TROIS ÉTUDES DE CAS : LE CHANEL MOBILE ART, LE CENTRE POMPIDOU MOBILE, LE MUMO

La page est créée Jean-Pierre Hamon
 
CONTINUER À LIRE
TROIS ÉTUDES DE CAS : LE CHANEL MOBILE ART, LE CENTRE POMPIDOU MOBILE, LE MUMO
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Les musées itinérants actuels

Trois études de cas : le Chanel Mobile art, le Centre Pompidou mobile, le
MuMo
Un concept muséal particulier se développe depuis quelques années : le musée itinérant. Il s'agit d'un
sujet encore très peu abordé dans la littérature scientifique malgré l'ancienneté du concept, les quelques
premiers exemples de musée itinérant datant des années 1940. Pourtant, à l'heure actuelle, ils suscitent
un intérêt croissant de la part du public et, en particulier, dans le domaine de l'art contemporain. On peut
même quasiment parler d'un phénomène de mode des institutions mobiles. L'une d'entre elles a d'ailleurs
été particulièrement médiatisée et colle parfaitement à cette idée : le Chanel Mobile art. Cette dernière a
joui dans le monde entier d'un succès retentissant et bousculé les idées reçues des musées permanents
et associations sur le concept de musée itinérant. C'est ainsi qu'ont été créés dans la foulée le Centre
Pompidou mobile et le MuMo.

Selon l'ICOM, « un musée est une institution permanente (définie comme un organisme public ou privé
établi pour répondre à quelque besoin déterminé d'une société donnée) sans but lucratif au service de la
société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le
patrimoine matériel et immatériel de l'humanité et de son environnement à des fins d'études, d'éducation et
de délectation. »

Cette définition ne s'adapte que partiellement au musée itinérant qui préfère favoriser la fonction
d'animation et négliger l'étude, qui ne fait pas partie de ses priorités. Un musée traditionnel ne peut pas
privilégier une fonction au détriment des autres. Dès lors, on ne parle pas ici de musées au sens premier du
terme mais de réelles structures éducatives et culturelles se basant sur le déplacement et la gratuité pour
tous.

Cet objectif « social » des musées itinérants est un héritage de la première génération datant des années
1940. À cette époque, les musées s'installent dans le centre des grandes villes, leurs portes sont ouvertes
au public mais ils sont réservés à une poignée de citadins privilégiés. À l'échelle mondiale d'alors, la culture
n'est pas accessible au plus grand nombre et la moitié de la population est analphabète. Pour tenter
d'enrayer ce phénomène, des organisations mettent sur pied des unités mobiles équipées de matériel
didactique, des cinémas ambulants et des bibliobus. Les premiers musées itinérants sont mis gratuitement
à la disposition des enfants et adultes issus des cités ouvrières, des hôpitaux, des orphelinats, des écoles,
etc. Ils sont considérés comme un substitut au manque d'édifices éducatifs et sociaux dans le pays.

Aujourd'hui, tout ceci semble désuet et l'objectif social des musées itinérants paraît moins indispensable.
Pourtant, de grands musées permanents s'y intéressent de plus en plus. Leur idée est de récupérer le
concept des musées itinérants d'antan sans pour autant se fixer un objectif exclusivement social. Ainsi,
par exemple, le Chanel Mobile art correspond à un public d'initiés qui n'aurait pas fréquenté les premiers
musées itinérants. Cette nouvelle catégorie de visiteurs est appâtée par un symbole, une marque, des
artistes contemporains et la promesse d'une expérience unique.

                              © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                           -1-
TROIS ÉTUDES DE CAS : LE CHANEL MOBILE ART, LE CENTRE POMPIDOU MOBILE, LE MUMO
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Le Chanel Mobile Art
Le concept du Chanel Mobile Art a vu le jour à l'occasion du cinquantenaire d'un célèbre sac à main créé
par Gabrielle Chanel en 1955. L'idée est de proposer la réalisation d'œuvres mélangeant l'art à la mode,
celle-ci étant comprise comme une expression du luxe, et de les exposer aux yeux du monde entier. Des
commandes spécifiques sont réalisées auprès d'une vingtaine d'artistes contemporains sélectionnés par
Fabrice Bousteau, directeur de la rédaction du magazine Beaux-Arts et commissaire de l'exposition. Le
mélange entre art et luxe qui leur est demandé doit se fondre dans le style propre de l'artiste et l'image
du sac Chanel. Karl Lagerfeld, membre de la direction artistique de la marque, propose une institution
mobile qui transporte et expose les œuvres dans des lieux stratégiques. Le créateur joue de ses relations
et propose le projet à Zaha Hadid, architecte anglaise d'origine irakienne. Jouissant d'une renommée
internationale, celle-ci accepte et travaille immédiatement sur les plans avec son équipe. La structure est
à la hauteur des espérances de la marque : une surface d'exposition de 720 mètres carrés surmontée de
coussins d'air blancs immaculés inspirés du matelassé du sac de 1955. Une œuvre d'art totale.

