SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ - 12 septembre 2015 - 1re édition - S3Odéon
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S3ODÉON EST L’ÉVÉNEMENT ANNUEL DU FUTUR DE LA SANTÉ Sa finalité est de favoriser le rapprochement et le métissage d’idées entre Science, Santé et Société. Il a pour ambition de proposer une ré- flexion positive sur les défis de la santé. z La première édition a eu lieu le 12 septembre 2015 au théâtre de l’Odéon, lieu emblématique de la culture française. Plus de 700 personnes sont venues écouter, s’inspirer, s’émouvoir des 32 interventions de chercheurs, médecins, psychologues, entrepreneurs… Ces talentueux acteurs ont planté le décor de la santé de demain. En 7 minutes maximum, ils se sont aventurés du côté des nouvelles technologies et montré comment le nu- mérique révolutionne la santé. Nanotechnologies, immu- nothérapie, biotechnologies… Ils ont levé le voile sur les nouveaux traitements. Ils nous ont aidés à comprendre les mécanismes du vieillissement du cerveau ou à diagnosti- quer l’état de la conscience chez des personnes en état de non-communication… 70 % des spectateurs étaient encore présents pour le troisième acte. Arrivés à 10 h 30, ils repartaient réjouis à 19 heures pour braver la pluie. Les commentaires glanés étaient plus qu’encourageants : « C’est un événement qui vous donne l’impression d’être plus intelligent », explique un participant. « Si on m’avait dit que je resterais un jour 7 heures à écouter des conférenciers, je ne l’aurais pas cru », ajoute un autre. L’association S3Odéon, l’équipe d’organisation, les interve- nants et les partenaires sont très heureux d’avoir réussi ce pari ambitieux. En attendant la prochaine édition 2016, nous vous proposons de revivre les moments forts de l’événement. 3
PARTAGER LES NOUVEAUX DÉFIS DU BIEN-ÊTRE ET DE LA SANTÉ L es trois coups viennent de retentir. La lumière s’éteint. Un spectacle inédit commence, le spectacle de notre san- té. Sur scène, médecins, chercheurs, théra- peutes, économistes, représentants de la société civile se succèdent en alternance avec quelques interludes musicaux. En quatre ou sept minutes, dans ce théâtre de l’Odéon qui a naguère accueilli tant de débats passionnés et d’échanges houleux, chacun présente ce que sera, pour lui, la santé de demain. Le théâtre en ce jour fait salle comble : de l’orchestre au deuxième balcon, une assis- tance attentive déguste ces monologues pleins de vie et d’humour, applaudissant à tout rompre ces hommes et ces femmes qui se sont prêtés au jeu, qui ont accepté de brûler les planches pour mieux illuminer nos esprits. 4
ACTE I Le colloque débute par « Perte de commande ». ANAÏS HUA et PHI- LIPPE DUSSEAU racontent ce que pourrait être demain une com- mande de pizza si nos données mé- dicales étaient accessibles. 5
FUITE DE CERVEAU z De la pizza on passe à l’oubli bénin. « Je voudrais vous raconter l’histoire de… Ah je ne retrouve plus son nom… Ça me reviendra ce soir ». YVES AGID, fondateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) serait-il pris d’un subit trou de mé- moire ? Pas d’inquiétude ! Ces trous de mémoire, nous en souffrons tous, nous nous en plaignons tous, mais ils ne sont nullement le signe d’une dégénérescence cérébrale. Pourquoi ces oublis ? Parce qu’on est fatigué, stres- sé, surmené ou parce qu’on vieillit. « Vous avez un peu moins de 100 milliards de neurones et contrairement aux idées reçues vous ne perdez pas de neurones ». Nous voilà rassurés. Quoique : si nous ne perdons pas de neurones, en revanche, nous perdons des terminai- sons nerveuses. « Les connexions se font moins bien, la communication est mauvaise, la mémoire s’estompe ». En revanche, dans Alzheimer, on perd non seulement YVES AGID les terminaisons nerveuses, mais aussi les neurones : Membre de l’Académie « Dans le vieillissement, c’est l’arbre qui perd ses des sciences, fondateur feuilles ; dans Alzheimer c’est l’arbre qui disparait, c’est de l’Institut du cerveau et de la moelle épi- une déforestation du cerveau ». nière, Yves Agid est un Quels espoirs pour vaincre cette maladie ? Si la re- cerveau XXL. Il utilise ses cherche est active, les résultats sont décevants : quelques milliards de « Le cerveau » est compliqué. C’est comme l’univers. neurones pour étudier Vous avez 100 milliards d’étoiles dans une galaxie. Et les maladies dégénéra- tives comme Parkinson vous avez 100 milliards de neurones, chaque neurone ou Alzheimer. Ce neuros- a des dizaines de milliers de connexions. Chaque se- cientifique sort des sen- conde, un milliard de signaux électriques sont émis tiers battus pour explorer dans le cerveau ». de nouvelles pistes de compréhension de ces La compréhension du fonctionnement et des dys dysfonctionnements du cerveau. z fonc tionnements du cerveau avance. Trois grandes voies de recherches sont explorées : 1. Éliminer les plaques séniles avec l’aide d’anti- corps spécifiques ; des dizaines d’essais sont en cours. 2. S’intéresser aux prions, ces protéines étranges, un peu déformées, qui lorsqu’elles s’approchent d’une protéine normale, la rendent pathologique. 3. Enfin, explorer les fonctions des cellules gliales, des cellules deux à trois fois plus nombreuses que les neurones, qui forment l’essentiel de la masse de notre cerveau. 6
