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Une publication des étudiants aux certificats de rédaction et de journalisme de la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal HORS-SERIE , Février 2015 generation É c i al sp 00 3 0 red
MOT DE LA RÉDACTION L’équipe Enfants gâtés, consommateurs nés, « mauviettes » selon le romancier américain Bret Easton Ellis… Aucun qualificatif n’est Sommaire Rédacteurs en chef épargné pour moquer la génération Y, ces enfants du millénaire nés Brïte Pauchet entre le début des années 80 et celui des années 2000. Xuân Ducandas Sébastien Lavoie Génération décevante, on lui reproche son goût pour la bohème et Journalistes le divertissement. Génération déçue, on lui prête aussi un manque Véronique Parenteau de prévoyance qui la condamne à la précarité. 2 Mot de la rédaction Juan Carlos Arellano Lopez Anouk Legault 4 Lire les yeux fermés Marie-Paule Primeau C’est pourtant une tout autre image qui émerge des textes de 5 Jeunes loups québécois Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Martine Lampron ce numéro spécial. Nous avons été frappés par la façon dont les Lynne Raymond étudiants du RED 3000 brossent, chacun à leur façon, un portrait Maia Loinaz des jeunes adultes d’aujourd’hui. 6 Les « frileux » de Montréal Réviseures en chef 9 Être écrivain en 2014 Carine Touma Ces jeunes qui veulent jouer, écrire, danser, tout en affrontant Émilie Houle défis multiples et conjonctures malheureuses. Mais surtout, ces 12 Génération Y : La désillusion tranquille jeunes qui entreprennent. Réviseures 16 Être ou ne pas être... acteur Brïte Pauchet Carine Touma Les rejetons du siècle semblent s’adapter aux exigences comptables 19 Le réservoir Baskatong Émilie Houle de notre époque, sans renier pour autant leur nature créative ni renoncer à leur quête de sens. 20 La capsule linguistique Graphiste Sarah Laou 22 Suggestions de lecture Lanceurs de paris, créateurs d’entreprises, organisateurs Imprimeur de festivals enneigés… Abeilles industrieuses réalistes mais JG Litho inc. optimistes, les enfants et petits-enfants des baby-boomers prouvent que l’on peut rêver comme d’autres travaillent : de façon acharnée. Le Reporter en ligne : Supervision http://ageefep.qc.ca/publications/le-reporter Louis Belzile Notre génération serait-elle, finalement, celle de la résilience ? 2 3
JEUNES LOUPS QUÉBÉCOIS Lire les yeux fermés Par Juan Carlos Arellano López Par Véronique Parenteau Qu’est-ce que l’accessibilité ? Il s’agit d’assurer la compatibilité du site ou de l’application Web Le démarrage d’une entreprise se bute à plusieurs obstacles. Deux jeunes S’informer, lire, se documenter. Ce qui va de soi pour avec les logiciels de revue d’écran la majorité des gens s’avère un grand défi pour les qu’utilisent les personnes ayant une entrepreneurs nous font part de leur expérience. personnes ayant une déficience visuelle. déficience visuelle. À 23 ans, la vie de Louis Pour Gérard St-Denis, la lecture quotidienne encombre à l’information recherchée. Alexandre Desgroseilliers tourne de ses journaux est sacrée. C’est grâce à un Bellemare, expert en accessibilité, tempère : « autour de son entre- logiciel de synthèse vocale que le journaliste à Des sites Web totalement accessibles qui res- prise, le Domaine La Branche, dont la retraite peut continuer à s’informer, malgré pectent parfaitement les standards, j’en vois les produits sont en vente à la SAQ une dégénérescence maculaire très avancée. très peu. » Selon lui, le HTML5, la plus récente depuis 2011. « Il y a des jours où je Comme lui, 140 000 Québécois dépendent de la version de HTML, devrait rendre la navigation suis en bottes à cap d’acier avec technologie pour accéder à leurs textes favoris. plus aisée pour tous les utilisateurs... lorsque une chemise carreautée le matin l’ensemble des navigateurs seront capables de pour aller travailler aux champs. Si tous, nous connaissons les livres audio, le supporter. Et le soir, il faut que je m’habille en les livres adaptés nous sont souvent étrangers. veston-cravate pour faire déguster Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Constitués de fichiers MP3 organisés selon la Livres numériques mes produits dans un restaurant. » norme DAISY (Digital Accessible Information Les livres numériques sont de plus en plus La jeune vingtaine, Camille Caron SYstem), ils ne peuvent se lire qu’au moyen publiés selon le format standardisé ePub (pour Belzile a découvert sa fibre entrepre- d’un appareil ou d’un logiciel adapté. « La norme electronic publication). L’utilisateur, s’il conserve neuriale dans son idéal de société: « Je DAISY permet à une personne atteinte d’une une certaine vision, peut grossir les caractères voulais passer des idées au concret. » Louis Desgroseilliers à l'Oktoberfest - Crédit photo : Philippe-Luc Daoust déficience perceptuelle de naviguer de façon effi- ou modifier les contrastes. Décrit par certains Depuis 2011, Le Café l’Artère, situé cace, comme si elle feuilletait un livre », explique comme le mariage entre le ePub2 et le format près de la station de métro Parc à André Vincent, chef des Services adaptés à DAISY, la version la plus récente du format ePub, Montréal, ouvre ses portes aux artistes Coopérative et coactionnaires va bien. On se complète. Il y en a un Bibliothèque et Archives nationales du Québec le ePub3, pourrait s’avérer une nouvelle révo- ainsi qu’aux amateurs de café équi- Le Café l’Artère fonctionne qui est dans les champs, un autre (BAnQ). À peine plus grands qu’un téléphone lution. Grâce au HTML5 sur lequel il repose, table et de plats végétariens branchés. comme une coopérative de solidarité. dans la mécanique et un autre dans cellulaire, les lecteurs DAISY permettent à leurs les livres numériques seraient mieux balisés, Délaissant la conception tradition- l’agrotourisme, raconte