseignement liée à la diversité des personnalités. Je vois que certains
froncent les sourcils, estimant que trop de liberté pédagogique pourrait perturber les élèves
qui ont besoin de cohérence, pour se structurer. Et j’en aperçois aussi qui disent que cette
variété est bien jolie, sachant que les formations supérieures privilégient souvent l’ex
cathedra. Qui a raison, qui a tort?

                                                                                                  Nadia
Pour vous convaincre de l’importance de cette remise en question, je reprends, en le                         R
résumant, un descripteur de la pensée générale du PER, applicable aussi aux adultes:
                                                                                                              ev

  prendre de la distance, se décentrer des faits;
                                                                                                                 az

  renoncer aux idées préconçues;
  comparer son opinion à celle des autres;
  faire une place au doute et à l’ambiguïté;
  comparer les chemins et les stratégies utilisées par d’autres.

Qu’en pensez-vous?

Résonances • Mars 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                    1
Sommaire
ÉDITO                                                               DOSSIER
Des savoirs à débattre           1   N. Revaz                       Les savoirs et leur transmission		      4 – 15

RUBRIQUES
Journalistes en herbe           16   L’aventure Lire Délire – S. Courtine et J. Ebiner
Sciences                        17   Sciences: leçon de choses ou culture scientifique? – A. Bardou
MITIC                           19   Rencontre avec les responsables d’un des pôles du CC ICT-VS – N. Revaz
Métiers de l’école              22   Carole Sierro, professeure et présidente de la SSPES – N. Revaz
Carte blanche                   24   Tournois de football scolaire – M. Moser
Formation continue              26   Séjours linguistiques pour enseignants – N. Revaz
Education musicale              28   Actualités musicales variées – B. Oberholzer & J.-M. Delasoie
Sciences humaines et sociales   29   L’histoire du Rhône en classe – M. Borgeat
Ecole-Economie                  32   L’avis de Tamara Sermier, étudiante, sur iconomix – N. Revaz
Ressources                      33   Mallettes interculturelles – F. Lathion & R. Anzévui
AC&M                            34   La perception en AC&M – S. Coppey Grange
Version courte                  35   Au fil de l’actualité – Résonances
Economie familiale              36   «Top chef au CO, c’est top!»... en route vers la grande finale – Commission EF de l’AVECO
Réseau de la formation          37   Romaine Schnyder, directrice du CDTEA – N. Revaz
Mémento pédagogique             39   A vos agendas – Résonances
Education physique              40   Plus vite, plus haut, plus fort… ou comment revisiter l’olympisme – Le team «animation EP»
Autour de la lecture            42   Des Sacs d’histoire à Monthey – N. Revaz
Doc. pédagogique                43   DVD-R documentaires: les suggestions du mois – MV Valais - St-Maurice / M.-F. Moulin
Livres                          44   La sélection du mois – Résonances
Du côté de la HEP-VS            45   Mémoire sur la mémorisation – N. Revaz
CPVAL                           46   L’impact de la décision de la BNS sur notre Caisse – P. Vernier
Echo de la rédactrice           47   Zone de calme – N. Revaz
Fil rouge de l’orientation      48   Julia Vecchio, apprentie libraire – N. Revaz
Revue de presse                 49   D’un numéro à l’autre – Résonances

INFOS
Infos SE/SCJ                    50   Concept cantonal de pédagogie spécialisée – N. Revaz
Les dossiers                    52   Les dossiers de Résonances

                                                                                                Résonances • Mars 2015
2                                                                                           Mensuel de l’Ecole valaisanne
Les savoirs et leur transmission

     Quels savoirs enseigner?
     Quand les introduire?
                                    4   Des savoirs fondamentaux
                                        qui manquent à l’école     12 L’efficacité par
                                                                      l’Enseignement
                                        A. Giordan                      Explicite
     Comment les transmettre?                                           F. & B. Appy
     Qu’est-ce qu’il en restera?
                                    6   Cours d’histoire
     Autant de questions pour           en classe
                                        avec Jérôme Bel			         13 Cours  de maths
                                                                      et d’allemand
     lesquelles vous trouverez          N. Revaz                        en classe avec
     des débuts de réponse dans                                         Stevan Miljevic
     ce dossier. Une thématique     8   La classe inversée peut-
                                        elle changer l’école?
                                                                        N. Revaz
     qui aura des prolongements
     en écho dans le prochain
                                        D. Peraya
                                                                   15 Lade bibliographie
                                                                           la Documentation
     numéro, sous l’angle          10   Cours de vocabulaire
                                        dans la classe de
                                                                        pédagogique
                                                                        E. Nicollerat
     du regard de la société            Michel Rothen
     sur l’école.                       N. Revaz

Résonances • Mars 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                             3
Des savoirs fondamentaux…
qui manquent à l’école…
A. Giordan

