La musique du film Ridicule
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La musique du film Ridicule Antoine Macarez, professeur d’éducation musicale, Association Collège au Cinéma 37. Avant-propos : Pour réaliser cette étude de la musique de Ridicule, j’ai pris contact avec le compositeur Antoine Duhamel, que j’avais eu l’occasion de connaître dans les années 80, alors qu’il était directeur de l’école de musique de Villeurbanne, où j’étais élève à l’époque. Très gentiment, il m’a proposé de le rencontrer et j’ai eu la chance de pouvoir lui rendre visite à son domicile de Valmondois, par une belle journée de février 2010. Rencontrer Antoine Duhamel est une expérience unique et inoubliable. Je tiens ici à le remercier à nouveau chaleureusement, ainsi que son épouse Elisabeth, pour son accueil et sa disponibilité. Merci aussi : à Patrice Leconte pour l’attention qu’il a bien voulu porter à mes questions, lors de sa « Leçon de cinéma » donnée à Tours le 24 mars 2010, à l’invitation de l’association Collège au Cinéma 37, à Dominique Roy, présidente de l’association, pour son enthousiasme communicatif, Merci enfin à Ismaël Héron, collègue d’éducation musicale, qui m’a communiqué le lien vers le passionnant site « forum des images » et la conférence de Stéphane Lerouge sur la musique de film. Antoine Duhamel devant sa maison de Valmondois, février 2010 (photo A. Macarez).
Le compositeur Antoine Duhamel est né en 1925 à Valmondois, dans le val d’Oise, où il vit actuellement avec sa femme Elisabeth, dans la maison familiale. Il est le fils de l’écrivain-académicien Georges Duhamel et de la comédienne de théâtre Blanche Albane. Sa formation au conservatoire de Paris, en 1944-45, avec Olivier Messiaen, et surtout, en dehors du conservatoire, avec René Leibowitz, le conduit d’abord à s’intéresser à la musique dodécaphonique et au sérialisme. Il a pour condisciples Pierre Boulez, Pierre Henry ou Serge Nigg. Il travaille également avec Pierre Schaeffer dans ses expériences de musique concrète du Club d’Essai de la Radio. Il s’écartera ensuite assez rapidement de toute tendance radicale ou dogmatique, dans une démarche d’ouverture aux autres styles musicaux, comme le jazz et les musiques populaires. A partir de 1957, il commence à travailler pour le cinéma, pour des publicités et des courts-métrages. Il rencontre ensuite Jean-Daniel Pollet et les compositeurs de la « nouvelle vague », comme Rohmer, Rivette, et surtout Godard, avec qui il va devenir célèbre en composant la musique de Pierrot le fou (1965), puis de Week End, en 1967. Il collabore avec Truffaut sur 4 films : Baisers volés (1968), La sirène du Mississipi (1969), et Domicile Conjugal (1970). Il sera également le directeur musical de L’Enfant sauvage, en 1969. En 1964 il rencontre le tout jeune Bertrand Tavernier, qu’il retrouve 10 ans plus tard, pour Que la fête commence (1974). Ils collaboreront ensuite de façon régulière, pour La mort en direct (1979), Daddy Nostalgie (1990), et Laisser-passer, en 2001, qui lui vaudra l’étoile d’or de compositeur de musique originale de film. Le metteur en scène avec lequel il a le plus collaboré est sans conteste Jean-Daniel Pollet, avec une dizaine de courts et longs métrages, dont Méditerranée, en 1963, qui contribuera à sa renommée de compositeur, et l’Acrobate, en 1975. En 1985, avec son grand ami, le compositeur Pierre Jansen, il écrit la Suite Symphonique pour Intolérance, accompagnant le célèbre film de Griffith, créé au Théâtre des Amandiers en 1985, et remise à jour en 2007, pour la sortie d’une nouvelle copie du film. Antoine Duhamel a également beaucoup travaillé pour la télévision, en particulier avec Claude Barma (Le chevalier de Maison-Rouge (1962), et surtout le feuilleton Belphégor (1965), avec Juliette Gréco), mais aussi Robert Mazoyer (Au plaisir de Dieu, feuilleton, 1977) Marcel Bluwal (Les Ritals, 1990), ou Jacques Rouffio (Jules Ferry, 1993). En 1980, il fonde l’Ecole de Musique de Villeurbanne, et s’installe en région Rhône-Alpes avec sa femme Elisabeth. Cette école, qu’il dirigera pendant 6 ans, lui permet de susciter une démarche pédagogique axée sur la pratique collective et la création, ouverte à toutes les musiques et à d’autres formes d’expression artistique. Connu surtout pour sa musique de film, Antoine Duhamel revendique le fait d’être avant tout un compositeur de musique : il a également composé 9 opéras, qui lui tiennent particulièrement à cœur, et de très nombreuses œuvres instrumentales et vocales, très diverses en genres et en effectifs, de la musique savante à la création théâtrale avec des comédiens, en passant par l’opéra pour enfants.
