Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles pratiques ? - Calenda.org

La page est créée Sarah Dumas
 
CONTINUER À LIRE
ILCEA
                          Revue de l’Institut des langues et cultures
                          d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie
                          39 | 2020
                          Les humanités numériques dans une perspective
                          internationale : opportunités, défis, outils et méthodes

Travailler sur des objets numériques hyper-
contemporains : de nouvelles pratiques ?
Research Issues Raised by Hyper-Contemporary Digital Objects

Claire Larsonneur

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/ilcea/8740
DOI : 10.4000/ilcea.8740
ISSN : 2101-0609

Éditeur
UGA Éditions/Université Grenoble Alpes

Édition imprimée
ISBN : 978-2-37747-174-4
ISSN : 1639-6073

Référence électronique
Claire Larsonneur, « Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles
pratiques ? », ILCEA [En ligne], 39 | 2020, mis en ligne le 03 mars 2020, consulté le 12 mars 2020. URL :
http://journals.openedition.org/ilcea/8740 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ilcea.8740

Ce document a été généré automatiquement le 12 mars 2020.

© ILCEA
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   1

    Travailler sur des objets numériques
    hyper-contemporains : de nouvelles
    pratiques ?
    Research Issues Raised by Hyper-Contemporary Digital Objects

    Claire Larsonneur

1   La réforme 2019 du lycée en France prévoit un nouvel enseignement dédié au
    numérique en classe de seconde. Or « cette “petite” matière d’une heure trente
    — suffisamment transversale et peu technique pour être enseignée par tous — invite
    aux ajustements, fussent-ils un peu baroques. » (Morin, 2019) À savoir que le cours peut
    être proposé à des enseignants de disciplines très différentes, allant des mathématiques
    à l’histoire-géographie… Autre point intéressant, le ministère qui avait dans un premier
    temps baptisé cette discipline nouvelle « d’humanités numériques » a opéré un
    revirement et préfère désormais le label de Sciences numériques et Technologie.
    L’article du Monde rédigé par Violaine Morin révèle en filigrane les paradoxes de
    l’institutionnalisation de la réflexion sur le numérique, entre impératif public et
    indétermination scientifique. L’ouverture potentielle du cours à des enseignants de
    multiples disciplines masque mal la prédominance dans les faits de la référence aux
    mathématiques et d’un repli possible sur les compétences techniques et pratiques à
    transmettre aux élèves. Deux outils d’évaluation existent d’ailleurs déjà, le B2i et PIX,
    tous deux centrés précisément sur ces compétences techniques et pratiques dans
    quatre domaines : information et données, communication et collaboration, création de
    contenus et sécurité. Cet exemple pédagogique me semble révélateur des paradoxes
    d’une institution qui reconnaît la place à la fois centrale et ubiquitaire du numérique
    dans nos sociétés, mais ne peut s’appuyer sur une discipline constituée. On remarquera
    aussi le tropisme français qui valorise technique et mathématiques, adossé à une
    tradition de légitimation d’une discipline par l’emploi du vocable « sciences », tradition
    différente de celle des pays anglo-saxons où le terme Studies, plus ouvert, évite la
    dichotomie sciences/lettres. Les Digital Studies intègrent ainsi des réflexions
    philosophiques, sociologiques ou médiologiques autant que techniques ou

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   2

    informatiques (University of Chicago, 2019). Toutefois l’inscription de ce cours dans le
    programme national constitue une étape importante dans la mise en place d’une
    discipline et on peut considérer que son périmètre fluctuant, tout comme la difficulté
    de définir les Humanités numériques, n’indiquent pas tant un défaut de légitimité
    scientifique qu’une temporalité spécifique, à savoir la phase d’exploration et de
    bricolage par lequel passe un champ scientifique en constitution, phase importante
    aussi bien en terme de recherche que d’institutionnalisation. En cela j’aimerais revenir
    à l’analyse de Marcello Vitali-Rosati sur la définition du numérique qu’il lie, par-delà la
    question de l’ordinateur, à la nécessité de faire évoluer les institutions :
         One defining characteristic of the digital is that it signifies the necessity of upgrading a large
         number of institutions in many different realms. These include personal identity
         management, teaching, research, art, and communication. The digital is not —or at least not
         only and not primarily— about computers and technologies: it is a term that is often used
         synonymously with “current”. (2018 : 37)
2   C’est donc sur des deux dimensions d’exploration et d’institutionnalisation, qu’il me
    semble indispensable d’associer dans les faits, que je voudrais revenir dans le présent
    article à partir des deux projets de recherche dans lesquels je me suis engagée depuis
    une petite dizaine d’années. Le premier est un travail sur les subjectivités numériques,
    mené à partir de 2012 d’abord au sein du projet Labex Arts H2H « Le sujet digital »,
    piloté conjointement avec Arnaud Regnauld et Pierre Cassou-Noguès, puis via la
    coordination d’un numéro de la revue Angles, « Digital Subjectivities », publié en 2018,
    et qui se poursuit au travers d’un nouveau projet sur l’auteur numérique (2018-2020).
    « Le Sujet Digital » partait d’une question apparemment simple : comment nos
    subjectivités, la construction et l’identification de soi, sont-elles affectées par le
    numérique ? Il s’est articulé autour de quatre moments théoriques (correspondant
    chacun à un colloque international de 3 jours) : Hypermnésie, In-scription,
    Temporalités, Codes et a essaimé en une série de journées d’étude plus ciblées sur les
    questions du trans-humain, du post-humain et des corps techniques. Le résultat des
    appels à communications, parce que nous avions décidé de diffuser via le plus de listes
    possibles, a fait émerger une fructueuse interdisciplinarité entre contributions relevant
    de la philosophie, des media studies et des arts (littérature, arts décoratifs, web art,
    performances). Le second projet, plus récent, est focalisé sur la traduction neuronale et
    l’application des technologies d’intelligence artificielle au domaine des langues. Ces
    deux projets ont en commun la question de la mobilisation des outils numériques, des
    pratiques associées et plus largement d’une réflexion sur le cyborg, le post-humain et
    l’intelligence artificielle. Et ils ont été l’occasion d’expérimenter à quel point l’internet
    (et plus largement le numérique) ont modifié notre rapport au savoir (Vitali-Rosati,
    2018 : 14), en modifiant l’écosystème des relations entre les acteurs, les canaux et les
    objets de la recherche.

