Tunisie : Impact des mesures de confinement associées à la pandémie COVID-19 sur la pauvreté des enfants - Unicef

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Tunisie : Impact des mesures de confinement associées à la pandémie COVID-19 sur la pauvreté des enfants - Unicef
Tunisie :
Impact des mesures de confinement
associées à la pandémie COVID-19 sur
la pauvreté des enfants

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Tunisie : Impact des mesures de confinement associées à la pandémie COVID-19 sur la pauvreté des enfants - Unicef
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Remerciements

Ce rapport est le fruit de la collaboration de nombreuses personnes et institutions. L’équipe chargée de l’éla-
boration du rapport, composée par MM. Sami Bibi (PEP, Université Laval), Abdel-Rahmen El Lahga (PEP, Institut Su-
périeur de Gestion de Tunis), et Sebastian Silva-Leander (OPM), remercie tous ceux qui ont contribué à cette publi-
cation en y consacrant leur temps, leur expertise, et leur énergie, notamment : John Murray Cockburn (PEP),
Luca Tiberti (PEP), Marta Marzi (OPM), Samir Bouzekri (UNICEF), Remy Pigois (UNICEF), Leonardo Menchini
(UNICEF) et Samman Thapa (UNICEF).

Nous nous félicitons également de l’appui de Madame Lila Pieters, Représentante de l’UNICEF en Tunisie, et
de son équipe qui ont facilité le dialogue avec le Ministère des affaires sociales sur la conduite de cette étude.

Nos remerciements vont également au bureau régional de l’UNICEF pour la région MENA qui outre le finan-
cement de l’étude, a facilité la conduite de la recherche et a appuyé techniquement tout le processus.

L’étude a également bénéficié des commentaires et suggestions enrichissantes apportées par l’équipe du
Ministère des affaires sociales lors de la présentation des premiers résultats.

Les idées et les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas néces-
sairement les points de vue de l’UNICEF.

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À propos d’Oxford Policy Management (OPM)
    Le cabinet « Oxford Policy Management » a pour vocation d’appuyer les pays à revenu faible et intermédiaire
    à parvenir à la croissance et à réduire la pauvreté et le désavantage par le biais de réformes de politique pu-
    blique.

    En employant notre expertise analytique et notre expérience pratique, nous aspirons à apporter des chan-
    gements positifs et durables. Avec un réseau de bureaux à travers le monde, nous travaillons en partenariat
    avec les décideurs nationaux dans la recherche, la conception, la mise en œuvre et l’évaluation d’impact des
    politiques publiques.

    Nous travaillons dans tous les domaines de la politique sociale et économique et de la gouvernance, y com-
    pris la santé, la finance, l’éducation, le changement climatique et la gestion du secteur public. Nous puisons
    dans l’expertise sectorielle de nos consultants nationaux et internationaux pour fournir un soutien de qua-
    lité basé sur des évidences.

    À propos du Partnership for Economic Policy (PEP)
    Le Partenariat pour les politiques économiques (PEP) met en relation des chercheurs et des instituts de re-
    cherche du monde entier, afin de promouvoir la participation de l’expertise locale dans la définition des solu-
    tions et politiques de développement durable.

    L’approche novatrice du PEP en matière de renforcement des capacités de cette expertise locale contribue à
    établir une nouvelle génération de leaders scientifiques dans les pays en développement, à la fois porteurs
    des réalités locales et conscients des besoins du politique. L’appui du PEP permet à ces chercheurs d’appli-
    quer des outils et méthodes scientifiques de pointe pour étudier des problèmes de développement qui sont
    importants du point de vue des décideurs et populations de leur pays.

    Au final, plus du tiers de ces analyses contribue à renseigner directement les décisions politiques nationales,
    tandis que la moitié est publiée dans des revues scientifiques prestigieuses – témoignant à la fois de la per-
    tinence et de la qualité de la recherche soutenue.

    Oxford Policy Management Limited                        PEP Global Secretariat
    Registered in England: 3122495                          Duduville Campus, Kasarani
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Table des matières

Remerciements                                                                                          3
Table des matières                                                                                     5
Liste des tableaux                                                                                     6
Liste des graphiques                                                                                   6
Liste des sigles et acronymes                                                                          6
Résumé exécutif                                                                                        7
1 Introduction                                                                                         9
2 Définition des scénarios et méthodologie                                                             11
2.1 Confinement et impact sur le revenu                                                                11
2.2 Confinement et variation des prix                                                                  14
2.3 Mesures d’atténuation de l’impact de laCOVID-19                                                    15
2.4 Préparation des données                                                                            16
3 Résultats                                                                                            17
3.1 Impact de la COVID-19 sur la pauvreté et les inégalités                                            17
3.2 Qui sont les enfants pauvres et où vivent-ils                                                      20
3.3 Efficacité des mesures d’atténuation                                                               23
3.4 Quels sont les facteurs qui contribuent davantage à la variation de la pauvreté ?                  23
3.5 Quel rôle pourrait jouer une allocation pour enfants dans l’atténuation des effets de la crise ?   27
4 Conclusion et recommandations                                                                        27
Recommandations                                                                                        27
Annexe: Méthodologie d’estimation de l’effet de variation des prix sur le bien-être                    29
Bibliographie                                                                                          30

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Liste des tableaux

    Tableau 1: Prévalence de la COVID-19 au Nord et au Sud de la Méditerranée                              9
    Tableau 2: Distribution de l’emploi formel et informel par secteur et par niveau de confinement        12
    Tableau 3: Variation mensuelle des prix Mars 2020                                                      15
    Tableau 4: Description succincte des scénarios                                                         17
    Tableau 5: Seuils de pauvreté aux prix de 2015 (dinars tunisiens par personne par an)                  17
    Tableau 6: Impacts sur la pauvreté et les inégalités                                                   18
    Tableau 7: Taux de pauvreté des enfants par région et par scénario                                     20
    Tableau 8: Taux de pauvreté par secteur d’activité du chef de ménage                                   21
    Tableau 9: Pauvreté des enfants selon la taille du ménage                                              22
    Tableau 10: Répartition régionale des nouveaux pauvres selon les scénarios                             22
    Tableau 11: Impact des interventions gouvernementales sur la réduction de la pauvreté et l’inégalité   23
    Tableau 12: Décomposition de la variation de la pauvreté par facteur, selon les scénarios (en points   25
    de pourcentage)
    Tableau 13: Réduction de la pauvreté pour 100 DT de revenu supplémentaire par tête                     26

