SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ - 12 septembre 2015 - 1re édition - S3Odéon

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SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ - 12 septembre 2015 - 1re édition - S3Odéon
SCIENCE
SANTÉ
SOCIÉTÉ
12 septembre 2015 - 1re édition
SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ - 12 septembre 2015 - 1re édition - S3Odéon
SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ - 12 septembre 2015 - 1re édition - S3Odéon
S3ODÉON
EST L’ÉVÉNEMENT ANNUEL
DU FUTUR DE LA SANTÉ

Sa finalité est de favoriser le rapprochement
et le métissage d’idées entre Science, Santé et
Société. Il a pour ambition de proposer une ré-
flexion positive sur les défis de la santé.

z     La première édition a eu lieu le 12 septembre 2015 au
      théâtre de l’Odéon, lieu emblématique de la culture
française. Plus de 700 personnes sont venues écouter,
s’inspirer, s’émouvoir des 32 interventions de chercheurs,
médecins, psychologues, entrepreneurs…
    Ces talentueux acteurs ont planté le décor de la santé de
demain. En 7 minutes maximum, ils se sont aventurés du
côté des nouvelles technologies et montré comment le nu-
mérique révolutionne la santé. Nanotechnologies, immu-
nothérapie, biotechnologies… Ils ont levé le voile sur les
nouveaux traitements. Ils nous ont aidés à comprendre les
mécanismes du vieillissement du cerveau ou à diagnosti-
quer l’état de la conscience chez des personnes en état de
non-communication…
    70 % des spectateurs étaient encore présents pour le
troisième acte. Arrivés à 10 h 30, ils repartaient réjouis à
19 heures pour braver la pluie. Les commentaires glanés
étaient plus qu’encourageants : « C’est un événement qui
vous donne l’impression d’être plus intelligent », explique
un participant. « Si on m’avait dit que je resterais un jour
7 heures à écouter des conférenciers, je ne l’aurais pas cru »,
ajoute un autre.

L’association S3Odéon, l’équipe d’organisation, les interve-
nants et les partenaires sont très heureux d’avoir réussi ce
pari ambitieux. En attendant la prochaine édition 2016,
nous vous proposons de revivre les moments forts de
l’événement.

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PARTAGER LES
     NOUVEAUX DÉFIS
     DU BIEN-ÊTRE
     ET DE LA SANTÉ

L
      es trois coups viennent de retentir. La
      lumière s’éteint. Un spectacle inédit
      commence, le spectacle de notre san-
té. Sur scène, médecins, chercheurs, théra-
peutes, économistes, représentants de la
société civile se succèdent en alternance avec
quelques interludes musicaux. En quatre ou
sept minutes, dans ce théâtre de l’Odéon qui a
naguère accueilli tant de débats passionnés et
d’échanges houleux, chacun présente ce que
sera, pour lui, la santé de demain.
   Le théâtre en ce jour fait salle comble : de
l’orchestre au deuxième balcon, une assis-
tance attentive déguste ces monologues
pleins de vie et d’humour, applaudissant à tout
rompre ces hommes et ces femmes qui se
sont prêtés au jeu, qui ont accepté de brûler
les planches pour mieux illuminer nos esprits.

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ACTE I
  Le colloque débute par « Perte de
  commande ». ANAÏS HUA et PHI-
  LIPPE DUSSEAU racontent ce que
  pourrait être demain une com-
  mande de pizza si nos données mé-
  dicales étaient accessibles.

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FUITE DE
CERVEAU
                              z    De la pizza on passe à l’oubli bénin. « Je voudrais
                                   vous raconter l’histoire de… Ah je ne retrouve
                              plus son nom… Ça me reviendra ce soir ». YVES AGID,
                              fondateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle
                              épinière (ICM) serait-il pris d’un subit trou de mé-
                              moire ? Pas d’inquiétude ! Ces trous de mémoire, nous
                              en souffrons tous, nous nous en plaignons tous, mais
                              ils ne sont nullement le signe d’une dégénérescence
                              cérébrale.

                                 Pourquoi ces oublis ? Parce qu’on est fatigué, stres-
                              sé, surmené ou parce qu’on vieillit. « Vous avez un peu
                              moins de 100 milliards de neurones et contrairement
                              aux idées reçues vous ne perdez pas de neurones ».
                              Nous voilà rassurés. Quoique : si nous ne perdons pas
                              de neurones, en revanche, nous perdons des terminai-
                              sons nerveuses. « Les connexions se font moins bien, la
                              communication est mauvaise, la mémoire s’estompe ».
                              En revanche, dans Alzheimer, on perd non seulement
YVES AGID                     les terminaisons nerveuses, mais aussi les neurones :
Membre de l’Académie          « Dans le vieillissement, c’est l’arbre qui perd ses
des sciences, fondateur
                              feuilles ; dans Alzheimer c’est l’arbre qui disparait, c’est
de l’Institut du cerveau
et de la moelle épi-          une déforestation du cerveau ».
nière, Yves Agid est un          Quels espoirs pour vaincre cette maladie ? Si la re-
cerveau XXL. Il utilise ses   cherche est active, les résultats sont décevants :
quelques milliards de            « Le cerveau » est compliqué. C’est comme l’univers.
neurones pour étudier
                              Vous avez 100 milliards d’étoiles dans une galaxie. Et
les maladies dégénéra-
tives comme Parkinson
                              vous avez 100 milliards de neurones, chaque neurone
ou Alzheimer. Ce neuros-      a des dizaines de milliers de connexions. Chaque se-
cientifique sort des sen-     conde, un milliard de signaux électriques sont émis
tiers battus pour explorer    dans le cerveau ».
de nouvelles pistes de
compréhension de ces
                                 La compréhension du fonctionnement et des dys­­
dysfonctionnements du
cerveau. z                    fonc­
                                  tionnements du cerveau avance. Trois grandes
                              voies de recherches sont explorées :
                              1. Éliminer les plaques séniles avec l’aide d’anti-
                              corps spécifiques ; des dizaines d’essais sont en cours.
                              2. S’intéresser aux prions, ces protéines étranges,
                              un peu déformées, qui lorsqu’elles s’approchent
                              d’une protéine normale, la rendent pathologique.
                              3. Enfin, explorer les fonctions des cellules gliales,
                              des cellules deux à trois fois plus nombreuses que les
                              neurones, qui forment l’essentiel de la masse de notre
                              cerveau.

