Retraites, relever le défi - Economie et politique
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12 Les dossiers d’économie et Politique Retraites, relever le défi C’est après 18 mois d’une « presque concerta- tion » que le gouvernement devrait adopter le cadre d’une réforme systémique des retraites. Les annonces du commissaire à la réforme prévues initialement avant le 14 juillet ont eu quelques dif- ficultés à être rendues publiques dans les temps. Des débats internes à la majorité gouvernementale de droite LR/LREM ont eu du mal a être tranchés. Certains exigent une nouvelle réforme paramé- trique classique pour récupérer au plus vite dans le budget de l’État les financements des pensions. Beaucoup appelant alors à durcir dès le prochain PLFSS la future réforme, en allongeant d’ores et déjà l’âge de départ à la retraite à 64 ans, en rédui- sant le bénéfice des droits non contributifs,… Là où J.-P. Delevoye et d’autres, appuyés par certaines organisations syndicales, prônent de laisser faire la réforme systémique qui réduira par construction, en un peu plus de temps mais sans risques poli- tiques apparents pensent-ils, la part de la richesse produite consacrée à la rémunération des pen- sions. Si ce débat en apparence technique et d’experts peut donner le sentiment d’approches différentes à droite, l’illusion fait long feu lorsqu’on analyse les deux types de propositions. Si chacun en France a déjà pu faire l’expérience amère des réformes paramétriques, qui ont reculé l’âge légal de départ en retraite ou l’âge du bénéfice d’une retraite à taux plein, réduit le montant des pensions de base et le pouvoir d’achat des pensions, durci les conditions d’octroi des droits non contributifs, le fondement de la réforme systémique proposée par J.-P. Delevoye au gouver- nement travaille une amplification des régressions et une volonté de reconfigurer notre système de retraite solidaire et par répartition, pour lui substituer un principe contractuel tourné vers la capitalisation. Clairement, la réforme déposée sur le bureau de Matignon par J.-P. Delevoye affirme la conception de classe d’un système de retraite au service du capital. à l’instar de la logique qui affecte tous nos services publics, elle amplifie la réorien-
Retraites, relever le défi 13 tation de la dépense publique et sociale vers la rémunération du capital. Il ne s’agit plus de répondre aux besoins de la population, mais bien d’assurer que la richesse produite soit, autant que faire se peut, consacrée à la rémunération du capital. La réponse collective aux besoins sociaux ne doit pas peser sur la croissance des profits, quitte à réduire le niveau de cette réponse et refonder sa nature. La part de la richesse produite consacrée au financement des retraites doit donc être canton- née à un niveau qui ne gênera pas cette croissance. Et pour cela, il faut se débarras- ser du modèle actuel et se doter d’outils institutionnels qui assureront une limitation pérenne du niveau des pensions. C’est ce que fait la réforme systémique proposée par le gouvernement. En posant comme hypothèse de construction du système que la part du PIB consacrée aux retraites ne devra plus dépasser 14 % (il est de 13,8 % aujourd’hui), et cela malgré la hausse du nombre de retraités à venir qui fait dire au Conseil d’orientation des retraites qu’à périmètre de prestations constant il faudrait y consacrer 16 % de PIB en 2050, la réforme proposée entérine sciemment une réduction du niveau des pensions par tête et l’obligation pour les retraités (présents ou futurs) de recourir à d’autres formes de revenus pour compenser le manque. Elle met ainsi fin par construction à toute référence à un âge légal de départ à la retraite, à toute durée de cotisation requise pour un départ à taux plein, au principe de solidarité intergé- nérationnelle et interprofessionnelle, et même au principe de répartition. Quel que soit le format qui sera adopté (retraite par points, dont la valeur varie en fonction des besoins d’équilibre financier du système ; retraite par comptes notionnels dont le modèle est la rente viagère), c’est bien une réforme systémique qui est visée dont l’objectif est de mettre à bas les grands principes de 1945. Cette réforme fait bien évidemment écho à toutes les attaques contre nos services publics locaux et nationaux, comme à toutes les attaques contre la Sécurité sociale et l’Assurance chômage. Elle constitue une nouvelle atteinte, profonde et grave, contre notre modèle social, et tout particulièrement ses dimensions progressistes. Néanmoins, l’ampleur de cette attaque oblige à lever le niveau de la riposte. Le retour au passé, fut-il celui du CNR, n’y suffira pas. Il y a besoin d’inventer un nou- veau système des retraites (et de Sécurité sociale) pour notre temps, qui réponde aux conditions économiques, sociales, sociétales et démographiques d’aujourd’hui en prolongeant l’esprit et les valeurs des créateurs de la Sécurité sociale de 1945. Economie et politique/mai-juin 2019/778-779