À LA MODE INTELLIGENTE z Des connexions nerveuses on passe sans transi- tion à la santé connectée. À la barre pour nous guider, PIERRE-YVES FROUIN. Sa startup Bioserenity PIERRE-YVES FROUIN développe des vête- ments dits intelligents. La solution de sa startup s’est spécialisée dans le vêtement intelligent bardé de BioSerenity se nomme capteurs. Ainsi Neuronaute, un T-shirt et un bonnet, Neuronaute et est des- destinés aux patients victimes de crises d’épilepsie. tinée aux patients épilep- tiques. Lors des crises, Dans un diagnostic traditionnel, le patient consulte les données du patient sont enregistrées par un un médecin qui lui prescrit un examen. Le patient s’y tee-shirt et un bonnet rend, on lui pose l’équipement nécessaire, on réalise puis envoyées sur une l’enregistrement et le patient retourne voir son méde- application smartphone cin. Le système a ses limites, à la fois parce qu’il faut et transmises à l’équipe des salles dédiées, du personnel spécialisé, et parce médicale. Ce système que ces enregistrements, souvent de courte durée, ne permet d’enregistrer des informations difficilement permettent pas de détecter les événements rares. Par disponibles lors d’enre- exemple, pour une épilepsie, ils se manifestent par de gistrements de courte grandes crises, mais aussi par une multitude de crises durée à l’hôpital. z focales, parfois asymptomatiques. Aujourd’hui, les enregistrements se font sur vingt à quarante minutes, ou au maximum quelques heures. Bien souvent, aucune crise n’est détectée sur ce laps de temps. Le médecin prescrit un traitement, mais pour compenser cette absence d’information, il fait revenir le patient régulièrement. En fonction de la réaction du patient au traitement, le médecin réajuste sa pres- cription. Il faut trois à quatre ans pour équilibrer la maladie. Demain, Pierre-Yves Frouin en est certain, le pa- tient restera chez lui, il portera son vêtement connec- té le temps nécessaire pour enregistrer une à deux crises. Ainsi, la mise en place d’un traitement se fera en quelques semaines. On l’espère ! 7
LE FUTUR CHANGE DE TAILLE z Avec LAURENT LEVY, nous voilà dans le monde de l’infiniment petit, du nanomédicament. Nous ne changeons pas seulement de dimension mais aussi de paradigme. Et pour illustrer son propos, ce docteur en physique chimie, cofondateur de Nanobiotix nous renvoie à… Henri Ford ! Pourquoi ? Parce que Ford a tout compris de la manière dont surviennent les révo- lutions techniques. « Si je n’avais écouté que mes clients, j’aurais inventé un cheval plus rapide » expliquait Ford. Mais Ford a in- venté la voiture ! Comme Ford, Laurent Levy propose de changer de perspective. En quelques mots simples, il nous permet de saisir le sens de la révolution nano. La recherche biomédicale classique va de plus en plus LAURENT LEVY voit grand avec de l’infi- loin dans la compréhension des processus biologiques niment petit. Docteur qui gouvernent nos cellules et dans la mise au point en physique-chimie d’une médecine personnalisée. Avec les nanoparti- spécialisé dans les nano- cules, on change de monde. On sort de la chimie pour matériaux, Laurent est entrer de plain pied dans le monde de la physique. Et cofondateur de Nano- biotix. Cette start-up on sort du traitement personnalisé pour… un traite- créée en 2003 et cotée ment qui marche pour tous ! depuis 2012 fait partie des pionniers mondiaux Un exemple ? Les sarcomes des tissus mous. On les en nanomédecine. traite par radiothérapie. Mais comment augmenter la L’échelle nanométrique dose sans léser les tissus sains traversés ? Les nanotech- est celle des possibles, un changement de para- nologies apportent la solution. Le médecin injecte des digme qui fait envisager nanoparticules d’oxyde d’hafnium (HfO2) en suspen- autrement les solutions sion dans un liquide. « Ses propriétés physiques lui thérapeutiques et le permettent d’émettre des quantités très importantes diagnostic. z d’électrons lors de l’exposition aux rayons X, ce qui amplifie considérablement la dose d’énergie létale dans les cellules » et permet donc de mieux détruire la tu- meur ». Ce nanomédicament est actuellement en phase d’essais cliniques, il devrait arriver fin 2016 à l’hôpital. Une cinquantaine de médicaments nano sont utilisés aujourd’hui, environ 200 sont en essais thérapeutiques. Et ce n’est que le début ! 8
z Un économiste d’Oxford, ami du docteur ÉTIENNE MINVIELLE, spécialiste en santé pu- blique, a consulté 16 médecins pour le suivi de son cancer. Avec comme on l’imagine une foultitude d’avis contradictoires et d’incohérences… Qu’en est-il en France ? Les parcours de soins sont-ils mieux organisés ? Peut-on trouver faci- lement l’information dont on a besoin pour com- prendre sa maladie et son traitement ? Que nenni assure Étienne Minvielle. Car en quelques décennies tout s’est transformé, tout s’est complexifié aussi : les séjours se sont raccourcis, les innovations thérapeu- tiques se multiplient, les métiers se diversifient : plus PARCOURS de 200 fonctions à l’hôpital ! Sans oublier les mala- SANTÉ dies chroniques qui engendrent des allers et retours fréquents entre le monde hospitalier et le domicile. Résultat : des incohérences et des erreurs. « 70 % des événements graves sont liés à des problèmes de coordination. La plupart surviennent à l’entrée ou à la sortie de l’hôpital. Tout cela entraîne d’immenses ÉTIENNE gaspillages. On estime que ces dépenses sont plus MINVIELLE est un importantes que celles liées au prix du médicament médecin, gestionnaire ou à la lourdeur de la gestion ». Sans oublier qu’elles et un chercheur de haut niveau en santé obèrent les conditions de travail des professionnels publique. Sa spécia- de santé : 15 à 20 % du temps des médecins sont lité est l’organisation consacrés au rattrapage des erreurs de coordination. des soins. Son objectif est que les parcours Actuellement, le système fonctionne comme un des patients soient aéroport qui serait dépourvu de contrôle aérien. sans fautes. Bien qu’ils soient de plus en plus Gare aux collisions ! Heureusement des pistes se complexes, ils doivent font jour pour organiser la coordination et réduire être de plus en plus les coûts, grâce aux NTIC, grâce aux nouveaux fluides pour les modes de paiement. « À Gustave Roussy, nous dé- patients. La piste doit veloppons un portail internet que le patient peut être débarrassée de ses lourdeurs et gas- interroger depuis son domicile ». La révolution pillages. Ce nettoyage des parcours de soins est en marche. Pour le Dr va donner confiance Minvielle, la chambre d’hôpital de demain sera la au patient et l’aider à chambre du domicile du patient, ultra-connectée et devenir plus rationnel avec des suivis organisés. dans ses choix. z 9
