Retour sur la Berlinale 2019

La page est créée Jean-Paul Dufour
 
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Retour sur la Berlinale 2019
Dieter Kosslick va quitter ses fonctions à la tête de la Berlinale après dix-huit ans.
Ce festival qui se tient chaque année depuis 1951 dans la cité allemande est le
troisième en Europe, après Cannes et Venise, et est sans doute le plus populaire.
Interfilm et Signis, les deux institutions qui nomment les membres des jurys
œcuméniques, lui ont remis un prix d’honneur. Lors de la réception œcuménique,
Dieter Kosslick a lancé un vibrant appel aux Églises, en disant que les films font
écho aux problématiques du monde et qu’il convient de les entendre et de
s’engager pour plus de justice et de solidarité.

Il a notamment expliqué : « Des institutions, comme l’Église catholique et le
Vatican, se taisent à propos de l’abus de milliers d’enfants par des prêtres. Elles
continuent d’interdire l’homosexualité. La Berlinale a pris ce thème à cœur
depuis longtemps. Il y a quatre ans, c’est le film chilien El Club, qui a gagné le
grand prix du jury. Malheureusement, le thème reste d’actualité. Il est temps que
ce ne soit pas uniquement des réalisateurs qui parlent de cette problématique,
mais que l’Église prenne enfin l’initiative. » Le film de François Ozon (lire
page 17) a d’ailleurs été récompensé par le grand prix du jury. L’Ours d’or a été
attribué à Synonymes, de l’Israélien Nadav Lapid.

Un duo plus jeune va prendre la suite de Kosslick. Il s’agit de l’Italien Carlo
Chatrian, actuel directeur du Festival de Locarno, et de la Hollandaise Mariette
Rissenbeek, actuelle directrice de German Films qui représente les intérêts des
productions allemandes à l’étranger.

Ensemble, ils devront faire face à de nombreux défis : faire revenir les stars
américaines, cohabiter avec les plates-formes productrices de contenus vidéo
comme Netflix, poursuivre l’exigence de découverte cinématographique…
Cinéma : la pédophilie au grand
jour dans “Grâce à Dieu”
Grâce à Dieu n’est nullement un film à charge : il n’apporte pas de réponse mais
pose beaucoup de questions », expliqueson réalisateur, François Ozon. Avec son
nouveau long-métrage, il s’attaque à l’affaire des victimes du père Preynat, prêtre
lyonnais accusé en 2016 d’agressions sexuelles sur de jeunes garçons dans les
années 1980-1990.

Alexandre, cadre quadragénaire, catholique engagé, vit à Lyon avec sa femme et
ses cinq enfants. Un jour, il découvre par hasard que ce prêtre, qui a abusé de lui
aux scouts, officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat,
rejoint par François et Emmanuel qui ont subi les mêmes horreurs, pour « libérer
la parole ». Leur quête de la vérité ne va laisser personne indemne.

Le film décrypte méthodiquement la bataille d’Alexandre, qui fait face à l’omerta
de l’Église catholique, et à l’incompréhension de ses proches. Derrière le scandale
médiatique et les controverses actuelles autour de la diffusion du film, François
Ozon, comme à son habitude, tisse délicatement des lignes de vie brisées, partant
de la fragilité pour dresser la trajectoire d’un combat implacable.

Avec pudeur et sans porter de jugement, il dresse un certain état des lieux de
l’Église catholique dans le pays, plus particulièrement à Lyon, premier centre de
la chrétienté en Gaule, grand carrefour de l’œcuménisme, mais où règne aussi un
vrai conservatisme.

François Ozon, nourri par l’éducation catholique de sa jeunesse, évoque son film
en référence à la fragilité masculine, son idée de scénario de départ. C’est en
croisant l’actualité de l’affaire Preynat sur le site des victimes initié par Alexandre
– La Parole Libérée –, que tout commence. « J’ai lu des témoignages d’hommes
abusés dans leur enfance au sein de l’Église, dont un qui m’a particulièrement
touché : celui d’un fervent catholique qui racontait son cheminement jusqu’à ses
quarante ans, âge où il a enfin pu parler… » Le cinéaste mène alors une enquête
méthodique auprès des victimes et de leur entourage. « Je ne filmais pas mais
j’écoutais, je prenais des notes. Je n’ai rien inventé concernant les faits
proprement dits. L’important pour moi était de raconter l’intimité d’hommes
meurtris dans leur enfance et de raconter l’histoire de leur point de vue de
victimes. »

Il montre le film à un prêtre qui conclut : « Ce film peut être une chance pour
l’Église si elle s’en empare, pour assumer enfin la réalité de la pédophilie et
l’affronter une fois pour toutes. »

L’ambition de Grâce à Dieu consiste à donner voix à des hommes blessés par la
pédophilie et à dresser leurs portraits par touches successives.

