Sauna on Moon : chronique d'une maison close sur fond de mutations sociétales.

 
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Sauna on Moon : chronique d'une maison close sur fond de mutations sociétales.
 

Sauna on Moon : chronique d'une
maison close sur fond de mutations
sociétales.
Chronique d'une maison close sur fond de mutations sociétales, tel est l'argument du film
de Zou Peng, ancien styliste passé à la réalisation. Pour son second long métrage
après A Northern Chinese Girl (présenté au Festival de Berlin en 2009), il s'attaque avec
témérité à un sujet interdit de représentation en Chine : la prostitution.

Par touches impressionnistes, le réalisateur dresse le portrait d'une Chine en mouvement,
déstabilisée par la crise financière mondiale et la perte de repères culturels et identitaires.
C'est dans ce contexte troublé que le gérant d'un bordel tente de survivre avec ses
employées. Mais les rêves de fortune et les désirs de liberté se frottent à une réalité brutale,
faite de désillusions et de solitude.

Zou Peng situe son propos en 2009, année qui marque le dixième anniversaire du retour de
Macao sous administration chinoise. Mais dans la province de Guangdong, l'industrie du sexe
se porte mal. Le gérant du sauna doit rivaliser d'inventivité pour satisfaire des clients
exigeants. Lorsque l'un d'entre eux exige une vierge, un homme de main se met en quête de
la perle rare, à travers toute la ville.

Ce sont les séquences les plus réussies du film, en raison de leur tonalité documentaire. On
y voit comment la jeunesse travaille dans une industrie textile aliénante ou comment elle
drague dans des cybercafés, par écrans interposés, en osant à peine échanger un vrai
regard malgré la proximité des corps.

Ce naturalisme s'allie la sophistication de la photographie du talentueux Yu Lik Wai, par
ailleurs réalisateur des remarqués Love Will Tear Us Apart et All Tomorrow's Parties et
chef opérateur sur quasiment tous les films de Jia Zhangke. La lumière saturée enveloppe les
corps d'un halo de douceur. Alors, ils échappent à la marchandisation brutale à laquelle on
les soumet, pour recouvrer tout leur mystère.

SANDRINE MARQUES
Sauna on Moon : chronique d'une maison close sur fond de mutations sociétales.
SAUNA ON MOON
Après L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand
Bonello où les filles pleuraient des larmes de sperme, voici venir
Sauna on Moon du chinois Zou Peng présenté à la Semaine de la
Critique au Festival de Cannes.
Mr Wu, mac bienveillant, tient une maison des thermes – charmant
euphémisme pour décrire un pur bordel – à Canton. Le deuxième
film de Zou Peng suit de manière impressionniste une flopée de
destins féminins.
L’intérêt de Sauna on moon, au contraire du Bonello, plus
mortifère, est qu’il allie le sordide (qu’un client réclame une vierge,
il l’obtient) à une certaine vivacité. La ronde ophülsienne des
catins, magnifiée par le cadreur de Jia Zhangke, a quelque chose
de cruel, de lubrique et, pourtant d’infiniment tendre.
On pense au Jia Zhangke de The World. On sent le poids de
l’expansion économique de la ville (à l’inverse, le bordel bat de
l’aile) et on salue le talent de Zou Peng (révélé par Dongbei
Dongbei en 2009) qui sait imposer sa chronique avec ce qu’il faut
de fantaisie (des virées sur la plage) et de spectacle.
Vivent ces filles de joie !

Lucie Calet
Sauna on Moon : chronique d'une maison close sur fond de mutations sociétales.
 

Sauna on Moon : récit cruel du quotidien d’un
bordel chinois.
Placé sous les signes de l’eau et de la lune, ce deuxième long-
métrage de Zou Peng débute sous une pluie diluvienne avec une
paire de fesses : Wu se réveille à poil dans la maison close qu’il
dirige, ouverte aux quatre vents – y entre la pluie, passent une
poule et un lapin.

