UN ACCORD HISTORIQUE À AMÉLIORER ET À RÉALISER - Institut Jacques Delors
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UN ACCORD BUDGET EUROPEEN DÉCRYPTAGE JUILLET 2020 HISTORIQUE #ACCORD EUROPÉEN #BUDGET À AMÉLIORER ET À RÉALISER ▪ SÉBASTIEN MAILLARD Directeur, Institut Jacques Delors, Paris. Le Conseil européen a statué sur le plan de péenne doit s’organiser pour mettre l’accord relance et le futur budget européen, qu’il en musique, celui-ci doit encore être ratifié appartient au Parlement européen d’amé- par chacun des parlements nationaux, pour L’auteur remercie Pascal Lamy, liorer et à la Commission de mettre en œuvre le volet relance, et se mettre au diapason du Geneviève Pons et Eulalia Rubio avec les Etats membres. Parlement européen s’agissant du budget pour leur relecture et leurs pluriannuel. La résolution adoptée par les remarques. C’est une Union européenne potentielle- députés européens à une large majorité le ment plus intégrée et solidaire qui émerge 23 juillet reflète leurs exigences. Elles offrent du grand accord conclu entre les 27 chefs l’occasion d’améliorer un compromis, qui d’Etat et de gouvernement à Bruxelles à s’est noué par le biais d’ambiguïtés pas l’aube du 21 juillet, au terme de plus de toujours constructives et au détriment de quatre jours et nuits d’âpres négociations politiques essentielles pour l’avenir même sur un plan de relance adossé au budget plu- des Vingt-Sept. riannuel européen. L’ampleur de la réponse que cet accord apportera aux économies les plus touchées par la crise du Covid et 1 ▪ Un accord historique l’avancée dans l’intégration européenne qu’il pour une relance très attendue engage méritent tous deux d’être salués. Sa traduction concrète, rapide et visible Le qualificatif d’historique n’est pas usurpé est maintenant nécessaire pour que les à propos de l’accord du Conseil européen sommes astronomiques annoncées aux extraordinaire du 21 juillet dernier. Non pas Européens ne restent pas de lointaines du fait qu’il est l’aboutissement d’un des promesses. Tandis que la Commission euro- plus longs sommets dans l’histoire de la THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE• EUROPA DENKEN 1▪6
construction européenne mais parce qu’il Le projet de fonds de relance à 750 milliards introduit une solidarité financière nou- préparé par la Commission s’appuie en effet velle. La Commission est appelée en effet largement sur une proposition avancée à lever pour l’UE sur les marchés financiers conjointement le 18 mai par Emmanuel un grand emprunt, de 750 milliards d’euros, Macron et Angela Merkel, qui préconisaient pour alimenter un fonds de relance. Nommé alors une relance à hauteur de 500 milliards « NextGenerationEU », ce fonds doit servir, entièrement par subventions. Le président au cours des trois prochaines années français a su rapprocher de ses vues une (2021-2023), à financer le relèvement de chancelière allemande longtemps rétive à ce l’économie européenne tant affaiblie par la qui se rapproche d’un stabilisateur macroé- pandémie. La Commission a déjà emprunté conomique. Même moindre qu’envisagée, dans le passé mais jamais de tels montants une solidarité essentiellement par trans- et, surtout, ici la majorité du fonds (52%, 390 ferts l’a emporté, malgré une opposition milliards d’euros) sera distribuée sous forme acharnée, durant le sommet, des Pays-Bas, de subventions directes, que les bénéfi- de l’Autriche, du Danemark et de la Suède ; ciaires n’auront donc pas à rembourser quatre pays autoproclamés « frugaux », comme telles. auxquels s’est jointe la Finlande. La solidité retrouvée du couple franco-allemand, mani- C’est cet endettement européen pour feste tout au long du sommet, aura favorisé financer des transferts budgétaires qui pré- cette avancée européenne encore inimagi- sente un caractère inédit, donc historique, nable trois mois plus tôt. au regard de la construction européenne. Le principe d’une telle solidarité avait tou- Cette avancée d’essence fédérale eût sans jours été inconcevable jusqu’alors pour doute été impossible avec le Royaume-Uni. plusieurs pays du Nord. Les Vingt-Sept