Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles pratiques ? - Calenda.org
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ILCEA Revue de l’Institut des langues et cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie 39 | 2020 Les humanités numériques dans une perspective internationale : opportunités, défis, outils et méthodes Travailler sur des objets numériques hyper- contemporains : de nouvelles pratiques ? Research Issues Raised by Hyper-Contemporary Digital Objects Claire Larsonneur Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ilcea/8740 DOI : 10.4000/ilcea.8740 ISSN : 2101-0609 Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes Édition imprimée ISBN : 978-2-37747-174-4 ISSN : 1639-6073 Référence électronique Claire Larsonneur, « Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles pratiques ? », ILCEA [En ligne], 39 | 2020, mis en ligne le 03 mars 2020, consulté le 12 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/ilcea/8740 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ilcea.8740 Ce document a été généré automatiquement le 12 mars 2020. © ILCEA
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 1 Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles pratiques ? Research Issues Raised by Hyper-Contemporary Digital Objects Claire Larsonneur 1 La réforme 2019 du lycée en France prévoit un nouvel enseignement dédié au numérique en classe de seconde. Or « cette “petite” matière d’une heure trente — suffisamment transversale et peu technique pour être enseignée par tous — invite aux ajustements, fussent-ils un peu baroques. » (Morin, 2019) À savoir que le cours peut être proposé à des enseignants de disciplines très différentes, allant des mathématiques à l’histoire-géographie… Autre point intéressant, le ministère qui avait dans un premier temps baptisé cette discipline nouvelle « d’humanités numériques » a opéré un revirement et préfère désormais le label de Sciences numériques et Technologie. L’article du Monde rédigé par Violaine Morin révèle en filigrane les paradoxes de l’institutionnalisation de la réflexion sur le numérique, entre impératif public et indétermination scientifique. L’ouverture potentielle du cours à des enseignants de multiples disciplines masque mal la prédominance dans les faits de la référence aux mathématiques et d’un repli possible sur les compétences techniques et pratiques à transmettre aux élèves. Deux outils d’évaluation existent d’ailleurs déjà, le B2i et PIX, tous deux centrés précisément sur ces compétences techniques et pratiques dans quatre domaines : information et données, communication et collaboration, création de contenus et sécurité. Cet exemple pédagogique me semble révélateur des paradoxes d’une institution qui reconnaît la place à la fois centrale et ubiquitaire du numérique dans nos sociétés, mais ne peut s’appuyer sur une discipline constituée. On remarquera aussi le tropisme français qui valorise technique et mathématiques, adossé à une tradition de légitimation d’une discipline par l’emploi du vocable « sciences », tradition différente de celle des pays anglo-saxons où le terme Studies, plus ouvert, évite la dichotomie sciences/lettres. Les Digital Studies intègrent ainsi des réflexions philosophiques, sociologiques ou médiologiques autant que techniques ou ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 2 informatiques (University of Chicago, 2019). Toutefois l’inscription de ce cours dans le programme national constitue une étape importante dans la mise en place d’une discipline et on peut considérer que son périmètre fluctuant, tout comme la difficulté de définir les Humanités numériques, n’indiquent pas tant un défaut de légitimité scientifique qu’une temporalité spécifique, à savoir la phase d’exploration et de bricolage par lequel passe un champ scientifique en constitution, phase importante aussi bien en terme de recherche que d’institutionnalisation. En cela j’aimerais revenir à l’analyse de Marcello Vitali-Rosati sur la définition du numérique qu’il lie, par-delà la question de l’ordinateur, à la nécessité de faire évoluer les institutions : One defining characteristic of the digital is that it signifies the necessity of upgrading a large number of institutions in many different realms. These include personal identity management, teaching, research, art, and communication. The digital is not —or at least not only and not primarily— about computers and technologies: it is a term that is often used synonymously with “current”. (2018 : 37) 2 C’est donc sur des deux dimensions d’exploration et d’institutionnalisation, qu’il me semble indispensable d’associer dans les faits, que je voudrais revenir dans le présent article à partir des deux projets de recherche dans lesquels je me suis engagée depuis une petite dizaine d’années. Le premier est un travail sur les subjectivités numériques, mené à partir de 2012 d’abord au sein du projet Labex Arts H2H « Le sujet digital », piloté conjointement avec Arnaud Regnauld et Pierre Cassou-Noguès, puis via la coordination d’un numéro de la revue Angles, « Digital Subjectivities », publié en 2018, et qui se poursuit au travers d’un nouveau projet sur l’auteur numérique (2018-2020). « Le Sujet Digital » partait d’une question apparemment simple : comment nos subjectivités, la construction et l’identification de soi, sont-elles affectées par le numérique ? Il s’est articulé autour de quatre moments théoriques (correspondant chacun à un colloque international de 3 jours) : Hypermnésie, In-scription, Temporalités, Codes et a essaimé en une série de journées d’étude plus ciblées sur les questions du trans-humain, du post-humain et des corps techniques. Le résultat des appels à communications, parce que nous avions décidé de diffuser via le plus de listes possibles, a fait émerger une fructueuse interdisciplinarité entre contributions relevant de la philosophie, des