Syrie : le rapport de force après la défaite de l'Etat islamique

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Syrie : le rapport de force après la défaite de l'Etat islamique
Syrie : le rapport de force après la
défaite de l’Etat islamique
Après la disparition territoriale de l’Etat islamique (EI) de Syrie en mars 2019, le
régime de Bachar el Assad continue de bénéficier de l’appui de la Russie, dont les
forces spéciales ont remplacé celles des Etats-Unis sur place. En outre, par son
soutien, l’Iran a suscité une alliance imprévue entre l’Arabie saoudite et Israël,
ses adversaires déclarés.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 4 juin 2019 à Caen,
par le Forum mondial pour la paix. Y sont intervenus : Nabil Fawaz, membre du
Parti démocratique du peuple syrien et ancien maire de Raqqah, où l’EI avait
établi sa « capitale ; Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient ;
David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe. Le
conflit contre l’EI en Syrie (2014-2019) s’est soldé par plus de 300.000 morts, 1,5
million d’invalides, 80.000 détenus, 7 millions de réfugiés au Liban et en Turquie
et 6 à 7 millions de Syriens déplacés.
Syrie : le rapport de force après la défaite de l'Etat islamique
Précarité politique. Le régime de Damas a gagné sa guerre grâce au soutien
iranien au sol puis russe dans les airs depuis 2015 et aussi des hésitations des
pays occidentaux, explique David Rigoulet-Roze. Il contrôle 40 % du territoire et
60 % de la population du pays et maintient une pression militaire sur les enclaves
sunnites. Le Nord se trouve sous protectorat turc, sous le prétexte d’une menace
terroriste kurde. Le Front démocratique syrien a été soutenu par les pays
occidentaux pour la reconquête de Raqqah, mais réalisée surtout par les Kurdes
avec des éléments arabes. L’Iran veut maintenir Hassad au pouvoir et la Russie
sauver son régime. Malgré sa stabilité garantie pour une clarification territoriale,
ce dernier doit assurer sa survie par la reconstruction du pays estimée à 400 Md$
sur plusieurs décennies.

Reconstruction difficile. Le « printemps arabe » n’a pas pris en Syrie, pays non-
démocratique sous le pouvoir d’une minorité (alaouïte), rappelle Mgr Gollnisch.
Aujourd’hui, les réfugiés auront du mal à rentrer dans des villes détruites, mais la
capacité de résilience de femmes chrétiennes et musulmanes permet de l’espérer.
La Russie a déployé beaucoup de moyens pour revenir sur la scène internationale
tout en manipulant la religion orthodoxe. L’Iran s’installe aux portes d’Israël,
mais pas plus que la Russie, ne pourra reconstruire la Syrie. La Turquie se trouve
dans une position délicate face aux Kurdes, désireux de transformer la partie du
pays reconquise en Kurdistan syrien avec une minorité arabophone. La Chine,
quoique désireuse, n’investira pas en Syrie sans contrepartie. Les pays
occidentaux apparaissent comme seuls capables de reconstruire la Syrie en
échange d’un processus démocratique. Mais ils manifestent une sorte de
résignation par pragmatisme, réalisme et vision limitée au calendrier électoral.

Instrumentalisation de la religion. Communiste dans les années 1980, le Parti
démocratique syrien souhaite transformer la Syrie en pays laïc, souligne Nabil
Fawaz. La présence de forces russes et iraniennes rend difficile toute prévision de
l’évolution du pays, sans compter les différents acteurs locaux. Auparavant,
chrétiens et sunnites entretenaient d’excellentes relations et le terrorisme
n’existait pas en Syrie. Hassad a réussi à transformer le conflit interne en guerre
religieuse, avec l’aide de combattants palestiniens et du Hezbollah (groupe
islamiste chiite proche de l’Iran). Le Parti Baas au pouvoir contrôle l’armée et
soutient la minorité alaouïte (8 % de la population). Aujourd’hui, les forces
occidentales surveillent les sous-marins russes de la base navale de Tartous.

Loïc Salmon
Syrie : le rapport de force après la défaite de l'Etat islamique
Terrorisme : impacts et enjeux du « cyberdjihadisme »

Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances

Diplomatie : prise en compte du fait religieux dans le monde
Syrie : le rapport de force après la défaite de l'Etat islamique
Syrie : le rapport de force après la défaite de l'Etat islamique
Blocus du Qatar : l’offensive
manquée
Quatre Etats arabes ont tenté, sans succès, de déstabiliser un cinquième, petit
mais très riche, par la diffusion de fausses informations dans les médias et les
réseaux sociaux, les cyberattaques, l’action de lobbyistes aux Etats-Unis et en
Europe, les pressions diplomatiques et les sanctions économiques.