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À LA MODE
                                                             INTELLIGENTE

z     Des connexions nerveuses on passe sans transi-
      tion à la santé connectée. À la barre pour nous
guider, PIERRE-YVES FROUIN. Sa startup Bioserenity
                                                              PIERRE-YVES FROUIN
                                                              développe des vête-
                                                              ments dits intelligents.
                                                              La solution de sa startup
s’est spécialisée dans le vêtement intelligent bardé de       BioSerenity se nomme
capteurs. Ainsi Neuronaute, un T-­shirt et un bonnet,         Neuronaute et est des-
destinés aux patients victimes de crises d’épilepsie.         tinée aux patients épilep-
                                                              tiques. Lors des crises,
    Dans un diagnostic traditionnel, le patient consulte      les données du patient
                                                              sont enregistrées par un
un médecin qui lui prescrit un examen. Le patient s’y
                                                              tee-shirt et un bonnet
rend, on lui pose l’équipement nécessaire, on réalise         puis envoyées sur une
l’enregistrement et le patient retourne voir son méde-        application smartphone
cin. Le système a ses limites, à la fois parce qu’il faut     et transmises à l’équipe
des salles dédiées, du personnel spécialisé, et parce         médicale. Ce système
que ces enregistrements, souvent de courte durée, ne          permet d’enregistrer des
                                                              informations difficilement
permettent pas de détecter les événements rares. Par          disponibles lors d’enre-
exemple, pour une épilepsie, ils se manifestent par de        gistrements de courte
grandes crises, mais aussi par une multitude de crises        durée à l’hôpital. z
focales, parfois asymptomatiques.
    Aujourd’hui, les enregistrements se font sur vingt à
quarante minutes, ou au maximum quelques heures.
Bien souvent, aucune crise n’est détectée sur ce laps de
temps. Le médecin prescrit un traitement, mais pour
compenser cette absence d’information, il fait revenir
le patient régulièrement. En fonction de la réaction
du patient au traitement, le médecin réajuste sa pres-
cription. Il faut trois à quatre ans pour équilibrer la
maladie.
    Demain, Pierre-Yves Frouin en est certain, le pa-
tient restera chez lui, il portera son vêtement connec-
té le temps nécessaire pour enregistrer une à deux
crises. Ainsi, la mise en place d’un traitement se fera en
quelques semaines. On l’espère !
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LE FUTUR
CHANGE
DE TAILLE
                            z    Avec LAURENT LEVY, nous voilà dans le monde
                                 de l’infiniment petit, du nanomédicament. Nous
                            ne changeons pas seulement de dimension mais aussi
                            de paradigme. Et pour illustrer son propos, ce docteur
                            en physique chimie, cofondateur de Nanobiotix nous
                            renvoie à… Henri Ford ! Pourquoi ? Parce que Ford a
                            tout compris de la manière dont surviennent les révo-
                            lutions techniques.

                               « Si je n’avais écouté que mes clients, j’aurais inventé
                            un cheval plus rapide » expliquait Ford. Mais Ford a in-
                            venté la voiture ! Comme Ford, Laurent Levy propose
                            de changer de perspective. En quelques mots simples,
                            il nous permet de saisir le sens de la révolution nano.
                            La recherche biomédicale classique va de plus en plus
LAURENT LEVY voit
grand avec de l’infi-       loin dans la compréhension des processus biologiques
niment petit. Docteur       qui gouvernent nos cellules et dans la mise au point
en physique-chimie          d’une médecine personnalisée. Avec les nanoparti-
spécialisé dans les nano-   cules, on change de monde. On sort de la chimie pour
matériaux, Laurent est
                            entrer de plain pied dans le monde de la physique. Et
cofondateur de Nano-
biotix. Cette start-up
                            on sort du traitement personnalisé pour… un traite-
créée en 2003 et cotée      ment qui marche pour tous !
depuis 2012 fait partie
des pionniers mondiaux         Un exemple ? Les sarcomes des tissus mous. On les
en nanomédecine.            traite par radiothérapie. Mais comment augmenter la
L’échelle nanométrique
                            dose sans léser les tissus sains traversés ? Les nanotech-
est celle des possibles,
un changement de para-      nologies apportent la solution. Le médecin injecte des
digme qui fait envisager    nanoparticules d’oxyde d’hafnium (HfO2) en suspen-
autrement les solutions     sion dans un liquide. « Ses propriétés physiques lui
thérapeutiques et le        permettent d’émettre des quantités très importantes
diagnostic. z
                            d’électrons lors de l’exposition aux rayons X, ce qui
                            amplifie considérablement la dose d’énergie létale dans
                            les cellules » et permet donc de mieux détruire la tu-
                            meur ». Ce nanomédicament est actuellement en phase
                            d’essais cliniques, il devrait arriver fin 2016 à l’hôpital.
                            Une cinquantaine de médicaments nano sont utilisés
                            aujourd’hui, environ 200 sont en essais thérapeutiques.
                            Et ce n’est que le début !

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z    Un économiste d’Oxford, ami du docteur
     ÉTIENNE MINVIELLE, spécialiste en santé pu-
blique, a consulté 16 médecins pour le suivi de son
cancer. Avec comme on l’imagine une foultitude
d’avis contradictoires et d’incohérences…
   Qu’en est-il en France ? Les parcours de soins
sont-ils mieux organisés ? Peut-on trouver faci-
lement l’information dont on a besoin pour com-
prendre sa maladie et son traitement ? Que nenni
assure Étienne Minvielle. Car en quelques décennies
tout s’est transformé, tout s’est complexifié aussi : les
séjours se sont raccourcis, les innovations thérapeu-
tiques se multiplient, les métiers se diversifient : plus   PARCOURS
de 200 fonctions à l’hôpital ! Sans oublier les mala-       SANTÉ
dies chroniques qui engendrent des allers et retours
fréquents entre le monde hospitalier et le domicile.

