Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Les savoirs et leur transmission - MENSUEL DE L'ECOLE ...
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Résonances M E N S U E L D E L’ E C O L E V A L A I S A N N E Les savoirs et leur transmission N° 6 • Mars 2015
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ÉDITO Des savoirs à débattre Au départ de ce dossier, avec le Conseil de rédaction, nous voulions lancer la réflexion «L'ignorance sur les savoirs scolaires fondamentaux pour aujourd'hui, sur le moment propice pour les totale n'est pas introduire, tout en n’occultant pas la question sur ce qu’il en restera demain. Puis nous curieuse, alors y avons ajouté nos interrogations sur les différentes manières de transmettre ces savoirs. que savoir un peu ouvre l’appétit Lors de la Balade des Savoirs, hormis la problématique du découpage horaire, il semblait d’en savoir plus.» évident qu’il n’y avait pas grand-chose à ajouter ou à retrancher au Plan d’études Fernando Savater romand, même en y incluant les spécificités cantonales. D’un côté, étant donné que l’introduction du PER est récente, ce refus de bousculer la grille ou le programme est logique, car il faut digérer le changement. D’un autre côté, cet évitement réflexif quant aux améliorations possibles et adaptations à notre époque peut susciter l’étonnement. J’ai discuté avec plusieurs enseignants pour comprendre le pourquoi du comment de cette vision sous forme de statu quo. Certains m’ont avoué qu’ils auraient bien certaines propositions à faire, mais seulement sous couvert d’anonymat. Parmi les remarques en «off», quelques enseignants trouvent le découpage disciplinaire toujours trop rigide, avec trop peu de passerelles interdisciplinaires. Certains se demandent si l’ordre d’enseignement des langues est si évident, en se fondant sur le choix effectué par certains cantons alémaniques. D'autres estiment que certains enseignements, dont celui de l'histoire, doivent être réorientés. Les questionnements de ces enseignants invisibles sont-ils pertinents? Difficile de le savoir sans argumenter, donc sans débattre. Ce thème a aussi été choisi pour évoquer ce qu’il reste des apprentissages. La question de la mémorisation apparaît en filigrane et à ce propos il convient de lire, hors dossier, la brève interview de Mélissa Veith, dans le cadre de la rubrique p. 45. Pour cette jeune enseignante-remplaçante, la mémorisation, pièce maîtresse de l’apprendre à apprendre, mériterait davantage d’attention. N’y a-t-il point une part de vérité dans ce constat? Et pour revenir à la Balade des Savoirs, lors du débat avec les élèves, il y a eu quelques remarques intéressantes, notamment en ce qui concerne le «saucissonnage» des cours et le fait de ne pas terminer tranquillement une activité avant de passer à une autre. C’est drôle quand ce sont les enfants qui reprochent le zapping aux adultes, non? Concernant les façons de transmettre le savoir, l’immersion en classe tend à démontrer la variété des styles d’enseignement liée à la diversité des personnalités. Je vois que certains froncent les sourcils, estimant que trop de liberté pédagogique pourrait perturber les élèves qui ont besoin de cohérence, pour se structurer. Et j’en aperçois aussi qui disent que cette variété est bien jolie, sachant que les formations supérieures privilégient souvent l’ex cathedra. Qui a raison, qui a tort? Nadia Pour vous convaincre de l’importance de cette remise en question, je reprends, en le R résumant, un descripteur de la pensée générale du PER, applicable aussi aux adultes: ev prendre de la distance, se décentrer des faits; az renoncer aux idées préconçues; comparer son opinion à celle des autres; faire une place au doute et à l’ambiguïté; comparer les chemins et les stratégies utilisées par d’autres. Qu’en pensez-vous? Résonances • Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne 1
Sommaire ÉDITO DOSSIER Des savoirs à débattre 1 N. Revaz Les savoirs et leur transmission 4 – 15 RUBRIQUES Journalistes en herbe 16 L’aventure Lire Délire – S. Courtine et J. Ebiner Sciences 17 Sciences: leçon de choses ou culture scientifique? – A. Bardou MITIC 19 Rencontre avec les responsables d’un des pôles du CC ICT-VS – N. Revaz Métiers de l’école 22 Carole Sierro, professeure et présidente de la SSPES – N. Revaz Carte blanche 24 Tournois de football scolaire – M. Moser Formation continue 26 Séjours linguistiques pour enseignants – N. Revaz Education musicale 28 Actualités musicales variées – B. Oberholzer & J.-M. Delasoie Sciences humaines et sociales 29 L’histoire du Rhône en classe – M. Borgeat Ecole-Economie 32 L’avis de Tamara Sermier, étudiante, sur iconomix – N. Revaz Ressources 33 Mallettes interculturelles – F. Lathion & R. Anzévui AC&M 34 La perception en AC&M – S. Coppey Grange Version courte 35 Au fil de l’actualité – Résonances Economie familiale 36 «Top chef au CO, c’est top!»... en route vers la grande finale – Commission EF de l’AVECO Réseau de la formation 37 Romaine Schnyder, directrice du CDTEA – N. Revaz Mémento pédagogique 39 A vos agendas – Résonances Education physique 40 Plus vite, plus haut, plus fort… ou comment revisiter l’olympisme – Le team «animation EP» Autour de la lecture 42 Des Sacs d’histoire à Monthey – N. Revaz Doc. pédagogique 43 DVD-R documentaires: les suggestions du mois – MV Valais - St-Maurice / M.-F. Moulin Livres 44 La sélection du mois – Résonances Du côté de la HEP-VS 45 Mémoire sur la mémorisation – N. Revaz CPVAL 46 L’impact de la décision de la BNS sur notre Caisse – P. Vernier Echo de la rédactrice 47 Zone de calme – N. Revaz Fil rouge de l’orientation 48 Julia Vecchio, apprentie libraire – N. Revaz Revue de presse 49 D’un numéro à l’autre – Résonances INFOS Infos SE/SCJ 50 Concept cantonal de pédagogie spécialisée – N. Revaz Les dossiers 52 Les dossiers de Résonances Résonances • Mars 2015 2 Mensuel de l’Ecole valaisanne
