Risques et opportunités - vice versa Ressources pédagogiques - Melchior
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« Illustrer des notions à enseigner par la réalité de l’entreprise » Actes des Entretiens Enseignants-Entreprises 2019. Ces comptes-rendus ont été réalisés par des enseignants de sciences économiques et sociales et d’économie et gestion, sous la direction de Denis Martin, IA-IPR de sciences économiques et sociales sur l’académie de Nantes, Pays de la Loire. Ces actes sont en libre accès sur www.melchior.fr
RISQUES, OPPORTUNITÉS : ET SI NOUS CHANGIONS NOS MODÈLES MENTAUX ? .................. 2 « QUI NE TENTE RIEN N’A RIEN » LE RAPPORT AU RISQUE : UN MARQUEUR INDIVIDUEL, SOCIAL, CULTUREL, RELIGIEUX, SOCIÉTAL ..................................................................................... 4 VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. .... 4 LE RISQUE SOUS L’ANGLE DE LA SOCIOLOGIE ................................................................... 6 VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. .... 6 QUELS SONT LES PRINCIPAUX RISQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX AUXQUELS SONT CONFRONTÉS LES INDIVIDUS ET QUI DOIT LES PRENDRE EN CHARGE ? ............................... 7 VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. .... 7 ÉTUDE DE CAS DE LA GESTION DE RISQUE ...................................................................... 10 REPARTITION VERSUS CAPITALISATION : QUELS SYSTÈMES DE FINANCEMENT DES RETRAITES ? ................................................................................................................................. 13 "OPPORTUNITÉS ET RISQUES" SOUS L'ANGLE DE LA CROISSANCE : FACE AUX RISQUES, EST- ON SUR DE PRIVILÉGIER TOUJOURS LA CROISSANCE ? ..................................................... 15 LES RÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES COMME OPPORTUNITÉS OU COMME ENTRAVES À LA CROISSANCE ET À L’EMPLOI ? ........................................................................................ 17 ESTIME DE SOI, CONFIANCE, COOPERATION, AUTONOMIE : COMMENT TRANSMETTRE CES MAITRES-MOTS ? .......................................................................................................... 20 ANALYSE DES RISQUES SOCIOPROFESSIONNELS ET PRÉVENTION : TRES CONCRÈTEMENT, COMMENT FAIRE BEAUCOUP MIEUX ? .............................................................................. 23 FOCUS CHINE - GÉOPOLITIQUE ET ÉCONOMIE : DE LA POLITIQUE INTÉRIEURE AUX NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE ...................................................................................................... 26 COUVERTURE DU RISQUE MATIÈRES PREMIÈRES : ILLUSTRATION DANS LE DOMAINE AGROALIMENTAIRE : DU BEURRE, DU BLÉ ET DES CROISSANTS ! ...................................... 29 PROGRÈS DANS LA SANTÉ : INNOVATIONS MEDICALES, TÉLÉMÉDECINE, TRAITEMENT DES DONNÉES, SÉCURITÉ, RÉGULATION, ETC. ........................................................................ 32 LIBERTÉ, SECURITÉ ET PROTECTION : L’ÉMERGENCE DES RISQUES JURIDIQUES (CLIMATIQUE, AMIANTE, PÉTROLIER, TABAC, SUCRE…) .......................................................................... 35 DE L’OPPORTUNITÉ DES NTIC AUX RISQUES D’INFOX, DES THÉORIES DU COMPLOT. QUELLE PLACE POUR LA PAROLE D’EXPERTS ? QUE PEUT FAIRE L’ÉCOLE ? ...................................... 38 LA FINANCE : UN RISQUE SYSTÉMIQUE RÉCURRENT ? ...................................................... 41 VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. .. 41 COMMENT RELEVER LE DÉFI CLIMATIQUE ?...................................................................... 45 VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. .. 45 RETROUVEZ EGALEMENT LA VIDEO DE VALERIE MASSON-DELMOTTE. ................................ 45 SÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE : RISQUES ET OPPORTUNITÉS À L'HEURE DE LA 3ÈME RÉVOLUTION AGRICOLE................................................................................................. 48 D’UN MONDE À L’AUTRE : QUELLES SONT LES GRANDES TRANSFORMATIONS À VENIR ? ...... 50 BEST OF DES #EEE2019 EN VIDÉO.......................................................................... 55 RETROUVEZ TOUTES LES VIDÉOS SUR NOTRE CHAINE YOUTUBE : ..................................... 55 1
RISQUES, OPPORTUNITÉS : ET SI NOUS CHANGIONS NOS MODÈLES MENTAUX ? Compte-rendu réalisé par Virginie Denis-Marceaux, Professeure dans l’académie de Versailles. Intervenant : Philippe Silberzhan, Professeur à l’Emlyon Business School et associé à l’École polytechnique Entrepreneur puis professeur, Philippe Silberzhan revient sur l’importance d’une connaissance mutuelle de ces deux mondes afin de mieux concevoir les notions nécessaires à l’entreprenariat. RISQUES, OPPORTUNITES : ET SI NOUS CHANGIONS NOS MODELES MENTAUX ? De la remise en cause de l’approche de la conception de risques • Le risque, synonyme de danger éventuel, ne procure pas le résultat escompté et les techniques de contrôle du risque se développent : gestion du risque, plan, vérification, validation sont nécessaires désormais à la mise en place de l'action. Face à ses peurs, la culture française développe le principe de précaution n’impliquant pas l’acceptation de risques nouveaux. Dès lors : o Cette culture ancienne reste soumise à la peur. La recherche d’un contrôle trop important du risque, conduit mécaniquement à « un risque de ne pas faire ». L'innovation est bloquée par une peur de l’action, une peur de l’échec. o La France laisse des opportunités, source de croissance, à d'autres pays (la manipulation génétique, l’intelligence artificielle, …). o La réponse française se résume à la création d’une commission éthique face à la gestion de