   Résultat : des incohérences et des erreurs. « 70 %
des événements graves sont liés à des problèmes de
coordination. La plupart surviennent à l’entrée ou à
la sortie de l’hôpital. Tout cela entraîne d’immenses       ÉTIENNE
gaspillages. On estime que ces dépenses sont plus           MINVIELLE est un
importantes que celles liées au prix du médicament          médecin, gestionnaire
ou à la lourdeur de la gestion ». Sans oublier qu’elles     et un chercheur de
                                                            haut niveau en santé
obèrent les conditions de travail des professionnels
                                                            publique. Sa spécia-
de santé : 15 à 20 % du temps des médecins sont             lité est l’organisation
consacrés au rattrapage des erreurs de coordination.        des soins. Son objectif
                                                            est que les parcours
   Actuellement, le système fonctionne comme un             des patients soient
aéroport qui serait dépourvu de contrôle aérien.            sans fautes. Bien qu’ils
                                                            soient de plus en plus
Gare aux collisions ! Heureusement des pistes se
                                                            complexes, ils doivent
font jour pour organiser la coordination et réduire         être de plus en plus
les coûts, grâce aux NTIC, grâce aux nouveaux               fluides pour les
modes de paiement. « À Gustave Roussy, nous dé-             patients. La piste doit
veloppons un portail internet que le patient peut           être débarrassée de
                                                            ses lourdeurs et gas-
interroger depuis son domicile ». La révolution
                                                            pillages. Ce nettoyage
des parcours de soins est en marche. Pour le Dr             va donner confiance
Minvielle, la chambre d’hôpital de demain sera la           au patient et l’aider à
chambre du domicile du patient, ultra-connectée et          devenir plus rationnel
avec des suivis organisés.                                  dans ses choix. z

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VIRUS DU
DÉCOUVREUR

DIDIER RAOULT,
spécialiste des mala-
dies infectieuses, a créé
                             z    Retour vers l’infiniment petit… Être à son domi-
                                  cile, c’est précisément être éloigné des maladies
                             nosocomiales qui sévissent à l’hôpital. Pour parler
la plus grande équipe        des microbes et des virus, un grand expert, DIDIER
de recherche de ce
                             RAOULT, découvreur de différents microbes et même
domaine. Ce découvreur
de microbes a trouvé un      d’un mini virus. Il nous explique que des micros orga-
mini virus qui a les ca-     nismes, nous ne connaissons rien ou presque. Tout est
ractéristiques d’un virus    à découvrir. « Nous pensons qu’il existe 1 000 milliards
géant ou Spoutnik, un        d’espèces de microbes. Nous en connaissons seulement
autre géant capable d’en
                             15 à 20 000.
infecter un autre pour
survivre. Ce professeur         Pour les virus, il en existe 100 ou 1 000 fois plus,
de microbiologie sort la     donc la marge d’apprentissage est immense. Et si l’on
tête de ses éprouvettes      regarde les séquences d’acides nucléiques, le monde est
pour s’inscrire en faux      encore plus gigantesque ».
contre des théories
acceptées par la majo-
rité du corps médical.
                                C’est précisément au croisement de ces deux
Boire une dose d’alcool,     mondes, celui des germes potentiellement pathogènes
manger cinq fruits et        et celui de la susceptibilité génétique que se place Di-
légumes, vaccins, méca-      dier Raoult. On le sait aujourd’hui, la susceptibilité
nismes des épidémies…        aux infections est en partie d’origine génétique. Cette
Dans son dernier livre, il
                             découverte met à mal bien des concepts véhiculés sur
nous aide à démêler le
faux du vrai. z              le sujet. Autre domaine où notre ignorance se révèle
                             majeure : les mécanismes de contagion. « On a beau-
                             coup parlé du SRAS cette année, car on s’est rendu
                             compte que les modèles de contagion de la grippe ne
                             s’appliquent pas à ce virus. Avec le SRAS, on peut être
                             contaminé à 100 mètres ! »
                                Pasteur a révolutionné la médecine en découvrant
                             les germes. Si tant de choses ont changé depuis, de
                             10
nombreuses certitudes continuent de circuler. L’évo-
lution de nos connaissances se heurte à l’aveuglement
lié aux théories anciennes. Et parmi ces croyances celle
selon laquelle les microbes ne transmettent que des
maladies infectieuses.
    Or on le sait aujourd’hui de nombreuses mala-
dies chroniques sont dues à des micro-organismes.            ALERTE
Des cancers aussi. Pas moins de 25 types de tumeurs          AUX PAPY-
sont d’origine infectieuse. « On ne peut plus séparer
les maladies infectieuses des non-infectieuses ». Mais
                                                             BOOMERS !
le plus fabuleux est la possibilité de guérir grâce à des
microbes. « On peut soigner des maladies du côlon en
faisant des greffes fécales ».

z     Après une pause musicale, une chanson d’amour
      par Lucrèce Sassela, plongée dans un autre uni-
vers, celui de la retraite, des baby-boomers, de leur
mode de vie, de leurs aspirations. GILLES BERRUT, chef
du service de gériatrie au CHU de Nantes nous projette
dans un avenir… pas si lointain : en 2040-2050, quand
les baby-boomers seront des octogénaires, ou plus, et
quand un tiers de la population française aura plus de       GILLES BERRUT
                                                             En 2050, un tiers des
60 ans. Ces « jeunes vieux », très impliqués dans la so-
                                                             Français aura plus de
ciété au temps de leur jeunesse, le resteront pendant la     60 ans. Mais la grande
dernière partie de leur vie.                                 révolution démogra-
                                                             phique est prévue en
   Ce temps de la longévité entre la retraite et la dépen-   2027 : les baby-boomers
                                                             atteindront alors 85 ans !
dance, est un temps neuf à inventer et à construire. Si
                                                             Gilles Berrut, chef de du
on veut y réussir, dans un contexte de contraction des       service gériatrie du CHU
moyens, il va falloir être innovants ensemble, quel que      de Nantes et président
soit notre âge.                                              de la Société française
                                                             de gériatrie s’inquiète de
    « Il y a là un véritable enjeu d’emplois (800 000 em-    ce déferlement. Il milite
                                                             pour une anticipation
plois dans le service à la personne), un enjeu de for-
                                                             médicale et un déve-
mation professionnelle, un enjeu de croissance écono-        loppement de nouveaux
mique puisque ce secteur représente une augmentation         espaces et services
de 0,7 % de PIB par an pendant 10 ans. Ce temps nou-         susceptibles d’aider et
veau est un temps qu’il faut s’approprier pour dire que      d’accueillir ces futurs
                                                             anciens. z
la longévité est une chance pour tous ».
                                                       11
LA POLITESSE
ÉMOTIONNELLE

