Serious Games et SMA - Application à un - supermarché virtuel

 
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Serious Games et SMA - Application à un - supermarché virtuel
Serious Games et SMA - Application à un
                       supermarché virtuel
                        P. Mathieu               D. Panzoli                    S. Picault
                  philippe.mathieu@lifl.fr   david.panzoli@lifl.fr     sebastien.picault@lifl.fr

                      Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille, UMR CNRS 8021
                                           Université Lille 1, France

                     Résumé                               1     Introduction
La pertinence des systèmes multi-agents (SMA)
a été démontrée à de nombreuses reprises dans             Les simulations multi-agents (MA) s’appliquent
la conception de simulations informatiques ou             avec succès à de nombreux domaines, mais sur-
de jeux vidéo où un certain nombre d’entités au-          tout sont capables de répondre à des objec-
tonomes évoluent dans un environnement com-               tifs variés : la compréhension des mécanismes
plexe et dynamique. Les Serious Games (SG) re-            sous-jacents à des phénomènes naturels (de la
présentent une discipline nouvelle, à la frontière        biologie [6], des écosystèmes [4]) ou humains
de la simulation et du jeu. Nous pensons qu’une           (l’animation de mondes artificiels [3], la si-
catégorie de SG, ayant pour vocation l’immer-             mulation de comportements sociaux [7] ou la
sion de l’apprenant dans un environnement 3d,             finance [1]) ; la prédiction de comportements
représente un banc de test particulièrement in-           (gestion de catastrophes [16], simulateurs de
téressant pour les SMA car ils introduisent des           conduite Scanner [13] et ArchiSim[8]) ; ou en-
problématiques nouvelles et stimulantes pour la           core, à vocation ludique ou artistique (anima-
communauté. Dans cet article, nous explorons
les défis lancés à l’approche SMA par ces SG              tion, jeux vidéos). 1
immersifs. Particulièrement, nous démontrons              Issus du Kriegspiel, les Serious Games (SG) ont
que l’approche multi-agents orientée interac-             connu un essor très net ces dernières années, et
tions I ODA, dont l’aptitude à faciliter la concep-       s’inscrivent à la confluence de plusieurs objec-
tion de simulations a déjà été établie, permet de         tifs : ludique bien sûr, mais aussi éducatif ou in-
répondre efficacement à ces nouvelles problé-             formatif, en assurant en général une forme d’en-
matiques. Nous illustrons notre argumentaire en           traînement dans un contexte réaliste.
nous basant sur un projet de SG développé dans
notre équipe.                                             Or, bien que ces fonctions recoupent assez lar-
Mots-clés : Serious Game, Système Multi-                  gement les emplois de la simulation MA, cette
Agents, Adaptativité, Interactions                        dernière reste peu ou pas employée pour la réa-
                                                          lisation de SG. Notre propos ici est d’abord de
                     Abstract                             montrer en quoi un certain type de SG peut
In this paper, we claim that immersive 3d Se-             constituer un banc d’essai privilégié pour la
rious Games (SG) represent an interesting test-           mise à l’épreuve des techniques de simulation.
bed for multi-agent systems to prove their abi-           Nous souhaitons également montrer des pistes
lity to model compelling and user-enticing si-            concrètes pour s’attaquer à leur réalisation, no-
mulations. We explore the different challenges            tamment à travers une approche orientée inter-
arising from the use of an interaction-oriented           actions qui est particulièrement adaptée. Nous
methodology such as I ODA for modelling a rea-            illustrerons notre propos à travers des exemples
listic population of autonomous virtual charac-           tirés d’un SG réalisé dans l’équipe SMAC, le
ters able to behave and interact with the lear-           projet F ORMAT-S TORE.
ner in an adaptive fashion. Our argumentation
is illustrated with many examples from our own
experience in the development of a SG applica-            2     État de l’art
tion.
Keywords: Serious Game, Multi-Agent System,               Un serious game (SG) est un jeu destiné à la
Adaptivity, Interactions                                  formation d’un public d’apprenants (également
                                                              1. http ://www.massivesoftware.com/
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considérés comme joueurs 2 ) à un métier ou                          pratique cependant, c’est peu souvent le cas car
leur sensibilisation à un thème particulier (pa-                     un SG est développé par un studio de jeux vidéo
trimoine culturel, écologie, sécurité, etc). Le SG                   pour des experts qui fournissent le contenu pé-
a pour ambition d’incorporer dans une simu-                          dagogique, et aucun de ces deux acteurs ne pos-
lation certains aspects propres au jeu, dans le                      sède les compétences pour appréhender l’aspect
but de favoriser l’engagement de l’apprenant,                        multi-agents, voire l’aspect agent. Réciproque-
et ainsi renforcer l’impact du SG. Nous nous                         ment, nous allons voir que les problématiques
intéressons à la catégorie des SG immersifs,                         de jeu et de pédagogie induisent des contraintes
dans lequel l’immersion du joueur est considé-                       importantes sur la façon de concevoir et de réa-
rée comme la condition primordiale à cet enga-                       liser la partie simulation et contribuent à faire
gement. Comme illustré en gras dans la figure 1,                     des SG un banc d’essai novateur pour la mise à
l’immersion est assurée d’une part par le réa-                       l’épreuve des méthodologies et des techniques
lisme visuel du jeu et d’autre part par la scé-                      de simulation MA.
narisation des interactions entre le joueur et les
personnages non-joueurs (PNJ).                                       3   Spécificités des SG du point de
Dans certains SG immersifs [2, 15], l’accent est                         vue SMA
placé sur le réalisme visuel. L’apprenant se dé-
place librement dans un environnement 3d peu-                        Fondamentalement, la conception d’une simula-
plé de personnages virtuels autonomes se com-                        tion MA nécessite la définition d’un modèle dé-
portant de manière réaliste et cohérente. Du                         crivant les connaissances et les hypothèses de-
fait de la difficulté de scénariser les interac-                     vant être incorporées dans la simulation, puis
tions dans ce contexte de liberté, les PNJ se                        la spécification des comportements locaux et
contentent d’offrir des informations factuelles,                     des propriétés des agents de la simulation per-
comme des indications ou des objectifs de                            mettant de les représenter efficacement. Pour
quête.                                                               rendre possible l’utilisation de la simulation MA
                                                                     dans un contexte de SG, un certain nombre de
D’autres SG font primer la scénarisation sur le                      contraintes liées aux aspects jeu et pédagogie
réalisme visuel. La liberté de l’apprenant et la                     doivent être prises en compte. La figure 1 re-
complexité du comportement des PNJ sont ainsi                        cense l’ensemble de ces problématiques, en pla-
réduites au profit de dialogues scriptés dans un                     çant l’accent sur leur interdépendance.