    Liste des graphiques

    Graphique 1: Nombre d’enfants par décile                                                               10
    Graphique 2: Statut sur le marché de travail                                                           11
    Graphique 3: Nombre d’enfants par secteur d’activité du chef de ménage                                 13
    Graphique 4: Impact de la COVID-19 sur la consommation moyenne par tête en dinars                      19
    Graphique 5: Courbes d’incidence de la croissance                                                      19

    Liste des sigles et acronymes

    AMG1          Assistance Médicale Gratuite, Type 1
    AMG2          Assistance Médicale Gratuite, Type 2
    CNRPS         Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale
    CNSS          Caisse Nationale de Sécurité Sociale
    EBCNV         Enquête sur le Budget, la Consommation, et le Niveau de vie
    GT            Gouvernement Tunisien
    INS           Institut National de la Statistique
    MAS           Ministère des Affaires Sociales
    OIT           Organisation Internationale du Travail
    OPM           Oxford Policy Management
    PEP           Partnership for Economic Policy (Partenariat pour les politiques économiques)
    PIB           Produit Intérieur Brut
    PNAFN         Programme National d’Aide aux Familles Nécessiteuses
    UGTT          Union Générale Tunisienne du Travail
    UNICEF        Fonds des Nations Unies pour l’Enfance
    UTICA         Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat

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Résumé exécutif
A l’instar de la plupart des pays du monde, la Tunisie n’a pas été épargnée par la pandémie COVID-19. Même
si le pays a réussi à maîtriser la propagation de la pandémie, les conséquences négatives sur le plan éco-
nomique et social sont désormais tangibles, comme en témoignent le taux de croissance économique du
premier trimestre de 2020, estimée à -1,7%. Ce résultat est la conséquence directe du confinement de la po-
pulation, de l’arrêt brutal de plusieurs secteurs d’activité et la baisse de la demande intérieure ainsi que celle
des principaux partenaires commerciaux de la Tunisie.

Ces impacts négatifs se répercutent sur le niveau de vie des ménages à travers la baisse de leurs revenus du
travail, les arrêts de travail dus à la maladie, la baisse de leurs revenus hors-travail, et la hausse des prix. Ce
rapport estime l’impact des mesures de confinement prises pour freiner la propagation de la COVID-19, sur
le niveau de vie, sur la pauvreté et les inégalités en Tunisie en se focalisant sur la population des enfants de
moins de 18 ans. Les résultats montrent, en effet, que les enfants sont sur-représentés dans les groupes les
plus vulnérables face à la crise ; à savoir les ménages travaillant dans le secteur informel et dans les secteurs
confinés. Ils risquent donc de payer un prix disproportionné des effets de la crise.

Outre les effets monétaires, les mesures de confinement auront également des effets négatifs sur les dimen-
sions non-monétaires du bien-être de la population. Ceci est davantage vrai pour les enfants dont le bien-
être sera impacté à différents niveaux, tels que (i) l’éducation en termes d’apprentissage et aussi de fréquen-
tation, (ii) la sécurité alimentaire et l’état nutritionnel. Par ailleurs, la perte de revenus des ménages les plus
vulnérables peut réduire sérieusement leur capacité à investir dans l’éducation et la santé de leurs enfants.

La simulation du scénario d’un confinement de deux mois montre que le taux national de pauvreté aug-
menterait de 4,5 points de pourcentage (pp) par rapport à la situation (de référence) sans pandémie. Le taux
national de pauvreté extrême augmenterait quant à lui de 1.5 pp. Le revenu réel par tête diminuerait de 7%.
Toutefois, la perte de revenu des catégories les plus démunies atteindrait 20% contre 5% pour les catégories
les plus aisées ; ce qui se traduirait par une légère augmentation des inégalités mesurées par l’indice de Gini.

Dans le scénario pessimiste (3 mois de confinement), la pauvreté pourrait augmenter de 7,5 pp, pour at-
teindre 21.2% de la population, soit l’équivalent de plus de 2,5 millions de pauvres en Tunisie. Un tel scénario,
impliquerait un retour en arrière de 15 ans dans la lutte contre la pauvreté, puisque ce taux est égal à l’inci-
dence de la pauvreté qui prévalait en 2005.

Les impacts sur le bien-être des enfants seraient bien plus dramatiques. Le taux de pauvreté infantile aug-
menterait de près de 6 pp dans le scénario modéré et jusqu’à 10 pp dans le scénario pessimiste. Le nombre
des enfants pauvres passerait de 688,000 avant la pandémie (et les mesures de confinement qui en décou-
laient) à près de 900,000 après la pandémie pour le scénario modéré et plus de 1,048,000 dans le scénario
pessimiste. Les régions du nord-ouest et du centre-ouest, avec des taux de pauvreté infantile supérieurs à
40% (scénario modéré), sont les deux zones géographiques où les enfants vont particulièrement payer un
lourd tribut des conséquences de la crise. De même, l’analyse montre que, dans le scénario pessimiste, plus
d’un enfant sur deux vivant dans les ménages composés de plus de sept membres pourrait être pauvre à la
suite des conséquences de la crise du COVID19. Un tiers des enfants des ménages composés de 5-6 personnes
serait dans la même situation.

Les mesures prises par les autorités publiques en faveur des ménages bénéficiant des programmes AMG1 et
AMG2 ont contribué à atténuer relativement les effets de la crise sans pour autant compenser la totalité des
dommages subis. Notre modèle prédit, par exemple, que les mesures en faveur des familles AMG1 et AMG2
réduiraient le taux de pauvreté de 0.37 pp. Les résultats montrent que l’impact de l’ensemble des mesures
prises pourrait être mince : dans le meilleur des cas, l’ensemble des mesures proposées ne réduirait la pau-
vreté que de 0.9 pp par rapport à ce qu’il aurait été observé en absence des mesures d’atténuation.

                                                                                                                      7
Des interventions mieux ciblées, visant les régions les plus pauvres, et mieux adaptées à la taille des familles
    nombreuses auraient été beaucoup plus efficaces que les programmes de transferts monétaires forfaitaires.
    Par exemple, les simulations montrent qu’une allocation universelle de 350 dinars par an pour chaque enfant
    vivant dans des ménages sans couverture sociale réduirait la pauvreté infantile de près de 5 pp. Une telle
    intervention coûterait 783 millions de dinars par an et couvrirait près de 2,2 millions d’enfants (soit 60% de
    la population infantile). Autrement dit, en optant pour un système d’allocation universelle pour enfants, la
    réduction de la pauvreté infantile coûterait 156,6 millions de dinars pour chaque point de pourcentage de
    réduction de la pauvreté (156,6 = 783/5). Dans la littérature, ce coût est souvent désigné par le ratio coût- bé-
    néfice ou encore coût-efficacité.

