Un plagiaire méconnu : Nicolas Sarkozy

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Un plagiaire méconnu : Nicolas Sarkozy
Par quels mécanismes les professionnels de la politique
accumulent-ils du crédit médiatique ? Le cas exemplaire d’un
politique exemplaire devenu Président. Un cas de plagiat.
Impossible sans les connivences qui autorisent le silence autour du
plagiat.

Par Alain Garrigou, professeur de science politique à l’université Paris X –
Nanterre.

L’imposture est monnaie courante pour fabriquer des livres qui servent d’abord à la
promotion médiatique de leurs auteurs (Alain Minc, Jacques Attali, Bernard-Henri
Lévy ont déjà été condamnés pour plagiat, ce qui n’empêche pas leurs carrières…).
Ce type d’imposture exprime bien sûr un mépris considérable pour le véritable travail
de recherche et pour ceux qui patiemment le développent. Mais il y a plus grave. Car
révéler que la plupart des professionnels de la politique n’écrivent pas les livres qu’ils
signent, ne vaudrait pas une heure de peine si l’enquête ne montrait pas, en premier
lieu, les mécanismes qui, structurellement, rendent cette pratique non seulement
commune mais possible, normale, acceptée et tue. En l’espèce, et tout d’abord, la
complaisance de maisons d’édition obnubilées par le passage de leurs « auteurs »
dans les médias, pour - tout au moins les éditeurs le croient-ils - « booster » leurs
ventes. De sorte que faire signer une star de la politique semble aux éditeurs, à
chaque fois « un bon coup ». Que leur importe alors qui rédige l’ouvrage, et plus
encore sa qualité, ou a fortiori son originalité et son origine. Ce genre d’arrangements
ne serait pas devenu si courant, si les attachés de presse des grandes maisons
d’édition ne pouvaient compter sur d’honorables correspondants dans la presse ou à
la télévision, tout heureux d’exhiber (dans leurs émissions ou dans leurs chroniques)
telle ou telle vedette politique dans un rôle plus ou moins inattendu ; ce qui, en tout
cas en ont-ils intériorisés l’espérance, les fera être lus ou gonflera leur audimat. Et
puis, il y a le silence des autres professionnels de la politique. Ceux qui savent mais
se taisent, parce qu’eux-mêmes ou leurs patrons en politique ont également signé
des livres qu’ils n’ont pas écrits. Ceux qui savent donc, mais dont les carrières
politiques tiennent au succès public des vedettes politiques qu’ils soutiennent, de ces
vedettes dont les réseaux sont susceptibles d’accélérer ou de ralentir leurs carrières.
Sans doute y-a-t-il d’ailleurs quelques coïncidences entre l’autonomisation
progressive d’un champ politique où l’horizon de l’engagement consiste de plus en
plus à effectuer une carrière d’élu, et ce silence de connivence, qui préserve du
discrédit les règles d’un jeu dont beaucoup de responsables de partis, à tout niveau,
escomptent des rétributions. Qui dévoilera, dans ces conditions, l’une des « lois du
milieu », sans risquer les représailles de quelques parrains ? Alors qu’accéder à une
position de pouvoir politique a, pour ceux qui finalement y parviennent, déjà souvent
coûté cher (en temps, en dévouement, en amitiés perdues, en coups personnels
reçus, en docilité…). Le plagiat ou le recours à quelques « nègres » ne relève donc
pas seulement d’une économie de temps, pour les plus reconnus (et les plus
« surbookés ») des professionnels de la politique, qui fréquemment cumulent tant de
fonctions électives, qu’ils ne peuvent pratiquement pas se consacrer à tel ou tel

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travail de plume, et a fortiori jouer avec leurs agendas, distraire de leur temps pour
telle ou telle recherche.

La multiplication récente de ces livres signés par de « grands politiques », la
prolifération de ces livres qu’ils n’ont pas écrits, n’est ainsi rendue possible qu’autant
que les anticipations (notamment commerciales) des éditeurs rencontrent les
anticipations des promoteurs médiatiques de ces ouvrages (qui de ces promotions
espèrent leur promotion propre). Cependant que les autres politiques ne disent rien,
parce que leurs intérêts à se taire sauvegardent l’espace professionnel où ils
développent leurs carrières spécifiques.

