Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida - Brill
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Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida Jean-Pierre Boulé Ce texte propose une archéologie des écrits du sida en France de 1985 à 1988. Le corpus en question porte sur une période assez restreinte qui permettra d’analyser le moment d’irruption du discours que constituent les écrits du sida et d’étudier comment on écrit sur un sujet qui à l’époque était presque tabou, tout en démasquant les discours conservateurs sur la sexualité qui sont reproduits dans ces écrits. Les textes à l’étude relèvent de plusieurs genres : histoire vécue, journal et témoignage (M. Simonin et A. E. Dreuilhe), une inter- view (J.-P. Aron), une confession et une autobiographie1. J’ai utilisé le terme d’archéologie qu’on associe bien sûr avec Michel Foucault, mais ce travail n’est pas exclusivement influencé par Foucault : il veut s’efforcer d’écrire une his- toire du passé en extrayant des significations et des pratiques autour des écrits du sida. Cette approche a donc des éléments d’archéologie (essayer d’extraire des discours), mais également de généalogie puisque elle se penche aussi sur les relations de savoir/pouvoir. Les auteurs des premiers écrits sur le sida sont en général des gens peu ou pas connus (mis à part Dreuilhe), certains livres étant publiés sous pseudo nyme, et ils choisissent presque tous une narration autobiographique. Il y a deux auteurs présumés féminins et un auteur masculin hétérosexuel. Deux, sinon trois des auteurs utilisent des pseudonymes. Sida. Témoignage sur la vie et la mort de Martin, publié en octobre 1985, a dû être écrit au plus tôt en 1984. Selon le livre, Martin est mort en 1983/4, et l’histoire se déroule pendant la période 1980-1982. Le dernier livre publié en janvier 1988, Bienvenue dans le monde du sida !, est situé en 1986 et l’action se 1 Hélène Laygues, Sida. Témoignage sur la vie et la mort de Martin, Paris, Hachette, 1985 ; Michel Simonin, Danger de vie, Paris, Séguier, 1986 ; Jean-Paul Aron, « Mon sida », Le Nouvel obser- vateur, 30 Octobre-5 Novembre 1987, propos recueillis par Élisabeth Schemla, édition révi- sée par Jean-Paul Aron, Mon sida, Paris, Christian Bourgois, 1988 (voir aussi le programme de télévision Sida : après l’aveu, Antenne 2, 21 Juin 1988) ; Juliette, Pourquoi moi ? Confession d’une jeune femme d’aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 1987 ; Alain Emmanuel Dreuilhe, Corps à corps. Journal de SIDA, Paris, Gallimard, « Au vif du sujet », 1987 [traduit en anglais (USA) sous le titre Mortal Embrace : Living with AIDS, traduction de Linda Coverdale, New York, Hill and Wang, 1988] ; Mike Winer, Bienvenue dans le monde du sida !, Monaco, Le Rocher, 1988. © koninklijke brill nv, leiden, ���6 | doi ��.��63/9789004325975_003 Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida 15 déroule pendant la période 1983-1986. Pour le corpus, la période en question couvre donc les années 1980 à 1986. Il est important de faire une brève périodisation du sida. Jeffrey Weeks dis- tingue trois périodes2. Entre 1981 et 1983 on prit peu à peu conscience de la crise ; entre 1983 et 1986 il y eut une période de panique morale avec le sida perçu comme la maladie des marginaux et des gens aux mœurs « légères ». On parlait alors de victimes innocentes – les transfusés – et de coupables : les homosexuels, les drogués et les prostitué(e)s. Cette époque est celle où se situent les livres étudiés dans ce texte. Enfin, à partir de 1986, les gouverne- ments ont décidé de se mobiliser. La périodisation de Weeks peut s’appliquer à la France hors le fait qu’Act Up-Paris situe le premier mouvement de mobi lisation du gouvernement français en 1987 avec les premières campagnes de prévention et la loi sur les préservatifs3. Ce qu’on peut affirmer dès à présent, c’est que le genre du roman noir que l’on retrouve dans Winer et à un degré moindre dans Juliette répond à, ou plutôt reflète la période de panique morale, ainsi nommée par Weeks. Notre étude va se concentrer sur le premier livre paru en France en 1985, Hélène Laygues, Sida. Témoignage sur la vie et la mort de Martin. Sera ensuite évoqué brièvement un aspect que j’avais abordé dans mon essai4 et qui touche à la sexualité dans deux autres livres, celui de Juliette, Pourquoi moi ?, ainsi que celui de Mike Winer : Bienvenue dans le monde du sida ! Avec le livre de Laygues, on croit avoir affaire à un Témoignage sur la vie et la mort de Martin, comme le titre l’indique. La quatrième de couverture souligne l’originalité de ce récit, puisque c’est la première fois qu’un témoignage sur le sida est offert par une femme dont le mari a contracté le virus. Hélène Laygues, l’auteur du livre s’identifie comme narratrice. À la page 228, on apprend qu’elle s’appelle « Hélène V. », ce qui semble indiquer que son nom n’est pas Laygues. Selon Michel Danthe, qui a enquêté auprès de Hachette, un pseudonyme aurait été utilisé5. Comment la narration se présente-t-elle ? Hélène est la narratrice et elle utilise la première personne. Lors du premier chapitre, alors que Martin 2 Jeffrey Weeks, Sex, Politics and Society, Harlow, Longman, 1994, p. 301. 