nouveaux risques : il s’agit du concept des opportunités ratées. Il est urgent de changer la conception du risque. • Une des raisons de cette peur du risque résulte de l’attrait en France pour les grands projets. Or grands projets riment avec grands échecs. o Cette approche mentale augmente de fait un surcroît de protection au sein des organisations et est mise en œuvre dans la formation des cadres et des étudiants. Il faut donc changer la conception du risque et arrêter de célébrer l’échec. o Les « fuck up night » accentuent ce modèle mental binaire : réussite/échec, dont il est nécessaire de sortir pour stopper cette approche vantée par Pierre de Coubertin « Il vaut mieux participer que de gagner ». Par un changement de modèle mental … • Changer de modèle, c’est arrêter de croire que pour faire les choses en grand, il faudrait démarrer en grand. Ce modèle mental est inadapté et des contre- exemples existent (Airbnb et Ikea ont commencé petit). Les entreprises, qui commencent avec des petits projets, sont face à des pertes acceptables. 2
• Le principe de précaution qui conduit à dire « non » devient inadapté face à l’évolution du monde et ne permet pas le « pourquoi pas ». • Avec la notion des pertes acceptables, « le pourquoi devrait-on se lancer dans ce projet » devient un « pourquoi pas ». Cette vieille vertu marchande de la vision entrepreneuriale est à revisitée aujourd’hui. Afin de proposer les opportunités de demain • Les opportunités, définies sous l’angle entrepreneurial comme demandes insatisfaites, relèvent de la création mentale de l'entrepreneur : elles sont artificielles (H. Simon). Par exemple la bicyclette, la radio, la voiture, Internet, la téléphonie mobile ont conduit à des changements majeurs d’organisation du monde et sont devenus en leur temps des visions normales. • Les entreprises changent le modèle mental et ce qui était inacceptable, devient acceptable (Airbnb). Il est fondamental que l’entrepreneur regarde le monde tel que l'on veut qu'il soit afin que les idées disruptives conduisent à changer notre modèle mental de conception des risques et des opportunités. Nous sommes donc dans un monde d’opportunités, dans un monde qui commence et non qui se termine. « Il s'agit de faire de vous des hommes et des femmes pour affronter à ce qui n'a jamais été » et « à créer ce qui n'a pas été ». Changer de modèle mental, c’est apprendre aussi aux enfants à ne pas avoir peur. Pistes d’exploitation pédagogique proposée : • Les sciences de Gestion en première STMG : thème 4 Temps et risques : o Question de gestion : L’amélioration de la performance est-elle sans risque ? o A partir de témoignages de dirigeants d’organisation, de récits d’entreprises, d’informations concrètes : repérer les risques externes des organisations, les risques induits par une décision, apprécier l’incidence du risque sur la performance de l’organisation • Liens vers des ressources : o « Crise : Aigle Azur risque d’y laisser des plumes » o « Intelligence artificielle : comment instaurer un climat de confiance ? » o « Acronis dévoile une nouvelle solution destinée à protéger les entreprises » • Site internet de l’auteur : https://philippesilberzahn.com/ 3
« QUI NE TENTE RIEN N’A RIEN » LE RAPPORT AU RISQUE : UN MARQUEUR INDIVIDUEL, SOCIAL, CULTUREL, RELIGIEUX, SOCIÉTAL Compte-rendu réalisé par Catherine Barrué, Professeure dans l’académie de Poitiers. Ce compte-rendu est complété par la présentation de Luc Arrondel. VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. Intervenants : • Luc Arrondel, Economiste, Professeur associé à PSE • Hugo Billard, Professeur d’histoire et géographie • Sabine Carotti, IGEN STVST • Amy Cissé, Professeure de SES • Iris Marmey, Professeure d’économie et gestion La question majeure posée ici est savoir pourquoi les individus prennent des risques. Il est donc nécessaire de savoir ce que l’on entend par risque, comment est appréciée la notion de risque. COMMENT LES AGENTS ECONOMIQUES APPRECIENT- ILS LE RISQUE ET LE GERENT-ILS ? Remarque préalable : utilisation du terme risque et non incertitude car le risque est probabilisable alors que l’incertitude ne l’est pas. (Aversion à l’ambiguïté). 4
Les agents économiques prennent des risques selon deux dimensions : - une dimension d’anticipation et - une dimension comportementale. La dimension d’anticipation fait référence aux anticipations rationnelles selon laquelle chaque agent cherche à maximiser son utilité. Mais cette notion d’anticipation rationnelle est remise en cause par l’école comportementale selon laquelle l’agent n’agit pas seulement de façon rationnelle. Un grand nombre de paramètres entrent en compte et varient selon les individus. (Santé, éducation, personnalité…). Les agents économiques se décident par rapport à : • Leur préférence versus leur aversion au risque, qui diminue avec le niveau de richesse des individus ; • Leur prudence (comportement de précaution) • Et leur tempérance (désir de modérer). QUELS FACTEURS INFLUENCENT LE RAPPORT AU RISQUE ? Les facteurs qui déterminent le rapport au risque : - Le facteur générationnel : par exemple les enfants de la grande dépression prennent moins de risques, les enfants de 68 sont moins détenteurs d’actions. Il est nécessaire de voir si le comportement actuel face au risque va changer face à l’insécurité géopolitique dans lequel grandissent les générations actuelles ; - Le facteur culturel. - Le facteur sociétal : on assiste à une individualisation croissante du risque et la société actuelle accepte de moins en moins le risque, exprime une demande croissante de sécurité ; - Le facteur individuel : par exemple les jeunes, hommes, célibataires prennent plus de risques et sont donc plus présents dans l’entreprenariat. Il faut souligner que la protection sociale (collective) en France a joué sur le rapport individuel au risque En guise de conclusion : actuellement on ne constate pas de changement générationnel marqué face au risque, même avec les crises de 2008 et 2011. Ce thème est transversal aux disciplines : - SES dans la prise de décision de l’agent économique : cette thématique est traitée de façon littérale dans la partie Regards croisés du Programme de SES en classe de première. - SVT : évaluation des risques sociaux ou de santé - Histoire Géographie : le contexte géopolitique national et international a une influence sur le comportement des individus et donc leur aversion plus ou moins grande au risque. 5