MOTS-CLÉS : PROGRAMME • LECTURE • MATHS •
PHILOSOPHIE, ÉCONOMIE • CURIOSITÉ • ANALYSE
SYSTÉMIQUE…

Aborder la question des «savoirs fondamentaux…», c’est
interpeller le programme, c’est poser la question de la
place de l’école dans l’éducation du jeune. Leur fournit-
elle les repères pour leur époque?… Or aborder la ques-
tion du programme est une question très provocatrice
qui génère immédiatement nombre de conflits liés aux
habitudes sociales ou aux corporatismes des disciplines.
Pourtant, dans un monde complexe en pleine évolution,
l’enjeu est capital. Nombre de savoirs importants pour
comprendre le monde, se comprendre ou développer
une citoyenneté ne sont pas actuellement à l’école.           Avec les bases de données, les réseaux et les moteurs
Les savoirs proposés, y compris dans la dernière réforme,     de recherche, il s’agit également d’apprendre à lire
restent le reflet des préoccupations de la «Belle époque»,    en lecture rapide et en hypertexte; c’est apprendre à
celles qui ont prévalu au moment où l’école que nous          lire… les images, fixes et animées. Enfin, apprendre à
connaissons s’est mise en place. Seules les disciplines qui   lire, n’est-ce pas en permanence interroger les sources,
avaient cours à la fin du XIXe siècle continuent à être au    leur validité et la pertinence des informations?
programme! On les a seulement un peu «modernisées»,           Apprendre à «compter» se doit également d’avoir toute
toutefois, les adhérences restent nombreuses.                 sa place, mais n’accorde-t-on pas trop de vertus à cette
                                                              discipline? Un futur programme demanderait à (re)
Loin de nous l’idée d’évacuer l’«apprendre à lire» des sa-    penser la place et le contenu des maths. Cet enseigne-
voirs fondamentaux. Savoir lire favorise l’autonomie de       ment est essentiellement algorithmique; il ne développe
l’enfant et est indispensable aux autres apprentissages.      pas la créativité et l’esprit critique. Il enferme l’élève
Cet objectif est plus facilement acquis quand l’enfant        dans des modes de résolution standardisés. En outre,
éprouve un intérêt pour le contenu. Par ailleurs, pour-       il s’agit de sortir de la seule logique classique – binaire
quoi attendre toujours 6 ou 7 ans pour envisager cet          et linéaire – qui ne fournit pas les outils pour aborder
apprentissage, alors qu’à 4 ans les enfants ont un fort       la complexité ou gérer l’incertitude. La pensée mathé-
désir et les structures mentales pour apprendre seul à        matique a mieux à proposer…
lire, à travers des jeux 1, sans… méthode comme pour
apprendre à marcher ou à parler 2?
                                                              Introduire de nouveaux regards
Débarrassée du pensum de l’initiation à la lecture,
l’école pourrait alors s’interroger sur ce que veut dire      Introduire de nouveaux savoirs fondamentaux devient
maintenant «apprendre à lire»… Dans une société en            indispensable, et notamment des notions de base de
mutation, savoir lire ce n’est plus seulement savoir dé-      droit, d’éthique, de philosophie, d’économie et de fi-
chiffrer un texte, c’est en premier comprendre et par-        nance, d’environnement et de développement durable,
tager un message 3. C’est encore être capable de traiter      de santé, d’urbanisme et même de… consommation,
les multiples informations écrites dont ont besoin les        sans quoi on est tout autant illettré aujourd’hui. Tou-
enfants pour mener à bien leurs différents projets. Au        tefois, n’en restons pas aux seuls savoirs disciplinaires,
quotidien, les élèves sont entourés de données multiples      des savoirs transversaux sont à promouvoir. L’énergie par
à décoder; en permanence, il leur est utile de rechercher     exemple n’est pas exclusivement une question scienti-
et surtout, faute de se perdre, de trier les informations.    fique, le concept se décode à l’interaction de l’histoire,

                                                                                                Résonances • Mars 2015
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DOSSIER

de la biologie, de la physique, de l’économie,… De                concernent la «personne» qu’est chaque élève… Tra-
même sont à promouvoir des «concepts organisateurs».              ditionnellement, ils étaient l’apanage de la famille. Ac-
Avec les multiples médias, dont Internet, nos jeunes              tuellement cette dernière n’est plus adaptée ou souvent
sont perdus dans une foule de savoirs parcellisés. Des            a démissionné. Apprendre à se connaître, apprendre
savoirs-phare peuvent leur servir de balises pour fédé-           à devenir un citoyen responsable… devraient avoir
rer nombre d’informations (exemples: organisation,                une place de choix dans les fondamentaux de l’école.
mémoire, énergie, régulation, etc.).                              D’autant plus que ces savoirs sont de puissants moteurs
                                                                  de l’apprendre et du vivre ensemble… Dans ce cadre,
L’acquisition d’attitudes liées à diverses investigations         l’important serait d’amplifier le désir d’apprendre que
devient également incontournable. N’est-il pas impor-             l’on voit actuellement s’étioler au cours de la scolarité.
tant d’introduire chez l’apprenant une disponibilité,             En complément, l’objectif serait également de favori-
une ouverture sur les savoirs, une curiosité d’aller vers ce      ser la confiance et l’estime de soi, le regard positif sur
qui n’est pas évident ou familier? Nombre de démarches            soi, sur l’autre et le désir d’entreprendre avec l’autre 4…
deviennent également inéluctables: maîtriser l’informa-           Un tel projet éducatif, même s’il peut surprendre, ne
tion, savoir observer, expérimenter, enquêter,…                   serait pas très difficile à mettre en place à l’école; il
                                                                  suffirait d’introduire – ce qui se fait parfois - des «mo-
Il en est deux en particulier qui deviennent désormais            ments» intégrés de philosophie, d’anthropologie, de
inéluctables. En premier, l’analyse systémique, elle vise à       psychologie, de sociologie dès l’école enfantine d’une
clarifier et à formuler une réalité (événement, situation,        part 5 et d’autre part des moments d’investigation sur les
etc.) en tant que système. Complémentaire de l’analyse            «questions vives» de notre époque. Bien sûr, une telle
classique qui réduit un ensemble à la compréhension               refonte des programmes va de pair avec d’autres ques-
de ses composants, l’analyse systémique s’avère parti-            tions tout autant essentielles, notamment l’importance
culièrement pertinente pour préciser les liens entre les          décisive d’une véritable formation des enseignants…
éléments, les niveaux d’organisation, les échanges et             mais également des autres personnels de l’éducation,
les régulations entre les sous-systèmes (flux, turn-over,         comme les directeurs ou les inspecteurs.
feed-backs, etc.).
La pragmatique ensuite, car l’école ne peut plus limi-
ter l’apprentissage à savoir résoudre les problèmes,            Notes
actuellement il importe de savoir également poser et            1
                                                                  Notamment des jeux numériques, mais pas uniquement…
formuler les problèmes, ce qui est plus délicat. De plus,       2
                                                                  Généralement les méthodes ne «marchent» que pour les
la pragmatique conduit à intégrer l’action, notamment
                                                                  personnes qui les ont écrites. Or chaque élève est différent!
par la recherche de solutions alternatives
et l’implantation de changements. Sur
                                                                              3
                                                                                  C’est en lisant ou en écrivant dans des si-
le plan pédagogique, elle implique une        «  Un   tel   projet                tuations qui font sens qu’on apprend, et
                                                                                  non pas par des exercices artificiels qui
série de phases mutuellement régulées.        éducatif, même                         créent de l’ennui et du découragement.