    Temporalités

3   Comme le Sujet Digital a été conçu dès le début pour être un projet international, mené
    étroitement avec des partenaires canadiens et britanniques puis assez rapidement
    également avec des Coréens, une première difficulté conceptuelle a surgi, la notion de
    mind différant de celle d’esprit et les rapports entre l’esprit et le corps ne prenant pas
    les mêmes formes dans les différentes cultures. Mais ce fut là aussi l’une des richesses
    du projet. En revanche, au fil des ans, nous avons été confrontés à un deuxième

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   3

    problème plus complexe à gérer : une évolution rapide des outils et des pratiques
    numériques. À la fin des années 2000 les pratiques d’exposition de soi en ligne
    reposaient principalement sur la création de blogs ou au travers d’avatars au sein
    d’univers virtuels comme Second Life (lancé en 2003). Or, la commercialisation de
    téléphones de plus en plus sophistiqués à partir du milieu des années 2000 a suscité la
    vogue des selfies, elle-même encouragée par le développement concomitant des
    réseaux sociaux. L’IPhone a été lancé en 2007 ; Facebook a été créé en 2004, Twitter en
    2006, WhatsApp en 2009, Instagram en 2010. La principale difficulté, lorsqu’on cherche
    à cerner un objet de recherche numérique, tient au flux continu d’innovation et
    d’obsolescence des outils et des pratiques associées : les profils sur les réseaux sociaux
    ont ainsi désormais plus de visibilité que les blogs ou les avatars et les questions
    d’intelligence artificielle ont supplanté celles liées à la robotisation. Par exemple, alors
    que le modèle de la traduction assistée par ordinateur s’était consolidé depuis les
    années 1980, l’irruption fin 2016 dans le domaine grand public de la traduction
    neuronale, basée sur des technologies d’intelligence artificielle, risque de modifier
    profondément le métier en quelques années et les experts prédisent que la traduction
    neuronale sera de qualité équivalente ou supérieure aux traductions humaines en 2024,
    soit dans moins de 10 ans (Edmond, 2017). Outre la cadence de l’innovation technique,
    nombre d’outils numériques fonctionnent à des échelles temporelles inaccessibles aux
    humains, bien décrites par Yves Citton :
         Les médias électroniques se caractérisent par des échelles micro-temporelles qui se
         situent en dessous des seuils perceptifs de la sensorialité humaine, par des
         possibilités inédites de manipulation de l’axe temporel rendant de plus en plus
         critiques les mécanismes de synchronisation, par l’imposition de régimes
         d’obsolescence qui rendent rapidement inaccessibles les contenus qui ne sont pas
         régulièrement (et coûteusement) mis à jour. (Citton, 2017 : 280)
4   À titre d’exemple citons le trading à haute fréquence analysé par N. Katherine Hayles
    (2015 : 27-31) ou plus simplement le caractère instantané des traductions automatiques
    quand il faut plusieurs heures à un traducteur expérimenté pour traduire un texte
    d’une page.
5   Pour cerner un objet de recherche hypercontemporain, il est bien possible qu’il faille
    faire son deuil de l’investigation au long cours sur des objets stables et adopter d’autres
    approches. Un projet de recherche collectif comme le Sujet Digital, et le fait de monter
    des colloques internationaux, permet de croiser des approches plurielles, voire très
    contrastées : nous avons ainsi pu travailler sur la différence de conception entre les
    robots et les cyborgs occidentaux, le plus souvent conçus sur un modèle guerrier, et les
    robots dans la tradition coréenne, plutôt modelés sur la figure de Bouddha et son rôle
    de pacificateur des relations. Mais ce n’est possible que pour des projets d’une certaine
    ampleur, bien financés et conçus sur une certaine durée. Pour un chercheur individuel,
    le premier réflexe est de conduire une veille permanente sur les évolutions des outils et
    des pratiques. Et cette veille passe en premier lieu par la presse spécialisée, dans mon
    cas notamment le journal Slator sur le secteur de la traduction : on ne peut recourir en
    première intention aux articles universitaires car ils ont forcément un temps de retard
    parfois assez long sur l’actualité. Il faut donc infléchir ses réflexes de chercheur. Mais
    dans un deuxième temps et pour effectuer une recherche plus approfondie, il faut
    tenter de réduire cet afflux d’informations pour en extraire un corpus ou un objet de
    recherche. On peut ainsi suivre les phases du cycle d’innovation sur un objet donné,
    comme s’intéresser aux affordances d’Instagram, ou bien privilégier des coupes

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   4

    instantanées, tenter de dresser un état des lieux des objets ou des pratiques à
    l’instant t. C’est ainsi que j’ai en février 2018 dressé un inventaire des 50 articles
    présentés comme les plus pertinents sur Google Scholar dans la liste des résultats pour
    la requête « neural machine translation » limitée à l’année 2017. Bien évidemment le
    moteur n’a fait remonter que les articles publiés en anglais, et le corpus de 50 articles
    n’est qu’un échantillon du total d’environ 2 800 articles recensés par Google Scholar.
    Enfin ce dernier ne référence pas tous les articles de recherche existants. Cela dit et
    malgré ces limites, un tel travail d’inventaire permet d’évaluer la géographie de la
    recherche en traduction neuronale, sa sociologie institutionnelle et les objets de
    recherche les plus prisés sur cette année clef. Réitérer la démarche en 2020 permettra
    de dresser un comparatif.