    Le ratio coût-efficacité présente l’avantage de pouvoir comparer plusieurs mesures sociales déployant des
    budgets différents. En effet, le ratio coût-efficacité en soi n’a aucune importance, s’il n’est pas comparé aux
    ratios d’autres politiques alternatives. Pour cela, il convient de comparer le ratio coût-efficacité du système
    d’allocation universelle pour enfants à celui des mesures de protection sociale prises par le gouvernement
    (transferts directs en faveur des plus démunis).

    Le coût budgétaire des mesures sociales du gouvernement est estimé à 401,4 millions de dinars sur deux
    mois. Notre modèle de micro-simulation prédit que ces mesures réduiraient la pauvreté infantile de 1,35 pp,
    soit un ratio de coût-efficacité de 297,3 millions de dinars pour chaque point de pourcentage de réduction de
    la pauvreté (297,3 = 401,4/1,35).

    En résumé, réduire la pauvreté infantile d’un point de pourcentage, coûterait 156.6 millions de dinars par
    l’intermédiaire du système d’allocation universelle pour enfants. Cependant, cela coûterait 297.3 millions
    par l’intermédiaire des mesures de protection sociale du gouvernement, soit un montant 89% plus cher que
    le coût de la même réduction par l’intermédiaire de l’allocation universelle pour les enfants vivant dans des
    ménages sans couverture sociale. Ces résultats invitent à une réflexion et une évaluation approfondie des
    investissements dans le secteur de la protection sociale. Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que les
    besoins de protection sociale croissent à un rythme plus rapide que les ressources du gouvernement. Dans
    un contexte budgétaire de plus en plus contraignant, seules des politiques sociales bien ciblées permettront,
    en effet, de mieux préserver le bien-être des enfants tunisiens et protéger le capital humain du pays d’un
    côté, et la pérennité d’une politique sociale efficace et progressive de l’autre côté.

8
1. Introduction
A l’instar de la plupart des pays du monde, la Tunisie a été frappée par la pandémie COVID-19. En date du 25
Mai 2020, on comptait près de 1051 cas, soit un taux de 89 cas détectés pour un million de personnes. Même
si l’ampleur de la pandémie semble modérée, en comparaison aux pays voisins (voir Tableau 1 ci-dessous), les
conséquences socioéconomiques des mesures de confinement qui ont été prises seront sérieuses. Le gouverne-
ment a procédé à un confinement total de la population et à l’arrêt total de plusieurs activités.

Tableau 1: Prévalence de la COVID-19 au Nord et au Sud de la Méditerranée

 Pays                      Cas               Décès            Guérisons           Cas actifs        Cas /Million

 Tunisie                  1,051                48                 917                 86                 89

 Algérie                  8,306               600                4,578               3,128               190

 Maroc                    7,495               200                4,737              2,558                203

 Italie                  229,858             32,785             140,479             56,594              3,801

 France                  182,584             28,367             64,617             89,600               2,798

 Espagne                 282,852             28,752             196,958             57,142              6,050
Source : https://www.worldometers.info/coronavirus/#countries consultée le 25 Mai 2020.

Les impacts socio-économiques des mesures de confinement de la population associées à la pandémie de la
COVID-19 sur les économies peuvent se transmettre, par le biais d’un certain nombre de canaux, au bien-être
des ménages. Nous pouvons identifier notamment les canaux suivants :

• L’impact négatif sur les revenus du travail généré par (i) la perte d’emploi (temporaire ou permanente), (ii) la
baisse des revenus des salariés et des petites entreprises (y compris les entreprises familiales), (iii) la baisse du
niveau des activités (offre et demande) dans certains secteurs, (iv) la maladie, (infection COVID-19, etc).

• L’impact sur les revenus hors-travail généré par la baisse des transferts privés et notamment les transferts
internationaux de fonds (envois de fonds), principalement en provenance de l’Union Européenne et des États-
Unis.

• L’impact sur la consommation généré par (i) la variation des prix, (ii) les chocs sur l’offre de produits de base,
(iii) la perturbation du fonctionnement normal des marchés au niveau local et international, (iv) l’augmenta-
tion des coûts d’accès au système de santé.
Parallèlement aux effets monétaires, la pandémie impactera négativement les dimensions non-monétaires du
bien-être de la population et des différents groupes vulnérables. Les enfants en particulier seront touchés à dif-
férents niveaux tels que (i) l’éducation en termes d’apprentissage et aussi de fréquentation (augmentation de
la probabilité de décrochage), (ii) la sécurité alimentaire et l’état nutritionnel (qui sont affectés également par
la fermeture des cantines scolaires) et des dimensions de santé, de bien-être psychologique et de protection. La
perte de revenus des ménages les plus démunis peut sérieusement réduire leur capacité à investir dans l’éduca-
tion et la santé des enfants. L’impact sur les enfants risque d’être autant plus sévère, que les enfants (0-17 ans)
tunisiens sont fortement concentrés dans les familles les plus pauvres (voir Graphique 1).

                                                                                                                        9
Graphique 1: Nombre moyen d’enfants dans les ménages par décile

     Source : Calculs des auteurs, EBCNV (2015) ; La ligne horizontale= le nombre moyen d’enfants dans le ménage.

     L’ampleur des impacts socio-économiques attendus varie certainement d’un pays à un autre. Il dé-
     pend des conditions démographiques et socio-économiques qui prévalaient avant la crise. Aussi, l’im-
     pact de la crise varie selon les différents groupes de la population et leurs caractéristiques socio-démo-
     graphiques (telles que la taille du ménage). L’impact variera en fonction de l’âge, du sexe, du milieu et
     de la région de résidence, du statut socio-économique du ménage (situation sur le marché du travail
     et du type d’activité des chefs de famille).

     L’objectif de cette note est d’estimer l’impact attendu de la pandémie sur la pauvreté et les inégalités
     monétaires de la population tunisienne en général, et des enfants en particulier. L’approche proposée
     repose sur une analyse en équilibre partiel qui estime l’impact direct sur le niveau de consommation
     réelle du ménage. La limite principale de cette approche est qu’elle ne tient pas compte des effets
     d’équilibre général de moyen et long terme. Toutefois, elle permet d’évaluer les effets directs de court
     terme. Par ailleurs, cette approche présente l’avantage d’être facile et rapide à implémenter, capte les
     impacts les plus préoccupants à court terme et ne nécessite pas beaucoup de données statistiques.
     Nous nous basons essentiellement sur les données de l’enquête de consommation auprès des mé-
     nages réalisée en 2015 par l’INS.