Les dossiers d'économie et Politique 14 Réforme des retraites Contre le projet de démolition Macron-Delevoye, imposer une nouvelle innovation sociale et démocratique Frédéric Boccara Le système prétendument juste et simple présenté par Jean-Paul Delevoye est une entreprise de démolition au service du grand capital financier et de ses intérêts dont E. Macron est un représentant patenté. C e projet de réforme Un système où la formation fait capital (actionnaires, fonds d’in- des retraites appau- partie intégrante de l’acquisition vestissement, fonds de pension, vrira les retraités de droits. Un système qui incite grandes banques,…). Se sentant dans leur immense à développer l’emploi de qualité. menacé par la crise qui vient, il majorité, même s’il contient Nous nous emploierons à faire veut protéger à tout prix ses pro- quelques « filets de rappels » pour connaître ces propositions, me- fits égoïstes, quitte à faire plonger les plus pauvres. Il ne permettra ner le débat avec les forces sociales, tout le monde et la planète avec, pas plus de clarté, ni plus de les travailleurs et tous les citoyens, en limitant les richesses dévolues à justice, ni l’équilibre financier les forces de gauche : Conserva- une retraite non marchande. du système sur longue période, tion ? Conciliation-Aménage- La réalité c’est que l’immense et encore moins d’équité, sauf à ments ? ou Réforme profonde ? Il majorité des travailleurs, salariés interpréter la généralisation d’une s’agit d’éclairer sur les enjeux et ou indépendants, du public ou du pension médiocre comme un pro- de chercher à converger sur une privé, travaillera plus longtemps grès vers l’équité. Il ne répond pas réforme cohérente, à la hauteur et touchera des pensions réduites. aux défis humains et économiques des défis actuels. La question du L’hypocrisie du projet d’E. Macron de notre temps : allongement de la financement est nodale. consiste à faire croire que l’âge légal durée de vie, nouvelle maîtrise des de départ à la retraite n’est pas temps de vie pour des mobilités de Les communistes s’emploieront dans le même temps à construire remis en cause, alors qu’il crée les progrès (éducation, emploi, for- conditions d’être obligé de conti- mation, vie sociale, vie familiale, un front unifié contre ces projets du gouvernement. Nous partici- nuer à travailler, voire à cumuler retraite), développement de la pension et travail. Ces gens-là base emploi-formation et salaires perons à toute initiative permet- tant d’avancer en ce sens. jouent sur les mots et jouent avec de la protection sociale pour une la vie des gens : que vaut un âge- nouvelle efficacité, combat contre pivot si on est obligé de continuer la précarité généralisée et une Qu’est-ce que recouvre ce à travailler jusqu’à 70 ans ? C’est un croissance prédatrice au service de projet de réforme ? hold-up sur les meilleures années la finance, entrée dans une autre La clé de voûte du système de vie à la retraite, doublé d’un relation avec les entreprises, déga- Macron-Delevoye ? Tout ramener hold-up sur les richesses créées par gement de financements nouveaux Economie et politique/ mai-juin 2019/778-779 à un seul paramètre : la valeur du les travailleurs. Dans tous les pays et accrus. point, qui sera imprévisible car où ces systèmes par points ont Nous nous y opposons et pro- elle variera et sera déterminée été instaurés, cela s’est soldé par posons une autre réforme de chaque année par un aréopage des régressions sociales de grande progrès social, avec un volet technocratique, de façon à imposer ampleur voire des défaillances du financier, un volet démocratique, que les dépenses pour les retraites système lui-même (en Suède : âge une unification de progrès des par répartition se limitent à 14 % moyen de départ à 66 ans, niveau régimes, une simplification et le du PIB, voire moins. Il s’agit de vie des plus 65 ans inférieur de respect des principes de solidarité de rassurer le grand capital, les 15 % à celui de l’ensemble de la intergénérationnelle et interprofes- « investisseurs financiers interna- population alors qu’il est le même sionnelle, des prestations connues, tionaux » et de les nourrir. Ainsi, en France, pensions équivalentes à une réelle transparence. Un sys- en revanche, le niveau de pension seulement 53 % du salaire de fin tème responsabilisant et appuyant restera indéfini, avant de liquider de carrière, système « débranché » les entreprises pour une tout autre ses droits, de même que l’âge de pendant un an). croissance et activité, car les pen- cessation effective du travail. Outre cela, la pension sera calculée sions sont financées par un pré- Nous dénonçons une réforme au sur les salaires tout au long de la lèvement sur les richesses créées. service de la rapacité du grand durée d’activité ce qui débouchera
Retraites, relever le défi 15 nécessairement sur leur diminu- tion de richesses en s’appuyant tion, sous l’impulsion d’Ambroise tion. C’est « ceinture et bretelle » sur les capacités humaines. Nous Croizat, demande aujourd’hui pour le capital et ses profits ! sommes face à un véritable enjeu une nouvelle innovation sociale La réalité, c’est une complexité en- de société et de civilisation. et démocratique. core plus grande avec un système Nos propositions visent à entrer La démocratie est d’ailleurs la par points bourré d’exceptions, dans une dynamique de pro- grande absente de la concertation avec des points supplémentaires, grès pour emmener toutes les qu’a menée le gouvernement. Cela parfois des points « bonifiés », entreprises vers une autre logique. risque bien d’être la grande absente d’autres fois des points en moins, D’abord le financement : il faut des décisions à prendre, renvoyées voire des malus, etc. augmenter la masse de cotisations, selon toute probabilité à des Les préconisations de Jean-Paul de façon juste et efficace. Pour cela, « ordonnances ». Et c’est l’absente Delevoye inventent une répartition il faut un nouveau financement. quasi certaine du nouveau système sans solidarité avec un système qui, Premièrement, il faut mettre à où un conseil technocratique tout au long de la retraite, reproduit contribution les revenus financiers décidera du principal (le point, et amplifie toutes les inégalités de des entreprises et des banques. sa valeur) poursuivant la ligne carrière et n’offre aucune visibilité Taxés à 10 % cela apporterait plus constante depuis 1967 (interrom- sur le niveau des futurs droits par de 30 Mds € au nouveau système. pue transitoirement en 1982) de rapport au salaire. La pension Deuxièmement, pour pousser dessaisir les intéressés de la gestion pourra diminuer d’une année sur l’assiette salaires et la base emploi du système. l’autre en fonction des évolutions de financement du système de Enfin, à l’opposé des projets économiques et démographiques. retraites, il faut pénaliser les entre- ultramarchandises, individualistes prises qui diminuent l’emploi et la et inégalitaires, qui vont pousser Le PCF dénonce ce projet masse salariale, en leur imposant les salariés à se faire encore plus un taux de cotisations plus élevé. concurrence, il s’agit d’ouvrir le et veut éclairer sur sa Cela favorisera les entreprises s’en- logique chantier du développement d’un gageant dans une autre logique, véritable service public du troi- Il avance des propositions cohé- car elles supporteraient un taux sième et du quatrième âge. rentes pour une réforme alter- normal sur une assiette élargie. Il native, dont notre système a tant faut en outre une réorientation du En guise de conclusion besoin, permettant de dégager crédit bancaire aux entreprises et d’ici 5 ans entre 70 et 90 milliards de la politique monétaire. pour l’action d’euros supplémentaires, d’assurer Oui, il faut une innovation ! Pour- Les mois à venir permettront d’enga- la possibilité de partir effective- tant, pour certains, le financement ger une bataille politique et idéolo- ment à partir de 60 ans, avec une ne serait pas un enjeu, n’exige- gique sur les richesses créées et leur pension digne, tout en ayant la rait pas d’innover. D’un côté, répartition. Notre système actuel de liberté de continuer de partir plus J.-P. Delevoye prétend que le finan- retraites est déstabilisé, rendu plus tard si on le souhaite, d’assurer cement est assuré par l’actuelle inégalitaire, cloisonné, non démo- un réel droit à la formation tout croissance faible et empoisonnée ? cratique et de moins en moins lisible au long de la vie pour chacune et C’est une supercherie ! C’est ignorer par les attaques successives depuis le chacun, de même qu’à un emploi l’appauvrissement en marche de début des années 1990. digne, épanouissant et sécurisé. Un tous les retraités et l’ampleur du Nous voulons engager un grand système plus unifié. chômage comme de la précarité débat national sur le système de La logique de la bataille sur les dont le système est malade. Mais, retraites avec nos propositions retraites ? C’est un combat majeur de l’autre, il serait illusoire de s’en pour une tout autre réforme. Et de toute la société face au capital remettre à une simple hausse du dès à présent, nous sommes dispo- financier d’une part sur la réparti- taux des cotisations (salariales ?). nibles pour toute action de riposte tion des richesses, d’autre part sur C’est faire fi sur l’ampleur du besoin et constituer un front uni d’action l’utilisation des richesses par les quantitatif et du changement contre la régression Macron-De- entreprises : les entreprises doivent- qualitatif nécessaire, comme des levoye et pour faire gagner une elles utiliser les richesses pour nour- obstacles dressés par les multinatio- alternative progressiste. Economie et politique/mai-juin 2019/778-779 rir le capital et les profits égoïstes ou nales. Le financement est une pierre Les organisations progressistes pour développer avec l’ensemble des de touche du débat d’alternative doivent débattre pour chercher à richesses une production visant à pour imposer comme logique du converger sur une réforme cohé- libérer du temps de vie épanoui et système le développement de la rente, au niveau des défis actuels. en bonne santé, au-delà du travail ? base emploi, salaires et capacités C’est l’appel que nous lançons. Pour cela, les défis majeurs du humaines, et donc pour développer En animant dès à présent, partout chômage (y compris le sous-em- le temps émancipé. Il ne s’agit pas dans le pays, une grande cam- ploi), de l’écrasement des capacités seulement de répartir un gâteau pagne nationale sur la question des humaines, de la financiarisation et donné, mais de produire un gâteau retraites. C’est l’objectif que le PCF de l’irresponsabilité des grandes élargi et plus sain, avec une autre s’est fixé avec des initiatives dès son entreprises et groupes multinatio- recette. université d’été de la fin août et lors naux doivent être relevés. Ce sont Ainsi, à l’opposé du statu quo, de la prochaine fête de l’Humanité. ceux d’une toute autre production, les communistes proposent une Les animateurs de la commission d’un tout autre développement réforme de progrès social, pour un économique et de la revue Économie visant un but social et écologique nouvel âge du système de retraites. et Politique s’y emploient et s’y en même temps qu’une produc- Ce qui a été possible à la Libéra- emploieront pleinement.