Pour que ces savoirs deviennent opéra-
                                                 s’il peut surprendre,           4
                                                                                     L’école fonctionne sur le mode de la
toires, encore faudrait-il introduire en         ne serait pas très                  consommation. Les élèves attendent que
                                                                                     le «prof.» leur présente les savoirs, alors
parallèle des outils pour apprendre à ap-        difficile à mettre                  que ce devrait être à eux d’aller les cher-
prendre aux élèves, et cela par deux axes.
L’un très concret pour les faire entrer dans
                                                 en place à l’école. »               cher…

le métier d’élève: comment mémoriser?
                                                                                   5
                                                                                       La culture scolaire ne permet toujours pas
                                                                    aux élèves d’investiguer sur «ce que nous sommes». Elle
comment s’organiser? comment prendre des notes?
                                                                    suppose qu’en enseignant l’histoire, les sciences, la litté-
comment argumenter? comment réviser? comment en-
                                                                    rature, etc., l’élève reçoit les outils ad hoc. On oublie que
treprendre? etc. L’autre par une approche plus réflexive:
                                                                    chaque discipline reste dans son territoire et étudie les
que veut dire apprendre? que permet l’école? L’essen-               questions qui intéressent sa propre communauté; les liens
tiel des élèves ne voient souvent dans l’apprendre que              à tisser qui permettraient de comprendre et de se com-
les aspects désagréables et fastidieux du «par cœur».               prendre sont ainsi perdus.
Ils n’envisagent pas combien ce processus est forma-
teur pour eux.

                                                                      L'AUTEUR
Et les savoirs de la personne?…
                                                                      André Giordan, LDES
Il est encore d’autres savoirs fondamentaux, mais oh                  université de Genève
combien épineux à «mettre au programme» dans                          www.andregiordan.com
la culture actuelle de la société; ce sont ceux qui

Résonances • Mars 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                                 5
Cours d’histoire en classe
avec Jérôme Bel
Nadia Revaz

MOTS-CLÉS : SHS • 1933 - 1945 • DOCUMENTS •
DÉCOUVERTE

    Reportage dans les classes
    Pour les trois «reportages en immersion» (cf. pp. 6-7,
    pp. 10-11, pp. 13-14), nous avons décidé de nous glis-
    ser discrètement au fond de la classe de trois ensei-
    gnants interviewés récemment. Ainsi vous pouvez
    découvrir les articles, tout en lisant ou relisant leurs
    propos, histoire de mettre le dire et le faire en écho
    (PDF sur www.resonances-vs.ch). Dans le cadre de ce
    dossier, visant à aborder les savoirs et la manière de
    les transmettre, il nous fallait des profils typés, exer-
    çant leur liberté pédagogique, de façon à mieux per-
    cevoir les ressemblances et/ou les dissemblances entre
    les approches présentées. En espérant que ces articles
    vous apporteront des éclairages et des réflexions en
    lien avec votre pratique, nous remercions les trois pre-
    miers enseignants d’avoir accepté ce partage avec les
    lecteurs de Résonances. D’autres épisodes, liés aux
    manières d’enseigner, suivront ces prochains mois
    hors dossier, dans le cadre d’une nouvelle rubrique.

Immersion dans un cours de SHS (sciences humaines et            adressée à un élève qui écrit, toujours sur le ton de l’hu-
sociales) donné en 3CO dans la classe de Jérôme Bel qui         mour. Maintenant le cours commence et l’enseignant
est enseignant au Cycle d’orientation des Collines à Sion       annonce: «Aujourd’hui on va reprendre le thème abordé
et animateur SHS (domaine du Plan d’études romand               mardi. Avant-hier, on avait évoqué la libération du camp
qui englobe l’histoire, la géographie et la citoyenneté)        d’Auschwitz il y a 70 ans et aujourd’hui on va parler de
et maître formateur (MF). La thématique traitée ce jour-        l’évolution de l’antisémitisme nazi de 1933 à 1945, en
là est historique et concerne l’antisémitisme nazi. L’ap-       lien avec ce qu’on avait déjà vu à propos des totalita-
proche est en lien avec la pédagogie de la découverte           rismes. D’abord vous allez travailler pendant dix minutes
et la démarche de l’historien, dans l’esprit des Moyens         tout seul. Vous allez recevoir huit documents que vous
d’enseignement (MER) liés au PER. C'est aux élèves              devrez regarder, observer et analyser. Des questions?»
d’investiguer la matière, à partir de documents variés.