Ce quartet, composé de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis (EAU), de
Bahreïn et de l’Egypte, a donc employé tous les moyens, sauf militaires, pour
réduire le Qatar, qui a riposté et est parvenu à obtenir l’aide de l’Iran, de la
Turquie et surtout… des Etats-Unis qui y stationnent 10.000 soldats sur leur base
d’Al Udeid. Cette crise a été suivie attentivement par Israël, qui reproche au
Qatar son soutien économique au mouvement islamiste palestinien Hamas, très
implanté dans la Bande de Gaza (entre Israël et l’Egypte). Israël entretient des
relations étroites avec la Russie (présente en Syrie), pour lutter contre le
terrorisme islamiste, et des liens officieux avec les EAU. Comme le quartet anti-
Qatar, il veut contrer l’influence régionale de l’Iran. Tout commence le 23 mai
2017 par le piratage de l’agence de presse du Qatar (QNA). Celle-ci diffuse des
extraits d’un prétendu discours de l’émir faisant l’éloge de la puissance de l’Iran
chiite, avec des critiques à peine voilées de l’administration américaine, et
présente le Hamas comme le « représentant légitime du peuple palestinien ».
Ensuite, les médias du quartet dénoncent « l’aventurisme et la traîtrise du perfide
Qatar ». Or ces extraits, entièrement faux, et le piratage de QNA ont été réalisés
par les EAU, comme le prouvera une enquête du FBI quelques semaines plus tard.
Malgré le démenti du gouvernement qatari, la crise atteint son paroxysme le 5
juin avec la rupture des relations diplomatiques du quartet avec le Qatar, qui se
voit aussi interdire le franchissement de leurs frontières terrestres et l’accès à
leurs espaces aériens, avec de graves conséquences économiques. L’Iran propose
alors son aide au Qatar pour contourner l’embargo. Washington appelle le quartet
à la retenue, car la plus grande partie des raids aériens de la coalition
internationale contre Daech, en Syrie et en Irak, s’effectue à partir de la base d’Al
Udeid. Conformément à l’accord bilatéral de défense, Ankara active sa base au
Qatar en y envoyant 1.000 soldats et des véhicules blindés. Le quartet n’ose
prendre le risque d’un affrontement militaire direct. Mais la confrontation se
poursuit. Au piratage de QNA, le Qatar répond par celui de la boîte mail du très
influent ambassadeur des EAU à Washington et divulgue ses manœuvres. Par
ailleurs, le Qatar pratique une diplomatie relativement indépendante, avec des
rapports directs avec les grandes puissances, et une stratégie d’influence dans le
monde musulman, grâce à son assise financière. Plus grand exportateur mondial
de gaz naturel, il l’exporte par ses 60 méthaniers directement à partir du port
Hamad, inauguré le 5 septembre 2017. Le blocus l’a incité à développer
l’économie locale et un commerce maritime vers Oman, la Turquie, le Pakistan,
Koweït et l’Inde. Sa réputation de soutien au terrorisme remonte à la guerre
d’Afghanistan (2001-2014), quand il avait autorisé les talibans à disposer d’une
représentation à Doha…à la demande de Washington ! Ensuite, des financiers,
privés, du terrorisme s’y sont installés jusqu’en 2015. Toutefois, le 11 juillet 2017,
le Qatar a signé, avec les Etats-Unis, un accord sur la lutte contre le financement
du terrorisme.

Loïc Salmon

« Blocus du Qatar : l’offensive manquée » par le général François Chauvancy.
Éditions Hermann, 330 pages. 18 €

Qatar, vérités interdites

Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

L‘Égypte en révolutions
Moyen-Orient : géopolitique des
rivalités des puissances
Le destin des pays situés entre la Méditerranée orientale et l’océan Indien,
autrefois enjeux des grandes puissances, reste lié à celui des Etats occidentaux,
selon un schéma hérité de l’Histoire.

Henry Laurens, professeur au Collège de France, l’a expliqué au cours d’une
conférence-débat organisée, le 11 septembre 2018 à Paris, par le Conseil
supérieur de la formation et de la recherche stratégiques.

Le temps des empires. Au XVIème siècle, l’arrivée des Portugais prend à revers
l’islam qui se propage jusqu’en océan Indien, rappelle Henry Laurens. Avant eux,
l’Asie est dominée par les « empires de la poudre à canon », à savoir les Empires
ottoman et iranien, l’Inde, la Chine et le Japon. La Guerre de Sept Ans
(1756-1763), qui déborde le cadre européen jusqu’en Amérique du Nord et en
Inde, provoque une rupture de l’équilibre militaire. La Grande-Bretagne s’empare
du Bengale et la France perd ses colonies américaines. Les pays européens vont
alors poursuivre leur extension dans l’Ancien Monde. Ils considèrent les empires
locaux comme soumis au pouvoir centralisé et absolu de despotes, alors qu’en
réalité ils sont décentralisés et fonctionnent selon des négociations avec des
« marches » (territoires frontaliers) autonomes. L’Empire russe poursuit ses
conquêtes vers le Sud. Pour l’empêcher d’arriver jusqu’en Inde, la Grande-
Bretagne en contrôle les accès terrestres et maritimes et anticipe une route par
l’isthme de Suez dès 1780. L’expédition française en Egypte (1798) inquiète la
Russie et provoque l’intervention de la Grande-Bretagne aux côtés de l’Empire
ottoman. Ensuite, le Moyen-Orient jusqu’à l’Inde sera intégré au système
politique européen. Après le traité de Paris (1858) qui met fin à la guerre de
Crimée, les rivalités entre France, Grande-Bretagne, Prusse puis Empire
allemand, Russie et Italie se manifestent dans la région jusqu’en 1914. Les Etats-
Unis vont maintenir une présence militaire en Méditerranée, hors guerre de
Sécession (1860-1865).

