Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Compréhension de la lecture - Résonances

La page est créée André Martins
 
CONTINUER À LIRE
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Compréhension de la lecture - Résonances
Résonances
M E N S U E L D E L’ E C O L E V A L A I S A N N E

                                             Compréhension
                                              de la lecture

                                              N°1 • Septembre 2015
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Compréhension de la lecture - Résonances
d’apprendre avec
                            vos élèves.
    FLEXIBLE                                                                                           GRATUITE
 6UJMJTF[DFRVJWPVT                                                                            -BDDÇTÀMFOTFNCMF
FNCMFQFSUJOFOUQPVS                                                                             EFMÄDPTZTUÇNFFTU
 WPUSFQSPHSBNNF                                                                                        HSBUVJU

                                                           LUDIQUE
                                                                                                                                                                                   academy
                                                         7PVTMFTFOWPZF[
                                                         KPVFSÀEFTKFVY
                                                             WJEÄPT

3FOEF[WPVTTVS

academy.alimentarium.ch

                                                                                                                                       Le 1er éco-système numérique pour
                                                                         Musée de l’alimentation Food Museum Museum der Ernährung      apprendre la digestion et l’alimentation.
                         shutterstock.com © karelnoppe

                                                            Découvrez le 1er écosystème D’apprentissage
                                                               numérique combinant Des moocs et
                                                                    Des jeux péDagogiques !
                                                          Conçu pour les enseignants et les élèves de 8 à 16 ans, Alimentarium Academy pro-
                                                          pose un mode d’apprentissage inédit avec des supports de cours, des vidéos d’ex-
                                                          perts et des jeux pédagogiques pour apprendre les fondamentaux de l’alimentation
                                                          et la nutrition de manière active et ludique.

                                                                               inscrivez votre classe en ligne et suivez ses progrès en direct !
                                                                                                                                                    www.alimentarium.academy

                                                                                                                                    Musée de l’alimentation - www.alimentarium.ch
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Compréhension de la lecture - Résonances
ÉDITO

L’aventure du texte
Le lecteur a souvent tendance à croire que les messages écrits sont transparents          «Entre
et que l’intention de l’auteur peut aisément être décodée par le destinataire.            Ce que je pense
Douce illusion!                                                                           Ce que je veux dire
Quiconque a fait des études littéraires et donc régulièrement trituré des textes          Ce que je crois dire
pour en percevoir les sens cachés sait parfaitement que l’interprétation a ses            Ce que je dis
limites, car les signes langagiers peuvent être délicats à décoder et il n’est pas        Ce que vous avez envie
toujours simple de replacer le message dans son contexte, d’autant que le                 d'entendre
glissement interprétatif n’est jamais loin. Malgré de bons réflexes d’analyse en          Ce que vous entendez
situation d’études de texte, l’on reste souvent démuni avec la communication              Ce que vous comprenez
dans d’autres situations, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Dans une conversation,        Il y a dix possibilités
on ne peut guère réécouter, mais à la lecture d’un texte que l’on peut relire, il         qu'on ait des difficultés
n’est pas possible d’interagir au fil des mots avec l’émetteur du message, pour           à communiquer.
construire le sens. Bref, dans tous les cas, la compréhension est une aventure            Mais essayons quand
complexe et passionnante, car laissant un espace de liberté interprétative. Même          même...»
la loi est sujette à une lecture à niveaux multiples.                                     Bernard Werber

Pour prendre conscience de l’importance de l’effort de compréhension en
situation de lecture et intégrer la notion de coopération textuelle, l’une des
meilleures tactiques consiste probablement à écrire, en ayant des destinataires
réels. Les réactions des lecteurs permettent vite d’avoir davantage conscience
des distorsions de la compréhension. Parfois, le commentaire est vexant, car
il démontre une expression insuffisante de ses intentions, par manque de
clarté énonciative ou par confusion mentale dans l’expression de ses idées.
Un mot à double sens, le flou d’un adjectif, une ponctuation erronée, une
métaphore opaque, un paradoxe non élucidé et hop, le sens échappe à tout
contrôle. Il arrive aussi que l’on peste contre le lecteur, car il n’a rien compris
ou comprend selon son ressenti, alors que c’était pourtant clair ou du moins le
croit-on, car entre ce que l’on veut exprimer et ce que l’on exprime, le message
peut s’obscurcir. Seule certitude, c’est que la compréhension de lecture est
un processus complexe qui nécessite un questionnement permanent. A noter
que les mots ne sont pas les seuls à pouvoir subir des dérapages interprétatifs
entre émission et réception: c’est également le cas des images, qu’il s’agisse de
photographies, de dessins de presse ou de vidéos.

Pour percevoir l’étendue des incompréhensions de la lecture de textes et
d’images, il suffit de lire les multiples commentaires suite aux articles sur les sites
internet des grands médias. Souvent, la bataille devient interprétative, chacun
étant persuadé d’avoir tout capté, quelquefois même sans avoir pris le temps de
la lecture et encore moins de la relecture. Tandis que certaines interprétations
sont cohérentes, d’autres sont carrément farfelues, en grande partie parce que
                                                                                                  Nadia
le lecteur manque de vocabulaire, omet le contexte, n’a pas les outils pour tenir                             R
compte de l’implicite…
                                                                                                               ev
                                                                                                                  az

Toutes ces difficultés rencontrées par des adultes en situation de lecture suffisent
à se convaincre de l’absolue nécessité d’un apprentissage plus systématique des
principaux mécanismes qui la régissent, tant du point de vue de l’auteur que du
lecteur.

Bonne lecture de ce dossier sur la compréhension de la lecture.