environnement contrôlé. Le projet Banque Can-
tonale Vaudoise, développé par Daesign 3 pour                        Un SG est avant tout un jeu, ce qui se traduit
la banque éponyme, place l’apprenant dans une                        par la nécessité d’intégrer l’apprenant en tant
situation de dialogue interactif pour le former                      qu’acteur, ainsi que la volonté de lui proposer
au placement de produits financiers pour des                         un environnement immersif. Dans la conception
clients revêtant divers profils. The Sales Game                      de la simulation MA, ces deux contraintes s’ex-
de PIXELearning 4 offre une scénarisation plus                       priment à travers trois problématiques :
riche où l’apprenant apprend à construire son                         1. La simulation doit être participative en pre-
réseau professionnel ou enrichir sa base de                              nant en compte l’élément humain dans la
clients. Knowledge Drive, développé par Cas-                             gestion des agents. L’humain interagit avec
pian Learning 5 pour Volvo Car UK, entraîne le                           les agents, au même titre qu’ils interagissent
vendeur à construire un argumentaire de vente à                          entre eux, mais pas nécessairement selon
partir d’une discussion avec un client. Bien que                         les mêmes modalités et la même tempo-
l’apprenant soit laissé libre de se déplacer dans                        ralité. En outre, ses interventions sont im-
une restitution d’un showroom accompagné                                 prévisibles. Réciproquement, il est souvent
du client, le comportement de ce dernier est                             nécessaire de pouvoir lancer le jeu sans
extrêmement simpliste.                                                   joueur humain (pour éditer des documents
                                                                         à usage pédagogique ou vérifier la validité
                                                                         du comportement des PNJ) ou au contraire
Idéalement, intégrer une simulation multi-                               avec plusieurs humains (compétition ou tra-
agents des PNJ devrait permettre d’éviter de                             vail collaboratif). Cela ne doit pas nécessi-
transiger entre réalisme et scénarisation. Dans la                       ter de changement majeur et le joueur hu-
    2. Nous employons les termes “joueur” et “apprenant” comme sy-       main doit donc être appréhendé comme in-
nonymes dans le reste de cet article.                                    terchangeable avec un agent autonome.
    3. http ://www.daesign.com
    4. http ://www.pixelearning.com/services-the_sales_game.htm       2. Le comportement des agents doit être réa-
    5. http ://www.caspianlearning.co.uk/                                liste et cohérent pour favoriser l’immersion
s’assurer de la bonne intégration de ses re-
                                                                                               commandations, voire y participer.
      Jeu                                                            Pédagogie
                                  7
                                       évaluation                                           6. L’évaluation de la simulation ne pouvant
                                        flexible
       intégration
                                                                                               se faire que de manière expérimentale (par
       de l'humain                8    scénarisation
                                                                                               l’observation macroscopique de la simu-
                                                                                               lation) et incrémentale (par modifications
                   immersion                                 contenus
                                                           pédagogiques
                                                                                               successives), il est nécessaire que le mo-
                                                                                               dèle de la simulation soit aisément révi-
                                          SG                                                   sable, idéalement par le biais d’un proces-
                                                                           expertise
                                                                                               sus de conception interactif.
                        2   réalisme                4   modularité                         Enfin, deux dernières problématiques sont is-
                                                                                           sues de la combinaison des aspects liés à la pé-
              3   adaptativité
                                  comportements
                                                           5   intelligibilité             dagogie et au jeu.
 1
      simulation                                                           interactivité    7. Dans un SG, l’apprenant est évalué durant
                                                                       6
     participative
                                         modèle                             révisabilité       la session de jeu, quelle que soit la ma-
                                                                                               nière dont le résultat lui est communiqué
                                 Simulation                                                    (par un score en cours de session, par un bi-
                                                                                               lan en fin de session ou de manière hybride).
                                                                                               Dans le but d’accommoder la grande diver-
F IGURE 1 – Interdépendance des problèmes soulevés                                             sité des situations possibles, cette évalua-
par un serious game immersif. Les trois composantes
d’un tel SG (pédagogie, jeu, réalisme) prises séparément                                       tion doit donc revêtir un caractère flexible
engendrent leurs propres problématiques, mais la résolu-                                       en étant proposée à des temps différents, et
tion de ces dernières est considérablement compliquée par                                      sous des formes différentes.
le nécessaire équilibre qui doit être établi entre ces trois
objectifs. Ainsi par exemple, l’immersion du joueur passe                                   8. Dans une volonté d’immersion de l’ap-
par un soucis de réalisme, qui fait appel à une modélisa-                                      prenant, la présentation des contenus
tion appropriée du comportement des PNJ (problème de                                           pédagogiques doit être scénarisée. Bien que
simulation), mais aussi par la mise en scène des contenus                                      les approches centrées agents facilitent leur
pédagogiques à travers des agents, des comportements et                                        contextualisation, en permettant aux agents
un environnement spécifiques.
                                                                                               d’incarner des situations pédagogiques,
                                                                                               leur scénarisation (au sens strict, par utili-
     du joueur dans le jeu, c’est à dire le degré                                              sation d’un script) est rendue délicate par
     avec lequel le joueur adhère à la simulation.                                             l’autonomie des agents dans un SMA.