LE RISQUE SOUS L’ANGLE DE LA SOCIOLOGIE VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. Intervenant : • Pierre-Michel Menger, Professeur au Collège de France 6
QUELS SONT LES PRINCIPAUX RISQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX AUXQUELS SONT CONFRONTÉS LES INDIVIDUS ET QUI DOIT LES PRENDRE EN CHARGE ? Compte-rendu réalisé par Laurence Boulloy, Professeure dans l’académie de Grenoble. VIDEO PEDAGOGIQUE REALISÉE POUR ETRE UTILISÉE EN CLASSE AVEC LES ÉLÈVES. Intervenants : • Sophie Béjean, Rectrice de l’Académie de Strasbourg, Économiste de la santé • Martin Hirsch, Directeur général de l’AP-HP • Mathilde Lignot-Leloup, Directrice de la Sécurité sociale • Gilles de Margerie, Commissaire général de France stratégie • Modérateur : Jean-Marc Vittori, Editorialiste au Echos L’actualité nous fournit de nombreuses pistes pour entrer dans le sujet, que ce soit avec la réforme des retraites ou même celle de l’assurance chômage... Des questions portant sur l’évolution de la prise en charge des risques économiques et sociaux, auxquels tout un chacun est confronté sur le plan individuel mais qui amènent également à s’interroger sur la couverture collective de ces mêmes risques. Une brève mise en perspective historique de l’évolution des risques montre que jusqu’au milieu du 20ème siècle, la protection des individus se concentrait avant tout sur les risques professionnels (loi de 1898) car la vie s’organisait autour du travail. Avec l'apparition de nouvelles inquiétudes, surtout à partir des années 80, les individus se sont trouvés exposés à une variété de risques : que ce soit avec le développement des familles monoparentales, la crainte du déclassement et de la paupérisation, les préoccupations liées au réchauffement climatique… De nouveaux enjeux sociétaux qui requièrent de nouvelles prises en charge des risques. 7
INTERVENTIONS : • Mathilde Lignot-Leloup, sur les grandes mutations : o Face à la variabilité et la variété des trajectoires professionnelles, les besoins de couverture sociale évoluent et la Sécurité sociale doit accompagner ces changements, notamment pour les travailleurs indépendants. Aussi la suppression du RSI va contribuer à cette fluidité de la protection sociale en adossant la sécurité sociale des indépendants au régime général. o Face au caractère multiforme de la pauvreté, l'Institution a dû s'adapter à de nouveaux profils, en termes de prestations sociales, d'accompagnement et de modalités d'intervention Pour tenir compte par exemple de l’exposition plus prononcée des familles monoparentales. o Face à la croissance du nombre d'individus en perte d'autonomie, la question est de savoir qui devra supporter le financement plus coûteux de la dépendance. L'Etat ? Les collectivités locales ? Les familles elles- mêmes ? o Mathilde Lignot-Leloup préconise un renouvellement de l'offre de financement proposée par les banques et les assurances, pour que les familles puissent anticiper ce risque, même si l'Etat doit conserver sa fonction de régulateur. • Martin Hirsch, à propos de l'impact de l'évolution de la pauvreté sur les mécanismes de protection o La loi du 1/12/1988 qui met en place le revenu minimum d'insertion (RMI) est la première politique publique dédiée à la lutte contre la pauvreté. Auparavant c'était l'assurance sociale qui couvrait ce risque dans le cadre du plein-emploi. Ce changement important prend en compte les caractéristiques nouvelles de la pauvreté : de plus en plus de jeunes, avec ou sans emploi, des individus en rupture familiale …. o Il note aussi que les individus à faible productivité représentent une catégorie facilement relégable et donc plus facilement exclue du marché du travail. Cette population à risque, est accueillie dans des associations d'insertion telles qu’Emmaüs. Mais la sphère de la solidarité manque de moyens pour prendre en charge toutes ces personnes exclues. 8
• Gilles de Margerie, sur les inégalités d'exposition aux risques économiques et sociaux o Constat : les inégalités d'espérance de vie sont élevées en raison de l'accentuation en France de la transmission des risques. Par exemple de faibles diplômes amènent de faibles revenus, des difficultés à se soigner... o Comment peut-on traiter la reproduction sociale et donc la transmission des inégalités sociales, qui sont assimilables à des risques ? o Cela relève en toute logique de la responsabilité de la puissance publique, mais on constate une impuissance à corriger l'inégalité dans l'exposition aux risques en raison des nombreux déterminants sociaux, culturels... associés au tabagisme, à la consommation excessive d'alcool chez les jeunes... o Gilles de Margerie conclut que dans l'avenir, on verra se développer une certaine logique libérale : indexation du montant de la prise en charge selon les comportements à risque ou vertueux. On en constate les prémices dans certaines compagnies d'assurance qui tarifent leurs clients en fonction des bonnes pratiques. • Sophie Béjean pose la question de l'utilisation à l'avenir, des informations concernant le génome dans la compréhension des risques sanitaires. Des ressources complémentaires sur la protection sociale : https://www.melchior.fr/notion/protection-sociale Les cours de sciences économiques et sociales de la classe de Première en ligne. La vidéo pédagogique réalisée sur cette séquence. 9