l’ont L’accord du Conseil européen, conclu pour cette fois accepté, officiellement de manière l’ensemble des Vingt-Sept et non pour la temporaire, en réaction aux circonstances seule zone euro, est le premier de l’Europe exceptionnelles provoquées par le Covid. post-Brexit. Si le retrait britannique reste une Mais le pas est bel et bien franchi et il porte aventure malheureuse, cet accord démontre jusqu’en 2058, échéance de remboursement de nouveau que cette sortie n’a pas disloqué du grand emprunt. Ledit remboursement, de l’UE mais, au contraire, peut faciliter des surcroît, appelle de nouvelles ressources étapes d’intégration. propres. Ainsi, de même que la crise finan- cière et des dettes souveraines de 2008-2012 a bouleversé le rôle de la BCE, la crise sani- 2 ▪ Un accord arraché au prix fort taire et sa récession consécutive sont en train de transformer, par cet accord, les poli- La volonté de conclure l’accord à l’unani- tiques budgétaires dans l’Union. Avec les mité des Vingt-Sept a toutefois conduit à autres instruments créés pendant le Covid, un compromis arraché au prix de plusieurs en particulier le soutien au chômage partiel concessions regrettables. La gouvernance (SURE), c’est une intégration européenne du fonds de relance, très disputée pendant plus solidaire, chère à Jacques Delors, qui le sommet, a trouvé une solution de com- peut prendre forme. L’euro lui-même sortira promis qui pourrait en compliquer la gestion. transformé par un rôle international accru à la faveur de l’émission de titres par la Com- Surtout, l’apport d’argent frais via le fonds de mission sur les marchés financiers. relance s’opère en contrepartie par des coupes sombres dans le budget européen Politiquement, cet accord a vu le retour du des 7 prochaines années, le cadre financier franco-allemand dans son rôle d’aiguillon. pluriannuel (CFP) pour 2021-2027, ramené à THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE• EUROPA DENKEN 2▪6
1 074 milliards d’euros (cf. tableau récapitu- sées dans le CFP, au détriment donc de ce latif ci-dessous). En liant aussi étroitement dernier. Les programmes qui n’ont pas d’allo- les deux exercices, ceci était à redouter. Bien cations préalablement réparties entre Etats qu’en pratique réussie, cette négociation ont été les plus réduits. A l’arrivée, l’avancée conjointe était un pari osé tant elle multi- solidaire s’est faite sur le dos de pro- pliait, pour les plus réfractaires au fonds de grammes d’investissements pourtant clés relance, les possibilités de conditionner leur pour l’avenir collectif de l’Union. accord à celui-ci par des concessions pui- Source : Institut Jacques Delors Ainsi, paradoxalement, le budget pour la poli- Horizon 2020, auquel ce programme-cadre tique de santé, bien qu’en progression, n’est européen de recherche succède pour les plus financé à la hauteur que la pandémie sept ans à venir. Mais son total de 80,9 mil- l’avait soudainement porté (1,67 milliard liards se retrouve en-deçà de ce que la d’euros contre 9,37 proposés par la Com- Commission ambitionnait en 2018 pour les mission dans le programme EU4Health). Vingt-Sept, avec 86,5 milliards (cf. tableau ci-dessous), dans un domaine où la course En recherche, l’effort a été atténué. Horizon mondiale est sans relâche. Europe reste en progression par rapport à Source : Institut Jacques Delors THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE• EUROPA DENKEN 3▪6
Des secteurs d’avenir, où la mutualisation Côté recettes, le compromis des Vingt-Sept des moyens à l’échelon européen fait sens, a exigé le maintien de rabais pour cinq pâtissent aussi de réductions. Le nouveau pays (les 4 « frugaux » et l’Allemagne) dans fonds européen de défense, envisagé à 11,4 leur contribution au budget européen. Ces milliards d’euros (à prix constants) par la réductions devaient pourtant disparaître à Commission en 2018, a été diminué à 7 mil- la suite du Brexit, qui met fin au « chèque liards tandis que la Facilité européenne de britannique ». Non seulement ces rabais paix a été ramenée de 9,2 à 5 milliards. Ces se retrouvent pérennisés pour les sept coupes sont d’autant