     Nous avons mentionné ci-dessus que l’impact de la pandémie est multidimensionnel et se transmet
     à travers plusieurs canaux. Toutefois, étant donné que l’analyse porte principalement sur la pauvre-
     té monétaire, la méthodologie présentée ici se focalise sur les impacts générés à travers les canaux
     de la perte de revenu de travail salarié (perte de l’emploi et/ou baisse du taux de salaire) et du reve-
     nu de travail autonome et à travers l’augmentation des prix qui vont tous impacter négativement la
     consommation des ménages vulnérables. Puisque nous ne disposons pas de données sur les revenus
     des ménages, nous estimons directement l’impact sur la consommation, en supposant que l’impact
     sur le revenu est transmis pleinement à la consommation. Bien que simplificatrice, cette hypothèse
     demeure proche de la réalité pour les ménages les plus pauvres, qui ne disposent généralement ni
     d’une accumulation d’épargne ni d’accès au crédit.

10
2       Définition des scénarios et méthodologie

2.1     Confinement et impact sur le revenu
La méthodologie proposée a pour objectif de mesurer les effets immédiats de la pandémie générée par le
confinement de la population, l’arrêt et/ou la baisse de l’activité économique (baisse de l’offre), et la baisse
de la demande des biens et services, qui sont évidemment les plus néfastes, sur le bien-être des ménages.
L’UNICEF a besoin d’informer les décideurs politiques sur les effets immédiats de cette pandémie pour les
inviter à agir pour protéger les populations et leur permettre de pouvoir reprendre normalement leurs acti-
vités, tout en assurant leur résilience en mettant à leur disposition les ressources nécessaires pour protéger
leurs enfants et assurer leur bien-être.

La première étape de notre méthodologie consiste à répartir tous les individus adultes du ménage selon leur
statut sur le marché du travail et selon les secteurs d’activités des occupés (voir Graphique 2). Pour le cas de
la Tunisie, nous distinguons les catégories suivantes : chômeur, inactif, retraité et occupé. Pour les occupés,
nous distinguons entre le public et le privé, le formel et l’informel, et le secteur d’activité. Seuls les ménages
composés de membres occupés sont susceptibles de voir un impact direct sur leurs revenus.

Graphique 2: Statut sur le marché de travail

Le Tableau 2 présente la distribution de l’emploi par secteur, par taux d’informalité et par niveau de confine-
ment. La distribution relative de l’emploi par secteur est très similaire aux statistiques basées sur l’enquête
nationale de l’emploi (plus précise). Tout travailleur non-affilié à une caisse de sécurité sociale est considéré
comme un travailleur informel.

Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, les secteurs confinés tendent à avoir des taux d’informali-
té élevés. En effet, hormis le secteur agricole, le taux moyen d’informalité dans les secteurs non-confinés est
de 34%, contre 46% en moyenne pour les secteurs entièrement ou partiellement confinés. De plus, les sec-
teurs comme le BTP ou les services domestiques, par exemple, tendent également à concentrer une grande
partie des travailleurs vulnérables et pauvres.

                                                                                                                     11
Tableau 2: Distribution de l’emploi formel et informel par secteur et par niveau de confinement

       Secteur                                   Part dans l'emploi   Taux d'informalité   Taux de confine-
                                                      total (%)               (%)             ment (%)

       Agriculture                                       14.0               73.05                 0

       Agroalimentaire                                    2.8               49.38                 0

       Matériaux de construction                          2.3               37.66                 1
      Industries Mécaniques et Electriques                5.0               37.87                 1

       Raffinage                                          0.1               43.24                 0

       Industries chimiques                               0.8               14.33                 0

       Textile                                            7.1               64.47                 1

       Tabac                                              0.1                3.45                 1

       Autres Ind manufacturières                         0.3               41.05                 1

       Mines                                              0.4               9.29                  0

       Pétrole                                            0.1                25                   0

       Electricité                                        0.4                4.58                 0

       Eau                                                0.4               9.95                  0

       Bâtiment et Travaux Publics                        13.0              71.19                 1

       Commerce                                           14.7              58.94                0,5

       Communications                                     1.3               35.82                 0

       Transport                                          5.1               29.24                0,5

       Tourisme                                           3.7               49.53                 1

       Organismes financiers                              0.9               12.94                 0

       Réparation                                         0.7               46.38                 0

       Divers services                                    4.7               48.9                  0

       Administration                                     8.8               11.42                0,5

       Education                                          8.6               15.63                 1

       Santé                                              2.9               16.41                 0

       Services domestiques                                1.1              81.22                 1

       Activités associatives                             0.8               58.31                 1

       Total                                              100               50.12                100
     Source : Calculs des auteurs à partir de l’EBCNV (2015)
12
Comme le montre le Graphique 3, le confinement risque d’avoir un impact disproportionné sur les enfants,
puisqu’il y a une sur-représentation d’enfants dans plusieurs secteurs confinés, comme le BTP, le commerce
et les transports.

Graphique 3: Nombre d’enfants par secteur d’activité du chef de ménage

Source : Calculs des auteurs, EBCNV (2015). BTP : Bâtiments et Travaux Publics. IME : Industries Mécaniques et Électriques.

A partir du Tableau 2, nous identifions trois types de secteurs : (i) totalement confinés, (ii) partiellement confi-
nés, et (iii) les secteurs non confinés. Pour estimer la perte de revenu générée par le confinement, nous sup-
posons que les travailleurs des secteurs totalement confinés perdront la totalité de leurs revenus pendant la
période de confinement, alors que les travailleurs des secteurs partiellement confinés subiront une perte de
50% de leurs revenus pendant le confinement. Enfin, les revenus de la dernière catégorie restent inchangés.
Nous supposons également que les revenus de tous les travailleurs du secteur public (Administration et
entreprises publiques) ainsi que les retraités ne seront pas impactés par les mesures de confinement, et ce
indépendamment de l’arrêt de leurs activités.

Il faut reconnaitre qu’il n’existe aucune estimation précise du taux de confinement par secteur. Plusieurs en-
treprises concernées par le confinement ont réussi à obtenir des dérogations pour poursuivre leurs activités
afin d’honorer leurs engagements préalables ou urgents.