media studies et des arts (littérature, arts décoratifs, web art, performances). Le second projet, plus récent, est focalisé sur la traduction neuronale et l’application des technologies d’intelligence artificielle au domaine des langues. Ces deux projets ont en commun la question de la mobilisation des outils numériques, des pratiques associées et plus largement d’une réflexion sur le cyborg, le post-humain et l’intelligence artificielle. Et ils ont été l’occasion d’expérimenter à quel point l’internet (et plus largement le numérique) ont modifié notre rapport au savoir (Vitali-Rosati, 2018 : 14), en modifiant l’écosystème des relations entre les acteurs, les canaux et les objets de la recherche. Temporalités 3 Comme le Sujet Digital a été conçu dès le début pour être un projet international, mené étroitement avec des partenaires canadiens et britanniques puis assez rapidement également avec des Coréens, une première difficulté conceptuelle a surgi, la notion de mind différant de celle d’esprit et les rapports entre l’esprit et le corps ne prenant pas les mêmes formes dans les différentes cultures. Mais ce fut là aussi l’une des richesses du projet. En revanche, au fil des ans, nous avons été confrontés à un deuxième ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 3 problème plus complexe à gérer : une évolution rapide des outils et des pratiques numériques. À la fin des années 2000 les pratiques d’exposition de soi en ligne reposaient principalement sur la création de blogs ou au travers d’avatars au sein d’univers virtuels comme Second Life (lancé en 2003). Or, la commercialisation de téléphones de plus en plus sophistiqués à partir du milieu des années 2000 a suscité la vogue des selfies, elle-même encouragée par le développement concomitant des réseaux sociaux. L’IPhone a été lancé en 2007 ; Facebook a été créé en 2004, Twitter en 2006, WhatsApp en 2009, Instagram en 2010. La principale difficulté, lorsqu’on cherche à cerner un objet de recherche numérique, tient au flux continu d’innovation et d’obsolescence des outils et des pratiques associées : les profils sur les réseaux sociaux ont ainsi désormais plus de visibilité que les blogs ou les avatars et les questions d’intelligence artificielle ont supplanté celles liées à la robotisation. Par exemple, alors que le modèle de la traduction assistée par ordinateur s’était consolidé depuis les années 1980, l’irruption fin 2016 dans le domaine grand public de la traduction neuronale, basée sur des technologies d’intelligence artificielle, risque de modifier profondément le métier en quelques années et les experts prédisent que la traduction neuronale sera de qualité équivalente ou supérieure aux traductions humaines en 2024, soit dans moins de 10 ans (Edmond, 2017). Outre la cadence de l’innovation technique, nombre d’outils numériques fonctionnent à des échelles temporelles inaccessibles aux humains, bien décrites par Yves Citton : Les médias électroniques se caractérisent par des échelles micro-temporelles qui se situent en dessous des seuils perceptifs de la sensorialité humaine, par des possibilités inédites de manipulation de l’axe temporel rendant de plus en plus critiques les mécanismes de synchronisation, par l’imposition de régimes d’obsolescence qui rendent rapidement inaccessibles les contenus qui ne sont pas régulièrement (et coûteusement) mis à jour. (Citton, 2017 : 280) 4 À titre d’exemple citons le trading à haute fréquence analysé par N. Katherine Hayles (2015 : 27-31) ou plus simplement le caractère instantané des traductions automatiques quand il faut plusieurs heures à un traducteur expérimenté pour traduire un texte d’une page. 5 Pour cerner un objet de recherche hypercontemporain, il est bien possible qu’il faille faire son deuil de l’investigation au long cours sur des objets stables et adopter d’autres approches. Un projet de recherche collectif comme le Sujet Digital, et le fait de monter des colloques internationaux, permet de croiser des approches plurielles, voire très contrastées : nous avons ainsi pu travailler sur la différence de conception entre les robots et les cyborgs occidentaux, le plus souvent conçus sur un modèle guerrier, et les robots dans la tradition coréenne, plutôt modelés sur la figure de Bouddha et son rôle de pacificateur des relations. Mais ce n’est possible que pour des projets d’une certaine ampleur, bien financés et conçus sur une certaine durée. Pour un chercheur individuel, le premier réflexe est de conduire une veille permanente sur les évolutions des outils et des pratiques. Et cette veille passe en premier lieu par la presse spécialisée, dans mon cas notamment le journal Slator sur le secteur de la traduction : on ne peut recourir en première intention aux articles universitaires car ils ont forcément un temps de retard parfois assez long sur l’actualité. Il faut donc infléchir ses réflexes de chercheur. Mais dans un deuxième temps et pour effectuer une recherche plus approfondie, il faut tenter de réduire cet afflux d’informations pour en extraire un corpus ou un objet de recherche. On peut ainsi suivre les phases du cycle d’innovation sur un objet donné, comme s’intéresser aux affordances d’Instagram, ou bien privilégier des coupes ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 4 instantanées, tenter de dresser un état des lieux des objets ou des pratiques à l’instant t. C’est ainsi que j’ai en février 2018 dressé un inventaire des 50 articles présentés comme les plus pertinents sur Google Scholar dans la liste des résultats pour la requête « neural machine translation » limitée à l’année 2017. Bien évidemment le moteur n’a fait remonter que les articles publiés en anglais, et le corpus de 50 articles n’est qu’un échantillon du total d’environ 2 800 articles recensés par Google Scholar. Enfin ce dernier ne référence pas tous les articles de recherche existants. Cela dit et malgré