                                                                Lecture de documents
Jérôme Bel démarre le cours, avec un «Bonjour» toni-
truant, enthousiaste et communicatif. Il explique ma            Un élève distribue la photocopie A3 rassemblant di-
présence, en leur disant que je souhaitais «faire un re-        vers documents, textes et illustrations, sélectionnés
portage animalier» et qu’il avait tout de suite pensé à         par Jérôme Bel. Il demande à une élève de redonner la
eux. La classe rit aux éclats. Petite remarque disciplinaire    consigne: «On doit lire les textes.» Et l’enseignant de

                                                                                                  Résonances • Mars 2015
6                                                                                             Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

préciser: «Vous devez aussi noter pour chaque docu-          élèves sollicitent des indications complémentaires. L’en-
ment vos observations.» Dans le silence de la lecture, un    seignant reformule: «Vous devez indiquer les étapes
élève demande ce que signifie «Jude», qui est écrit sur      de la propagande à l’extermination, en passant par la
l’une des illustrations. Un autre, en train de lire un ex-   ségrégation, les autodafés, la Nuit de Cristal et la dé-
trait d’un article paru dans Le Point en novembre 2013 1     portation.» Et là, un élève redemande la définition de
questionne l’enseignant sur la définition du mot «po-        l’antisémitisme. L’enseignant laisse la classe répondre.
grom». Un autre encore ne comprend pas l’expression          Ils termineront le devoir à la maison.
«les téléphones sont en ébullition». L’enseignant passe
dans les rangs, répondant encore à quelques                                Le cours était très rythmé, 10 minutes en-
questions de compréhension à partir des do-
                                                  « Le cours était viron par sous-activité, avec un enseignant
cuments et rappelant l’usage du surligneur                                 particulièrement énergique, limite «show-
pour sélectionner les éléments de l’article.      rythmé, avec             man», mêlant sérieux et humour, rigueur
                                                  un enseignant            et décontraction, de façon à titiller l’intérêt
Les dix minutes sont écoulées. Par groupe,
avec à chaque fois un chef désigné, les
                                                  particulièrement des          élèves pour les SHS, domaine qui aux
                                                                           yeux de certains élèves n’a pas l’importance
élèves doivent compléter un tableau qui           énergique. »             d’autres branches. A une ou deux exceptions
indique seulement les titres des documents                                 près, la classe paraissait motivée par la re-
qu’il faut identifier. Il s’agit de mentionner le type de    cherche d’informations et s’est investie dans les activités.
document (texte, peinture…), d’en déterminer la date         Quant à l’enseignant, au terme du cours, il se dit très
et de préciser s’il s’agit d’un document historique ou       satisfait de la curiosité de ses élèves, de leurs interro-
non. Tous les groupes se mettent au travail, certains        gations à partir des documents, reconnaissant toutefois
avec plus de facilité pour ce type de questionnement         que la mémorisation de repères chronologiques n’est
que d’autres. Dans le léger brouhaha des discussions,        pas leur fort: «Le problème de nos élèves, c’est qu’ils
on peut entendre aussi bien «J’ai trouvé les infos pour      n’ont jamais appris de stratégie pour mémoriser, et ce
la Nuit de Cristal» que «C’est quoi un document his-         constat ne vaut pas seulement en histoire et au CO.»
torique?».                                                   Concernant la rédaction du paragraphe historique, Jé-
                                                             rôme Bel a observé que les élèves ont souvent recouru,
S’ensuit la phase de mise en commun pour s’assurer           non pas aux dates, mais aux connecteurs de progression
de la bonne compréhension des documents. Jérôme              logique («d’abord…, ensuite…, enfin…») pour expli-
Bel interroge les élèves et remplit le tableau sur le TBI.   quer l’évolution des événements historiques, même si
Les réponses sont tantôt précises («il s’agit d’une cari-    toutes les indications figuraient dans le tableau.
cature») suscitant les «Wouah!» du prof, tantôt impré-
cises (énumération de dates un peu au hasard). L’ensei-
gnant donne des explications sur le déroulement des          Note
événements, et les élèves posent des questions sur les       1
                                                                www.lepoint.fr/histoire/evenements/l-horreur-de-la-nuit-
aspects historiques, mais aussi sur la manière d’identifier     de-cristal-09-11-2013-1753972_1616.php
les documents en lien avec l’activité («Comment fait-on
pour savoir si c’est un document historique ou pas?»).
Par contre, lorsqu’il s’agit de répondre, plusieurs, qui
ont noté l’information sur leur feuille, paraissent ne pas        L’animation SHS à disposition
oser, par peur de se tromper. Contrairement à l’identifi-
                                                                  des enseignants
cation des documents, la datation des événements est
très approximative pour certains. Dans la classe, il y a          Pour rappel, dans son rôle d’animateur, Jérôme Bel
plusieurs élèves haut-valaisans et ces derniers semblent          épaule volontiers les enseignants du CO dans la sé-
avoir des repères chronologiques plus précis: non seule-          lection de documents pour leur cours.
ment ils connaissent l’année de l’arrivée d’Adolf Hitler          http://animation.hepvs.ch/sciences-humaines
au pouvoir, mais aussi les grandes lignes du déroule-
ment des événements entre 1933 et 1945.