VIRUS DU DÉCOUVREUR DIDIER RAOULT, spécialiste des mala- dies infectieuses, a créé z Retour vers l’infiniment petit… Être à son domi- cile, c’est précisément être éloigné des maladies nosocomiales qui sévissent à l’hôpital. Pour parler la plus grande équipe des microbes et des virus, un grand expert, DIDIER de recherche de ce RAOULT, découvreur de différents microbes et même domaine. Ce découvreur de microbes a trouvé un d’un mini virus. Il nous explique que des micros orga- mini virus qui a les ca- nismes, nous ne connaissons rien ou presque. Tout est ractéristiques d’un virus à découvrir. « Nous pensons qu’il existe 1 000 milliards géant ou Spoutnik, un d’espèces de microbes. Nous en connaissons seulement autre géant capable d’en 15 à 20 000. infecter un autre pour survivre. Ce professeur Pour les virus, il en existe 100 ou 1 000 fois plus, de microbiologie sort la donc la marge d’apprentissage est immense. Et si l’on tête de ses éprouvettes regarde les séquences d’acides nucléiques, le monde est pour s’inscrire en faux encore plus gigantesque ». contre des théories acceptées par la majo- rité du corps médical. C’est précisément au croisement de ces deux Boire une dose d’alcool, mondes, celui des germes potentiellement pathogènes manger cinq fruits et et celui de la susceptibilité génétique que se place Di- légumes, vaccins, méca- dier Raoult. On le sait aujourd’hui, la susceptibilité nismes des épidémies… aux infections est en partie d’origine génétique. Cette Dans son dernier livre, il découverte met à mal bien des concepts véhiculés sur nous aide à démêler le faux du vrai. z le sujet. Autre domaine où notre ignorance se révèle majeure : les mécanismes de contagion. « On a beau- coup parlé du SRAS cette année, car on s’est rendu compte que les modèles de contagion de la grippe ne s’appliquent pas à ce virus. Avec le SRAS, on peut être contaminé à 100 mètres ! » Pasteur a révolutionné la médecine en découvrant les germes. Si tant de choses ont changé depuis, de 10
nombreuses certitudes continuent de circuler. L’évo- lution de nos connaissances se heurte à l’aveuglement lié aux théories anciennes. Et parmi ces croyances celle selon laquelle les microbes ne transmettent que des maladies infectieuses. Or on le sait aujourd’hui de nombreuses mala- dies chroniques sont dues à des micro-organismes. ALERTE Des cancers aussi. Pas moins de 25 types de tumeurs AUX PAPY- sont d’origine infectieuse. « On ne peut plus séparer les maladies infectieuses des non-infectieuses ». Mais BOOMERS ! le plus fabuleux est la possibilité de guérir grâce à des microbes. « On peut soigner des maladies du côlon en faisant des greffes fécales ». z Après une pause musicale, une chanson d’amour par Lucrèce Sassela, plongée dans un autre uni- vers, celui de la retraite, des baby-boomers, de leur mode de vie, de leurs aspirations. GILLES BERRUT, chef du service de gériatrie au CHU de Nantes nous projette dans un avenir… pas si lointain : en 2040-2050, quand les baby-boomers seront des octogénaires, ou plus, et quand un tiers de la population française aura plus de GILLES BERRUT En 2050, un tiers des 60 ans. Ces « jeunes vieux », très impliqués dans la so- Français aura plus de ciété au temps de leur jeunesse, le resteront pendant la 60 ans. Mais la grande dernière partie de leur vie. révolution démogra- phique est prévue en Ce temps de la longévité entre la retraite et la dépen- 2027 : les baby-boomers atteindront alors 85 ans ! dance, est un temps neuf à inventer et à construire. Si Gilles Berrut, chef de du on veut y réussir, dans un contexte de contraction des service gériatrie du CHU moyens, il va falloir être innovants ensemble, quel que de Nantes et président soit notre âge. de la Société française de gériatrie s’inquiète de « Il y a là un véritable enjeu d’emplois (800 000 em- ce déferlement. Il milite pour une anticipation plois dans le service à la personne), un enjeu de for- médicale et un déve- mation professionnelle, un enjeu de croissance écono- loppement de nouveaux mique puisque ce secteur représente une augmentation espaces et services de 0,7 % de PIB par an pendant 10 ans. Ce temps nou- susceptibles d’aider et veau est un temps qu’il faut s’approprier pour dire que d’accueillir ces futurs anciens. z la longévité est une chance pour tous ». 11