ces limites, un tel travail d’inventaire permet d’évaluer la géographie de la recherche en traduction neuronale, sa sociologie institutionnelle et les objets de recherche les plus prisés sur cette année clef. Réitérer la démarche en 2020 permettra de dresser un comparatif. Globalités 6 Un autre point pose problème et constitue un angle mort de la recherche. Contrairement aux concepts philosophiques traditionnels forgés dans des traditions culturelles et linguistiques spécifiques, comme l’a magistralement démontré Barbara Cassin (2004), ces nouveaux outils ou pratiques ont souvent en commun d’être conçus pour avoir une portée globale, à savoir être diffusés massivement et quasi- simultanément dans le monde entier et y susciter des pratiques elles aussi globales. Or les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, les outils gratuits comme Google translate, se présentent certes comme globaux mais sont ancrés dans une réalité située, géographiquement, culturellement et juridiquement américaine. Ils ont par exemple une visée hégémonique : le profil Facebook peut ainsi servir de clef d’accès à la plupart des services que nous utilisons quotidiennement, remplaçant les logins et les mots de passe dédiés. Citons aussi la présentation officielle de Google, révélatrice de ce désir d’hégémonie : « Our mission has always been to organize the world's information and make it universally accessible and useful. » Autre exemple, les GAFAM sont ancrées dans un modèle économique d’exploitation des données privées adossé à une culture anglo- saxonne de la surveillance généralisée. Évidemment la surveillance de la population n’est pas l’apanage des sociétés anglo-saxonnes, la Chine et les régimes totalitaires le pratiquent également. La question est plutôt de savoir si les outils et les pratiques développées dans les pays anglo-saxons selon leurs modalités culturelles spécifiques deviennent globaux. La culture anglo-saxonne de la surveillance pré-date le numérique comme en témoignent les programmes de neighbourhood watch ou tout simplement les œuvres d’Orwell en 1949 (1984) ou de Georges Lucas en 1971 (THX 1138). Le numérique a permis l’omniprésence des caméras dans les espaces publics ou encore des pratiques de surveillance en ligne par le NSA révélées par Edouard Snowden. David Lyon a montré dans The Electronic Eye combien la surveillance numérique était ancrée dès les années 1980-1990 dans un petit nombre de pays : USA, Canada, Australie, Grande- Bretagne et Allemagne (Lyon, 1994 : 12). L’apparition de nouvelles techniques, comme la reconnaissance faciale sur laquelle Google, Facebook et la NSA investissent massivement, la vogue des smartphones qui ouvre la voie à une géolocalisation permanente des personnes et surtout la possibilité de traiter des masses gigantesques de données ont permis à la surveillance de s’automatiser et de se généraliser. Dernier exemple : la façon dont les contenus sont modérés est également profondément ancrée dans la culture américaine, notamment la notion de communauté. Bien que Facebook dispose des moyens techniques d’identifier automatiquement des expressions ou des ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 5 images problématiques, tout leur système de gestion des billets repose sur le signalement de contenus problématiques par les utilisateurs, décalant ainsi la responsabilité à la communauté, notion clef de la culture américaine (Christensen et al., 2003). En mettant en exergue la notion de voice dans ses conditions d’utilisation, Facebook (2019) justifie le non-retrait de contenus problématiques par la référence oblique à la liberté d’expression stipulée dans le premier amendement à la constitution américaine : « at times we will allow content that might otherwise breach our standards if we feel that it is newsworthy, significant or important to the public interest. » D’autres catégories sont plus anecdotiques mais néanmoins révélatrices d’un fort ancrage culturel comme la fixation sur l’interdiction de représenter les mamelons féminins, sauf en cas de manifestation politique, d’allaitement ou de mastectomie : « while we restrict some images of female breasts that include the nipple, we allow other images, including those depicting acts of protest, women actively engaged in breastfeeding and photos of post-mastectomy scarring. » S’il est relativement facile d’identifier l’américanité de ces outils lorsqu’on connaît un peu cette culture, il est bien plus difficile d’évaluer l’influence que ces modèles ont sur les utilisateurs d’autres cultures et l’étendue des comportements globalisés qu’ils induisent. Notamment parce que la littérature scientifique sur ces questions est principalement publiée en anglais, citant des ouvrages en anglais et perpétuant ainsi une forme de bulle scientifique : la bibliographie de The Electronic Eye est ainsi quasiment exclusivement anglo-saxonne. Opacités 7 Troisième difficulté lorsque l’on souhaitait cerner un objet de recherche numérique : les effets d’opacité créé par la nature « hors sol » des objets ou des pratiques en ligne, publiés sur le web ou hébergés dans le cloud, certes accessibles depuis n’importe quel point du globe mais dont il est rare que l’on connaisse le fonctionnement interne et l’ancrage réel. Yves Citton (2017 : 281) consacre tout un développement aux « multiples couches de verrouillage et d’opacité (plus ou moins intentionnelle) qui nous rendent aveugles à ce que (nous) font les appareils dont nous devons nous servir sans être en mesure de comprendre en quoi ni à quoi ils nous asservissent », faisant écho aux réflexions de Vilém Flusser (1996) et d’Alexander Galloway (2004) sur les boîtes noires et les courts-circuits numériques. Ainsi lorsque Nolwenn Tréhondart (2018) étudie les conditions d’écriture et de traduction vers l’anglais du feuilleton BD numérique Été, dont les deux saisons ont été publiées sur Instagram