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                     1
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Compréhension de la lecture - Résonances
Sommaire
ÉDITO                                                               DOSSIER
L’aventure du texte      1		       N. Revaz                         Compréhension de la lecture               4 – 13

RUBRIQUES
Du côté de la HEP-VS     18    Comment réussir à faire aujourd’hui ce qui pourrait être fait demain? - P. Gay

Sciences de la nature    20    «Ah… L’EAU, c’est fini!» - C. Keim

Réseau de la formation   22    Chantal Tièche Christinat, à la tête d’un Labo sur l’accrochage scolaire - N. Revaz

Ecole-culture            24    Valais composé – Ein Kanton im Werden: le DVD - A. Rey

Ecole-culture            25    Journées expérimentales au Musée de la nature du Valais - B. Murisier Vielle

Ecole-culture            26    Passez à l’Acte! - N. Grieve

Education musicale       27    Nouveauté pour favoriser le chant à l’école - B. Oberholzer & J.-M. Delasoie

AC&M                     28    Construire un phare - D. Salamin Muller

Version courte           29    Au fil de l’actualité - N. Revaz

Education physique       30    Matériel tip-top en ordre - Team animation EP

Echo de la rédactrice    31    De la contradiction - N. Revaz

Langues                  32    Deuxième langue et technologies - A. Bourban Luy / R. Wyssen

CPVAL                    34    Retraits dans le cadre du 2e pilier à travers une fable de La Fontaine - P. Vernier / T. Adler

Livres                   36    La sélection du mois - Résonances

Revue de presse          38    D’un numéro à l’autre - Résonances

Rencontre du mois        40    Solenne Berthod Borcard, nouvelle enseignante - N. Revaz

INFOS
Infos DFS                42    Les infos de la rentrée - N. Revaz

Infos SE                 45    Répartition des arrondissements et des commissions de branches - Service de l’enseignement

Infos SE                 46    Mise en œuvre de l’Ordonnance sur l’évaluation - P. Antille

Infos SE / OES           48    Liste des personnes ressources - Office de l’enseignement spécialisé

Infos SE                 49    «Planète Religions»: nouveau moyen d’enseignement en 9H (1CO) - Service de l’enseignement

Infos / visages du SE    50    Laura Vouardoux, collaboratrice administrative au SE - N. Revaz

Les dossiers             52    Les dossiers de Résonances

                                                                                          Résonances • Septembre 2015
2                                                                                         Mensuel de l’Ecole valaisanne
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - Compréhension de la lecture - Résonances
Compréhension de la lecture

    Lire. Encore faut-il          4   Lire, c’est comprendre…
                                      Eveline Charmeux
                                                                12   Effet enseignant
                                                                     et enseignement explicite
    comprendre les textes                                            Steve Bissonnette
    et les images qu’on lit!          Lire, … une
    Et pour comprendre, il faut   6   pluridisciplinarité
                                                                14   Des stratégies éducatives
    apprendre. Ce dossier             de compétences                 pour un monde d'images
                                      Jasmine Purnode                Bruno Devauchelle
    de rentrée propose
    quelques réflexions
    et pistes pratiques pour
                                  9   Et si on décortiquait
                                      une phrase                16   La compréhension
                                                                     de la lecture
                                      en «idées»?                    à hauteur d’élèves
    améliorer la compréhension
                                      Stéphane Hoeben                Nadia Revaz
    de la lecture des élèves,
    petits ou grands. Et nous
    sommes tous apprenants.

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                             3
Lire, c’est comprendre…
Eveline Charmeux

MOTS-CLÉS : RELATIONS, OPÉRATIONS MENTALES

Savoir lire et savoir écrire sont des savoirs subver-
sifs, potentiellement dangereux pour le Pouvoir,
car ils rendent libres ceux qui les maîtrisent. Durant
des siècles, seuls quelques privilégiés, au sommet de
l’échelle sociale, y avaient accès.
Avec l’arrivée de l’Ecole, dont la mission est de les en-
seigner à tous les enfants, la Société a pris grand soin
de se protéger contre ce danger. Et le premier moyen          C’est aussi comprendre le message.
pour cela a été d’installer des pratiques d’enseigne-
ment limitées au déchiffrage oralisé pour la lecture et,      Si, avec un peu de sérieux, on analyse l’acte de lire et
pour l’écriture, aux non-textes que sont les rédactions       si l’on cherche ce qui se passe quand on prétend «com-
scolaires. Pour être plus efficace encore, il suffisait de    prendre ce qu’on lit», on découvre rapidement tout
focaliser toute l’attention sur la lecture dite d’évasion,    ce que cette tradition feint d’oublier.
qualifiant d’ennuyeuses les lectures de réflexion, qui
constituent toujours une menace pour l’ordre établi.            Lire n’est pas vraiment un «savoir», mais plutôt un
C’est ainsi que, depuis que l’école existe, on pose             «outil pour savoir». Différence capitale, car, si c’est
                            comme évident un appren-            un outil, le but visé n’est pas sa connaissance, mais

          «Lire, c’est tissage      qui commence par les
                            unités minimales de l’écrit,
                                                                la capacité à s’en servir. Quand on achète une per-
                                                                ceuse, ce n’est pas pour la connaître, mais pour pou-
comprendre, donc pourtant abstraites et diffi-                  voir l’utiliser! Or, apprendre à utiliser un outil, cela
   apprendre à lire, ciles: les lettres et leurs rela-          se fait au cours d’une situation précise, dont dépend
                            tions avec les sons de la pa-       le mode d’emploi. Il est impossible d’apprendre à se
  c’est apprendre à role orale, pour identifier                 servir «à vide» d’un outil.
 comprendre. Oui, les mots du texte. Certes,                    De la même manière, on peut dire que, si com-
  mais comment?» on admet que cette identi-                     prendre ce qu’on lit, c’est être capable de se servir
                            fication ne suffit pas à sa-        de ce qu’on a lu pour réaliser un projet (que ce projet
                            voir lire, qu’il faut aussi         soit la confection d’un gâteau, la connaissance des
apprendre à comprendre ce qu’on a identifié, mais               intentions d’un ami, la confirmation d’une opinion,
ceci correspond à une seconde étape, dont les détails           ou le plaisir de rêver avec un récit d’aventures ima-
stagnent dans un flou savamment entretenu.                      ginaire), il est impossible d’apprendre à lire ailleurs
                                                                qu’en situation de lecture effective.
On sait l’importance des débuts d’un apprentissage
pour la maîtrise ultérieure: cette tradition des appren-        Exactement comme la perceuse qui exige des em-
tissages premiers est largement responsable des dif-            bouts et des mandrins différents selon les matériaux
ficultés rencontrées par les enfants plus tard, car elle        concernés, les situations de lecture s’effectuent à
installe des habitudes totalement contraires au com-            l’aide d’«objets à lire», différents selon les projets:
portement de lecteur efficace, ce qui compromet gra-            livres, ouvrages documentaires, catalogues, bro-
vement l’acquisition des stratégies de compréhension.           chures, journaux, magazines, affiches, etc. dont le
Ces pratiques, en effet, prennent pour argent comp-             fonctionnement est différent. Si bien que la conduite
tant la célèbre définition du Littré de jadis: «Lire, c’est     de lecture varie à la fois selon les objets à lire et
assembler des lettres pour former des sons». Une défi-          selon les projets visés: celle-ci n’est pas la même, si
nition qui fait bien sourire les lecteurs d’aujourd’hui,        le projet est de «pouvoir faire», d’«apprendre» ce
qui savent bien qu’ils ne font pas ça du tout quand             qu’on lit, ou de «s’évader» dans le rêve.
ils lisent.                                                     Il est clair que la connaissance de ces différences