Les protections et les alliances. Le Moyen-Orient connaît en permanence
ingérences de puissances étrangères et invitations à intervenir de la part des
gouvernements locaux, explique Henry Laurens. Les grandes puissances
européennes pratiquent la « politique de la canonnière » pour projeter des forces
au loin lors de conflits locaux. Poussés par leurs opinions publiques, elles
profitent du soulèvement d’une population contre un régime autoritaire dans la
région pour intervenir au nom de l’urgence humanitaire. La crise grecque de
1821 (massacre de Chio et mort de Byron à Missolonghi) provoque une alliance
entre Russie, France et Grande-Bretagne contre l’Empire ottoman et aboutit à
l’indépendance de la Grèce en 1831. De même, une coalition internationale
attaquera l’Irak en 1991, suite à son invasion du Koweït. Après la guerre de
Crimée, l’Empire ottoman émancipe les communautés non-musulmanes avant
1914. La France, la Grande-Bretagne, l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et l’Italie
font de même envers les juifs, mais pas l’Empire russe. En Orient, la société
d’ordre devient égalitaire. Les populations adoptent le modèle européen (habitat
et vêtements). Parallèlement, face à la menace étrangère, les gouvernements des
pays d’Orient ont pris conscience des nécessités d’établir des Etats modernes et
de rattraper le retard économique par rapport à l’Occident. La centralisation met
fin à l’autonomie des « marches » de l’Empire ottoman et entraîne l’émergence
des nationalismes. La religion devient l’identité de base. Pendant la première
guerre mondiale, l’Allemagne organise le « djihad » (guerre sainte) pour
déstabiliser l’Empire russe et les empires coloniaux britannique et français.
L’islam arrive en France avec l’enrôlement de soldats musulmans. La Grande-
Bretagne conquiert l’Irak. Après la guerre, elle conclut des pactes de non-
agression avec la Turquie, l’Iran et l’Afghanistan. Les « mandats » de la France et
de la Grande-Bretagne évoluent entre confrontation et collaboration dans la
construction et le tracé des frontières des Etats. Pendant le second conflit
mondial, le Moyen-Orient sera géré comme un ensemble, de l’Inde à la
Méditerranée. Ensuite, les Etats se sentiront suffisamment forts pour considérer
les « autres » (minorités) comme des étrangers. La première guerre israélo-arabe,
en 1948, provoque un exode de réfugiés palestiniens. La guerre froide
(1947-1991) permet aux Etats-Unis de cogérer le Moyen-Orient, au même titre
que l’URSS. L’accord de Quincy entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, conclu
en 1945 et renouvelé en 2015, vise à conserver les approvisionnements pétroliers
vers l’Europe, déstabilisée par les interruptions de production, embargos ou
blocus pendant les deux guerres mondiales. Seuls les Etats-Unis et leur Marine
peuvent garantir la sécurité des transports maritimes pétroliers. Auto-suffisants
en 1945, ils considèrent que le pétrole de tout le continent américain doit rester
sur place, par sécurité. Ils deviendront importateurs vers 1960 et jusqu’en 2010.
L’accord de Quincy les engagent à intervenir, en cas de menace militaire contre
l’Arabie saoudite. A cet effet, celle-ci effectue des commandes massives
d’armements lourds, pour financer l’industrie américaine, et prépare de quoi
accueillir les troupes américaines, le cas échéant. En 1990, il n’a en effet fallu que
six mois pour installer 500.000 GI en Arabie saoudite, qui se sentait menacée par
l’Irak. En 2015, celle-ci déclare que tous les musulmans vivant à l’étranger
doivent obéir aux autorités de leur pays de résidence. En 2018, les Etats-Unis
maintiennent encore leur VIème flotte en Méditerranée et leur VIIème flotte en
océan Indien. Leurs bombardiers, basés en Europe, peuvent intervenir à tout
moment au Moyen-Orient…où la Russie demeure incontournable (Syrie).

L’échec de la modernisation. La rente pétrolière a financé les guerres contre
Israël et fourni une aide économique, indique Henry Laurens. Les régimes
autoritaires, garants de l’indépendance nationale et des stabilités interne et
régionale, conviennent à l’Occident pour lutter contre l’islamisme et le terrorisme
(coopération en matière de renseignement). Le djihadisme constitue une réaction
à la révolution chiite de 1979 en Iran. L’échec des printemps arabes de 2011
entraîne migrations vers le Nord de la Méditerranée et guerres civiles en Syrie et
au Yémen.

Loïc Salmon
Le « Moyen-Orient », terme occidental datant de la fin du XIXème siècle,
regroupe l’Arabie saoudite, Bahreïn, Chypre, l’Egypte, les Emirats arabes unis,
l’Irak, l’Iran, Israël, la Jordanie, Koweït, le Liban, Oman, les Territoires
palestiniens, le Qatar, la Syrie, la Turquie et le Yémen. L’arabe constitue la
langue commune sauf à Chypre (grec), en Israël (hébreu), Iran (persan) et
Turquie (turc). Le kurde est parlé dans une partie de l’Irak. A part le judaïsme en
Israël et le christianisme à Chypre et en partie au Liban, l’islam reste la religion
dominante. Ce dernier se répartit entre le chiisme à Bahreïn, en Iran et
partiellement en Irak, et le sunnisme dans tous les autres pays, avec des
minorités diverses. En 2016, la population du Moyen-Orient a atteint 415,38
millions d’habitants en 2016, dont 90,71 millions en Egypte, 79,13 millions en
Iran et 78,74 millions en Turquie.

Moyen-Orient : mondialisation, identités et territoires

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région

Turquie : partenaire de fait au Proche et Moyen-Orient
Trafics d’armes légères : la lutte
contre les filières terroristes
Enjeu mondial de sécurité, la lutte contre les transferts clandestins d’armes à feu
légères implique la prise en compte de la situation en fin de conflit, la mise en
place de réseaux de renseignements, l’échange d’informations et l’élaboration de
procédures en matière de traçabilité.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 31 janvier 2018 à Paris, par
la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère
des Armées, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité et
l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus :
l’ambassadeur Jean-Claude Brunet, président désigné de la 3ème conférence de
révision du Programme d’action des Nations unies sur les d’armes légères et de
petits calibres (ALPC) prévue à New York du 18 au 29 juin 2018 ; l’ambassadeur
Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