en 2017 et 2018 sous forme d’albums quotidiens d’une dizaine de cases, elle se heurte, tout comme les concepteurs de la série, à la difficulté à accéder aux paramètres des affordances et à leur éventuelle modification par la plateforme. Autrement dit, la fabrique du cadre dans lequel s’insère la création, le pourquoi et le comment du paratexte sont non seulement opacifiés pour le lecteur mais aussi hors de portée des créateurs. Dans ce cas précis, la modification de la présentation en timeline selon ce que l’algorithme juge intéressant de diffuser les a conduits à abandonner le principe de diffusion case par case. Certaines contraintes sont connues comme l’interdiction de contenus sexuellement explicites, délibérément contournée par l’équipe créatrice qui a inséré dans plusieurs cases des animations érotiques, fonctionnant comme des gifs très fugaces d’une durée d’exposition bien inférieure à la seconde (voir par exemple le dernier album de la saison 2018, intitulé « Une belle fin »). Les dialogues en français n’ont pas été censurés, probablement parce que trop allusifs et littéraires pour les robots qui monitorent les billets, mais le seraient ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 6 certainement en cas de traduction trop explicite vers l’anglais. Autre exemple, les interfaces des outils gratuits de traduction neuronale comme DeepL ou Google Translate sont conçues pour mettre en regard le texte source et une seule version du texte cible. Il n’est pas indiqué sur l’interface que pour accéder à des propositions alternatives ou une plus grande variété lexicale, il faut cliquer sur le texte cible. Le dispositif spatial sur l’écran, si on l’analyse en termes de délimitation, de position et de distance (Vitali-Rosati, 2018 : 31) accrédite l’idée fallacieuse qu’il y aurait une seule traduction possible et que celle-ci, parce qu’elle est instantanée, n’a pas pu poser problème et donner lieu à délibération : il est adossé à une conception utilitaire du langage comme simple véhicule de messages, conception dans laquelle la diversité des langues est un problème technique à résoudre, et non matière à penser. L’un des enjeux clefs — il me semble — de la recherche sur les humanités numériques consiste à ouvrir ces boîtes noires, à étudier la construction de ces outils et leurs rouages, comme nous y invite Citton (2017 : 193) et les tenants de l’archéologie des médias. Il s’agit d’une tâche particulièrement difficile car les effets d’opacité sont voulus par les concepteurs : il faut d’abord pouvoir identifier ces derniers puis tenter de les interviewer ou encore être à l’affût des déclarations d’anciens employés là encore dans la presse. Idéalement il faudrait pouvoir lire le code et/ou dialoguer avec les ingénieurs. Pour la traduction neuronale, le recours aux abstracts des articles scientifiques permet déjà de se faire une idée des enjeux. Une telle démarche implique de décentrer le regard : alors que j’avais été formée à l’analyse littéraire et donc l’étude des formes et de leurs effets, il me faut désormais s’intéresser aux rouages des outils et à leur insertion dans un éco-système marchand. Cela implique d’explorer les champs de l’ingénierie, de la sociologie et de l’économie, sans qu’il soit cependant question de changer d’affiliation. Il me semble que précisément ce décentrement du regard et la convocation d’une pluralité de lectures est la spécificité des humanités numériques, par opposition aux champs scientifiques spécialisés sur un objet ou un process. Autrement dit, les humanités numériques ne valent pas tant parce qu’elles travaillent un objet numérique, mettons les réseaux sociaux, que par la prise de recul et la pluralité des approches. Références 8 Enfin quatrième difficulté, la constitution du corpus secondaire. La mise en ligne massive et continue de contenus concerne aussi bien sûr la production universitaire et correspond à la rencontre entre des outils de publication désormais simples à utiliser, comme Wordpress, des enjeux économiques qui conduisent les revues à opter pour des formats numériques plutôt que papier, et des impératifs institutionnels comme l’incitation à déposer les publications des chercheurs sur Hal depuis la loi République numérique de 2016. À cela s’ajoute la multiplication des blogs de chercheurs, la mise en ligne de captations vidéo des conférences et présentations, ou encore la publication de contenus de recherche générés par des entreprises ou des journaux à but lucratifs. Tout ceci opère un bouleversement des lieux de recherche et des institutions associées : en matière de traduction neuronale, les informations les plus à jour se trouveront non pas au sein des revues établies de traductologie comme Meta, Traduire ou Palimpseste mais via des réseaux sociaux comme Academia.edu, le moteur de recherche Google Scholar, ou la presse économique spécialisée comme Slator. À titre d’exemple une rapide recherche bibliographique menée le 27 mars 2019 fait remonter 5 résultats en français dans Meta pour la requête « traduction neuronale » et 9 en anglais pour la requête ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 7 « neural machine translation ». Si on cherche dans Palimpseste, les mêmes requêtes exactes ne donnent aucun résultat, ce qui peut être lié au paramétrage du moteur de recherche interne (401 résultats en français et 327 en anglais pour des requêtes de type traduction neuronale sans guillemets mais cela inclut tous les documents comprenant le terme traduction). La requête exacte pour « neural machine translation » donne le même jour 12 000 résultats sur Google Scholar (à comparer avec un total de 2 800 en février 2018) et 23 résultats en français. Dans Slator la requête en anglais livre 281 résultats, au rythme d’un ou plusieurs articles chaque semaine ; ils ont également publié tout début 2019 un état de lieux de la NMT sous forme d’un rapport de 32 