Rédaction à partir d’un tableau
                                                                   Interview dans Résonances,
Quelques minutes avant le cours suivant, les élèves                octobre 2014
sont invités à commencer individuellement la rédac-
tion d’un petit paragraphe sur l’évolution de l’antisé-            Jérôme Bel, enseignant au CO et animateur
mitisme nazi de 1933 à 1945, à partir des documents                PDF de l’article sur www.resonances-vs.ch
classés chronologiquement dans le tableau. Plusieurs

Résonances • Mars 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                           7
La classe inversée peut-elle
changer l’école?
D. Peraya

MOTS-CLÉS : MODALITÉS D’ORGANISATION •
MAISON • CLASSE

Lors de la première édition des rendez-vous de l’ensei-
gnement à l’Université de Genève (30 avril 2014), à la
question «Que demanderiez-vous à vos enseignants 1
de changer dans leur pratique pédagogique?» des étu-
diants répondaient «Ne plus faire avec nous, ce que
nous pouvons faire seuls.» Autrement dit, ils expri-
maient le souhait de voir les enseignants cesser de trans-
mettre de l’information lors de «cours-conférences». La
multiplication des supports informationnels, les techno-
logies et les nombreuses applications du Web rendent
aujourd’hui facilement accessible l’information scien-
tifique, professionnelle ou encore «grand public». Ce
changement essentiel dans l’accès à l’information a
plusieurs conséquences fondamentales pour l’ensei-
gnement: a) les étudiants, les élèves ont accès à cette
information en dehors de l’école et des prescrip-
tions scolaires; b) l’enseignant n’est donc plus
qu’une source d’information parmi d’autres.
Cependant, que les élèves accèdent à l’infor-
mation ne signifie pas qu’ils soient capables de
trouver, de sélectionner l’information adéquate et de
faire preuve d’esprit critique afin d’en évaluer la qua-        et A. Sams, qui faisaient voir de courtes vidéos à leurs
lité ou la fiabilité. Enfin, si l’information est essentielle   élèves avant les cours pour les motiver, pour leur per-
à la construction des connaissances, elle ne constitue          mettre de préparer les activités qui se déroulaient, dans
pas en soi une connaissance.                                    un second temps, en présence, en classe 3. Ainsi, dans une
                                                                classe inversée, les élèves prennent connaissance de la
Le rôle de l’enseignant pourrait alors évoluer dans             matière et des contenus du cours à domicile à partir de
deux directions innovantes: d’une part, apprendre à ses         ressources diversifiées, classiques autant qu’en ligne, tan-
élèves à maîtriser l’énorme quantité d’informations dis-        dis que le temps passé en classe est consacré à des expli-
ponibles l’«infobésité» et, d’autre part, imaginer puis         cations de compréhension, à des approfondissements, à
scénariser des occasions d’apprendre pour lesquelles            des exercices et à des travaux individuels et/ou collectifs.
l’information cesse d’être un objectif d’enseignement
et devient une ressource au service de l’apprentissage.         Pour Lebrun, le concept de classe inversée s’adosse à
La pratique de la classe inversée (Flipped Classroom),          trois courants actuels: l’approche par compétences, les
apparue en 2007 2, constitue une façon de «faire la             méthodes actives et un «usage à valeur ajoutée» des
classe» qui rencontre cette évolution.                          TIC4. Il analyse différentes modalités d’organisation de
                                                                la classe inversée qui bouleversent l’organisation tradi-
Concrètement, qu’est-ce qu’une classe inversée? La              tionnelle de la classe. Il décrit ce renversement en ces
première définition est celle-ci: Lectures at Home and          termes: «Il s’agira de mieux occuper l’espace et le temps,
HomeWork in Class. Elle a été formulée, un peu comme            d’accompagner une partie de l’apprentissage (mémori-
un slogan, par deux professeurs de chimie, J. Bergmann          sation, compréhension…) hors de la classe et de rendre

                                                                                                  Résonances • Mars 2015
8                                                                                             Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

à cette dernière sa vocation liée à la rencontre, au carac-    aux problèmes pédagogiques: l’histoire des TICE a tou-
tère social de l’apprentissage.» 5 Il s’agit donc de prépa-    jours démenti ce point de vue technocentré. Ensuite, ne
rer le cours à domicile, selon des approches inspirées de      construisons pas le futur sans nous appuyer sur le passé.
celles de la formation à distance, et de faire de la classe,   Pour de nombreux chercheurs et praticiens, en effet,
grâce à l’accompagnement de l’enseignant, un espace            une nouvelle technologie apporte ex nihilo de nouvelles
d’interactions et de débats, un lieu d’application et de       problématiques et ses solutions innovantes. Enfin, ne
contextualisation des apprentissages, enfin un espace          faisons pas croire que l’innovation pédagogique relève
de production (présentation de synthèses, résolution           uniquement de la volonté des enseignants. De nom-
de problèmes, conduite de projet, etc.).                       breux facteurs organisationnels, matériels, économiques
                                                               et institutionnels limitent, de fait, leur champ d’action.
S’il existe bien sûr de multiples façons de pratiquer la
classe inversée, toutes s’appuient à des degrés divers         Quant à ma conviction personnelle, la voici. La pratique
sur ces principes fondamentaux: lors de cours en face          de la classe inversée, pour laquelle il existe en effet un
à face, accroître les interactions entre l’enseignant et       intérêt grandissant, est potentiellement porteuse de
les élèves ainsi que celles entre les élèves eux-mêmes,        changements, car elle fédère de nombreuses approches
individualiser l’apprentissage, développer les méthodes        psychologiques, pédagogiques, technopédagogiques –
actives et une pédagogie collaborative enfin, créer un         certaines sont récentes, d’autres non – dont la littérature
environnement d’apprentissages et des activités qui            a déjà montré, dans certaines conditions, les effets positifs
rendent les élèves plus autonomes et responsables de           sur l’apprentissage. Une meilleure connaissance de celles-
leur propre apprentissage.                                     ci permettra de construire une pratique professionnelle
                                                               moins empirique, plus efficace, mais aussi plus réaliste.
La littérature professionnelle, les comptes rendus de
pratique, les blogues d’enseignants proposent de nom-
breux témoignages extrêmement enthousiastes, voire             Notes
prosélytes. Des dizaines de milliers d’enseignants pra-        1
                                                                  Le masculin est utilisé sans discrimination afin d’alléger le
tiqueraient déjà cette méthode, «des écoles s’y sont              texte.
                                                               2 Le terme est apparu en 2007 chez Jonathan Bergman et
même converties» 6. On observerait une augmenta-
                                                                  Aaron Sams. Cité par Lebrun, M. (sans date), Classes inver-
tion de la motivation et de l’engagement des élèves
                                                                  sées, Flipped Classrooms… Ca flippe quoi au juste?, Blog de
quel que soit le niveau d’enseignement considéré, une             M@rcel. En ligne: http://lebrunremy.be/WordPress/?p=612
forte croissance des notes et des résultats scolaires, un         (consulté le 29 janvier 2015).
changement de mentalité dans les écoles. «Les notes            3 Lebrun, ibidem.