ÉTUDE DE CAS DE LA GESTION DE RISQUE Compte-rendu réalisé par Gilles Seurin, Professeur dans l’académie de Nantes. Intervenants : • Philippe Counathe, Directeur des risques, Air Liquide • Philippe Tibi, Professeur à l’Ecole Polytechnique Modération : • Catherine Augier, Professeur dans l’académie de Poitiers. • Caroline Desaintghislain, Professeur dans l’académie de Lille. Philippe Counathe est Directeur des risques du groupe Air Liquide depuis 2014 et a exercé des responsabilités opérationnelles en Inde, en Pologne notamment. Fondé en 1902, le groupe Air Liquide est aujourd’hui un leader mondial dans les domaines du gaz et des technologies pour l'industrie et la santé, présent dans 80 pays. Philippe Tibi est professeur à l’École Polytechnique depuis 2007, et fondateur de Pergamon Campus, une École d'économie pour dirigeants et futurs dirigeants. Il est également co-auteur de Plus de marché pour plus d'Etat ! avec Francis Kramarz et rédacteur d’un rapport au Ministre de l’Economie et des Finances sur Le financement des entreprises technologiques françaises. Le risque peut être défini comme la possibilité qu’un événement dommageable se produise. On oppose souvent le risque à l’incertitude, avec l’idée que le risque est calculable, ce qui permet la mise en œuvre d’une gestion des risques (recensement des risques et mise en place de mesures préventives appropriées en vue de supprimer ou d'atténuer les conséquences du risque). Mais le risque, au-delà de cette vision souvent négative, peut également faire l’objet d’une valorisation (Pour Air Liquide, un profit plus élevé récompensant un investissement risqué). L’expression de « gestion des risques » reflète quant à elle la difficulté à identifier les risques, leur impact potentiel, et le niveau de maîtrise possible lorsqu’ils surviennent. La tendance est pourtant à l’augmentation de la prise de risques, et l’actualité pousse les firmes internationales à adapter leur modèle de gestion des risques : complexification des règlementations, incertitude croissante sur les marchés depuis 2008, urgence des enjeux climatiques et environnementaux… Il s’agit donc de comprendre comment s’organise aujourd’hui la gestion des risques des firmes mondiales, confrontées à des risques de plus en plus complexes. 10
QUELS SONT LES RISQUES AUJOURD’HUI POUR LES FIRMES MONDIALISEES ? Le risque comme opportunité Philippe Tibi précise que la véritable problématique derrière la notion de risques est « menace ou opportunité ». Le risque est le contraire du statu quo. Il est la condition du rendement. Une stratégie de gestion d’un portefeuille de risques permet de prendre des risques contrôlés et s’assurer contre les autres risques. En finance ou dans l’assurance, par exemple, grâce à des lois de probabilité, on couvre les risques que l’on ne peut pas contrôler et on essaye d’identifier les risques sur lesquels on peut avoir un avantage sur ses concurrents. Certaines situations inédites comme l’apparition d’une guerre commerciale sont toutefois hors du champ des probabilités et nécessitent une réflexion sur comment choisir les risques, à défaut de les éviter. Des risques à gérer pour assurer la continuité de l’activité Philippe Counathe précise l’univers des risques chez Air Liquide : • Risques métiers (liés à la supply chain notamment : risques techniques, juridiques, opérationnels, …). • Risques réputationnels, dont la vitesse de propagation est décuplée aujourd’hui, indépendamment de la taille de l’entreprise. • Des risques nouveaux : géopolitiques (avec illustration dans l’est de l’Ukraine par exemple et l’intervention de milices locales sur des sites industriels), climatiques (exemple au Japon avec le tsunami : : difficile à anticiper malgré la connaissance de la géographie), technologiques (nouvelles molécules, …). Dans le cas d’Air Liquide, ces risques se traduisent par des situations tendues, où les contrats commerciaux doivent être respectés. Lorsque le respect des contrats n’est plus possible (Ukraine) : déplacements d’usine, avec impact sur les volumes d’activités des pays concernés. Pour Air Liquide, il est primordial d’assurer la continuité de l’activité vis-à-vis des clients. Pas de bonne gestion de risques sans une bonne gestion de crise ! QUELLES PRISES DE DECISION FACE AUX RISQUES ? La nécessité d’avoir un plan d’action de gestion de crise Pour Philippe Tibi, il s’agit effectivement pour l’entreprise de faire les bons choix dans une période critique où les infrastructures et les institutions sont primordiales pour maîtriser les enjeux technologiques, sources de futurs gains de productivité. Il cite l’exemple de l’entreprise Huawei, sous le feu de l’actualité et de la rivalité sino- américaine. Même si le risque apparaît comme difficilement maîtrisable, Ren Zhengfei le dirigeant de Huawei (soutenue par le gouvernement chinois) a un plan pour éviter à son entreprise le sort d’entreprises qui n’ont pas su gérer le changement (PanAm, Kodak, …) : 1. Mobilisation des employés (qui sont actionnaires de l’entreprise !). 2. Non-interférence avec la politique américaine mais utiliser le soutien du gouvernement chinois. 3. Pression sur les fournisseurs américains pour inciter à faire pression sur administration américaine, voire délocaliser. 11