pages au prix de 85 dollars. Sur Academia.edu, la requête fait remonter 2 474 résultats dont 315 articles en texte intégral. Il y a là un bouleversement de l’intermédiation scientifique, une évolution indéniable de l’écosystème de la recherche qui fait la part belle aux réseaux sociaux et aux moteurs de recherche. Au même moment on peut considérer que la profusion de ressources rend la tâche du chercheur proprement sisyphéenne, car il est devenu impossible de viser l’exhaustivité. En terme de méthodologie de la recherche, et en attendant que les chercheurs puissent avoir accès à des algorithmes d’I.A. susceptibles de trier cette manne, il m’a semblé que la seule manière de gérer la collecte consistait à organiser ma veille d’information sur la base d’une stratégie push (CRDP Limousin, 2015) par abonnement à des listes de diffusion, à des lettres d’information, ainsi qu’aux pages Facebook professionnelles des institutions qui m’intéressent, comme IATIS, Asymptote, Humanistica ou encore le Centre Culturel de Cerisy. Autre stratégie de recherche, la technique du rebond qui consiste à privilégier les bibliographies déjà existantes d’une poignée d’articles identifiés comme étant de qualité. Enfin et paradoxalement en ce temps du tout numérique, la rencontre in real life d’autres chercheurs lors de conférences et de congrès, notamment internationaux, me semble essentielle pour se constituer un réseau plus gérable (moins d’une cinquantaine) de personnes à suivre. Ces conférences internationales permettent également de découvrir des objets et des pratiques de recherche encore peu développés en France, comme l’analyse des mouvements des yeux des traducteurs pratiquée au Danemark et en Irlande (IATIS, 2015), ou de repérer des foyers de recherche dynamique, comme la Pologne ou le Canada, très investis dans les écritures numériques (Sujet Digital, 2012-2016). Présence en ligne 9 Cette question de la recherche documentaire ouvre directement sur son pendant, celui de la diffusion et de la reconnaissance des travaux du chercheur. Le premier constat est celui du caractère chronophage, car multicanaux, de la présence en ligne d’un chercheur : outre la page web personnelle généralement hébergée par le site du laboratoire de recherche, il faut aussi compter avec la diffusion via des réseaux sociaux généralistes (comme la page Facebook du Sujet Digital ou Linkedin), des réseaux sociaux universitaires tels que Academia.edu ou ResearchGate, des sites ou des pages web dédiés à des projets de recherche, ainsi que les plateformes de mises à disposition en libre accès comme HAL. Soit sept vecteurs de présence en ligne, à alimenter en continu. Bien sûr cet investissement est volontaire mais on peut remarquer que la structure même des formulaires d’annonce d’événements sur Figura ou Calenda incite à créer des pages web dédiées aux événements ; autre exemple, pour remplir les rubriques de métadonnées, certaines revues en ligne réclament désormais que le ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 8 chercheur fournisse son identifiant numérique unique ORCID qui est l’équivalent pour un chercheur du DOI pour un article ou de l’IP pour un ordinateur : encore une démarche à faire. Enfin pour être référencé sur Google Scholar il faut que les revues où l’on publie soient formatées et hébergées de telle manière que les robots puissent les indexer ou que le chercheur mette ses articles en ligne sous format pdf sur sa page institutionnelle. Les instructions sont précises : Make sure that: the full text of your paper is in a PDF file that ends with ".pdf", the title of the paper appears in a large font on top of the first page, the authors of the paper are listed right below the title on a separate line, and there's a bibliography section titled, e.g., "References" or "Bibliography" at the end. (Google 2019) 10 Autrement dit, l’éco-système de la recherche produit toute une arborescence de vecteurs de présence en ligne prescriptifs pour les chercheurs, qui oeuvrent à standardiser et normaliser les expressions scientifiques dans un univers de publication calibré pour les moteurs de recherche. Ils produisent aussi des statistiques de fréquentation des pages web d’un chercheur, de nombre de followers sur les réseaux sociaux professionnels ou de téléchargement d’articles qui contribuent à la mathématisation de l’évaluation de son activité. Enfin et bien qu’un certain nombre d’outils de diffusion permettent les commentaires et les échanges, il n’y a dans mon expérience paradoxalement quasiment jamais de feedback en ligne des lecteurs, constatation partagée par Gaëlle Debeaux (2019). Nouvelles pratiques d’écriture scientifique 11 Par-delà ces contraintes, le point qu’il me semble peut-être le plus intéressant à développer est l’apparition de nouvelles pratiques d’écriture scientifique, extrêmement diverses et parfois méconnues. Par exemple la politique éditoriale de la revue Angles stipule que l’introduction d’un numéro de la revue doit se présenter sous forme de vidéo et qu’un interlude graphique anime le corps de la revue. Cet impératif non seulement m’a permis d’explorer des fonctionnalités méconnues du Powerpoint et de l’IPhone, mais il m’a aussi conduit à chercher un angle différent d’approche des subjectivités numériques et donc tenter une expérience de dialogue avec Siri, elle- même révélatrice du travail humain de scriptage des énoncés automatiques. Autre exemple, la création de carnets de recherche sur la plateforme Hypothèse, étudiée par Gaëlle Debeaux (2019). Elle démontre la pluralité des références génériques, le carnet de recherches se positionnant entre le blog, du fait de la publication régulière de billets, le journal de bord, là il se fait écho des questionnements du chercheur, ou l’essai, libéré des contraintes techniques de la publication académique comme les notes de bas de pages ou la section bibliographie. Gaëlle Debeaux