Diminuer l’incertitude. Depuis la fin de la guerre froide (1947-1991), les
conflits intra-étatiques se multiplient, entraînant circulation et vols des stocks
gouvernementaux d’ALPC, rappelle Jean-Claude Brunet. Les failles dans leur
contrôle, pendant et après les conflits, et le crime organisé en facilitent les trafics
qui alimentent les organisations terroristes, actives en Europe, dans les Balkans
et en Afrique. Actuellement, 850 millions d’ALPC en circulation dans le monde
tuent ou blessent 500.000 personnes par an, soit 90 % des victimes des conflits.
Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan (1997-2006), les avait qualifiées
d’armes de destruction massive et avait lancé un programme d’action adopté, par
consensus, par l’assemblée générale en 2001 (voir encadré). Le premier degré de
responsabilité, nationale, se situe au niveau des forces armées et de sécurité et
autres agences d’application de la loi. Chaque Etat partie doit mettre en œuvre
une législation en ce sens. Sur la base du volontariat, il doit publier un rapport
annuel d’évaluation des besoins de coopération et d’assistance, assorti de
mesures pratiquement contraignantes. Depuis 2001, des progrès significatifs ont
été constatés dans de nombreux Etats en matière de contrôle et d’assistance.
Toutefois, l’insuffisance de coordination persiste entre police, douane, justice et
forces armées. De plus, le contrôle des exportations d’ALPC reste aléatoire. La
3ème conférence de révision du programme d’action de l’ONU, qui doit réunir
193 Etats, s’inscrit dans une stratégie globale impliquant l’Union européenne
(mesures de coopération européennes et bilatérales) et l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (Balkans). Elle doit définir des normes en
termes d’engagement et d’échange de bonnes pratiques de contrôle et faciliter le
dialogue entre forces armées et de sécurité, industriels et experts apportant un
éclairage scientifique et technique, en vue de préserver la crédibilité du
programme. La France, qui en assure la présidence, en a fixé les priorités,
indique l’ambassadeur Brunet : amélioration de la lutte contre le détournement
des ALPC ; prévention de leurs production et transformation par les nouvelles
technologies (impression en 3 D et commerce par internet) ; coordination et
efficacité de l’assistance. Cela implique l’inclusion des munitions et une synergie
entre le programme de l’ONU et les autres instances internationales, notamment
le protocole sur les armes à feu (2001) et le traité sur le commerce des armes
(TCA, 2014), qui n’a pas encore de portée universelle.

Renforcer le dispositif. Autrefois, la violence résultait des guerres entre Etats
forts, alors qu’aujourd’hui elle se manifeste par les importations d’armes dans les
Etats déliquescents, explique Eric Danon. Le TCA vise à réguler leur
mondialisation. La course aux armements converge vers le Moyen-Orient, où se
trouvent de nombreux vendeurs. Avec 24 millions d’habitants, l’Arabie saoudite
occupe la première place des importateurs avec l’Inde, qui en compte…1,26
milliard. Au bout de quelques mois, la traçabilité de ces armes, pourtant achetées
légalement, disparaît et une partie va se disperser parmi les groupes armés
terroristes. Le TCA engage l’Etat producteur, qui l’a ratifié, à vérifier qu’une
exportation d’armes à feu correspond bien à la vente à un Etat déterminé et sans
réexportation ultérieure. Les marquages et traçages permettent de remonter les
filières de provenance et de complicités et les registres nationaux et
internationaux d’établir l’écosystème terroriste. Il s’agit d’éviter la dissémination
des ALPC dans une zone de guerre ou en situation de « post-conflit », où les
populations les conservent en vue de trafics dans le monde entier (ex-Yougoslavie
et Afghanistan). Les groupes terroristes utilisent aussi armes blanches, bombes,
ou voitures-béliers contre une foule et recourent aux attentats suicides, mais font
proportionnellement plus de victimes avec les ALPC. Il s’agit donc de lutter
contre l’accès à leurs filières, alors qu’il n’existe pas encore de convention
relative à la lutte contre le terrorisme par ALPC, indique l’ambassadeur Danon.
Leur achat reste en effet légal dans certains pays, dont les Etats-Unis. La saisie
d’un stock d’armes, achetées à des pays occidentaux, constitue une prise de
guerre pour les groupes terroristes (Daech en Irak). Des armes fournies, par ces
mêmes pays occidentaux, à une minorité de « résistants » suffit à les qualifier de
« terroristes » par le régime en place (Kurdes en Syrie et en Turquie). Des armes
à feu en provenance des Balkans ont été utilisées lors des attentats de 2015 en
France, où la législation porte sur les trafics venant de l’extérieur du territoire
national et mobilise les services de renseignement. Certaines armes neutralisées
peuvent être remises, sur place, en état de fonctionner par l’impression en 3 D de
la pièce manquante, ouvrant la voie aux trafics de logiciels. En outre, des ALPC,
acquises clandestinement, peuvent être transformées, par exemple par l’achat
légal d’un appareil de visée pour en améliorer la portée. Par ailleurs, certains
grands pays exportateurs n’ont pas encore ratifié diverses conventions sur les
armes. Souvent très spécifiques, ces dernières impliquent une coopération entre
Etats et une entraide judiciaire, mais la moitié des pays membres de l’ONU ne
peuvent les mettre en œuvre, faute de connaissances et de moyens techniques
suffisants.