3 Cf. Act Up-Paris, Le Sida. Combien de divisions ?, Paris, Dagorno, 1994, p. 316. 4 Jean-Pierre Boulé, HIV Stories. The Archaeology of AIDS Writing in France, 1985-1988, Liverpool, Liverpool University Press, 2002. Je remercie LUP d’avoir autorisé la publication en français d’une partie de cette étude. 5 Michel Danthe, « Le Sida et les lettres : un bilan francophone », dans Michel Danthe, François Wasserfallen (numéro dirigé par), Le Sida et les lettres, Équinoxe. Revue romande de sciences humaines, 5, 1991, p. 52. Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
16 Boulé est mort depuis un an, un de ses amis, un Américain, se présente chez elle. Martin l’avait connu à New York. La narratrice lui dit que Martin est mort du sida et comme il l’a fréquenté, elle lui conseille de se faire tester. Le lecteur comprend que Martin avait des aventures avec des hommes ; on présume donc qu’il devait être bisexuel. Mais au fil des chapitres on comprend mieux les rela- tions entre Hélène et Martin. Ils sont associés en affaires, ayant acheté un com- merce ensemble et le livre retrace la progression de sa maladie. Sida. Témoignage sur la vie et la mort de Martin n’est pas en fait un témoignage. C’est plutôt l’aventure voyeuristique d’Hélène dans la sexualité qu’elle appelle « transgressive ». En tant que bourgeoise hétérosexuelle Hélène, grâce à Martin, flâne dans la sexualité des homosexuels. Bob Connell nous rappelle que l’existence même de la masculinité homosexuelle est un facteur déstabili sant et en tant que tel subversif pour la société patriarcale6. Il existe également une deuxième rencontre dans ce livre. En 1982, il y eut une polémique entre les journaux gays français Arcadie et Gai Pied. Cette polémique était un choc de culture entre deux représentations de l’homosexualité comme l’a analysé Gregory Woods7. Mis à part Martin, les autres amis d’Hélène appartiennent au type « Arcadie », et notamment Paul son meilleur ami. Cette différence pose une hiérarchie entre une homosexualité acceptable et une autre qui ne l’est pas. Ce clivage est illustré par une remarque de Paul qui dit des homos qui fréquentent le sauna : « Ce sont des analphabètes pervers qui ne connaissent de l’amour que le rapport trou-bite ! » (114). Ce type de sexualité est condamné et l’amour est défini comme un savoir suprême, sans doute l’apanage de gens cultivés. Toute notion subversive visant à nommer des sexualités différentes est neutralisée par les paroles de Paul qui présente une hiérarchie de comportements convenables et de comportements « condamnables » en dehors de ce qu’il définit comme la norme. À la fin du chapitre 6, on sait que Martin est homosexuel plutôt que bisexuel, qu’il a un partenaire qui s’appelle Brian, et qu’ils ont aussi des aventures sexuel les en dehors de leur relation. En fait, on sait que Martin passe la plupart de ses soirées/nuits dans les backrooms. Martin se met à raconter sa vie amoureuse à Hélène et, imperceptiblement, celle-ci entre dans un monde qui la fascine et la dégoûte à la fois. Le mariage entre Hélène et Martin est toujours un mystère qui ne sera éclairci qu’au chapitre 29, soit à la moitié du livre, mais on sait déjà que ce livre n’est pas un témoignage comme le titre nous l’avait laissé entendre. 6 Robert William Connell, Masculinities, Oxford, Polity Press, 1995, p. 161-162. 7 Gregory Woods, « La fin d’Arcadie : Gai Pied and the “cancer gai” », dans Jean-Pierre Boulé, Murray Pratt (sous la direction de), AIDS in France, French Cultural Studies, 9, 3 (27), October 1998, p. 295-305. Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida 17 Pendant toute la narration, il existe une tension entre les images du devant et du derrière, entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. On est aux prises avec l’imagination bourgeoise « respectable », réglementée par des codes très stricts, ancrée dans le catholicisme ; occupant une position de pouvoir dans le discours, elle opprime des groupes minoritaires perçus comme subalternes, comme par exemple les femmes. Hélène semble défendre Martin quand ses amis du type « Arcadie » émettent des jugements critiques sur lui, comme Paul qui l’appelle une « fleur de back-room, inculte et nymphomane » (52), mais elle se permet aussi de le juger. Ainsi, on peut lire : « Ces dragues sau- vages sont suicidaires : la maladie ou le rasoir pour vous dépouiller, souvent les deux . . . » (96). Comment expliquer cette apparente contradiction ? En parlant de l’image devant/derrière (sans compter le jeu de mots), j’ai créé une opposi- tion binaire. Les discours sont plutôt selon Foucault des éléments tactiques8. Hélène est à la fois repoussée par le plaisir hédoniste représenté à ses yeux par Martin, et attirée, car cet usage du plaisir s’inscrit contre la moralité bourgeoise et lui permet de se rebeller. L’exemple suivant va illustrer mon propos. Un jour Martin lui demande de l’aider à lui confectionner une robe pour une soirée. C’en est trop pour Hélène. Au moment où Martin essaye la robe, il se met nu devant elle. Elle se dit cho- quée, écrivant que Martin est devenu une femme imaginaire, avant de parler de la taille de son pénis (très moyenne), utilisant plus tard l’adjectif « estropié » (46) pour le décrire. Elle confie à l’écriture : « Cette robe ultra-féminine n’est plus une parodie cocasse mais le travestissement vénéneux d’un inverti vieil- lissant et pervers » (46). Hélène ne peut pas supporter le travestissement, car c’est pour elle un acte pervers. Ce qui semble la déranger, c’est le fait qu’une ligne de démarcation ait été franchie par Martin. Il s’est approprié la parure hétérosexuelle de la femme féminine. On peut noter en passant que cet exem- ple illustre les théories de Judith Butler selon laquelle le genre est une perfor- mance, qu’elle explicite avec l’exemple du travesti9. Dans un article plus récent, Butler explique : « en plus, je soutiens que le genre est produit comme une répétition ritualisée de conventions et que ce rituel est une obligation sociale à cause de l’hétérosexualité qui se veut obligatoire10 ». Avec l’exemple ci-dessus, 8 Cf. Michel Foucault, La Volonté de savoir. Historie de la sexualité I, Paris, Gallimard, 1976, p. 129-135. 9 Cf. Judith Butler, Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge, 1990. 10 Judith Butler, « Melancholy Gender/Refused Identification », dans Maurice Berger, Brian Wallis, Simon Watson (edited by), Constructing Masculinity, London, Routledge, 1995, p. 31 (« moreover, I argued that gender is produced as a ritualized repetition of Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
18 Boulé Martin transgresse les conventions alors qu’Hélène a besoin de réaffirmer la frontière du territoire dominant : l’hétérosexualité obligatoire. Dès le début de leur rencontre, Hélène est au courant des vagabondages/ errances sexuel(le)s de Martin qu’elle associe au désir aventureux. Simon Watney analyse : Tout le discours sur le sida tourne autour de la figure rhétorique des errances sexuelles [. . .] comme si le sida était lié au sexe d’une manière quantitative plutôt que qualitative. Le terme « errances sexuelles » est employé comme un signe pour définir l’homosexualité même, comme synonyme de plaisir défendu, de menace11. Peter Redman écrit : « La personne qui erre sexuellement suggère une figure qui refuse de respecter les frontières, en insistant sur le contact sexuel incon- trôlable et non réglementé12 ». Hélène est très ambivalente sur ce sujet. Comme on l’a vu avec le type « Arcadie » d’homosexualité d’où viennent tous les autres amis d’Hélène, le livre joue à la police des frontières en faisant respecter les frontières homo/homo et en catégorisant les bons et les mauvais homosexuels. Cela confirme aussi le processus de marginalisation des voix gay en France dans les années 1980. Ce n’est que si ces voix sont exprimées par l’intermédiaire du discours dominant de l’hétérosexualité obligatoire qu’elles peuvent être entendues, au risque d’être déformées, fantasmées et en tout cas neutralisées. Dans la quatrième de couverture, on apprend que depuis l’apparition du sida, l’Occident semble avoir retrouvé le goût de ses frayeurs médiévales : « Tout se passe désormais comme si la sexualité déviante devenait un péché mortel, un tabou majeur et offert aux plus navrants préjugés ». Réfléchissant à la mort de Martin un an après sa mort, Hélène dit que mettant bout à bout conventions, and that this ritual is socially compelled in part by the force of a compulsory heterosexuality »). 11 Simon Watney, Policing Desire. Pornography, AIDS, and the Media, London, Methuen, 1987, p. 12 (« The entire discourse of AIDS turns round the rhetorical figure of “promis- cuity” [. . .] as if AIDS were related to sex in a quantitative rather than a qualitative way. [. . .] “Promiscuity” is being employed [. . .] as a sign of homosexuality itself, of forbidden pleasure, of threat »). 