relève aussi que cette nouvelle forme d’écriture universitaire s’inscrit plutôt dans une culture conversationnelle que pédagogique, et que certains billets viennent enrichir des articles publiés dans le circuit traditionnel en y ajoutant divers contenus. Enfin comme ces carnets se voient affectés un DOI, là encore c’est la structure administrative de la plateforme qui crée la « publicabilité » de l’article (si l’on accepte le néologisme) lequel pourra dès lors être référencé dans HAL, etc. 12 Ceci conforte la thèse de la définition du numérique comme puissance de changement, phénomène que l’on retrouve également à un niveau collectif. Là encore on observe la ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 9 généralisation d’impératifs institutionnels, comme l’incitation à publier les données brutes ou les états intermédiaires de la recherche. La plateforme HAL a ainsi ouvert en 2010 une sous-section Médi-Hal pour les données visuelles et sonores ; citons aussi l’infrastructure européenne Huma-num qui offre des services en matière de stockage, de traitement, d'exposition, de signalement, de diffusion et de conservation sur le long terme des données numériques de la recherche en sciences humaines et sociales. Tout ce mouvement est ancré dans une volonté de développer l’accès libre à la recherche, dans le sillage des appels de Budapest (2002) et Berlin (2003) et de la loi République numérique en France. Là encore cela conduit à de nouvelles formes d’écriture comme le « data paper » qui est centré sur la description d’un jeu de données brut à l’aide de métadonnées, circonstances et méthodes de collecte, analyses statistiques et techniques (Dedieu, 2014). Recherche-création 13 Dernier point, l’essor de ce qu’on appelle en anglais practice-led research ou recherche- création en français. Elle part d’un double postulat, à savoir que la création est une forme de recherche et que la création peut conduire à dégager des pistes et formuler des hypothèses inédites en recherche. La practice-led research est plus établie et relativement codifiée dans les pays anglo-saxons, produisant déjà des thèses structurées en deux temps, l’un créatif et l’autre réflexif. Par exemple le PhD de Claire Dean soutenu en 2019 à l’université de Lancaster, intitulé « Making Wonder Tales: an Exploration of Material Writing Practice for Ecological Storymaking », inclut les œuvres originales de Dean, écrivain reconnue qui outre les nouvelles plus classiques publiées sous forme de recueil, a développé des supports innovants pour ses histoires, comme une carte-récit qui enclenche la narration au fil de la topographie dans un parcours de marche (Persephone’s Steps). Le deuxième temps de sa démarche consiste à réfléchir sur les outils qu’elle utilise (notamment les processeurs Arduino) et les interactions entre le sujet d’une histoire, son contenu, la forme et le média employés. Il n’est pas anodin que cette thèse de creative writing ait été financée par l’Engineering and Physical Sciences Research Council britannique, montrant l’interpénétration des pratiques littéraires et scientifiques dans ce cas. Dans le cadre des études anglophones, on peut trouver des thèses de ce type en traduction, en littérature ou en arts, mais ce champ est ouvert aussi en design industriel par exemple et se prêterait bien à la didactique ou à la valorisation de la recherche. En revanche l’objet et les modes de fonctionnement de la recherche-création sont encore amplement débattus dans le contexte francophone, comme en témoigne l’article des canadiens Louis-Claude Paquin et Cynthia Noury (2018). Ces derniers relèvent notamment que : Les programmes d’aide financière destinés à la recherche académique du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC) comportent un volet recherche-création, mais contrairement au financement de la recherche pour la création, ces programmes ne s’accordent pas sur leur conception de la recherche-création. 14 En France les thèses au format création/réflexion sont encore très rares, et l’institutionnalisation de la recherche-création à ses débuts. On peut voir dans le lancement d’ArTeC à l’automne 2018 un premier moment de cette reconnaissance institutionnelle, au travers des trois axes privilégiés : la création comme activité de recherche, les nouveaux modes d’écritures et de publications, les technologies et les ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 10 médiations humaines. Un autre exemple serait la tenue du colloque « Comment définir la recherche-création dans l’espace de la recherche et de la formation supérieures ? », les 8 et 9 février 2018 à Strasbourg. L’impératif qui nous a été fait de produire de la recherche-création au sein du projet le Sujet Digital nous a conduit à développer un partenariat avec l’ENSAD et à exporter une partie des conférences dans des lieux non universitaires comme l’Usine Utopik, centre régional de création contemporaine en Basse Normandie pour le colloque « Posthumains et Subjectivités numériques » de juin 2016. La fréquentation des artistes et des chercheurs a effectivement permis de renouveler le regard sur certaines abstractions, conduisant à intégrer une plus grande dimension visuelle dans les produits de la recherche : je songe notamment à la cartographie des concepts du colloque de Cerisy dressée par Lucile Haute et Alban Lebeau-Vallier qui sera publiée dans l’ouvrage du même nom aux Presses Universitaires de Rennes, ou au travail de cartographie d’Internet de Louise Drulhe (2016). 