Les savoirs et leur transmission Quels savoirs enseigner? Quand les introduire? 4 Des savoirs fondamentaux qui manquent à l’école 12 L’efficacité par l’Enseignement A. Giordan Explicite Comment les transmettre? F. & B. Appy Qu’est-ce qu’il en restera? 6 Cours d’histoire Autant de questions pour en classe avec Jérôme Bel 13 Cours de maths et d’allemand lesquelles vous trouverez N. Revaz en classe avec des débuts de réponse dans Stevan Miljevic ce dossier. Une thématique 8 La classe inversée peut- elle changer l’école? N. Revaz qui aura des prolongements en écho dans le prochain D. Peraya 15 Lade bibliographie la Documentation numéro, sous l’angle 10 Cours de vocabulaire dans la classe de pédagogique E. Nicollerat du regard de la société Michel Rothen sur l’école. N. Revaz Résonances • Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne 3
Des savoirs fondamentaux… qui manquent à l’école… A. Giordan MOTS-CLÉS : PROGRAMME • LECTURE • MATHS • PHILOSOPHIE, ÉCONOMIE • CURIOSITÉ • ANALYSE SYSTÉMIQUE… Aborder la question des «savoirs fondamentaux…», c’est interpeller le programme, c’est poser la question de la place de l’école dans l’éducation du jeune. Leur fournit- elle les repères pour leur époque?… Or aborder la ques- tion du programme est une question très provocatrice qui génère immédiatement nombre de conflits liés aux habitudes sociales ou aux corporatismes des disciplines. Pourtant, dans un monde complexe en pleine évolution, l’enjeu est capital. Nombre de savoirs importants pour comprendre le monde, se comprendre ou développer une citoyenneté ne sont pas actuellement à l’école. Avec les bases de données, les réseaux et les moteurs Les savoirs proposés, y compris dans la dernière réforme, de recherche, il s’agit également d’apprendre à lire restent le reflet des préoccupations de la «Belle époque», en lecture rapide et en hypertexte; c’est apprendre à celles qui ont prévalu au moment où l’école que nous lire… les images, fixes et animées. Enfin, apprendre à connaissons s’est mise en place. Seules les disciplines qui lire, n’est-ce pas en permanence interroger les sources, avaient cours à la fin du XIXe siècle continuent à être au leur validité et la pertinence des informations? programme! On les a seulement un peu «modernisées», Apprendre à «compter» se doit également d’avoir toute toutefois, les adhérences restent nombreuses. sa place, mais n’accorde-t-on pas trop de vertus à cette discipline? Un futur programme demanderait à (re) Loin de nous l’idée d’évacuer l’«apprendre à lire» des sa- penser la place et le contenu des maths. Cet enseigne- voirs fondamentaux. Savoir lire favorise l’autonomie de ment est essentiellement algorithmique; il ne développe l’enfant et est indispensable aux autres apprentissages. pas la créativité et l’esprit critique. Il enferme l’élève Cet objectif est plus facilement acquis quand l’enfant dans des modes de résolution standardisés. En outre, éprouve un intérêt pour le contenu. Par ailleurs, pour- il s’agit de sortir de la seule logique classique – binaire quoi attendre toujours 6 ou 7 ans pour envisager cet et linéaire – qui ne fournit pas les outils pour aborder apprentissage, alors qu’à 4 ans les enfants ont un fort la complexité ou gérer l’incertitude. La pensée mathé- désir et les structures mentales pour apprendre seul à matique a mieux à proposer… lire, à travers des jeux 1, sans… méthode comme pour apprendre à marcher ou à parler 2? Introduire de nouveaux regards Débarrassée du pensum de l’initiation à la lecture, l’école pourrait alors s’interroger sur ce que veut dire Introduire de nouveaux savoirs fondamentaux devient maintenant «apprendre à lire»… Dans une société en indispensable, et notamment des notions de base de mutation, savoir lire ce n’est plus seulement savoir dé- droit, d’éthique, de philosophie, d’économie et de fi- chiffrer un texte, c’est en premier comprendre et par- nance, d’environnement et de développement durable, tager un message 3. C’est encore être capable de traiter de santé, d’urbanisme et même de… consommation, les multiples informations écrites dont ont besoin les sans quoi on est tout autant illettré aujourd’hui. Tou- enfants pour mener à bien leurs différents projets. Au tefois, n’en restons pas aux seuls savoirs disciplinaires, quotidien, les élèves sont entourés de données multiples des savoirs transversaux sont à promouvoir. L’énergie par à décoder; en permanence, il leur est utile de rechercher exemple n’est pas exclusivement une question scienti- et surtout, faute de se perdre, de trier les informations. fique, le concept se décode à l’interaction de l’histoire, Résonances • Mars 2015 4 Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER de la biologie, de la physique, de l’économie,… De concernent la «personne» qu’est chaque élève… Tra- même sont à promouvoir des «concepts organisateurs». ditionnellement, ils étaient l’apanage de la famille. Ac- Avec les multiples médias, dont Internet, nos jeunes tuellement cette dernière n’est plus adaptée ou souvent