ont grimpé, le stress est descendu, et je suis une ensei-      4 Lebrun, ibidem.

gnante plus heureuse»7.                                        5 Lebrun, ibidem.

                                                               6 www.classeinversee.com/temoignages/

                                                               7 www.classeinversee.com/temoignages/#Dans-les-colleges
Par contre, on dispose encore de peu d’études empi-
                                                               8 Bissonnette, S. et C. Gauthier (2012). Faire la classe à l’en-
riques ou d’évaluations systématiques de cette approche
                                                                  droit ou à l’envers? Formation et profession 20(1), 2012.
qui nous aideraient à orienter et à assurer son dévelop-
                                                                  Disponible en ligne: http://formation-profession.com/files/
pement. Telle est la conclusion de Bissonnette et Gautier         numeros/1/v20_n01_173.pdf
(2012) 8, après avoir analysé et confronté les articles de     9 Bissonnette, S. et C. Gauthier (2012), op.cit. p.27.

recherche disponibles. Aussi, les auteurs recommandent         10 Chaptal, A. (1995). Technologies éducatives: des invariants

une attitude de prudence et proposent de construire               à méditer. Rencontres de l’ORME, Juin 1995, Marseille,
une «pratique professionnelle basée sur la recherche» 9.          France. Disponible en ligne: https://hal.archives-ouvertes.
                                                                  fr/edutice-00000345/document (consulté le 26 mars 2010).
Ils rappellent aussi que les pratiques pédagogiques sont       11 En français les cours en ligne ouverts et massifs (CLOM).
soumises à des effets de balanciers qui évoquent les
cycles d’enthousiasme et de désillusion décrits, notam-
ment par Chaptal10, comme caractéristiques de l’innova-
tion technopédagogique. L’intégration des technologies             L'AUTEUR
dans l’éducation est aussi sujette à des effets de mode.
                                                                   Daniel Peraya
Un bon exemple récent est le cas des Massive Open On
                                                                   est aujourd’hui professeur honoraire
line Courses (MOOC)11, souvent associés à la classe inver-
                                                                   de l’Université de Genève. Il a mené ses
sée, notamment, à cause du recours systématique à de
                                                                   recherches et ses enseignements dans le cadre
courtes capsules vidéo ou à des cours filmés séquencés.            de TECFA (FPSE), depuis sa création en 1990.
                                                                   Ses travaux portent sur les dispositifs de formations
Dans ce contexte, il y a donc trois attitudes dont il faut         et de communication médiatisées ainsi que sur
se défendre. D’abord, évitons de tomber dans le pro-               leurs effets sur l’apprentissage.
sélytisme et de croire que la technologie est la solution

Résonances • Mars 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                               9
Cours de vocabulaire dans la classe
de Michel Rothen
Nadia Revaz

                                                               un instant dans la tour de Babel, mais immédiatement
MOTS-CLÉS : PUBLICATIONS • LANGUE • CULTURE •                  on se recentre sur le français. Au fur et à mesure de l’ac-
APPROCHE «TRADITIONNELLE»                                      tivité, les mots employés se font de plus en plus précis,
                                                               sans reformulation nécessaire. Un élève choisit un livre
Immersion dans la classe de Michel Rothen, une 6P à            et dit: «Ceci est une biographie qui raconte la vie d’un
l’Ecole des Collines à Sion, pour un cours de vocabulaire.     personnage historique.» L’enseignant-lecteur en profite
L’enseignant est connu pour ses cahiers, co-écrits avec        pour un développement culturel, soulignant que Max
Francis Klotz, permettant de réviser le vocabulaire, la        Gallo est un biographe spécialiste de Napoléon. La classe
lecture, la grammaire, la conjugaison, l’orthographe,          distingue ainsi un guide, un livre d’art, un catalogue
le calcul mental ou l’allemand au primaire. En contac-         d’art, un livre-objet, une encyclopédie, un dépliant,
tant Michel Rothen, je lui ai demandé si je pouvais venir
assister à une activité autour de l’enrichissement de
la langue afin d’en faire un reportage, estimant qu’il
serait intéressant de découvrir comment ce passionné
des mots transmet son enthousiasme aux élèves. Dès
mon arrivée, un brin provocateur, il me dit avoir pré-
paré une leçon bien «réac». L’implication des élèves sera
mon critère d’«évaluation», au-delà de toute étiquette.