Les dossiers d'économie et Politique 16 Réforme Macron des retraites : une nouvelle étape dans la déstructuration du modèle social français et la construction d’un modèle ultra-libéral Catherine Mills Le gouvernement a lancé une réforme systémique des retraites. Cette réforme est une étape nouvelle des réformes de nos retraites. Elle vise à redessiner l’ensemble de l’architecture du système et à refonder l’ensemble de ses objectifs. Il s’agit bien de déstructurer notre modèle social construit après la seconde guerre mondiale et de lui substituer un système compatible avec les objectifs de financiarisation du modèle ultra-libéral. La fonction retraite : analyse théorique et empirique L es retraites : analyse et dynamique quantitativement 2017, 39,2 % des prestations. Le théorique et qualitativement (en liaison avec taux de croissance des prestations La fonction vieillesse tend les politiques familiales, de santé, d’emploi et de formation). vieillesse-survie s’accélère depuis 2000. C’est alors le poste qui à assurer le remplacement des croît le plus au sein des prestations travailleurs âgés et organiser leur sociales, dépassant largement leur retrait de l’activité professionnelle, Analyse empirique Economie et politique/ mai-juin 2019/778-779 tout en permettant le maintien Les prestations sociales liées au croissance moyenne. Mais, en liai- d’un niveau de vie suffisant au risque vieillesse-survie représen- son avec des réformes drastiques, retraité et à sa famille, notamment taient 331,4 Mds €, 14,8 % du il ralentit ensuite (3,5 % en 2012, en cas de décès où une pension de PIB, et 46 % du total des presta- 1,9 % en 2017). réversion de moitié est versée au tions sociales en 2017. La mise en place et la montée en bénéfice du conjoint survivant. charge de l’APA (allocation per- La création du système de retraite On recense ainsi 16 millions de sonnalisée à l’autonomie). Les répondait également à un objec- retraités de droit direct et 1,5 mil- dépenses de ce poste (5,8 Mds € tif de maintien de la demande lion de pensions de réversion. en 2016) se sont d’abord accrues effective contribuant à stimuler La fonction vieillesse au sens fortement + 73 % en 2003, mais la croissance économique. Elle strict comprend les pensions depuis leur croissance ralentit, en favorisait le développement de la publiques de retraite de base et de liaison avec l’arrêt de la montée productivité du travail et le renou- retraites complémentaires obli- en charge de cette prestation. La vellement de la main-d’œuvre gatoires, le minimum-vieillesse prise en charge de la dépendance vieillissante, à partir d’une main- et les aides aux personnes âgées des personnes âgées et leur main- d’œuvre plus jeune, bien formée dépendantes. Cela représente en tien à domicile apparaissent aussi
Retraites, relever le défi 17 comme une source de création Mais, il faut aussi remarquer que rité pour les personnes âgées), qui d’emplois, à condition d’assurer les femmes qui en sont les prin- remplace le minimum vieillesse. le financement nécessaire et les cipales bénéficiaires touchent de Le nombre d’allocataires conti- formations adéquates. plus en plus de droits directs en nue de baisser. Mais le nombre La fonction survie comprend raison de la progression de leur de basses retraites, ce que l’on essentiellement les pensions de taux d’activité. appelle le minimum contributif réversion, celles-ci s’élèvent à C’est aussi la diminution du de la CNAV, (moins de 85 % du 38,6 Mds € en 2017. Elles sont nombre de bénéficiaires du Smic), a augmenté. aujourd’hui menacées par de dan- minimum vieillesse. En 2007 est gereuses propositions de réforme créée l’ASPA (allocation de solida- Vers une réforme systémique des retraites. La grande marche vers un nouveau modèle ultra-libéral L es générations qui arrivent l’allongement de la durée de coti- lesse qui s’élevait à 4,5 Mds € en à l’âge de la retraite actuel- sation à 43 ans pour commencer, 2013 se réduit considérablement, lement ont dans l’ensemble pour une pension à taux plein il y a même un excédent de 1 Md € acquis des droits meilleurs que en 2035, le relèvement des coti- en 2018. Cependant, il ne faut pas les précédentes, cependant la part sations des salariés, et la marche s’en réjouir, parce que ce montant des dépenses vieillesse dans le PIB vers la fiscalisation. Tandis que le résulte des mesures régressives ne s’est élevée qu’assez lentement Comité de suivi des retraites vise prises depuis 1993 qui ont fait jusqu’à 2005, en lien avec l’effet à assurer l’équilibre comptable chuter de 2 points de PIB le niveau de génération creuse en raison de permanent des régimes, qui va être des pensions de base servies. Cela la stagnation démographique de l’instrument d’un changement de invalide l’argument d’une urgence l’entre-deux-guerres. En revanche, nature de notre système de retraite comptable qui obligerait à mettre d’ici 2040-2050, les générations universel et solidaire. Les réformes en place une nouvelle réforme du baby boom arriveront à l’âge antérieures portées par la droite régressive. En tendance, la pro- de la retraite. On passerait ainsi depuis 1993 vont être radicale- gression de la part des prestations à 24 millions de retraités. Or le ment amplifiées. Cela tendra à la vieillesse dans le PIB ne dépasserait dogme du pouvoir est de main- réduction du niveau des pensions pas 1 point de 2013 à 2020. Cela tenir la part des pensions dans le de base servies et au transfert de nécessiterait 21 Md €, dont 7,6 PIB à 14 %. la contribution sociale des entre- pour le régime général. Or, cela Aussi, loin d’être une réforme a prises vers les ménages. équivaut au coût annuel pour le minima, la réforme des retraites Cependant, la volonté de régler au budget de l’État du CICE (Crédit Macron de 2019 est d’ordre sys- plus vite la réforme des retraites ne d’impôt compétitivité emploi), témique. Le pouvoir avance d’un se justifie pas. Les risques démo- que le gouvernement a offert au pas supplémentaire et radical dans graphiques et financiers sur le patronat au titre du « choc de com- une réforme régressive visant à système sont mesurés. L’évolution pétitivité » du rapport Gallois. Un restructurer l’avenir du