                                                                                            Résonances • Septembre 2015
4                                                                                           Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

  est indispensable à la compréhension, et qu’un tra-          que je sais de ce que je reconnais? Mon hypothèse
  vail sur elles devrait être présent dès le début des         de signification est-elle logique?
  apprentissages premiers, et donc être repris, si cela
  n’a pas eu lieu.                                           Ce sont des activités de raisonnement déductif et par
  On sait, notamment par les travaux des chercheurs          inférence.
  en pédagogie de l’EPS (P. Parlebas, R. Mérand, J. Ei-      Or, la lecture linéaire, immédiate, apprise au CP, et
  senbeis et bien d’autres), que l’apprentissage d’une       qui doit comprendre au fur et à mesure que les mots
  activité est indissociable de la situation où elle s’ef-   sont identifiés empêche complètement ce travail, qui
  fectue, dans la complexité de tous ses paramètres.         implique d’aller chercher des indices un peu partout
  On n’apprend pas les choses les unes après les autres,     dans le texte.
  mais les choses dans les relations qui les unissent.       Il faut donc modifier ces habitudes nocives chez les
                                                             enfants et leur apprendre à commencer toujours par
  D’autres aspects importants sont oubliés également,        une exploration de l’ensemble du texte afin d’installer
  à propos de l’écrit.                                       un «horizon d’attentes» et permettre la formulation
  D’abord, les problèmes relatifs à la langue ne se li-      d’hypothèses de signification que la lecture linéaire
  mitent pas à la relation lettres-sons, le «code». En       viendra ensuite valider ou infirmer.
  fait, c’est tout le fonctionnement de la langue qui est    Il faut aussi les habituer à justifier ce qu’ils pensent
  différent de celui de l’oral, vocabulaire et syntaxe;      avoir compris, pour prendre conscience que leur com-
  le travail sur «le code» est loin d’être primordial.       préhension est leur interprétation, que l’on peut tou-
  Ensuite, comprendre ne se limite pas aux mots du           jours discuter, et sur laquelle il importe d’argumenter.
  texte; il faut toujours comprendre plus que ce qui est     Loin d’être ce «machin» ânonnant, qu’est la fausse
  écrit. Si je vois écrit: «Sortie» au-dessus d’une porte,   «lecture à haute voix», trop souvent installée par
  ce n’est pas un mot à identifier, c’est un message à       l’école, lire met en jeu, outre l’intelligence, le célèbre
  interpréter, dont l’essentiel n’est pas écrit. Aucun       «doute méthodique» cher à Descartes, la clé de l’esprit
  message n’est compréhensible uniquement avec               scientifique et de l’honnêteté.
  l’identification des mots qui le constituent.
  On mesure le danger qu’il y a à faire croire que la        Où l’on voit qu’une pédagogie intelligente est tou-
  compréhension d’un message arrive toute seule, dès         jours, en même temps, instruction et éducation.
  qu’on en a identifié les mots: au collège, beaucoup
  d’enfants en sont encore là.
  Il importe donc de faire découvrir que rien, ni dans          L'AUTEURE
  la lecture, ni dans le foot, n’est mécanique. Tout ap-        Eveline Charmeux
  prentissage se fait dans l’intelligence et la conscience      Ancienne élève de l’Ecole Normale
  (sinon, ce n’est pas de l’apprentissage, c’est du condi-      Supérieure de Sèvres, agrégée de
                                                                grammaire classique, a enseigné la
  tionnement). Même pour lire un panneau dans la
                                                                didactique du français, durant trente-cinq ans,
  rue, il faut réfléchir.                                       d’abord à l’Ecole Normale d’Instituteurs d’Amiens,
                                                                puis à celle de Toulouse, ainsi qu’à l’IUFM de cette
                                                                ville. Elle fut aussi enseignant-chercheur associé à
Réfléchir comment, et par quelles opérations                    l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP)
mentales?                                                       de Paris, travaillant sur tous les problèmes relatifs à
                                                                l’apprentissage de la langue orale et écrite.
En fait, ces opérations mentales (automatisées, certes,
mais non mécaniques) sont des mises en relation de
trois sortes de données, débouchant sur une prise de           LE DOSSIER EN CITATIONS
décision dûment justifiée:
  le projet de lecture: qu’est-ce que je cherche?               Compréhension et interprétation
                                                                «Dans un mouvement itératif, le lecteur s’éloigne
  les détails perçus dans l’ensemble du texte et dans les       du texte (compréhension) et s’en rapproche
  mots: les lettres qui composent ces derniers (surtout         (interprétation) pour constamment changer sa
  celles qui ne correspondent à aucune prononciation,           perspective et l’adapter à la fois à ses connaissances
  car ce sont les plus importantes pour le sens: dans           et aux signes tirés du texte.»
  le mot «poids», la lettre à repérer, c’est le «d»!), la       Erick Falardeau in Compréhension et interprétation:
  mise en page, la ponctuation, la présence ou non              deux composantes complémentaires de la lecture
  d’images ou de graphiques, etc.                               littéraire (Revue des sciences de l’éducation, 2003)