plus dommageables prochaines années mais parfois même qu’elles trahissent le manque d’ambition augmentés, au détriment ici de la France, collective des Vingt-Sept pour l’Europe de la qui s’en trouvera le principal financeur, avec défense quand le besoin de celle-ci se fait l’Italie. plus pressant dans le contexte géopolitique ambiant. Autre cadeau trop généreux, les droits de douane. Les Pays-Bas et la Belgique, qui De manière toute aussi injustifiée, les fonds gèrent respectivement les grands ports de européens dédiés à la coopération et à Rotterdam et d’Anvers, bénéficieront d’un l’aide humanitaire se retrouvent réduits de plus grand pourcentage sur la perception 9% par rapport à l’enveloppe proposée par la de ces droits, dont les recettes alimentent Commission en 2018 alors que les besoins directement le budget européen dans le sont plus pressants.1 cadre du marché intérieur. D’autres coupes sèches concernent le pro- Outre ces coupes et pourboires tirés des gramme de stimulation de l’investissement marchandages à Vingt-Sept sans égards privé, InvestEU (de 31,6 milliards dans la pour l’intérêt européen, l’accord laisse des dernière proposition de la Commission, il zones floues sur trois questions euro- tombe à un total de 6,9 dans l’accord), le pro- péennes d’importance. gramme de développement rural ainsi que le nouveau Fonds pour une transition juste Tout d’abord, les ressources propres. De (de 40 à 17,5 milliards) destiné à accompa- nouvelles recettes doivent être créées pour gner socialement la transition énergétique rembourser le grand emprunt européen dans le cadre du Pacte vert européen. Quant d’ici à 2058. Seule une contribution sur les à la Facilité d’investissement stratégique, plastiques non recyclés est prévue pour qui devait notamment stimuler des inves- l’an prochain. Les autres projets, comme tissements dans les énergies nouvelles, cet la création bienvenue d’un mécanisme instrument disparaît complètement. Tout d’ajustement carbone aux frontières euro- comme un instrument de solvabilité pour péennes2 ou d’une taxe numérique, sont les entreprises. formulés dans l’accord mais de manière non contraignante, fragilisant d’autant le rem- Autre investissement d’avenir rogné, l’en- boursement à terme du grand emprunt. veloppe du fameux programme Erasmus, est portée à 21,2 milliards (contre 14,9 sur La formulation reste sujette à interprétation 2014-2020) alors que la Commission avait concernant la condition de respecter l’état de initialement proposé en 2018 son double- droit pour bénéficier de fonds européens. Le ment, à plus de 26 milliards, afin que ce Conseil européen n’a certes pas été jusqu’à programme d’échange profite au plus grand exiger l’unanimité pour suspendre ainsi des nombre de jeunes. fonds. Il a prévu, le cas échéant, un vote à la 1. Sur les coupes dans ce domaine et la défense, lire aussi notre Policy Brief de N.Koenig/E.Rubio, 22 juillet 2020 2. Policy Paper P.Lamy, G.Pons, P.Leturcq, EJD (Bruxelles), Verdir la politique commerciale de l’UE : Une proposition d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, juin 2020 THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE• EUROPA DENKEN 4▪6
majorité qualifiée des Etats membres pour Les élus européens sont aussi attendus déclencher cette suspension. La Commis- pour faire clarifier les ambiguïtés énumé- sion proposait de réunir une telle majorité rées plus haut, notamment à propos de pour, à l’inverse, empêcher ce blocage ; ce l’état de droit. Sur les nouvelles ressources qui serait plus opérationnel pour faire res- propres, qu’ils réclament de longue date, leur pecter l’état de droit. résolution du 23 juillet conditionne l’appro- bation du CFP à un calendrier contraignant Enfin, au regard des exigences clima- d’introduction de telles ressources. Le Par- tiques, l’accord paraît aussi insuffisamment lement européen peut enfin prendre un rôle contraignant. Il n’oblige pas les Etats à une dans la gouvernance du fonds de relance4 cohérence suffisante entre leur plan de pour contribuer à en contrôler l’usage. relance et ceux qu’ils présentent en matière d’énergie et climat et