sont perdus dans une foule de savoirs parcellisés. Des a démissionné. Apprendre à se connaître, apprendre savoirs-phare peuvent leur servir de balises pour fédé- à devenir un citoyen responsable… devraient avoir rer nombre d’informations (exemples: organisation, une place de choix dans les fondamentaux de l’école. mémoire, énergie, régulation, etc.). D’autant plus que ces savoirs sont de puissants moteurs de l’apprendre et du vivre ensemble… Dans ce cadre, L’acquisition d’attitudes liées à diverses investigations l’important serait d’amplifier le désir d’apprendre que devient également incontournable. N’est-il pas impor- l’on voit actuellement s’étioler au cours de la scolarité. tant d’introduire chez l’apprenant une disponibilité, En complément, l’objectif serait également de favori- une ouverture sur les savoirs, une curiosité d’aller vers ce ser la confiance et l’estime de soi, le regard positif sur qui n’est pas évident ou familier? Nombre de démarches soi, sur l’autre et le désir d’entreprendre avec l’autre 4… deviennent également inéluctables: maîtriser l’informa- Un tel projet éducatif, même s’il peut surprendre, ne tion, savoir observer, expérimenter, enquêter,… serait pas très difficile à mettre en place à l’école; il suffirait d’introduire – ce qui se fait parfois - des «mo- Il en est deux en particulier qui deviennent désormais ments» intégrés de philosophie, d’anthropologie, de inéluctables. En premier, l’analyse systémique, elle vise à psychologie, de sociologie dès l’école enfantine d’une clarifier et à formuler une réalité (événement, situation, part 5 et d’autre part des moments d’investigation sur les etc.) en tant que système. Complémentaire de l’analyse «questions vives» de notre époque. Bien sûr, une telle classique qui réduit un ensemble à la compréhension refonte des programmes va de pair avec d’autres ques- de ses composants, l’analyse systémique s’avère parti- tions tout autant essentielles, notamment l’importance culièrement pertinente pour préciser les liens entre les décisive d’une véritable formation des enseignants… éléments, les niveaux d’organisation, les échanges et mais également des autres personnels de l’éducation, les régulations entre les sous-systèmes (flux, turn-over, comme les directeurs ou les inspecteurs. feed-backs, etc.). La pragmatique ensuite, car l’école ne peut plus limi- ter l’apprentissage à savoir résoudre les problèmes, Notes actuellement il importe de savoir également poser et 1 Notamment des jeux numériques, mais pas uniquement… formuler les problèmes, ce qui est plus délicat. De plus, 2 Généralement les méthodes ne «marchent» que pour les la pragmatique conduit à intégrer l’action, notamment personnes qui les ont écrites. Or chaque élève est différent! par la recherche de solutions alternatives et l’implantation de changements. Sur 3 C’est en lisant ou en écrivant dans des si- le plan pédagogique, elle implique une « Un tel projet tuations qui font sens qu’on apprend, et non pas par des exercices artificiels qui série de phases mutuellement régulées. éducatif, même créent de l’ennui et du découragement. Pour que ces savoirs deviennent opéra- s’il peut surprendre, 4 L’école fonctionne sur le mode de la toires, encore faudrait-il introduire en ne serait pas très consommation. Les élèves attendent que le «prof.» leur présente les savoirs, alors parallèle des outils pour apprendre à ap- difficile à mettre que ce devrait être à eux d’aller les cher- prendre aux élèves, et cela par deux axes. L’un très concret pour les faire entrer dans en place à l’école. » cher… le métier d’élève: comment mémoriser? 5 La culture scolaire ne permet toujours pas aux élèves d’investiguer sur «ce que nous sommes». Elle comment s’organiser? comment prendre des notes? suppose qu’en enseignant l’histoire, les sciences, la litté- comment argumenter? comment réviser? comment en- rature, etc., l’élève reçoit les outils ad hoc. On oublie que treprendre? etc. L’autre par une approche plus réflexive: chaque discipline reste dans son territoire et étudie les que veut dire apprendre? que permet l’école? L’essen- questions qui intéressent sa propre communauté; les liens tiel des élèves ne voient souvent dans l’apprendre que à tisser qui permettraient de comprendre et de se com- les aspects désagréables et fastidieux du «par cœur». prendre sont ainsi perdus. Ils n’envisagent pas combien ce processus est forma- teur pour eux. L'AUTEUR Et les savoirs de la personne?… André Giordan, LDES Il est encore d’autres savoirs fondamentaux, mais oh université de Genève combien épineux à «mettre au programme» dans www.andregiordan.com la culture actuelle de la société; ce sont ceux qui Résonances • Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne 5