« Nos exercices dans les vagues mettront à l’épreuve votre
volonté et votre esprit d’entreprise » : ces quelques mots qu’il
adresse à ses employés sur une plage lunaire résume bien le
programme.

Ici, les prostituées sont comme des nageuses prises dans le roulis
permanent d’un monde cruel et farcesque d’où émergent de
magnifiques détails tels des trésors rejetés par la mer.

Parfois ces filles de joie boivent la tasse, d’autres fois elles
semblent marcher sur l’eau, comme lors d’un défilé où ces
déesses surplombent des clients gesticulant bêtement dans une
piscine.

Via ces hommes à la langue pendante, Zou Peng n’oublie pas de
placer cette tragi-comédie sous un autre signe, sinistrement
terrien, celui du cochon.

Amélie Dubois
Sauna on Moon : Une révélation du
cinéma chinois !

Un bordel en Chine où se croisent un patron rêvant de
bâtir un royaume du plaisir et des filles libertines à l’avenir
précaire.
Une comédie politique et sensuelle, trait d'union entre
l'acuité testimoniale et naturaliste d'un Jia Zhang-Ke et la
fibre picaresque de cette nouvelle génération de cinéastes
chinois qui ose la satire pour évoquer les mutations de la
société chinoise.
Zou Peng diversifie les écritures, parsème sa fiction de
réjouissantes trouvailles surréalistes, sans jamais
s'éloigner de sa ligne conductrice : topographier, de
manière décalée et préoccupée, le présent d'un pays en
proie à de sévères paradoxes idéologiques.

Xavier Leherpeur
SAUNA ON MOON

A la suite de Jia Zhangke, de nouveaux cinéastes chinois tentent de creuser un sillon critique
dans le cinéma chinois contemporain. Cette génération refuse les messages simplistes et
utilise l'image, pour déconstruire autant la propagande du régime que pour se montrer
extrêmement critique vis-à-vis du capitalisme. La propagande par l'image qui a fait les beaux
jours du Maoïsme, n'est pas l'apanage du communisme, le capitalisme use de l'image pour
imposer son idéologie: la publicité. Zu Peng fait parti de cette génération, et se montre si
redevable au réalisateur de The World qu'il lui emprunte son chef opérateur : Lu Lik Wai, lui
même réalisateur, dont les films (tel, All Tomorrow's Party) sont souvent parvenus jusqu'à
nous.

Sauna On Moon est un film sur les laissés pour compte de la conversion d'une dictature
maoïste en un laboratoire d'un néolibéralisme le plus corrompu. Tout est dans le titre, Sauna
On Moon est en effet une expression dérivée des paroles d'un classique de la musique
populaire chinoise. Elle désigne, de façon poétique, ceux qui vivent en marge. Cette marge,
Zu Peng a pu la rencontrer lorsqu'il travaillait comme tailleur et c'est à travers ce travail qu'il a
fait la connaissance de prostituées avec qui il s'est lié d'amitié. C'est en les côtoyant qu'il a
découvert un monde complexe qu'il a cherché, depuis, à mettre en scène. Avec Sauna On
Moon, il tente de proposer sa vision de l'industrie du sexe. A l'image de Zhangkhe et sous
l'influence du néoréalisme italien, Peng décrypte de façon quasi documentaire la vie d'un
bordel. Loin de la beauté plastique d'un Appolonide ou des Fleurs de Shanghai il se refuse
également à verser dans un glauque attendu et moralisateur. Non, la prostitution y est un
business comme un autre et le bordel filmé comme une PME qu'il faut gérer avec des clients
à satisfaire, voire à soudoyer. Alors que ce business est, en Chine, puni sévèrement de la
peine de mort on comprend, avec le film de Zu Peng, que cette économie prolifère et que le
bordel est un des principaux centre économique pour le pays dans son ensemble, cadres
dirigeants compris. Les allusions à la corruption des hauts-fonctionnaires sont à peine
esquissées mais déjà suffisamment, pour que, en plus du sujet abordé, le film se voie
interdire la distribution en Chine. L'image de cette Chine qui tente de s'en sortir par la libre
entreprise n'est guère plus glorieuse. Si à travers le portrait des femmes d'une belle subtilité
l'on devine que le film leur est dédié, il n'y a pas de possibilité pour elles de s'échapper de
leur condition d'exploitées. L'argent n'y est pas « facile » et pour une ouvrière qui réussi, avec
opportunisme, a échapper a la prostitution, combien d'autres se font battre, racketter et violée
par leur proxénète ou leurs clients ?