Paroles d’Antoine Duhamel… (Marc Zazzo, 2003) "Les compositeurs qui ont fait comme moi beaucoup de musique pour le cinéma, Pierre Jansen, Georges Delerue..., sont des compositeurs qui ont le plus grand mal à être pris pour des compositeurs dits sérieux. C'est comme si on avait touché au diable. Or aujourd'hui, beaucoup de compositeurs sérieux ont envie de faire de la musique de film mais ils n'osent pas de peur d'être déconsidérés." Cité par François Piatier, sur le site Musique nouvelle en Liberté, www.mnl-paris.com "Alors que, pour la plupart des gens, la musique de film est un accessoire que l’on pose dans un coin, [j’ai] toujours pensé qu’elle jouait un rôle important sur la structure, sur l’explicitation des émotions", Antoine Duhamel aux Cahiers du cinéma, (hors-série Musiques au cinéma, 1995). « Je pense que c'est très important dans la vie d'un compositeur de ne pas faire tout le temps la même chose. C'est pour cela que j'aime Stravinsky ou Picasso qui sont en renouvellement constant. C'est un gros problème de la création contemporaine qu'il ne soit pas question pour beaucoup de compositeurs dits sérieux de n'avoir pas la moindre référence à quelque chose qui soit proche du jazz ou de la chanson. Alors que tous les compositeurs de Monteverdi à Bach en passant par Mozart ou Beethoven ont eu tout le temps une certaine liberté. Les compositeurs actuels ne sortent pas de leur tour d'ivoire. Cette variété m'intéresse compte tenu du fait que ce soit également une recherche de qualité. « Antoine Duhamel, entretien avec Benoît Basirico (2005), sur le site cinezik.org « La première fois que j'ai eu un choc positif me disant qu'on pouvait imaginer d'avoir une musique audacieuse, c'était le début de Citizen Kane. Mais ce n'était pas seulement ça : c'était aussi tous ces films que je voyais à la Cinémathèque, et dans une salle à côté de Musée Guimet, où on projetait régulièrement des muets, qu'un ami, Joseph Kosma dont j'honore toujours la mémoire, accompagnait au piano. A cette époque, j'étais plutôt Ecole de Vienne, mon maître était René Leibowitz, et j'étais passionné par Schoenberg, Berg, Webern. » « Quand j'étais jeune compositeur, j'avais toujours des envies pour faire aussi, du jazz, de la chanson, du tango… Je ne rejetais rien. Je me rappelle très bien l'opposition très vive que j'ai eue avec Boulez, de bonne heure. Je trouvais L'Ange Bleu formidable, pour lui ça n'avait aucun intérêt, contrairement au Jeanne d'Arc de Dreyer. Cette tendance s'est beaucoup accentuée dans mes années de cinéphilie, entre 1945 et 1955, durant lesquelles j'allais autant que je pouvais voir des comédies musicales. Jeune compositeur dodécaphoniste, je me creusais la tête à me demander comment, avec le langage dodécaphonique, écrire de la musique qui pourrait donner un plaisir, une joie pareille à celle que je trouvais dans les Gershwin et dans les grandes comédies musicales américaines… ». « Mon rêve serait d'arriver à faire une œuvre personnelle pour le cinéma. C'est ce qui s'est produit pour Diamètres, Méditerranée, Pierrot le Fou, et avec un certain nombre de films… » « …pour moi, faire de la musique de film, c'est toujours avoir des problèmes à résoudre. » Antoine Duhamel, entretien avec Benoît Basirico & Frédéric Camus (2007), sur le site cinezik.org