15 Choisir de travailler sur les humanités numériques aujourd’hui est passionnant car cela nous oblige à ouvrir notre regard sur d’autres disciplines, questionner nos pratiques et inventer de nouvelles formes d’expression et de diffusion. Dans la mesure où ce champ est encore émergent en France, il ouvre des pistes professionnelles dont l’intérêt surclasse nettement les inconvénients mentionnés ci-dessus, d’autant plus qu’il est probable que le manque de reconnaissance actuel par les institutions fera bientôt place à une valorisation des mêmes travaux. Pour conclure, je voudrais revenir au travail sur l’éditorialisation que mène Vitali-Rosati et sa définition de l’espace comme un ensemble de relations dynamiques entre des objets. Il me semble que cette approche est particulièrement utile pour réfléchir à ce que sont les humanités numériques : elle nous invite à préférer cartographier des pratiques plutôt que de poser des catégories et des définitions. Son travail le conduit à repenser la notion d’autorité, qu’il envisage là encore non pas comme le résultat d’une organisation hiérarchique mais comme une instance collective qui produit de la confiance plutôt que de la vérité (Vitali-Rosati, 2018 : 8). Si l’on suit cette logique, il semble important que les chercheurs en humanités numériques privilégient le questionnement sur la construction de catégories et des outils de la recherche. C’est tout l’objet du précieux séminaire « Épistémologie et pratiques des humanités numériques » qui est piloté depuis 2015 par Claire Bourhis- Mariotti (Paris 8), Lauric Henneton (UVSQ) et Suzanne Dumouchel (programme OPERAS). L’investigation que mènent les chercheurs sur les modes numériques de travail n’a pas qu’une portée universitaire, c’est une pierre importante de notre édifice social à un moment clef pour nos sociétés dont Yves Citton a montré combien elles étaient de plus en plus contraintes par les phénomènes de captation de l’attention, de synchronisation des comportements et de contrôle par la technologie. Les enjeux ne sont pas anodins : le développement de la reconnaissance faciale couplé à un système de notation social est déjà en place en Chine, déterminant ce à quoi les citoyens ont accès en fonction de leur bon ou mauvais comportement. Autre exemple et point sur lequel je travaille en ce moment tout particulièrement : on peut légitimement s’inquiéter de la captation par un tout petit nombre d’acteurs très puissants (les GAFAM et leurs équivalents asiatiques) des techniques de traitement des langues naturelles, principalement l’étiquetage des contenus que nous postons et la traduction automatique, qui sont intégrées dans la plupart de nos interfaces quotidiennes. Les humanités numériques, et tout particulièrement les linguistes et les littéraires, ont un rôle à jouer dans la société pour contrer la tentation de repli sur le code, l’algorithme et ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 11 les affordances, et préserver à la fois la diversité des langues et la pluralité des interprétations. BIBLIOGRAPHIE CASSIN Barbara (2004), Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles, Paris : Seuil. CHRISTENSEN Karen & LEVINSON David (2003), Encyclopedia of Community, Thousand Oaks, Californie : Sage Publications. CITTON Yves (2017), Médiarchies, Paris : Seuil. CRDP LIMOUSIN (2015), en ligne sur (1 er avril 2019). DEAN Claire (2019) “Making Wonder Tales: an Exploration of Material Writing Practice for Ecological Storymaking”, en ligne sur Lancaster University : (3 juillet 2019). DEAN Claire (2016), « Gathering Scraps », en ligne sur : (2 juillet 2019). DEBEAUX Gaëlle (2018, octobre), « Hypotheses.org et la littérature : de l’atelier du chercheur au carnet de l’essayiste ? », communication présentée à la journée d’étude L’auteur numérique en question, EHESS, Paris. DEDIEU Laurence (2014), « Rédiger et publier un data paper dans une revue scientifique, en 5 points », en ligne sur CoopIST : (1 er avril 2019). DRULHE Louise (2016), Atlas critique d’Internet, en ligne sur (3 avril 2019). EDMOND Charlotte (2017), “This is when a robot is going to take your job, according to Oxford University”, en ligne sur World Economic Forum : (27 Mars 2019). FACEBOOK, Community Standards: Introduction, en ligne sur (3 avril 2019). FACEBOOK, Community Standards: Nudity, en ligne sur (3 avril 2019). FLUSSER Vilém (1996), Pour une philosophie de la photographie (trad. de l'allemand Jean Mouchard), Paris : Éditions Circé. GALLOWAY Alexander (2004), Protocol: How Control Exists After Decentralization, Cambridge : MIT Press. GOOGLE SCHOLAR, Inclusion Guidelines for Webmasters, en ligne sur (27 mars 2019). ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 12 HAYLES N. Katherine (2015), « Non-conscient cognitif et algorithmes de trading automatisé », C. Larsonneur et al. (dir.), Le Sujet digital, Paris : Presses du réel, 27-31. HUMA-NUM (2015), en ligne sur (1er avril 2019). IATIS (2015), Belo Horizonte 2015, en ligne sur (1er avril 2019). INSPÉ – UNIVERSITÉ DE STRASBOURG (2018), Comment définir l’identité de la recherche-création dans l’espace de la recherche et de la formation supérieures ?, en ligne sur (1 er avril 2019). LARSONNEUR Claire (2018), « Video introduction to issue # 7 » en ligne sur Angles. French Perspectives on the Anglophone World : (27 mars 2019). LARSONNEUR Claire et al. [co-dir.] (2015), Le Sujet digital, Paris : Presses du réel. LE SUJET DIGITAL (2012-2016), en ligne sur (1 er avril 2019). LYON David (1994), The Electronic Eye: The Rise of Surveillance Society, Minneapolis : University of Minnesota Press. MORIN Violaine (2019), « Avec la réforme du lycée, le temps de cours chamboulé par les sciences numériques », en ligne sur Le Monde : (27 mars 2019). OPEN ACCESS FRANCE (2016), La loi République numérique, en ligne sur (3 avril 2019). ORCID (2019), en ligne sur (3 avril 2019). PAQUIN Louis-Claude & NOURY Cynthia (2018), « Définir la recherche-création ou cartographier ses pratiques ? », en ligne sur Acfas : (1er avril 2019). THE UNIVERSITY OF CHICAGO (2019), MA in Digital Studies, en ligne sur (3 avril 2019). TREHONDART Nolwenn (2018, octobre), « Quand la BD s’écrit sur Instagram : le feuilleton numérique Été, entre enjeux créatifs et contraintes industrielles », communication présentée à la