Alors que la propagande d'Etat, sans grande conviction, tente de faire de la publicité pour la
grandeur du communisme, le capitalisme en Chine transpire de partout. Il n'est, dès lors, pas
étonnant que Peng soit autant fasciné par la figure de la statuette ou de la poupée (parfois
humaine). Il faut y voir, sans doute une victoire du capitalisme sur le communisme. Le
fétichisme dont le réalisateur fait preuve, fait écho à l'une des grandes idées du capitalisme
mis en avant par Karl Marx : le fétichisme de la marchandise, de l'objet au corps et du corps
comme objet. On n’en attendait pas moins d'un cinéaste venant de l'industrie du vêtement.
Tout le mérite du film de Zu Peng est de souligner l'impasse dans laquelle se trouve la Chine
entre deux systèmes qui nient l'individu en tant qu'être humain.

Gaël Martin
Les charmes envoûtants de la maison close de M. Wu, Les qualités de filmeur
de Zou Peng et la beauté de son geste de cinéma font de Sauna on Moon une
expérience immersive à vivre en salles.

Zou Peng se risque à une certaine forme de trivialité, attaquant frontalement la thématique des
travailleurs du sexe en Chine. Il opte pour la forme de la chronique impressionniste, avec une narration
éclatée, présentant le parcours heurté de plusieurs personnages qui gravitent autour du lieu. Du
tenancier M. Wu à plusieurs prostituées, en passant par ses employés plus ou moins proches dont un
collaborateur trempant dans quelques affaires louches, une mosaïque de personnages est tissée. À
cette approche réaliste, où l’observation la plus méticuleuse d’un milieu dicte ses chemins à la
narration, Zou Peng va pourtant rattacher une aura mythologique, qui s’affirme dès les premiers plans
du film.

C’est en effet sur une fresque historique que s’inscrit le générique. Et lorsque celui-ci se termine, alors
que l’on est ancré dans le réel le plus prosaïque (un lapin et un poulet entrent dans la chambre de M.
Wu, et celui-ci les pourchasse nu), ce sont des images du Roi des singes, le classique de l’animation
chinoise de Wan Laming, qui illustrent cette séquence. En créant un parallèle entre les animaux
échappés du réel et ceux de la fiction du film qui passe à la télévision, c’est comme si Zou
Peng affirmait que ce quotidien aussi avait aussi le droit à la représentation artistique. Et cette
affirmation fait d’autant plus figure de manifeste dans les premières minutes du film, alors que le cinéma
chinois se recentre depuis quelques années sur la représentation de son passé historique à travers
des Wu Xia Pian onéreux, et que les cinéastes explorant son présent se font de plus en plus rares
(même Wong Kar-wai et Jia Zhang-ke se réfugient dans le passé). Tout du long, les références
mythologiques et triviales vont se succéder (alors que M. Wu fait appel à une sage spécialiste du Feng
Shui, un des plans suivants se focalisent sur une barbie qui orne la voiture d’un personnage) et
inscrivent ainsi la chronique dans la fresque, le réalisme dans le symbolique, le quotidien dans le
poétique.

De manière plus terre à terre, les événements de la région du Guangdong, proche de Hong Kong et
Macao (visité dans le film), son actualité, ses secousses économiques et politiques, travaillent le film en
profondeur. La maison close de Wu reflète l’évolution de la région : de la crise à son éventuelle sortie,
des rapports entre puissants et pouvoir. Si ces sujets sont directement évoqués par des informations
diffusées à la radio, le parcours du film et des personnages suffisent à l’illustrer, comme si ces tranches
de vie s’inscrivaient dans un récit plus ample, celui de la Chine actuelle, fruit du passé que relatent les
récits mythologiques et historiques que convoque par ailleurs Zou Peng.