                                                                www.erudit.org/revue/rse/2003/v29/n3/
  les connaissances antérieures du lecteur et son es-           011409ar.html
  prit critique: qu’est-ce que je reconnais? Qu’est-ce

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                             5
Lire, … une pluridisciplinarité
de compétences
Jasmine Purnode

                                                                    cueillis par la vision et qui implique à la fois des traitements
MOTS-CLÉS : DÉCHIFFRER, COMPRENDRE,                                 perceptifs et cognitifs. L’efficacité de la lecture dépend princi-
OBSTACLES                                                           palement de deux éléments: les capacités d’identification des
                                                                    mots écrits et l’accès au sens de ces éléments. Ces deux facteurs
                                                                    étant essentiels à la lecture, si l’un des deux mécanismes est
Des définitions autour du «savoir-lire», il y en a beaucoup. En     déficient, un trouble de la lecture s’ensuivra: dyslexie, hyper-
voici une, recueillie auprès d’enfants de 6 à 11 ans, à propos      lexie; trouble de la compréhension.»
de leur conception de la lecture, qui me plaît davantage et
qui a accroché ma curiosité:                                        En effet la lecture demande de traiter à la fois le COMMENT
«Lire, c’est déchiffrer, comprendre, s’évader, prendre du plai-     et le POURQUOI, c’est une activité qui requiert simultanément
sir, répondre à la demande de l’école, se trouver face à des        une pluralité de connaissances ET d’habiletés intellectuelles.
textes, des images.»
Savoir lire, c’est pouvoir traiter de manière autonome les écrits
                                                                    Pour décoder, s’approprier un lexique
de sa langue (ou d’une autre qu’on maîtrise suffisamment) en
                                                                    et comprendre un enfant doit pouvoir:
vue de les comprendre: la compréhension est le but, le traite-
ment de l’écrit est le moyen, l’écrit est la «matière première».      Identifier les sons dans les mots: c’est la phonologie
                                                                      Connaître la relation phonème/graphème
                                                                      Maîtriser la lecture directe et indirecte
Mais encore?
                                                                      Constituer un lexique orthographique
«La lecture peut être définie comme une activité psychosen-           Posséder un stock lexical précis et étendu
sorielle qui vise à donner un sens à des signes graphiques re-        Comprendre la signification d’un mot grâce au contexte

                                                                                                     Résonances • Septembre 2015
6                                                                                                    Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

  Savoir catégoriser les mots                                       car il nous manque le lexique, les concepts inhérents à la lec-
  Avoir conscience qu’un mot peut appartenir à plusieurs ca-        ture de ces textes.
  tégories
  Avoir des représentations mentales                                L’enfant comprend toujours quelque chose car comprendre
  Avoir une conscience syntaxique et savoir sur qui, quand,         est transitif.
  comment, où, pourquoi?                                            Le produit est spécifique dans la mesure où il est attaché à une
  Comprendre la chronologie (notion qui se termine à 12 ans)        phrase ou un texte, les processus sont communs à toute lecture.
  Comprendre le système de pronoms et d’anaphores
  Savoir utiliser le langage d’évocation
                                                                      Dispositif proposé par Luc Maisonneuve
  S’appuyer sur ses connaissances culturelles en vue de pos-
                                                                      pour apprendre à comprendre
  séder une culture littéraire, scientifique, sociale
  Comprendre l’implicite
                                                                      SE POSER les 6 questions:
                                                                      Qui? Où? Quand? Quoi? Comment? Pourquoi?
Pour les enfants, «savoir-lire» c’est principalement déchiffrer.
En les interrogeant, on s’aperçoit qu’il y a peu de références
sur la compréhension. Les enfants pensent que progresser en
                                                                    Le produit: 3 axes servent d’orientation
lecture c’est lire plus vite, de manière plus fluide, mais peu se
                                                                    aux objectifs:
demandent comment faire pour mieux comprendre.
                                                                      L’axe narratif: l’histoire, les personnages
                                                                      L’axe figuratif: le monde représenté
Qu’est-ce que comprendre, au fait?
                                                                      L’axe idéologique: situations, problèmes et systèmes
Lire, c’est chercher du sens. Personne ne lit pour lire, nous         de valeurs
lisons pour un objectif qui se trouve en dehors de l’activité
elle-même, mais cet objectif final passe par la compréhen-
sion du texte lu.
                                                                       LE DOSSIER EN CITATIONS

«Comprendre, c’est une démarche active par laquelle l’esprit
                                                                       Objectifs affectifs, culturels
s’approprie, fait sienne une connaissance. Mais comprendre,            et interculturels
c’est aussi développer la faculté de construire des liens lo-          «Un enseignement efficace de la compréhension est
giques, de mettre ensemble des éléments dans une constel-              celui qui permet à l’élève d’apprendre à partir du
lation d’éléments disparates dans une recherche globale et             texte mais aussi, et surtout, qui lui donne accès à
cohérente de sens, selon Michel Fayol.                                 d’importants domaines de connaissances ainsi qu’un
Pour Cèbe et Goigoux, comprendre se définit comme la capa-             moyen d’atteindre des objectifs affectifs, culturels et
cité à construire à partir des données d’un texte et des connais-      intellectuels.»
sances antérieures, une représentation mentale cohérente de            Marie Gaussel in Lire pour apprendre, lire pour
la situation évoquée par le texte.                                     comprendre (Dossier de veille de l’IFÉ, n° 101, mai.
Pour Joseph Stordeur, cela se résume à donner de la place à            Lyon: ENS de Lyon)
la réflexion, permettre à l’enfant d’élaborer dans le temps ses
outils mentaux nécessaires à l’apprentissage et accéder à la           http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.
compréhension. Il est important de lui donner du temps pour            php?parent=accu eil&dossier=101&lang=fr
souvent répéter ainsi et l’aider ensuite à favoriser les évoca-
tions personnelles                                                     La compréhension, dixit le PER
                                                                       «Aider les élèves à mieux comprendre en les incitant à:
Comment apprend-on à comprendre?                                         ralentir, poursuivre la lecture, relire un mot, une
L’enfant doit être capable de décoder une phrase, un texte,              phrase, un paragraphe
d’en dégager les informations explicites et implicites de type           effectuer des liens avec leurs propres connaissances
«présupposé», informations partagées = compréhension, puis               gérer la perte éventuelle de compréhension
d’inférer de ces informations des informations plus person-              faire des inférences
nelles, implicites de type «sous-entendu» = interprétation.              utiliser les stratégies de lecture
                                                                         recourir au décodage lors de la rencontre de mots
L’ensemble de ce travail doit produire une lecture cohérente.            inconnus
                                                                         confronter des interprétations entre pairs
Il est possible de lire dans sa propre langue, de décoder un             lire à haute voix de manière expressive.»
texte en philosophie ou un texte scientifique, d’en connaître          www.plandetudes.ch/web/guest/L1_21
tous les mots, mais assemblés ils ne nous amènent pas au sens,