ANNE CHERVET
Chaque jour, Anne
Chervet part en voyage.
                             z    Après toutes ces plongées dans le futur, ces anti-
                                  cipations, ces découvertes, ANNE CHERVET nous
                             ramène à ce qu’il y a de plus central dans la médecine :
Psychologue et neu-
ropsychologue spécia-
                             l’humain. Neuropsychologue, spécialisée dans les pa-
lisée en pathologie du       thologies du vieillissement, elle utilise l’hypnose dans
vieillissement, elle tente   sa pratique quotidienne. « À un bout de la chaîne, il
de rejoindre ses patients    y a la recherche. À ce bout on trouve l’espoir, l’avenir.
atteints de maladies         De l’autre côté, le présent, l’ici et maintenant. Tous les
neurodégénératives par
                             acteurs de terrain qui prennent en charge les patients
l’hypnose. Exerçant en
milieu gériatrique, elle
                             et les familles sont confrontés aux peurs, aux incom-
essaye de les rencon-        préhensions, aux angoisses. Car à ce bout-là, il y a la
trer là où ils sont et de    mort ».
s’accorder à leur rythme.
Son expérience lui per-         Anne Chervet nous emmène dans ce monde à la
met d’aider les familles,
soignants, encadrants et
                             rencontre de Madeleine, nonagénaire, touchée par
bénévoles à comprendre       Alzheimer, ne parlant plus. Par des techniques issues
les problématiques liées     de l’hypnose (synchronisation qui vise à se mettre au
au vieillissement et à       rythme de la personne qui est en face, pour être en
avoir des échanges non       harmonie avec elle), Anne va obtenir un petit miracle.
verbaux avec ces per-
                             Quelques mots de Madeleine. Et mieux encore, une
sonnes. Cette communi-
cation n’exige pas moins
                             empathie de la vieille dame, qui a réussi à percevoir la
que d’être dans un état      fatigue d’Anne ce jour-là et qui, avec son mode de com-
de politesse émotion-        munication très altéré, va parvenir à l’exprimer : « ça
nelle ! z                    ne va pas » dit Madeleine… « Ce vendredi en quittant
                             Madeleine je lui ai demandé combien je lui devais pour
                             la consultation. Elle m’a souri ».
                             12
13
DOCTEUR,                                      z   La place de l’humain c’est celle
                                                  que cherche à définir DIDIER SI-
J’AI MAL AU                                   CARD, ancien président du CCNE. Le
SCANNER…                                      professeur Sicard a « mal au scanner »,
                                              autrement dit, mal de voir la tech-
                                              nique envahir le champ de la méde-
DIDIER SICARD               cine jusqu’à supplanter ce qui fait toute la beauté de la
Hier, il y avait dans le    consultation, le colloque singulier. « Le médecin écou-
cabinet du médecin,         tait son patient, rencontrait son regard, lui demandait
deux personnes, le          de s’allonger, de palper son ventre, écoutait son cœur
médecin et le patient.
                            et ses poumons… Aujourd’hui le stéthoscope est un
Aujourd’hui, les machines
se sont intercalées.        élément identitaire plutôt que médical. Aux mains, aux
Si elles apportent          oreilles et aux yeux du médecin, la médecine a substi-
des progrès, ces            tué des instruments, des images, de la technique ». Et
prothèses techniques        l’éthicien de conclure : « Les hôpitaux finissent par van-
augmentent aussi le coût
                            ter leurs robots plus que leurs chirurgiens ».
de la consultation et
focalisent l’attention du
praticien. Didier Sicard,       Alors, quelle réponse face à celle de l’ultratechnicité
professeur de médecine      de la médecine, à cet envahissement du champ de la
à l’université Paris        thérapeutique par une logique de marché où les ma-
Descartes, s’interroge      chines doivent être toujours plus performantes ? Où la
sur ce nouveau couple
                            santé devient une marchandise ? Où la promesse d’une
à trois. Cet ancien
président du Conseil        éternelle jeunesse, où le salut des corps, entraine une
consultatif national        médicalisation de chaque instant ? Car même lorsqu’on
d’éthique penche du         n’est pas malade, il faut vérifier, prévenir. Le silence des
côté du sensible en         organes qui définissait l’état de santé devient suspect.
considérant que, si la
                            Il faut être ultra-connecté et rechercher d’autres signes
machine est une aide, il
faut écouter le malade
                            infimes qui pourraient annoncer la maladie. Est-ce
généreusement, car il       là un progrès ? Didier Sicard s’interroge : cet homme
offre le diagnostic. z      connecté est-il vraiment l’avenir de l’homme ?
                            14
ROBOT DE
z     Le numérique partenaire de la médecine ? Mais
      aussi la robotique. À peine le Pr Sicard a-t-il quit-
té la scène, qu’une spécialiste vient nous parler de ces
                                                              COMPAGNIE
êtres étranges qu’elle façonne au quotidien : les robots.     LAURENCE
                                                              DEVILLERS
   Docteur en informatique, chercheur au CNRS,                Pouvons‐-nous aimer un
LAURENCE DEVILLERS explore les interactions entre             robot ? Si aimer est un
                                                              grand mot, Laurence
les hommes et les robots. Notamment les robots dits
                                                              Devillers pense qu’il
émotionnels, équipés d’algorithmes leur permettant de         est possible d’éprouver
décrypter l’émotion exprimée par un être humain en            des émotions en face
analysant sa prosodie, ses intonations, ses mimiques          de n’importe quel objet.
faciales. Alors le robot s’adapte, il interagit. Ceux que     Cette professeure à la
l’on appelle les robots compagnons sont destinés no-          Sorbonne, docteure en
                                                              informatique et cher-
tamment à accompagner les enfants autistes ou les per-
                                                              cheur au CNRS est
sonnes âgées. Leur potentiel est immense.                     spécialiste des interac-
                                                              tions homme-robot. Elle
    Les questions éthiques ne sont pas moindres. Tout         développe un système
comme les questions sociologiques liées à cette coévo-        informatique qui permet
                                                              à un robot de reconnaître
lution de l’homme et du robot. Car si le robot s’adapte
                                                              des émotions et d’adap-
à l’homme, l’homme s’adapte aussi au robot. Enfin, le         ter son comportement
robot reste asservi à son algorithme, il n’est pas destiné    en conséquence. Elle
à s’émanciper.                                                étudie aussi la manière
    Et comme le souligne Laurence Devillers : « les ro-       dont les robots peuvent
bots, on peut les éteindre !                                  aider les anciens. z