Mais en l’espèce, un exemple indiquera mieux ces mécanismes, et jusqu’aux
silences qui les autorisent.

L’affaire débute en 1994. Nicolas Sarkozy, ministre du Budget et porte-parole du
gouvernement, commence à organiser les réseaux Balladur qui promotionneront son
mentor à la présidentielle de 1995. Le maire de Neuilly n’est néanmoins pas le seul
dans l’opération et souffre même d’un déficit de notoriété par rapport, par exemple à
François Bayrou, Charles Pasqua, François Léotard…qui disposent soit des partis
qu’ils dirigent, soit de réseaux plus anciens, plus puissants, et d’une reconnaissance
antérieure. Pour s’imposer davantage parmi ses associés-rivaux en tête de file des
balladuriens, tout au souci, donc, d’accroître son crédit public en cumulant capital
politique, « profondeur intellectuelle » et reconnaissance médiatique, il « écrit » alors
une biographie intitulée Georges Mandel, le moine de la politique (éditions Grasset,
1994), probablement « assisté » par un nègre (selon les rumeurs: Roger Karoutchi,
agrégé d’histoire, professeur, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en
Provence, et auteur d'une biographie de Jean Zay ; à présent Secrétaire d'État
chargé des Relations avec le Parlement). L'ouvrage est matière à concert de
louanges, et sans aucune fausses notes salué par la critique. Le Monde juge cette
« étude » fort pertinente. Globe hebdo (dirigé par Georges-Marc Benamou, plus tard
conseiller spécial à l’Elysée pour la Culture) évoque longuement cette « remarquable
biographie ». Paris Match et TF1 offrent à l’auteur de se livrer sur sa passion pour
Mandel en de longs entretiens...La biographie signée Nicolas Sarkozy s’élève dans
la liste des meilleures ventes en librairie. L'année suivante en est même tirée une
adaptation télévisée, Le Dernier Été, réalisée par Claude Goretta (primé en 1977 au
festival de Cannes pour La dentellière), « d'après l'oeuvre de Nicolas Sarkozy sur
Georges Mandel », avec Jacques Villeret et Catherine Frot dans les premiers rôles.
Elle passe en « prime-time » sur France 2, en 1997. Et le DVD, commercialisé par la
suite, contient en bonus « un entretien avec Nicolas Sarkozy ».

Quelques années plus tard, Georges Mandel, le moine de la politique sera
récurremment utilisé par le candidat à l'Elysée qui, par l’exaltation des grands
hommes de la Patrie (y compris Jaurès), et d’incessantes références à l'héroïsme de
la Résistance (cf Guy Môquet), n’omets pas, en une auto-héroisation par Mandel
autorisée, de souligner les parallèles entre Georges Mandel et lui-même - ce qui,
contre la gauche, en une représentation de la France réconciliée (dont il serait
l’ultime incarnation), lui offre de s’élever à la hauteur de la fonction présidentielle,
quand l’handicapent encore ses habits de ministre de l’intérieur et sa trahison de
Jacques Chirac (que les réseaux Chirac peinent à lui pardonner).

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Qu’on nous autorise ici un a parte. On le sait, dans son curriculum vitae, Nicolas
Sarkozy mentionne un mémoire sur le référendum de 1969 avec une insistance
inhabituelle. Il l’a aussi évoqué durant la campagne présidentielle. Depuis la
publication récente de ses notes en DEA de sciences politiques, on sait que sa note
de 16 sur 20 peut donner à son « auteur » des motifs de fierté. Faute de trouver
trace matérielle de ce mémoire… on se perd en conjectures sur une note aussi
élevée pour un objet de recherche aussi compliqué. Pour apprécier la compétence
de son auteur, tout porte donc à se reporter à une autre de ses « œuvres ». Dans
une bibliographie comportant plusieurs livres, l’ouvrage le plus célèbre de Nicolas
Sarkozy, celui sur Georges Mandel, peut paraître le mieux indiqué. Puisque cette
biographie d’un homme politique du vingtième siècle doit - tout au moins peut-on le
supposer - faire appel à la même combinaison de compétences à la fois historiennes
et politologiques, que celles mobilisées dans son mémoire de DEA.