Trafics d’armes : fin de crise, embargos, désarmement et consolidation de la paix

Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Loïc Salmon

Adopté en 2001, le Programme d’action des Nations unies de prévention, lutte et
éradication du trafic illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC) et
présente les mesures à prendre aux niveaux national, régional et mondial. Elles
portent sur : la législation sur les divers aspects de la production, du transfert et
du détournement des ALPC ; le marquage, le stockage de données et la
traçabilité ; la gestion des stocks et leur sûreté ; l’identification et la destruction
des surplus ; les transferts internationaux ; le courtage ; l’information du public ;
les programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion ; la coopération et
l’assistance internationale pour faciliter la mise en œuvre de ce programme.
Souple et non contraignant, ce dernier a été complété par d’autres instruments
juridiques. Ainsi, le Traité sur le commerce des armes (2014) inclut, pour les
Etats parties, l’obligation d’établir des normes communes pour le transfert
international d’armes conventionnelles.
Diplomatie : prise en compte du
fait religieux dans le monde
La République française recourt au principe juridique de la laïcité pour la mise en
œuvre de sa devise : « liberté, égalité, fraternité ». Sa diplomatie s’appuie sur le
réseau d’ambassades et de consulats, des acteurs spécialisés et des partenaires
pour favoriser le dialogue interreligieux.

L’ambassadeur Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses
au ministère des Affaires étrangères, l’a expliqué au cours d’une conférence-
débat organisée, le 11 décembre 2017 à Paris, par l’Institut des hautes études de
défense nationale.

Les principes. Pays laïc depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat par la loi de
1905, la France ouvre un poste diplomatique au Vatican dès 1920 et renoue avec
le Saint-Siège (voir encadré). Le monde actuel ne se comprend pas sans le fait
religieux et la diplomatie française ne peut en faire l’économie, souligne
l’ambassadeur. Il convient d’abord de connaître les religions et, dans une
approche globale, de discerner ce qui n’est pas vraiment de leur ressort. Il s’agit
ensuite de refuser l’instrumentalisation de la religion au nom de l’universalité des
droits de l’homme. Le traité européen de Westphalie (1648) a élaboré le concept
d’Etat-Nation, où la diplomatie se détache du fait religieux, donc de l’influence du
pape des croisades (1095-1291) à la bataille navale de Lépante contre l’Empire
ottoman (1571). Pendant la conquête de l’Algérie, l’émir Abd el-Kader, en tant
que chef religieux, organise la résistance contre la France (1832-1847) puis met
fin au massacre des chrétiens par les Druzes en Syrie (1860). L’Occident
rationaliste a été réveillé brutalement par le fait religieux, à savoir la
proclamation de la République islamiste d’Iran en 1979, qui manifeste sa volonté
d’influence sur le monde. Avec le slogan « L’islam est la solution » qu’il diffuse,
l’Iran invente un gouvernement politico-religieux. La même année, lors de
l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, l’Occident soutient les résistants afghans,
religieux, qui vont élaborer le djihadisme. Avec l’élection de Ronald Reagan à la
présidence des Etats-Unis en 1980, les évangélistes et le fondamentalisme
chrétien pèsent pour la première fois sur la politique américaine. Les chutes du
mur de Berlin (1989) et de l’Union soviétique (1991) entraînent un renouveau du
sentiment religieux en Russie…et l’apparition du terrorisme au nom de l’islam en
Tchétchénie. Par sa connivence avec les autorités politiques russes, l’Eglise
orthodoxe devient un instrument de leur politique. La société saoudienne s’est
véritablement islamisée après la prise, temporaire, de la grande mosquée de La
Mecque (1979). Son affrontement avec l’Iran, essentiellement politique, remonte
au choix du chiisme comme religion d’Etat au XVIIème siècle par ce pays pour se
différencier des peuples arabes. L’Inde est dirigée par le parti nationaliste hindou
et la Birmanie, comme la Thaïlande, par le fondamentalisme bouddhiste. La
montée du sentiment religieux en Chine la transformera en principal pays
chrétien (toutes catégories confondues) dans le monde en 2030, estime
l’ambassadeur.

L’organisation. La laïcité française a pris une dimension internationale,
également dès 1920, avec la nomination d’un diplomate, conseiller pour les
affaires religieuses, interlocuteur des différentes communautés pour le travail
d’intermédiation et d’accueil, explique Jean-Christophe Peaucelle. L’ambassadeur
de France au Vatican, en relation avec le Saint-Siège toujours le mieux informé,
est assisté d’un prêtre. Le consulat général à Jérusalem est ouvert depuis le
XVIème siècle, lorsque l’Empire ottoman confie à la France la protection des
pèlerins et des chrétiens d’Alep à Jérusalem, accord codifié par le gouvernement
français en 1901. Le consulat général à Djeddah assure la protection juridique
des 17.000 à 20.000 pèlerins français qui se rendent chaque année à La Mecque.
En outre, un protocole d’accord de coopération sur des projets humanitaires a été
conclu avec l’Ordre de Malte, avec le soutien politique et financier de la France.
La Communauté de Sant’Edigio a acquis un savoir-faire pour entrer dans la
douleur du camp d’en face et faciliter l’adhésion de la population. Pour la
recherche de solutions personnelles, elle peut s’adresser à certains
interlocuteurs…à la place de la diplomatie française ! L’ambassadeur Peaucelle
travaille aussi avec des chercheurs universitaires, les autorités religieuses
protestantes, juives et musulmanes de France et le nonce du Saint-Siège. Garant
de la neutralité de l’Etat, il coopère avec le ministère de l’Intérieur et des Cultes
pour la nomination des évêques, dont l’objection, éventuelle, serait politique.