Antoine Duhamel, vu par… Stéphane Lerouge : N'empêche : à jongler avec le jazz et la java, à s'aventurer dans tous les domaines de la musique, notre nomade symphoniste a certainement contribué à brouiller son image. Comment est-il perçu ? En raccourci, les gens de cinéma voient en lui un compositeur contemporain, à la frontière de l'austère, les esthètes de la musique contemporaine un mercenaire de la musique de film. Il est parfois difficile d'appartenir à une seule famille quand on voudrait toutes les revendiquer... Mais c'est peut-être ce qui fait la richesse d'Antoine Duhamel, son originalité sur l'échiquier de la musique d'aujourd'hui. Branchez-le sur Boulez, il vous parlera de Micheline Dax. Evoquez Tintin et les oranges bleues, il vous répondra sur Godard ou Pollet. Aucun sujet ne lui résiste : il sera aussi intarissable sur Bertrand Tavernier, Frank Zappa, Stravinski ou Dave. Tel est Antoine Duhamel : octogénaire aux sourires et caprices d'enfant, créateur fantasque en dehors de tout système ou establishment, auteur d'une oeuvre captivante dont les contours restent encore à cerner. Stéphane Lerouge, Conversations avec Antoine Duhamel, Editions textuel, 2007. Antoine Duhamel, un musicien des mots et des images, par François Piatier Antoine Duhamel ne renie pas ses affinités pour la musique de film mais il veut sortir de l'ombre. Son œuvre, qui dépasse largement les frontières du Septième Art, recouvre avec un égal bonheur les domaines de la musique instrumentale et surtout de la musique lyrique. Sans dogme, il conduit son inspiration selon un seul critère, le plaisir d'écrire […] La finesse de sa culture, gagnée à la fréquentation assidue de la langue à travers le théâtre (sa mère), la littérature (son père) et la poésie, se traduit à chaque instant dans son discours musical, témoin de ses connaissances, de ses recherches, de ses plaisirs et de ses victoires. Il a vécu à fond chacune de ses aventures, celle de l'opéra, celle du cinéma et celle de la musique sérieuse, sans jamais se renier. François Piatier, sur le site Musique nouvelle en Liberté, www.mnl-paris.com
La collaboration Leconte- Duhamel : Patrice Leconte s’intéresse depuis longtemps à la musique d’Antoine Duhamel, en particulier aux musiques qu’il a composées pour Godard et pour Méditerranée, de Pollet, mais il ne le connaît pas personnellement. Il va entrer en contact avec lui par l’intermédiaire d’un de ses producteurs, Philippe Carcassonne. « Les choses ont démarré ainsi. C’est parti d’un enthousiasme personnel sur lequel un producteur intelligent a soufflé comme sur une braise »1 D’abord intrigué, Leconte éprouve rapidement de la sympathie pour le « personnage » Duhamel : « j’aime cet homme, sa musique, son physique fou, son allure extraterrestre, mais aussi la bienveillance, la bonté qu’il dégage ». Place de la musique dans le film : La musique dans le film est présente pendant environ 34 minutes, soit le tiers de la durée totale (1h 42). Il s’agit la plupart du temps d’une musique instrumentale, à l’exception du « Libera me »qui accompagne la scène du duel, la plus longue séquence musicale du film (environ 2’ 30), et de la chanson «Le Bel esprit », que l’on entend quand Mathilde fait son apparition à la cour, rompant ainsi le contrat passé avec son futur époux, le vieux Montalieri. Musique d’écran- musique de fosse : En suivant la terminologie de Michel Chion, on peut distinguer au cinéma deux types de musiques, dont la frontière, d’ailleurs est très perméable : la musique « d’écran » dont le lien avec l’action peut être établie, et la musique « de fosse » (en référence à l’opéra) que les personnages du film ne sont pas censés entendre, et dont le spectateur ne peut identifier la provenance. Outre «Le Bel esprit », il y a dans Ridicule d’autres musiques « d’écran », Ainsi lorsqu’on entend du clavecin dans les salons (variations sur Ah vous dirai-je maman, citation de la musique de Mozart, chap. 4, 14’40 et 16’27), ou lors de la leçon de danse chez le marquis de Bellegarde, où l’on voit le personnage joué par Rochefort mener la leçon depuis le clavecin (chap. 5, 27’33) ; lors du dîner