12 Peter Redman, « Invasion of the Monstruous Others : Heterosexual Masculinities, the “AIDS Carrier” and the Horror Genre », dans Deborah Lynn Steinberg, Debbie Epstein, Richard Johnson (edited by), Border Patrols. Policing the Boundaries of Heterosexuality, London, Cassell, 1999, p. 111 (« The “promiscuous” person suggests a figure who refuses to respect boundaries, by insisting on uncontrollable and uncontained sexual contact »). Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida 19 des phrases glanées de-ci, de-là, elle est certaine qu’il a considéré sa maladie comme la facture due à sa vie de plaisir (80). Rien dans le texte ne permet de le supposer. Cette interprétation reprend pourtant le message de la dernière phrase de la quatrième de couverture : [notre] époque redécouvre que la sexualité reste une affaire dangereuse. Une des leçons du livre est qu’à moins de dominer ses pulsions sexuelles, on deviendra séropositif et on mourra. Face au manque de campagnes de prévention en France avant 1987, ce livre pourrait être interprété comme une espèce de message de prévention, sauf que dans ce cas précis la frontière entre prévention et répression est assez floue. Le fait est que le livre a été publié et le message de prévention/répression n’est pas étranger à sa publication. Évoquons maintenant la sexualité dans deux autres livres de notre cor- pus. Juliette, Pourquoi moi ?, publié en 1987, présente l’histoire d’une femme bisexuelle qui raconte son sida. Son nom est un pseudonyme et Mirko Grmek croit que l’histoire a été inventée13. En outre, il est très possible qu’un auteur masculin se cache derrière ce pseudonyme qui n’est pas sans évoquer le mar- quis de Sade. Le titre exact est Pourquoi moi ? Confession d’une jeune femme d’aujourd’hui. Il s’agit d’une narration à la première personne où une certaine Juliette raconte sa vie. Elle est journaliste à la radio. Au moyen d’un retour en arrière, Juliette raconte sa vie professionnelle et ses aventures sexuelles depuis l’âge de quinze ans. Elle couche avec beaucoup de monde, sans préservatif, toujours à la recherche du pouvoir. À la moitié du livre, on reprend l’histoire au moment où Juliette est séropositive. On s’aperçoit alors qu’elle écrit en fait son histoire depuis son lit d’hôpital. Dans un « Avertissement au lecteur » rédigé par une tierce personne, on apprend que l’auteur tient à préserver l’anonymat. Elle a tenu à livrer un témoignage brutal et qui ne dissimule rien : « Il ne s’agit pas de faire scandale mais de montrer et de dire ». Au fil du livre, Juliette prend de plus en plus de risques et finit par se pros- tituer. Quand son premier client la redépose sur le trottoir, elle écrit : « J’étais libre, forte, souveraine » (62). Plus tard Juliette apprendra qu’elle a été con- taminée par Pierre T., un bisexuel. Il est sous-entendu qu’il a attrapé le sida avec des hommes et qu’il le lui a ensuite transmis même si ce n’est pas prouvé. Que se passe-t-il lorsque Juliette apprend qu’elle a le sida ? Elle pense à se sui- cider avec la cuisinière à gaz, mais au dernier moment, elle se met en colère contre les hommes (122-12314) : « “Salauds, salauds, salauds.” C’était les gens, 13 Mirko Grmek, « Un historien face à la littérature du sida », dans Le Sida et les lettres, op. cit, p. 37. 14 Pour une étude sur l’écriture du sida et le suicide, voir Ross Chambers, « The Suicide Experiment : Hervé Guibert’s AIDS Video, La Pudeur ou l’impudeur », dans Mireille Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
20 Boulé les hommes, le monde, les autres » (123), avant d’ajouter : « Je me sentais sale, répugnante. Et j’avais envie d’en mettre partout, sur les murs comme ces gosses dégoûtants qui passent leurs doigts couverts de merde sur les rideaux et les murs » (123-124). Juliette passe ensuite par plusieurs stades. Tout d’abord, elle ressent une cer- taine honte : Je me suis dit : « Tu n’as que ce que tu mérites ». Il me semblait entendre la voix de ma mère. [. . .] le monde avait un sens [. . .] la morale était ins- crite dans le ciel et [. . .] on ne pouvait l’enfreindre sans périr. [. . .] Et puis la révolte a été plus forte. Pourquoi moi ? (134-135). Juliette se présente désormais comme diabolique. À propos de son statut de séropositive, elle écrit : « j’étais pourrie, je portais le mal en moi » (120), ce qui rappelle ce que dit Hélène par rapport à Martin. Le lendemain de son diagnostic, Juliette va se faire draguer par un homme d’affaires dans un grand hôtel ; elle baise avec lui sans protection (son méde- cin lui ayant dit de se protéger dorénavant à chaque rapport sexuel), et, égale- ment, avec le chauffeur de taxi qui la raccompagne dans son garage souterrain. S’écroulant sur