Les objectifs. Le but de la diplomatie reste la paix, sa construction et sa
préservation, rappelle Jean-Christophe Peaucelle. Il s’agit d’identifier la part
religieuse d’un conflit. Pour la France, très attachée à la Déclaration des droits de
l’homme, chacun peut pratiquer librement sa religion en privé ou en public. Lors
du conflit interne en Centrafrique entre chrétiens et musulmans, l’opération
« Sangaris » a été menée de concert avec les acteurs religieux locaux, à savoir
l’évêque, le pasteur et l’imam de Bangui, qui ont risqué leur vie du début de
l’intervention militaire à la recherche d’une solution politique. Sans eux,
« Sangaris » n’aurait pu réussir, estime l’ambassadeur. En France, l’Etat doit
travailler avec les autorités musulmanes pour lutter contre le salafisme pour
évaluer le discours de « déradicalisation ». Il s’agit d’accompagner l’évolution
d’un islam moderne, qui rencontre des aspirations dans le monde musulman. Cela
passe par le développement de l’islamologie, action presque centenaire de l’Ecole
pratique des hautes études, et une offre universitaire à des étudiants étrangers
musulmans. Le fait religieux compte de plus en plus dans les relations
internationales. Il peut être traité avec beaucoup de liberté et d’assurance sur des
thèmes concrets dans le cadre de la laïcité, conclut le conseiller pour les affaires
religieuses.

Loïc Salmon

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Diplomatie : gérer les crises et déceler les menaces diffuses
Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Responsable des relations diplomatiques de l’Etat du Vatican installé à Rome, le
Saint-Siège entretient des relations avec 180 Etats. En outre, son statut
d’observateur permanent sans droit de vote à l’ONU et à tous ses institutions, lui
permet d’assister à toutes les réunions et de participer aux débats, afin de leur
donner une dimension spirituelle et morale. Le pape, autorité suprême de l’Eglise
catholique, dispose d’un gouvernement pour gérer le Vatican, la Curie. Un
cardinal secrétaire d’Etat dirige la Curie et le Saint-Siège. Les agents
diplomatiques, tous évêques de différentes nationalités, sont formés à l’Académie
pontificale ecclésiastique ainsi que les « nonces apostoliques » (ambassadeurs) et
les laïcs intervenant au nom du pape. En outre, le Saint-Siège dispose d’un réseau
d’influence, à savoir les organisations internationales catholiques, composées de
prêtres et de laïcs et impliquées dans les activités sociales, professionnelles et à
caractère humanitaire et caritatif. Elles interviennent notamment dans les milieux
de la communication et des pôles de réflexion sur la paix et le développement.
Elles peuvent aussi prendre des positions « politiques », sans impliquer
directement le Saint-Siège.
Les sœurs du Djihad
Les organisations djihadistes, surtout Daech (Etat islamique), parviennent à
recruter des Européennes converties, destinées d’abord à procréer des
combattants de l’islam radical. Si elles en ont les qualifications, elles peuvent
occuper des emplois dans la santé, l’enseignement, la communication,
l’informatique et même la sécurité !

Selon diverses études et recueils de témoignages (vidéos, confessions sur internet
et écrits), le nombre de conversions à l’islam en Europe augmente de 20 % par an
depuis 2010 et les femmes représenteraient environ 60%-70% des convertis. Il en
ressort que les conversions se répartissent principalement en quatre types :
rencontre amoureuse aboutissant souvent à un mariage, pour la majorité des
jeunes femmes ; environnement social musulman de proximité ; quête de
spiritualité après une déception vis-à-vis de la religion d’origine ; motivations
politiques ou radicales, plus rares chez les femmes. Contrairement au
catholicisme et au judaïsme qui demandent une grande implication et plusieurs
étapes, la conversion à l’islam peut se réduire, pour les recruteurs salafistes, à la
récitation en arabe phonétique de la profession de foi devant deux témoins :
« J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Muhammad est son messager ». Le
nouveau musulman doit se conformer aux quatre piliers de l’islam : cinq prières
quotidiennes n’importe où et en direction de la Mecque ; verser l’aumône aux plus
pauvres selon ses moyens ; jeûner le mois du ramadan, de l’aube au coucher du
soleil ; aller en pèlerinage à la Mecque une fois dans sa vie, si ses moyens
physiques et financiers le lui permettent. Alors que l’islam modéré recommande
une modification progressive du comportement vestimentaire et alimentaire, la
mouvance rigoriste incite les nouveaux venus à se couper de leur environnement
d’origine en deux ou trois mois. A la différence du chiisme iranien, l’imam
sunnite, dépourvu de statut juridique ou légal, n’exerce pas de fonction
« sacrée ». Il guide les croyants et les éclaire de ses connaissances du Coran et
des « hadiths » (actes et paroles relatives à Mahomet et ses compagnons),
acquises sans obligation d’une formation théologique sanctionnée par un diplôme
officiel, décerné par une institution spirituelle islamique. De fait, beaucoup
d’imams s’autoproclament tels ou sont même parfois téléguidés par l’Arabie
Saoudite, le Qatar ou l’Algérie pour étendre leur influence. De son côté, Daech est
parvenu à entraîner de nombreux départs de jeunes femmes européennes vers les
zones de guerre en Syrie, Irak et Libye, entre sa proclamation du califat en 2014
et sa défaite militaire face à une coalition internationale et l’intervention russe en
2017. Il a présenté le djihad comme une cause humanitaire et offert une vision
utopique de l’Etat islamique. Il a su tirer parti de l’addiction de jeunes filles,
naïves ou psychologiquement fragiles, aux réseaux sociaux Facebook, Twitter,
Instagram, WhatsApp, SkyBlog, Pinterest, Flicker, YouTube ou DailyMotion. Il
leur a promis une vie romantique et démontré la cohésion sociale réalisée par la
solidarité entre « sœurs », une fois intégrées à une communauté à l’écoute. Il leur
a proposé une prise en charge intégrale par le groupe, sorte d’assistanat intégral
et rassurant car évitant de prendre des responsabilités. Enfin, il leur a fait
miroiter la possibilité de participer à un destin collectif exceptionnel, donnant
ainsi un sens supérieur à leur vie.