Louis. Ça n’a propriétaires d’apporter partout livres et musique. ce qui faciliterait leur lecture par un logiciel de Dans une publication de 2013 nelle employeur-employé, Camille pas toujours été la lune de miel. On a revue d’écran. (Le renouvellement de l’entrepreneu- invite les participants à assister aux dû apprendre à travailler ensemble, Téléphone intelligent En outre, le lecteur non voyant ou malvoyant riat au Québec : un regard sur 2013 et rencontres du conseil d’administra- à comprendre nos forces et nos fai- Alexandre Bellemare, développeur informa- pourrait même se procurer bientôt un livre en 2018), le ministère des Finances et tion et à prendre des décisions. Sans blesses. » Pour y parvenir, ils ont ren- tique aveugle de naissance, préfère le téléphone ePub3 dès sa publication en format papier, le de l’Économie du Québec entrevoit patron, tous les employés deviennent contré des conseillers en ressources intelligent. Son iPhone lui permet de lire des travail d’édition pour le rendre accessible n’étant une baisse inévitable du nombre membres. Ce fonctionnement a humaines afin d’apprendre à œuvrer journaux grâce à la synthèse vocale d’un logiciel plus nécessaire. Puis, armé de l’appareil de d’entrepreneurs dans la province. entraîné une série de complications : comme actionnaires. de revue d’écran. Ce logiciel peut lire n’importe son choix, il le lirait grâce à un logiciel de revue Le facteur principal est que les entre- les gens sont peu habitués à cette quel écrit numérique respectant certains stan- d’écran, en grossissant les caractères ou à l’aide preneurs au Québec songent à une façon de faire. Des cinq cofondateurs Louis rappelle que « pour une dards. Livres, articles de journaux, sites Web, d’une voix de synthèse. L’accès deviendrait plus retraite imminente. Les tranches qui se sont connus au cégep, moti- entreprise, ça prend un minimum de messages électroniques se donnent à entendre rapide et l’offre, plus vaste. d’âge de 40 à 44 ans et de 45 à 49 vés par leur cours de philosophie et cinq ans avant de devenir rentable ». Il selon un débit ajustable. De moins en moins de ans affichent un taux élevé de départ de sociologie à créer une entreprise faut non seulement payer ses dettes, sources d’information restent ainsi hors de portée. Quoi ! Un aveugle navigue sur Internet à la retraite précoce. « D’ici dix ans, représentant leurs valeurs et leurs mais réinvestir et trouver du finance- « Avoir accès à la même information, c’est être et utilise un téléphone intelligent pour lire son 30,4 % des entrepreneurs québé- convictions, il n’en reste plus qu’une. ment. Le Café l’Artère a déposé une capable de discuter avec les autres », se réjouit journal ? Même s’il reste beaucoup de travail à cois délaisseront l’entrepreneuriat, nouvelle demande de financement Gérard St-Denis. accomplir, les nouvelles technologies ouvrent ce qui représente 55 000 départs », Lorsque les coactionnaires auprès de la Corporation de dévelop- Des normes internationales, telles que les Web sans conteste un éventail de possibilités à estime le rapport, qui ne précise pas viennent de la même famille, pement économique communautaire Content Accessibility Guidelines, existent pour savourer. la raison de ces retraites anticipées. d’autres problèmes peuvent surgir. afin de professionnaliser la salle de assurer aux internautes malvoyants un accès sans Ce nombre alarmant prépare un Au Domaine La Branche, les frères spectacles et d’aménager un bureau. terreau fertile pour les nouveaux Desgroseilliers ont appris à régler entrepreneurs. leurs différends. « Aujourd’hui, ça 4 5
LES « FRILEUX » DE MONTRÉAL Par Anouk Legault Aux États-Unis, on appelle Montréal la fun city. De mai à septembre, la ville ludique bourdonne et nombreux sont les touristes à battre ses pavés. Pareil scénario tend à se présenter maintenant en hiver. Montréal est-elle vouée à devenir une destination hivernale ? Pas si vite, selon l'industrie touristique de la métropole. V endredi soir, 24 janvier et le désir d'aller jouer dehors. On a événements ont su conquérir une part 2014. Valérie St-Amant, choisi une période de l'année où il ne se des marchés internationaux. « Au 24 ans, enfile son vieil passe rien et on veut inciter les gens à dernier décompte, on avait attiré habit de neige, son chapeau de poil faire quelque chose », explique-t-elle. quelque 950 000 personnes en 11 et ses lunettes fumées. Avec des Selon l’équipe de Mme D’Amour, il y jours, dont 15 % de touristes. La moitié amis, elle prend le volant depuis a une réelle volonté, surtout chez les venait de l'extérieur du Québec », Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Saint-Lazare, en Montérégie, vers 18 à 35 ans, de se réapproprier l'hiver spécifie Normand Paquette, respon- Montréal en lumière les quais du Vieux- sable du dévelop- le produit hivernal. « Cela fait par- en tout temps », explique-t-il. Ce Crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin Port de Montréal. pement touristique tie des chantiers prioritaires. C'est choix a d’ailleurs donné naissance à Plan de match : chez Spectra, la une période où l'on a des visiteurs Montréal en lumière. L'idée était de Génération frileuse danser à la belle bannière qui pro- chez nous », affirme Patrick Dubé, se distinguer du Carnaval de Québec De plus en plus, Montréal riva- étoile. Température meut Montréal en directeur des stratégies et politiques et du Bal des neiges d'Ottawa par lise avec Québec quant à sa signature minimum prévue : lumière. touristiques à Tourisme Québec. « On un événement non lié à la neige. hivernale. Mais la ville est-elle mûre - 24°C. Pourquoi a identifié les endroits au potentiel Et Normand Paquette de préciser : pour devenir une destination hiver- braver cette froide Les évé- particulier et Montréal en fait par- « Notre mission