Cours d’histoire en classe avec Jérôme Bel Nadia Revaz MOTS-CLÉS : SHS • 1933 - 1945 • DOCUMENTS • DÉCOUVERTE Reportage dans les classes Pour les trois «reportages en immersion» (cf. pp. 6-7, pp. 10-11, pp. 13-14), nous avons décidé de nous glis- ser discrètement au fond de la classe de trois ensei- gnants interviewés récemment. Ainsi vous pouvez découvrir les articles, tout en lisant ou relisant leurs propos, histoire de mettre le dire et le faire en écho (PDF sur www.resonances-vs.ch). Dans le cadre de ce dossier, visant à aborder les savoirs et la manière de les transmettre, il nous fallait des profils typés, exer- çant leur liberté pédagogique, de façon à mieux per- cevoir les ressemblances et/ou les dissemblances entre les approches présentées. En espérant que ces articles vous apporteront des éclairages et des réflexions en lien avec votre pratique, nous remercions les trois pre- miers enseignants d’avoir accepté ce partage avec les lecteurs de Résonances. D’autres épisodes, liés aux manières d’enseigner, suivront ces prochains mois hors dossier, dans le cadre d’une nouvelle rubrique. Immersion dans un cours de SHS (sciences humaines et adressée à un élève qui écrit, toujours sur le ton de l’hu- sociales) donné en 3CO dans la classe de Jérôme Bel qui mour. Maintenant le cours commence et l’enseignant est enseignant au Cycle d’orientation des Collines à Sion annonce: «Aujourd’hui on va reprendre le thème abordé et animateur SHS (domaine du Plan d’études romand mardi. Avant-hier, on avait évoqué la libération du camp qui englobe l’histoire, la géographie et la citoyenneté) d’Auschwitz il y a 70 ans et aujourd’hui on va parler de et maître formateur (MF). La thématique traitée ce jour- l’évolution de l’antisémitisme nazi de 1933 à 1945, en là est historique et concerne l’antisémitisme nazi. L’ap- lien avec ce qu’on avait déjà vu à propos des totalita- proche est en lien avec la pédagogie de la découverte rismes. D’abord vous allez travailler pendant dix minutes et la démarche de l’historien, dans l’esprit des Moyens tout seul. Vous allez recevoir huit documents que vous d’enseignement (MER) liés au PER. C'est aux élèves devrez regarder, observer et analyser. Des questions?» d’investiguer la matière, à partir de documents variés. Lecture de documents Jérôme Bel démarre le cours, avec un «Bonjour» toni- truant, enthousiaste et communicatif. Il explique ma Un élève distribue la photocopie A3 rassemblant di- présence, en leur disant que je souhaitais «faire un re- vers documents, textes et illustrations, sélectionnés portage animalier» et qu’il avait tout de suite pensé à par Jérôme Bel. Il demande à une élève de redonner la eux. La classe rit aux éclats. Petite remarque disciplinaire consigne: «On doit lire les textes.» Et l’enseignant de Résonances • Mars 2015 6 Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER préciser: «Vous devez aussi noter pour chaque docu- élèves sollicitent des indications complémentaires. L’en- ment vos observations.» Dans le silence de la lecture, un seignant reformule: «Vous devez indiquer les étapes élève demande ce que signifie «Jude», qui est écrit sur de la propagande à l’extermination, en passant par la l’une des illustrations. Un autre, en train de lire un ex- ségrégation, les autodafés, la Nuit de Cristal et la dé- trait d’un article paru dans Le Point en novembre 2013 1 portation.» Et là, un élève redemande la définition de questionne l’enseignant sur la définition du mot «po- l’antisémitisme. L’enseignant laisse la classe répondre. grom». Un autre encore ne comprend pas l’expression Ils termineront le devoir à la maison. «les téléphones sont en ébullition». L’enseignant passe dans les rangs, répondant encore à quelques Le cours était très rythmé, 10 minutes en- questions de compréhension à partir des do- « Le cours était viron par sous-activité, avec un enseignant cuments et rappelant l’usage du surligneur particulièrement énergique, limite «show- pour sélectionner les éléments de l’article. rythmé, avec man», mêlant sérieux et humour, rigueur un enseignant et décontraction, de façon à titiller l’intérêt Les dix minutes sont écoulées. Par groupe, avec à chaque fois un chef désigné, les particulièrement des élèves pour les SHS, domaine qui aux yeux de certains élèves n’a pas l’importance élèves doivent compléter un tableau qui énergique. » d’autres branches. A une ou deux exceptions indique seulement les titres des documents près, la classe paraissait motivée par la re- qu’il faut identifier. Il s’agit de mentionner le type de cherche d’informations et s’est investie dans les activités. document (texte, peinture…), d’en déterminer la date Quant à l’enseignant, au terme du cours, il se dit très et de préciser s’il s’agit d’un document historique ou satisfait de la curiosité de ses élèves, de leurs interro- non. Tous les groupes se mettent au travail, certains gations à partir des documents, reconnaissant toutefois avec plus de facilité pour ce type de questionnement que la mémorisation de repères chronologiques n’est que d’autres. Dans le léger brouhaha des discussions, pas leur fort: «Le problème de nos élèves, c’est qu’ils on peut entendre aussi bien «J’ai trouvé les infos pour n’ont jamais appris de stratégie pour mémoriser, et ce la Nuit de Cristal» que «C’est quoi un document his- constat ne vaut pas seulement en histoire et au CO.» torique?». Concernant la rédaction du paragraphe historique, Jé- rôme Bel a observé que les élèves ont souvent recouru, S’ensuit la phase de mise en commun pour s’assurer non pas aux dates, mais aux connecteurs de progression de la bonne compréhension des documents. Jérôme logique («d’abord…, ensuite…, enfin…») pour expli- Bel interroge les élèves et remplit le tableau sur le TBI. quer l’évolution des événements historiques, même si Les réponses sont tantôt précises («il s’agit d’une cari- toutes les indications figuraient dans le tableau. cature») suscitant les «Wouah!» du prof, tantôt impré- cises (énumération de dates un peu au hasard). L’ensei- gnant donne des explications sur le déroulement des Note événements, et les élèves posent des questions sur les 1 www.lepoint.fr/histoire/evenements/l-horreur-de-la-nuit- aspects