Loïc Salmon

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Qatar, vérités interdites

« Les sœurs du Djihad » par Jean-Christophe Damasin d’Arès. Editions JPO, 192
pages, 14,90 €.
Arabie Saoudite, de l’influence à la
décadence
« Etat-providence » chez elle et pratiquant une diplomatie du « portefeuille »
grâce à ses revenus pétroliers, l’Arabie Saoudite se trouve fragilisée à l’intérieur,
faute de réformes sociales, et à l’extérieur, par suite de son enlisement dans la
guerre civile au Yémen et son financement, indirect, du terrorisme islamique.

Depuis plus de 80 ans, la rente pétrolière assure le fonctionnement de l’Etat,
l’entretien de la famille royale (2 Mds$/an) et la paix sociale. En échange du bien-
être subventionné par l’Etat, les Saoudiens ne peuvent réclamer de comptes à
leur roi. Le secteur public emploie 90 % de Saoudiens et le secteur privé 90 %
d’étrangers, surtout indiens, égyptiens, pakistanais, philippins, bangladais et
yéménites et, accessoirement, occidentaux (cadres). Par suite de cette « mentalité
rentière », très peu de Saoudiens acceptent de travailler dans le secteur privé,
synonyme de bas salaires (3 à 4 fois inférieurs à ceux du secteur public) et
d’instabilité professionnelle, et à condition d’occuper un poste d’encadrement !
Selon le FMI, grâce à l’amélioration de ses conditions de vie, la population
saoudienne a atteint 28 millions de personnes en 2016 (+ 245 % en 35 ans), dont
la moitié a moins de 25 ans. Le marché du travail n’absorbe que 30 % des
nouveaux entrants, estimés à 300.000-400.000/an dont 200.000 diplômés. En
outre, 3-4 millions de personnes vivraient sous le seuil de pauvreté, alors que le
produit intérieur brut (PIB) par habitant dépasse 50.000 $. La lutte contre le
chômage préoccupe davantage la jeunesse saoudienne que celle contre l’Iran, le
rival héréditaire, ou le terrorisme (274 morts en 20 attentats en 2004). L’or noir
représentait 91 % des recettes budgétaires et 41 % du PIB, qui s’élevait à 700
Mds$ en 2014. La baisse drastique du prix du pétrole et le risque de banqueroute,
anticipé par le FMI, ont incité les autorités saoudiennes à préparer « l’après-
pétrole », malgré des réserves considérables (le quart du total mondial) mais
surestimées de 40 % selon des fuites de Wikileaks. Un vaste programme de
diversification économique prévoit notamment la construction de 16 réacteurs
nucléaires d’ici à 2030 et 41 gigawatts de panneaux photovoltaïques en plein
désert (équivalent de 25 réacteurs nucléaires). Premier importateur de matériel
militaire avec 6 Mds$ en 2014 (10 % du marché mondial), l’Arabie Saoudite s’est
impliquée militairement à la tête d’une coalition, en 2009 puis en 2015, dans la
guerre civile au Yémen. Ce pays contrôle le détroit de Bab el-Mandeb, où transite
10 % du commerce maritime international. Les frappes de la coalition arabe (10
pays avec l’aide des Etats-Unis pour le renseignement et la logistique) ont causé,
selon une estimation de l’ONU d’août 2016, 10.000 morts, 3 millions de déplacés
et des risques de famine pour près de 7,6 millions d’habitants, dont 1,3 million
d’enfants parmi la population yéménite. S’y ajoute la destruction d’une grande
partie du patrimoine culturel de cet antique royaume de Saba… comme en Syrie
et en Irak par Daech (Palmyre, Hatra et Nimroud). Les documents rendus publics
par Wikileaks depuis 2009 démontrent que les donateurs privés en Arabie
Saoudite demeurent la principale source mondiale de financement des groupes
terroristes sunnites, au nom de la diffusion du wahabisme. Leurs liens
économiques et diplomatiques avec l’Arabie Saoudite empêchent les pays
occidentaux d’y dénoncer les atteintes aux droits de l’homme et surtout… de la
femme !

Loïc Salmon

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région

« Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence » par Ardavan Amir-Aslani.
Edition L’Archipel, 240 pages, 18 €.
Arabie Saoudite : retour du sacré
dans les relations internationales
La diplomatie saoudienne présente un caractère hybride, à savoir la volonté de
légitimité institutionnelle vis-à-vis de l’Occident et la promotion d’un art de vivre
religieux traditionnel dans les pays musulmans d’obédience sunnite.