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                                    7
Le processus: il s’appuie sur 5 types                                    Il a du mal à mettre en relation les éléments sémantiques.
de transactions:                                                         Il oublie au fur et à mesure ce qu’il vient de lire.

    Textuelles et iconiques, stratégies de compréhension; d’in-        «Le verbe ‘’lire’’ ne supporte pas l’impératif. Aversion qu’il
    terprétation: précisions, clarifications; révisions explicites-    aime partager avec quelques autres: le verbe ‘’aimer’’, le verbe
    implicites = présupposé                                            ‘’rêver’’.» Daniel Pennac dans Comme un roman.
    Intertextuelles: scénarios déjà rencontrés dans des livres,
    des films, etc.                                                    Le premier objectif face à un enfant qui présente une difficulté
    Personnelles, appel au «vécu», à l’environnement familier          à entrer dans la lecture est de lui amener le goût, le plaisir,
    des enfants                                                        l’envie, la curiosité de lire, afin qu’il se place comme acteur
    Critiques et réflexives, évaluation, rapport au système de         de sa propre lecture.
    valeurs personnel
    Expressives, créatives, les représentations, les projections       La lecture est un phénomène qui n’épargne pas la phase de
                                                                       l’apprentissage du décodage qui, pour certains enfants, reste
Afin d’aider l’enfant à apprendre à comprendre, toutes sortes          une tâche pénible, longue et semée de contraintes liées à plu-
de jeux, de livres, de textes interactifs sont à sa portée.            sieurs facteurs intrinsèques et contextuels de l’enfant.
L’adulte, tant enseignant que parent, a un rôle de «question-
neur» et doit rendre sa pensée «réflexive», en lui suggérant           MAIS LIRE c’est découvrir le monde, alors belle découverte!
les questions ad hoc à ses hypothèses de compréhension.
                                                                       Références
                            Déjà auprès de l’enfant petit, les             Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, Apprendre à lire à
                            parents apportent cette lecture ré-            l’école, Retz, 2006
«Lire,                      flexive quand ils leur lisent un livre,        Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, Lector et Lectrix,
c’est chercher              ce sont eux qui l’amènent à se poser           Apprendre à comprendre des textes narratifs, Retz,
du sens.»                   des questions, c’est toujours dans             2009
                            l’échange autour de ce qui est lu que          Gérard Chauveau, Comment l’enfant devient lecteur,
                            la curiosité de l’enfant est interpelée.       Retz, 2004
                                                                           André Giordan et Jérôme Saltet, Apprendre à
A l’heure où l’iPad ou iPhone est à l’honneur et devient le jeu            apprendre, Librio, 2007 (réédition 2015)
numéro 1 des familles, choisi souvent par un contenu attrac-               Joseph Stordeur, Comprendre, apprendre,
tif, le feedback nécessaire à l’échange relationnel est inexis-            mémoriser - Les neurosciences au service de la
                                                                           pédagogie, Editions de Boeck, «outils à enseigner»,
tant. C’est de cet échange que naît la réflexion, les questions-
                                                                           2014
réponses nécessaires au développement cognitif de l’enfant.
                                                                           Luc Maisonneuve et Sylvain Brégardis, «Je lis et
                                                                           j’écris avec Tyl et ses amis», Belin
C’est ce qu’on appelle en systémique la co-construction, tant
                                                                           Marie Lallouet, «Mon enfant n’aime pas lire,
dans l’apprentissage du langage oral que de l’écrit, l’enfant
                                                                           comment faire?», Bayard Jeunesse, les petits guides
a besoin de l’adulte pour lui donner un retour sur ce qu’il dit,           J’aime lire, 2007
lit, comprend du monde.                                                    «Patati: Une histoire pour apprendre à comprendre»
                                                                           www.declickids.fr, histoire numérique
Quels sont les freins à la compréhension?                                  www.lireplus.ch
                                                                           Yak Rivais, 140 jeux pour lire vite (Je m'amuse en
Les causes possibles des difficultés de la lecture:                        lisant avec mes parents), Retz, 1990
  L’enfant «attaque» le texte écrit sans avoir identifié le type
  d’écrit.
  Il commence le travail d’identification des mots et le traite-
                                                                           L'AUTEURE
  ment des phrases sans s’interroger sur le contenu (pas d’évo-
  cation) sans la volonté de savoir ce que l’histoire raconte.             Jasmine Purnode
  Il traite chaque mot écrit, l’un après l’autre, séparément,              est logopédiste, responsable
  sans regarder et sans jamais parcourir des yeux l’ensemble               du CDTEA de Monthey
  de la phrase.
  Il a du mal à déchiffrer-décoder de nombreux mots.
  Son stock lexical est si restreint qu’il ne trouve plus au début
  que des petits mots ou des mots familiers (niveau des ap-                              Pour aller plus loin
  prentissages fondamentaux).                                                Pearltree Résonances en lien avec le dossier
  Il essaie de traiter chaque mot sans tenir compte du contexte                         http://goo.gl/NY7CZ3
  et des contraintes syntaxiques et sémantiques.