  3. Le comportement des agents doit être adap-
     tatif car l’environnement est extrêmement                                             Individuellement, la prise en compte de chaque
     dynamique, du fait de leurs actions res-                                              problématique introduite par le SG ne présente
     pectives mais également de la présence du                                             pas d’écueil particulier, comme le résume le ta-
     joueur et de son imprévisibilité.                                                     bleau 1. Mais c’est bien la conjonction dans
                                                                                           une même application de toutes ces probléma-
Les aspects pédagogiques sont caractérisés par                                             tiques qui rend l’exercice difficile. En ce sens,
deux enjeux. Les experts doivent pouvoir expri-                                            le SG représente un banc d’essai stimulant pour
mer des recommandations quant aux caractéris-                                              la mise à l’épreuve des techniques et des outils
tiques des PNJ (profils) ou leur comportement                                              de la communauté simulation MA. Pour notre
(plans, capacités d’interactions). Parallèlement,                                          part, nous pensons qu’une méthodologie orien-
ils définissent des objets pédagogiques (des in-                                           tée interactions telle que I ODA, dont nous rappe-
formations, des dialogues) qui doivent pouvoir                                             lons les principes dans la section suivante, offre
être intégrés dans ces comportements. Ces en-                                              une bonne réponse aux défis issus du SG : nous
jeux se traduisent par les problématiques sui-                                             allons l’illustrer en expliquant comment un SG
vantes :                                                                                   concret (le projet F ORMAT-S TORE) est réalisé
  4. L’architecture comportementale des agents                                             au moyen de I ODA (cf. section 5).
     doit être modulaire pour regrouper et arbi-
     trer au sein d’un système unique des capaci-                                          4   I ODA : Une méthodologie de
     tés de complexités différentes : se déplacer,                                             conception orientée interactions
     interagir, raisonner, communiquer, etc.
  5. Les comportements doivent être suffisam-                                              I ODA est née en 2001 [14] de la volonté de pro-
     ment intelligibles pour que l’expert puisse                                           poser une méthodologie multi-agents à la fois
#   Problématique     Illustration SMA (méthodes et       suit ce principe en proposant un certain nombre
     serious game      exemples)                           de recommandations.
     Simulation    Immersion d’un humain [8]
 1                 ou situations à problèmes pré-
     participative sentées à un groupe [16]                4.1   Tout est agent
                   Simulations explicatives [1, 4, 6]
 2   Réalisme      Simulations immersives [8]              Le point de départ dans la conception d’une si-
                   Comportements diversifiés [13]          mulation MA consiste à identifier les agents par-
 3   Adaptativité  Environnements dynamiques               ticipant à la simulation. Un agent dans un SMA
                   [5, 16]
                                                           est caractérisé par un degré minimal d’autono-
 4   Comportements Bibliothèque d’interactions in-         mie, se traduisant par la capacité à déclencher
     modulaires    dépendante des agents [12]
                                                           une action ou une interaction de manière auto-
     Comportements Règles (interactions [12] ou
 5   intelligibles normes [13])                            nome. Généralement, les personnages “vivants”
                   Homogénéité        des       enti-
                                                           dans une simulation sont considérés comme des
     Modèle                                                agents alors que les objets “inanimés” apparte-
 6   révisable     tés/comportements  [11]
                   Conception incrémentale [7]             nant à l’environnement (arbres, meubles, etc.)
     Évaluation de Observations des réactions de           ne le sont pas.
 7
     l’apprenant   participants humain [8, 16]
 8   Scénarisation Mise en scène de problèmes [16]         La première recommendation de I ODA consiste
                                                           à considérer toute entité participant à la simula-
TABLE 1 – Tableau résumant les problématiques intro-       tion comme un agent [11]. La première étape de
duites par un SG immersif, et quelques exemples de tech-   la conception consiste donc à lister les familles
niques ou d’applications SMA qui répondent à quelques-     d’agents, de manière à ce que chaque agent ap-
unes de ces problématiques isolément.                      partienne strictement à une famille, et que tous
                                                           les agents soient représentés.
simple à utiliser pour le concepteur et puissante
en terme de complexité des simulations réali-              4.2   L’interaction réifiée
sables.
                                                           De la même manière que chaque entité dans la
I ODA [10, 12] est une méthodologie de concep-             simulation est représentée par un agent, chaque
tion orientée interactions (les méthodologies de           comportement peut être décrit dans I ODA par
type IOP [18] se concentrent prioritairement               une interaction.
sur les interactions entre les agents, à l’in-
verse des méthodologies type AOP [17] qui                  Contrairement à d’autres approches SMA, où
s’intéressent au comportement intrinsèque de               l’interaction est exprimée implicitement dans
l’agent) dont l’originalité est d’accorder une             le comportement des agents, chaque interac-
tangibilité logicielle aux interactions et de pro-         tion dans I ODA est une composante logicielle
poser une conception unifiée de la simulation              tangible qui occupe une place centrale dans la
MA. I ODA est fondée sur un argument pro-                  conception. Une interaction est une règle impli-
venant d’observations expérimentales. Le pro-              quant deux agents : l’agent source exécute l’in-
cessus de conception d’une simulation requiert             teraction alors que l’agent cible la subit. L’in-
la formulation d’hypothèses, indépendamment                teraction est composée de deux parties : précon-
du phénomène simulé. Dans un contexte multi-               dition et action, chacune reposant sur des pri-
agents, lorsque le phénomène considéré est le              mitives de perception et d’action et étant donc
résultat évident des interactions d’une multitude          indépendante de l’implémentation concrète des
d’agents, la description de ces dernières consti-          agents (on parle de réification des interactions).
tue l’unique hypothèse objective pouvant être
formulée. L’ensemble des processus internes                En conséquence, I ODA exhibe deux carac-
mis en œuvre par les agents ne peut qu’être de-            téristiques uniques. D’abord, les interactions
viné. Dans le but d’éviter l’introduction d’un             peuvent être représentées indépendamment des
biais trop tôt dans le processus de conception,            agents, sous forme de librairies d’interactions
une approche prudente consiste à établir les               par exemple. Les interactions sont réutilisables
bases du modèle sur des caractéristiques obser-            d’une famille d’agents à une autre, et d’une si-
vables, idéalement formulées par les experts du            mulation à une autre. Elles sont allouées aux
domaine, puis à enrichir le modèle avec la pré-            agents de manière transparente et intuitive (cf.