Nicolas Sarkozy n’a pas été le premier à chercher un modèle dans un homme
politique prestigieux1. Avec l’alibi des racines locales, certains dirigeants de la
République se sont même faits les panégyristes de monarques. L’appétence des
professionnels de la politique pour le genre biographique exprimant, au passage, la
représentation individualisée et héroïsée qu’ils se font de leur activité. Plus
modestement, le jeune ministre du budget du gouvernement Balladur avait trouvé en
Georges Mandel un miroir. Les principaux titres de gloire de Mandel furent d’avoir été
chef de cabinet du Tigre en 1917. Il était devenu, par la suite, gestionnaire efficace :
comme ministre des Postes puis comme ministre des Colonies… Il avait aussi refusé
l’armistice en juin 1940, avant d’être auréolé du martyre quand il fut assassiné par la
Milice en juillet 1944. Mais Georges Mandel représente surtout pour son biographe
une justification de la vocation, car il fut « l’homme d’une passion qui l’a habité dès
son plus jeune âge : la politique » (N.S, p. 11).

La personne qui a suggéré à Nicolas Sarkozy de prendre un tel modèle ne souhaitait
probablement pas explicitement multiplier les parallèles entre le passé et le présent.
Certains sont néanmoins troublants. Georges Mandel avait lui aussi, changé de nom
pour faire de la politique, troquant, en une période où l’antisémitisme mobilisait les
Ligues d’extrême-droite et au-delà, celui, très « connoté » de son père, commerçant
du Sentier pour celui, plus discret, de sa mère. Il avait toute sa vie souffert des
moqueries sur sa petite taille et sur son physique ingrat. Ses études ne dépassaient
pas le baccalauréat, ce qui n’était pas rien avant 1914. Mais cela ne suffisait pas
pour rivaliser avec quelques grands personnages de la Troisième République. Du
coup, Georges Mandel prétendit publiquement avoir fait des études à Normale Sup
ou bien à l’université de Paris. La supercherie fut découverte et lui valut les quolibets
d’adversaires comme Poincaré qui le félicita de la précision d’un exposé
parlementaire digne de « Normale sciences » ou d’autres qui le qualifièrent de
« anormalien ». L’homme avait du caractère et savait se défendre. Il était notamment
spécialiste des « petits papiers » compromettants en campagne électorale, et
compromettants à la Chambre des Députés. Sa placidité le mit aussi à l’abri des
nombreuses vexations auxquelles condamnait, selon lui, la politique. Son parrain
dans la carrière, Georges Clémenceau, ne fut pas toujours tendre à l’endroit du
jeune rédacteur de l’Aurore : « Mandel, vous ne saurez jamais écrire. Contentez-

1
 Pendant sa « traversée du désert », consécutive à son soutien au candidat Balladur, Nicolas Sarkozy courait
d’ailleurs les plateaux de télévision en se drapant dans le modèle de Georges Mandel…Voir, donc, Nicolas
Sarkozy, Georges Mandel, Le moine de la politique, Paris, Grasset, 1994.

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vous d’un sujet, d’un verbe et d’un complément direct. Quand vous aurez besoin d’un
complément indirect, venez me voir, sinon vous êtes irrémédiablement foutu ».

Georges Mandel, Le moine de la politique (Grasset, 1994), signé Nicolas Sarkozy,
est une biographie bien informée et plutôt bien écrite. Elle mérite pourtant une forte
critique : c’est un plagiat2.