Nous simulons deux scénarios de confinement. Le premier (optimiste - scénario 1 : S1) s’étend sur une période
de 2 mois, et le second (pessimiste - scénario 2 : S2) s’étend sur une période de 3 mois.

Normalement, la variation de revenu d’un travailleur i (salarié ou indépendant) dans le secteur s, après
la pandémie, est donnée par                                   , l est le taux de confinement du secteur s. Par
exemple, le paramètre l pour le secteur public est fixé à 0, c’est-à-dire que la variation de revenu est nulle. En
faisant varier le paramètre l nous pouvons simuler plusieurs scénarios. En fait la perte estimée par travailleur
est ajustée en fonction du nombre de mois de travail de chaque individu. A titre d’exemple, un individu qui
travaille à plein temps (12 mois y compris le mois du congé) subira une perte 16,6% pour deux mois de confi-
nement (S1). En suivant ce raisonnement, un individu qui n’a travaillé que pendant 6 mois devrait subir une
perte de 33,2% de son revenu. Du fait que l’enquête de consommation ne fournit aucune information sur les
mois travaillés, et comme les deux mois de confinement peuvent ne pas coïncider avec les mois travaillés,
nous avons plafonné la perte de revenu des actifs ayant travaillé moins de 12 mois à 25% de leur revenu. La
perte relative totale au niveau du ménage est la perte moyenne des tous les membres occupés. En absence
                                                                                                                              13
d’information sur les revenus, nous supposons que tous les membres actifs du ménage contribuent de façon
     égale à son budget de consommation. Dans le calcul du taux de la perte de revenu, nous ne distinguons pas
     entre l’activité formelle et informelle.

     Il est important de rappeler que notre méthodologie se base sur une analyse en équilibre partiel qui capte
     les effets directs et indirects de la pandémie sur le bien-être des ménages, à travers principalement la baisse
     de revenu. Notre méthodologie n’estime pas les effets d’équilibre général à moyen et long terme sur les sec-
     teurs économiques générés par l’arrêt ou la baisse de rythme de fonctionnement du travail. Les estimations
     produites par notre modèle peuvent donc différer légèrement des estimations d’impact sur la croissance
     sectorielle produites par la Banque Mondiale et le FMI, qui utilisent une approche macro-économique d’équi-
     libre général. Cependant, il est probable que les secteurs confinés verront un impact plus important sur le
     taux de croissance dans les mêmes proportions.

     2.2 Confinement et variation des prix
     Après l’estimation de la perte de revenu, l’étape suivante visera à intégrer l’effet de la hausse des prix sur la
     distribution des revenus. Une approche simple consiste à supposer une variation uniforme des prix (sur la
     base de l’indice des prix à la consommation (IPC) publié) pour tous les ménages, indépendamment de leur
     structure de consommation et de leurs caractéristiques sociodémographiques. Toutefois, l’impact des chan-
     gements de prix devrait varier d’un ménage à l’autre. Il est clair que les ménages les plus pauvres consacrent
     une part plus importante de leur budget à l’alimentation que les ménages non-pauvres. Cela signifie que
     la hausse des prix des denrées alimentaires touche davantage les ménages pauvres que les ménages non-
     pauvres. Pour tenir compte de la variabilité de l’effet des changements de prix entre les ménages, il est im-
     portant de calculer des indices des prix à la consommation qui soient spécifiques à chaque ménage, afin de
     mieux estimer l’impact du changement des prix sur les ménages. L’annexe A présente les détails techniques
     de l’estimation.

     Nous distinguons 13 catégories de biens consommés par les ménages. Nous simulons 2 scénarios. Le premier
     scénario S1 (optimiste) : une tendance à la hausse de l’inflation observée au cours du mois de mars et qui se
     poursuit pendant le mois d’avril. Pour le reste de l’année, on suppose un retour à la même tendance (anté-
     rieure) observée entre janvier et février. Le second scénario (pessimiste) : S2=1.5*S1.
     En d’autres termes, nous avons utilisé l’IPC du mois de mars par rapport à février pour 13 biens. Les prix des
     biens alimentaires par exemple ont augmenté de 1,8% de février à mars. Avant la crise de la COVID-19, les prix
     de ces biens augmentaient en moyenne de 0,5% chaque mois. Selon le scénario de référence (les résultats de
     2020 qui auraient prévalu, en absence de la crise), les prix de ces biens auraient augmenté de 0,5% chaque
     mois durant tous les mois de 2020. Selon S1, les prix de ces biens augmenteront de 1,8% en mars, de 1,8% en
     avril seulement, et de 0,5% dans les autres mois de l’année. Selon S2, les prix de ces biens augmenteront de
     1,8% en mars, de (1,8%*1,5=2,7%) en avril seulement, et de 0,5% au cours des autres mois de l’année.

14
Tableau 3: Variation mensuelle des prix Mars 2020

 Catégories                                                   Variation mensuelle des prix Mars 2020
 Produits alimentaires                                                           1.8
 Alcool et tabac                                                                 4.2
 Habillement                                                                    0.6
 Logement, énergie                                                              0.2
 Meubles, électroménager                                                        0.6
 Hygiène et soins                                                               0.2
 Transports                                                                      0.1
 Télécommunication                                                               0
 Loisirs et culture                                                             0.2
 Education, enseignement                                                         0.1
 Vacances, restaurants, café                                                    0.2
 Autres                                                                         0.9
Source : INS (www.ins.tn), inflation Mars 2020.

En se basant sur la nouvelle distribution de la consommation totale à la suite du changement du revenu et
des prix, nous calculons plusieurs indicateurs de la pauvreté et des inégalités.

2.3 Mesures d’atténuation de l’impact de laCOVID-19
Afin d’atténuer l’impact de la pandémie sur les ménages, le gouvernement a pris plusieurs mesures compen-
satoires.

 En Tunisie, le Programme National d’Aides aux Familles Nécessiteuses (PNAFN) offre, habituellement, une
allocation mensuelle de 180 dinars aux ménages les plus démunis (225.500 ménages en 2015, probablement
260.000 en 2020). Par ailleurs, les familles jugées modestes bénéficient d’une couverture santé à tarif réduit
(Assistance Médicale Gratuite type II : AMG II) offerte pour environ 623.000 familles. Avant la crise, ces fa-
milles ne bénéficiaient d’aucune allocation monétaire.

 À la suite de la crise, le gouvernement a décidé d’augmenter l’allocation mensuelle du premier groupe de 50
dinars pendant 2 mois. Ce qui implique une hausse du revenu annuel de 100 dinars.
Pour le second groupe (AMGII), le gouvernement a décidé d’octroyer 200 dinars par mois pendant deux mois,
ce qui implique une hausse du revenu annuel de 400 dinars.