journée d’étude L’auteur numérique en question, EHESS, Paris. VITALI-ROSATI Marcello (2018), On Editorialization, Amsterdam : Institute of Network Cultures. RÉSUMÉS La notion « d’humanités numériques » est à la fois extrêmement féconde car ouverte à toutes sortes de pratiques et de redéfinitions des objets de recherche et en même temps difficile à manier du fait même de sa généralité et de l’hétérogénéité des situations qu’elle recouvre. L’une des principales difficultés tient à ce qu’elle ne coïncide pas avec un champ disciplinaire, et donc tout un ensemble déjà codifié d’objets, de méthodologies et lieux de recherche. À partir de l’expérience acquise au travers de trois projets de recherche (Le Sujet Digital 2012-2015, l’Auteur ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 13 numérique 2018-2020 et un dernier sur la traduction neuronale), j’aimerais revenir sur deux enjeux clefs de la recherche numérique, l’un en amont et l’autre en aval. Le premier tient à la manière dont on peut cerner un objet de recherche hyper-contemporain et identifier les ressources pertinentes. L’identification et la définition d’un objet de recherche est en soi problématique, principalement du fait de l’évolution rapide des pratiques numériques : en moins de dix ans, la recherche sur les subjectivités numériques a été amenée à passer des pratiques d’exposition de soi sur les blogs ou au travers d’avatars à celle sur les réseaux sociaux et les selfies. Outre le problème de la temporalité, la nature « hors sol » des objets ou pratiques en ligne (web, cloud) crée des effets d’opacité, masquant par exemple l’ancrage d’outils considérés comme globaux (Facebook, Twitter, Google translate) dans une réalité située, géographiquement, culturellement et juridiquement anglo-saxonne. Enfin la mise en ligne massive et continue de contenus opère un bouleversement des lieux de recherche et des institutions associées : en matière de traduction neuronale, les informations les plus à jour se trouveront non pas au sein des revues de traductologie établies mais via des réseaux de type Linkedin ou Academia.edu, par le moteur de recherche Google Scholar, des pages Facebook ou la presse économique spécialisée comme Slator. Le second enjeu, en aval, tient à la diffusion et à la reconnaissance des travaux. On observe une diffraction importante des pratiques d’écriture scientifique, encouragée à la fois par la nature des médias auxquels recourent les chercheurs (page Facebook, plateforme Hypothèse, capsules vidéo sur Youtube) et certaines politiques institutionnelles qui encouragent les formats innovants (notion de recherche-création, catégories dites impact en anglais ou rayonnement en français). Toutefois cette diffraction et cette créativité ont un revers paradoxal, la faiblesse des commentaires ou retours de lecture sur des sites encourageant pourtant l’interactivité. À cela s’ajoute l’enjeu de la reconnaissance par les institutions universitaires de ce type d’écriture. La production de savoir sur ces nouveaux objets est ainsi directement confrontée aux contraintes de l’économie de l’attention. The notion of "digital humanities" is extremely fertile because it is open to all kinds of practices and redefines research objects; at the same time the scope and inclusiveness of the notion make it an unwieldy tool. The main catch lies in the fact it does not yet coincide with a disciplinary field, which would have provided already codified research objects, methodologies and venues. Based on the experience gained through three research projects (The Digital Subject 2012–2015, The Digital Author 2018–2020 and the current one on neural translation), I would like to focus on the first and the last stages of a research project. How to identify a hyper-contemporary research object and identify relevant resources is the first momentous issue a researcher faces. The pace of digital innovation is such that identifying and defining one’s research object constitutes a challenge: in less than ten years, research on digital subjectivities has moved from self-exposure practices on blogs or through avatars to social network profiling and selfies. Digital opacity is a second issue: the "floating" nature of online objects or practices (web, cloud), and black box effects do mask the actual protocols in action or the typically American features of tools that are presented as global by nature (Facebook, Twitter, Google translate). Finally, the massive and continuous online availability of content redefines reference building and relevant institutions: in terms of neural translation, the most up-to-date information will not be found within established translation journals but via social networks, search engines or specialized business press. The digital turn of Humanities also affects the last stage of a research project, be redefining modes of visibility and institutional valuation. New scientific writing practices have been spurred on by the nature of the media used by researchers (Facebook page, Hypothesis platform, video clips on Youtube) and by specific institutional policies that encourage innovative formats (notion of research-creation, so-called impact categories in English or outreach in French). However, ILCEA, 39 | 2020
Travailler sur des objets numériques hyper-contemporains : de nouvelles prati... 14 academic digital creativity and expanded online exposure paradoxically do not seem to boost interactivity. And traditional academic institutions may fail to value these forms of writing. The constraints of attention economy do indeed apply to academia... INDEX Keywords : digital humanities, opacity, exposure, institution, temporality, methodology Mots-clés : humanités numériques, opacité, exposition, institution, temporalité, méthodologie AUTEUR CLAIRE LARSONNEUR Université Paris 8, France ILCEA, 39 | 2020
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