Pour ses déplacements, six étapes de deux mois chacune sont prévues entre 2008 et 2010 : Hong Kong,
Tokyo, New York, Londres, Moscou et Paris. L'accès au bâtiment est gratuit comme à l'époque des
premiers musées itinérants. Cette gratuité surprend car la marque est connue pour vendre des produits de
luxe à des prix extrêmement élevés.

Dans l'exposition, tous les moyens d'expression sont exploités : installations, photographies, vidéos et
sculptures. Au total, ce n'est pas moins de vingt grands noms de l'art contemporain qui ont participé au
projet, chacun apportant une vision personnelle du sac Chanel : Lee Bul, Daniel Buren, Blue Noses, David
Levinthal, Fabrice Hyber, Leandro Erlich, Loris Cecchini, Michael Lin, Nobuyoshi Araki, Pierre & Gilles,
Sophie Calle, Soju Tao, Stephen Shore, Subodh Gupta, Sylvie Fleury, Tabaimo, Wim Delvoye, Yang
Fudong, Yoko Ono, et Y.Z. Kami. Les œuvres ont été mises en exposition en suivant l'espace intérieur du
bâtiment et longent un couloir en forme de coquille d'escargot. Des parois et structures créent des espaces
plus feutrés pour obliger le visiteur à se concentrer sur une seule œuvre à la fois. Rien n'entrave la lisibilité
des œuvres et du lieu, il n'y a donc aucun texte, cartel, ni de panneau explicatif et aucune signalétique.
Toute la visite est dirigée par un audio-guide où est enregistré un poème lu par l'actrice française Jeanne
Moreau et qui oblige le public à s'arrêter, à avancer, à attendre et à écouter. Aucun choix n'est laissé au
visiteur qui doit se contente d'obéir et d'observer des œuvres contemporaines dans une ambiance dite
« poétique ».

Le Chanel Mobile art constitue un cas à part dans la famille des musées itinérants. L'entreprise tente de
faire croire au visiteur qu'on lui offre une expérience sensorielle et culturelle de manière désintéressée.
Même si le concept s'inspire des premières institutions itinérantes en proposant des escales, des horaires
d'ouverture très larges et un accès gratuit à l'exposition, les moyens et les objectifs ne sont pourtant pas
les mêmes que dans les années 1940. L'entreprise veut toucher la planète entière en réalisant un tour du
monde en passant par les plus grandes capitales. L'investissement humain et financier est considérable,
les enjeux ne sont nullement sociaux mais bien économiques. Pour cette raison, tout est mis en œuvre pour
impressionner le visiteur, de l'architecture à la mise en place de l'exposition.

                              © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                           -2-
TROIS ÉTUDES DE CAS : LE CHANEL MOBILE ART, LE CENTRE POMPIDOU MOBILE, LE MUMO
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

                                                             Le Chanel Mobile Art à Paris - Michael Lin et Lorris
                                                             Cecchini

Le Centre Pompidou mobile
Les objectifs du Centre Pompidou mobile sont bien différents de ceux du Chanel Mobile art. Cette petite
succursale n'est pas conçue pour un public d'initiés et ne fait pas l'apologie du Centre parisien. L'objectif est
de mettre à disposition des œuvres majeures de l'art moderne et contemporain à des habitants de zones
censées être éloignées de l'offre culturelle.

C'est à la faveur d'un concours que l'architecte Patrick Bouchain a créé une structure légère s'adaptant à
tous types de terrains et offrant une superficie de 650 mètres carrés. Elle est facile à transporter, à monter,
démonter et arbore des couleurs s'apparentant à celles du bâtiment parisien. L'inauguration s'est tenue à
Chaumont en Haute-Marne le 18 octobre 2011 en présence du Président de la République de l'époque,
Nicolas Sarkozy.

La première exposition, intitulée « La couleur », présente quinze œuvres de quinze artistes majeurs du
  e
20 siècle, sélectionnés en fonction de leur travail de prédilection sur la couleur, depuis Braque et son
Estaque (1906) jusqu'à Olafur Eliasson et son œuvre intitulée Your Concentric Welcome (2004). Trois
formes d'expression sont exploitées : des peintures, des sculptures et une vidéo. Les œuvres proviennent
en majorité du Musée National d'Art Moderne, les autres de fonds régionaux d'art contemporain.