occupation constante de retarder le plus possible          la section 4.3 consacrée à la matrice des inter-
l’introduction de nouvelles hypothèses. I ODA              actions). L’autre avantage de la réification des
interactions consiste en l’utilisation d’un pro-      Traditionnellement, la sélection de l’ac-
cessus générique et d’une boucle unique pour          tion consiste en une boucle interne
le traitement des agents, et ce indépendamment        perception→décision→action, opérée par
de leur nature (cf. la section 4.4 consacrée à la     l’agent lui-même selon le principe de l’auto-
sélection de l’action).                               nomie comportementale. Évaluer la perception
                                                      d’un agent consiste à recenser les agents dans
4.3   Matrice des interactions                        son voisinage local. Les agents étant situés dans
                                                      un environnement, le voisinage est donné par
Une fois les familles d’agents identifiées,           une métrique prédéfinie dans l’environnement.
l’étape suivante dans la méthodologie I ODA           Des métriques possibles peuvent être la distance
consiste en la description de leurs interactions.     dans un espace euclidien ou les accointances
Ceci implique également leur allocation dans          dans un espace social. Le processus de décision
une matrice des interactions.                         permet, à partir de la perception, de décider
                                                      d’une action appropriée. Celui-ci est plus ou
Le tableau 2 présente un exemple de ma-               moins complexe selon la nature de l’agent. Un
trice des interactions. Les familles d’agents         agent réactif prend une décision relativement
sont listées en abscisse et en ordonnée. Les          triviale alors qu’un agent cognitif manipule
interactions sont ensuite affectées de ma-            des buts internes et planifie de manière proac-
nière à identifier visuellement les familles          tive des plans menant à ces buts. L’action
d’agents source et cible. Une interaction se lit      sélectionnée est ensuite exécutée.
nomInteraction(dist, prt). Lorsque
l’agent cible de l’interaction est l’agent source     Dans le cas de I ODA, l’approche orientée inter-
lui-même, l’interaction est appelée dégénérée et      actions simplifie grandement ce processus. À
se lit nomInteraction(prt). Une interac-              chaque pas de temps, ce dernier étant discrétisé
tion possède les caractéristiques suivantes :         dans I ODA, l’agent considère l’ensemble des
– La distance dist définit la distance mini-          interactions possibles à partir de la matrice
   male entre l’agent source et l’agent cible pour    des interactions et des agents dans son voisi-
   que l’interaction puisse être considérée. Les      nage. Chaque interaction est ensuite qualifiée
   agents étant situés dans l’environnement, la       de réalisable si la distance entre lui-même
   distance est donnée par une métrique préala-       et l’agent cible est inférieure à la garde de
   blement choisie.                                   distance de l’interaction et si les préconditions
– La priorité prt est utilisée pour trier les dif-    sont vérifiées. S’il existe plusieurs interactions
   férentes interactions réalisables, lorsque, pour   réalisables à l’issue de ce processus, l’agent
   un agent donné, il en existe plusieurs en com-     exécute celle de priorité la plus haute. De fait,
   pétition à un instant donné.                       les agents dans la méthodologie I ODA sont tous
I ODA permet également, à travers une seconde         considérés comme réactifs.
matrice appelée la matrice de mise à jour, la
prise en compte des changements d’états qui           En optant pour une méthodologie orientée inter-
ne relèvent pas d’une interaction particulière        actions et en se libérant de l’hétérogénéité des
(vieillissement d’un agent, usure, etc).              processus de sélection de l’action des agents,
La matrice des interactions présente l’avan-          I ODA propose un mécanisme de gestion du
tage d’être lue très naturellement par un non-        comportement extrêmement simple. Toutefois,
informaticien. Malgré son apparente simplicité,       celui-ci permet d’obtenir des comportements
elle décrit le comportement de chaque agent           extrêmement complexes, comme illustré dans la
de manière exhaustive. En outre, exploitée par        section 5.3
le mécanisme de sélection de l’action présenté
dans la section suivante, elle est fonctionnelle-     5   Mise en œuvre d’un SG à travers
ment équivalente à tout type de représentation            l’approche orientée interactions
du comportement.
                                                      Dans cette section, nous examinons l’applica-
4.4   Sélection de l’action                           tion de la méthodologie I ODA à la réalisation
                                                      d’un projet de SG, mené en collaboration avec
L’expression de la matrice des interactions en un     deux partenaires : Idées-3Com, un studio de dé-
comportement pour chaque agent est opérée par         veloppement de jeux vidéo, et l’école de com-
un mécanisme de sélection de l’action.                merce ENACO. Nous détaillons de quelle ma-
nière I ODA répond aux problématiques définies                     De manière autonome, il se déplace dans le ma-
dans la section 2 et particulièrement comment                      gasin à la recherche de ces articles (cf. sec-
sont simulés les comportements réalistes et co-                    tion 5.3), qu’il place ensuite dans son panier.
hérents d’agents humanoïdes.                                       Une ou plusieurs situations-problèmes peuvent
                                                                   également être affectées à un client (cf. sec-
Le projet F ORMAT-S TORE est destiné à la                          tion 5.2), ce qui se traduit par la nécessité de
formation d’étudiants en école de commerce.                        trouver le vendeur puis d’engager un dialogue.
Il intervient en complément d’une formation                        En situation conversationnelle, comme l’illustre
traditionnelle regroupant sur une plate-forme                      la figure 3, l’apprenant doit sélectionner les ré-
pédagogique un ensemble de situations-                             ponses correctes aux questions des clients vir-
problèmes rédigées par des professionnels de
la vente, et relatives à la gestion de la rela-                    tuels. À la fin du dialogue, et indépendamment
tion clientèle, des stocks ou du magasin. Ces                      des réponses du joueur, le client retourne à son
situations-problèmes se présentent en pratique                     activité. D’autres situations-problèmes peuvent
sous la forme de dialogues interactifs entre un                    ainsi être cumulées durant l’activité du client,
vendeur (l’apprenant) et un client, où chaque                      ayant pour cause des perturbations introduites
réplique du vendeur donne lieu à un score et un                    volontairement (une allée peut être encombrée)
compte-rendu.                                                      ou non (un article peut se trouver en rupture,
                                                                   leur quantité étant limitée).