Avant de commencer la leçon, Michel Rothen invite les
élèves à ouvrir les fenêtres et se mettre en mouvement.
L’enseignant joue un boogie-woogie à la guitare et
les élèves chantent et dansent avec entrain. Retour au
calme en moins d’une minute. Sur l’écran TBI, on peut
voir l’image d’un camion. Et l’enseignant de lancer, en
guise de démarrage: «Le camion vient livrer dans votre
commerce des publications.» Tout en écrivant «Publi-
cations» au tableau, il veut que les élèves associent des
                                                               Michel Rothen interroge                      Pause musicale entre
idées à ce mot. Des journaux, des magazines, des pu-
                                                               les élèves sur les particularités            deux cours.
blicités, des livres, des fiches… Comme il le fait souvent     de différentes publications.
apparemment, Michel Rothen appelle ensuite les élèves
à venir autour de la grande table sur laquelle ils l’aident
à «décharger du camion» des publications. Lesquelles
sont-ils capables d’identifier? Un élève se saisit d’un ma-
gazine en disant simplement le mot. L’enseignant ne se
contente pas de cette solution de facilité, donc il précise
la consigne: «Je vous rappelle qu’en 6P, lorsqu’on donne
une définition, on commence par l’hyperonyme.» Petit
exercice ludique pour relancer le mécanisme du mot gé-
nérique. Les «moi, je sais» fusent de tous côtés. Un livre,
dont le titre est en grec, permet à Michel Rothen de faire
une digression sur les racines linguistiques, sujet appa-
remment familier au vu des commentaires des uns et des
autres. Un élève partage ses connaissances du russe, un
autre fait des liens avec le portugais. Bref, on se croirait   Les élèves ont de vraies publications sous les yeux.

                                                                                                       Résonances • Mars 2015
10                                                                                                 Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

un manuel, une BD, un guide, un audio-livre, un traité,
etc. Autour des magazines, les notions de périodicité
                                                                   Interview dans Résonances, mai 2014
sont révisées, avec la déclinaison suivante: «hebdoma-
daire», «mensuel», «bimensuel», «bimestriel». Michel               Francis Klotz et Michel Rothen: regards croisés sur
Rothen félicite celui qui a donné sans aucune hésitation           l’école. PDF de l’article sur www.resonances-vs.ch
la définition de «bimestriel».

Les élèves retournent à leur place et refont la liste des
publications «transportées dans le camion»: celle-ci est           Cahiers Klotz & Rothen
plus complète. Michel Rothen écrit au tableau les diffé-
rents termes, tout en introduisant de nouveaux mots,                  Francis Klotz, Michel Rothen.
dont «l’autobiographie», et en ajoutant des ancrages                  Vocabulaire. Le mot qu’il faut. 5e-6e. Editions à la
culturels contemporains, avec par exemple la présen-                  Carte. Thématique des livres et des publications.
tation d’un livre d’Hugh Laurie que plusieurs élèves                  Francis Klotz, Michel Rothen.
connaissent pour ses casquettes d’acteur, héros de la                 Vocabulaire. Klorophile a le dernier mot. 5e-6e.
série Dr House, ou de chanteur.                                       Editions à la Carte.
                                                                   www.klorophile.ch
De l’oral à l'écrit
Passage à des exercices avec un support écrit (l’atelier     nure en anglais «out of the world». La suite de cet ate-
livre, composé de 4 pages photocopiées). La première         lier se fera un autre jour, via une démarche différente,
activité permet d’évoquer l’année de parution de la Bible    et se conclura par une rédaction.
de Gutenberg, de rappeler la définition d’un «incunable»,
etc. Les tâches suivantes sont progressivement plus com-     En attendant, pour terminer, Michel Rothen interroge
plexes. Il s’agit notamment de créer des exemples basés      les élèves pour savoir s’ils aiment lire. Voici un échan-
sur la structure «verbe + livre» (dédicacer, acquérir, em-   tillon des réponses:
prunter des livres…) ou «livre + suite» (un livre de chevet,
un livre de bord…). Certains élèves ont sorti leur ardoise      «J’aime lire les journaux, parce que l’actualité m’in-
magique, non pas une tablette numérique, mais une               téresse.»
ardoise en plastique. Lors de la mise en commun, sur le         «J’aime lire les biographies pour mieux connaître cer-
modèle «livre + suite», un élève propose la formulation:        tains personnages.»
«Un livre de Marcel Pagnol». Mon visage marque l’éton-          «Je dévore toutes sortes de livres.»
nement et Michel Rothen s’en aperçoit. Du coup, il m’ex-        «J’aime tout, mais j’aime moins les BD.»
plique que ses élèves ont vu des films d’Yves Robert et ont     « J’aime bien les enquêtes policières.»
lu du Pagnol. Certains disent spontané-
ment avoir préféré La Gloire de mon père,                                     La classe est globalement restée très
d’autres Le Château de ma mère, d’autres        « Le cours était              concentrée, toutefois il y a eu plusieurs
encore Manon des sources. Et un élève           vivant, interactif,           interruptions externes (retour d’un
ajoute, n’ayant nullement l’air traumatisé:                                   cours intensif de français, sortie pour un
«On a aussi fait des dictées de Pagnol.»        mêlant langue et              contrôle dentaire) qui ont perturbé un
Depuis peu, les élèves découvrent un nou-       culture, effort et            instant le rythme du cours et qui ont né-
vel écrivain français. Ayant constaté que
                                                plaisir d’apprendre. » cessité un rappel à l'ordre en douceur de
seulement quatre élèves avaient lu ou                                         la part de l’enseignant pour que les élèves
avaient entendu parler du chef-d’œuvre                                        soient présents, «ici et maintenant».
Le Petit Prince, c’est Antoine de Saint-Exupéry qui est
désormais l’auteur abordé en classe. Michel Rothen se        Le cours était vivant, interactif, mêlant langue et culture,
saisit de son exemplaire dans la luxueuse collection La      effort et plaisir d’apprendre. Le tout était rythmé, mais
Pléiade pour expliquer la couverture, la tranche, le dos,    sans agitation. L’accroche a permis de susciter la curio-
les signets et la quatrième de couverture. Et soudain, il    sité des élèves afin qu’ils aient l’envie d’enrichir leur tré-
tient le livre par une seule page pour montrer la résis-     sor langagier. Dirais-je que c’était une leçon de «réac»?
tance du papier, malgré sa finesse. Plusieurs élèves s’af-   Certes, Michel Rothen, peu sensible aux effets de mode
folent. Assurément le livre est devenu un objet précieux     des nouvelles pédagogies, intègre dans son enseigne-
pour les élèves de cette classe. S’ensuivent deux exercices  ment certaines approches qualifiées de traditionnelles,
autour des mots de la même famille et des expressions.       mais je dirais plutôt qu’il privilégie la variété des dé-
Occasion pour Michel Rothen de raconter une anecdote         marches et des moyens d’enseignement, déplorant la
en lien avec une dédicace amusante contenant la tour-        répétition du scénario identique.