est d'offrir un événe- nale à part entière? Montréal? « Pour nements fes- tie, notamment pour son animation ment qui réunit les trois volets [plai- Il y a, semble-t-il, encore du travail à l'ambiance! Et tifs de Montréal urbaine. » sirs de la table, arts de la scène et faire pour que la cité soit réellement surtout pour le séduisent. Mais Et du côté de l'industrie touristique activités extérieures] en plein hiver. » consacrée ville d'hiver.Selon Paul plaisir de ressor- si leur réputation montréalaise, on ressent cet effort de Arseneault, titulaire de la Chaire de tir mon merveil- n'est plus à faire Québec à travers la campagne Québec Selon M. Bellerose, la clé du tourisme Transat ESG-UQAM, il est leux one piece », en été, l'hiver peut- original. « Tourisme Québec a voulu succès de l'hiver métropolitain réside irréaliste d'avoir une stratégie touris- dit Valérie avec il lui aussi servir à faire de l'hiver non pas quelque chose dans la consommation de produits tique hivernale forte sans stratégie enthousiasme. consacrer l'identité d'effrayant, mais d'intéressant », culturels. On laisse la neige à la de vie hivernale. « On ne peut pas montréalaise? Du constate Ève Paré, présidente-direc- rue et on passe en mode intérieur, faire croire à une ville hivernale si un Igloofest de Montréal - Crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin Décor tout de neige et de glace, côté des élus, on trice générale de l'Association des entre restaurants et salles de spec- congressiste sort et ne voit pas d'ima- structures d'acier et scénographie sai- en plein centre urbain. « L'idée, c'est sent le désir de jouer la carte hiver- hôtels du grand Montréal. tacles. Après tout, l'une des grandes gerie hivernale, s'il y a les mêmes taxis sissantes, artistes de renom interna- de valoriser Montréal, autant l'hiver nale pour vendre la métropole. On attractions de Montréal demeure son à sa porte et du sel à déglacer sur les tional : après huit éditions, Igloofest, que l'été. » l'a d'abord constaté au Sommet de Une ville créative avant tout réseau souterrain. À l'origine, l'idée trottoirs, dit-il. La façon de concevoir ce festival de musique électronique Montréal en 2002. La volonté d'identi- Mais vend-on l'hiver ou bien était d'aider l'industrie touristique en l'espace urbain doit être différente. » dont l'entière programmation est L'hiver « à la Montréal » fier la cité comme une « ville d'hiver » l'urbain en hiver? Pour Tourisme basse saison, puis est venue l'idée de extérieure, serait-il devenu un incon- Le concept de l’Igloofest, consi- y a été mise dans le Plan d'urbanisme. Montréal, la distinction est néces- miser sur l'hiver pour séduire davan- L’idée est de repenser le tissu tournable de l'hiver montréalais? déré comme du jamais vu en 2007, On parlait alors de concevoir l’aména- saire. Son vice-président, Pierre tage de visiteurs. La priorité, selon urbain afin que l’hiver en soit partie « C'est le pari qu'on a fait », lance lors de la première édition de l’évé- gement des lieux publics en fonction Bellerose, travaille à rendre la Mme Paré, est de « réussir à appri- prenante. Pour cela, il faut impliquer Maripierre D'Amour, directrice des nement, fait aujourd'hui la fierté de de leur utilisation hivernale, notam- ville attrayante avant tout pour voiser l'hiver et de s'en servir pour non seulement les autorités munici- communications et du marketing bien des Montréalais. Faire revivre le ment à des fins ludiques et culturelles. son énergie créative. « On n'a pas attirer des touristes à Montréal à une pales et les bailleurs de fonds mais chez Piknic Electronik, l'organisa- centre-ville pendant les mois de jan- positionné Montréal comme une période où on en a le plus besoin, aussi les citoyens, en tant que premiers tion responsable de l’événement. vier et de février, c'est aussi le man- De la même façon, le minis- ville d'hiver avec la neige. Ce qui que ça passe par un forfait théâtre, ambassadeurs de la «nordicité». Mais « Notre approche vise à permettre aux dat du festival Montréal en lumière tère du Tourisme du Québec est la caractérise, c'est son côté festif, un forfait spa ou autre. » de toute évidence, le mode de vie gens de retrouver leur enfant intérieur depuis 15 ans. Ensemble, ces deux aujourd'hui décidé à capitaliser sur sa culture urbaine, son interactivité actuel freine la construction d'une 6 7
identité hivernale dans la métro- pole. Selon M. Paquette, les gens ne s'approprient pas encore l'hiver, ils y est certainement pour quelque chose. Mais on assiste également à une réappropriation de la ville et de année. C'était pourtant un produit emblématique pour la ville qui aurait pu devenir une icône au même titre ÊTRE ÉCRIVAIN EN 2014 sont « frileux ». ses terrains de jeux, à un changement que l'Hôtel de glace pour Québec. Par Marie-Paule Primeau des mœurs. « Il va falloir justifier nos investisse- Si l'on compare Montréal à cer- C'est d'ailleurs l'avis de Micah ments auprès des citoyens avant de taines villes scandinaves, la nordicité Desforges, président de l'agence de les justifier auprès des étrangers. Et le En 2014, les écrivains québécois cherchent une alternative à l’édition n'y est franchement pas imprégnée. marketing jeunesse Tribu Expérientiel. jour où notre mode de vie va s'expri- Par exemple, à Lulea, en Suède, on L'organisation a signé cette année la mer de façon visiblement différente classique en tentant de tirer leur épingle du jeu. Entre le modus operandi de a installé des tables de pique-nique deuxième édition du festival de sports l'hiver, ce sera attrayant », rappelle l’édition traditionnelle et l’émergence de nouvelles stratégies, les cartes avec barbecues et des structures d'action Barbegazi, sur l'esplanade Paul Arseneault. sont redistribuées. Les écrivains sont-ils pour autant plus libres dans leurs pour couper