historiques, mais aussi sur la manière d’identifier de-cristal-09-11-2013-1753972_1616.php les documents en lien avec l’activité («Comment fait-on pour savoir si c’est un document historique ou pas?»). Par contre, lorsqu’il s’agit de répondre, plusieurs, qui ont noté l’information sur leur feuille, paraissent ne pas L’animation SHS à disposition oser, par peur de se tromper. Contrairement à l’identifi- des enseignants cation des documents, la datation des événements est très approximative pour certains. Dans la classe, il y a Pour rappel, dans son rôle d’animateur, Jérôme Bel plusieurs élèves haut-valaisans et ces derniers semblent épaule volontiers les enseignants du CO dans la sé- avoir des repères chronologiques plus précis: non seule- lection de documents pour leur cours. ment ils connaissent l’année de l’arrivée d’Adolf Hitler http://animation.hepvs.ch/sciences-humaines au pouvoir, mais aussi les grandes lignes du déroule- ment des événements entre 1933 et 1945. Rédaction à partir d’un tableau Interview dans Résonances, Quelques minutes avant le cours suivant, les élèves octobre 2014 sont invités à commencer individuellement la rédac- tion d’un petit paragraphe sur l’évolution de l’antisé- Jérôme Bel, enseignant au CO et animateur mitisme nazi de 1933 à 1945, à partir des documents PDF de l’article sur www.resonances-vs.ch classés chronologiquement dans le tableau. Plusieurs Résonances • Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne 7
La classe inversée peut-elle changer l’école? D. Peraya MOTS-CLÉS : MODALITÉS D’ORGANISATION • MAISON • CLASSE Lors de la première édition des rendez-vous de l’ensei- gnement à l’Université de Genève (30 avril 2014), à la question «Que demanderiez-vous à vos enseignants 1 de changer dans leur pratique pédagogique?» des étu- diants répondaient «Ne plus faire avec nous, ce que nous pouvons faire seuls.» Autrement dit, ils expri- maient le souhait de voir les enseignants cesser de trans- mettre de l’information lors de «cours-conférences». La multiplication des supports informationnels, les techno- logies et les nombreuses applications du Web rendent aujourd’hui facilement accessible l’information scien- tifique, professionnelle ou encore «grand public». Ce changement essentiel dans l’accès à l’information a plusieurs conséquences fondamentales pour l’ensei- gnement: a) les étudiants, les élèves ont accès à cette information en dehors de l’école et des prescrip- tions scolaires; b) l’enseignant n’est donc plus qu’une source d’information parmi d’autres. Cependant, que les élèves accèdent à l’infor- mation ne signifie pas qu’ils soient capables de trouver, de sélectionner l’information adéquate et de faire preuve d’esprit critique afin d’en évaluer la qua- et A. Sams, qui faisaient voir de courtes vidéos à leurs lité ou la fiabilité. Enfin, si l’information est essentielle élèves avant les cours pour les motiver, pour leur per- à la construction des connaissances, elle ne constitue mettre de préparer les activités qui se déroulaient, dans pas en soi une connaissance. un second temps, en présence, en classe 3. Ainsi, dans une classe inversée, les élèves prennent connaissance de la Le rôle de l’enseignant pourrait alors évoluer dans matière et des contenus du cours à domicile à partir de deux directions innovantes: d’une part, apprendre à ses ressources diversifiées, classiques autant qu’en ligne, tan- élèves à maîtriser l’énorme quantité d’informations dis- dis que le temps passé en classe est consacré à des expli- ponibles l’«infobésité» et, d’autre part, imaginer puis cations de compréhension, à des approfondissements, à scénariser des occasions d’apprendre pour lesquelles des exercices et à des travaux individuels et/ou collectifs. l’information cesse d’être un objectif d’enseignement et devient une ressource au service de l’apprentissage. Pour Lebrun, le concept de classe inversée s’adosse à La pratique de la classe inversée (Flipped Classroom), trois courants actuels: l’approche par compétences, les apparue en 2007 2, constitue une façon de «faire la méthodes actives et un «usage à valeur ajoutée» des classe» qui rencontre cette évolution. TIC4. Il analyse différentes modalités d’organisation de la classe inversée qui bouleversent l’organisation tradi- Concrètement, qu’est-ce qu’une classe inversée? La tionnelle de la classe. Il décrit ce renversement en ces première définition est celle-ci: Lectures at Home and termes: «Il s’agira de mieux occuper l’espace et le temps, HomeWork in Class. Elle a été formulée, un peu comme d’accompagner une partie de l’apprentissage (mémori- un slogan, par deux professeurs de chimie, J. Bergmann sation, compréhension…) hors de la classe et de rendre Résonances • Mars 2015 8 Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER à cette dernière sa vocation liée à la rencontre, au carac- aux problèmes pédagogiques: l’histoire des TICE a tou- tère social de l’apprentissage.» 