L’importance de la chaîne managériale Pour Air Liquide, Philippe Counathe insiste sur l’importance de la chaîne de décision managériale, avec la combinaison d’une prise de décision au niveau des filiales locales et un pilotage des risques également effectué au niveau corporate. Les risques de corruption sont gérés par exemple avec des vérifications de plus en plus complexes causés par des législations de plus en plus strictes (Loi Sapin 2, Bribery Act, …). Apprendre la gestion des risques ? La qualité du dirigeant est de faire preuve de jugement pour assurer la pérennité de l’entreprise et éviter le sort normal de toute entreprise : sa disparition. (Air Liquide a plus de 100 ans …, ce qui est la moyenne d’âge des sociétés du CAC 40). Un jugement stratégique à effectuer avec une information largement imparfaite, faute de suffisamment de statistiques et compte tenu du modèle d’organisation d’Air Liquide. Le dirigeant peut ainsi se doter d’un radar pour identifier les risques émergents (crise numérique par exemple, ou risque réputationnel avec nécessité d’être attentif à l’ensemble des parties prenantes : société civile, …). La qualité de l’équipe de direction est d’autant plus importante qu’elle recrute des managers qui lui ressemblent. La gestion des risques s’apprend davantage par l’expérience que dans les écoles. Ce phénomène d’apprentissage des réflexes professionnels en cas de crise constitue d’ailleurs un vrai sujet de sociologie d’entreprise. Pistes de réflexion De nombreuses exploitations pédagogiques peuvent être réalisées en lien avec les programmes • De Sciences de gestion en 1ère STMG sur les thèmes « Evaluation et Performance » et « Temps et risque » • De SES et en Economie en Terminale ES et STMG sur les stratégies des firmes multinationales • De SES en classe de Première sur le thème de l’organisation et de la gouvernance des entreprises (cycle de vie, décentralisation de la prise de décision, …) • De Management des Organisations en Terminale STMG sur les thèmes du management stratégique Une étude de cas sur l’implantation d’Air Liquide en Indonésie : https://www.melchior.fr/etude-de-cas/limplantation-dair-liquide-en-indonesie Le document de référence 2018 d’Air Liquide (page 40 pour la gestion des risques) : https://www.airliquide.com/sites/airliquide.com/files/2019/03/13/air-liquide-2018- document-reference.pdf Un article sur l’histoire de l’entreprise Huawei : https://www.lesechos.fr/tech- medias/hightech/huawei-lempire-sous-pression-1014160 12
REPARTITION VERSUS CAPITALISATION : QUELS SYSTÈMES DE FINANCEMENT DES RETRAITES ? Compte-rendu réalisé par Camille Poncelet, Professeure dans l’académie de Versailles. Intervenants : • Anne Lavigne, Responsable des études au Conseil d’orientation des retraites (COR) • Philippe Trainar, Professeur titulaire de la chaire Assurances du CNAM, Directeur de la Fondation Scor pour la Science. Le choix d’un système de financement des retraites est financier et politique : le système par répartition n’est pas un système stable en soi, parce qu’il repose sur des notions conflictuelles d’équité ; le système par capitalisation en oubliant la solidarité augmente les inégalités. Un mix des deux systèmes serait-il la solution ? DES CHOIX SOUS CONTRAINTES Des contraintes économiques Nb d′actifs Baisse tendancielle du ratio socio-démographique : En 1990, le ration est Nb de retraités égal à 4,0 contre 1,7 en 2017. Des contraintes politiques Dans le système par répartition, la part de la richesse que la collectivité octroie aux pensions se traduit dans le montant du solde financier des dépenses publiques. La hausse des dépenses de retraite, dans un PIB qui stagne, révèle des choix financiers et de justice sociale. Dans le système par capitalisation, l’encouragement au placement privé (via l’assurance-vie) par une fiscalité accommodante peut-il être la solution au risque de dérive du poids grandissant du financement collectif des retraites ? QUELS RISQUES APPARAISSENT SELON LES CHOIX FAITS EN TERMES DE FINANCEMENT DES RETRAITES ? Quel que soit le système de financement des pensions de retraite, le risque se traduit par le fait que ce qui est versé pour la retraite n’est pas ce qui sera reversé au moment de la retraite. Risque pour le système par répartition Le taux de rendement interne (TRI) du système de retraite compare les prestations reçues tout au long de la retraite à l’ensemble des contributions versées durant la vie active. Le TRI des cotisations retraite est d’environ 2,3; il correspond au taux d’intérêt 13
moyen auquel auraient dû être placées les cotisations pour obtenir une rente égale aux prestations versées par le système de retraite. • L’indexation : l’indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires est un facteur de la baisse du TRI quand l’évolution des salaires est favorable par rapport à celle des prix ; cette baisse du TRI est cependant moins marquée quand la croissance économique est faible. Risque pour le système par capitalisation • La volatilité de la rémunération des facteurs de production : la rémunération du capital est plus volatile que celle du travail. Risques communs aux deux systèmes • Le risque de choc démographique : un choc sur la population (hausse de l’espérance de vie, baisse du taux de fécondité) se traduit dans la fonction de production (à cause de la complémentarité capital/travail) par un choc sur le rendement du capital. • Le risque de placement : dans un système par capitalisation, c’est sur l’épargnant que repose le risque de variabilité du montant de sa pension future; dans le système par répartition, c’est certes sur le cotisant mais in fine sur le contribuable que repose ce risque. • Le risque de taux d’intérêt : quel que soit le système, comment faire fructifier un capital quand le taux d’intérêt est quasi-nul et pour longtemps ? Par ailleurs, comment servir un niveau stable de pension quand le taux de rendement est tributaire du contexte économique ? • L’équité : la recherche de la solidarité pour plus d’équité intergénérationnelle est