pays et démographique n’aura pas l’effet allégement fiscal des entreprises au Economie et politique/mai-juin 2019/778-779 à remodeler en profondeur le dramatique annoncé. Ainsi, le taux nom de la compétitivité octroyé modèle social français, particuliè- de fécondité en France était de 2,1 sans contreparties, ni contrôle rement notre système de sécurité enfants par femme en 2012. Avec fiscal. sociale. Il tente d’étouffer le débat celui de l’Irlande, il était le plus Rappelons que le financement des public. Les dites concertations élevé d’Europe (1,57 en moyenne retraites est assis sur la richesse avec les organisations syndicales dans l’UE). Mais les politiques produite dans les entreprises. et patronales reposent en réalité menées contre les familles ont Cette richesse double tous les 30 sur un duo du gouvernement avec sensiblement réduit ce taux (1,87 ans, il s’agirait de la consolider, le patronat. Une façon de tenter en France en 2018). par une croissance de l’emploi de couper l’herbe sous le pied au L’augmentation du nombre de et du nombre de cotisants à un mouvement intersyndical. retraités peut être encore com- rythme plus rapide que la crois- Les mesures avancées auparavant pensée pour une part par l’arrivée sance du nombre de retraités, ceci par F. Hollande et déployées en d’actifs sur le marché du travail. contribuent à fournir des moyens grand par E. Macron trouvent Aussi, le coût des retraites ne serait d’assumer nos retraites futures. leurs bases dans le rapport Moreau pas « abyssal ». Le déséquilibre du Les choix gouvernementaux visent de juin 2013. Celui-ci confirme régime général de la branche vieil- pourtant la précipitation afin de
18 Les dossiers d'économie et Politique “ Le passage aux comptes notionnels ou par renflouer les caisses de l’État sur le modèle solidaire, universel et points achèvera le dos de la Sécurité sociale et au par répartition de notre système de profit du patronat et des marchés. retraite construit dès 1946. Ainsi, le changement Le dit équilibre des comptes sera le Comité de suivi des retraites, de logique de donc un objectif affiché essentiel. composé d’experts dits « indé- Retraités et actifs seront les grands pendants », avait pour mission notre système de perdants de ces réformes. d’assurer l’équilibre financier à retraite. Le rapport Moreau avait envisagé moyen et long termes des régimes les besoins de financement de la de retraite, en faisant évoluer en branche vieillesse pour un mon- permanence les paramètres, les tant global de 13,6 Mds €, dont critères et les modes de calcul 10,6 Mds € pour les ménages, soit 7 Mds € imputables aux retraités, 3,6 Mds € aux actifs. Et des pensions. Ses conclusions pouvaient être transposées sans négociations avec les organisations “ 3 Mds € pour les entreprises. Au syndicales, ni débat public national, final, dans le plan Hollande, les dans les lois de financement de ménages seraient ponctionnés à la Sécurité sociale. L’objectif hauteur d’au moins 2,3 Mds € serait d’« éviter une réforme tous dès 2014, et de 7,3 Mds € en les 3 ou 4 ans », aussi durée de 2020. En revanche, le Medef est cotisation, âge légal ouvrant droit épargné. On est bien loin d’un à pension, niveau de la pension partage équitable des efforts de servie, modalités d’indexation… financement des retraites, malgré seraient constamment évolutifs. Cette option institutionnelle austéritaires de la Commission une hausse des cotisations sociales européenne et au programme de employeurs retraite, neutralisée en peu discutée mais essentielle ferait alors de la réforme des réforme structurelle des retraites 2014, afin de « ne pas peser sur le de la Banque mondiale. Toutes coût du travail et leur compéti- retraites une réforme systémique d’ampleur. Cette « Règle d’or » deux (avec le FMI et l’OCDE) tivité ». La logique de baisse du revendiquent la mise en place coût du travail s’intensifie avec appliquée aux régimes de retraite entérinerait en effet définitivement d’un système de retraite multi- Macron en la plaçant au centre de piliers : retraite obligatoire de base sa réforme du financement de la le plafonnement systématique des pensions servies au nom de publique, retraite obligatoire d’en- protection sociale, de la branche treprise par capitalisation, retraite famille à la branche retraite. On l’équilibre des comptes, pour le plus grand bonheur des individuelle par capitalisation. remet en cause aussi le nouveau financement du compte pénibilité complémentaires privées. Les introduit en 2013 et on ouvre assurés sociaux n’ayant d’autres Vers un nouveau la voie à une réforme régressive choix que de compléter par une « modèle social » marqué financière et institutionnelle de épargne individuelle, s’ils le du sceau du libéralisme ? la branche accidents du travail et peuvent, leur pension de base La création du Comité de pilo- maladies professionnelles. structurellement insuffisante. tage devenu Comité de suivi des Ainsi, les cris d’indignation du Le passage aux comptes notion- retraites, avec ses conséquences patronat devant la hausse de 0,3 nels ou par points achèvera le institutionnelles, n’est donc pas point pour 2017 des cotisations changement de logique de notre neutre. Au-delà de l’ambition sociales patronales retraite ne se système de retraite. D’un système « auto-régulatrice » du système, justifiaient pas. Cette hausse est à « cotisation définie-prestation cela s’inscrit dans une démarche loin de rattraper le recul de 0,7 définie », nous glisserions vers visant la refondation d’ensemble point de sa contribution sociale un système à « cotisation définie- de notre système de protection au financement de la Sécurité prestation indéfinie ». Chaque sociale par une accumulation de sociale depuis 1993. En outre, assuré social contribuerait mais réformes sociales, qui donnent l’effort demandé sera largement sans savoir ce qu’il percevra une forme au « nouveau modèle social » Economie et politique/ mai-juin 2019/778-779 limité par l’exonération des cotisa- fois à la retraite ni pendant sa revendiqué par le gouvernement et tions sociales dont bénéficient les retraite, condamnant chaque le patronat. entreprises pour les salaires versés retraité à