F ORMAT-S TORE a pour ambition de proposer
une mise en contexte des situations-problèmes,
permettant à l’apprenant d’appliquer dans un
magasin virtuel les connaissances acquises de
manière traditionnelle sur la plate-forme, et
d’expérimenter diverses façons de traiter un cas.
En outre, il permet en parallèle l’apprentissage
de compétences liées à la gestion du temps
ou la priorisation des tâches. L’utilisation d’un
SMA est motivée par la volonté de proposer à
l’apprenant une expérience immersive dans la-
quelle des clients virtuels aux profils différents
simulent l’activité et les problèmes de clients
réels. Par le biais de son avatar, l’apprenant as-
sume le rôle d’un vendeur dans le magasin (voir                    F IGURE 3 – Les dialogues des situations-problèmes
figure 2).                                                         sont mis en scène lors d’interactions conversationnelles,
                                                                   par le biais d’une interface spécifique.

                                                                   5.1   Intégration de l’expert dans la concep-
                                                                         tion

                                                                   Dans la section 4, nous avons relevé l’impor-
                                                                   tance d’intégrer les experts dans le processus de
                                                                   conception de la simulation. La méthodologie
                                                                   I ODA, à travers différents aspects, répond par-
                                                                   faitement à cette problématique.
                                                                   Comme préconisé dans la section 4.1, toutes les
                                                                   entités participant à la simulation sont repré-
                                                                   sentées par une famille d’agents. On retrouve
F IGURE 2 – Dans F ORMAT-S TORE, l’apprenant évolue                donc le Vendeur, les Clients, mais aussi
dans un magasin à travers un avatar personnalisable qu’il          les Articles, les Panneaux qui servent à
contrôle avec les flèches de son clavier. Par le biais de son      l’orientation des clients et la Porte par la-
avatar, il peut aussi interagir avec les clients et les articles
en utilisant la souris.                                            quelle les agents entrent et sortent (voir ta-
                                                                   bleau 2 pour la liste complète des agents). Pour
Dès son entrée dans le magasin, chaque client                      l’expert, participer à la première étape de mo-
se voit attribuer une liste d’articles à acheter.                  délisation consiste donc simplement à recenser
toutes les entités jouant un rôle dans la simula-     Grâce à ces outils, les paramètres de chaque in-
tion, que ce dernier soit actif ou passif.            teraction, à savoir les familles d’agents source et
                                                      cible, les préconditions, la distance et la priorité,
De la même manière, la formulation du com-            peuvent être positionnés ou modifiés très facile-
portement des agents sous forme d’interactions        ment par action sur la matrice, traduits automa-
est très naturelle pour l’expert, et son place-       tiquement, et testés immédiatement.
ment dans la matrice (cf. section 4.3) très in-
tuitif. Prenons l’exemple d’une requête de l’ex-      Bien que la conception et la révision d’un mo-
pert concernant l’orientation des clients : « Les     dèle I ODA ne requière pas de compétences spé-
clients localisent la position des articles qui les   cifiques en programmation informatique, l’im-
intéressent en lisant les panneaux d’informa-         plémentation des parties condition et action de
tions situés dans le magasin, et se rendent en-       chaque interaction nécessite tout de même l’in-
suite vers le plus proche ». La traduction de         tervention d’un informaticien, lorsque celles-
cette requête en interaction est quasi triviale :     ci ne font pas déjà partie d’une libraire exis-
Une première interaction Informer est po-             tante (ce qui est souvent le cas puisque J EDI in-
sitionnée dans la matrice à l’intersection du         clue nativement un ensemble d’interactions gé-
Panneau (source) et du Client (cible). Une            nériques).
deuxième interaction dégénérée Aller vers
est placée dans la cellule adéquate de la ligne       5.2   Intégration des contenus pédagogiques
du Client. Pour chaque interaction, les condi-
tions d’exécution sont uniquement déterminées
par les préconditions et la distance. Par exemple,    L’implémentation d’une interaction peut
un Client sera informé par tout panneau à             prendre plusieurs formes, de la plus triviale à
une distance inférieure ou égale à 10, à la           la plus complexe. Par exemple, dans F ORMAT-
condition que l’article désigné par le panneau        S TORE, le joueur (dans le rôle d’un Vendeur)
soit sur sa liste de courses. Il sera capable         peut réapprovisionner un produit ou dialo-
d’Aller vers tout article à la condition qu’il        guer avec un Client. Alors que l’interaction
en connaisse la position.                             Réapprovisionner consiste simplement
                                                      à augmenter la quantité de l’article cible,
L’intégralité du comportement de chaque agent         l’interaction Dialoguer implique une suite
est ainsi représenté de manière extrêmement in-       complexe d’opérations comprenant l’utilisation
telligible (5). Pour chaque agent, sa ligne dans      d’une interface spécifique, la capture des ré-
la matrice regroupe les interactions qu’il peut       pliques sélectionnées par le joueur, l’attribution
exécuter (respectivement sa colonne celles qu’il      d’un score et l’affichage d’une notification.
peut subir). Par exemple, un Client peut (par         De fait, la modularité des comportements (4)
ordre de priorité décroissante) Repérer un            est assurée par la possibilité de définir des
vendeur, Sortir du magasin, Sortir de la              interactions de complexité différente.