    Globalités

6   Un autre point pose problème et constitue un angle mort de la recherche.
    Contrairement aux concepts philosophiques traditionnels forgés dans des traditions
    culturelles et linguistiques spécifiques, comme l’a magistralement démontré
    Barbara Cassin (2004), ces nouveaux outils ou pratiques ont souvent en commun d’être
    conçus pour avoir une portée globale, à savoir être diffusés massivement et quasi-
    simultanément dans le monde entier et y susciter des pratiques elles aussi globales. Or
    les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, les outils gratuits comme Google
    translate, se présentent certes comme globaux mais sont ancrés dans une réalité située,
    géographiquement, culturellement et juridiquement américaine. Ils ont par exemple
    une visée hégémonique : le profil Facebook peut ainsi servir de clef d’accès à la plupart
    des services que nous utilisons quotidiennement, remplaçant les logins et les mots de
    passe dédiés. Citons aussi la présentation officielle de Google, révélatrice de ce désir
    d’hégémonie : « Our mission has always been to organize the world's information and make it
    universally accessible and useful. » Autre exemple, les GAFAM sont ancrées dans un
    modèle économique d’exploitation des données privées adossé à une culture anglo-
    saxonne de la surveillance généralisée. Évidemment la surveillance de la population
    n’est pas l’apanage des sociétés anglo-saxonnes, la Chine et les régimes totalitaires le
    pratiquent également. La question est plutôt de savoir si les outils et les pratiques
    développées dans les pays anglo-saxons selon leurs modalités culturelles spécifiques
    deviennent globaux. La culture anglo-saxonne de la surveillance pré-date le numérique
    comme en témoignent les programmes de neighbourhood watch ou tout simplement les
    œuvres d’Orwell en 1949 (1984) ou de Georges Lucas en 1971 (THX 1138). Le numérique
    a permis l’omniprésence des caméras dans les espaces publics ou encore des pratiques
    de surveillance en ligne par le NSA révélées par Edouard Snowden. David Lyon a
    montré dans The Electronic Eye combien la surveillance numérique était ancrée dès les
    années 1980-1990 dans un petit nombre de pays : USA, Canada, Australie, Grande-
    Bretagne et Allemagne (Lyon, 1994 : 12). L’apparition de nouvelles techniques, comme
    la reconnaissance faciale sur laquelle Google, Facebook et la NSA investissent
    massivement, la vogue des smartphones qui ouvre la voie à une géolocalisation
    permanente des personnes et surtout la possibilité de traiter des masses gigantesques
    de données ont permis à la surveillance de s’automatiser et de se généraliser. Dernier
    exemple : la façon dont les contenus sont modérés est également profondément ancrée
    dans la culture américaine, notamment la notion de communauté. Bien que Facebook
    dispose des moyens techniques d’identifier automatiquement des expressions ou des

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   5

    images problématiques, tout leur système de gestion des billets repose sur le
    signalement de contenus problématiques par les utilisateurs, décalant ainsi la
    responsabilité à la communauté, notion clef de la culture américaine (Christensen et al.,
    2003). En mettant en exergue la notion de voice dans ses conditions d’utilisation,
    Facebook (2019) justifie le non-retrait de contenus problématiques par la référence
    oblique à la liberté d’expression stipulée dans le premier amendement à la constitution
    américaine : « at times we will allow content that might otherwise breach our standards if we
    feel that it is newsworthy, significant or important to the public interest. » D’autres catégories
    sont plus anecdotiques mais néanmoins révélatrices d’un fort ancrage culturel comme
    la fixation sur l’interdiction de représenter les mamelons féminins, sauf en cas de
    manifestation politique, d’allaitement ou de mastectomie : « while we restrict some images
    of female breasts that include the nipple, we allow other images, including those depicting acts of
    protest, women actively engaged in breastfeeding and photos of post-mastectomy scarring. » S’il
    est relativement facile d’identifier l’américanité de ces outils lorsqu’on connaît un peu
    cette culture, il est bien plus difficile d’évaluer l’influence que ces modèles ont sur les
    utilisateurs d’autres cultures et l’étendue des comportements globalisés qu’ils
    induisent. Notamment parce que la littérature scientifique sur ces questions est
    principalement publiée en anglais, citant des ouvrages en anglais et perpétuant ainsi
    une forme de bulle scientifique : la bibliographie de The Electronic Eye est ainsi
    quasiment exclusivement anglo-saxonne.