l’insécurité perpétuelle Ainsi, l’option choisie par F. Hol- jusque 1,6 SMIC. Ces dernières sur sa pension de base et à des lande en 2013 concernant la com- seront les grandes gagnantes de la retraites complémentaires par plémentaire santé d’entreprise, réforme, loin devant les comptes capitalisation. instituée dans le cadre de l’ANI de la Sécurité sociale, et plus loin Par ailleurs, combinée à la création du 11 janvier 2013, qualifiée par encore devant les assurés sociaux. d’un compte retraite unique de le patronat de victoire historique, chaque Français conçu comme tendait à la construction institu- Vers une réforme un outil de coordination entre les tionnelle d’un système de retraite systémique régimes et qui constitue un pre- multi-piliers. On institutionnalise Cette réforme, de Hollande à Ma- mier pas vers leur convergence, la un système de Sécurité sociale à 3 cron, n’est pas une réforme régres- logique s’appliquera à l’ensemble niveaux qui restructure la Sécurité sive parmi les autres. Le pouvoir des régimes de retraite. sociale et raffermit le pouvoir du prétend aller bien plus loin, en se Le pouvoir s’inscrit dans les re- patronat sur la protection sociale dotant des moyens d’en finir avec commandations régressives et du travailleur, à partir de l’entre-
Retraites, relever le défi 19 prise. L’employeur reprend la main du Medef) et Ernest- Antoine Seil- 1945-1946. Elle est un des élé- sur une part du financement de la lière (ex-n°1 du Medef et dirigeant ments du projet de société porté Sécurité sociale, à partir de la com- de l’UNICE, syndicat patronal par le patronat en France, mais plémentaire retraite et santé obli- européen). aussi en Europe et dans le monde. gatoire d’entreprise, sous couvert Le Rapport Moreau, lui-même en Or contrairement aux annonces d’une négociation d’entreprise. juin 2013 avait souligné que d’ici habituelles, elle ne réglera pas les Le travail de déconstruction des à 2040, à législation constante, le problèmes de fond. La respon- acquis de 1945 engagé par la cumul des réformes engagées de- sabilité des forces politiques et droite depuis 2002, et en particu- puis 1993 ferait perdre 5 points de syndicales qui n’ont pas renoncé lier depuis la présidence Sarkozy, PIB supplémentaires aux retraites à la transformation sociale est débouche sur la construction du servies. immense. Elles doivent mobili- « nouveau modèle social » prôné ser la population, les salariés, les La réforme gouvernementale de fonctionnaires, les retraités pour par F. Hollande et surtout E. 2019, cohérente avec les autres Macron. On reprend ainsi les une construction sociale de grande réformes engagées ou projetées, grands principes posés par le participe de la construction d’un ampleur. Medef en 2000 dans son texte nouveau modèle libéral à mille d’orientation « La refondation lieux de l’esprit qui a bâti notre sociale », à l’origine duquel on système de Sécurité sociale en retrouve Denis Kessler (alors n° 2 Des réformes paramétriques à la réforme systémique L régime universel par points ou en es comptes notionnels 2. Le niveau des pensions. comptes notionnels, en prétendant [Sylvie Durand, 2016] 3. Les ressources. respecter le principe de répartition La réforme programmée par Toutes les réformes intervenues de- au cœur du pacte social qui unit les Macron en 2019 est encore beau- puis la désindexation des pensions générations ; enfin les moyens de coup plus lourde de conséquences de l’évolution des salaires de 1987 faciliter le libre choix par les assurés que les réformes qui l’ont précédée ont agi sur les deux premiers leviers du moment et des conditions de depuis 1993, car il s’agirait de faire en organisant un décrochage pro- leur cessation d’activité. des choix définitifs, qu’il ne serait gressif mais à terme drastique des La proposition principale est plus question de rediscuter à l’ave- taux de remplacement. Elles ont celle d’un régime unique fusion- nir. La démarche est inspirée de suscité à chaque fois des mobili- nant tous les régimes du public et ce que les responsables politiques sations sociales très fortes. Il y a du privé existants actuellement suédois, des sociaux-démocrates donc un intérêt objectif des forces pour fonctionner selon le sys- aux conservateurs, ont fait dans dominantes à abandonner les tème des comptes notionnels. Le les années 1990. Elle participe de réformes paramétriques au profit Medef propose une variante avec la volonté de mettre en place un d’une réforme systémique. un régime universel de base et système qui, selon un responsable un régime universel complémen- politique suédois à l’origine de Une réforme taire fonctionnant l’un et l’autre Economie et politique/mai-juin 2019/778-779 la réforme en Suède, « va durer « systémique » comme les comptes notionnels. jusqu’à la prochaine ère glaciaire ». La Loi portant réforme des re- Les comptes notionnels ? Un nouveau système que le Parle- traites du 9 novembre 2010 dans « Notionnel » veut dire virtuel. ment suédois a adopté en 1998 par son article 10 précisait qu’à comp- Certes, les comptes notionnels 80 % des voix. ter du premier semestre 2013, le suédois fonctionnent en réparti- En France, il s’agirait aussi, selon Comité de pilotage des régimes tion. L’argent des cotisations est certains, d’en finir avec des ré- de retraite organise une réflexion immédiatement redistribué sous formes paramétriques pour opérer nationale sur les objectifs et les forme de pension. Cependant, la une refonte définitive du système, caractéristiques d’une réforme deuxième idée clef, c’est que les avec (ou sans) consensus à la sué- systémique de la prise en charge comptes notionnels fonctionnent doise. Les réformes dites paramé- collective du risque vieillesse. à ressources constantes. Le taux triques agissent sur les trois leviers Parmi les thèmes avancés figurent de cotisation est fixé une fois pour qui permettraient d’équilibrer un les conditions d’une plus grande toutes, en l’occurrence, en Suède, régime de retraite : « équité » entre les régimes de à 16 % du salaire. Il ne peut pas 1. L’âge de départ en retraite et son retraite légalement obligatoires ; les être augmenté quelles que soient corollaire la durée de cotisation. conditions de mise en place d’un les circonstances économiques, il