Coup de gong en ouverture du film : un homme d’Église en tenue de cardinal – le
cardinal Barbarin – avance lentement, de dos, vers la métropole. La caméra le suit
en travelling alors que, dans une pose christique, l’ecclésiastique semble dominer
la ville qui s’étend à perte de vue, en toute impunité. Si le public va devoir
regarder les trois victimes droit dans les yeux durant plus de deux heures, ce
n’est pas le cas du cardinal qui lance le récit lorsque apparaît sobrement le titre
Grâce à Dieu à l’écran. Une allusion au mot terrible de Philippe Barbarin
interrogé sur l’affaire : « Grâce à Dieu, les faits sont prescrits »…

Label d’utilité publique
La construction subtile du récit reste traditionnelle. Elle entremêle habilement les
points de vue des trois personnages principaux, aux horizons sociaux et culturels
complètement différents. C’est la véracité de ces points de vue qui fait la force du
film.

Un souci quasi documentaire pourrait décerner à Grâce à Dieu un label d’utilité
publique. « C’est dur, car c’est vrai, les personnages touchent… » dit une
spectatrice, à la fin de la projection.
Lors des scènes d’échanges entre les victimes et le père Preynat, le prêtre
prédateur, qui ne niera à aucun moment les charges retenues contre lui, est
montré comme un homme démuni face à ses agissements. Il se définit à chaque
fois comme « malade ». Loin de l’image symboliquement religieuse des premières
secondes, on bascule du coup dans une nouvelle mise en scène conduite à
hauteur d’homme.

Et l’on quittera ce film aussi intense que poignant par une porte de sortie bien
différente de celle par laquelle on est entré.

À voir :
Grâce à Dieu
film de François Ozon, 2h17, en salles.

Tremblements et rédemption –
l’édito de Nathalie Leenhardt
Que se passe-t-il dans nos vies quand tout semble s’effondrer ? Quand on a le
sentiment qu’il faut atteindre le fond de la piscine pour donner le coup de pied
salvateur et remonter à l’air libre ? C’est bien l’impression que donne aujourd’hui
l’Église catholique…

Procès de Lyon, religieuses abusées, enquête sur les mœurs au Vatican : les
accusations pleuvent. Certes Philippe Barbarin paie certainement pour ses
prédécesseurs puisque lui-même, semble-t-il, a toujours incité ceux qu’il recevait
à aller porter plainte devant la justice civile. Mais il faut bien que, aux yeux du
monde, quelques-uns endossent la responsabilité des crimes d’une institution
dont ils sont partie prenante. Il faut surtout que les victimes soient réellement
entendues, longuement, pleinement. Leur calvaire est aujourd’hui présenté dans
une fiction Comment oublier ce « grâce à Dieu, les faits sont prescrits » prononcé
par ce même Philippe Barbarin, qui donne son nom au film de François Ozon ? On
se souvient du fameux Spotlight qui décrivait le système de « captation » de
jeunes enfants et l’infâme secret dans les cures de Boston… Désormais, les caves
s’ouvrent et ce qui en sortira ne sera pas beau à voir. D’autres sont concernés. Il
n’est que de lire sur notre site les révélations sur la Convention baptiste du Sud.
Là point de prêtres mais des pasteurs mariés et pères de famille… Là encore, un
mélange d’autorité dévoyée, de toute-puissance et de culture du secret. Faut-il
pour autant tout rejeter ?

Évidemment non et on pense à tous ces prêtres formidables qui ont accompagné
tant et tant de jeunes dans leur vie de foi et qui sont pris dans l’amalgame. En
France, la Commission indépendante d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église
a déjà présenté sa méthode de travail et sa volonté de mettre en lumière un
système. À Rome, le pape accueille cette semaine des victimes. Puisse le pire
périr et le meilleur – l’Évangile – surgir…
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