file d’attente, Payer à la caisse, Se placer
et Entrer dans la file d’attente, Prendre un          De la même manière, la problématique de
article, Aller vers une position donnée dans          la scénarisation (8), consistant à intégrer les
le magasin ou Errer. Le Client est informé            contenus pédagogiques dans le comportement
par un Panneau, un Article, la Caisse ou              des PNJ, est rendue accessible par la méthodolo-
la Porte par la même interaction, compte tenu         gie centrée interactions. Dans F ORMAT-S TORE,
du caractère polymorphe des interactions, lié à       les situations-problèmes qui constituent le cœur
leur réification.                                     de la pédagogie, se présentent sous la forme de
                                                      dialogues contextualisés entre l’apprenant et un
La matrice des interactions constitue l’unique        client hypothétique. Nous présentons une implé-
modèle des comportements de la simulation,            mentation volontairement simple, n’ayant pas
et il est très simplement révisable (6) grâce à       vocation à doter les PNJ de propriétés propres
deux modules additionnels de I ODA : J EDI et         aux ACA, dans laquelle chaque dialogue est re-
J EDI-Builder. J EDI est une API Java qui as-         présenté par une interaction entre un Client et
sure une implémentation rigoureuse d’un mo-           le Vendeur, et son contexte par les précondi-
dèle conceptuel I ODA. J EDI-Builder est un ap-       tions de l’interaction (par exemple : un Client
plet Java qui assure deux rôles : fournir une         ne peut pas accéder à une allée, un Client ne
interface intuitive permettant la création ou la      peut pas prendre un Article), ainsi éventuel-
modification d’un modèle I ODA directement à          lement qu’une autre interaction (par exemple,
la souris, et traduire rapidement et automati-        l’Article Génère une tache qui obs-
quement un modèle I ODA en application J EDI.         true l’allée, l’Article Périme).
!!!
        !!! Cible                  ∅              Vendeur              Client               Porte      Affichage       Caisse     FileAttente            Article             Tache          Carton
    Source !!!
                !
                                                                   Dialoguer(1,0)                                                                       Ôter(5,0)        Nettoyer(3,0)   Ranger(3,0)
    Vendeur
                                                                                                                                                 Réapprovisionner(5,0)
                               Errer(0)         Repérer(10,9)                           Sortir(1,8)               Payer(5,6)     Entrer(2,4)          Prendre(5,2)
    Client                   AllerVers(1)       Patienter(2,3)                                                                   SePlacer(1,5)
                                                                                                                                  Sortir(1,7)
    Porte                  GénérerClient(1)                      Informer(10,0)
    Affichage                                                      Informer(10,0)
                                                                   Informer(10,0)
    Caisse
                                                                   Encaisser(2,1)
    FileAttente
                              Périmer(3)                          Informer(10,0)
    Article                GénérerTache(4)                       Contrarier(1,1)
                          GénérerCarton(4)                     AvertirRupture(1,2)
    Tache                                                          Contrarier(1,0)
    Carton                                                         Contrarier(1,0)

  TABLE 2 – La matrice des interactions détaille les interactions possibles entre familles d’agents. Chaque interaction
Une interaction dégénérée se lit nomInteraction(priorité). Une interaction simple se lit (+)nomInteraction(distance, priorité). Le ’+’ devant une interaction simple caractérise une interaction non bloquante, q
signifie que la source peut lancer une nouvelle interaction par la suite.
  est positionnée dans une cellule dont la ligne représente la famille source et la colonne la famille cible (les interactions
  dégénérées
   Source/Target sont placées
                       ∅      dans
                                Employee      ∅). Chaque interaction
                                   la colonneCustomer      Door       est associée
                                                                 Sign Checkout     à une priorité
                                                                                Queue       Item    (duStain
                                                                                                         point deCrate
                                                                                                                    vue de la source)
  ainsi qu’à une garde de distance (sauf interactions
                                           Converse(1,0)
                                                         dégénérées).                    Remove(5,0) Clean(3,0) PutAway(3,0)
    Employee
                                                                                                                                          Supply(5,0)
                          Wander(0)         Locate(10,∞)                               Exit(1,12)          Pay(5,10)       StepIn(2,7)     Take(5,2)
  Bien    que les GoTo(1)
   Customer          interactions     complexes comme les
                                 Wait(2,3)
                                                                                                           tion en MoveOn(1,8)
                                                                                                                   ajustant avec précaution les positions des
  dialogues semblent au premier abord les plus                                                             entitésWalkOut(1,11)
                                                                                                                   en interaction et en synchronisant leurs
  importantes
   Door            pour assurer le réalisme
                SpawnCustomer(1)                    du compor-
                                           Acknowledge(10,∞)                                               animations respectives. Plus important, il per-
  tement,
   Sign      l’intérêt même d’une simulation
                                           Acknowledge(10,∞)MA re-                                         met de libérer le PNJ de ces connaissances pour
  pose    sur la multiplicité des interactions
   Checkout                                               simples,
                                           Acknowledge(10,∞)
                                                                                                           se concentrer sur ses objectifs internes et la re-
                                             CheckOut(2,0)
  comme
   Queue
             expliqué      dans  la section   suivante.                                                    cherche dans l’environnement d’objets lui per-
                          Expire(1)                          Acknowledge(10,∞)
                                                                                                           mettant de les satisfaire. Traditionnellement ce-
  5.3
    Item
              Comportements réalistes Upset(1,∞)
                        MakeStain(1)                                                                       pendant, le PNJ reste à l’origine de l’interaction,
                       SpawnCrate(1)                         Ack OutOfStock(1,0)                           et toute interaction exécutée est nécessairement
    Stain                                                         Upset(1,∞)                               le résultat d’un processus de décision souvent
  Au
   Cratemême titre que la scénarisation,    le réalisme
                                     Upset(1,∞)                                                            complexe et chronophage exécuté par un méca-
  du comportement des agents autonomes consti-                                                             nisme de sélection de l’action cognitif.