Le plagiat d’un livre obscur, publié 25 ans plus tôt, aux éditions Pédone en 1969,
écrit par Bertrand Favreau, à partir d’un mémoire soutenu à l’Institut d’Etudes
Politiques de Bordeaux : Georges Mandel, un clémenciste en Gironde3. Malgré son
sous-titre, cette biographie embrasse en effet la totalité de la carrière de Mandel et
non seulement sa carrière d’élu de l’arrondissement de Lesparre, dans le Médoc.
L’étude est citée de manière louangeuse en introduction du Georges Mandel, Le
moine de la politique, paru sous le nom de Nicolas Sarkozy. C’est bien la moindre
des choses. Sauf quelques additions, tirées d’ouvrages sur l’histoire politique de la
Troisième République et postérieurs à l’original, sauf le témoignage de la fille de
George Mandel « à l’auteur », c’est une compilation d’ensemble qui module les
formules, coupe les citations, mais reprend si exactement les analyses, au
demeurant très classiques, qu’un tribunal aurait du mal à isoler des emprunts précis.
Il s’agit d’un emprunt général et diffus. Prenons cependant, et simplement, quelques
exemples qui concernent autant les interprétations que les descriptions4.

Le premier discours à la Chambre est évoqué en ces termes par Nicolas Sarkozy :
« Seul Léon Daudet lui apporta son soutien. Un soutien compromettant » (N.
Sarkozy, p. 102). Ce n’est, pour le moins, guère éloigné de ce qu’en écrit Bertand
Favreau : « Seul Léon Daudet lui apporta sa compromettante approbation » (B.
Favreau, p. 108). Mandel est-il plutôt passif dans les événements tragiques de juin
1940 ? L’un écrit après l’autre : « En fait Mandel a choisi délibérément une attitude
de relative réserve, d’abord à cause de l’amitié qui le liait à Reynaud » (N.S, p. 269).
L’original expliquait : « Ce qui frappe dans le Conseil des ministres de juin, c’est sa
réserve. Il croyait fermement en Reynaud… » (B.F, p. 225). Mandel ne se résout pas
à quitter la France, l’interprétation est simple : « Le « juif Mandel » ne voulait pas
faire à ses adversaires le plaisir de dire qu’il avait déserté… » (N.S, p. 272) ;
Bertrand Favreau écrivait : « Mandel, qui toute sa vie avait entendu des sarcasmes
relatifs à sa religion, ne voulait pas que l’on puisse dire que le « juif Mandel » avait
déserté » (B.F, p. 226).

Pourquoi changerait-on une description précise au point de paraître romancée ? A
propos de l’arrestation de Mandel, l’ouvrage signé Nicolas Sarkozy indique : « Il
déjeunait en compagnie de Béatrice Bretty au Chapon Fin. Le même colonel de
gendarmerie se présenta à leur table et lui enjoignit de le suivre à la caserne de la
gendarmerie rue Judaïque. Motif de l’arrestation ? « Menées contraires à l’ordre
public. » On le soupçonnait d’amasser des armes afin de fomenter un complot. Rien

2
  Rappelons la définition légale du plagiat selon les termes de l’article L122-4 du code de la propriété
intellectuelle : toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou
de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la
transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
3
  Bertrand Favreau, Georges Mandel, un clémenciste en Gironde, Paris, Pedone, 1969.
4
  On invite, pour une comparaison complète, le lecteur à une analyse suivie des deux ouvrages : le cadre limité
de cet article ne permettant pas, bien entendu, de reproduire l’ensemble des nombreux passages plagiés.

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de moins… Or, depuis son départ en pleine nuit du ministère, Mandel n’avait eu le
temps que d’installer sa famille à l’hôtel Royal Gascogne (N.S, p. 273-274). Le texte
de Bertrand Favreau : « Mandel prenait ses repas au Chapon Fin. Le 17 juin, il
déjeunait en compagnie de Béatrice Bretty. Au dessert, le colonel commandant la
gendarmerie se présentait et enjoignait à Mandel de le suivre. Il était porteur d’un
ordre d’arrestation visant non seulement Mandel mais également le général Bürher.
Motif : « Menées contraires à l’ordre public. » Le motif avoué de l’arrestation : Mandel
était suspecté d’avoir fait assembler des armes en vue d’un complot. Raison
inavouée : la haine de Raphaël Alibert, sectaire antisémite d’extrême droite » (B.F, p.
230).