                                                        15
z      Il existe en nous un organe que nous possédons
                                     tous, car il est impossible de vivre sans lui. Cet
                              organe pèse presque deux kilos, c’est plus que notre
                              cerveau. Il est composé de 100 000 milliards de cel-
                              lules. Cet organe est notre flore intestinale. Ses fonc-
                              tions sont multiples et commencent tout juste à être
FINE FLORE                    explorées. Écologiste de la flore intestinale, STANISLAV
                              DUSKO EHRLICH est un des pionniers des transplanta-
DE LA                         tions fécales évoquées par le Pr Raoult.
SCIENCE                           On sait aujourd’hui qu’une flore appauvrie aug-
                              mente les risques de diabète, d’obésité, d’allergies de
                              maladies auto-immunes, mais aussi favorise la surve-
                              nue de problèmes hépatiques, de certains cancers…
STANISLAV DUS-
                              On soupçonne des relations avec le cerveau et les
KO EHRLICH est un
écologiste de la flore
                              émotions, Alzheimer, la dépression… Le champ de la
intestinale. Ce professeur    recherche est immense. Mais pourquoi cet organe est-
et chercheur pionner          il à ce point négligé ? demande le Pr Dusko Ehrlich ?
du microbiote intestinal      « Parce que le médecin n’a pas d’outil, il ne sait pas le
s’inquiète de la perte sa     palper, il ne dispose pas de scanner pour évaluer son
diversité biologique. Ces
                              état ». « Nous avons créé un microscope surpuissant,
recherches à l’Inra lui ont
permis de constater que       un scanner qui permet maintenant de regarder dans
plus nos bactéries intes-     quel état est cet organe ».
tinales sont nombreuses           Les recherches ont permis de déterminer différents
et diverses, meilleure est    groupes de flores comme il existe des groupes san-
notre santé. A contrario,
                              guins. Mais aussi de montrer qu’une personne sur trois
ceux qui ont une flore
intestinale appauvrie
                              possède une flore atrophiée (appauvrie de 40 %) ce
ont plus de risques           qui ouvre le champ à une pléthore de pathologies. L’es-
de souffrir de diabète,       poir : les interventions nutritionnelles permettent d’en-
d’obésité et d’allergies      richir cette flore, d’augmenter de 30 % sabiodiversité,
et désordres auto-im-         bref de rétablir les conditions d’une bonne santé. « En
muns. Les travaux de
                              France 4 % de la population souffre de diabète, 8 % au
Dusko conduisent à de
nouveaux traitements          Royaume-Uni, cela engendre des coûts de l’ordre de 12
comme la transplanta-         milliards d’euros en France, 10 milliards de livres au
tion fécale. z                Royaume-Uni, imaginez les ressources que l’on pour-
                              rait libérer simplement en rééquilibrant la flore ? ». On
                              l’imagine, en effet, car le diabète n’est qu’une des nom-
                              breuses conséquences d’une flore inadaptée.

                              16
A FOND
                                                              LES CAISSES !

z    Nous voici entraînés dans une petite incursion
     dans le champ de l’économie autour de JEAN-
MARC DANIEL, Professeur associé à l’ESCP Europe.
                                                              JEAN-MARC DANIEL
                                                              Diplômé de l’École
Nous sommes à l’Odéon, ce lieu où tant de débats se           Polytechnique et de
sont tenus en mai 1968. « Les ordonnances de 1967,            l’ENSAE alterne entre
                                                              des fonctions dans
cela vous dit quelque chose ? » demande le Pr Daniel.
                                                              l’administration active
« Déjà à l’époque on disait que les dépenses de santé         (INSEE, Budget, Sécurité
étaient excessives ». Et depuis 50 ans, l’État tente d’y      sociale, Ministère des
remédier. « On a créé l’ONDAM, qui relève d’une lo-           Affaires Etrangères, cabi-
gique absurde où une autorité politique décide du droit       nets ministériels) et des
                                                              fonctions d’économiste
des patients à être malades ».
                                                              et d’enseignant. Il est
   Après avoir exploré le mythe du Dr Knock, Jean-            responsable de l’ensei-
Marc Daniel nous interroge. « Que demande le pa-              gnement d’économie aux
tient ? Il ne demande pas de réduire les charges so-          élèves – ingénieurs du
ciales. Il demande que le système lui garantisse que ce       Corps des mines. Il est
qu’il paye est conforme à ce qu’il reçoit ». La solution      également chroniqueur
                                                              au Monde et à BFM Bu-
pour le Pr Daniel : « le plus simple c’est de mettre les
                                                              siness. Il est membre du
systèmes en concurrence ». En d’autres termes de re-          conseil d’administration
garder ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique. Pour   de la Société d’Economie
le spécialiste, c’est inéluctable. Nous pouvons accom-        Politique. z
pagner ce mouvement vers une mise en concurrence
ou le refuser comme les luddites, ces ouvriers du début
du XIXe siècle qui cassaient leurs machines, car ils les
accusaient de tuer l’emploi. Pour lui si nous agissons en
luddites, nous serons les grands perdants…

                                                        17
DEUX VIES
EN UNE
                              z     Avant que le rideau tombe sur la fin du premier
                                    acte, THOMAS TURSZ, ancien patron de l’Insti-
                              tut Gustave Roussy vient nous dire ses espoirs et son
                              regret. Espoir de voir l’explosion de découvertes dans
THOMAS TURSZ a                le champ de la cancérologie. Regrets de n’être pas un
vécu deux vies en une.
                              jeune chercheur et de ne pouvoir voir l’aboutissement
Cancérologue clinicien
et ancien patron de           de l’essor de la médecine personnalisée. « J’ai eu deux
l’Institut Gustave Roussy,    vies entre 1970 et 2000, une vie de biologiste et une vie
sa vie de médecin a           de clinicien. La vie de biologiste était formidable, on
été émaillée de succès        commençait à tout comprendre sur le cancer. La vie
et joies, mais aussi de
                              de médecin a été émaillée d’immenses espoirs, mais
déceptions. Elles lui ont
donné l’impression que
                              aussi de beaucoup de désillusions et de promesses non
les progrès pour les ma-      tenues ».
lades étaient lents. Sa vie
de chercheur biologiste          Et Thomas Tursz de nous entraîner, nonobstant un
a été passionnante. Il a      compteur qui indique que son temps de parole est dé-
contribué à la décou-
                              passé, dans la grande aventure du cancer. Le séquen-
verte des anomalies des
gènes susceptibles de         çage du génome et des tumeurs qui montre l’immense
provoquer un cancer.          diversité des cancers… « Cela a changé notre concep-
Comme nous allons vers        tion du traitement. Avant, c’était de la confection taille
une réelle médecine           unique, maintenant on se dirige vers la haute couture et
personnalisée, Thomas
                              le sur-mesure ». Et désormais, quels progrès attendre ?
Tursz n’a qu’un regret :
celui de ne pas être un
                              Dans les voies traditionnelles de la chimiothérapie, de
jeune cancérologue            la chirurgie, de la radiothérapie, les petits progrès s’ad-
aujourd’hui. z                ditionnnt. Des traitements différents vont apparaître.
                              « Nous sommes dans une situation qui ressemble à
                              celles des années 1920-1930 en infectiologie, après la
                              révolution pasteurienne, mais avant la découverte de
                              la pénicilline par Flemming. Nous sommes à la veille
                              de découvrir des médicaments super intelligents ». La
                              recherche est en pleine mutation, au lieu de considérer
                              les cancers d’un organe, elle étudie chaque type de tu-
                              meur comme une maladie orpheline…