LA POLITESSE ÉMOTIONNELLE ANNE CHERVET Chaque jour, Anne Chervet part en voyage. z Après toutes ces plongées dans le futur, ces anti- cipations, ces découvertes, ANNE CHERVET nous ramène à ce qu’il y a de plus central dans la médecine : Psychologue et neu- ropsychologue spécia- l’humain. Neuropsychologue, spécialisée dans les pa- lisée en pathologie du thologies du vieillissement, elle utilise l’hypnose dans vieillissement, elle tente sa pratique quotidienne. « À un bout de la chaîne, il de rejoindre ses patients y a la recherche. À ce bout on trouve l’espoir, l’avenir. atteints de maladies De l’autre côté, le présent, l’ici et maintenant. Tous les neurodégénératives par acteurs de terrain qui prennent en charge les patients l’hypnose. Exerçant en milieu gériatrique, elle et les familles sont confrontés aux peurs, aux incom- essaye de les rencon- préhensions, aux angoisses. Car à ce bout-là, il y a la trer là où ils sont et de mort ». s’accorder à leur rythme. Son expérience lui per- Anne Chervet nous emmène dans ce monde à la met d’aider les familles, soignants, encadrants et rencontre de Madeleine, nonagénaire, touchée par bénévoles à comprendre Alzheimer, ne parlant plus. Par des techniques issues les problématiques liées de l’hypnose (synchronisation qui vise à se mettre au au vieillissement et à rythme de la personne qui est en face, pour être en avoir des échanges non harmonie avec elle), Anne va obtenir un petit miracle. verbaux avec ces per- Quelques mots de Madeleine. Et mieux encore, une sonnes. Cette communi- cation n’exige pas moins empathie de la vieille dame, qui a réussi à percevoir la que d’être dans un état fatigue d’Anne ce jour-là et qui, avec son mode de com- de politesse émotion- munication très altéré, va parvenir à l’exprimer : « ça nelle ! z ne va pas » dit Madeleine… « Ce vendredi en quittant Madeleine je lui ai demandé combien je lui devais pour la consultation. Elle m’a souri ». 12
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DOCTEUR, z La place de l’humain c’est celle que cherche à définir DIDIER SI- J’AI MAL AU CARD, ancien président du CCNE. Le SCANNER… professeur Sicard a « mal au scanner », autrement dit, mal de voir la tech- nique envahir le champ de la méde- DIDIER SICARD cine jusqu’à supplanter ce qui fait toute la beauté de la Hier, il y avait dans le consultation, le colloque singulier. « Le médecin écou- cabinet du médecin, tait son patient, rencontrait son regard, lui demandait deux personnes, le de s’allonger, de palper son ventre, écoutait son cœur médecin et le patient. et ses poumons… Aujourd’hui le stéthoscope est un Aujourd’hui, les machines se sont intercalées. élément identitaire plutôt que médical. Aux mains, aux Si elles apportent oreilles et aux yeux du médecin, la médecine a substi- des progrès, ces tué des instruments, des images, de la technique ». Et prothèses techniques l’éthicien de conclure : « Les hôpitaux finissent par van- augmentent aussi le coût ter leurs robots plus que leurs chirurgiens ». de la consultation et focalisent l’attention du praticien. Didier Sicard, Alors, quelle réponse face à celle de l’ultratechnicité professeur de médecine de la médecine, à cet envahissement du champ de la à l’université Paris thérapeutique par une logique de marché où les ma- Descartes, s’interroge chines doivent être toujours plus performantes ? Où la sur ce nouveau couple santé devient une marchandise ? Où la promesse d’une à trois. Cet ancien président du Conseil éternelle jeunesse, où le salut des corps, entraine une consultatif national médicalisation de chaque instant ? Car même lorsqu’on d’éthique penche du n’est pas malade, il faut vérifier, prévenir. Le silence des côté du sensible en organes qui définissait l’état de santé devient suspect. considérant que, si la Il faut être ultra-connecté et rechercher d’autres signes machine est une aide, il faut écouter le malade infimes qui pourraient annoncer la maladie. Est-ce généreusement, car il là un progrès ? Didier Sicard s’interroge : cet homme offre le diagnostic. z connecté est-il vraiment l’avenir de l’homme ? 14
ROBOT DE z Le numérique partenaire de la médecine ? Mais aussi la robotique. À peine le Pr Sicard a-t-il quit- té la scène, qu’une spécialiste vient nous parler de ces COMPAGNIE êtres étranges qu’elle façonne au quotidien : les robots. LAURENCE DEVILLERS Docteur en informatique, chercheur au CNRS, Pouvons‐-nous aimer un LAURENCE DEVILLERS explore les interactions entre robot ? Si aimer est un grand mot, Laurence les hommes et les robots. Notamment les robots dits Devillers pense qu’il émotionnels, équipés d’algorithmes leur permettant de est possible d’éprouver décrypter l’émotion exprimée par un être humain en des émotions en face analysant sa prosodie, ses intonations, ses mimiques de n’importe quel objet. faciales. Alors le robot s’adapte, il interagit. Ceux que Cette professeure à la l’on appelle les robots compagnons sont destinés no- Sorbonne, docteure en informatique et cher- tamment à accompagner les enfants autistes ou les per- cheur au CNRS est sonnes âgées. Leur potentiel est immense. spécialiste des interac- tions homme-robot. Elle Les questions éthiques ne sont pas moindres. Tout développe un système comme les questions sociologiques liées à cette coévo- informatique qui permet à un robot de reconnaître lution de l’homme et du robot. Car si le robot s’adapte des émotions et d’adap- à l’homme, l’homme s’adapte aussi au robot. Enfin, le ter son comportement robot reste asservi à son algorithme, il n’est pas destiné en conséquence. Elle à s’émanciper. étudie aussi la manière Et comme le souligne Laurence Devillers : « les ro- dont les robots peuvent bots, on peut les éteindre ! aider les anciens. z 15