                                                                                                       Résonances • Septembre 2015
8                                                                                                      Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

Et si on décortiquait
une phrase en «idées»?
Stéphane Hoeben

                                                         de communiquer un ensemble d’informations au lec-
MOTS-CLÉS: SENS, ORGANISATION,                           teur. Voici quelques définitions pour soutenir cette
CONSCIENTISATION                                         idée d’agglomérat sémantique à segmenter pour
                                                         comprendre le sens de chacun ainsi que le sens de
                                                         leur mise en liaison.
Depuis une dizaine d’années, beaucoup d’écrits
abordent la lecture de l’inférence et/ou de l’impli-      «La phrase est un mot ou un groupe de mots por-
cite. Tout en reconnaissant l’intérêt de ces apports,     teurs d’un sens suffisant pour la communication.»
les enseignants rencontrés ont attiré mon attention       (Houziaux)
sur ce que j’appellerais un «niveau plus basique» de
la compréhension: la compréhension de l’explicite,        «C’est par phrases que nous pensons et que nous
soit des infos énoncées dans une phrase.                  parlons; la phrase est un assemblage logiquement
                                                          et grammaticalement organisé en vue d’exprimer un
Aujourd’hui, je pense que dans les classes, un travail    sens complet: elle est la véritable unité linguistique.»
spécifique, très fréquent et sur une longue période,      (Grevisse. Le bon usage, 8e éd., 1964)
devrait être proposé sur la reconnaissance de l’expli-
cite dans une phrase.                                     «La phrase est l’unité de communication linguis-
                                                          tique: c’est la suite phonique minimale par laquelle
En effet, une phrase est souvent un ensemble de           un locuteur adresse un message à un auditeur.»
mots organisés grammaticalement qui permettent            (Goosse-Grevisse. Le bon usage, 12e éd., 1986)

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                  9
«La phrase est le plus petit énoncé offrant un sens        ou à l’étranger, afin de conscientiser les enseignants
  complet.» (Deloffre)                                       à cette double nécessité, je propose la consigne sui-
                                                             vante: «Merci de décomposer cette phrase en 8 idées
Ce qui caractérise ces 4 définitions c’est le critère de     (8 propositions)»
complétude. Comme le souligne l’auteur de l’ouvrage
cité «Deloffre et Grevisse font référence à la notion de
                                                             Hier matin, la grand-mère de Julie est partie
"sens complet" tandis que les deux autres définitions
                                                             à la mer du Nord en train.
invoquent ce critère, en postulant l’existence d’une li-
mite inférieure en deçà de laquelle, même si des mots        Bien entendu, j’accueille toutes les réponses ci-contre
sont juxtaposés, ils n’en forment pas une phrase.»           car les adultes/enseignants se trouvent eux aussi en ap-
                              Ce passage par des réfé-       prentissage… sur le concept d’idée et sur la conscien-
                              rents théoriques confirme      tisation de leur niveau de langue dans l’expression de
«Un travail                   le principe qu’une phrase      l’idée. Je propose de commenter des réponses obtenues
spécifique devrait            (sauf si elle ne comporte      (cf. tableau ci-contre).
être proposé sur              qu’un mot, et encore!) est
                              composé d’unités séman-        Vous constatez par vous-même la diversité dans l’expli-
la reconnaissance             tiques «constituantes»         citation de la compréhension. Ainsi, des enseignants
de l’explicite dans d’une unité plus complexe.               amenés à apprendre à lire (comprendre) un texte, for-
                              Ainsi donc, chaque phrase      mulent eux-mêmes toutes ces assertions.
une phrase.»                  lue ou entendue est consti-    Pourquoi? Parce qu’aucun d’entre nous n’a bénéficié de
                              tuée d’un certain nombre       cet apprentissage: le «passage» de la phrase aux idées
d’idées. Celles-ci peuvent être reconnues séparément         et la «conscientisation» de ses niveaux de langue dans
mais également former, selon leur ajustement gram-           l’explicitation de la compréhension.
matical ou intonatif, des sens supplémentaires.
                                                             Ces propos ouvrent des perspectives didactiques:
En d’autres mots: «Une phrase, c’est comme un mur
formé de briques distinctes. Chaque brique a son uti-            Celle de distinguer infos explicites et implicites
lité et la manière de les agencer forme une colonne,
un muret,…»                                                      Celle de reconnaître quand on propose une hypo-
Je viens simplement d’exprimer ce que chacun a vécu              thèse (qui ne peut être confirmée)
dans sa scolarité de façon «sauvage» à travers des «lec-
tures silencieuses» ou des «questionnaires de lecture».          Celle d’être conscient que l’on projette ses sentiments
En effet, j’ai le souvenir de ces textes que nous rece-          plutôt que de lire vraiment
vions à lire et à propos desquels nous devions répondre
à diverses questions.                                            Celle de distinguer «inférence pragmatique» et «in-
Il s’agissait pour nous d’effectuer un lien entre «l’idée        férence logique»
exprimée par la question» et «l’idée exprimée dans le
texte». Sous cette activité traditionnelle, le lecteur de-       Faut-il un enseignement formel de chaque «niveau»
vait montrer sa double compétence:                               de verbalisation? la reformulation identique, la pa-
                                                                 raphrase ou la synonymie, l’usage d’un terme géné-
  celle de retrouver une idée dans une phrase (dans un           rique…
  texte)
                                                             N’hésitez pas à demander une information plus com-
  celle de comprendre la paraphrase entre les mots de        plète (8 pages), via stephane.hoeben@skynet.be
  la question et les mots du texte car à juste titre, pour
  éviter une simple discrimination visuelle, l’auteur du     Note
  questionnaire n’utilisait pas les mots du texte.           1
                                                                 Extraites de l’ouvrage «De la phrase aux énoncés: grammaire
                                                                 scolaire et descriptions linguistiques, De Boeck/Duculot
Quand apprenions-nous cela de façon organisée? Jamais.

Certains voyaient leurs compétences existantes perfec-
tionnées par l’effet de répétition chaque lundi matin,            L'AUTEUR
d’autres apprenaient de façon intuitive et enfin d’autres
                                                                  Stéphane Hoeben
encore obtenaient chaque semaine la confirmation de
                                                                  est consultant en éducation
leur incompétence en lecture.
Aussi, lors de chaque formation en lecture en Belgique

                                                                                              Résonances • Septembre 2015
10                                                                                            Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

    Réponses d’enseignants                              Commentaires de ma part

                                   Idée formulée en utilisant les mots de la phrase. C’est facile pour l’élève
   Il s’agit d’une grand-mère.
                                   de s’y retrouver.