de Guines (chap. 5, 31’54), une jeune fille, là encore, joue du clavecin, placé directement sous la table du repas. Mais la principale musique « de source », bien qu’on ne voit pas les musiciens à l’écran, est certainement la gavotte qui accompagne la scène du « bal de l’automne », une scène cruciale du film, au cours de laquelle les personnages principaux « tombent les masques », au sens propre comme au figuré. C’est d’ailleurs cette musique qui va servir de thème principal au film, et l’une des premières composées, puisqu’elle a dû servir de support au tournage de la scène du bal, au même titre que « la volte », « le dîner de Guines », ou «Le Bel esprit » (chap. 10, 63’45), dans les scènes où l’on voit la source de la musique (le clavecin, la chanteuse) à l’écran. Cette contrainte fonctionnelle, imposée par les impératifs du tournage, n’est pas toujours du goût du compositeur, mais peut influencer ses choix et même conditionner l’ensemble de son projet musical, comme l’explique Antoine Duhamel : « Composer la musique avant, je n’y crois pas tellement, et j’ai même souvent pensé que dans plusieurs des films sur lesquels j’ai travaillé, les musiques obligatoirement composées avant parce qu’elles jouaient un rôle dans le tournage m’influençaient dans un sens que je n’avais pas vraiment voulu. Dans Ridicule, j’avais écrit au piano cette gavotte sur laquelle ils dansent. Leconte s’en est servi au tournage, et, au montage, j’entendais la gavotte partout dans le film... C’était une nouvelle contrainte, qui m’incitait à faire des variations sur la gavotte. Souvent, les musiques faites avant tournage vous limitent quelquefois dans le choix final ».2 Sur le même sujet, voici l’analyse de Patrice Leconte : « Le problème de la musique originale au cinéma, c’est qu’elle arrive souvent en bout de course, une fois le montage terminé. Alors qu’on aurait précisément 1 Témoignage de P. Leconte dans l’ouvrage de Stéphane Lerouge, Conversations avec Antoine Duhamel, editions Textuel. 2 http://www.polyphonies.eu/lemensuel/spip.php?article144 (mars 2007)
besoin d’elle au début du montage, pour servir de colonne vertébrale pour charpenter le film. Du coup, sur Ridicule, avec Joëlle Hache ma fidèle monteuse, on a beaucoup utilisé la maquette de gavotte d’Antoine comme musique témoin, à titre provisoire. Et, c’est vrai, cette gavotte a fini par nous rentrer dans la tête : Sa ligne mélodique est vraiment marquante. Résultat, Antoine a construit le thème principal en partant des quatre premières notes de la gavotte. Ce qui donne un mal pour un bien : cela donne une homogénéité musicale à l’ensemble du film. J’aime les partitions qui creusent un seul sillon mais qui le creusent bien. »1 Couleur et unité : Pour Ridicule, deux possibilités s’offraient au compositeur : Soit recréer une musique « d’époque » avec un orchestre moderne, soit composer une musique aux sonorités plus actuelles, mais avec des instruments d’époque : en commun accord avec Patrice Leconte, c’est ce choix qui a été retenu, et la musique de Duhamel a été enregistrée par la Grande Ecurie et la Chambre du Roy, l’orchestre de Jean-Claude Malgoire, un des premiers ensembles français à s’être consacré à l’interprétation des musiques anciennes sur instruments d’époque. Ce choix d’une couleur particulière, sonorités moelleuses des flûtes, ou plus rudes et incisives des cors naturels, donne à la musique de Ridicule son originalité et son unité première, sans rechercher à obtenir une authenticité historique qui ne serait pas conforme au projet de Patrice Leconte, « ne pas faire un film de gardien de musée ». Le deuxième facteur d’unité est, bien entendu, le fait d’utiliser un thème unique qui se prêtera à de