le vent près des éten- du Parc olympique. dues d'eau, lesquelles sont au cœur choix ? État de la situation. des activités hivernales. On a aussi piétonnisé la rue principale et prévu Ce qui caractérise [Montréal], c'est son côté festif, « que son espace central reste enneigé L’auteur doit se défendre tion, les choix sont multiples. Si le Les avantages de l’autoédi- pour permettre aux familles de circu- sa culture urbaine, son interactivité en tout temps » pour tirer le maximum de la phénomène est récent au Québec, tion sont multiples et séduisants : ler en traîneau. À Oslo, le ski de fond publication de son œuvre », plusieurs avenues prometteuses sont profitabilité accrue, conservation est si ancré dans les mœurs qu'il est déclare Pierre Cayouette, conseiller bel et bien envisageables. du contrôle éditorial et des droits passé de loisir à moyen de transport. « Les Montréalais redécouvrent tout Des espaces publics exaltant le mode littéraire chez Québec Amérique. d’auteur. En décidant de ne pas faire le plaisir de l’hiver et se disent "on de vie nordique ; des corridors de Faut-il pour autant tourner le dos à Autoédition affaire avec une maison d’édition Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Des corridors de glisse seraient- s'en fout, on va dehors, on a du fun" », transport hivernal ludiques et valo- ses habituels collaborateurs et vendre Il existe chez les écrivains une traditionnelle, l’auteur garde la main- ils envisageables ici aussi? Pourrait-on dit-il avec enthousiasme. « Est-ce que risés ; un mobilier urbain multi-sai- soi-même ses écrits comme Marie réelle volonté de se réapproprier un mise sur son œuvre. Toutefois, ces rêver de sentiers de patinoires ou Montréal peut être trippante l'hiver ? sons ; des transitions harmonieuses Laberge l’a fait en octobre 2013 avec pouvoir de négociation en matière acquis s’accompagnent d’énormes encore de rues qui ne seraient pas Je suis convaincu que oui. » Autre entre les activités intérieures et la version numérique de son ouvrage de création. De ce fait, les rapports responsabilités et d’une implication déneigées aussitôt la tempête pas- exemple : la Nuit blanche de Montréal extérieures : nombreux sont les défis Mauvaise foi ? S’agit-il d’un cas unique se complexifient entre chacun des à tous les niveaux. sée ? « Je pense que l'événemen- en lumière. « C'est l'événement parti- urbanistiques pour la métropole, ou d’une brèche dans le processus lit- acteurs du milieu : éditeur, imprimeur, À cet égard, l’apport du savoir-faire tiel pourrait nous permettre d'aller cipatif par excellence ! Il correspond à avant qu'on ne s'approprie pleine- téraire traditionnel ? Tous les acteurs distributeur, libraire, auteur. C’est par d’un éditeur peut être bénéfique à dans ce sens, dit M. Arseneault. On la volonté des Montréalais de recon- ment la saison froide. du milieu du livre se posent la ques- l’émergence de stratégies non tradi- une œuvre. En endossant la publi- a, au Québec, un rapport d'amour- quérir leur ville », signale M. Paquette. tion. Une chose est sûre : lorsque vient tionnelles que l’écrivain québécois cation d’un livre, une maison d’édi- haine avec l'hiver. Quand on voit L'hiver à la Montréal ? On tient le temps de publier un ouvrage, les trouve des solutions pour bonifier sa tion contribue avec son expérience des étrangers, on leur demande s'ils Peut-être y a-t-il un change- là un attrait en gestation, mais ses écrivains évaluent leurs options. À condition de créateur. Sa première et ses compétences à en bonifier ont connu le -30°C. On aime exa- ment de cap chez les plus jeunes, rênes sont encore tenues par une l’ère du numérique et de l’autoédi- revendication concerne l’acceptation les ventes. L’éditeur prodigue des gérer ou amplifier ces choses-là. » une envie non pas de « faire avec » génération de frileux. de son ouvrage par un éditeur. conseils littéraires, s’occupe de la Or, selon lui, il y a fort à parier que l'hiver, mais d'en profiter. Or, parmi révision, fait la promotion de l’ou- les 18 à 35 ans exprimeront de plus les intervenants touristiques ou les Dans la structure classique vrage. En s’autoéditant, l’auteur en plus leur intérêt pour façonner un représentants politiques, les condi- du livre, le principal obstacle à tourne le dos à ce regard inté- Montréal ludique, festif et rythmé tions ne semblent pas encore en place la publication d’une œuvre est ressé du partenaire d’affaires. « Les à la saison. Chez cette génération, pour glorifier « la froide Montréal ». l’éditeur. Jusqu’à tout récem- inconvénients de l’autoédition sont le rapport à l'hiver et à l'extérieur Le Village des neiges du Parc Jean- ment, les maisons d’édition nombreux. L’écrivain n’obtiendra semble avoir changé. La démocra- Drapeau, par exemple, n'a pas pu être contrôlaient la presque totalité ni soutien, ni conseils quant à son tisation des vêtements de plein air soutenu par Tourisme Québec cette de l’accès au marché du livre. texte, ni aide à la mise en marché Seules les œuvres considérées et à la diffusion », explique Karine publiables et rentables sont Vachon, directrice générale adjointe acceptées. Or, à l’ère d’Internet, de l’Association nationale des édi- la donne change. L’autoédition teurs de livres (ANEL). Néanmoins, permet désormais à un auteur les maisons d’édition virtuelles ont de court-circuiter les éditeurs redéfini les règles en proposant des traditionnels. Grâce à des com- solutions hors des sentiers battus. pagnies comme Amazon, qui Ces options ont permis aux écrivains contrôle la majeure partie du d’exercer une pression sur le milieu marché numérique du livre et du livre avec des demandes exigeant de l’autoédition, un auteur peut un meilleur équilibre en leur faveur. Marie Clark publier lui-même son œuvre. Montréal : terrasse du belvédère, parc Mont-Royal. 8 9