                                   On ne le dit pas dans le texte. Bien sûr, l’inférence pragmatique (liée au
   Elle est malade.                vécu) peut amener cette idée mais il s’agit plus d’une hypothèse créée
                                   par le lecteur que d’une information fournie par l’auteur.

                                   En fait il y a deux idées: c’était hier et précisément au matin. Le lecteur
   Cela se passe hier matin.
                                   doit apprendre cette distinction.

                                   L’explicitation des idées est systématiquement paraphrasée par un
   On sait «C’est qui?
                                   lexique interrogatif. Il s’agit d’un autre niveau de langue qui demande
   C’est où? C’est quand?»
                                   un apprentissage explicite pour certains apprenants.

                                   L’idée est exprimée par un synonyme ou un autre ensemble de mots
   C’était avant midi.
                                   (paraphrase) construit sur la définition du mot «matin».

                                   On ne le dit pas dans le texte. Bien sûr, l’inférence pragmatique (liée au
   Il devait faire beau.           vécu) peut amener cette idée mais il s’agit plus d’une hypothèse créée
                                   par le lecteur que d’une information fournie par l’auteur.

                                   Le texte ne le dit pas explicitement mais l’inférence logique (ici basée sur
   Julie n’est pas du voyage.      la grammaire) amène à affirmer que Julie n’est pas du voyage. Sinon, on
                                   aurait eu tendance à dire: «Julie et sa grand-mère…»

                                   A nouveau, deux idées sont exprimées: Il s’agit d’une mer (lieu) et son
   Elle se rend à la mer du Nord
                                   nom c’est «du Nord».

                                   Ici, le lecteur exprime un retentissement personnel (émotionnel) face au
                                   message. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Un certain nombre d’indivi-
   Moi, je n’aime pas la mer.
                                   dus doivent apprendre à quitter leur rapport «égocentrique» au monde
                                   pour comprendre l’extérieur.

                                   L’idée est exprimée par un autre ensemble de mots. Il s’agit de l’usage
   Son moyen de locomotion,
                                   d’un terme générique. Le lecteur qui s’exprime ainsi change de niveau
   c’est le train.
                                   de langue pour une certaine généralisation. Certains élèves ont besoin
                                   d’apprendre cela.

                                   On ne le dit pas dans le texte. Cette idée est créée par l’inférence prag-
   Elle ne sait plus conduire.
                                   matique ou un retentissement émotionnel face à une personne âgée.

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                     11
DOSSIER

Effet enseignant
et enseignement explicite
Steve Bissonnette

MOTS-CLÉS : MODELAGE, PRATIQUE GUIDÉE,
PRATIQUE AUTONOME

Il y a de cela une quarantaine d’années, on considé-
rait encore que l’enseignant représentait une variable
négligeable dans la réussite scolaire des élèves. On
attribuait à des facteurs périphériques à l’école, tel
le milieu socio-économique, un rôle primordial. Or, à
la suite de nombreuses études réalisées depuis, on a
maintenant pu mettre en évidence ce qui est désormais
appelé l’effet enseignant.

En effet, des recherches empiriques utilisant la méta-
analyse et d’autres études mesurant la «valeur ajoutée»
de l’enseignant ont réussi à comparer et à mesurer de
manière fine l’impact de différents facteurs sur la per-
formance scolaire des élèves (Gauthier, Bissonnette et
Richard, 2013). Ces recherches ont montré que l’ensei-
gnant jouait un rôle important pour favoriser l’appren-         Lors d’épreuves de compréhension de lecture, l’enseignement explicite
tissage des élèves, et ce, particulièrement auprès de           a montré des effets positifs sur les jeunes lecteurs à risque d’échecs.
ceux pour qui l’école doit faire une différence, soit les
élèves en difficulté et ceux à risque d’échecs.                 cite sont ceux qui produisent les gains d’apprentissage
                                                                les plus élevés auprès des élèves qui leur sont confiés.
                                                                Une méga-analyse ayant synthétisé les résultats prove-
Effet enseignant
                                                                nant de 362 recherches, publiées entre 1963 et 2006, im-
Dans une publication récente, Hattie (2012) présente            pliquant au-delà de 30 000 élèves a également montré
une synthèse de plus de 900 méta-analyses ayant étu-            l’efficacité supérieure de l’enseignement explicite sur
dié l’impact de différents facteurs sur le rendement des        les apprentissages en lecture, en écriture et en mathé-
élèves. Cette étude représente la recherche la plus im-         matiques auprès des élèves en difficulté et de ceux à
posante publiée en éducation ayant analysé rigoureu-            risque d’échecs (Bissonnette, Richard, Gauthier et Bou-
sement l’effet de différents facteurs sur le rendement          chard, 2010). De même, une étude québécoise récente
des élèves. Hattie (2012) a identifié et classé, selon les      (Turcotte, Giguère et Godbout, 2015) a montré les effets
effets mesurés, une centaine de facteurs ayant un im-           très positifs de l’enseignement explicite des stratégies
pact sur le rendement des élèves. Ces différents facteurs       de compréhension de lecture auprès de jeunes lecteurs
ont ensuite été regroupés en six grandes catégories: 1-         à risque d’échecs. «Ce projet de recherche mené en mi-
les facteurs reliés à l’élève, 2- les facteurs liés au milieu   lieu défavorisé a impliqué 20 enseignants de la 4e à la
familial, 3- les facteurs associés à l’école, 4- les facteurs   6e année du primaire. Ces derniers se sont engagés à
reliés à l’enseignant, 5- les facteurs liés au curriculum,      enseigner des stratégies de compréhension de lecture
6- les facteurs associés aux méthodes d’enseignement.           de façon explicite aux élèves à partir de textes courants
Or, ce sont les facteurs reliés à l’enseignant qui arrivent     venant de diverses sources. En septembre 2012 et en
bons premiers.                                                  avril 2013, leurs élèves (n=273) ainsi que des élèves ve-
                                                                nant de classes ne recevant pas l’intervention (n=101)
De plus, des études récentes ayant mesuré la valeur             ont répondu à une épreuve de compréhension de lec-
ajoutée de l’enseignant (Grossman et al., 2010, 2011)           ture. Les résultats suggèrent que les élèves des classes
ont montré que ceux qui utilisent l’enseignement expli-         avec intervention [enseignement explicite], beaucoup