En dehors des bénéficiaires du PNAFN et du AMGII, le gouvernement a décidé de :
- Octroyer une augmentation de la pension de retraite des ménages modestes (ayant une pension de retraite
de moins de 180 dinars par mois) de 50 dinars par mois pendant la période de confinement. Soit une hausse
annuelle de revenu de 100 dinars. Nous avons défini les ménages modestes avec un retraité (par hypothèse)
comme ceux qui gagnent au plus 150% du seuil de pauvreté annuel haut, défini par l’INS.

- Octroyer aux travailleurs autonomes (artisans) une allocation mensuelle de 100 dinars, soit une hausse
annuelle de revenu de 200 dinars. Nous avons inclus dans la simulation les exploitants agricoles qui gagnent
au plus 150% du seuil de pauvreté annuel haut (mais pas de limite de revenu pour les artisans).

Outre les mesures énumérées ci-dessus, le gouvernement a annoncé une série d’autres mesures orientées

                                                                                                                 15
vers des groupes spécifiques de la population, comme les handicapés et les orphelins. Ces mesures n’ont
     pas été incluses dans la modélisation en raison du manque de données mais aussi en raison du nombre très
     limité de bénéficiaires.

     2.4 Préparation des données
     Nous partons de l’enquête sur la consommation, le budget et le niveau de vie des ménages (ECBNV) menée
     par l’INS en 2015. La première étape de préparation des données consiste donc à mettre à jour les données
     pour établir un scénario de référence (S0) qui aurait reflété la situation du pays de janvier à décembre 2020,
     en absence de la crise. La mise à jour des données est faite de la manière suivante :
     1. A l’aide du taux de croissance de la population, nous ajustons les coefficients d’extrapolation de chaque
     ménage pour que les données de l’enquête de 2015 reflètent la taille de la population de 2020, et sa distri-
     bution géographique.
     2. L’enquête fournit des informations sur le statut d’emploi de chaque membre, le secteur d’activité s’il est
     actif (26 secteurs), et la consommation totale pour 13 catégories de biens du ménage. Nous supposons que
     le revenu de chaque ménage est égal à la dépense totale (après avoir éliminé les dépenses pour les achats
     de biens durables). Nous ignorons donc le rôle de l’épargne, qui pourrait également jouer un rôle dans l’at-
     ténuation de la crise. Bien que cette hypothèse soit simplificatrice, elle risque de refléter adéquatement la
     réalité des ménages les plus pauvres, qui n’ont, pour la plupart, pas accès à l’épargne.
     3. Nous utilisons les données macroéconomiques disponibles sur le PIB sectoriel aux prix courants jusqu’à
     2018. Nous calculons le taux de croissance annuel moyen pour chaque secteur et nous l’élevons à la puis-
     sance 5 pour déterminer le taux de croissance nominal de chaque secteur de 2015 à 2020. Cela permet de
     déterminer le taux de croissance du revenu/consommation de chaque membre actif du ménage. Étant
     donnée l’absence d’informations sur la contribution de chaque membre au budget de la famille, nous
     considérons la moyenne des taux estimés pour chaque membre comme le taux de croissance nominal du
     revenu du ménage. Pour un ménage composé de deux personnes actives avec un taux de croissance de 25%
     pour l’un et 35% pour l’autre, nous supposons que le revenu nominal de ce ménage a augmenté de 30% de
     2015 à 2020. Nous utilisons ce taux pour déterminer son revenu nominal en 2020.
     4. Pour chacun des 13 biens de consommation de l’enquête, nous avons l’indice des prix à la consomma-
     tion (IPC) base 100 en 2015 jusqu’à décembre 2019 (en réalité jusqu’à mars 2020). Nous utilisons le taux de
     croissance annuel moyen de l’IPC pour l’estimer jusqu’à décembre 2020, si la crise COVID-19 n’avait pas eu
     lieu. Puis, nous calculons pour chaque ménage l’IPC global de 2020 base 100 en 2015, en tenant compte de
     sa structure de consommation.
     5. L’IPC pour chaque ménage                                     est le coefficient budgétaire du bien
                 . Cette façon permet de construire un indice des prix spécifique à chaque ménage à la situation
     de référence, que nous pouvons désigner par        .
     6. Le revenu de chaque ménage en 2020 pour le scénario de référence (S0) est estimé en termes
     réels pour pouvoir utiliser les seuils de pauvreté officiels de 2015. Ce revenu est donné par:
                                          , avec         désignent respectivement le revenu réel et le revenu
     nominal du ménage i,         est le taux de croissance nominal moyen du ménage i (soit la moyenne du taux
     de croissance de ses membres actifs qui travaillent dans les secteurs s), et           est l’IPC du ménage i pour
     la période 2015-2020. Cela donne le revenu de référence de chaque ménage en 2020, que nous pouvons
     désigner par       2020.
     Une fois le scénario de référence établi pour 2020, il est possible de simuler les différents scénarios de la crise
     sanitaire :
     7.   D’abord nous estimons l’impact de la hausse des prix sur chaque ménage depuis le début de la crise en
     utilisant les différents scénarios de prix :   et       .
     8.  Ensuite, nous estimons l’impact de la baisse des revenus, selon les différents scénarios de confinement
     :                                                                                   . Alors que         sera
     défini de manière analogue.

16
3.       Résultats
Cette section présente les résultats des micro-simulations effectuées sur la base de l’ECBNV 2015, de l’évo-
lution du PIB sectoriel de 2015 à 2019, et de l’évolution de l’IPC de 13 biens de consommation de 2015 à 2019
(en réalité jusqu’à mars 2020). Afin de faciliter la lecture des résultats, nous récapitulons dans le Tableau 4
ci-dessous les scénarios analysés.

Tableau 4: Description succincte des scénarios

 Scénario        Description

 S0              Situation de référence fin 2020 sans la COVID-19

 S1              2 mois de confinement de certains secteurs+ hausse des prix.

 S2              3 mois de confinement de certains secteurs+ 1,5 fois la hausse des prix de S1 pour le mois
                 d’avril.