pour une transition Pendant ce temps, la Commission doit juste. Le compromis prévoit toutefois une s’organiser sans tarder. Elle va devoir gérer cible de 30% au total de dépenses clima- subitement l’équivalent de cinq fois le budget tiques à travers le budget et le fonds de annuel européen. Son défi sera d’éviter que relance. Il interdit des dépenses à l’impact le traitement des demandes de subventions négatif pour le climat (principe « do no et leur décaissement ne se transforment en harm »), dont le respect appellera toute- monstre bureaucratique, tout en prévenant fois une vigilance scrupuleuse. En pratique, les risques de gaspillage et de détourne- l’émission partielle du grand emprunt sous ment qui augmentent avec les nouveaux forme d’obligations vertes3 obligera au volumes à gérer. moins à consacrer ces sommes à des inves- tissements qui remplissent les conditions Ce défi de mise en œuvre en représente de la taxonomie européenne. aussi un pour les Etats membres de l’Union, qui auront cette manne budgétaire euro- péenne ensuite à gérer. Ils rencontrent déjà, 3 ▪ Un accord à améliorer et en temps ordinaire, des difficultés, comme à vite concrétiser en France, à utiliser l’ensemble des fonds. Avec désormais le plan de relance en sur- La balle est aujourd’hui dans le camp du plus, c’est toute leur capacité d’absorption Parlement européen pour regarnir le cadre des fonds qu’il leur appartient de décupler financier pluriannuel trop déplumé et ainsi en un temps record. améliorer l’accord. Ce faisant, le Parlement ne menace pas le fonds de relance, lequel Mais le défi n’est pas qu’organisationnel, il ne dépend que du Conseil. Et le Parlement est d’abord économique pour que le plan de est dans son rôle sur le budget européen. relance produise au plus vite ses effets dans Son consentement à la majorité absolue les pays et secteurs les plus touchés par la est indispensable, en tant qu’autorité bud- crise. Et il est tout autant politique pour que gétaire. Les députés européens sont par les citoyens voient sans tarder sur le terrain ailleurs co-législateurs, avec le Conseil, pour la couleur européenne des sommes pro- les textes encadrant les programmes sec- mises, au risque sinon d’une déception très toriels. Ils peuvent donc chercher à étoffer, coûteuse. La question est particulièrement au moins à la marge, plusieurs enveloppes sensible en Italie, première bénéficiaire du budgétaires. nouvel instrument de relance, où l’attente envers l’UE a été très déçue pendant la pan- démie qui a durement frappé le pays. 3. Blogpost Jean-François Pons, EJD (Bruxelles), Plan de relance : place aux obligations vertes et sociales, 24 juillet 2020 4. Policy Brief Lucas Guttenberg, Thu Nguyen, JDC (Berlin), How to spend it right : a more democratic governance for the EU recovery and resilience facility, 11 juin 2020 THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE• EUROPA DENKEN 5▪6
Enfin, le Conseil européen n’est pas en mémoires collectives qui seront longues à reste pour se réinventer. S’il a fait montre dissiper. Trouver une solution commune à d’une célérité dans la réactivité par rapport Vingt-Sept et non pas marchander jusqu’à aux crises récentes passées et fait preuve épuisement réclame une hauteur de vue, d’une capacité de compromis, ses négo- que seul confèrera un esprit européen mieux ciations médiatisées parfois acerbes entre partagé. dirigeants laissent des traces dans les ▪ Directeur de la publication : Sébastien Maillard ▪ La reproduc- tion en totalité ou par extraits de cette contribution est autorisée à la double condition de ne pas en déna- turer le sens et d’en mentionner la source ▪ Les opinions exprimées n’engagent que la responsabil- ité de leur(s) auteur(s) ▪ L’Institut Jacques Delors ne saurait être rendu responsable de l’utilisation par un tiers de cette contribution ▪ Version originale ▪ © Institut Jacques Delors Institut Jacques Delors Penser l’Europe • Thinking Europe • Europa Denken 18 rue de Londres 75009 Paris, France • www.delorsinstitute.eu T +33 (0)1 44 58 97 97 • info@delorsinstitute.eu
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