    Opacités

7   Troisième difficulté lorsque l’on souhaitait cerner un objet de recherche numérique :
    les effets d’opacité créé par la nature « hors sol » des objets ou des pratiques en ligne,
    publiés sur le web ou hébergés dans le cloud, certes accessibles depuis n’importe quel
    point du globe mais dont il est rare que l’on connaisse le fonctionnement interne et
    l’ancrage réel. Yves Citton (2017 : 281) consacre tout un développement aux « multiples
    couches de verrouillage et d’opacité (plus ou moins intentionnelle) qui nous rendent
    aveugles à ce que (nous) font les appareils dont nous devons nous servir sans être en
    mesure de comprendre en quoi ni à quoi ils nous asservissent », faisant écho aux
    réflexions de Vilém Flusser (1996) et d’Alexander Galloway (2004) sur les boîtes noires
    et les courts-circuits numériques. Ainsi lorsque Nolwenn Tréhondart (2018) étudie les
    conditions d’écriture et de traduction vers l’anglais du feuilleton BD numérique Été,
    dont les deux saisons ont été publiées sur Instagram en 2017 et 2018 sous forme
    d’albums quotidiens d’une dizaine de cases, elle se heurte, tout comme les concepteurs
    de la série, à la difficulté à accéder aux paramètres des affordances et à leur éventuelle
    modification par la plateforme. Autrement dit, la fabrique du cadre dans lequel s’insère
    la création, le pourquoi et le comment du paratexte sont non seulement opacifiés pour
    le lecteur mais aussi hors de portée des créateurs. Dans ce cas précis, la modification de
    la présentation en timeline selon ce que l’algorithme juge intéressant de diffuser les a
    conduits à abandonner le principe de diffusion case par case. Certaines contraintes sont
    connues comme l’interdiction de contenus sexuellement explicites, délibérément
    contournée par l’équipe créatrice qui a inséré dans plusieurs cases des animations
    érotiques, fonctionnant comme des gifs très fugaces d’une durée d’exposition bien
    inférieure à la seconde (voir par exemple le dernier album de la saison 2018, intitulé
    « Une belle fin »). Les dialogues en français n’ont pas été censurés, probablement parce
    que trop allusifs et littéraires pour les robots qui monitorent les billets, mais le seraient

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   6

    certainement en cas de traduction trop explicite vers l’anglais. Autre exemple, les
    interfaces des outils gratuits de traduction neuronale comme DeepL ou Google
    Translate sont conçues pour mettre en regard le texte source et une seule version du
    texte cible. Il n’est pas indiqué sur l’interface que pour accéder à des propositions
    alternatives ou une plus grande variété lexicale, il faut cliquer sur le texte cible. Le
    dispositif spatial sur l’écran, si on l’analyse en termes de délimitation, de position et de
    distance (Vitali-Rosati, 2018 : 31) accrédite l’idée fallacieuse qu’il y aurait une seule
    traduction possible et que celle-ci, parce qu’elle est instantanée, n’a pas pu poser
    problème et donner lieu à délibération : il est adossé à une conception utilitaire du
    langage comme simple véhicule de messages, conception dans laquelle la diversité des
    langues est un problème technique à résoudre, et non matière à penser. L’un des enjeux
    clefs — il me semble — de la recherche sur les humanités numériques consiste à ouvrir
    ces boîtes noires, à étudier la construction de ces outils et leurs rouages, comme nous y
    invite Citton (2017 : 193) et les tenants de l’archéologie des médias. Il s’agit d’une tâche
    particulièrement difficile car les effets d’opacité sont voulus par les concepteurs : il faut
    d’abord pouvoir identifier ces derniers puis tenter de les interviewer ou encore être à
    l’affût des déclarations d’anciens employés là encore dans la presse. Idéalement il
    faudrait pouvoir lire le code et/ou dialoguer avec les ingénieurs. Pour la traduction
    neuronale, le recours aux abstracts des articles scientifiques permet déjà de se faire une
    idée des enjeux. Une telle démarche implique de décentrer le regard : alors que j’avais
    été formée à l’analyse littéraire et donc l’étude des formes et de leurs effets, il me faut
    désormais s’intéresser aux rouages des outils et à leur insertion dans un éco-système
    marchand. Cela implique d’explorer les champs de l’ingénierie, de la sociologie et de
    l’économie, sans qu’il soit cependant question de changer d’affiliation. Il me semble que
    précisément ce décentrement du regard et la convocation d’une pluralité de lectures
    est la spécificité des humanités numériques, par opposition aux champs scientifiques
    spécialisés sur un objet ou un process. Autrement dit, les humanités numériques ne
    valent pas tant parce qu’elles travaillent un objet numérique, mettons les réseaux
    sociaux, que par la prise de recul et la pluralité des approches.

    Références

8   Enfin quatrième difficulté, la constitution du corpus secondaire. La mise en ligne
    massive et continue de contenus concerne aussi bien sûr la production universitaire et
    correspond à la rencontre entre des outils de publication désormais simples à utiliser,
    comme Wordpress, des enjeux économiques qui conduisent les revues à opter pour des
    formats numériques plutôt que papier, et des impératifs institutionnels comme
    l’incitation à déposer les publications des chercheurs sur Hal depuis la loi République
    numérique de 2016. À cela s’ajoute la multiplication des blogs de chercheurs, la mise en
    ligne de captations vidéo des conférences et présentations, ou encore la publication de
    contenus de recherche générés par des entreprises ou des journaux à but lucratifs. Tout
    ceci opère un bouleversement des lieux de recherche et des institutions associées : en
    matière de traduction neuronale, les informations les plus à jour se trouveront non pas
    au sein des revues établies de traductologie comme Meta, Traduire ou Palimpseste mais
    via des réseaux sociaux comme Academia.edu, le moteur de recherche Google Scholar,
    ou la presse économique spécialisée comme Slator. À titre d’exemple une rapide
    recherche bibliographique menée le 27 mars 2019 fait remonter 5 résultats en français
    dans Meta pour la requête « traduction neuronale » et 9 en anglais pour la requête