totalement absente du système par capitalisation. Le système par répartition, contraint par les évolutions démographiques a un TRI qui après avoir été attrayant est de moins en moins favorable aujourd’hui. Les inéquités intra- générationnelles ne diminuent que faiblement aussi bien en termes démographiques (écart d’espérance de vie) que social et de genre. En conclusion, aucun des deux systèmes ne résoud les problèmes de l’autre. La solution proposée dans le rapport Delevoye de juin 2019 passe par un système à point qui pose le problème majeur de la valeur du point, problème, là encore, tant financier que politique. BIBLIOGRAPHIE : • Cette thématique rejoint notamment le programme d’économie approfondie de SES à retrouver sur Melchior : • 4 pages de synthèse du dernier rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites • Le taux de rendement interne du système de retraite français : quelle redistribution au sein d’une génération et quelle évolution entre générations ? Economie et Statistique, 2015, 481-482 pp. 77-95 [L’article explore à l’aide du modèle de micro-simulation, Destinie2, les redistributions horizontales et verticales intra- et intergénérationnelles, pour les générations de 1950 à 1980.]. Source : https://www.persee.fr/doc/estat_0336- 1454_2015_num_481_1_10630: Yves Dubois & Anthony Marino 14
"OPPORTUNITÉS ET RISQUES" SOUS L'ANGLE DE LA CROISSANCE : FACE AUX RISQUES, EST-ON SUR DE PRIVILÉGIER TOUJOURS LA CROISSANCE ? Compte-rendu réalisé par Stéphane Jacquet, Professeur dans l’académie de Versailles. Intervenant : • Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE Le contexte général est celui d’une croissance quasi nulle du PIB/tête, donc de la productivité du travail. En matière d’analyse des risques, la relation avec la croissance économique est rarement évoquée. Jean-Luc Tavernier explore cette relation, aux travers de quelques problématiques dans des domaines courants, pour tenter de faire le lien avec le recul des indicateurs, en insistant sur le rôle des consommations intermédiaires. QUELQUES PROBLEMATIQUES POUR POSER LE DEBAT Existe-il un arbitrage, au niveau macro-économique, entre préférences et risques ? Les agents veulent-ils toujours la croissance ? Préfèrent-ils, systématiquement, se protéger des risques ? Ces préférences collectives et sociales diffèrent-elles en fonction des pays ? Quelle peut être l’incidence d’internet sur ce débat qui oppose « techno-optimistes » et « techno-pessimistes ». UN DEBAT ENTRE TECHNO-OPTIMISTES ET TECHNO- PESSIMISTES ? Les optimistes estiment qu’il faut du temps pour profiter des gains liés au digital. Ils reviendront lorsque les innovations seront diffusées dans l’économie. Quant aux pessimistes, ils s’inspirent de la pensée de Robert J. Gordon qui prévoit la fin de l’innovation et de la croissance économique. Mais le débat est peut-être à déplacer sur le terrain du risque. 15
UN DEBAT REEL, SUR LE TERRAIN DU RISQUE L’évolution des préférences collectives mérite d’être étudiée. Jean-Luc Tavernier s’appuie sur l’exemple de l’environnement et du principe de précaution, en se demandant si certaines règlementations ne porteraient pas atteinte à la croissance. En fait, on fait appel à plus de consommations intermédiaires pour le même résultat (au sens de la comptabilité nationale) avec la réglementation. On peut aussi évoquer le cas de la sécurité dont les métiers sont en forte croissance, du fait de la demande accrue de précaution, sans produire plus de valeur ajoutée ni un surcroit de pouvoir d’achat au consommateur. Ainsi, la limitation des risques empêcherait les gains de productivité, d’autant plus que la demande sociale de couverture des risques est grande dans notre pays. L’hypothèse finale avancée par Jean-Luc Tavernier est donc que « l’augmentation de la protection créé un choc de consommation intermédiaire avec un choc négatif sur la productivité ». QUELQUES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES On peut travailler sur la productivité, sa définition et la mesure des gains de productivité pour comprendre ce qui est comptabilisé dans cette mesure et ce qui ne l’est pas. On pourra alors se poser la question de la « qualité » de la production d’un bien et d’un service au regard des attentes des consommateurs, en évoquant les consommations intermédiaires, pour mieux comprendre ce que le risque induit dans la production. La mise en relation avec le domaine juridique, et la justification du principe de précaution pourraient aussi apporter un éclairage « croisé » expliquant ces consommations intermédiaires. Enfin, un travail plus historique et sociologique, sur les attentes de la société française et les préférences nationales permettrait de montrer les spécificités nationales évoquées par Jean-Luc Tavernier. 16
LES RÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES COMME OPPORTUNITÉS OU COMME ENTRAVES À LA CROISSANCE ET À L’EMPLOI ? Compte-rendu réalisé par Véronique Allué-Talleux, Professeure dans l’académie de Paris. Ce compte-rendu est complété par le power-point de Philippe Aghion en libre accès sur Melchior.fr. Intervenant : • Philippe Aghion, Professeur au Collège de France Le point de départ de la réflexion repose sur l’observation d’un déclin de la croissance de la productivité. De nombreuses thèses ont été avancées sur les causes de ce déclin. Au départ l’intelligence artificielle (IA) est apparue comme une source d’espoir car capable d’accélérer la croissance. Elle permet en effet à une machine d’imiter l’intelligence humaine et d’automatiser des tâches incroyables : conduite d’une voiture, prescription médicale... On peut penser que l’IA a des effets négatifs sur l’emploi (création de mauvais emplois, remplacement de l’homme par la machine) mais en fait cela n’a rien