Vivre de sa plume incite à encourager seulement les livres Publier son œuvre De nouvelles plateformes Qu’en est-il des redevances attri- qu’ils jugent vendables. Dans les deux Les trois auteures interviewées, Stéphanie Leduc, bédéiste buées à l’auteur ? La profitabilité de cas, le contexte est problématique. Béatrice Detiège, Stéphanie Leduc et montréalaise, a choisi l’autoédition l’autoédition est beaucoup plus grande Pour plusieurs auteurs, l’autoédition Marie Clark, saluent le travail d’équi- pour sa troisième série de bandes que celle de l’édition habituelle : 70 % est alléchante : une rétribution plus libriste que joue l’éditeur. Pourtant, dessinées. La première, Titi Krapouti, au lieu de 10 % du prix de vente. « Une équitable et des droits d’auteur conser- il leur faut parfois recourir à d’autres a été publiée chez Glénat Québec ; rétribution de 10 %, c’est bien trop vés. Pour les éditeurs, un plus grand stratégies pour voir leurs œuvres sa deuxième, Terre sans dieu, chez peu, si l’on considère le temps investi contrôle des droits d’auteurs, incluant publiées. Mme Detiège a décidé Premières Lignes, avec lequel elle et les compétences requises à la pro- les droits numériques et les droits de d’autoéditer son premier recueil de a négocié des redevances plus éle- duction d’un ouvrage de qualité ! », traduction, par exemple, les aidera à nouvelles, Un premier pour la route, vées et la conservation de ses droits. affirme Marie Clark, écrivaine. À titre rentabiliser leur investissement et leur après avoir essuyé les refus de plu- Pour sa dernière création, Dryade, la d’exemple, un écrivain reçoit 2 $ pour implication dans la publication d’une sieurs éditeurs. Elle a choisi de voler bédéiste a pensé faire affaire avec chaque exemplaire vendu au prix de œuvre. de ses propres ailes, mais seulement Amazon. Pour financer la produc- 20 $. en version papier. Ayant un doctorat tion de celle-ci, elle collabore avec Les libertés décisionnelles plus nom- Il n’est donc pas étonnant, dans en littérature et une formation de Sandawe, une plateforme de finan- breuses en 2014 conduisent donc ces conditions, que surgissent des cas libraire, elle était convaincue de pou- cement participatif spécialisée qui les écrivains à examiner les choix qui « Laberge ». Si Marie Laberge, écri- voir s’assurer elle-même de la qualité permet aux artistes de s’entraider. s’offrent à eux. « A priori, en 2014, un vaine québécoise de renom, a choisi de ses lignes. « S’engager dans un Ce type de plateforme est de plus écrivain se demandera s’il veut publier de contourner à son profit certains processus comme l’autoédition est en plus populaire au Québec ; le à compte d’éditeur ou d’auteur », sug- intermédiaires, d’autres l’imiteront. une expérience enrichissante, sou- magazine Nouveau Projet de Nicolas gère Mme Clark. Pour l’écrivaine, la Étant donné la précarité profession- ligne-t-elle. On comprend mieux la Langelier a lancé son projet de pério- question ne se pose pas. Que ses nelle des écrivains québécois, certains charge de travail que cela représente. dique avec un crowdfunding. romans soient publiés chez un éditeur se rebiffent et réclament plus de recon- J’ai compris que je suis une femme est essentiel : de lettres, pas une De toute évidence, les auteurs « Avec un édi- businesswoman. » conçoivent des approches auda- teur, j’ai le sen- Voici combien chacun empoche pour chaque exem- Mme Detiège a dû cieuses pour financer leurs pro- timent d’obtenir plaire vendu : l’éditeur, 13 % ; l’imprimeur, 20 % ; le payer elle-même jets. Les démarches que Stéphanie la validation du l’imprimeur afin Leduc entreprend lui coûtent cher milieu littéraire, distributeur, 17 % ; le libraire, 40 % et l’auteur, 10 %. de tenter l’au- en temps : connaissance du mar- d’être reconnue toédition. Son ché et des enjeux, participation aux par mon milieu. » Toutefois, l’auteure naissance. La majorité des écrivains employeur, Renaud-Bray, a été pre- réseaux sociaux, création d’une s’assure de passer au peigne fin toutes ont un revenu faible, qui ne leur per- neur en acceptant en consigne son infolettre, promotion, etc. Pourtant, Béatrice Detiège les clauses de son contrat d’édition. met pas de se consacrer uniquement ouvrage. « Cette expérience sera ren- elle reste confiante. Selon ses dires, pas encore. » Cependant, Mme Clark Pour tous les intervenants du à la création littéraire. Les deux tiers table si le livre se vend bien, puisque l’expérience en vaut la chandelle. Ce connaît ses limites. Elle n’est pas une livre, il se pointe à l’horizon la genèse Louiselle Lévesque, chargée de des écrivains doivent trouver d’autres mon pourcentage de redevance est n’est pas qu’une question d’argent, femme d’affaires et s’estime encore de transformations. Aux yeux de communications à l'Union des écri- sources de revenus pour s’assurer un élevé », dit-elle. même si cet aspect fait partie de trop peu connue des lecteurs. Se M. Cayouette, l’éditeur restera un vaines et des écrivains québécois niveau de vie décent. ses préoccupations. Pour obtenir un sentant à la merci des éditeurs, elle pilier. Impossible de s’en départir pour (UNEQ), dit qu’actuellement, peu Les chiffres de 2010 de l’Observatoire Katherine Fafard, de l’Associa- salaire annuel de 40 000 $, elle doit s’est tournée vers un agent littéraire. assurer la qualité littéraire des œuvres, d’écrivains considèrent les commo- de la culture et des communications tion des libraires du Québec (ALQ), vendre 20 000 exemplaires de sa Cet intermédiaire entre l’écrivain et car c’est lui qui retravaille le texte avec dités du Web comme un atout à leur du Québec sont parlants : trois écri- tient à spécifier que rares sont les BD imprimée, ou seulement 2500 l’éditeur trouve une maison d’édition l’écrivain. Du même avis, Mme Clark portée. Selon elle, la principale