son lit à l’aube, éreintée, elle se dit qu’elle n’a plus le virus VIH car elle l’a transmis à ces deux hommes. Pendant les semaines qui suivent, elle va se réapproprier une sexualité active et coucher avec autant d’hommes que possible, à chaque fois sans protection. Elle se décrit ainsi : « Je devenais une sorte de sorcière séduisante » (186), une vengeresse pour les femmes. Ce portrait de Juliette fait partie des représentations dénoncées par Act Up-Paris où les séropositifs sont représentés comme des meurtriers en puissance15. Même si le livre est présenté comme une confession, cette par- tie du livre ressemble à un roman noir avec Juliette prenant sa revanche. Cet aspect de polar reflète ce que Weeks appelle la panique morale de la crise du sida entre 1983 et 1986. Juliette finit par avoir des maladies, passant à l’état du Sida déclaré. Elle doit être hospitalisée et là elle trouve que deux des hommes qu’elle connaissait depuis longtemps sont à son chevet. Sa colère semble se dissoudre et elle décide d’écrire son histoire. Le processus créatif est lié à une nouvelle image d’elle-même. Chaque mot jeté sur le papier « me soulageait, comme si j’arrachais de moi des écailles, une croûte, qui laissaient apparaître une peau Rosello (sous la direction de), The Politics and Aesthetics of Contamination and Purity, L’Esprit créateur, 27, 3, Fall 1997, p. 72-82. 15 Act Up-Paris, Le Sida, op. cit., p. 174-175. Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida 21 fragile mais lisse, cicatrisée » (212). Dans le dernier paragraphe du livre, elle dit qu’elle n’est pas une sorcière et que ce n’est pas un diable ou un dieu justicier qui la condamne, mais un virus. Lorsque le livre est publié, il est présenté comme une « confession », ce qui fait penser à une conversion religieuse. Pourquoi les éditeurs (car c’est sans doute eux) ont-ils choisi ce genre de la confession ? Sans doute pour faire passer l’histoire très crue de Juliette qui ne peut être « pardonnée » que si elle se repent. La réaction des premiers lecteurs du manuscrit aurait été une réac- tion de choc face aux propos tenus dans le livre et surtout la peur que d’autres séropositifs se mettent à avoir des rapports non protégés, suivant l’exemple de Juliette (214). Foucault a montré dans son Histoire de la sexualité que « le mode de la confession, développé par le catholicisme est une forme que [. . .] prend souvent le pouvoir16 ». C’est un « effet de reconversion spirituelle17 » où le lecteur, institué en figure d’autorité, a le pouvoir d’absoudre le pécheur repen- tant. Toujours selon Foucault, les relations de pouvoir entre la personne qui représente l’autorité (dans ce cas, le lecteur) et le pécheur « ont ensuite été transférées dans d’autres discours plus récents qui utilisent souvent le mode du confessionnal pour définir et constituer la sexualité18 ». La leçon à tirer de Pourquoi moi ? se trouve dans la quatrième de couverture : « Ce livre est une réflexion lucide sur cette maladie dont l’extension, abondamment orchestrée par les médias, remet en question la liberté sexuelle . . . ». Ce texte montre presque explicitement que, pour une femme comme Juliette, « journaliste jeune, libre, ambitieuse », il est logique d’attraper le sida. Selon les féministes poststructuralistes : « Certains discours définissent des paramètres à travers lesquels le désir est produit et réglementé19 ». Le discours de la quatrième de couverture peut être interprété comme un moyen de patrouiller les fron- tières du territoire de la sexualité, surtout pour les femmes hétérosexuelles 16 Cf. Chris Weedon, Feminist Practice and Poststructuralist Theory, Oxford, Blackwell, 1987, p. 119-120. (« The confessional mode, developed within Catholicism, is the form which [. . .] power often takes »). 17 Ibid., p. 120 (« an effect of spiritual reconversion »). Cf. M. Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., p. 25-67 et en particulier p. 32. 18 C. Weedon, Feminist Practice and Poststructuralist Theory, op. cit., p. 120 (« have subse- quently been transferred to other more recent discourses which often utilize the confes- sional mode to define and constitute sexuality »). 19 Julian Henriques, Wendy Hollway, Cathy Urwin, Couze Venn, Valerie Walkerdine, Changing the Subject. Psychology, Social Regulation and Subjectivity, London, Methuen, 1984, p. 220 (« Particular discourses set parameters through which desire is produced, regulated and channelled »). Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