                                 Fin du premier acte de S3Odéon. Le rideau tombe
                              sur une image tirée du 7ème Sceau, d’Ingmar Bergman,
                              où un preux chevalier joue aux échecs avec la mort.
                              « Tant que je résiste, je vis », dit l’homme à son adver-
                              saire. De même pour le cancer qui de maladie mortelle
                              est en train de devenir une maladie chronique. En at-
                              tendant un jour d’être une maladie guérissable.

                              18
EMELINE BAYART est une
chanteuse dont les airs
enjoués et les paroles
déjantées suscitent
l’hilarité. Elle régale la
salle par un pastiche de
chanson d’amour.

                             19
ACTE II

  20
z    MICHEL LADZUNSKI ouvre la séance de
      l’après-midi en nous expliquant comment
on fabriquera de nouveaux médicaments de-
main. Tout d’abord, il nous entraîne dans les
méandres du cerveau, et nous rappelle les dé-
couvertes fascinantes faites en 30 ans sur les
mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement
cérébral. « Si ce qu’on a appris d’un point de vue
moléculaire a aidé à comprendre ces maladies, ces
découvertes permirent-elles d’élaborer de nouveaux
médicaments ? La réponse est non ! Aucun depuis 30
ans ! Et c’est là un défi extraordinaire auquel la
pharmacologie est confrontée ».
    Que s’est-il passé ? Avant 1985, les dé-
couvertes des traitements pour la mania-
co-dépression, Alzheimer, Parkinson,
les troubles obsessionnels compulsifs…
se sont faites par hasard. En d’autres
termes, un médecin observe des effets
bénéfiques sur un patient, puis il extrapole
aux autres… « C’est ainsi que s’est construite
la pharmacologie. Aujourd’hui, aucun des
médicaments existants ne passerait la barrière
des essais cliniques, ils seraient tous refusés, y compris
le lithium, l’aspirine ou la morphine ». Alors, quelle
voie reste-t-il ? Le modèle actuel basé sur de grands
essais cliniques est inopérant pour
détecter des effets bénéfiques sur de
petits échantillons de malades. Ces
                                             EXPLORATION
grands essais travaillent sur la masse,      MÉDICAMENTEUSE
le patient moyen, et non sur des
sous-groupes de patients. Ils coûtent         MICHEL LAZDUNSKI. Membre de l’Acadé-
une fortune : entre 500 millions et           mie des sciences, Fondateur de l’Institut de
2 milliards de dollars par essai. Des         Pharmacologie moléculaire et cellulaire du
                                              CNRS à Sophia Antipolis, Michel Lazdunski
sommes colossales sont englouties
                                              s’interroge sur la création de neuro-médi-
en vain, déplore le Pr Ladzunski.             caments. Est-on sur la bonne voie pour les
« Comment faire ? Il faut retrouver           maladies du psychisme, les accidents vas-
l’élan de l’aventure, pour essayer, pour      culaires cérébraux, les trauma-crâniens, la
entreprendre, sortir de ces cadres ri-        douleur ? Comment passer des « coups de
                                              théâtre » de la recherche fondamentale
gides qui empêchent d’avancer, quel
                                              à la mise sur le marché de médicaments
que soit l’état de la science… » La           « révolutionnaires » ? Comment répondre à
pharmacologie doit être libérée de            l’urgence de l’attente des patients, de leur
ses carcans. Puissent les autorités de        famille et de la société ? z
tutelle entendre ce message !
                                                         21
GÈNES ET
TRANS­
MISSION
                                z     Retour dans le passé avec FRANÇOIS CUZIN,
                                      membre de l’Académie des sciences et spécialiste
                                de la réplication de l’ADN. Car nous voilà maintenant
                                revenus au temps de Jean-Baptiste Lamarck. Il y a trois
                                siècles, ce grand scientifique envisageait la possible
                                hérédité des caractères acquis. Mais depuis l’avène-
                                ment des théories mendéliennes, puis la découverte
                                de la double hélice de l’ADN, Lamarck est passé aux
                                oubliettes.
                                   On revient aujourd’hui à ses théories par le biais
                                de l’épigénétique, c’est-à­‐dire la capacité de l’environ-
                                nement à moduler l’expression d’un gène et même à
                                transmettre cette particularité aux générations sui-
                                vantes. « Comme d’autres sciences, la génétique a dû
                                remettre en question ses principes les plus solides »
                                résume le professeur Cuzin.

                                   Deux groupes de pathologies semblent être trans-
                                mises aux enfants, voire aux petits enfants, sans suivre
                                les sacro saintes lois de Mendel : des pathologies mé-
                                taboliques comme le diabète ou l’obésité, suite notam-
                                ment aux excès ou aux privations alimentaires, mais
FRANÇOIS CUZIN                  aussi des pathologies psychiatriques consécutives
Membre de l’Académie            aux conditions psychopathologiques dans lesquelles
des sciences, François
                                évoluent les patients. « On parle du stress, de la dépres-
Cuzin s’est consacré à
la génétique, et plus
                                sion et aujourd’hui de l’autisme, la liste n’est pas limi-
spécifiquement à la             tative ». Comme ces pathologies transgénérationnelles
réplication de l’ADN et         sont difficiles à observer chez l’homme, on s’est tourné
de la division cellulaire. Il   vers la souris.
s’interroge sur les méca-
nismes de transmission
                                   On a pu montrer que l’épigénétique implique des
des pathologies liées au
mode de vie. Il essaye de       acides ribonucléiques d’un autre type avec des effets
répondre à une question         à long terme. Pour nous faire mieux comprendre les
délicate : est-ce que nos       règles de l’épigénétique, François Cuzin nous donne
déviances alimentaires,         l’image d’un orchestre symphonique. La même parti-
notre mauvaise hygiène
                                tion jouée par des chefs différents donnera des résul-
de vie, notre stress vont
modifier le patrimoine
                                tats extrêmement variables. Il en est de même du gé-
génétique de nos des-           nome qui s’exprime différemment chez chacun d’entre
cendants ? z                    nous en fonction de notre environnement.
                                22
CRISE
                                                              DU BEL ÂGE