diffi- vains sur quatre ont des revenus non libraires qui acceptent un ouvrage copies numériques (basé sur un prix prête à publier l’ouvrage et négocie estime que le facteur humain reste culté en autoédition est de réussir à reliés à la création littéraire. Ce sont en consignation : « C’est possible. de vente de 16 $ par exemplaire). le contrat. Même si l’agent rogne sur essentiel au bon fonctionnement de sortir de l’ombre : « En s’autoéditant, 65% d’entre eux qui se retrouvent avec Toutefois, la gestion des consigna- Mme Leduc pense qu’un objectif la marge de profits de l’auteur, Mme l’écosystème du livre. « L’industrie un auteur ne sera pas mis de l’avant moins de 5 000 $ de revenu tiré de tions peut vite devenir lourde pour de 2500 copies vendues est plus Clark est satisfaite de sa décision. du livre ne sera jamais favorable à la par un éditeur. Il aura donc moins de leur art ; 22 % touchent entre 5 000 un libraire. Gérer peu de demandes, réaliste. Elle sait que cette décision bibliodiversité, car la littérature ne sera visibilité. Même si la redevance est et 20 000 $ ; 13 % gagnent 20 000 $ c’est faisable ; plusieurs, difficilement. contourne les acteurs du livre au Le meilleur des deux mondes jamais bien servie dans une industrie », plus élevée, il vendra bien moins de et plus. Le revenu de seulement 2 % L’administration en deviendrait trop Québec, mais elle croit que d’autres Avec l’avènement du numérique, souligne-t-elle. Or, les rôles de chacun copies. » d’entre eux est de 60 000 $ et plus. complexe. » Mme Detiège a elle- auteurs emboîteront le pas : « Plus les écrivains cherchent à obtenir le sont appelés à changer, convient le De ce fait, une infime minorité de créa- même organisé le lancement de son il y aura d’artistes revendicateurs, meilleur des deux mondes. Ils cham- conseiller littéraire : « Les acteurs pri- Des cas « Laberge » teurs vivent de leur art. Essentiels, ces livre à Montréal et une séance de plus nous serons pris au sérieux par boulent les balises : « L’auteur cherche mordiaux de ce milieu sont les auteurs La conjoncture de l’édition du succès de librairie ont des répercus- signatures à Bruxelles. Du temps, les éditeurs et les autres acteurs du un nouveau modèle, plus avantageux et les lecteurs. Les intermédiaires entre livre au Québec est complexe. De plus sions positives pour tous les interve- des efforts et beaucoup d’argent ont livre. Ils devront s’ajuster, car chaque pour lui, sans toutefois tout rejeter, les deux (éditeur, imprimeur, distribu- en plus d’auteurs, frustrés par les refus nants, car la survie de l’industrie du été investis. Un écrivain qui publie auteur veut vivre de son art. » observe M. Cayouette, l’éditeur de teur, libraire) sont appelés à s’atrophier. de publication ou les contrats désavan- livre passe par ces best-sellers. Pour à compte d’auteur y gagne-t-il au Mme Clark entend elle aussi se Marie Laberge. Il s’agit peut-être du L’auteur, traditionnellement passif, doit tageux, se tournent vers l’autoédition. qu’un éditeur accepte de prendre un change ? Pour la majorité d’entre eux, défendre, mais sans aller jusqu’à début d’un mouvement, mais je me participer activement à son succès. » Les maisons d’édition, quant à elles, risque en publiant l’ouvrage d’un écri- non. En revanche, un auteur qui veut l’autoédition. « Les éditeurs se pro- méfie des révolutions numériques affrontent un marché où il y a peu de vain peu ou pas connu, cette marge de vraiment publier son ouvrage peut tègent, renchérit-elle. Ils gardent les annoncées. » débouchés et de lecteurs, ce qui les manœuvre financière est nécessaire. le faire, seul. droits sous tous les formats conce- vables, même ceux qui n’existent 11
GÉNÉRATION Y : « Nous assistons à un discours décon- necté de la réalité, soutient Mircea LA DÉSILLUSION TRANQUILLE Vultur. Affirmer qu’il existe un lien entre la croissance économique et le nombre de diplômés, c’est pro- férer une fausse évidence. Je peux Par Maia Loinaz facilement comprendre la désillusion des professionnels qui ont cru, peut- être à tort, que les études supérieures Plus scolarisés et plus riches que leurs parents, les enfants des baby- garantissent le succès. » boomers affrontent des enjeux propres à leur époque. Pour bâtir un avenir Ingénieur en automatisation à la hauteur de leurs ambitions et renoncer au jeu stérile des comparaisons chez le géant de l’aluminium Alcoa intergénérationnelles, les jeunes adultes québécois cherchent leur planche depuis trois ans, Pierre Dauphinais a peiné de nombreuses années avant de salut. d’occuper un poste répondant à ses attentes. « C’est assez typique de mon domaine. Plusieurs ingénieurs P rintemps 2007. Pour bolante du coût des propriétés. Mais marché du travail et les changements se retrouvent à faire des jobs ordi- la première fois, Pierre surtout, elle doit conjuguer avec la technologiques rapides ». Crédit photo : World Bank Photo Collection via Flickr naires, bien moins payés que ceux des Dauphinais regarde son transformation de ses propres désirs. La sociologue Diane Pacom brosse employés syndiqués, et sans sécu- Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Le Reporter, Hors-série, Février 2015 père avec envie. Propriétaire d’un un portrait singulier et sans com- « Ils considèrent avoir droit à certaines Québec (MELS). Le taux de diplômés rité d’emploi, constate-t-il. Résultat, atelier de soudure dans le village Nés pour acheter plaisance de la génération Y. Pour la choses. Ces enfants hyperstimulés à la maîtrise et au doctorat a lui aussi encore aujourd’hui, bien que j’aime d’Upton, le quinquagénaire lui donne De façon générale, la littérature définir, elle reprend l’image-choc de reçoivent des prix même quand ils ont grimpé de façon significative durant mon travail, je magasine et je cherche. l’impression de posséder tout ce