                                                                                               Résonances • Septembre 2015
12                                                                                             Mensuel de l’Ecole valaisanne
DOSSIER

plus faibles en début d’année, rattrapent l’écart qui les     que cette modification des pratiques d’enseignement
sépare des élèves des classes sans intervention en fin        favorise la mise en œuvre de stratégies dont l’efficacité
d’année » (Turcotte et al., 2015, p. 106).                    sur le rendement des élèves a été montrée rigoureuse-
                                                              ment comme c’est le cas pour l’enseignement explicite!
Enseignement explicite
L’enseignant qui enseigne explicitement évite l’impli-
cite et le flou qui pourraient nuire à l’apprentissage.       Références
Pour y arriver, il ou elle met en place un ensemble de             Bissonnette, S., Richard, M., Gauthier, C. et Bouchard, C.
mesures de soutien aidant les élèves dans leur processus        (2010). Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces
d’apprentissage. Ces mesures de soutien ou d’étayage            favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des
passent par les actions de dire, de montrer et de gui-          élèves en difficulté de niveau élémentaire? Résultats d’une
der les élèves dans leur apprentissage. Dire, au sens de        méga-analyse. Revue de recherche appliquée sur l’appren-
                                                                tissage, 3(1), 1-35.
rendre explicites pour les élèves les intentions et les ob-
jectifs visés par la leçon. Dire, aussi au sens de rendre         Gauthier, C., Bissonnette, S., et Richard, M. (2013). Ensei-
explicites et disponibles pour les élèves les connaissances     gnement explicite et la réussite des élèves. La gestion des
antérieures dont ils auront besoin. Montrer, au sens de         apprentissages. Québec: Éditions du Renouveau Pédago-
rendre explicite pour les élèves l’accomplissement d’une        gique Inc.
tâche en l’exécutant devant eux et en énonçant le rai-
sonnement suivi à voix haute. Guider, au sens d’ame-              Grossman, P. (2011). Protocol for Language Arts Teaching
ner les élèves à rendre explicite leur raisonnement im-         Observations. Document téléaccessible à l’URL: www.gse.har-
                                                                vard.edu/ncte/news/NCTE_Conference_PLATO_Grossman.pdf
plicite en situation de pratique. Guider, aussi au sens
de leur fournir une rétroaction appropriée, afin qu’ils           Grossman, P., Loeb, S., Cohen, J., Hammerness, K., Wyc-
construisent des connaissances adéquates avant que les          koff, J., Boyd, D., et Lankford, H. (2010). Measure for mea-
erreurs ne se cristallisent dans leur esprit. La fonction       sure: The relationship between measures of instructional
principale de ces mesures de soutien est d’éviter de sur-       practice in middle school english language arts and tea-
charger la mémoire de travail des élèves.                       chers’ value-added scores. Working paper 16015. Document
                                                                téléaccessible à l’URL: www.caldercenter.org/upload/CAL-
L’enseignement explicite se divise en trois étapes sub-         DERWorkPaper_45.pdf
séquentes: le modelage, la pratique guidée ou dirigée
                                                                  Hattie, J. A. (2012) Visible learning for teachers. Maximi-
et la pratique autonome ou indépendante. L’étape du
                                                                zing impact on learning. New York: Routledge.
modelage a pour but de favoriser, auprès des élèves, la
compréhension de l’objectif d’apprentissage; celle de              Turcotte, C., Giguère, M.H. et Godbout, M.J. (2015). Une
la pratique dirigée leur permet d’ajuster et de conso-          approche d’enseignement des stratégies de compréhension
lider leur compréhension dans l’action; finalement, la          de lecture de textes courants auprès de jeunes lecteurs à
dernière étape, la pratique autonome, fournit de mul-           risque d’échouer. Language and literacy, 17(1), 1–20.
tiples occasions d’apprentissage nécessaires à la maîtrise
et à l’automatisation de connaissances. Ainsi, l’ensei-
gnant modèlera au départ, devant les élèves, ce qu’il             L'AUTEUR
faut faire, pour ensuite les accompagner en pratique
                                                                  Steve Bissonnette
dirigée afin qu’ils s’exercent à leur tour, de façon à ce
                                                                  enseigne au niveau universitaire
qu’ils soient capables, en bout de course, d’accomplir
                                                                  depuis 2008. Il a commencé sa
seuls la tâche en pratique autonome. Le questionne-               carrière à l’Université du Québec
ment ainsi que la rétroaction devront être constants              en Outaouais, au département de
tout au long de la démarche pour s’assurer que les ac-            psychoéducation. Depuis juin 2012, il
tions effectuées par les élèves seront adéquates.                 est professeur à l’unité d’enseignement
                                                                  et de recherche en éducation de la Télé-Université.
Conclusion                                                        Son domaine de spécialisation est l’intervention en
Les résultats provenant de diverses études montrent               milieu scolaire. Pendant plus de 25 ans, il a travaillé
l’effet déterminant de l’enseignant sur l’apprentis-              auprès des élèves en difficulté et du personnel
sage des élèves, particulièrement auprès de ceux qui              scolaire dans les écoles des niveaux primaire et
                                                                  secondaire ainsi qu’en centre jeunesse. Il s’intéresse
éprouvent des difficultés. Ainsi lorsque l’objectif d’un
                                                                  aux travaux sur l’efficacité de l’enseignement et
système éducatif est la réussite du plus grand nombre
                                                                  des écoles, à l’enseignement explicite, à la gestion
d’élèves, nous pensons qu’une modification des pra-               efficace des comportements ainsi qu’aux approches
tiques d’enseignement est une condition sine qua non              et moyens pédagogiques favorisant la réussite des
pour l’atteinte d’un tel objectif. Cependant, afin de             élèves en difficulté.
permettre au plus grand nombre de réussir, il importe

Résonances • Septembre 2015
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                               13
Vous pouvez aussi lire