  tue le deuxième aspect de l’immersion de l’ap-
  prenant dans le serious game.                                                                            L’idée que les capacités cognitives de l’agent
                                                                                                           puissent également être distribuées au sein
  La vision orientée interactions proposée par                                                             des possibilités d’interaction offertes à l’agent
  I ODA offre une implémentation originale du                                                              constitue un postulat de l’approche SMA, et
  concept d’affordance. Dans [9], Gibson établit                                                           plus particulièrement de l’approche I ODA qui
  que les possibilités d’interaction (les fonctions)                                                       considère qu’un comportement intelligent peut
  d’un objet dans l’environnement sont princi-                                                             être exprimé par      un agent réactif. Cette ar-
                                                                                                                            1
  palement suggérées par l’objet lui-même (sa                                                              gument est proche de l’idée développée par
  forme, sa position, etc). Dans les simulations                                                           Brooks dans [5], postulant que l’intelligence
  de l’animation comportementale ou les jeux vi-                                                           n’est pas le résultat d’une planification ou d’un
  déo où un personnage virtuel doit interagir avec                                                         raisonnement (à l’instar d’un agent mettant en
  les objets de son environnement, une interpréta-                                                         œuvre un script ou un système expert) mais au
  tion de cette théorie est traditionnellement em-                                                         contraire que l’apparence de processus cogni-
  ployée. Elle consiste à attacher à chaque objet                                                          tifs est le résultat du comportement réactif d’un
  d’une part les algorithmes de l’interaction (de                                                          agent dans un environnement dynamique.
  cette manière l’objet lui-même décrit au PNJ
  comment il devrait être manipulé, dans quelles                                                           Pour illustrer ce principe, prenons l’exemple de
  circonstances, et quel est le résultat de la mani-                                                       l’activité d’un client dans F ORMAT-S TORE. Un
  pulation) ainsi que les animations. Par exemple,                                                         client possède un profil (parmi 10 profils ini-
  un PNJ voulant ouvrir une porte est informé par                                                          tialement fournis, correspondant à 5 catégories
  la porte elle-même de la position à laquelle il                                                          d’âge, multipliés par 2 sexes) ainsi qu’une liste
  doit se tenir, de l’animation qu’il doit jouer et                                                        d’articles à acheter (le nombre d’articles étant
  de l’état final de la porte. Ce mécanisme per-                                                           fonction du profil). Un client virtuel entrant dans
  met avant tout d’éviter tout défaut dans l’anima-                                                        le magasin considère toutes les interactions pos-
sibles (décrites dans le tableau 2) par ordre de       comportement sont deux propriétés essentielles
priorité décroissante jusqu’à en trouver une réa-      lorsque l’élément humain joue un rôle actif dans
lisable (cf. section 4.4). Sortir du magasin du        la simulation.
magasin n’est possible qu’après avoir réglé ses
articles. Payer nécessite préalablement d’oc-          5.4   L’humain dans la boucle
cuper la première place dans la file d’attente.
Entrer dans la file d’attente n’est possible que
lorsque tous les articles de la liste ont été récol-   Dans une simulation participative (1), les agents
tés. Prendre un article suppose d’être à portée        autonomes cohabitent avec le joueur, dont la
de celui-ci. Aller vers un article s’appuie            modalité et la temporalité des actions sont dif-
sur des algorithmes de pathfinding et de naviga-       férentes. En plus de la robustesse du compor-
tion, mais n’est possible que lorsque la position      tement des agents autonomes, l’enjeu consiste
de cet article est connue. Le client est Informé       à proposer une intégration non bloquante du
de la position des articles par les panneaux d’af-     joueur.
fichage situés dans le magasin. Les panneaux ne        Dans F ORMAT-S TORE, comme illustré dans le
peuvent être lus que lorsque le client Erre dans       tableau 2, le vendeur est présent dans la liste
le magasin (ou se déplace vers un autre article).      des agents bien qu’il soit l’avatar de l’apprenant
Alors qu’il évolue dans le magasin, le client          dans le jeu. Le contrôle exercé par le joueur est
semble suivre un plan, à l’instar d’un agent           répercuté sur l’agent, qui se déplace ou agit en
cognitif. Pourtant, chaque interaction est indé-       conséquence, mais en l’absence d’action de la
pendante de la suivante et leur séquence dé-           part du joueur, la simulation suit son cours nor-
coule seulement des priorités qui ont été établies     malement. Une autre conséquence de ce fonc-
entre elles. Non seulement ce mécanisme per-           tionnement permet à l’agent contrôlé par le
met l’obtention de comportements réalistes (2),        joueur d’être substitué par n’importe quel autre
mais il garanti aussi leur adaptativité et leur va-    agent dans le jeu. Concrètement, si les objectifs
riabilité [10].                                        pédagogiques en exprimaient la contrainte, il se-
                                                       rait aisé de placer le joueur dans la peau d’un
Le comportement adaptatif (3) du client est ex-        Client et de le voir confronté par exemple à
primé à travers sa robustesse aux perturbations        un Vendeur autonome. D’ailleurs, pour tester
de l’environnement. La capacité des clients à          les comportements des PNJ, nous lançons la si-
trouver les articles et remplir leur panier ne dé-     mulation MA sans la présence du joueur.
pend pas d’une carte prédéfinie du magasin. Les
produits peuvent être déplacés, retirés, les allées    Une autre problématique inhérente à la présence
obstruées, sans que leur capacité à remplir leur       de l’apprenant dans la simulation consiste à pro-
objectif ne soit altérée. De même, la faculté des      poser une évaluation flexible (7) de sa perfor-
clients à trouver le vendeur dans le magasin, dès      mance. L’évaluation de l’apprenant prend en
qu’un problème survient, et malgré les dépla-          compte deux variables, pour chaque client. Pre-
cements imprévisibles du joueur, constitue un          mièrement, en raison de notre choix dans la
autre exemple d’adaptativité.                          scénarisation, l’apprenant est évalué immédiate-
                                                       ment à l’issue de chaque dialogue avec un client,
Du fait de l’adaptativité du comportement des          et en fonction de ses réponses. La variabilité des
clients, nous défendons l’idée que la différencia-     comportements des agents, décrite dans la sec-
tion comportementale peut être obtenue sans se         tion précédente, garantit que l’apprenant n’est
reposer uniquement sur l’aléatoire de certaines        jamais évalué de la même manière (les pro-
interactions, telle que Errer. Dans les deux           blèmes des clients sont nombreux et éventuelle-
exemples du paragraphe précédent, la variabi-          ment soulevés durant leur évolution dans le ma-
lité des comportements est illustrée par la possi-     gasin au gré des problèmes qui surviennent), et
bilité d’affecter des listes d’articles différentes    jamais au même moment (car chaque rencontre
à chaque client, ce qui se traduit par un par-         entre l’apprenant et un client est imprévisible).