 S1+PS           S1 plus les mesures de protection sociale (cash transferts) en faveur des couches démunies

 S2+PS           S2 plus les mesures de protection sociale (cash transferts) en faveur des couches démunies

 S1+PS+C         S1+PS plus les mesures de compensation en faveur des salariés du secteur privé formel : qui
                 consistent à leur verser leur salaire entier durant la période de confinement, objet d’un ac-
                 cord entre la centrale syndicale (UGTT), le patronat (UTICA) et le GT.
Source : Elaboration des auteurs

3.1      Impact de la COVID-19 sur la pauvreté et les inégalités
En Tunisie, la pauvreté est mesurée selon les seuils officiels estimés par l’INS. Le Tableau 5 présente les seuils
de pauvreté extrême et globale estimés par l’INS en se basant sur les données de l’EBCNV de 2015. Les chiffres
sont donnés par personne et par an et en dinars.

Tableau 5: Seuils de pauvreté aux prix de 2015 (dinars tunisiens par personne par an)

                                                Pauvreté extrême                          Pauvreté

  Milieu rural                                         952                                  1.501

  Milieu urbain                                       1.050                                 1.703

  Grandes villes                                      1.085                                 1.878
Source : INS (www.ins.tn)

Le Tableau 6 montre l’impact estimé du confinement sur la pauvreté et les inégalités en Tunisie. Dans le pire
des scénarios (S2), la pauvreté extrême pourrait presque doubler de 2,9% à 5,5%, alors que le taux de pauvreté
passerait de 13,7% à 21,2%, soit une augmentation en termes absolus de 900.000 pauvres : de 1,6 million de
pauvres à près de 2,5 millions (voir le Tableau 6 pour l’évolution des effectifs des pauvres selon les scénarios).
Même dans le scénario optimiste (S1), le pays verrait une augmentation de presque 5 points de pourcentage
de l’incidence de la pauvreté (de 13,7% à 18,2%). Il faut se rappeler que cette modélisation ne prend en compte
que les effets directs du confinement sur le revenu des travailleurs confinés. Elle ignore donc les éventuels
effets secondaires dus à la baisse de l’activité économique, des investissements et des envois de fonds des
                                                                                                                     17
tunisiens à l’étranger sur le moyen et long terme. Ces prévisions doivent donc être considérées comme des
     estimations prudentes de l’impact réel final attendu.

     Selon nos estimations, la crise impactera davantage les travailleurs les plus pauvres, qui sont sur-représentés
     dans les secteurs confinés et informels. Ceci signifie que les inégalités devraient augmenter à la suite de la
     crise, avec un coefficient Gini qui passerait de 0,37 présentement, à 0,38 dans le scénario 1, et 0,386 dans le
     scénario 2.

     Finalement, il faut noter qu’en raison de la forte corrélation entre la taille du ménage et la pauvreté en Tu-
     nisie, la crise risque d’avoir un impact plus élevé sur les enfants. En effet, nos projections montrent que la
     pauvreté des enfants pourrait augmenter de six points de pourcentage selon le scénario 1 (ou l’équivalent
     de 216.000 enfants qui tombent dans la pauvreté), et de dix points de pourcentage (de 19,1% à 29,2%) suite à
     la crise dans le scénario pessimiste (S2), soit l’équivalent de 362.000 nouveaux pauvres parmi la population
     âgée de moins de 18 ans.

     Tableau 6: Impacts sur la pauvreté et les inégalités

               Gini                  Taux      de    Taux de Pau-     Nombre        de   Ecart     de   Ecart de pau-
                                     Pauvreté ex-    vreté            pauvres       en   pauvreté ex-   vreté
                                     trême                            milliers           trême

                                                        Population totale

      S0           0,370                2,9%             13,7%              1.615           0,5%            3,2%

      S1           0,380                4,4%             18,2%              2.149           0,9%            4,6%

      S2           0,386                5,5%             21,2%              2.504            1,2%           5,6%

                                                    Enfants de moins de 18 ans

      S0           0,369                4,7%             19,1%              685             0,9%            4,8%

      S1           0,378                 7,1%            25,1%              901              1,5%           6,8%

      S2           0,385                8,8%             29,2%              1.048           2,0%            8,2%
     Source : Calculs des auteurs.

     L’augmentation de la pauvreté est le résultat de la baisse de la consommation. Le Graphique 4 montre que la
     consommation moyenne par tête risque de diminuer de 7,1% (passant de 4 .001 dinars à 3.717 dinars par tête
     et aux prix de 2015) dans le scénario 1 et -10,6% (passant de 4.001 à 3.576 dinars par tête et par an et aux prix
     de 2015) dans le scénario 2.

18
Graphique 4: Impact de la COVID-19 sur la consommation moyenne par tête en dinars

Source : Calculs des auteurs (résultats aux prix constants de 2015)

Comme le montre le Graphique 5, le confinement aura un impact proportionnellement plus élevé sur les
ménages les plus pauvres. Dans le premier scénario, la perte moyenne de revenu (approximé par la consom-
mation) serait de plus de 10% dans le premier décile, comparé au scénario de référence (S0), contre moins de
5% pour le décile le plus riche. Dans le scénario pessimiste (S2), la différence serait encore plus grande : de
-15% à -20% pour le décile le plus pauvre contre -7% pour le décile le plus riche.

Graphique 5: Courbes d’incidence de la croissance

  Scénario 1                                                    Scénario 2

Source : Calculs des auteurs

                                                                                                                  19
3.2       Qui sont les enfants pauvres et où vivent-ils?
     Le Tableau 7 résume l’impact du confinement sur la pauvreté des enfants dans chaque région. Les régions du
     Nord-Ouest et Centre-Ouest, avec des taux de pauvreté infantile supérieurs à 40% (scénario modéré), sont
     deux zones géographiques où les enfants vont particulièrement payer un lourd tribut des conséquences de
     la crise. Ce tableau révèle que la région du Centre-Ouest est susceptible de voir la plus forte augmentation
     du taux de pauvreté (+7,4 points de pourcentage), suivi du Nord-Est et Sud-Est (+6,6). La région Centre-Ouest
     avait déjà enregistré le taux de pauvreté le plus élevé du pays avant le début de la crise. Dans le scénario
     pessimiste, le taux de pauvreté augmenterait légèrement plus dans le Nord-Est et Sud-Est (+11,3) que dans le
     Nord-Ouest (+11,0). En termes absolus, le nombre d’enfants vivant dans l’extrême pauvreté, dans la région du
     Grand Tunis, va presque tripler en passant de 4.000 à près de 12.000 dans le scénario S1, alors que l’effectif de
     ceux qui vivent dans la pauvreté va presque doubler en passant de 58.000 à 102.000 enfants pauvres.