z Il existe en nous un organe que nous possédons tous, car il est impossible de vivre sans lui. Cet organe pèse presque deux kilos, c’est plus que notre cerveau. Il est composé de 100 000 milliards de cel- lules. Cet organe est notre flore intestinale. Ses fonc- tions sont multiples et commencent tout juste à être FINE FLORE explorées. Écologiste de la flore intestinale, STANISLAV DUSKO EHRLICH est un des pionniers des transplanta- DE LA tions fécales évoquées par le Pr Raoult. SCIENCE On sait aujourd’hui qu’une flore appauvrie aug- mente les risques de diabète, d’obésité, d’allergies de maladies auto-immunes, mais aussi favorise la surve- nue de problèmes hépatiques, de certains cancers… STANISLAV DUS- On soupçonne des relations avec le cerveau et les KO EHRLICH est un écologiste de la flore émotions, Alzheimer, la dépression… Le champ de la intestinale. Ce professeur recherche est immense. Mais pourquoi cet organe est- et chercheur pionner il à ce point négligé ? demande le Pr Dusko Ehrlich ? du microbiote intestinal « Parce que le médecin n’a pas d’outil, il ne sait pas le s’inquiète de la perte sa palper, il ne dispose pas de scanner pour évaluer son diversité biologique. Ces état ». « Nous avons créé un microscope surpuissant, recherches à l’Inra lui ont permis de constater que un scanner qui permet maintenant de regarder dans plus nos bactéries intes- quel état est cet organe ». tinales sont nombreuses Les recherches ont permis de déterminer différents et diverses, meilleure est groupes de flores comme il existe des groupes san- notre santé. A contrario, guins. Mais aussi de montrer qu’une personne sur trois ceux qui ont une flore intestinale appauvrie possède une flore atrophiée (appauvrie de 40 %) ce ont plus de risques qui ouvre le champ à une pléthore de pathologies. L’es- de souffrir de diabète, poir : les interventions nutritionnelles permettent d’en- d’obésité et d’allergies richir cette flore, d’augmenter de 30 % sabiodiversité, et désordres auto-im- bref de rétablir les conditions d’une bonne santé. « En muns. Les travaux de France 4 % de la population souffre de diabète, 8 % au Dusko conduisent à de nouveaux traitements Royaume-Uni, cela engendre des coûts de l’ordre de 12 comme la transplanta- milliards d’euros en France, 10 milliards de livres au tion fécale. z Royaume-Uni, imaginez les ressources que l’on pour- rait libérer simplement en rééquilibrant la flore ? ». On l’imagine, en effet, car le diabète n’est qu’une des nom- breuses conséquences d’une flore inadaptée. 16
A FOND LES CAISSES ! z Nous voici entraînés dans une petite incursion dans le champ de l’économie autour de JEAN- MARC DANIEL, Professeur associé à l’ESCP Europe. JEAN-MARC DANIEL Diplômé de l’École Nous sommes à l’Odéon, ce lieu où tant de débats se Polytechnique et de sont tenus en mai 1968. « Les ordonnances de 1967, l’ENSAE alterne entre des fonctions dans cela vous dit quelque chose ? » demande le Pr Daniel. l’administration active « Déjà à l’époque on disait que les dépenses de santé (INSEE, Budget, Sécurité étaient excessives ». Et depuis 50 ans, l’État tente d’y sociale, Ministère des remédier. « On a créé l’ONDAM, qui relève d’une lo- Affaires Etrangères, cabi- gique absurde où une autorité politique décide du droit nets ministériels) et des fonctions d’économiste des patients à être malades ». et d’enseignant. Il est Après avoir exploré le mythe du Dr Knock, Jean- responsable de l’ensei- Marc Daniel nous interroge. « Que demande le pa- gnement d’économie aux tient ? Il ne demande pas de réduire les charges so- élèves – ingénieurs du ciales. Il demande que le système lui garantisse que ce Corps des mines. Il est qu’il paye est conforme à ce qu’il reçoit ». La solution également chroniqueur au Monde et à BFM Bu- pour le Pr Daniel : « le plus simple c’est de mettre les siness. Il est membre du systèmes en concurrence ». En d’autres termes de re- conseil d’administration garder ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique. Pour de la Société d’Economie le spécialiste, c’est inéluctable. Nous pouvons accom- Politique. z pagner ce mouvement vers une mise en concurrence ou le refuser comme les luddites, ces ouvriers du début du XIXe siècle qui cassaient leurs machines, car ils les accusaient de tuer l’emploi. Pour lui si nous agissons en luddites, nous serons les grands perdants… 17
DEUX VIES EN UNE z Avant que le rideau tombe sur la fin du premier acte, THOMAS TURSZ, ancien patron de l’Insti- tut Gustave Roussy vient nous dire ses espoirs et son regret. Espoir de voir l’explosion de découvertes dans THOMAS TURSZ a le champ de la cancérologie. Regrets de n’être pas un vécu deux vies en une. jeune chercheur et de ne pouvoir voir l’aboutissement Cancérologue clinicien et ancien patron de de l’essor de la médecine personnalisée. « J’ai eu deux l’Institut Gustave Roussy, vies entre 1970 et 2000, une vie de biologiste et une vie sa vie de médecin a de clinicien. La vie de biologiste était formidable, on été émaillée de succès commençait à tout comprendre sur le cancer. La vie et joies, mais aussi de de médecin a été émaillée d’immenses espoirs, mais déceptions. Elles lui ont donné l’impression que aussi de beaucoup de désillusions et de promesses non les progrès pour les ma- tenues ». lades étaient lents. Sa vie de chercheur biologiste Et Thomas Tursz de nous entraîner, nonobstant un a été passionnante. Il a compteur qui indique que son temps de parole est dé- contribué à la décou- passé, dans la grande aventure du cancer. Le séquen- verte des anomalies des gènes susceptibles de çage du génome et des tumeurs qui montre l’immense provoquer un cancer. diversité des cancers… « Cela a changé notre concep- Comme nous allons vers tion du traitement. Avant, c’était de la confection taille une réelle médecine unique, maintenant on se dirige vers la haute couture et personnalisée, Thomas le sur-mesure ». Et désormais, quels progrès attendre ? Tursz n’a qu’un regret : celui de ne pas être un Dans les voies traditionnelles de la chimiothérapie, de jeune cancérologue la chirurgie, de la radiothérapie, les petits progrès s’ad- aujourd’hui. z ditionnnt. Des traitements différents vont apparaître. « Nous sommes dans une situation qui ressemble à celles des années 1920-1930 en infectiologie, après la révolution pasteurienne, mais avant la découverte de la pénicilline par Flemming. Nous sommes à la veille de découvrir des médicaments super intelligents ». La recherche est en pleine mutation, au lieu de considérer les cancers d’un organe, elle étudie chaque type de tu- meur comme une maladie orpheline… Fin du premier acte de S3Odéon. Le rideau tombe sur une image tirée du 7ème Sceau, d’Ingmar Bergman, où un preux chevalier joue aux échecs avec la mort. « Tant que je résiste, je vis », dit l’homme à son adver- saire. De même pour le cancer qui de maladie mortelle est en train de devenir une maladie chronique. En at- tendant un jour d’être une maladie guérissable. 18
EMELINE BAYART est une chanteuse dont les airs enjoués et les paroles déjantées suscitent l’hilarité. Elle régale la salle par un pastiche de chanson d’amour. 19
ACTE II 20
z MICHEL LADZUNSKI ouvre la séance de l’après-midi en nous expliquant comment on fabriquera de nouveaux médicaments de- main. Tout d’abord, il nous entraîne dans les méandres du cerveau, et nous rappelle les dé- couvertes fascinantes faites en 30 ans sur les mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement cérébral. « Si ce qu’on a appris d’un point de vue moléculaire a aidé à comprendre ces maladies, ces découvertes permirent-elles d’élaborer de nouveaux médicaments ? La réponse est non ! Aucun depuis 30 ans ! Et c’est là un défi extraordinaire auquel la pharmacologie est confrontée ». Que s’est-il passé ? Avant 1985, les dé- couvertes des traitements pour la mania- co-dépression, Alzheimer, Parkinson, les troubles obsessionnels compulsifs… se sont faites par hasard. En d’autres termes, un médecin observe des effets bénéfiques sur un patient, puis il extrapole aux autres… « C’est ainsi que s’est construite la pharmacologie. Aujourd’hui, aucun des médicaments existants ne passerait la barrière des essais cliniques, ils seraient tous refusés, y compris le lithium, l’aspirine ou la morphine ». Alors, quelle voie reste-t-il ? Le modèle actuel basé sur de grands essais cliniques est inopérant pour détecter des effets bénéfiques sur de petits échantillons de malades. Ces EXPLORATION grands essais travaillent sur la masse, MÉDICAMENTEUSE le patient moyen, et non sur des sous-groupes de patients. Ils coûtent MICHEL LAZDUNSKI. Membre de l’Acadé- une fortune : entre 500 millions et mie des sciences, Fondateur de l’Institut de 2 milliards de dollars par essai. Des Pharmacologie moléculaire et cellulaire du CNRS à Sophia Antipolis, Michel Lazdunski sommes colossales sont englouties s’interroge sur la création de neuro-médi- en vain, déplore le Pr Ladzunski. caments. Est-on sur la bonne voie pour les « Comment faire ? Il faut retrouver maladies du psychisme, les accidents vas- l’élan de l’aventure, pour essayer, pour culaires cérébraux, les trauma-crâniens, la entreprendre, sortir de ces cadres ri- douleur ? Comment passer des « coups de théâtre » de la recherche fondamentale gides qui empêchent d’avancer, quel à la mise sur le marché de médicaments que soit l’état de la science… » La « révolutionnaires » ? Comment répondre à pharmacologie doit être libérée de l’urgence de l’attente des patients, de leur ses carcans. Puissent les autorités de famille et de la société ? z tutelle entendre ce message ! 21
GÈNES ET TRANS MISSION z Retour dans le passé avec FRANÇOIS CUZIN, membre de l’Académie des sciences et spécialiste de la réplication de l’ADN. Car nous voilà maintenant revenus au temps de Jean-Baptiste Lamarck. Il y a trois siècles, ce grand scientifique envisageait la possible hérédité des caractères acquis. Mais depuis l’avène- ment des théories mendéliennes, puis la découverte de la double hélice de l’ADN, Lamarck est passé aux oubliettes. On revient aujourd’hui à ses théories par le biais de l’épigénétique, c’est-à‐dire la capacité de l’environ- nement à moduler l’expression d’un gène et même à transmettre cette particularité aux générations sui- vantes. « Comme d’autres sciences, la génétique a dû remettre en question ses principes les plus solides » résume le professeur Cuzin. Deux groupes de pathologies semblent être trans- mises aux enfants, voire aux petits enfants, sans suivre les sacro saintes lois de Mendel : des pathologies mé- taboliques comme le diabète ou l’obésité, suite notam- ment aux excès ou aux privations alimentaires, mais FRANÇOIS CUZIN aussi des pathologies psychiatriques consécutives Membre de l’Académie aux conditions psychopathologiques dans lesquelles des sciences, François évoluent les patients. « On parle du stress, de la dépres- Cuzin s’est consacré à la génétique, et plus sion et aujourd’hui de l’autisme, la liste n’est pas limi- spécifiquement à la tative ». Comme ces pathologies transgénérationnelles réplication de l’ADN et sont difficiles à observer chez l’homme, on s’est tourné de la division cellulaire. Il vers la souris. s’interroge sur les méca- nismes de transmission On a pu montrer que l’épigénétique implique des des pathologies liées au mode de vie. Il essaye de acides ribonucléiques d’un autre type avec des effets répondre à une question à long terme. Pour nous faire mieux comprendre les délicate : est-ce que nos règles de l’épigénétique, François Cuzin nous donne déviances alimentaires, l’image d’un orchestre symphonique. La même parti- notre mauvaise hygiène tion jouée par des chefs différents donnera des résul- de vie, notre stress vont modifier le patrimoine tats extrêmement variables. Il en est de même du gé- génétique de nos des- nome qui s’exprime différemment chez chacun d’entre cendants ? z nous en fonction de notre environnement. 22