cours indéterminable du magasin par le client,         Deuxièmement, et indépendamment, le score du
et la possibilité d’introduire des perturbations       joueur prend aussi en compte le niveau de sa-
dans le magasin durant la session de jeu, de ma-       tisfaction de chaque client qui sort du magasin.
nière aléatoire et sans possibilité d’anticiper le     La satisfaction d’un client décroît par exemple
nombre de clients impactés, occasionnant des           lorsqu’un article désiré est manquant ou une al-
réactions variées.                                     lée obstruée. Dans ce cas également, le nombre
                                                       de clients affectés par chaque problème dans le
L’adaptativité des PNJ et la variabilité de leur       magasin, ainsi que l’impact du problème sur le
client (qui dépend de la tolérance associée au                 [4] F. Bousquet and C. Le Page. multi-agent simulations
profil du client) sont imprévisibles.                              and ecosystem management : a review. Ecological
                                                                   Modelling, 176(3-4) :313–332, 2004.
                                                               [5] R. A. Brooks. Intelligence without reason. In pro-
6    Conclusion et perspectives                                    ceedings of the 1991 International Joint Conference
                                                                   on Artificial Intelligence, pages 569–595, 1991.
Nous avons montré dans cet article que les Se-                 [6] G. Desmeulles, S. Bonneaud, P. Redou, V. Rodin,
rious Games soulèvent des problématiques de                        and J. Tisseau. In-virtuo experiments based on the
                                                                   multi-interaction system framework : the RéISCOP
jeu, de pédagogie et de simulation étroitement                     meta-model. CMES, Computer Modeling in Engi-
couplées, qui en font un défi aux approches                        neering & Sciences, 2009.
utilisées classiquement pour la simulation MA.                 [7] J. M. Epstein and R. Axtell. GrowingArtificial So-
Si chacune des problématiques d’un SG est                          cieties : Social Science from the Bottom Up. Broo-
souvent présente dans une simulation à base                        kings Institution Press, Washington, 1996.
d’agents, leur combinaison en revanche met à                   [8] S. Espié. Vehicle driven simulator versus traffic-
l’épreuve les qualités de modularité, d’expressi-                  driven simulator : the INRETS approach. In Procee-
vité, de reformulation de modèle, d’intégration                    dings of driving simulation conference (DSC’99),
dynamique de l’humain, dont font preuve ou                         Paris, France, 1999.
                                                               [9] J. J. Gibson. The ecological approach to visual per-
non les méthodes de simulation. À travers notre                    ception. Hillsdale ; New Jersey ; London, 1979.
propre expérience de réalisation d’un SG, nous                [10] Y. Kubera, P. Mathieu, and S. Picault. Interaction-
avons illustré ces difficultés et montré comment                   oriented agent simulations : From theory to imple-
l’approche orientée interactions (I ODA), conçue                   mentation. In Proceedings of the 18th European
pour des simulations plus classiques, est parti-                   Conference on Artificial Intelligence (ECAI’08),
culièrement adaptée pour répondre aux problé-                      pages 383–387. IOS Press, 2008.
matiques SG, grâce notamment à une séparation                 [11] Y. Kubera, P. Mathieu, and S. Picault. Everything
des entités et des comportements ainsi qu’une                      can be agent ! In Proceedings of the ninth Interna-
                                                                   tional Joint Conference on Autonomous Agents and
implémentation originale de la théorie des affor-                  Multi-Agent Systems (AAMAS’2010), pages 1547–
dances. Nous avons montré également comment                        1548, 2010.
prendre en compte un joueur humain “plug and                  [12] Y. Kubera, P. Mathieu, and S. Picault. IODA : an
play”, pouvant être remplacé par des agents au-                    interaction-oriented approach for multi-agent based
tonomes ou vice-versa. Cette versatilité suggère                   simulations. Autonomous Agents and Multi-Agent
que les SG immersifs pourraient constituer une                     Systems, pages 1–41, 2011. 10.1007/s10458-010-
forme de “Test de Turing” pour les simulations                     9164-z.
MA et la définition de comportements réalistes.               [13] B. Lacroix, P. Mathieu, and A. Kemeny. The use
                                                                   of norms violations to model agents behavioral va-
                                                                   riety. In Coordination, Organizations, Institutions
Remerciements                                                      and Norms in Agent Systems IV, volume 5428 of
                                                                   Lecture Notes on Artificial Intelligence, pages 220–
                                                                   234. Springer, 2009.
Le projet F ORMAT-S TORE a été financé par le
                                                              [14] P. Mathieu, J-C. Routier, and P. Urro. Un modèle de
ministère de l’Économie, des Finances et de                        simulation agent basé sur les interactions. In Actes
l’Industrie, dans le cadre de l’appel à projet “Se-                des Premières Journées Francophones sur les Mo-
rious Game” de 2009, en collaboration avec les                     dèles Formels de l’Interaction (MFI’01), pages 407–
sociétés Learn’Ingenierie et Idées-3Com. Les                       417, 2001.
images du jeu sont la propriété de Idées-3Com.                [15] D. Panzoli, C. Peters, I. Dunwell, S. Sanchez, P. Pe-
Les auteurs remercient également Jean-Baptiste                     tridis, A. Protopsaltis, V. Scesa, and S. de Freitas.
Leroy pour son implication dans le projet.                         Levels of interaction : A user-guided experience in
                                                                   large-scale virtual environments. Games and Vir-
                                                                   tual Worlds for Serious Applications, Conference in,
Références                                                         0 :87–90, 2010.
                                                              [16] R. Querrec, P. Reignier, and P. Chevaillier. Humans
 [1] W. B. Arthur, J. H. Holland, B. LeBaron, R. Palmer,           and autonomous agents interactions in a virtual en-
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     Notes, 26 :297–330, 1997.
                                                              [17] Y. Shoham. Agent oriented programming. Journal
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