Les dossiers d'économie et Politique 20 est intangible. C’est cette caracté- prendre les décisions difficiles et ristique qui a déterminé le soutien si sensibles qui consistent à suivre, du patronat et des libéraux suédois contrôler et ajuster en permanence à ce nouveau système. Concrète- les paramètres du système des ment, l’agence suédoise de Sécu- retraites ». Il ne s’agit plus de rité sociale enregistre, année après choisir entre répartition et capi- année, sur le compte individuel talisation, mais entre répartition de chaque salarié le montant de sa « à prestations définies » et répar- cotisation. Le salarié se constitue tition « à cotisations définies ». ainsi un capital, virtuel, puisqu’on Cependant, la mise en œuvre d’un est en répartition. Lorsque le système « à cotisations définies » salarié veut liquider sa pension, entraînera de telles baisses des taux à partir de 61 ans, l’Agence addi- de remplacement que les citoyens tionne, après les avoir revalorisés, tenteront nécessairement l’aven- tous les montants cotisés puis les ture de l’épargne retraite pour Les adversaires des systèmes « à divise par l’espérance de vie de la essayer de compenser le manque cotisations définies » sont la CGT, génération concernée. Il en résulte à gagner. C’est d’ailleurs le calcul la CFE-CGC, Solidaires, la FSU ; une rente viagère : plus l’intéressé du Medef et des libéraux. mais aussi FO et la CFTC même part tard, plus sa rente est élevée, L’ e n j e u « c o t i s a t i o n s o u si les positions peuvent évoluer. plus il part tôt plus elle est mo- prestations définies ». Les régimes La refonte du système en France deste. Mais la rente ainsi calculée par annuités, comme les régimes implique un changement « de n’est qu’un maximum, le système par points, peuvent fonctionner « à paradigme ». Le concept d’équité est en effet conçu pour régler cotisations définies » si on les dote tend à se substituer à celui de soli- définitivement la question de son d’un mécanisme d’équilibrage darité. Cela participe de l’idée qu’il équilibre financier en réconciliant automatique. Ils peuvent fonc- est « équitable » que chaque généra- en permanence le montant des tionner « à prestations définies » tion récupère au cours de la retraite pensions à verser avec le montant si on leur assigne un objectif défi- le total des cotisations versées et des ressources encaissées. Ainsi, si nissant un taux de remplacement rien de plus. Une rente viagère est le régime doit verser 100 € de rente déterminé du salaire par la pension donc équitable. Une pension de alors qu’il n’a perçu que 70 € de de retraite. retraite pensée comme la conti- cotisations (dont le taux ne peut, nuité du salaire pour garantir la par construction, augmenter) il Ainsi, le régime AGIRC, créé par Ambroise Croizat et la CGT en continuité du niveau de vie n’est applique à la pension un méca- pas équitable. Les mécanismes nisme d’équilibrage automatique 1947, a fonctionné « à prestations définies » jusqu’en 1994. Il en de solidarité ne le sont pas non qui prend la forme d’un coefficient plus. Ainsi, la pérennisation de la ici de 0,70 (0,70 x 100 € = 70 €). est de même pour les régimes ARRCO créé en 1961.L’AGIRC répartition n’est pas un objectif Aussi, qui percevait 100 € de suffisant en soi, par exemple les pension ne percevra plus que 70 €. et l’ARRCO, en dépit des accords signés entre 1993 et aujourd’hui, comptes notionnels prétendent Ce mécanisme a conduit en Suède pérenniser la répartition en orga- dès 2010 à une baisse de toutes ne sont pas des régimes « à cotisa- tions définies ». Il est toujours pos- nisant un effondrement des taux les pensions liquidées de 3 % et de remplacement. Thomas Piketty en 2011 de 7 %. En cumul sur 5 sible d’augmenter les cotisations, ce que les organisations syndicales et Antoine Bozzio, pour leur part, ans, c’est une baisse de 40 % qui partisans des comptes notionnels, est anticipée. Il s’agit donc d’un de salariés ne manquent pas de revendiquer à chaque ouverture ont développé une argumentation système de retraite, certes par qui joue sur la division du salariat : répartition, mais qui fonctionne de négociation et il y est impos- sible de diminuer le montant des ils prétendent que leur système « à cotisations définies » par favoriserait les carrières « planes » opposition au système français par pensions liquidées, ce que le Medef a tenté de faire en 1994 et ce qui c’est-à-dire les carrières les plus répartition, mis en place en 1945, modestes. C’est la stigmatisa- qui, lui, a été conçu pour fonc- a été sanctionné par la Cour de cassation en 1999. tion de groupes sociaux que leur Economie et politique/ mai-juin 2019/778-779 tionner « à prestations définies », modèle oppose les uns aux autres. c’est-à-dire pour garantir un taux Les promoteurs et les adver- saires d’un système à cotisations La disparition de la notion de de remplacement déterminé du taux de remplacement du salaire salaire par la retraite. Ce taux avait définies. Les promoteurs sont les forces libérales et le Medef, une par la retraite devient un objectif été historiquement fixé à 75 % explicite revendiqué notamment dans la Fonction publique et c’est partie du gouvernement socialiste en 2012 ainsi que certains courants par le think-tank « Économies cet objectif que les salariés des et Générations » selon l’un de régimes du privé ont visé jusqu’à du Parti socialiste d’alors, tandis que d’autres y sont résolument ses membres, Antoine Delarue, la réforme de 1993. il faut tester la généralisation C’est le mécanisme d’équili- opposés ; dans l’état-major de la CFDT. Le travail d’information d’une retraite par points « qui brage automatique qui a séduit ferait disparaître les sacro-saintes tous les partis en Suède, selon reste donc primordial d’autant qu’un certain nombre de cercles notions de taux plein et de taux un haut responsable de l’Agence de remplacement ». suédoise de Sécurité sociale. Il de réflexion (think tank) et de visait à décharger les hommes groupes de pression font un gros politiques « de la responsabilité de travail de lobbying comme l’Ins- titut Montaigne ou Terra Nova.