La représentation de la sexualité, enjeu central du film, se situe encore dans cet alliance d’extrêmes en
apparence opposés et contradictoires : entre frontalité et suggestion, trivialité et érotisation. Mais ce
point de vue est finalement cohérent avec la volonté de raconter le réel d’une industrie qui vend
du fantasme. Ainsi donc, Sauna On Moon refuse d’abord toute « glamourisation » - la première nudité
représentée et celle de M. Wu chassant un poulet de sa chambre – et érotisation – de loin, la première
scène de sexe voit une prostituée « s’occuper », presque cliniquement, d’un client. Il s’agit d’ailleurs de
la scène la plus osée du film, Sauna On Moon rechignera, pour le reste, à montrer directement la
nudité des corps féminins. En effet, plus tard, c’est le quotidien du travail qui sera détaillé : de
l’entraînement à gémir, lors d’une remarquable scène frôlant le surréalisme, à l’utilisation de gadgets
censés doubler le salaire des femmes. Lors de ces scènes, c’est le point de vue féminin qui est adopté :
le métier de prostituée est un métier, fait partie d’une industrie et n’a rien d’excitant. Pourtant, lors de
quelques scènes, les corps féminins vont effectivement être fétichisés, érotisés, rappelant la part de
fantasme qu’ils provoquent, à la fois chez les passants les contemplant marcher (ce sont des scènes de
déambulation filmées au ralenti), et pour eux-mêmes, lorsque des accessoires qu’elles portent
provoquent une forme d’euphorie chez les jeunes femmes. On le voit encore ici, la singularité de Zou
Peng se situe donc dans une mise en scène qui s’épanouit dans l’apaisement de tensions, dans une
dialectique qui concilie les extrêmes dans ses modalités de récit.

Victor Lopez
SAUNA ON MOON : JOYEUX BORDEL

Deuxième film du réalisateur Zou Peng, Sauna on Moon vient à priori s’inscrire dans
la grande tradition du cinéma social chinois. Or comme l’a fait très justement
remarquer Charles Tesson lors de la présentation du film à la Semaine de la
Critique, il s’en démarque rapidement, et de plusieurs manières.

La première, et c’est ce qui saute aux yeux dès le début, c’est l’élégance et la
maitrise de sa mise en scène, toute en légers travellings avant, dont la grande
beauté plastique n’est pas sans rappeler les films de son compatriote Jia Zhang-Ke.
Ce n’est pas forcément étonnant quand on sait que le directeur photo de
Sauna… n’est autre que Yu Lik-wai, réalisateur de deux films déjà passés à Cannes
(All Tomorrow’s parties et Love will tear us apart), mais surtout fidèle
collaborateur de ce dernier.

La comparaison avec Jia Zhang-Ke n’est pas fortuite et, si elle n’écrase pas le film
de Zou Peng, qui n’a aucun mal à exister tout seul, elle ne se limite pas à son
esthétique. On reconnait également une manière assez étrange et particulière de
mener un récit tout en semblant vouloir raconter autre chose en réalité. Comme si le
sous-texte du film, qu’il soit politique, social ou autre, importait finalement bien plus
que les aventures de ses personnages.

Certes, l’interprétation d’un éventuel message politique d’un film est toujours un peu
casse-gueule, surtout face à une œuvre venue d’une culture non-occidentale.
Comment faire la part des choses entre ce que le spectateur occidental projette et un
récit aux codes simplement différents ? Si la même interrogation revient ici, c’est que
le contexte social (l’évolution économique de Macao depuis la rétrocession à la
Chine), s’il est bien présent en filigrane, semble être paradoxalement plus facilement
déchiffrable que le récit de ce proxénète et ses prostituées.