5 Il s’agit donc de prépa- jours démenti ce point de vue technocentré. Ensuite, ne rer le cours à domicile, selon des approches inspirées de construisons pas le futur sans nous appuyer sur le passé. celles de la formation à distance, et de faire de la classe, Pour de nombreux chercheurs et praticiens, en effet, grâce à l’accompagnement de l’enseignant, un espace une nouvelle technologie apporte ex nihilo de nouvelles d’interactions et de débats, un lieu d’application et de problématiques et ses solutions innovantes. Enfin, ne contextualisation des apprentissages, enfin un espace faisons pas croire que l’innovation pédagogique relève de production (présentation de synthèses, résolution uniquement de la volonté des enseignants. De nom- de problèmes, conduite de projet, etc.). breux facteurs organisationnels, matériels, économiques et institutionnels limitent, de fait, leur champ d’action. S’il existe bien sûr de multiples façons de pratiquer la classe inversée, toutes s’appuient à des degrés divers Quant à ma conviction personnelle, la voici. La pratique sur ces principes fondamentaux: lors de cours en face de la classe inversée, pour laquelle il existe en effet un à face, accroître les interactions entre l’enseignant et intérêt grandissant, est potentiellement porteuse de les élèves ainsi que celles entre les élèves eux-mêmes, changements, car elle fédère de nombreuses approches individualiser l’apprentissage, développer les méthodes psychologiques, pédagogiques, technopédagogiques – actives et une pédagogie collaborative enfin, créer un certaines sont récentes, d’autres non – dont la littérature environnement d’apprentissages et des activités qui a déjà montré, dans certaines conditions, les effets positifs rendent les élèves plus autonomes et responsables de sur l’apprentissage. Une meilleure connaissance de celles- leur propre apprentissage. ci permettra de construire une pratique professionnelle moins empirique, plus efficace, mais aussi plus réaliste. La littérature professionnelle, les comptes rendus de pratique, les blogues d’enseignants proposent de nom- breux témoignages extrêmement enthousiastes, voire Notes prosélytes. Des dizaines de milliers d’enseignants pra- 1 Le masculin est utilisé sans discrimination afin d’alléger le tiqueraient déjà cette méthode, «des écoles s’y sont texte. 2 Le terme est apparu en 2007 chez Jonathan Bergman et même converties» 6. On observerait une augmenta- Aaron Sams. Cité par Lebrun, M. (sans date), Classes inver- tion de la motivation et de l’engagement des élèves sées, Flipped Classrooms… Ca flippe quoi au juste?, Blog de quel que soit le niveau d’enseignement considéré, une M@rcel. En ligne: http://lebrunremy.be/WordPress/?p=612 forte croissance des notes et des résultats scolaires, un (consulté le 29 janvier 2015). changement de mentalité dans les écoles. «Les notes 3 Lebrun, ibidem. ont grimpé, le stress est descendu, et je suis une ensei- 4 Lebrun, ibidem. gnante plus heureuse»7. 5 Lebrun, ibidem. 6 www.classeinversee.com/temoignages/ 7 www.classeinversee.com/temoignages/#Dans-les-colleges Par contre, on dispose encore de peu d’études empi- 8 Bissonnette, S. et C. Gauthier (2012). Faire la classe à l’en- riques ou d’évaluations systématiques de cette approche droit ou à l’envers? Formation et profession 20(1), 2012. qui nous aideraient à orienter et à assurer son dévelop- Disponible en ligne: http://formation-profession.com/files/ pement. Telle est la conclusion de Bissonnette et Gautier numeros/1/v20_n01_173.pdf (2012) 8, après avoir analysé et confronté les articles de 9 Bissonnette, S. et C. Gauthier (2012), op.cit. p.27. recherche disponibles. Aussi, les auteurs recommandent 10 Chaptal, A. (1995). Technologies éducatives: des invariants une attitude de prudence et proposent de construire à méditer. Rencontres de l’ORME, Juin 1995, Marseille, une «pratique professionnelle basée sur la recherche» 9. France. Disponible en ligne: https://hal.archives-ouvertes. fr/edutice-00000345/document (consulté le 26 mars 2010). Ils rappellent aussi que les pratiques pédagogiques sont 11 En français les cours en ligne ouverts et massifs (CLOM). soumises à des effets de balanciers qui évoquent les cycles d’enthousiasme et de désillusion décrits, notam- ment par Chaptal10, comme caractéristiques de l’innova- tion technopédagogique. L’intégration des technologies L'AUTEUR dans l’éducation est aussi sujette à des effets de mode. Daniel Peraya Un bon exemple récent est le cas des Massive Open On est aujourd’hui professeur honoraire line Courses (MOOC)11, souvent associés à la classe inver- de l’Université de Genève. Il a mené ses sée, notamment, à cause du recours systématique à de recherches et ses enseignements dans le cadre courtes capsules vidéo ou à des cours filmés séquencés. de TECFA (FPSE), depuis sa création en 1990. Ses travaux portent sur les dispositifs de formations Dans ce contexte, il y a donc trois attitudes dont il faut et de communication médiatisées ainsi que sur se défendre. D’abord, évitons de tomber dans le pro- leurs effets sur l’apprentissage. sélytisme et de croire que la technologie est la solution Résonances • Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne 9