22 Boulé monogames afin qu’il ne soit pas envahi par les lesbiennes ou par l’amour hétérosexuel libre. L’ennemi public numéro 1 du livre est « Pierre T. » parce qu’il était bisexuel, et ce sont ses penchants homosexuels qui sont condam- nés. Si, comme nous l’indique la quatrième de couverture, le livre remet en question la liberté sexuelle, il nous suggère également implicitement que ce n’est qu’en supprimant cette liberté sexuelle que l’on ne sera pas contaminé par le sida. Publié en 1988, le titre du livre de Winer est Bienvenue dans le monde du Sida ! Sur la couverture il y a marqué « histoire vécue ». Dans la quatrième de couver- ture on apprend qu’une femme qui s’appelle Mona Hessler couche avec des hommes après les avoir rencontrés dans des boîtes de nuit. En partant, elle leur laisse un message écrit sur le miroir avec son tube de rouge à lèvres. Toujours le même . . . La couverture du livre nous livre le message puisqu’il est écrit avec du rouge à lèvres. C’est en effet le titre du livre. Au niveau de l’intertextualité, on pourrait substituer les noms Mona et Juliette, puisque Juliette elle aussi essaie de contaminer autant d’hommes que possible à l’annonce de sa séropositivité. Mike Winer, qui sera aussi le narrateur du livre, est présenté en quatrième de couverture comme un journaliste qui enquête aux États-Unis dans les milieux de la drogue où l’action se déroule. Il a vingt-trois ans et sa fiancée attend un enfant. On lit ensuite : « Il ne sait pas encore qu’il est mort. Mort pour quelques minutes de jouissance ». C’est le premier livre qui raconte l’histoire d’un hétérosexuel qui devient séropositif. Comme quoi, si l’on suit la périodisation de Weeks évoquée ci- dessus, c’est l’époque où l’on prend conscience que le sida est l’affaire de tous, et notamment des hétérosexuels. La narration est également sous forme de retour en arrière, comme chez Juliette et chez Laygues. Une des similarités les plus frappantes entre Juliette et Mike Winer est le fait que tous deux ont beau- coup d’aventures sexuelles, sans protection. L’expression que Winer utilise pour décrire Sammy’s, la boîte de nuit où il fume et se retrouve inévitablement au lit le lendemain matin avec une fille différente à chaque fois est : « Ce lieu de débauche et de perdition où je me damne avec délectation » (17). « Damner » suggère l’idée de condamnation et, dans la religion catholique, celle de l’enfer. Winer semble prêt à prendre tous les risques pour la « jouissance ». Si Juliette semble ignorer les risques de contamination par voie sexuelle, Winer, lui, est au courant de la situation puisqu’il enquête dans les milieux de la drogue et de la prostitution, et rencontre même des séropositifs. Il écrit dans ce contexte : « les jeunes ne sont absolument pas conscients du danger qui les menace » (53), sans rapporter ces dangers aux dangers qu’il court lui-même. Pourtant, son attitude reflète bien les phénomènes de société de l’époque puisque beaucoup d’hétérosexuels étaient assez complaisants, pensant qu’il s’agissait du « cancer gai » et qu’ils étaient à l’abri du virus. Tout comme Juliette, ce n’est qu’à la page 118 Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida 23 du livre que le narrateur réalise qu’il a eu des rapports non protégés avec une femme qui est le portrait-robot de Mona Hessler. Winer pense alors qu’il a peut-être le sida. Sa santé se détériore et sa colonne vertébrale risque de se briser. Il est admis à l’hôpital où il pense rester trois mois. Il ne saura officiel- lement qu’il a le sida qu’à la page 188 et le livre finira neuf pages plus tard. Il apprendra que Mona Hessler est également séropositive, on lui dira qu’elle l’a sans doute contaminé. Sa fiancée est également séropositive ; là c’est lui qui l’a contaminée et pour l’enfant à naître, c’est l’attente. Il ne quittera jamais l’hôpital et une note de son médecin annonçant sa mort clora le livre qui sera écrit depuis son lit d’hôpital, comme dans le cas de Juliette. Le narrateur commencera son manuscrit par le titre qu’il souhaitait pour le livre : « La mort pour une minute de jouissance » (188). En choisissant ce titre, il associe le sexe et la mort. « Demain, je reprendrai la suite de mon récit » (197) est la dernière ligne qu’il écrira. Il avait dit avoir des amis en France dans l’édition, qui vivaient sur la côte d’Azur et il avait demandé à son docteur de leur envoyer le manuscrit après sa mort. Ayant changé tous les noms y compris le sien pour que personne ne reconnaisse les personnages, il pensait que ce n’était pas une mesure suffisante et que le livre devait paraître en France plutôt qu’aux États-Unis. Le livre sera publié par les éditions Le Rocher, basées à Monaco, dont l’éditeur était Jean- Paul Bertrand. Ayant donné un bref résumé du livre, je voudrais maintenant analyser, comme dans le cas de Laygues, si l’histoire racontée est bien celle qui est annoncée ou non. Le livre