Car, pour dire les choses mois diplomatiquement : le tout début du film, s’il est
plastiquement superbe, n'est pas toujours des plus facile à suivre. Mais les pièces du
puzzle s’assemblent au fur et à mesure, et la patience est récompensée par une
excellente deuxième partie où s’enchainent de manière très surprenante des scènes
de sexe plus ou moins explicites et étranges (telle une valse dans un sex-shop, des
leçons de bondage…). De manière plus anecdotique, c’est aussi cela qui achève de
distinguer Sauna on Moon du tout-venant, et qui en fait au final un film exigeant et
intrigant. Un réalisateur à suivre.

Gregory Coutaut
Sauna on Moon : chronique d'un bordel

Deuxième film du chinois Zou Peng, Sauna on Moon apparaît comme une
chronique fantaisiste d'un bordel de Macao. Portrait tendre et optimiste d'un
milieu qui ne l'est pas du tout, porté par une esthétique pensée et parfois
bouleversante.

Zou Peng avec Sauna on Moon, tend à décrire le quotidien d'une maison des
thermes, euphémisme pour un Bordel pas des plus chic, et des prostituées et macs
qui l'habitent. Le film se révèle dès les premières minutes chronique impressionniste
de plusieurs destins féminins esquissés par un enchaînement de plans aériens,
montrant tantôt une vue du ciel dégagé laissant apparaître les rayons d'un soleil
brûlant, tantôt une pluie abondante qui vient alourdir le grain de l'image en même
temps que la vie des personnages. On sent alors le poids de ce milieu clos sur lui-
même par l'enfermement des prostituées dans ces chambres sordides ou un
appartement, bien trop étroit pour un homme, trois femmes et un enfant. Si les
petites allées de la ville de Macao sont réservées aux travailleuses du sexe, les
grands espaces, les étendues d'eau à perte de vue, sont pour les hommes, pour
monsieur Wu surtout, le tenancier de la maison close qui rêve d'expansion et de
gloire.

C'est tout le poids de l'expansion économique de Macao qui pèse sur les épaules du
petit tenancier et des personnages principaux, autant que sur celles du propos du
film, qui a pour ambition d'introduire un sous-texte social à sa peinture du monde de
la prostitution chinoise. Sous-texte un peu flouté par une structure narrative très
volatile, due à cet enchaînement, un peu hasardeux parfois, de plans sans lien
narratif ou même visuel. On pardonne ce petit travers du film, pour adorer ses pures
moments de beauté fantaisistes, lors de scènes complètement incongrues, deux
femmes dansant la valse dans un sex-shop, ou encore le très grand moment du
défilé des catins, magnifiées par un cadre, un décor et une musique qui apportent de
la tendresse et de la beauté là où normalement il n'y a que laideur et violence.

Cette beauté et cet optimisme ambiant sont le point fort du film, en même temps
qu'ils en représentent sa faiblesse. Si les femmes sont un peu secouées, par leur
mac et si certaines rêvent d'autre chose bien-sûr, elles évoluent dans un univers
plutôt serein, s'amusant avec monsieur Wu comme elles le feraient avec leur propre
père et côtoyant des clients qui, le soir venu, leur amène des paniers de crabe pour
récompense. Zou Peng a décidé d'appliquer au pied de la lettre l'expression
consacrée «filles de joie» pour dépeindre ses personnages féminins, en laissant,
peut-être un peu trop, de côté l'aspect monstrueux qui accompagne le métier.

Camille Esnault
Sauna on Moon de Zou Peng

A Canton, M. Wu, mac bienveillant, tient une
maison des thermes – charmant euphémisme pour
désigner un bordel. Mais, malgré l’expansion
économique de la ville, la petite entreprise de M.
Wu bat gentiment de l’aile.
Révélé en 2009 par « Dongbei, Dongbei », Zou
Peng tisse une ronde « ophülsienne » de
prostituées magnifiées par la lumière de Yu Lik-wai,
chef opérateur de Jia Zhang-ke ( Still Life ).
Après un début confus (il faut se familiariser avec
une flopée de protagonistes), le film, qui s’écarte de
la critique sociale pour privilégier ses personnages,
se pose et louvoie de manière impressionniste
entre sordide avéré (un client réclame une vierge, il
l’obtient), cruauté, lubricité, tendresse.
Zou Peng ? Un sérieux client à suivre.