Cours de vocabulaire dans la classe de Michel Rothen Nadia Revaz un instant dans la tour de Babel, mais immédiatement MOTS-CLÉS : PUBLICATIONS • LANGUE • CULTURE • on se recentre sur le français. Au fur et à mesure de l’ac- APPROCHE «TRADITIONNELLE» tivité, les mots employés se font de plus en plus précis, sans reformulation nécessaire. Un élève choisit un livre Immersion dans la classe de Michel Rothen, une 6P à et dit: «Ceci est une biographie qui raconte la vie d’un l’Ecole des Collines à Sion, pour un cours de vocabulaire. personnage historique.» L’enseignant-lecteur en profite L’enseignant est connu pour ses cahiers, co-écrits avec pour un développement culturel, soulignant que Max Francis Klotz, permettant de réviser le vocabulaire, la Gallo est un biographe spécialiste de Napoléon. La classe lecture, la grammaire, la conjugaison, l’orthographe, distingue ainsi un guide, un livre d’art, un catalogue le calcul mental ou l’allemand au primaire. En contac- d’art, un livre-objet, une encyclopédie, un dépliant, tant Michel Rothen, je lui ai demandé si je pouvais venir assister à une activité autour de l’enrichissement de la langue afin d’en faire un reportage, estimant qu’il serait intéressant de découvrir comment ce passionné des mots transmet son enthousiasme aux élèves. Dès mon arrivée, un brin provocateur, il me dit avoir pré- paré une leçon bien «réac». L’implication des élèves sera mon critère d’«évaluation», au-delà de toute étiquette. Avant de commencer la leçon, Michel Rothen invite les élèves à ouvrir les fenêtres et se mettre en mouvement. L’enseignant joue un boogie-woogie à la guitare et les élèves chantent et dansent avec entrain. Retour au calme en moins d’une minute. Sur l’écran TBI, on peut voir l’image d’un camion. Et l’enseignant de lancer, en guise de démarrage: «Le camion vient livrer dans votre commerce des publications.» Tout en écrivant «Publi- cations» au tableau, il veut que les élèves associent des Michel Rothen interroge Pause musicale entre idées à ce mot. Des journaux, des magazines, des pu- les élèves sur les particularités deux cours. blicités, des livres, des fiches… Comme il le fait souvent de différentes publications. apparemment, Michel Rothen appelle ensuite les élèves à venir autour de la grande table sur laquelle ils l’aident à «décharger du camion» des publications. Lesquelles sont-ils capables d’identifier? Un élève se saisit d’un ma- gazine en disant simplement le mot. L’enseignant ne se contente pas de cette solution de facilité, donc il précise la consigne: «Je vous rappelle qu’en 6P, lorsqu’on donne une définition, on commence par l’hyperonyme.» Petit exercice ludique pour relancer le mécanisme du mot gé- nérique. Les «moi, je sais» fusent de tous côtés. Un livre, dont le titre est en grec, permet à Michel Rothen de faire une digression sur les racines linguistiques, sujet appa- remment familier au vu des commentaires des uns et des autres. Un élève partage ses connaissances du russe, un autre fait des liens avec le portugais. Bref, on se croirait Les élèves ont de vraies publications sous les yeux. Résonances • Mars 2015 10 Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER un manuel, une BD, un guide, un audio-livre, un traité, etc. Autour des magazines, les notions de périodicité Interview dans Résonances, mai 2014 sont révisées, avec la déclinaison suivante: «hebdoma- daire», «mensuel», «bimensuel», «bimestriel». Michel Francis Klotz et Michel Rothen: regards croisés sur Rothen félicite celui qui a donné sans aucune hésitation l’école. PDF de l’article sur www.resonances-vs.ch la définition de «bimestriel». Les élèves retournent à leur place et refont la liste des publications «transportées dans le camion»: celle-ci est Cahiers Klotz & Rothen plus complète. Michel Rothen écrit au tableau les diffé- rents termes, tout en introduisant de nouveaux mots, Francis Klotz, Michel Rothen. dont «l’autobiographie», et en ajoutant des ancrages Vocabulaire. Le mot qu’il faut. 5e-6e. Editions à la culturels contemporains, avec par exemple la présen- Carte. Thématique des livres et des publications. tation d’un livre d’Hugh Laurie que plusieurs élèves Francis Klotz, Michel Rothen. connaissent pour ses casquettes d’acteur, héros de la Vocabulaire. Klorophile a le dernier mot. 5e-6e. série Dr House, ou de chanteur. Editions à la Carte. www.klorophile.ch De l’oral à l'écrit Passage à des exercices avec un support écrit (l’atelier nure en anglais «out of the world». La suite de cet ate- livre, composé de 4 pages photocopiées). La première lier se fera un autre jour, via une démarche différente, activité permet d’évoquer l’année de parution de la Bible et se conclura par une rédaction. de Gutenberg, de rappeler la définition d’un «incunable», etc. Les tâches suivantes sont progressivement plus com- En attendant, pour terminer, Michel Rothen interroge plexes. Il s’agit notamment de créer des exemples basés les élèves pour savoir s’ils aiment lire. Voici un échan- sur la structure «verbe + livre» (dédicacer, acquérir, em- tillon des réponses: prunter des livres…) ou «livre + suite» (un livre de chevet, un livre de bord…). Certains élèves ont sorti leur ardoise «J’aime lire les journaux, parce que l’actualité m’in- magique, non pas une tablette numérique, mais une téresse.» ardoise en plastique. Lors de la mise en commun, sur le «J’aime lire les biographies pour mieux connaître cer- modèle «livre + suite», un élève propose la formulation: tains personnages.» «Un livre de Marcel Pagnol». Mon visage marque l’éton- «Je dévore toutes sortes de livres.» nement et Michel Rothen s’en aperçoit. Du coup, il m’ex- «J’aime tout, mais j’aime moins les BD.» plique que ses élèves ont vu des films d’Yves Robert et ont « J’aime bien les enquêtes policières.» lu du Pagnol. Certains disent spontané- ment avoir préféré La Gloire de mon père, La classe est globalement restée très d’autres Le Château de ma mère, d’autres « Le cours était concentrée, toutefois il y a eu plusieurs encore Manon des sources. Et un élève vivant, interactif, interruptions externes (retour d’un ajoute, n’ayant nullement l’air traumatisé: cours intensif de français, sortie pour un «On a aussi fait des dictées de Pagnol.» mêlant