d’automatique. Philippe Aghion démontre que tout dépend en fait des institutions mises en place : en effet, si l’on n’initie pas le changement institutionnel qui s’adapte au progrès technique, on peut craindre le pire. Le progrès technologique peut donc donner le meilleur ou le pire. Philippe Aghion évoque dans son intervention l’échange qu’il a eu avec Marc Zuckerberg de passage à Paris et présente les arguments qu’il lui a opposés. IMPACT DE L’IA SUR L’EMPLOI : LE MODELE DE DESTRUCTION CREATRICE SE CONFIRME AU NIVEAU MICROECONOMIQUE On s’attend à ce que l’IA détruise l’emploi car elle automatise les tâches. En fait, elle crée aussi de nouvelles activités : ce n’est donc pas simple de trancher. Dans un premier temps, Philippe Aghion observe comment les zones d’emploi dans lesquelles on a augmenté la robotisation entre 1995 et 2014 réagissent (observation macroéconomique) : • Il remarque que c’est là que l’emploi a le plus été réduit. Mais le problème est de savoir si ce sont les entreprises qui ont robotisé qui ont réduit l’emploi. 17
• Il s’aperçoit également que l’effet de l’augmentation des robots sur l’emploi est positif pour ceux qui ont fait des études supérieures. L’éducation donne une meilleure chance de s’en sortir. Dans un deuxième temps, la question s’est posée de savoir si ce sont les firmes qui robotisent qui détruisent l’emploi (idée soutenue par Acemoglu). L’approche est alors micro-économique et vise à voir ce qui se passe au niveau des établissements (étude menée avec Simon Bunel et Céline Antonin) : on remarque alors que, pour les moins qualifiés, il y a un effet légèrement positif de la robotisation sur l’emploi, et un effet positif pour les ingénieurs et les managers. Les établissements qui robotisent créent des emplois. Comment réconcilier ces deux approches ? La réponse est simple : les entreprises qui robotisent restent sur le marché, prennent des risques, se maintiennent et ne sont donc pas évincées. On assiste à un phénomène de destruction créatrice, d’éviction/réallocation. Le niveau micro-économique permet de constater que le modèle de destruction créatrice marche très bien dès lors que l’éducation, la formation professionnelle et la flexisécurité sont mises en œuvre. POURQUOI PHILIPPE AGHION REPROCHE A MARK ZUCKERBERG DE CONTRIBUER A « PLOMBER LA CROISSANCE » AUX ETATS -UNIS IA et TIC augmentent la croissance parce qu’ils remplacent un input en offre limitée (le travail) par un input reproductible (le capital) dans la production de biens et de services et dans la production d’idées. La croissance devrait donc exploser avec l’IA. Pourtant les chiffres de croissance annuelle moyenne de la productivité aux Etats-Unis de 2006 à 2017 semblent infirmer cette assertion et ceci est particulièrement vrai dans les secteurs qui produisent et utilisent les hautes technologies. 1949/1995 1,8% 1996/2005 2,7% 2006/2017 1% Pourquoi ? 18
L’explication réside, pour Philippe Aghion, dans le phénomène de concentration qui augmente de plus en plus : quelques grandes firmes dominent le marché américain, et, pour celles-ci, leur part de marché augmente. Par ailleurs, surtout dans les secteurs de haute technologie, la part du travail dans le revenu baisse et le profit augmente. Ces firmes dans lesquelles la part du travail est plus faible deviennent hégémoniques. Les marges bénéficiaires augmentent au niveau agrégé parce que les firmes à grosses marges deviennent hégémoniques (surtout dans le secteur des hautes technologies). Il y a donc des firmes « super stars » qui peuvent se déployer sur plusieurs lignes de produits. Ces firmes bénéficient non seulement d’un avantage technologique mais aussi d’effets de réseau, de la captation des données, d’avantages logistiques... et elles échappent à la taxation. Elles interdisent ainsi l’arrivée de tout entrant sur le marché car elles ont une meilleure productivité. Ces firmes se déploient notamment entre 1995 et 2007. Ce phénomène n’est pas bon à long terme (cf période 2006/2017) : investissement, R&D, nouvelles entrées d’entreprises sont en baisse car les éventuels entrants sont découragés par les firmes « super stars » et ces firmes sont présentes dans plusieurs domaines d’activité. P. Aghion interpelle Zuckerberg : « Vous contribuez à cela » ! (NDLR : à la baisse de la productivité). A court terme, IA, robots, TIC contribuent donc à la hausse de la productivité mais à long terme, les effets de concentration découragent l’innovation dans de nombreux secteurs. COMMENT REMEDIER A CETTE SITUATION ? Seule une politique de concurrence adaptée peut limiter les fusions acquisitions, casser les entreprises, s’attaquer aux barrières à l’entrée et protéger l’accès aux données. L’IA est une merveilleuse idée pour créer la croissance mais elle devient problématique avec de mauvaises institutions et des politiques de concurrence inefficaces. L’impact des nouvelles technologies sur l’emploi dépend donc des institutions mises en place (flexisécurité, éducation, politique de concurrence), il n’y a pas de déterminisme. 19