z     De la symphonie, de l’harmonie passons au
      contraire à la dysharmonie. Cette dysharmo-
nie présente au cœur des adolescents que reçoit
                                                              MARIE-ROSE MORO
                                                              a une formation
                                                              en médecine et en
                                                              philosophie. Ce double
MARIE-‐ROSE MORO, directrice de la maison de So-              cursus a amené cette
lenn, un établissement spécialisé dans l’accueil des          psychiatre de bébés,
enfants souffrant de troubles du comportement ali-            enfants et adolescents
mentaire. Elle nous présente Tom, 17 ans, sujet aux           à diriger la Maison de
tendances suicidaires, Dheepan, jeune Sri-Lankais qui         Solenn à Paris. Cet
                                                              établissement accueille
a perdu le goût à la vie, Pauline, aujourd’hui bien dans      des adolescents
sa tête et étudiante en classe prépa, mais qui naguère        souffrant de troubles
souffrait d’une anorexie sévère ayant fait chuter son         du comportement
poids à 35 kg. Comment aider ces jeunes gens ? Quels          alimentaire, de
outils développer ? Les prises en charge heureusement         dépressions nerveuses,
                                                              d’états suicidaires,
progressent. « Il y a 25 ans, on guérissait un tiers des
                                                              de névroses
jeunes atteints de troubles du comportement alimen-           obsessionnelles,
taire, un tiers survivait tout en conservant cette ma-        d’obésité. Passionnée
ladie pendant l’âge adulte et un tiers en mourrait. Au-       par les capacités
jourd’hui, nous guérissons plus de 90 % de ces jeunes.        des adolescents à se
C’est très bien, mais ce n’est toujours pas suffisant. » Et   transformer, Marie-Rose
                                                              se bat pour qu’on prenne
la psychologue de conclure : « Les adolescents seront         au sérieux les crises
les adultes de demain. Il est tellement important qu’ils      d’ado et qu’on trouve des
deviennent des adultes heureux, capables d’inventer le        moyens efficaces pour
monde et de le rendre meilleur. C’est le défi que je vous     les aider. z
propose : que les adolescents passent sans heurt des
bras de leur mère à ceux de leurs premières amours ».
                                                        23
z    Puisque l’on parle du cœur,
                                                        c’est au tour de GILLES MON-
                                                   TALESCOT, chef du département
                                                   de cardiologie au CHU de la Pi-
                                                   tié-Salpêtrière, de venir nous
                                                   rejoindre. Avec lui, nous replon-
                                                   geons dans l’univers de l’homme
                                                   connecté.

                                                      « Quand vous voyez un cardio-
                                                   logue, il a deux outils, le stéthos-
                                                   cope et l’appareil d’ECG. Ces deux
                                                   outils vont disparaitre, au profit
                                                   d’un outil commun : le téléphone
                                                   portable ». La société de demain
                                                   mise sur un patient éduqué à sa
                                                   maladie, capable grâce à des dis-
                                                   positifs très simplifiés de faire son
                                                   propre ECG. L’algorithme présent
                                                   dans le téléphone décidera s’il doit
                             se rentre immédiatement à l’hôpital. Cela permettra au
ATOUT                        patient de venir consulter avant un incident cardiaque
CŒUR                         et non après.
HIGH-TECH                       Et cela change tout… Un exemple pour s’en
                             convaincre ? Prenons un patient hospitalisé en urgence
GILLES MONTALES-             avec un œdème aigu du poumon avec du liquide à l’in-
COT est cardiologue et       térieur des poumons. Cette maladie survient en cas
chef du département de
                             d’insuffisance de la pompe cardiaque. Le premier signe
cardiologie du CHU la
Pitié – Salpêtrière. Pour    est un essoufflement anormal. Dès ce moment-là, il
ce grand acteur des évo-     faudrait consulter ! Grâce à des dispositifs en cours de
lutions de la cardiologie,   développement (petits capteurs dans l’artère pulmo-
cette spécialité battra      naire pour mesurer la pression du sang, ou petits dis-
demain au rythme d’une       positifs sous-cutanés), le cardiologue pourra connaître
connexion permanente,
de la suppression des
                             bien en amont le début d’une décompensation de l’in-
opérations, de l’introduc-   suffisance cardiaque.
tion d’implants par voie        « Ce n’est plus vous qui prendrez rendez-vous avec
veineuse, de pacemakers      le cardiologue, c’est lui qui vous appellera et vous dira
de petite taille avec des    qu’il veut vous voir ». De multiples améliorations et
batteries très longue
                             miniaturisations vont révolutionner la cardiologie ou
durée. z
                             permettre de mieux nous suivre, comme ces pacema-
                             kers qui dans dix ans seront réduits à de petits tubes
                             glissés dans le ventricule, sans anesthésie, ou ces stents
                             résorbables, ces valves posées par les voies naturelles…
                             Assurément, on prend bien soin de notre cœur.
                             24
AUX BONS
                                                           SOINS
z    Et maintenant c’est le moment de parler d’un
     gros mot, « le big data », ou traduit en français
« les grosses données ». Derrière ce terme, les mon-
                                                           DES DATAS
tagnes d’information gérées dans les clouds et ailleurs.   JEAN-PIERRE
JEAN-­PIERRE THIERRY, médecin spécialisé en santé
                                                           THIERRY.
                                                           Médecin spécialisé en
publique, en économie et en organisation des soins,        santé publique, Jean-
tente de nous faire entrer dans ce monde complexe.         Pierre Thierry se pas-
                                                           sionne pour l’innovation
   Tout d’abord un chiffre : la puissance de l’outil in-   technologique et biomé-
formatique multiplie par deux tous les ans la vitesse de   dicale. Ce président du
                                                           conseil de gouvernance
traitement des données. Ce sont donc aujourd’hui des
                                                           d’une importante orga-
montagnes de données qui peuvent être analysées et         nisation professionnelle
stockées dans des entrepôts. Ces données représentent      de e-santé, la branche
un volume énorme. « Le prix de séquençage s’effondre,      européenne de HIMSS
mais le prix du stockage de ces données aujourd’hui est    (Health Information Sys-
                                                           tem Society) examine les
cinq fois le prix du séquençage ! » On comprend vite
                                                           potentialités des data.
le problème. Pourtant, ces données sont essentielles       Pour lui, les informations
à la fois pour le patient et pour la recherche en santé    numériques issues des
publique. Par exemple, en cancérologie. « Ce que l’on      paramètres des patients
appelle parfois les registres cancer de deuxième géné-     vont révolutionner le dia-
ration feront peut-être l’objet d’une politique publique   gnostic et la recherche.
                                                           Ils vont aussi favoriser
dans des pays comme le Royaume-­Uni ou les Etats-
                                                           l’émergence d’une mé-
Unis » précise le docteur Thierry.                         decine personnalisée. z
   « Il faut investir dans ces stockages, car on ne sait
pas seulement stocker, mais aussi
analyser. Au fur et à mesure qu’on
analyse, on va pouvoir renvoyer
des informations vers le médecin.
On met ainsi sur pied un système
d’aide à la décision pour le méde-
cin. Avec la complexité des don-
nées actuelles, on a besoin de telles
aides ».
   Ainsi, le big data aidera à per-
sonnaliser les traitements, à dé-
velopper la pharmacogénomique
(pour connaître la susceptibilité
d’un patient à un médicament). Par
exemple pour les statines, qui ont
des effets secondaires musculaires
chez 20 à 25 % des patients. Reste
un défi : sécuriser ces données afin
de rassurer les citoyens sur leur uti-
lisation. Ce n’est pas gagné !
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LES LIMITES
DE DAME NATURE
JEAN-FRANÇOIS BACH
Secrétaire perpétuel de l’Académie des
sciences, membre de l’Académie de
médecine, Jean-François Bach se situe
au carrefour des sciences biologiques
et médicales. Il le prouve en remettant
quelques pendules à l’heure. Il nous
démontre par exemple que contrairement
à ce que pourraient nous faire croire les
emballements médiatiques, la nature
impose toujours sa loi. En ne dépassant
pas les 105 ans, l’âge buttoir de la vie
n’a pas augmenté clairement au cours
des siècles même si les avancées de la
science ont augmenté notre espérance
de vie et notre bien-être. z