multiples variations : c’est la gavotte de la « Fête de l’automne » citée plus haut, qui jouera ce rôle. Ce thème « originel » ne sera entendu que 5 minutes environ avant la fin du film, au moment du bal costumé (chap. 15, 88’51). Il suit le schéma formel d’une gavotte du XVIIIe siècle, c'est-à-dire une danse à 2 temps, avec un départ en anacrouse, découpée en phrases régulières de 8 mesures. Le thème principal est en mode mineur. Un épisode central fait entendre de nouveaux motifs mélodiques, cette fois ci en majeur, avant le retour du thème initial mineur. Les timbres prédominants sont les hautbois et les bassons, renforcés par les cuivres et percussions, sans utilisation des cordes. L’aspect rythmique du thème est nettement marqué, autour de la cellule de dactyle (longue/brève/brève). L’idée de départ est de d’abord faire entendre ce thème sous ses différentes transformations, de telle sorte qu’il soit familier au spectateur au moment où il apparaît sous sa forme première, dans la scène clé du bal, point culminant et dénouement de l’action. Ainsi, dès la séquence d’ouverture, le thème est déjà présent, sous une forme morcelée et théâtrale, comme insidieuse, hachée par le silence, qui contribue largement au climat nauséeux et inquiétant de cette scène, au même titre que la lumière très travaillée des rayons de soleil qui percent les volets fermés et découpent comme des lames l’obscurité censée protéger le vieillard impotent et mourant qui s’y terre, privé de la parole dont il usait si bien autrefois, comme d’une arme tranchante. Le générique qui suit est, lui aussi, dérivé de la gavotte, dans une version plus lente et plus accentuée, moins dansante, dans une orchestration plus étoffée et une texture plus touffue où les cordes et les cuivres dominent, ce qui donne un aspect plus solennel et plus pesant au thème, exposé d’abord dans le grave : 1 Témoignage de P. Leconte dans l’ouvrage de Stéphane Lerouge, Conversations avec Antoine Duhamel, editions Textuel.
Tout au long du film, ce thème subira ainsi toutes sortes de transformations, du rythme, de la métrique, de l’harmonie, de l’orchestration, de l’arrangement, qui l’éloignent même parfois largement de sa version originale. Ce principe de variation, qui assure l’unité musicale de la composition, est sans doute aussi à l’origine de la citation par Duhamel des variations sur « Ah vous dirai-je maman » de Mozart, une oeuvre de référence de la forme « thème et variations ». D’autre part, comme l’explique Antoine Duhamel, cet emprunt à Mozart était aussi un moyen d’adresser un clin d’œil à son illustre prédécesseur, qui aurait très bien pu être présent à Paris à l’époque où se situe l’action. Mathilde : Ce thème est l’un des seuls dans la musique du film à être associé à un personnage précis. La mélodie est aussi dérivée du thème principal, même si sa parenté paraît lointaine, tant la présentation en est transformée : cette fois ci le thème est en majeur, d’allure ternaire, joué par 2 flûtes accompagnées par un luth, ce qui lui donne un caractère intime et sensuel, dans un style galant aux lignes mélodiques nonchalantes entrelacées en imitation, propre à évoquer la fraîcheur et la grâce de la jeune femme, qui séduit Ponceludon dès sa première apparition… Ce thème reviendra 3 fois, toujours associé à une scène où les deux jeunes gens se trouvent en tête à tête dans la nature ensoleillée : à la première apparition de Mathilde (chap. 5, 23’ 38’’), lors de la récolte du pollen par une méthode originale, à l’érotisme subtil et raffiné (chap. 5, 33’ 36’’), et enfin lors d’une promenade au bord de la rivière (chap. 6, 41’ 04’’). Rôle de la musique dans la dramaturgie : L’action de Ridicule se déroule à une