Résonances • Mars 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                                11
L’efficacité par l’Enseignement
Explicite
F. et B. Appy

                                                             la compréhension est
MOTS-CLÉS : EXPLICATION • MÉTACOGNITION •                    vérifiée fréquemment
PROGRESSION • STRUCTURATION • RÉTROACTION                    par de multiples solli-
                                                             citations.
         «Ce n'est point ce que l'on a appris
       qui est utile, mais ce que l'on a retenu.»            La mémorisation s’ob-
                       Condorcet                             tient par la pratique,
                                                             guidée puis auto-                 www.formap
                                                                                                           ex.com
L’Enseignement Explicite est une démarche pédagogique        nome, puis par de fré-
appartenant au courant des pratiques basées sur les don-     quentes révisions. La rétroaction est immédiate, elle
nées probantes. Son efficacité sur les apprentissages a      évite la cristallisation des erreurs. La métacognition
été validée par de multiples études scientifiques portant    est utilisée quotidiennement, il s’agit de l’habileté à
sur de grands nombres d’élèves. La psychologie cognitive     réfléchir sur sa propre pensée; elle permet de prendre
et les neurosciences confirment l’adéquation des pro-        conscience des processus mentaux utilisés et de parvenir
cédures explicites avec le fonctionnement du cerveau.        à les mettre en œuvre pour mieux apprendre.

Le «père» de l’Enseignement Explicite est Barak Rosen-       L’Enseignement Explicite se distingue des pratiques
shine, chercheur américain qui, dès les années 1970, s’est   constructivistes et de l’enseignement traditionnel ma-
intéressé aux actions pédagogiques des enseignants           gistral, à la fois par les résultats obtenus, par les modes
efficaces auprès de publics variés, pour les modéliser.      d’action et par la validation scientifique. C’est une mé-
Puis, les Canadiens Clermont Gauthier, Steve Bisson-         thode pédagogique efficace pour tous les élèves, no-
nette et Mario Richard ont fait connaître ces pratiques      tamment ceux issus de milieux défavorisés. Elle s’ap-
au monde francophone, dans les années 2000.                  plique à tous les niveaux et à toutes les disciplines.

Principes de base: expliquer tout ce qui peut l’être, en-    Pourquoi alors l’Enseignement Explicite n’est-il pas en-
seigner de manière progressive, aller du simple vers le      core systématiquement adopté partout? Simplement,
complexe, veiller à la maîtrise des connaissances préa-      parce que les données probantes n’ont pas encore droit
lables, pratiquer avec abondance, fournir de la rétroac-     de cité en éducation et que les politiques éducatives
tion, éviter toute surcharge cognitive, utiliser la méta-    continuent de préconiser des méthodes notoirement
cognition, avoir de hautes ambitions pour les élèves,        inefficaces. En matière de pédagogie, l’idéologie l’em-
pratiquer le renforcement positif.                           porte encore sur les preuves tangibles.

L’Enseignement Explicite s’appuie d’abord sur une bonne      Pour en savoir plus, visitez le site francophone de ré-
gestion de classe, préalable indispensable pour créer        férence de l’Enseignement Explicite: Form@PEx [www.
un environnement favorable à l’enseignement et aux           formapex.com].
apprentissages. Les règles de classe sont celles de l’en-
seignant, qui explique et enseigne de manière expli-
cite les comportements attendus. Une fois établies ces
conditions propices, on peut se consacrer à la gestion
                                                                LES AUTEURS
des apprentissages. Le but est l’acquisition durable et
solide de connaissances et d’habiletés, dont la conju-          Françoise et Bernard Appy
gaison représente les compétences. Compréhension et             Françoise et Bernard Appy ont mis
maintien en mémoire sont indissociables et revêtent une         en pratique la Pédagogie Explicite
                                                                dans leurs classes dès 2006.
égale importance en Enseignement Explicite. La phase
du modelage (de «modèle») est celle des explications,

                                                                                               Résonances • Mars 2015
12                                                                                         Mensuel de l’Ecole valaisanne
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