est présenté comme un polar : la femme est la meurtrière et les hommes les victimes, pourtant au fur et à mesure du livre on s’aperçoit qu’il raconte tout simplement la vie de Mike Winer. L’histoire de Mona n’apparaît qu’à la page 118 pour plus ou moins disparaître de nouveau. Tout comme pour les livres de Juliette et de Laygues, la question se pose de savoir si le livre raconte une histoire vraie ou non (le terme « vrai » étant pro- blématique en lui-même), même si on peut lire sur la couverture « histoire vécue ». Mirko Grmek pense que même si l’origine de l’histoire est vraie, elle a été considérablement déformée par l’écriture20. Ce qui importe est que le livre ait été vendu comme « histoire vécue ». Selon Michel Danthe qui a mené enquête auprès de l’éditeur, un pseudonyme a été utilisé mais l’histoire est basée sur une histoire vraie21. Winer voulait que le titre de son livre soit : « La mort pour une minute de jouissance » (188). Son éditeur a jugé bon de mettre l’accent sur le côté polar du livre. Ce n’est pas une coïncidence si, à un an d’intervalle, les deux premiers 20 M. Grmek, « Un historien face à la littérature du sida », art. cit., p. 37. 21 Cf. M. Danthe, « Le sida et les lettres », art. cit., p. 52. Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
24 Boulé livres sur le sida représentent les femmes en tant que vengeresses. Si l’on s’en tient à l’analyse de Weeks, cette période de panique morale (entre 1983 et 1986) est reflétée dans le genre du polar. Il y a également une autre explication à ce genre. Selon Joseph Dewey, la littérature de l’époque sur le sida avait sou- vent « une intrigue qui était dénuée de suspense, l’action n’avançant que par la monotonie de l’annonce de la mort22 ». Il est vrai que, la plupart des histoires racontant la chronique d’une mort annoncée, présenter le livre comme un polar ajoutait à l’intrigue. Tout comme Juliette, Mona Hessler est une sorcière vengeresse. Elle entre aussi dans le jeu des représentations des séropositifs comme meurtriers, dénoncé par Act Up-Paris23 et qui ajoutait au vent de panique. Rappelons qu’à l’époque l’extrême-droite voulait enfermer les séropositifs dans des « sidatorium24 ». Il y a un point commun aux deux livres : une femme qui veut vivre sa sexualité librement devient tout de suite dangereuse et entraîne la mort. Il existe de nombreux parallèles entre les personnages de Winer et de Juliette dans Pourquoi moi ? Winer dit ouvertement qu’il n’avait jamais pensé pouvoir attraper le sida : « Cela n’arrive qu’aux autres » (16) ; Juliette a comme leitmotiv « À moi cela n’arrivera pas ». Winer est très sarcastique avec son ami Philippe qui selon lui a une vie ennuyeuse. Il aime sa femme Charlotte et lui est fidèle. Il dit que Philippe est simplement le double de Charlotte (16). Il met en avant ses errances sexuelles en tant qu’hétérosexuel contre la monoga- mie ennuyeuse de son ami Philippe. Lors d’une soirée, il tente de faire boire Philippe pour ensuite l’emmener en boîte et le faire coucher avec une fille ; il ne réussit pas à le débaucher. À une autre occasion, il essaie de coucher avec Charlotte, mais elle le rabroue. Juliette a la même attitude face à la vie de sa mère ; elle la décrit comme ayant vécu avec une chaîne autour du cou et dit qu’elle ne veut pas être prison nière comme sa mère. Winer dit qu’il préfère mourir à cinquante ans avec son style de vie plutôt que de vivre jusqu’à quatre-vingts ans la vie médiocre qui attend Philippe. Le seul moyen de se sentir vivant pour eux est de prendre des risques. À la fin du livre, Winer sera seul au monde. Sachant ce qu’il a fait, sa 22 Joseph Dewey, « Music for a Closing : Responses to AIDS in Three American Novels », dans Emmanuel S. Nelson, (edited by), AIDS : The Literary Response, New York, Twayne Publishers, 1992, p. 25 (« the plot must operate without the drive of suspense, propelled only by the grind of inevitability »). 23 Act Up-Paris, Le Sida, op. cit., p. 174-175. 24 Cf. Hugo Marsan, La Vie blessée. Sida, l’ère du soupçon, Paris, Maren Sell, 1989, p. 139-140. Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