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   7

    « neural machine translation ». Si on cherche dans Palimpseste, les mêmes requêtes
    exactes ne donnent aucun résultat, ce qui peut être lié au paramétrage du moteur de
    recherche interne (401 résultats en français et 327 en anglais pour des requêtes de type
    traduction neuronale sans guillemets mais cela inclut tous les documents comprenant
    le terme traduction). La requête exacte pour « neural machine translation » donne le
    même jour 12 000 résultats sur Google Scholar (à comparer avec un total de 2 800 en
    février 2018) et 23 résultats en français. Dans Slator la requête en anglais livre 281
    résultats, au rythme d’un ou plusieurs articles chaque semaine ; ils ont également
    publié tout début 2019 un état de lieux de la NMT sous forme d’un rapport de 32 pages
    au prix de 85 dollars. Sur Academia.edu, la requête fait remonter 2 474 résultats dont
    315 articles en texte intégral. Il y a là un bouleversement de l’intermédiation
    scientifique, une évolution indéniable de l’écosystème de la recherche qui fait la part
    belle aux réseaux sociaux et aux moteurs de recherche. Au même moment on peut
    considérer que la profusion de ressources rend la tâche du chercheur proprement
    sisyphéenne, car il est devenu impossible de viser l’exhaustivité. En terme de
    méthodologie de la recherche, et en attendant que les chercheurs puissent avoir accès à
    des algorithmes d’I.A. susceptibles de trier cette manne, il m’a semblé que la seule
    manière de gérer la collecte consistait à organiser ma veille d’information sur la base
    d’une stratégie push (CRDP Limousin, 2015) par abonnement à des listes de diffusion, à
    des lettres d’information, ainsi qu’aux pages Facebook professionnelles des institutions
    qui m’intéressent, comme IATIS, Asymptote, Humanistica ou encore le Centre Culturel
    de Cerisy. Autre stratégie de recherche, la technique du rebond qui consiste à
    privilégier les bibliographies déjà existantes d’une poignée d’articles identifiés comme
    étant de qualité. Enfin et paradoxalement en ce temps du tout numérique, la rencontre
    in real life d’autres chercheurs lors de conférences et de congrès, notamment
    internationaux, me semble essentielle pour se constituer un réseau plus gérable (moins
    d’une cinquantaine) de personnes à suivre. Ces conférences internationales permettent
    également de découvrir des objets et des pratiques de recherche encore peu développés
    en France, comme l’analyse des mouvements des yeux des traducteurs pratiquée au
    Danemark et en Irlande (IATIS, 2015), ou de repérer des foyers de recherche
    dynamique, comme la Pologne ou le Canada, très investis dans les écritures numériques
    (Sujet Digital, 2012-2016).

    Présence en ligne

9   Cette question de la recherche documentaire ouvre directement sur son pendant, celui
    de la diffusion et de la reconnaissance des travaux du chercheur. Le premier constat est
    celui du caractère chronophage, car multicanaux, de la présence en ligne d’un
    chercheur : outre la page web personnelle généralement hébergée par le site du
    laboratoire de recherche, il faut aussi compter avec la diffusion via des réseaux sociaux
    généralistes (comme la page Facebook du Sujet Digital ou Linkedin), des réseaux
    sociaux universitaires tels que Academia.edu ou ResearchGate, des sites ou des pages
    web dédiés à des projets de recherche, ainsi que les plateformes de mises à disposition
    en libre accès comme HAL. Soit sept vecteurs de présence en ligne, à alimenter en
    continu. Bien sûr cet investissement est volontaire mais on peut remarquer que la
    structure même des formulaires d’annonce d’événements sur Figura ou Calenda incite à
    créer des pages web dédiées aux événements ; autre exemple, pour remplir les
    rubriques de métadonnées, certaines revues en ligne réclament désormais que le

    ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   8

     chercheur fournisse son identifiant numérique unique ORCID qui est l’équivalent pour
     un chercheur du DOI pour un article ou de l’IP pour un ordinateur : encore une
     démarche à faire. Enfin pour être référencé sur Google Scholar il faut que les revues où
     l’on publie soient formatées et hébergées de telle manière que les robots puissent les
     indexer ou que le chercheur mette ses articles en ligne sous format pdf sur sa page
     institutionnelle. Les instructions sont précises :
          Make sure that:
          the full text of your paper is in a PDF file that ends with ".pdf",
          the title of the paper appears in a large font on top of the first page,
          the authors of the paper are listed right below the title on a separate line, and
          there's a bibliography section titled, e.g., "References" or "Bibliography" at the end.
          (Google 2019)
10   Autrement dit, l’éco-système de la recherche produit toute une arborescence de
     vecteurs de présence en ligne prescriptifs pour les chercheurs, qui oeuvrent à
     standardiser et normaliser les expressions scientifiques dans un univers de publication
     calibré pour les moteurs de recherche. Ils produisent aussi des statistiques de
     fréquentation des pages web d’un chercheur, de nombre de followers sur les réseaux
     sociaux professionnels ou de téléchargement d’articles qui contribuent à la
     mathématisation de l’évaluation de son activité. Enfin et bien qu’un certain nombre
     d’outils de diffusion permettent les commentaires et les échanges, il n’y a dans mon
     expérience paradoxalement quasiment jamais de feedback en ligne des lecteurs,
     constatation partagée par Gaëlle Debeaux (2019).

     Nouvelles pratiques d’écriture scientifique

11   Par-delà ces contraintes, le point qu’il me semble peut-être le plus intéressant à
     développer est l’apparition de nouvelles pratiques d’écriture scientifique, extrêmement
     diverses et parfois méconnues. Par exemple la politique éditoriale de la revue Angles
     stipule que l’introduction d’un numéro de la revue doit se présenter sous forme de
     vidéo et qu’un interlude graphique anime le corps de la revue. Cet impératif non
     seulement m’a permis d’explorer des fonctionnalités méconnues du Powerpoint et de
     l’IPhone, mais il m’a aussi conduit à chercher un angle différent d’approche des
     subjectivités numériques et donc tenter une expérience de dialogue avec Siri, elle-
     même révélatrice du travail humain de scriptage des énoncés automatiques. Autre
     exemple, la création de carnets de recherche sur la plateforme Hypothèse, étudiée par
     Gaëlle Debeaux (2019). Elle démontre la pluralité des références génériques, le carnet
     de recherches se positionnant entre le blog, du fait de la publication régulière de
     billets, le journal de bord, là il se fait écho des questionnements du chercheur, ou
     l’essai, libéré des contraintes techniques de la publication académique comme les notes
     de bas de pages ou la section bibliographie. Gaëlle Debeaux relève aussi que cette
     nouvelle forme d’écriture universitaire s’inscrit plutôt dans une culture
     conversationnelle que pédagogique, et que certains billets viennent enrichir des
     articles publiés dans le circuit traditionnel en y ajoutant divers contenus. Enfin comme
     ces carnets se voient affectés un DOI, là encore c’est la structure administrative de la
     plateforme qui crée la « publicabilité » de l’article (si l’on accepte le néologisme) lequel
     pourra dès lors être référencé dans HAL, etc.
12   Ceci conforte la thèse de la définition du numérique comme puissance de changement,
     phénomène que l’on retrouve également à un niveau collectif. Là encore on observe la

     ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   9

     généralisation d’impératifs institutionnels, comme l’incitation à publier les données
     brutes ou les états intermédiaires de la recherche. La plateforme HAL a ainsi ouvert en
     2010 une sous-section Médi-Hal pour les données visuelles et sonores ; citons aussi
     l’infrastructure européenne Huma-num qui offre des services en matière de stockage,
     de traitement, d'exposition, de signalement, de diffusion et de conservation sur le long
     terme des données numériques de la recherche en sciences humaines et sociales. Tout
     ce mouvement est ancré dans une volonté de développer l’accès libre à la recherche,
     dans le sillage des appels de Budapest (2002) et Berlin (2003) et de la loi République
     numérique en France. Là encore cela conduit à de nouvelles formes d’écriture comme le
     « data paper » qui est centré sur la description d’un jeu de données brut à l’aide de
     métadonnées, circonstances et méthodes de collecte, analyses statistiques et
     techniques (Dedieu, 2014).

     Recherche-création

13   Dernier point, l’essor de ce qu’on appelle en anglais practice-led research ou recherche-
     création en français. Elle part d’un double postulat, à savoir que la création est une
     forme de recherche et que la création peut conduire à dégager des pistes et formuler
     des hypothèses inédites en recherche. La practice-led research est plus établie et
     relativement codifiée dans les pays anglo-saxons, produisant déjà des thèses
     structurées en deux temps, l’un créatif et l’autre réflexif. Par exemple le PhD de
     Claire Dean soutenu en 2019 à l’université de Lancaster, intitulé « Making Wonder Tales:
     an Exploration of Material Writing Practice for Ecological Storymaking », inclut les œuvres
     originales de Dean, écrivain reconnue qui outre les nouvelles plus classiques publiées
     sous forme de recueil, a développé des supports innovants pour ses histoires, comme
     une carte-récit qui enclenche la narration au fil de la topographie dans un parcours de
     marche (Persephone’s Steps). Le deuxième temps de sa démarche consiste à réfléchir sur
     les outils qu’elle utilise (notamment les processeurs Arduino) et les interactions entre
     le sujet d’une histoire, son contenu, la forme et le média employés. Il n’est pas anodin
     que cette thèse de creative writing ait été financée par l’Engineering and Physical
     Sciences Research Council britannique, montrant l’interpénétration des pratiques
     littéraires et scientifiques dans ce cas. Dans le cadre des études anglophones, on peut
     trouver des thèses de ce type en traduction, en littérature ou en arts, mais ce champ est
     ouvert aussi en design industriel par exemple et se prêterait bien à la didactique ou à la
     valorisation de la recherche. En revanche l’objet et les modes de fonctionnement de la
     recherche-création sont encore amplement débattus dans le contexte francophone,
     comme en témoigne l’article des canadiens Louis-Claude Paquin et Cynthia Noury
     (2018). Ces derniers relèvent notamment que :
          Les programmes d’aide financière destinés à la recherche académique du Conseil de
          recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du
          Québec - Société et culture (FRQSC) comportent un volet recherche-création, mais
          contrairement au financement de la recherche pour la création, ces programmes ne
          s’accordent pas sur leur conception de la recherche-création.
14   En France les thèses au format création/réflexion sont encore très rares, et
     l’institutionnalisation de la recherche-création à ses débuts. On peut voir dans le
     lancement d’ArTeC à l’automne 2018 un premier moment de cette reconnaissance
     institutionnelle, au travers des trois axes privilégiés : la création comme activité de
     recherche, les nouveaux modes d’écritures et de publications, les technologies et les

     ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   10

     médiations humaines. Un autre exemple serait la tenue du colloque « Comment définir
     la recherche-création dans l’espace de la recherche et de la formation supérieures ? »,
     les 8 et 9 février 2018 à Strasbourg. L’impératif qui nous a été fait de produire de la
     recherche-création au sein du projet le Sujet Digital nous a conduit à développer un
     partenariat avec l’ENSAD et à exporter une partie des conférences dans des lieux non
     universitaires comme l’Usine Utopik, centre régional de création contemporaine en
     Basse Normandie pour le colloque « Posthumains et Subjectivités numériques » de
     juin 2016. La fréquentation des artistes et des chercheurs a effectivement permis de
     renouveler le regard sur certaines abstractions, conduisant à intégrer une plus grande
     dimension visuelle dans les produits de la recherche : je songe notamment à la
     cartographie des concepts du colloque de Cerisy dressée par Lucile Haute et
     Alban Lebeau-Vallier qui sera publiée dans l’ouvrage du même nom aux Presses
     Universitaires de Rennes, ou au travail de cartographie d’Internet de Louise Drulhe
     (2016).
15   Choisir de travailler sur les humanités numériques aujourd’hui est passionnant car cela
     nous oblige à ouvrir notre regard sur d’autres disciplines, questionner nos pratiques et
     inventer de nouvelles formes d’expression et de diffusion. Dans la mesure où ce champ
     est encore émergent en France, il ouvre des pistes professionnelles dont l’intérêt
     surclasse nettement les inconvénients mentionnés ci-dessus, d’autant plus qu’il est
     probable que le manque de reconnaissance actuel par les institutions fera bientôt place
     à une valorisation des mêmes travaux. Pour conclure, je voudrais revenir au travail sur
     l’éditorialisation que mène Vitali-Rosati et sa définition de l’espace comme un
     ensemble de relations dynamiques entre des objets. Il me semble que cette approche est
     particulièrement utile pour réfléchir à ce que sont les humanités numériques : elle nous
     invite à préférer cartographier des pratiques plutôt que de poser des catégories et des
     définitions. Son travail le conduit à repenser la notion d’autorité, qu’il envisage là
     encore non pas comme le résultat d’une organisation hiérarchique mais comme une
     instance collective qui produit de la confiance plutôt que de la vérité (Vitali-Rosati,
     2018 : 8). Si l’on suit cette logique, il semble important que les chercheurs en humanités
     numériques privilégient le questionnement sur la construction de catégories et des
     outils de la recherche. C’est tout l’objet du précieux séminaire « Épistémologie et
     pratiques des humanités numériques » qui est piloté depuis 2015 par Claire Bourhis-
     Mariotti (Paris 8), Lauric Henneton (UVSQ) et Suzanne Dumouchel (programme
     OPERAS). L’investigation que mènent les chercheurs sur les modes numériques de
     travail n’a pas qu’une portée universitaire, c’est une pierre importante de notre édifice
     social à un moment clef pour nos sociétés dont Yves Citton a montré combien elles
     étaient de plus en plus contraintes par les phénomènes de captation de l’attention, de
     synchronisation des comportements et de contrôle par la technologie. Les enjeux ne
     sont pas anodins : le développement de la reconnaissance faciale couplé à un système
     de notation social est déjà en place en Chine, déterminant ce à quoi les citoyens ont
     accès en fonction de leur bon ou mauvais comportement. Autre exemple et point sur
     lequel je travaille en ce moment tout particulièrement : on peut légitimement
     s’inquiéter de la captation par un tout petit nombre d’acteurs très puissants (les GAFAM
     et leurs équivalents asiatiques) des techniques de traitement des langues naturelles,
     principalement l’étiquetage des contenus que nous postons et la traduction
     automatique, qui sont intégrées dans la plupart de nos interfaces quotidiennes. Les
     humanités numériques, et tout particulièrement les linguistes et les littéraires, ont un
     rôle à jouer dans la société pour contrer la tentation de repli sur le code, l’algorithme et

     ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   11

les affordances, et préserver à la fois la diversité des langues et la pluralité des
interprétations.

BIBLIOGRAPHIE
CASSIN Barbara (2004), Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles, Paris :
Seuil.

CHRISTENSEN Karen & LEVINSON David (2003), Encyclopedia of Community, Thousand Oaks, Californie :
Sage Publications.

CITTON Yves (2017), Médiarchies, Paris : Seuil.

CRDP LIMOUSIN (2015), en ligne sur  (1 er avril 2019).

DEAN Claire (2019) “Making Wonder Tales: an Exploration of Material Writing Practice for
Ecological Storymaking”, en ligne sur Lancaster University : 
(3 juillet 2019).

DEAN Claire (2016), « Gathering Scraps », en ligne sur :  (2 juillet 2019).

DEBEAUX Gaëlle (2018, octobre), « Hypotheses.org et la littérature : de l’atelier du chercheur au
carnet de l’essayiste ? », communication présentée à la journée d’étude L’auteur numérique en
question, EHESS, Paris.

DEDIEU Laurence (2014), « Rédiger et publier un data paper dans une revue scientifique, en 5
points », en ligne sur CoopIST :  (1 er avril 2019).

DRULHE Louise (2016), Atlas critique d’Internet, en ligne sur  (3 avril
2019).

EDMOND Charlotte (2017), “This is when a robot is going to take your job, according to Oxford
University”, en ligne sur World Economic Forum :  (27 Mars
2019).

FACEBOOK, Community Standards: Introduction, en ligne sur  (3 avril 2019).

FACEBOOK, Community Standards: Nudity, en ligne sur  (3 avril 2019).

FLUSSER Vilém (1996), Pour une philosophie de la photographie (trad. de l'allemand Jean Mouchard),
Paris : Éditions Circé.

GALLOWAY Alexander (2004), Protocol: How Control Exists After Decentralization, Cambridge : MIT
Press.

GOOGLE SCHOLAR, Inclusion Guidelines for Webmasters, en ligne sur  (27 mars 2019).

ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   12

HAYLES N. Katherine (2015), « Non-conscient cognitif et algorithmes de trading automatisé »,
C. Larsonneur et al. (dir.), Le Sujet digital, Paris : Presses du réel, 27-31.

HUMA-NUM (2015), en ligne sur  (1er avril 2019).

IATIS (2015), Belo Horizonte 2015, en ligne sur  (1er avril 2019).

INSPÉ – UNIVERSITÉ DE STRASBOURG (2018), Comment définir l’identité de la recherche-création dans
l’espace de la recherche et de la formation supérieures ?, en ligne sur  (1 er
avril 2019).

LARSONNEUR Claire (2018), « Video introduction to issue # 7 » en ligne sur Angles. French Perspectives
on the Anglophone World :  (27 mars 2019).

LARSONNEUR Claire et al. [co-dir.] (2015), Le Sujet digital, Paris : Presses du réel.

LE SUJET DIGITAL (2012-2016), en ligne sur  (1 er avril
2019).

LYON David (1994), The Electronic Eye: The Rise of Surveillance Society, Minneapolis : University of
Minnesota Press.

MORIN Violaine (2019), « Avec la réforme du lycée, le temps de cours chamboulé par les sciences
numériques », en ligne sur Le Monde :  (27 mars 2019).