qu’il sociologique circonscrit la naissance l’auteure américaine Juliet B. Schor : échoué. » Sur un ton mêlé d’émerveil- la même période. Il m’arrive même de songer à retourner veut et de mener une vie douce, à de la génération Y entre 1980 et 1995. « La génération born to buy. » lement et d’irritation, la sociologue sur les bancs de l’école. » l’abri du besoin. Pierre, alors âgé de Statistique Canada rappelle que les Selon la professeure titulaire à l’Uni- souligne les aptitudes multitâches 25 ans, lui lance : « Regarde-moi. Je enfants des baby-boomers ont tra- versité d’Ottawa, les modes de la exceptionnelles de la génération Y. Affirmer qu’il existe un lien entre la croissance suis allé à l’université. Je travaille versé « des phénomènes particuliers société de consommation ont forgé Chargé de projets en efficacité éner- comme ingénieur. Pourtant, je rame liés à leurs parents, tels la hausse l’identité des enfants de la génération gétique à la Commission scolaire de économique et le nombre de diplômés, c’est pro- comme un fou, j’ai une dette d’études des séparations et des divorces, la Y. Ceux-ci se caractérisent aussi par Montréal, Benoit Paillé, né en 1981, férer une fausse évidence. de 16 000 $ et pas un sou dans mon participation accrue des femmes au un refus de l’échec. perçoit cette compétence comme compte bancaire. » Son père lève la un fardeau. « Désormais, il ne suf- Pour Mircea Vultur, professeur La nécessité de l’inconstance tête : « Peut-être. Mais moi, j’ai fait la fit plus d’exceller dans son travail. Il titulaire à l’Institut national de la La génération Y dispose néan- même chose toute ma vie. » faut posséder des connaissances en recherche scientifique, ces données moins d’un atout de taille : la mobilité. Comparés à leurs pairs européens, informatique, écrire un courriel sans cachent toutefois un phénomène pré- « Les jeunes entretiennent des valeurs surnommés les baby losers par la fautes, démontrer des qualités de occupant, touchant principalement de nomadisme leur permettant de presse, les Québécois issus de la communicateur et s’adapter rapide- les jeunes âgés de 25 à 39 ans : la sur- déjouer les pièges de la précarité, génération Y évoluent dans un mar- ment, sans broncher. » qualification. Celle-ci caractérise la nuance Mircea Vultur. Il reste encore ché du travail relativement prospère. situation d’un individu dont le niveau possible, en Amérique du Nord, de Comparés à leurs parents, les célèbres Diplômés et surqualifiés de formation dépasse celui norma- décrocher un emploi payant et stimu- baby-boomers, ils ont connu une Le financement de l’éduca- lement requis pour le poste occupé. lant, bref un emploi de rêve. Pourvu que enfance dorée. Ils jouissent depuis tion au Québec provoque bien des « La surqualification affecte plus du le rêve exclue l’idée de permanence. » leur plus jeune âge d’une qualité de remous. En revanche, la valeur accor- tiers des travailleurs québécois. Elle « Je serais malhonnête de prétendre vie supérieure en matière de confort dée aux études bénéficie d’un certain entraîne aussi une chute de la valeur que mes études ne m’ont servi à rien », et d’accessibilité aux études. consensus. Dans sa chronique au des diplômes », s’inquiète le socio- convient Benoit Paillé qui détient un Or la génération Y, aujourd’hui âgée quotidien La Presse, Alain Dubuc logue. Pour lui, il existe un décalage baccalauréat en génie mécanique de de 20 à 40 ans, semble condamnée à a déjà martelé que la réussite éco- considérable entre les messages dif- l’École de technologie supérieure. l’insatisfaction, quand elle ne souffre nomique de la province repose sur fusés par les institutions (l’impor- « Mon père, soudeur au Canadien pas carrément de désillusion. Elle l’éducation. tance de la persévérance scolaire), Pacifique, a eu peur toute sa vie des doit composer avec plusieurs phé- En 2010, 33 % des Québécois les clichés répandus dans le sens mises à pied. À cet égard, je jouis nomènes : la surqualification, la perte détenaient un baccalauréat, contre commun (les universitaires gagnent d’une plus grande tranquillité d’esprit. de valeur des diplômes, le marché de 15 % en 1976, selon le ministère de plus d’argent) et les conditions réelles Ceci dit, quand les usines Angus ont l’emploi précaire et la hausse miro- l’Éducation, du Loisir et du Sport du du marché du travail. fermé, l’entreprise a dû maintenir son Crédit photo : Beaudet via Flickr 12 13
lien d’emploi pendant dix ans, en rai- Ni pire ni mieux L’Institut de recherche et d’infor- actuelle, il est impossible de vivre son de sa convention collective béton. Selon l’Institut de la statistique mations socio-économiques (IRIS) avec un seul salaire, à moins de « De plus, il m’a raconté des his- du Québec (ISQ), un couple avec soulève la vulnérabilité croissante gagner énormément d’argent ». toires qui sonnent aujourd’hui enfants gagne en moyenne 17 400 $ des jeunes ménages. L’organisme Pour Paul Beaudry, les compromis comme de la science-fiction : des de plus qu’en 1977. Or, la génération relève une stagnation des revenus et sont loin d’être l’apanage de la ouvriers qui passent leur quart de Y compose avec un portrait écono- dénonce une forme d’encouragement génération Y. L’économiste pense travail à dormir, à jouer aux cartes mique différent de celui des baby- à l’endettement. plutôt que les jeunes adultes ou à tirer des pigeons avec des boomers au même âge. Par exemple, Plusieurs produits de consommation éprouvent du mal à baisser leur carabines à plomb. À l’époque, ils le prix de l’immobilier a doublé au courante ont également connu une niveau de vie. ne compétitionnaient pas avec les cours des années 1980, puis doublé à fluctuation de prix depuis les années travailleurs chinois ou indiens », nouveau depuis 2000. Les propriétés 1970. Paul Beaudry tient