Alain Seban, Président du Centre Pompidou, souhaite offrir au plus grand nombre l'expérience d'une visite
muséale dans un encadrement adapté. Différents dispositifs de médiation sont à la portée d'un public
« lambda » : visites guidées par des professionnels, audioguides ou livrets pour ceux qui souhaitent des
informations plus poussées. En fin de compte, c'est le visiteur qui choisit son type de médiation, même si les
hôtesses conseillent fortement les visites guidées.

                              © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                           -3-
TROIS ÉTUDES DE CAS : LE CHANEL MOBILE ART, LE CENTRE POMPIDOU MOBILE, LE MUMO
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Centre Pompidou mobile à Cambrai - Stéphane Dafflon

Le MuMo
Cette liberté accordée aux visiteurs est encore plus poussée dans le cas du MuMo. Ce Musée Mobile
s'arrête dans des écoles primaires et s'adresse exclusivement aux enfants de six à onze ans. Il se présente
sous la forme d'un semi-remorque qui se déploie sur deux niveaux afin d'exposer quinze œuvres de quinze

                             © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                          -4-
TROIS ÉTUDES DE CAS : LE CHANEL MOBILE ART, LE CENTRE POMPIDOU MOBILE, LE MUMO
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

artistes contemporains. Le concept d'un musée d'art contemporain itinérant à destination des enfants est
né en 2010 à l'initiative d'Ingrid Brochard, une jeune femme d'affaires ayant fait fortune en Chine dans
l'industrie des cosmétiques.

Le MuMo a pour vocation de toucher une jeunesse défavorisée ou éloignée des centres culturels par une
confrontation directe avec la création contemporaine. Ingrid Brochard utilise ses nombreuses relations dans
le domaine de l'art pour attirer des artistes contemporains de renommée internationale, comme James
Turrell, Paul McCarthy ou Maurizio Cattelan, qui ont produit peintures, sculptures, installations et vidéos
inédites.

Depuis son lancement en 2011, l'institution a ciblé trois types de public en fonction du contexte social
et géographique. Une première tournée a privilégié les zones rurales françaises éloignées des centres
culturels. Une seconde s'est déroulée dans des écoles du Cameroun et de Côte d'Ivoire (deux pays très
impliqués dans le développement économique du Groupe Bolloré, principal mécène du MuMo). La troisième
a ciblé des enfants issus de milieux défavorisés se situant principalement en périphérie de villes françaises
comme Paris ou Strasbourg.

Les concepteurs du MuMo veulent permettre à ces enfants de se faire leur propre idée de ce qu'est l'art
contemporain. Pour y parvenir, ils leur offrent une grande liberté de parole et de mouvement. Les enfants
expriment leur interprétation personnelle des œuvres exposées. C'est ce qui différencie le MuMo du Centre
Pompidou mobile, qui, lui, privilégie la médiation et l'animation. Le public est central, il doit avoir appris
quelque chose à la fin de sa visite. Dans le cas du MuMo, l'art ne doit pas nécessairement être étudié mais
doit susciter des émotions chez les enfants.

Le problème est qu'ils ont à leur disposition une trop grande liberté au détriment d'une certaine pédagogie.
Cet objectif louable de mettre l'art à la portée d'un public de non-initiés, quel qu'il soit, et a fortiori quand il
s'agit d'enfants, est toutefois difficile à atteindre sans un minimum d'encadrement et de pédagogie.

                               © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                            -5-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Le MuMo à Lille - Maurizio Cattelan

Il ressort de ces comparaisons que seul le Centre Pompidou mobile possède des objectifs semblables à
ceux des premiers musées itinérants. Pour autant, le modèle des années 1940 n'est pas une référence car
les objectifs et les fonctions des musées itinérants évoluent en osmose avec la société. Si le besoin culturel
d'une population délaissée est un problème qui persiste de nos jours, certaines institutions n'en font plus
une priorité contrairement à celles des années 1940. L'aspect social du projet initial est délaissé, au risque
de rendre les musées itinérants semblables à des expositions itinérantes, des centres de loisirs ou des
campagnes publicitaires.

                                                                                               Nadège Durant
                                                                                                 Octobre 2013

                              © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                           -6-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Nadège Durant est diplômée en Histoire de l'Art et archéologie, spécialité Muséologie. Son mémoire
de fin d'études portait sur les musées itinérants.

                          © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 09/07/2019
                                                       -7-
Vous pouvez aussi lire