Retraites, relever le défi 21 Les retraites complémentaires obligatoires par répartition dans le collimateur L es enjeux que l’Accord national interpro- de prestation garantie n’est pas Les négociations ARRCO fessionnel (ANI) du 8 décembre concevable. C’est pour cela qu’il et AGIRC ont été diffi- 1961, portant création de l’AR- militait pour la disparition de la ciles. Une raison affichée de leur RCO (le régime complémentaire Garantie minimale de points. Le réouverture était la situation de de tous les salariés du privé) serait décrochage du niveau des futures l’AGIRC. En effet, depuis 2003, dénoncé et la Convention collec- pensions ainsi induit serait ensuite la somme des cotisations perçues tive nationale du 14 mars 1947, inéluctablement étendu à l’ensemble par l’AGIRC ne permettait plus portant création de l’AGIRC (le du salariat au nom du « partage des de couvrir le paiement des pen- régime complémentaire des cadres efforts ». Car ce nouveau régime sions et l’organisme puisait dans et assimilés pour la partie de leur unique de retraite complémentaire ses réserves pour maintenir le salaire supérieure au plafond de serait conçu pour pouvoir fonc- montant des retraites. Les réserves la Sécurité sociale) ne serait pas tionner à « cotisations définies » : le sont épuisées en 2017. Toutes les reconduite. taux de cotisation étant fixé une fois pensions AGIRC devaient être L’idée du Medef est de siphonner pour toutes, tous les ajustements se diminuées de 5,15 % en 2018. La les réserves de l’ARRCO pour feraient par le recul de l’âge de la situation de l’ARRCO annonçait maintenir le montant des pen- retraite et par la baisse continue du aussi un horizon d’épuisement des sions des cadres retraités et de se niveau des pensions, aussi bien celles réserves à 2 027 entraînant une donner ainsi le temps, de reculer déjà liquidées que celles en cours de diminution de toutes les pensions l’âge d’ouverture du droit à retraite constitution. La date du 1er janvier ARRCO de 10,48 % en 2028. d’abord à 65 ans, voire plus selon 2019 a été fixée pour sa mise en place les nécessités financières. Mais ce qui correspond au préavis de 4 ans Refusant obstinément d’augmen- pour dénoncer l’ANI du 8 décembre ter les ressources des régimes, le l’épuisement des réserves ainsi mutualisées surviendrait en 2024 1961 instituant l’ARRCO. Medef proposait donc de faire payer, pour partie, la retraite des au lieu de 2 027 pour l’ARRCO. Bien évidemment toutes ces me- cadres par les non-cadres en créant sures, labellisées « partenaires un nouveau régime unique de re- Des baisses de retraites sociaux », auraient vocation à être traite complémentaire, fusionnant pour tous les salariés du généralisées par le gouvernement à les deux régimes ainsi appelés à privé l’ensemble des régimes de retraite disparaître l’un et l’autre. Il s’ensuit du public et du privé. Pour faire passer une mesure aussi impopulaire auprès des Développement massif non-cadres, le Medef prétendait imposer de gros sacrifices aux de la capitalisation cadres et assimilés. L’organisation La disparition de l’AGIRC est “ patronale proposait de supprimer une étape incontournable pour les la Garantie minimale de 120 forces libérales afin de développer Refusant obstinément points (GMP) de pension accor- massivement la capitalisation en dée depuis 1996 chaque année substitution à la répartition. Elle d’augmenter les à tout cotisant à l’AGIRC. Soit aura pour conséquence de préci- ressources des pour 40 années cotisées, un total piter les cadres vers les dispositifs de 4 800 points représentant, en d’épargne retraite individuels. Les régimes, le Medef valeur 2014, un montant annuel salariés non cadres n’auraient plus proposait donc de de pension AGIRC de 2 089 €. d’autres alternatives que d’épar- Economie et politique/mai-juin 2019/778-779 La perte de ressources induite par gner pour leurs vieux jours. faire payer, pour la suppression de la cotisation La création de l’AGIRC, régime partie, la retraite des forfaitaire GMP pouvait être complémentaire obligatoire des compensée par la mise en place cadres, à l’initiative de la CGT cadres par les non- d’une Contribution d’équilibre visait à ne plus laisser place à la cadres en créant technique (CET), non généra- capitalisation en couvrant sans trice de droits, à laquelle seraient exception tous les salariés sur la un nouveau régime assujettis tous les salariés, pour totalité de leur salaire par un dis- unique de retraite financer les points acquis par le positif de retraite en répartition. passé au titre de la GMP. Il s’agis- complémentaire, sait d’une forme de solidarité à La Sécurité sociale en l’envers des non-cadres envers fusionnant les deux les salariés cadres. L’approche du ligne de mire régimes ainsi appelés à disparaître l’un et “ Medef est dogmatique : dans un système à « cotisations définies », par construction, un minimum La mise en place du régime com- plémentaire obligatoire des cadres a aussi été la contrepartie de leur l’autre.
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