OPEN ACCESS FRANCE (2016), La loi République numérique, en ligne sur  (3 avril 2019).

ORCID (2019), en ligne sur  (3 avril 2019).

PAQUIN Louis-Claude & NOURY Cynthia (2018), « Définir la recherche-création ou cartographier ses
pratiques ? », en ligne sur Acfas :  (1er avril 2019).

THE UNIVERSITY OF CHICAGO (2019), MA in Digital Studies, en ligne sur  (3 avril 2019).

TREHONDART Nolwenn (2018, octobre), « Quand la BD s’écrit sur Instagram : le feuilleton
numérique Été, entre enjeux créatifs et contraintes industrielles », communication présentée à la
journée d’étude L’auteur numérique en question, EHESS, Paris.

VITALI-ROSATI Marcello (2018), On Editorialization, Amsterdam : Institute of Network Cultures.

RÉSUMÉS
La notion « d’humanités numériques » est à la fois extrêmement féconde car ouverte à toutes
sortes de pratiques et de redéfinitions des objets de recherche et en même temps difficile à
manier du fait même de sa généralité et de l’hétérogénéité des situations qu’elle recouvre. L’une
des principales difficultés tient à ce qu’elle ne coïncide pas avec un champ disciplinaire, et donc
tout un ensemble déjà codifié d’objets, de méthodologies et lieux de recherche. À partir de
l’expérience acquise au travers de trois projets de recherche (Le Sujet Digital 2012-2015, l’Auteur

ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   13

numérique 2018-2020 et un dernier sur la traduction neuronale), j’aimerais revenir sur deux
enjeux clefs de la recherche numérique, l’un en amont et l’autre en aval. Le premier tient à la
manière dont on peut cerner un objet de recherche hyper-contemporain et identifier les
ressources pertinentes. L’identification et la définition d’un objet de recherche est en soi
problématique, principalement du fait de l’évolution rapide des pratiques numériques : en moins
de dix ans, la recherche sur les subjectivités numériques a été amenée à passer des pratiques
d’exposition de soi sur les blogs ou au travers d’avatars à celle sur les réseaux sociaux et les
selfies. Outre le problème de la temporalité, la nature « hors sol » des objets ou pratiques en ligne
(web, cloud) crée des effets d’opacité, masquant par exemple l’ancrage d’outils considérés comme
globaux (Facebook, Twitter, Google translate) dans une réalité située, géographiquement,
culturellement et juridiquement anglo-saxonne. Enfin la mise en ligne massive et continue de
contenus opère un bouleversement des lieux de recherche et des institutions associées : en
matière de traduction neuronale, les informations les plus à jour se trouveront non pas au sein
des revues de traductologie établies mais via des réseaux de type Linkedin ou Academia.edu, par
le moteur de recherche Google Scholar, des pages Facebook ou la presse économique spécialisée
comme Slator.
Le second enjeu, en aval, tient à la diffusion et à la reconnaissance des travaux. On observe une
diffraction importante des pratiques d’écriture scientifique, encouragée à la fois par la nature des
médias auxquels recourent les chercheurs (page Facebook, plateforme Hypothèse, capsules vidéo
sur Youtube) et certaines politiques institutionnelles qui encouragent les formats innovants
(notion de recherche-création, catégories dites impact en anglais ou rayonnement en français).
Toutefois cette diffraction et cette créativité ont un revers paradoxal, la faiblesse des
commentaires ou retours de lecture sur des sites encourageant pourtant l’interactivité. À cela
s’ajoute l’enjeu de la reconnaissance par les institutions universitaires de ce type d’écriture. La
production de savoir sur ces nouveaux objets est ainsi directement confrontée aux contraintes de
l’économie de l’attention.

The notion of "digital humanities" is extremely fertile because it is open to all kinds of practices
and redefines research objects; at the same time the scope and inclusiveness of the notion make
it an unwieldy tool. The main catch lies in the fact it does not yet coincide with a disciplinary
field, which would have provided already codified research objects, methodologies and venues.
Based on the experience gained through three research projects (The Digital Subject 2012–2015,
The Digital Author 2018–2020 and the current one on neural translation), I would like to focus on
the first and the last stages of a research project. How to identify a hyper-contemporary research
object and identify relevant resources is the first momentous issue a researcher faces. The pace
of digital innovation is such that identifying and defining one’s research object constitutes a
challenge: in less than ten years, research on digital subjectivities has moved from self-exposure
practices on blogs or through avatars to social network profiling and selfies. Digital opacity is a
second issue: the "floating" nature of online objects or practices (web, cloud), and black box
effects do mask the actual protocols in action or the typically American features of tools that are
presented as global by nature (Facebook, Twitter, Google translate). Finally, the massive and
continuous online availability of content redefines reference building and relevant institutions:
in terms of neural translation, the most up-to-date information will not be found within
established translation journals but via social networks, search engines or specialized business
press.
The digital turn of Humanities also affects the last stage of a research project, be redefining
modes of visibility and institutional valuation. New scientific writing practices have been spurred
on by the nature of the media used by researchers (Facebook page, Hypothesis platform, video
clips on Youtube) and by specific institutional policies that encourage innovative formats (notion
of research-creation, so-called impact categories in English or outreach in French). However,

ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati...   14

academic digital creativity and expanded online exposure paradoxically do not seem to boost
interactivity. And traditional academic institutions may fail to value these forms of writing. The
constraints of attention economy do indeed apply to academia...

INDEX
Keywords : digital humanities, opacity, exposure, institution, temporality, methodology
Mots-clés : humanités numériques, opacité, exposition, institution, temporalité, méthodologie

AUTEUR
CLAIRE LARSONNEUR
Université Paris 8, France

ILCEA, 39 | 2020
Vous pouvez aussi lire