toutefois à En revanche, Mircea Vultur observe-t-il. valent donc quatre fois plus cher. nuancer la situation : « La mesure de remarque une tendance inverse, certaines valeurs est partiellement à travers de nombreux cas de subjective. Par exemple, comment « déclassement profession- allez-vous estimer la valeur d’un ordi- nel volontaire ». Lorsque deux nateur ou d’un téléphone cellulaire ? conjoints détiennent le même Et que dire de la nourriture ? Des niveau de formation et que l’un fraises au mois de janvier, ça vaut d’eux touche un salaire confor- combien ? » Pour l’économiste, de table, son partenaire choisit un Crédit photo : Ed Yourdon via Flickr façon générale, « les baby-boomers et poste en dessous de ses qua- leurs enfants disposent d’un niveau lifications. Le ménage renonce Avide d’épanouissement personnel et soucieuse Le Reporter, Hors-série, Février 2015 Le Reporter, Hors-série, Février 2015 de richesse semblable ». ainsi à un revenu supérieur afin Selon lui, le sentiment de frustration de tirer profit d’avantages divers de réussir dans tous les domaines, la génération de la génération Y s’explique grâce à tel un horaire flexible ou saison- une perspective historique. « De 1920 nier. Selon lui, ce virage vaudra Y semble poursuivre des ambitions au-delà de ses à 1970, les Québécois ont réellement la peine d’être examiné au cours moyens. amélioré leurs conditions de vie. Puis, des prochaines années. la progression a stagné. Si quelqu’un Son texte provoque des réactions sur nos propres besoins que de vrais a escompté de la croissance, alors L’avenir de la génération « née assez vives. « Je n’avais pas l’inten- bâtisseurs. J’ai peur que nous ne oui, la déception se révèle de taille. » pour acheter » réside-t-il dans un tion d’intenter un procès aux baby- léguions pas d’héritage et que nous Paul Beaudry insiste beaucoup sur rejet de sa nature ? boomers, au contraire. J’ai seule- restions éphémères », laisse tomber la transformation des standards ment cherché à traduire ce que je Étienne Mérineau. Crédit photo : Peskaour via Flickr de qualité de vie qui a bouleversé Programmés pour l’insatisfaction constatais dans mon entourage », Pour Paul Beaudry, professeur « Mon père a payé son duplex sur le les habitudes de consommation. « Je crois que nous voulons explique-t-il. Pour Benoit Paillé, le remède à à la Vancouver School of Economics, Plateau Mont-Royal 22 000 $. Pour « À présent, il est normal de partir en donner, de manière obsessionnelle, son amertume réside peut-être dans la véritable menace de précarité lui, en tant que locataire, je gaspille voyage chaque année et de conduire une signification à nos vies. Nous La sociologue Mélanie Anctil un abandon partiel des besoins impo- réside ailleurs : « Certes, je com- mon argent », raconte Benoit Paillé qui une voiture neuve. » sommes les enfants du divorce. identifie elle aussi une quête de sens, sés par la société de consommation. patis avec les professionnels, mais cherche sans succès une maison sur Nous avons vu nos parents souf- caractéristique des jeunes adultes. « Je songe parfois à descendre du train le groupe le plus en difficulté de l’île de Montréal depuis plusieurs mois. Plus riches de deux salaires frir de surmenage et nous souhai- « Nous assistons actuellement à et à rompre avec certaines valeurs nos jours demeure celui des non- L’arrivée massive des femmes tons éviter de répéter les mêmes la construction d’une conception prônées de nos jours. Cela implique diplômés. Et ça oui, ça a changé. » sur le marché du travail est un des erreurs », confie Étienne Mérineau. du travail centrée sur le sujet. Les beaucoup de risques et je ne suis pas Chaque année, les diplômés postse- facteurs de l’essor économique de Perplexe devant les angoisses de jeunes exigent que l’activité profes- certain de tous les assumer. » condaires et universitaires grugent la génération Y. En effet, les couples ses pairs, il crée en 2013 le blogue sionnelle soit porteuse de sens. » Pierre Dauphinais, quant à lui, porte de plus en plus d’emplois, au désa- avec deux revenus forment désor- Génération Y. Si le phénomène s’est manifesté un regard anxieux sur ses deux filles vantage des travailleurs non sco- mais 85 % des unions, contre 55 % Dans son billet La désillusion des bien avant la naissance de la géné- âgées de 5 et 8 ans. « Avec la mon- larisés. « Nous avons le réflexe de en 1977. enfants-rois, Étienne Mérineau écrit : ration Y, il se démarque aujourd’hui dialisation des marchés, je m’attends croire que tout le monde a fréquenté « Pour ma génération, c’est tout « Vous nous avez menti. Vous nous par son ampleur. à une uniformisation de nos niveaux l’université. C’est archifaux. », pour- naturel et incontestable. Mais je me avez conditionnés à penser que nous Avide d’épanouissement person- de vie vers le bas. J’essaie d’élever des suit Paul Beaudry. Près de 70 % des demande parfois si nous possédons étions attendus. Que nous étions nel et soucieuse de réussir dans filles combatives qui sauront décro- Québécois ne détiennent pas de le luxe d’agir autrement », explique les catalyseurs du changement, tous les domaines, la génération Y cher des emplois bien rémunérés. Je diplôme universitaire. Étienne Mérineau, 25 ans, concep- les architectes d’une nouvelle ère semble poursuivre des ambitions tente de leur faire comprendre qu’elles teur dans une agence de publicité à citoyenne, écoresponsable, hyper- au-delà de ses moyens. « J’ai peur ne peuvent pas tout avoir. Au fond, Montréal. Benoit Paillé déplore que connectée, émotionnellement supé- que nous formions davantage une j’espère qu’elles réussiront mieux que Crédit photo : Ed Yourdon via Flickr « selon les normes de la société rieure et visionnaire. » génération de conquérants centrés moi. » 14 15
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