Sophie Grassin
Sauna on Moon : Maquerelle à l’huile
Kermesse. Les chroniques d’un lupanar de Chine signées Zou Peng.
Au cinéma, tous les bordels se font écho et se ressemblent, même s’il en est de
mieux filmés que d’autres, même s’il en est certains qui évoquent plus intensément
une place de marché (au bétail ou financier, c’est selon). De cette banalité et de
l’analogie boutiquière, le cinéaste chinois Zou Peng fait la grande affaire de son
deuxième long métrage, Sauna on Moon (du nom du lupanar dont il infiltre le
quotidien), découvert à Cannes l’an passé parmi quelque 17 autres films ayant
également trait à la prostitution, symptômes d’une époque obsédée par les plaisirs
tarifés.

Baladeuse. Celui-ci débute par une série de miniatures éclatées, scènes de la vie
proxénète qui se posent d’emblée comme métaphores de la transition économique
d’une Chine contemporaine où, vaste blague, le commerce des corps est
officiellement proscrit. Un effiloché d’histoires que l’on peine d’abord à raccommoder,
et qui ne fait corps que par l’énergie graphique et la vigueur déployée par sa caméra
baladeuse. Au détriment, forcément, du récit en germe auquel s’imprime cette
esthétique de notes dans la marge, à la forme aussi émiettée qu’élégante : chaque
scène témoigne d’un regard aigu, alerte, gourmand de plans perlés et de travellings
à l’huile, mais on y frise fréquemment une certaine inconsistance décorative.

Toutes cinégéniques qu’elles sont, la plupart des filles, qui se présentent par des
numéros, n’y apparaissent guère qu’en silhouettes jamais tout à fait incarnées - et il
est tout aussi fâcheux pour une pute, fut-elle de celluloïd, que pour la narration qui
l’embrasse, de manquer ainsi de chair. Au milieu du gynécée aussi frétillant
qu’indistinct d’un claque de Macao, infiltré au son par les échos de la société licite
tenue hors champ, l’attention du film se porte donc sur la ronde des quelques-uns
qui vivotent de cette fricassée de cuisses agiles. Des petites frappes, sans même
l’aura des mauvais garçons, autour desquelles le récit se raffermit pas à pas et
épanche un peu de tendresse sans chercher à nous les rendre aimables, pauvres
types qui se dispersent en minables magouilles de macs, maternent les filles mais
n’envisagent que leur profit, baissent régulièrement la tête face à plus gros qu’eux.

Trajectoires. A mesure qu’il se resserre autour de ces portraits mi-sardoniques mi-
câlins d’entrepreneurs-courtiers, le récit s’octroie une vaste palette de tons, de
démonstrations cruelles en gags minimaux. L’effervescence de tableaux groupés
l’emporte souvent sur les trajectoires individuelles esquissées, mais de la confusion
de cette kermesse-cul gouvernée par des hommes émerge surtout, au final, une jolie
figure de maquerelle. Un émouvant personnage d’ex-prostituée reconvertie en mère
et matrone, passée de l’autre côté d’un régime d’esclavage dont le film ne cesse de
nous dire qu’elle ne saurait pour autant se libérer tout à fait.

JULIEN GESTER
SAUNA ON MOON
Quelque part entre Canton et Macao, la vie
quotidienne d’un bordel que son gérant souhaite
transformer en établissement de luxe, tout en
prêchant aux filles sa philosophie du bonheur…
Baroque jusqu’au Kitsch, déconstruit par une
narration kaléidoscopique, ce film audacieux tourné
en Chine par Zou Peng ose montrer les réalités de
la prostitution, officiellement interdite mais
hypocritement tolérée par des flics corrompus.
Du coup, il ne sortira pas dans son pays. C’est
l’envers de l’Apollonide : une même volonté
documentaire derrière la fiction, mais aux antipodes
du mythe artistique du claque 1900.
Chacun cherche sa lune !
D. F.
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