Auteur de l’ouvrage « Dr. Saoud et Mr Djihad », Pierre Conesa s’est exprimé lors
d’une conférence-débat organisée, le 2 février 2017 à Paris, par l’Association des
auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Contexte politico-religieux. Au XVIème siècle, l’empire ottoman s’étend au Sud
et à l’Est de la Méditerranée, au Proche-Orient et aux Balkans. En 1914, il ne
comprend plus que la Turquie, l’Arménie, le Kurdistan, la Mésopotamie (Irak) et
des bandes côtières (mer Rouge et golfe persique) de la péninsule arabique. Au
XVIIIème siècle, dans la partie centrale qui n’a jamais été colonisée, le royaume
d’Arabie se constitue sous l’égide de l’émir Mohammed ibn Saoud, allié de
Mohammed ben Abdelwahab, fondateur de l’Islam « wahabite ». Depuis, leurs
descendants, liés par des mariages, se partagent la direction du pays : le pouvoir
politique pour les Saoud et l’autorité religieuse pour les Al-Shaikh (Wahab). Au
cours de la première guerre mondiale, les Saoud déposent le Chérif gardien des
lieux saints de l’Islam et descendant du prophète Mahomet. Par la suite Abd el-
Aziz, premier roi du nouvel Etat d’Arabie Saoudite de 1932 à 1953, instaure un
mode de succession selon lequel ses fils se transmettent le pouvoir les uns après
les autres. Ainsi, souligne Pierre Conesa, les Saoud, qui n’ont aucune filiation
avec le prophète, constituent une petite entreprise familiale où tout se règle entre
soi. De leur côté, les Al-Shaikh cumulent les directions de 14 institutions qui ne
sont pas toutes religieuses, notamment : le système judiciaire ; l’Institut supérieur
de la magistrature ; l’administration chargée de l’éducation des filles ; la
fondation gérant les médias ; l’Université islamique de Médine ; le Haut Conseil
de la Ligue islamique mondiale (voir encadré). Jusqu’à la découverte du pétrole
dans les années 1930, les tribus arabes n’ont jamais subi d’influence étrangère
depuis le XIIIème siècle. Dès 1932, les Al-Saikh se qualifient de « salafistes »,
excluent tout intermédiaire avec Dieu et prônent une religion sunnite rigoureuse
…proche de celle de l’Etat islamique (Daech) d’aujourd’hui ! Pierre Conesa
présente quelques exemples de châtiments comparables pour les mêmes délits :
peine de mort pour meurtre, trafic de drogue, reniement de l‘Islam, blasphème ou
homosexualité ; coups de fouet pour adultère ; coups de fouet pour relations
sexuelles avant le mariage ; à l’appréciation du juge (Arabie Saoudite) ou coups
de fouet (Daech) pour diffamation et consommation d’alcool ; amputation de la
main et du pied pour vol à main armée ; amputation de la main pour vol. Comme
Daech, les Saoud détruisent les monuments symboliques comme le cimetière d’Al-
Baqi à Médine et la tombe de Khadija, première épouse de Mahomet. Depuis le
début, la charte du royaume précise que l’Etat doit appliquer une diplomatie
religieuse.

Turbulences. En 1945, la Ligue Arabe est fondée au Caire par l’Arabie Saoudite,
l’Egypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord. En 1956, le
président égyptien Gamal Abdel Nasser nationalise le canal de Suez pour financer
le barrage d’Assouan, destiné à gérer les crues du Nil. La crise internationale qui
s’ensuit déclenche un panarabisme contre l’Occident, mené par l’Egypte et la
Syrie. Ces régimes républicains et nationalistes s’opposent aux monarchies
saoudienne et jordanienne, pro-occidentales. Pour contrer l’influence de
l’Université millénaire al-Azhar du Caire, l’Arabie Saoudite instaure l’Université
islamique de Médine en 1961. Celle-ci a déjà formé 30.000 stagiaires, attirés par
des bourses d’études et la gratuité du logement. Dès 1962, elle accueille des
membres du mouvement panislamiste des Frères musulmans, chassés d’Egypte et
qui y retourneront pour occuper des fonctions de cadres dans l’enseignement
supérieur, l’administration et la restructuration du droit coranique. Le
panislamisme, revendiqué également par les organisations djihadistes Al Qaïda et
Daech, est un mouvement politico-religieux réclamant l’union des territoires
considérés comme musulmans sous la direction d’un calife. Au cours des années
1960, la diplomatie religieuse saoudienne commence à agir en Afrique
francophone, notamment au Mali, pour équilibrer l’influence du socialisme arabe
de l’Algérie, de la Libye et de l’Irak. En 1973, la guerre du Kippour oppose Israël
à l’Egypte et la Syrie, soutenues notamment par l’URSS et la Ligue Arabe.
L’Organisation des pays producteurs de pétrole, créée en1960 à l’initiative du
Venezuela et de l’Arabie Saoudite, quadruple alors le prix du pétrole. Ce soudain
enrichissement bouleverse la société tribale saoudienne, qui connaît la
modernisation sans le changement. En février 1979, la révolution islamiste en
Iran porte au pouvoir les mollahs chiites, qui prônent un Islam républicain contre
les Etats-Unis et la France et demandent une gestion collégiale des lieux saints.
En novembre, des fondamentalistes islamistes occupent la Grande Mosquée de La
Mecque, qui sera reprise avec l’aide du GIGN français. La répression est marquée
par 74 décapitations en 24 heures. En décembre, les troupes soviétiques
envahissent l’Afghanistan, pays musulman. A chaque crise, la mainmise religieuse
s’est accélérée, souligne Pierre Conesa.

Ambiguïtés. En 1945, l’Arabie Saoudite conclut avec les Etats-Unis le « Pacte de
Quincy », qui garantit une protection militaire de la dynastie en échange
d’approvisionnements pétroliers. Cet accord de 60 ans sera renouvelé en 2005.
Lors de la guerre du golfe contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991, l’Arabie
saoudite accueille 150.000 soldats américains, dont 10.000 juifs, en terre d’Islam.
Quoique 15 Saoudiens figurent parmi les 19 auteurs des attentats du 11
septembre 2001 aux Etats-Unis, l’administration Bush incrimine l’Iran, l’Irak et
même la Corée du Nord ! Elle censure 28 pages d’un rapport du Congrès
américain sur l’attentat qui, rendu public 20 ans plus tard, souligne la collusion
entre l’industrie pétrolière texane et l’Arabie Saoudite. Par la suite, les Etats-Unis
imposent la fermeture de 253 organisations non gouvernementales, soupçonnées
d’entretenir des relations avec les djihadistes. Celles du Pakistan ont organisé des
attentas en Inde avec des fonds venus d’Arabie Saoudite. Selon Pierre Conesa,
l’efficacité du lobby saoudien aux Etats-Unis et en France, par le biais de sa
diaspora qui a accès aux plus hautes autorités de l’Etat, repose sur une stratégie
d’influence et non pas de pression, pour éviter une mise en accusation dans les
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