période charnière, où se joue en arrière-plan l’affrontement imminent entre deux mondes, celui qui finit, le cercle fermé et pourrissant de la Cour, et celui qui s’annonce, celui du progrès scientifique et social, de la fin des privilèges. Le parcours de Ponceludon dans le film est une sorte de métaphore de l’évolution de la société, il est l’homme du monde à venir, il en pressent les nouveaux enjeux. La perception du conflit entre ces deux mondes, exprimé par le scénario et la mise en scène, est renforcée par la musique, qui, à plusieurs moments dans le film confronte deux climats musicaux différents, en jouant de l’ambiguïté entre les modes mineur (le monde du passé) et majeur (l’avenir). Cette confrontation souligne des moments charnières du film. Ainsi, la première fois, lorsque Ponceludon retourne dans la Dombes, après s’être ridiculisé dans un dîner (chap. 10). Pendant sa chevauchée, filmée en caméra subjective, la bande-son mêle galop du cheval, musique et bribes de conversations entendues auparavant, qui figurent les pensées qui viennent à l’esprit du jeune homme, au gré des paysages traversés. La musique, de la même manière, évolue au fil du voyage : au début on entend nettement le thème principal, sous une forme dynamique qui correspond à la chevauchée, puis, progressivement, le tempo se ralentit et on entend un nouveau motif, dérivé de la tête du thème, exposé dans un tempo très lent, devenu presque méditatif. Ce motif, à l’origine en mineur, va presque imperceptiblement muter dans un mode ambigu, entre majeur et mineur.
Cette juxtaposition, ici assez progressive, peut correspondre à l’évolution des sentiments du personnage, qui a subi un premier échec à la cour, qui rentre chez lui, dans le monde de la réalité, de la misère et des solutions à apporter, non plus par les mots, mais par l’intelligence – la raison – et l’action concrète. Et c’est ce même motif qui reviendra, suite à une semblable superposition, mais beaucoup plus crue que la première fois, une sorte de « tuilage » entre plusieurs musiques, à la fin du « Bal de l’Automne », juste après le discours libérateur de Ponceludon (chap.15, 1h 32’ 52’’). Cette fois, c’est au thème principal, la gavotte, danse de cour, que se substitue peu à peu le motif « majeur-mineur », qui fait la transition directe avec l’épilogue, en Angleterre, avant le retour du générique final, sensiblement semblable au générique de début. Le Duel : L’idée de mise en scène de Patrice Leconte pour la séquence du duel (« comment tourner une scène si connotée ? ») a été de « filmer au ralenti des personnages presqu’immobiles »1. Ensuite, au montage, pour donner une cohérence à la séquence, le réalisateur a utilisé une chanson composée par Angelo Badalamonti pour La Cité des enfants perdus, le film de Caro et Jeunet, interprétée par Marianne Faithfull. Comme souvent, lorsqu’un réalisateur utilise au montage une musique préexistante, Patrice Leconte a ensuite eu du mal à imaginer pour cette séquence une autre musique que la chanson de Marianne Faithfull. Cette anecdote est mentionnée par Antoine Duhamel dans les bonus de l’édition DVD, mais aussi racontée par Stéphane Lerouge dans une conférence visible sur internet2, dans laquelle il explique combien Antoine Duhamel a dû user de toute sa persuasion pour convaincre Leconte de ne pas conserver la chanson de Badalamonti, au risque de nuire à la cohérence et à l’esprit unitaire de la partition qu’il avait conçue pour le film. Toujours d’après Stéphane Lerouge, Antoine Duhamel s’est cependant en quelque sorte inspiré lui aussi de la chanson du montage, en concevant une pièce vocale à 3 voix, dérivée là-encore du thème principal, sur le texte du « Libera me », qui fait