ESTIME DE SOI, CONFIANCE, COOPERATION, AUTONOMIE : COMMENT TRANSMETTRE CES MAITRES-MOTS ? Compte-rendu réalisé par Franceline Mercurelli, Professeure, académie Orléans- Tours. Intervenants : • Bruno Cautrès, Chercheur au CEVIPOF • Vincent Faillet, Professeur de SVT, Doctorant en sciences de l'éducation • Corinne Prost, Chef de service, adjointe à la directrice de la Dares, Chercheuse affiliée au CREST • Modératrice : Soazig Le Nevé, Journaliste au Monde Soazig Le Nevé introduit la table ronde par un constat : les études comparatives internationales sont sans appel : les élèves français sont plus anxieux, moins persévérants, plus fatalistes et ont une plus mauvaise perception d’eux-mêmes que les élèves d’autres pays. Notre école ne sait pas leur donner la confiance en soi qui aide à se projeter dans l’avenir et à réussir. « L’école de la confiance » est donc une urgence qui demande des actes plus que des discours. De quelle situation part-on exactement ? Existe-t-il des méthodes pédagogiques plus propices que d’autres ? Cette question cruciale révèle en filigrane une autre faille : le déficit de confiance ressenti par bon nombre de professeurs eux-mêmes face à l’hétérogénéité de leurs classes. LE DIAGNOSTIC Corinne Prost résume les résultats de la note du CAE dont elle est l’un des auteurs. Une des conclusions de ce travail est que les élèves français sont moins bien lotis que leurs pairs des autres pays de l’OCDE : ils sont plus anxieux, moins persévérants, ont moins confiance en leurs capacités, sont plus défiants envers le système scolaire en général et moins capables de coopérer entre eux. Néanmoins il existe des marges de progrès. Pour accompagner sa note, le CAE a recensé une liste de programmes qui réussissent, la plupart étant américain et canadien. Dans leur note, les auteurs 20
émettent l’hypothèse que l’évaluation est essentiellement pernicieuse, qu’elle ne permet pas de progresser et de développer la collaboration entre les élèves. LES CONSEQUENCES ET LES SOLUTIONS Bruno Cautrès, politiste, travaillant sur la notion de confiance, s’intéresse à la conséquence en bout de chaîne de ce manque de confiance. Une spécificité très française est le manque de confiance dans les institutions. Quand nous remontons dans le temps pour trouver ses origines, nous retrouvons les deux grands piliers que sont la famille et l’école. Bruno Cautrès regrette que la famille n’ait pas été évoquée. Néanmoins, l’école est un enjeu important pour reconstruire la confiance. Un des messages importants des différentes études menées est qu’il s’agit d’un chantier de longue durée. L’urgence est d’œuvrer pour une société citoyenne. Il préconise ainsi un grand chantier sur l’éducation civique et citoyenne tout au long de la vie des individus. UNE PRATIQUE PEDAGOGIQUE : LA CLASSE MUTUELLE Vincent Faillet a remis au goût du jour une pratique pédagogique née au XIXème siècle, la classe mutuelle. Le lycée s’est construit, selon lui, par des adultes mais se veut pour des élèves. On parle souvent de l’élève au cœur du système éducatif, mais il doit être le système. Vincent Faillet se définit, lui, comme un régisseur. Ainsi, dans la classe mutuelle, c’est l’élève qui est au cœur et qui donne le LA, et le professeur ne sait pas comment le cours va se terminer. Le professeur doit, donc, être capable de lâcher prise, d’où la condition selon lui d’être expérimenté dans le métier. Corinne Prost précise que les pays du Nord pratiquent plus le travail en groupe. Le modèle majoritaire restant le professeur face à l’élève. Vincent Faillet est interpellé sur l’existence d’une évaluation de sa méthode. Historiquement cette pédagogie a été évaluée car de nombreux écrits vont dans le sens de la méthode mutuelle. C’est le cas de la lecture où l’acquisition est plus rapide en mode mutuel que simultané. Intuitivement, pour Vincent Faillet, les élèves ne sont pas meilleurs mais mieux. Bruno Cautrès ajoute que les études d’impacts montrent qu’il existe un vrai effet de cette collaboration des élèves. Le parallèle avec la politique est instructif. En effet, tout comme avec la politique, il existe aussi des paradoxes vis-à-vis de l’école, avec des grandes attentes mais un sentiment de défiance. Il faut casser ce dernier et abaisser le sentiment que le jugement des autres est nécessairement toxique, nocif. C’est au cœur de la question de l’école, de la citoyenneté, de la société. POUR CONCLURE Transmettre les compétences sociales et comportementales, selon Vincent Faillet, ne revient pas pour les enseignants à pratiquer un nouveau métier qui toucherait presque au coaching mais nous devons lâcher prise. La discussion s’oriente sur la validation de ces innovations pédagogiques par l’institution. Pour Vincent Faillet, l’institution a fait des progrès et apprécie maintenant l’innovation. Il est persuadé que le monde de l’éducation change en écoutant plus la base. Ainsi, la conclusion de Soazig Le Nevé est : « Ayons confiance en l’institution également ! ». 21
RESSOURCES POUR APPROFONDIR ALGAN Y., HUILLERY E, PROST C., « Confiance, coopération et autonomie : pour une école du XXIème siècle », Note du Conseil d’Analyse Économique (CAE), n°48, Octobre 2018, 12 p. http://www.cae-eco.fr/Confiance-cooperation-et-autonomie-pour-une-ecole-du- XXIeme-siecle CEVIPOF, Le Baromètre de la confiance politique ? http://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique AGACINSKI D., « Expertise et démocratie. Faire avec la défiance », Rapport de France Stratégie, Décembre 2018. https://www.strategie.gouv.fr/publications/expertise-democratie-faire-defiance France Stratégie, « Quelle priorité éducative ? » Synthèse des contributions et du débat, Octobre 2017. http://francestrategie1727.fr/thematiques/quelles-priorites-educatives/ NAVES M-C., REYNAUDI M. « Restaurer la confiance dans le modèle républicain », Rapport thématique de France Stratégie, Juin 2014. https://www.strategie.gouv.fr/publications/thematique-restaurer-confiance-modele- republicain SON T.L., « Quelle finalité pour quelle École ? » Rapport de France Stratégie, Septembre 2016. https://www.strategie.gouv.fr/publications/finalite-ecole TRAN C., REFER 2018, « La classe mutuelle de Vincent FAILLET ». https://www.youtube.com/watch?v=Zofet2ScIJI « Vincent Faillet, professeur de classe mutuelle », L’expresso, Le Café pédagogique, 06 décembre 2016, http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/12/06122016Article6361660 71911256366.aspx. . 22
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