Typologie des premiers livres publiés en France sur le sida 25 future famille l’abandonnera. Il n’aura plus aucun contact avec eux. Aucune visite à l’hôpital, aucun coup de téléphone. Il y aura pourtant un seul et dernier visiteur (cet épisode étant raconté dans l’avant-dernière page du livre) et c’est selon moi là que se trouve le message du texte. Philippe, celui dont il s’était constamment moqué et qu’il appelait ennuyeux à cause de son style de vie bien rangé, sera la seule personne qui viendra le voir. Philippe et Charlotte s’aiment toujours et ils ont maintenant une petite fille. Une des dernières réflexions de Winer est que Philippe est cer- tain de ne pas attraper le sida en ayant un seul partenaire sexuel. Il conclut que c’est sûrement Philippe qui avait raison avec sa philosophie de la vie. Pendant son séjour à l’hôpital, qui correspond aux derniers mois de sa vie, il dépense toute son énergie à écrire son livre. Ce processus reflète celui de Juliette qui écrit aussi son histoire depuis son lit d’hôpital. Pourquoi écrit-il ? « Mon bouquin devra être considéré comme un cri d’alarme adressé aux jeunes. Je n’ai pas d’autres ambitions » (197). Et la leçon qu’il veut leur inculquer est claire : « Pour une minute de jouissance j’ai attrapé la mort » (193). Dans le contexte de l’archéologie des écrits du sida en France, les éditeurs ont choisi, non seulement avec le titre mais aussi avec l’intrigue, de symboliser la femme comme une sorte de sorcière démoniaque qui contamine les hom- mes (tout comme Juliette). Comme le dénonce Act Up, ce genre de représenta- tion des séropositifs comme meurtriers en puissance fait le jeu des discours d’exclusion comme ceux de l’extrême droite et alimente une sorte de psychose du séropositif. D’une manière plus perverse, en montrant des femmes et des hommes comme Winer qui s’adonnent aux errances sexuelles et qui meurent, ces textes sont un moyen indirect de contrôler la sexualité. Le style de la narration du livre de Winer ressemble lui aussi à une confes- sion. Ce qui est explicite dans Bienvenue dans le monde du Sida ! c’est que la sexualité monogame hétérosexuelle est la seule garantie de ne pas attraper le virus. Un autre message du livre est que les femmes sont là pour la procréa- tion comme Charlotte, l’épouse de Philippe. Le livre ne contient aucune image positive des homosexuels, des prostituées ou des drogués ; simplement des clichés. Les femmes sont soit des sorcières (Mona Hessler) soit des victimes passives (Karine Wooley, la fiancée de Winer). L’analyse rapide proposée dans ces pages montre bien que les quatrièmes de couvertures ainsi que le contenu de certains des livres, surtout celui de Laygues et à un degré moindre celui de Winer, font partie du discours domi- nant visant à régulariser la sexualité et à assurer l’hégémonie de la monoga- mie hétérosexuelle. Mais c’est justement parce qu’il se sent obligé de recentrer l’hétérosexualité que le discours dominant devait se sentir menacé et était Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
26 Boulé effectivement menacé par la libération sexuelle et homosexuelle des années 1970. Les valeurs qu’il prône par excellence sont la monogamie et la vie fami liale avec enfants. Le sujet de ces livres entraîne une certaine homophobie chez ses lecteurs. C’est en tout cas ce qu’analyse Lee Edelman : Dans le cas du sida, l’infection engendre des phrases – des phrases qui font que dans l’histoire vénéneuse des constructions homophobiques, elles nous assurent que quelle que soit l’idéologie qu’elles représentent, elles porteront en elles le bacille virulent du discours culturel dominant25. Pour illustrer la pensée d’ Edelman, on peut citer Sida. Témoignage sur la vie et la mort de Martin, le premier livre à être paru en France en 1985. La quatrième de couverture décrit la sexualité comme une affaire dangereuse. Le message du livre n’est pas de démythifier le sida (comme le début de ce texte le laisse entendre), mais de nous dire que si nous cherchons le désir aventureux, ce chemin mène à la mort. Les premiers écrits du sida se sont inscrits en marge de ce qu’on appelle la littérature. Récemment à propos de la littérature sur l’Holocauste, on a dit que, finalement, les témoignages les plus importants ne sont pas nécessairement ceux des survivants mais ceux des gens qui sont morts dans les chambres à gaz. Je ne comparerai pas l’Holocauste avec l’épidémie du sida, mais je dirais que les livres étudiés ici sont tous épuisés et donc enterrés. Mon travail de fouilles archéologiques m’a permis de retrouver ces histoires et mon travail de généalo- gie de voir quels discours de savoir/pouvoir dominaient ces textes. Voilà pour- quoi ces livres ne devraient pas être oubliés. 25 Lee Edelman, « The Plague of Discourse : Politics, Literary Theory, and AIDS », South Atlantic Quarterly, 88, 1, Winter 1989, p. 315 (« In the case of AIDS, infection endlessly breeds sentences – sentences whose implication in a poisonous history of homophobic constructions assures us that no matter what explicit ideology they serve, they will carry within them the virulent germ of the dominant cultural discourse »). Jean-Pierre Boulé - 9789004325975 Downloaded from Brill.com07/02/2020 07:14:29AM via free access
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