langue et contrôle dentaire) qui ont perturbé un Depuis peu, les élèves découvrent un nou- culture, effort et instant le rythme du cours et qui ont né- vel écrivain français. Ayant constaté que plaisir d’apprendre. » cessité un rappel à l'ordre en douceur de seulement quatre élèves avaient lu ou la part de l’enseignant pour que les élèves avaient entendu parler du chef-d’œuvre soient présents, «ici et maintenant». Le Petit Prince, c’est Antoine de Saint-Exupéry qui est désormais l’auteur abordé en classe. Michel Rothen se Le cours était vivant, interactif, mêlant langue et culture, saisit de son exemplaire dans la luxueuse collection La effort et plaisir d’apprendre. Le tout était rythmé, mais Pléiade pour expliquer la couverture, la tranche, le dos, sans agitation. L’accroche a permis de susciter la curio- les signets et la quatrième de couverture. Et soudain, il sité des élèves afin qu’ils aient l’envie d’enrichir leur tré- tient le livre par une seule page pour montrer la résis- sor langagier. Dirais-je que c’était une leçon de «réac»? tance du papier, malgré sa finesse. Plusieurs élèves s’af- Certes, Michel Rothen, peu sensible aux effets de mode folent. Assurément le livre est devenu un objet précieux des nouvelles pédagogies, intègre dans son enseigne- pour les élèves de cette classe. S’ensuivent deux exercices ment certaines approches qualifiées de traditionnelles, autour des mots de la même famille et des expressions. mais je dirais plutôt qu’il privilégie la variété des dé- Occasion pour Michel Rothen de raconter une anecdote marches et des moyens d’enseignement, déplorant la en lien avec une dédicace amusante contenant la tour- répétition du scénario identique. Résonances • Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne 11
L’efficacité par l’Enseignement Explicite F. et B. Appy la compréhension est MOTS-CLÉS : EXPLICATION • MÉTACOGNITION • vérifiée fréquemment PROGRESSION • STRUCTURATION • RÉTROACTION par de multiples solli- citations. «Ce n'est point ce que l'on a appris qui est utile, mais ce que l'on a retenu.» La mémorisation s’ob- Condorcet tient par la pratique, guidée puis auto- www.formap ex.com L’Enseignement Explicite est une démarche pédagogique nome, puis par de fré- appartenant au courant des pratiques basées sur les don- quentes révisions. La rétroaction est immédiate, elle nées probantes. Son efficacité sur les apprentissages a évite la cristallisation des erreurs. La métacognition été validée par de multiples études scientifiques portant est utilisée quotidiennement, il s’agit de l’habileté à sur de grands nombres d’élèves. La psychologie cognitive réfléchir sur sa propre pensée; elle permet de prendre et les neurosciences confirment l’adéquation des pro- conscience des processus mentaux utilisés et de parvenir cédures explicites avec le fonctionnement du cerveau. à les mettre en œuvre pour mieux apprendre. Le «père» de l’Enseignement Explicite est Barak Rosen- L’Enseignement Explicite se distingue des pratiques shine, chercheur américain qui, dès les années 1970, s’est constructivistes et de l’enseignement traditionnel ma- intéressé aux actions pédagogiques des enseignants gistral, à la fois par les résultats obtenus, par les modes efficaces auprès de publics variés, pour les modéliser. d’action et par la validation scientifique. C’est une mé- Puis, les Canadiens Clermont Gauthier, Steve Bisson- thode pédagogique efficace pour tous les élèves, no- nette et Mario Richard ont fait connaître ces pratiques tamment ceux issus de milieux défavorisés. Elle s’ap- au monde francophone, dans les années 2000. plique à tous les niveaux et à toutes les disciplines. Principes de base: expliquer tout ce qui peut l’être, en- Pourquoi alors l’Enseignement Explicite n’est-il pas en- seigner de manière progressive, aller du simple vers le core systématiquement adopté partout? Simplement, complexe, veiller à la maîtrise des connaissances préa- parce que les données probantes n’ont pas encore droit lables, pratiquer avec abondance, fournir de la rétroac- de cité en éducation et que les politiques éducatives tion, éviter toute surcharge cognitive, utiliser la méta- continuent de préconiser des méthodes notoirement cognition, avoir de hautes ambitions pour les élèves, inefficaces. En matière de pédagogie, l’idéologie l’em- pratiquer le renforcement positif. porte encore sur les preuves tangibles. L’Enseignement Explicite s’appuie d’abord sur une bonne Pour en savoir plus, visitez le site francophone de ré- gestion de classe, préalable indispensable pour créer férence de l’Enseignement Explicite: Form@PEx [www. un environnement favorable à l’enseignement et aux formapex.com]. apprentissages. Les règles de classe sont celles de l’en- seignant, qui explique et enseigne de manière expli- cite les comportements attendus. Une fois établies ces conditions propices, on peut se consacrer à la gestion LES AUTEURS des apprentissages. Le but est l’acquisition durable et solide de connaissances et d’habiletés, dont la conju- Françoise et Bernard Appy gaison représente les compétences. Compréhension et Françoise et Bernard Appy ont mis maintien en mémoire sont indissociables et revêtent une en pratique la Pédagogie Explicite dans leurs classes dès 2006. égale importance en Enseignement Explicite. La phase du modelage (de «modèle») est celle des explications, Résonances • Mars 2015 12 Mensuel de l’Ecole valaisanne
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