CRISE DU BEL ÂGE z De la symphonie, de l’harmonie passons au contraire à la dysharmonie. Cette dysharmo- nie présente au cœur des adolescents que reçoit MARIE-ROSE MORO a une formation en médecine et en philosophie. Ce double MARIE-‐ROSE MORO, directrice de la maison de So- cursus a amené cette lenn, un établissement spécialisé dans l’accueil des psychiatre de bébés, enfants souffrant de troubles du comportement ali- enfants et adolescents mentaire. Elle nous présente Tom, 17 ans, sujet aux à diriger la Maison de tendances suicidaires, Dheepan, jeune Sri-Lankais qui Solenn à Paris. Cet établissement accueille a perdu le goût à la vie, Pauline, aujourd’hui bien dans des adolescents sa tête et étudiante en classe prépa, mais qui naguère souffrant de troubles souffrait d’une anorexie sévère ayant fait chuter son du comportement poids à 35 kg. Comment aider ces jeunes gens ? Quels alimentaire, de outils développer ? Les prises en charge heureusement dépressions nerveuses, d’états suicidaires, progressent. « Il y a 25 ans, on guérissait un tiers des de névroses jeunes atteints de troubles du comportement alimen- obsessionnelles, taire, un tiers survivait tout en conservant cette ma- d’obésité. Passionnée ladie pendant l’âge adulte et un tiers en mourrait. Au- par les capacités jourd’hui, nous guérissons plus de 90 % de ces jeunes. des adolescents à se C’est très bien, mais ce n’est toujours pas suffisant. » Et transformer, Marie-Rose se bat pour qu’on prenne la psychologue de conclure : « Les adolescents seront au sérieux les crises les adultes de demain. Il est tellement important qu’ils d’ado et qu’on trouve des deviennent des adultes heureux, capables d’inventer le moyens efficaces pour monde et de le rendre meilleur. C’est le défi que je vous les aider. z propose : que les adolescents passent sans heurt des bras de leur mère à ceux de leurs premières amours ». 23
z Puisque l’on parle du cœur, c’est au tour de GILLES MON- TALESCOT, chef du département de cardiologie au CHU de la Pi- tié-Salpêtrière, de venir nous rejoindre. Avec lui, nous replon- geons dans l’univers de l’homme connecté. « Quand vous voyez un cardio- logue, il a deux outils, le stéthos- cope et l’appareil d’ECG. Ces deux outils vont disparaitre, au profit d’un outil commun : le téléphone portable ». La société de demain mise sur un patient éduqué à sa maladie, capable grâce à des dis- positifs très simplifiés de faire son propre ECG. L’algorithme présent dans le téléphone décidera s’il doit se rentre immédiatement à l’hôpital. Cela permettra au ATOUT patient de venir consulter avant un incident cardiaque CŒUR et non après. HIGH-TECH Et cela change tout… Un exemple pour s’en convaincre ? Prenons un patient hospitalisé en urgence GILLES MONTALES- avec un œdème aigu du poumon avec du liquide à l’in- COT est cardiologue et térieur des poumons. Cette maladie survient en cas chef du département de d’insuffisance de la pompe cardiaque. Le premier signe cardiologie du CHU la Pitié – Salpêtrière. Pour est un essoufflement anormal. Dès ce moment-là, il ce grand acteur des évo- faudrait consulter ! Grâce à des dispositifs en cours de lutions de la cardiologie, développement (petits capteurs dans l’artère pulmo- cette spécialité battra naire pour mesurer la pression du sang, ou petits dis- demain au rythme d’une positifs sous-cutanés), le cardiologue pourra connaître connexion permanente, de la suppression des bien en amont le début d’une décompensation de l’in- opérations, de l’introduc- suffisance cardiaque. tion d’implants par voie « Ce n’est plus vous qui prendrez rendez-vous avec veineuse, de pacemakers le cardiologue, c’est lui qui vous appellera et vous dira de petite taille avec des qu’il veut vous voir ». De multiples améliorations et batteries très longue miniaturisations vont révolutionner la cardiologie ou durée. z permettre de mieux nous suivre, comme ces pacema- kers qui dans dix ans seront réduits à de petits tubes glissés dans le ventricule, sans anesthésie, ou ces stents résorbables, ces valves posées par les voies naturelles… Assurément, on prend bien soin de notre cœur. 24
AUX BONS SOINS z Et maintenant c’est le moment de parler d’un gros mot, « le big data », ou traduit en français « les grosses données ». Derrière ce terme, les mon- DES DATAS tagnes d’information gérées dans les clouds et ailleurs. JEAN-PIERRE JEAN-PIERRE THIERRY, médecin spécialisé en santé THIERRY. Médecin spécialisé en publique, en économie et en organisation des soins, santé publique, Jean- tente de nous faire entrer dans ce monde complexe. Pierre Thierry se pas- sionne pour l’innovation Tout d’abord un chiffre : la puissance de l’outil in- technologique et biomé- formatique multiplie par deux tous les ans la vitesse de dicale. Ce président du conseil de gouvernance traitement des données. Ce sont donc aujourd’hui des d’une importante orga- montagnes de données qui peuvent être analysées et nisation professionnelle stockées dans des entrepôts. Ces données représentent de e-santé, la branche un volume énorme. « Le prix de séquençage s’effondre, européenne de HIMSS mais le prix du stockage de ces données aujourd’hui est (Health Information Sys- tem Society) examine les cinq fois le prix du séquençage ! » On comprend vite potentialités des data. le problème. Pourtant, ces données sont essentielles Pour lui, les informations à la fois pour le patient et pour la recherche en santé numériques issues des publique. Par exemple, en cancérologie. « Ce que l’on paramètres des patients appelle parfois les registres cancer de deuxième géné- vont révolutionner le dia- ration feront peut-être l’objet d’une politique publique gnostic et la recherche. Ils vont aussi favoriser dans des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats- l’émergence d’une mé- Unis » précise le docteur Thierry. decine personnalisée. z « Il faut investir dans ces stockages, car on ne sait pas seulement stocker, mais aussi analyser. Au fur et à mesure qu’on analyse, on va pouvoir renvoyer des informations vers le médecin. On met ainsi sur pied un système d’aide à la décision pour le méde- cin. Avec la complexité des don- nées actuelles, on a besoin de telles aides ». Ainsi, le big data aidera à per- sonnaliser les traitements, à dé- velopper la pharmacogénomique (pour connaître la susceptibilité d’un patient à un médicament). Par exemple pour les statines, qui ont des effets secondaires musculaires chez 20 à 25 % des patients. Reste un défi : sécuriser ces données afin de rassurer les citoyens sur leur uti- lisation. Ce n’est pas gagné ! 25
LES LIMITES DE DAME NATURE JEAN-FRANÇOIS BACH Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, membre de l’Académie de médecine, Jean-François Bach se situe au carrefour des sciences biologiques et médicales. Il le prouve en remettant quelques pendules à l’heure. Il nous démontre par exemple que contrairement à ce que pourraient nous faire croire les emballements médiatiques, la nature impose toujours sa loi. En ne dépassant pas les 105 ans, l’âge buttoir de la vie n’a pas augmenté clairement au cours des siècles même si les avancées de la science ont augmenté notre espérance de vie et notre bien-être. z z Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, membre de l’Acadé- mie de médecine, JEAN-FRANÇOIS a fait un bond en avant ! Et qu’en est- il des un ou deux mois d’espérance de vie supplémentaires que nous gagnons BACH reprend la parole sur la longévité tous les ans ? « C’est encore à peu près après qu’Emeline Bayart nous ait narré vrai, mais rien ne laisse penser que cela ses chagrins imaginaires et ses tenta- va continuer indéfiniment ». tives de suicide délirantes… Alors que faire ? Des expériences ont Vivrons-nous jusqu’à 120 ans, 140 été tentées sur l’animal : la mouche, la ans, ou plus comme l’annoncent les souris, le ver de terre. Parmi les pistes transhumanistes ? Pour le moment, explorées, l’ablation des cellules de la sauf révolution en la matière, il semble reproduction et les régimes de restric- qu’une barrière physiologique existe tion calorique… À ce prix, on peut aux alentours de 105 ans. augmenter l’espérance de vie de 20 %. mais n’est-ce pas un peu cher payé ? Les enquêtes sur la longévité ré- « La bonne nouvelle est qu’on est train servent d’autres surprises. Par exemple, d’amener la quasi totalité de la popu- la longévité n’a pas changé du pa- lation vers l’âge butoir de 105 ans ». Ce léolithique jusqu’au début du XVIIIe n’est déjà pas si mal ! siècle. C’est ensuite seulement qu’elle 28
BENJAMIN PITRAT est un psychiatre aficionado des nouvelles technologies. CORPS Déplorant la difficulté à disposer de SUR données de santé de qualité issues de la vie quotidienne du patient, il crée Ad MESURE Scientiam. Cette start-up développe une application mobile qui aide à suivre l’évolution de l’état des patients. Cela n’empêche pas Benjamin de s’inquiéter des conséquences de cette médecine connectée. Cette quantification et norma- lisation vont-elles modifier en profondeur notre rapport au corps ? z z On peut être ultraconnecté et tou- tefois soucieux des conséquences que cela peut avoir. C’est le cas de BENJAMIN PITRAT. Ce jeune psychiatre, dopé aux nou- velles technologies, créateur de la start- up Ad Scientiam qui développe une application mobile pour suivre l’état de santé des patients, le dit d’emblée : « La révolution de la santé connectée lité ? Car pour beaucoup, « il n’est plus a changé notre rapport au corps et à important d’avoir passé une nuit re- la maladie ». D’abord avec l’apparition posante, mais de savoir qu’on a dormi d’un nouveau concept, « le quantified 7 h 24 mn… ». self », c’est-à-dire la possibilité pour Par ailleurs, quelle est la validité des chacun de mesurer une série de para- consignes données par ces appareils ? mètres médicaux. demande le spécialiste, qui rappelle que les fameux 10 000 pas ne proviennent « Quand on a lancé notre start-up d’aucune étude scientifique, mais d’un fin 2013, la pénétration du smartphone fabriquant japonais de podomètres, qui était de 30 % et les objets connectés se trouvait que 10 000 ça sonnait bien en résumaient à l’actimètre et à la balance japonais… connectée. Aujourd’hui, tous les por- tables vendus sont des smartphones et La santé connectée, Benjamin Pitrat les objets connectés vont jusqu’à l’ECG y croit, mais à condition de raison gar- ou au bilan sanguin à domicile ». der. » Avoir une tasse qui nous dit si on a suffisamment bu, est-ce bien néces- Au fond, quel est l’apport réel de ces saire alors qu’on a le système hypotha- techniques ? Ne sommes-nous pas en lamo-hypophysaire qui régule depuis train de perdre le contact avec la réa- toujours la faim et la soif ? ». 29
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