partie de la messe de requiem. Cette pièce au caractère funèbre, méditatif, contribue parfaitement à la réussite de cette séquence, sorte de tableau onirique, comme suspendu hors du temps. Patrice Leconte, quant à lui, a surmonté sa frustration, puisqu’il a eu, depuis, l’occasion d’utiliser la chanson de Marianne Faithfull "Who Will Take My Dreams Away » dans son film La Fille sur le pont, en 1999. Sources : Bibliographie : Lerouge, Stéphane, Conversations avec Antoine Duhamel, Editions Textuel, 2007. Chion, Michel, La musique au cinéma, Fayard, "Les Chemins de la musique", 1995. Discographie : Le cinéma d’Antoine Duhamel, vol. 1 &2, compilation réalisée par Stéphane Lerouge, Universal Jazz B.O. du film Ridicule, Decca 452 697-2, 1996 Sites internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Duhamel. La page très complète sur le site « MNL » n’est malheureusement plus active . http://www.seances.org/html/cycle.asp?id=406 extrait de conversations avec AD, Stéphane Lerouge http://www.cinezik.org/infos/affinfo.php?titre0=20061217131127 (liens vers interviews avec AD) http://www.zzproductions.fr/pdf/antoine_duhamel_et_pierre_jansen.pdf: entretien à l’occasion de la musique réalisée en commun pour le film Intolérance ; bibliographie et webographie (liens manquants). Conférence de Stéphane Lerouge : Cours de cinéma : « La projection musicale » La conférence dure 54’. Le passage concernant Ridicule commence à 34’ http://www.forumdesimages.fr/fdi/L-Academie/Les-Cours-de-cinema-en-video 1 « Leçon de Cinéma » de Patrice Leconte, Association Collège au Cinéma 37, 24 mars 2010. 2 http://www.forumdesimages.fr/fdi/L-Academie/Les-Cours-de-cinema-en-video
Pistes pédagogiques Le principe de variation : variations « Ah vous dirai-je maman », WA Mozart Gavottes baroques avec variations (par exemple gavotte et 6 doubles J. Ph. Rameau) Timbre : la différence entre instruments anciens et modernes : flûte traversière, clavecin, cuivres naturels Musique et danse : danse baroque, exemple de la gavotte. Musique et image - étude de séquences : La scène du duel : comparaison avec d’autres musiques (Marianne Faithfull…) et avec la scène du duel de Barry Lyndon (1975) de Kubrick, variations sur la Sarabande de Haendel. Utilisation de "Who Will Take My Dreams Away?" par Patrice Leconte dans La Fille sur le pont et par Caro/Jeunet dans la cité des enfants perdus. Fonctions de la musique : Musique d’écran/musique de fosse : par exemple dans l’enchainement des scènes : « retour vers la Dombes » (chap.10) au « Bel esprit ». Un thème attaché à un personnage : Mathilde – comparaison des 3 scènes. Progression dramatique par la musique à partir du « Bal de l’automne » (chap. 15 & 16). Comparaisons avec d’autres séquences équivalentes d’autres films « en costumes » : Que la fête commence, Bertrand Tavernier (1974). Musique de Philippe d’Orléans arrangée par Antoine Duhamel. Casanova, Fellini (1976). Amadeus, Milos Forman (1984) Marie-Antoinette, Sofia Coppola (2006) (avec Marianne Faithfull !) Liens : La Fille sur le pont : http://www.youtube.com/watch?v=OaamZLKRul0 Gavotte extraite des Boréades, par les Musiciens du Louvre : (version concert) : http://www.youtube.com/watch#!v=qMXw7mJM6e4&feature=related Gavotte extraite d’Atys de Lully (version dansée) : http://www.youtube.com/watch#!v=u9b6ldKKqu0&feature=related Exemple de gavotte dansée à 4 : http://www.youtube.com/watch?v=sZGcW2JX7rk Le duel de Barry Lyndon : http://www.youtube.com/watch?v=6bos2ZTGNZc Le duel de Ridicule : http://www.youtube.com/watch?v=7g4H2Ivstn8&feature=related La scène d’ouverture de Ridicule : http://www.youtube.com/watch?v=2ZKG555N6Rg&feature=related
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