     Le Tableau 8 résume les effets de la COVID-19 sur l’incidence de la pauvreté ventilés selon le secteur d’activité
     du chef de ménage. La consultation des résultats de ce tableau confirme que les secteurs les plus gravement
     affectés dans le scénario 1 sont le BTP et le secteur des matériaux de construction (+16 points de pourcentage
     (pp) et +15 pp, respectivement). Dans le scénario 2, les services domestiques verraient la plus grande augmen-
     tation du taux de pauvreté (+25pp). Ceci découle du fait que ces secteurs ont les taux de confinement les plus
     élevés, ainsi que des taux d’informalité très élevés.

     Tableau 7: Taux de pauvreté des enfants par région et par scénario

                                          S0                                       S1                                       S2
                         Extrême                Pauvreté          Extrême                Pauvreté          Extrême                Pauvreté
                         Pauvreté                                 Pauvreté                                 Pauvreté
                       Taux     # en           Taux   # en       Taux   # en            Taux   # en       Taux   # en            Taux   # en
                       en %    milliers        en %   milliers   en %   milliers        en %   milliers   en %   milliers        en %   milliers

     Grand Tunis        0,5         4           7       58       1,4      12            12,3    102       2,3      19            15,3    126
     Nord Est           2,6         13         15,1     73       4,1      20            21,7    105       5,8      28            26,4    128
     Nord-Ouest        10,5         34          37     119       14,2     46            42,9    138        17      55            46,4    149
     Centre Est         2,8         26         13,2    120       4,7      43            18,5    169       6,1      56            23,5    214
     Centre Ouest       14,2        69         39,1    189       19,2     93            46,5    225       22,1    107            50,1    242
     Sud Est            4,6         16         23,2     82       7,9      28            29,8    105       9,9      35            34,5     121
     Sud-Ouest          3,6         8          22,3     47       5,8      12            28,5    60         8       17            32,1     67
     Tunisie            4,7         170        19,2    688        7,1    254            25,2    904       8,8     317            29,2   1047
     Source : Calculs des auteurs

20
Tableau 8: Taux de pauvreté par secteur d’activité du chef de ménage

                                          S0                         S1                         S2

                               Extrême         Pauvreté   Extrême         Pauvreté   Extrême         Pauvreté
                               pauvreté          en %     pauvreté          en %     pauvreté          en %
                                 en %                       en %                       en %

  Agriculture                     8              28          9               31         9               33

  Agroalimentaire                 1               15         1               16         1               17

  Matériaux de construction       6              24          9              39          14             48

  IME                             0               7          1               14         1              22

  Raffinage                      24              43         24              54         24              54

  Indus chimiques                 0               8          0               8          0               9

  Textile                         0               5          0               13         1               18

  Tabac                           0               13         13              22         13              22

  Autres Ind. Manufact.           0               6          0               15         6               19

  Mines                           12              33         12              35         12              35

  Pétrole                         0              19          0               19         0               19

  Electricité                     0               10         0               10         0               11

  Eau                             2               17         2               23         2               23

  BTP                             11              37        20               53        26               61

  Commerce                        3               13         4               19         5               23

  Communication                   0               7          0               7          0               7

  Transport                       1               7          1               9          2               14

  Tourisme                        1               6          1               11         2               17

  Organismes financiers           0               0          0               0          0               0

  Réparation                      2               9          3               22         4              28

  Divers services                 3               12         5               22         7               31

  Administration                  2               11         2               12         2               13

  Education                       1               7          1               8          1               8

  Sante                           1               4          1               6          1               6

  Services domestiques            6               31         17             42         29              56

  Activités associatives          0               18         6              26          10             26
Source : Calculs des auteurs

                                                                                                                21
Le Tableau 9 montre que les mesures de confinement auront un impact plus important sur les familles nom-
     breuses (7 personnes ou plus), qui verront leur taux de pauvreté augmenter de presque 12 points de pour-
     centages (pp) sous le scénario pessimiste (contre +8pp pour les ménages de 1 à 4 membres). Sous le scénario
     pessimiste, plus d’un enfant sur deux vivant dans un ménage de 7 personnes ou plus vivrait en pauvreté à la
     fin de l’année 2020.

     Tableau 9: Pauvreté des enfants selon la taille du ménage

     Taille ménage                S0                           S1                          S2
                   Extrême Pau-        Pauvreté  Extrême Pau-      Pauvreté  Extrême Pau-      Pauvreté
                         vreté                        vreté                      vreté
                    Taux     # en Taux # en Taux # en Taux # en Taux # en Taux # en
                    en % milliers en % milliers en % milliers en % milliers en % milliers en % milliers
     1-4 personnes   1,4       17     9,1    110  2,6       32    13,5   164  3,7      45     17,1   208
     5-6 personnes 4,2         76    19,5    354  6,7      122    26,3   478  8,8     160     30,5   554
     7 personnes    13,6       76    39,8    221   18      100    46,8   260  20       111    51,5   287
     ou plus
     Total           4,7      169    19,1    685  7,1      255    25,1  900   8,8     316     29,2 1.048
     Source : Calcul des auteurs

     Le Tableau 10 résume la répartition relative des nouveaux individus pauvres sur la région, c’est-à-dire ceux
     qui sont susceptibles de tomber dans la pauvreté du fait de la crise. Ceci montre que presque un tiers (29%)
     des personnes qui vont tomber dans la pauvreté extrême dans le scénario 1 vivent dans la région du Centre-
     Ouest. Dans le scénario pessimiste, la situation est presque identique, avec 26% des nouveaux individus
     vivant en pauvreté extrême dans cette région. Ceci est un résultat notable puisque le Centre-Ouest n’est pas
     la région la plus peuplée du pays. Cependant, c’est présentement la région la plus pauvre du pays.
     Pour ce qui est de la pauvreté, la plus grande augmentation du nombre de pauvres sera dans la région du
     Centre-Est et dans le Grand Tunis. Ceci reflète en partie le poids démographique de ces régions.

     Tableau 10: Répartition régionale des nouveaux pauvres selon les scénarios

                                      Extrême pauvreté en %                          Pauvreté en %

                                      S1                   S2                   S1                    S2

       Grand Tunis                    9                    10                   20                    19

       Nord Est                       8                    10                   15                    15

       Nord-Ouest                     14                   14                   9                     8

       Centre Est                     20                   20                   23                    26

       Centre Ouest                   29                   26                   17                    15

       Sud Est                        14                   13                   11                    11

       Sud-Ouest                      6                    6                    6                     6

       Total                        100%                 100%                 100%                   100%
     Source : Calcul des auteurs

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