z    Secrétaire perpétuel de l’Académie
     des sciences, membre de l’Acadé-
mie de médecine, JEAN-FRANÇOIS
                                            a fait un bond en avant ! Et qu’en est-
                                            il des un ou deux mois d’espérance de
                                            vie supplémentaires que nous gagnons
BACH reprend la parole sur la longévité     tous les ans ? « C’est encore à peu près
après qu’Emeline Bayart nous ait narré      vrai, mais rien ne laisse penser que cela
ses chagrins imaginaires et ses tenta-      va continuer indéfiniment ».
tives de suicide délirantes…
                                               Alors que faire ? Des expériences ont
   Vivrons-nous jusqu’à 120 ans, 140        été tentées sur l’animal : la mouche, la
ans, ou plus comme l’annoncent les          souris, le ver de terre. Parmi les pistes
transhumanistes ? Pour le moment,           explorées, l’ablation des cellules de la
sauf révolution en la matière, il semble    reproduction et les régimes de restric-
qu’une barrière physiologique existe        tion calorique… À ce prix, on peut
aux alentours de 105 ans.                   augmenter l’espérance de vie de 20 %.
                                            mais n’est-ce pas un peu cher payé ?
   Les enquêtes sur la longévité ré-        « La bonne nouvelle est qu’on est train
servent d’autres surprises. Par exemple,    d’amener la quasi totalité de la popu-
la longévité n’a pas changé du pa-          lation vers l’âge butoir de 105 ans ». Ce
léolithique jusqu’au début du XVIIIe        n’est déjà pas si mal !
siècle. C’est ensuite seulement qu’elle
                            28
BENJAMIN PITRAT est un psychiatre
aficionado des nouvelles technologies.
                                               CORPS
Déplorant la difficulté à disposer de          SUR
données de santé de qualité issues de
la vie quotidienne du patient, il crée Ad      MESURE
Scientiam. Cette start-up développe
une application mobile qui aide à suivre
l’évolution de l’état des patients. Cela
n’empêche pas Benjamin de s’inquiéter
des conséquences de cette médecine
connectée. Cette quantification et norma-
lisation vont-elles modifier en profondeur
notre rapport au corps ? z

z   On peut être ultraconnecté et tou-
    tefois soucieux des conséquences
que cela peut avoir. C’est le cas de
BENJAMIN PITRAT.

   Ce jeune psychiatre, dopé aux nou-
velles technologies, créateur de la start-
up Ad Scientiam qui développe une
application mobile pour suivre l’état
de santé des patients, le dit d’emblée :
« La révolution de la santé connectée        lité ? Car pour beaucoup, « il n’est plus
a changé notre rapport au corps et à         important d’avoir passé une nuit re-
la maladie ». D’abord avec l’apparition      posante, mais de savoir qu’on a dormi
d’un nouveau concept, « le quantified        7 h 24 mn… ».
self », c’est-à-dire la possibilité pour         Par ailleurs, quelle est la validité des
chacun de mesurer une série de para-         consignes données par ces appareils ?
mètres médicaux.                             demande le spécialiste, qui rappelle que
                                             les fameux 10 000 pas ne proviennent
   « Quand on a lancé notre start-up         d’aucune étude scientifique, mais d’un
fin 2013, la pénétration du smartphone       fabriquant japonais de podomètres, qui
était de 30 % et les objets connectés se     trouvait que 10 000 ça sonnait bien en
résumaient à l’actimètre et à la balance     japonais…
connectée. Aujourd’hui, tous les por-
tables vendus sont des smartphones et           La santé connectée, Benjamin Pitrat
les objets connectés vont jusqu’à l’ECG      y croit, mais à condition de raison gar-
ou au bilan sanguin à domicile ».            der. » Avoir une tasse qui nous dit si on
                                             a suffisamment bu, est-ce bien néces-
   Au fond, quel est l’apport réel de ces    saire alors qu’on a le système hypotha-
techniques ? Ne sommes-nous pas en           lamo-hypophysaire qui régule depuis
train de perdre le contact avec la réa-      toujours la faim et la soif ? ».
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