Mais, poursuivons. Comment Georges Mandel fut-il transféré en métropole depuis le
Maroc où il était prisonnier à la suite de l’affaire du Massilia ? La biographie signée
Sarkozy relate ainsi l’épisode : « L’ancien maire de Bordeaux et ministre de l’Intérieur
Adrien Marquet avait dépêché de Vichy un inspecteur de police chargé de ramener
l’ancien ministre. Il se nommait Mondanel, inspecteur général des services de police
criminelle. Deux cent cinquante policiers, pas moins, entourèrent l’avion spécial qui
convoiera Mandel » (N.S, p. 287) ; le texte de Bertrand Favreau, non cité, est encore
une fois reproduit : « Le nouveau ministre de l’Intérieur de Vichy, Adrien Marquet,
envoya de métropole un inspecteur de police chargé de ramener Mandel en France
pour l’y incarcérer. L’inspecteur de police Mondanel fit aussitôt monter Mandel dans
un avion sous la protection de 250 policiers » (B.F, p. 240).

Enfin, sur l’implantation locale de Mandel dans le Médoc, le modèle girondin
s’imposait comme une « référence incontournable » : « Le contingent des Médocains
désormais membres de l’administration des Postes n’avait d’égal que le nombre des
maires de la circonscription de Lesparre qui arboraient « grâce au député » le ruban
rouge de la légion d’honneur » note Nicolas Sarkozy (p. 208). Lisons Bertrand
Favreau : « En 1936, rares étaient les Médocains qui n’avaient pas une fille, un
père, un frère, une cousine ou une tante dans un bureau de poste. Mandel avait
placé les Médocains discrétionnairement. Il ne comptait plus ses obligés. Quelques
trains de « Légion d’honneur » avaient accru la ferveur des maires qui le
soutenaient » (p. 197). Quant aux citations inclues dans Georges Mandel, Le moine
de la politique, elles sont quasiment toutes empruntées à Georges Mandel, un
clémenciste en Gironde. Quasiment toutes empruntées à l’original. Parfois cité, le
plus souvent non cité. Mais il eut fallu citer l’ouvrage de Bertrand Favreau, tant de
fois5…

Nous renvoyons les lecteurs à la comparaison in extenso des deux ouvrages.

Il n’est pas besoin de se livrer à une analyse stylistique sophistiquée pour remarquer
que, tout au long de l’ouvrage, le style diffère des tournures de phrase
caractéristiques de Nicolas Sarkozy. Cette écriture est d’un autre « auteur ». Mais
pour plagier avec un minimum d’adresse, il faut du temps, trop de temps pour un
homme occupé par sa carrière politique. Le plagiat adroit valait bien les 50 000
francs de l’époque payés à la plume mercenaire, au « nègre », comme on le dit

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  A toutes fins utiles et pour renvoyer à cet ouvrage, rappelons l’excellente étude d’Adrien Le Bihan, Les
fourberies de Clisthène, procès du biographe élyséen de Georges Mandel, éditions du Cherche-Bruit, Paris,
2008, consacré à cette biographie de Mandel. On notera que depuis un an, plus rien n’a été dit nulle part sur cette
étude et l’ouvrage d’Adrien Le Bihan est devenu introuvable.

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depuis Buffon dont le secrétaire de couleur écrivit de nombreux textes. Pour ce prix,
il était impensable, pour le « nègre », d’effectuer une vraie recherche.

On ne doute pas que des gens se piquant de réalisme jugent qu’il n’est assurément
pas plus grave de plagier les travaux universitaires que de s’accorder des diplômes,
et qu’après tout, cela se fait couramment. Ou que les éditeurs n’ont qu’à faire leur
travail, eux dont les contrats incluent pourtant une clause d’originalité engageant la
responsabilité des auteurs. Ce sont les mêmes qui s’insurgent devant le moindre
atteinte à la propriété dont ils sont la victime ou pourraient être la victime.

En matière intellectuelle, il n’y aurait ainsi pas de propriété mais un domaine public
sauf si, comme à propos du piratage sur Internet, dont on nous explique qu’il est un
vol, les entreprises de lobbying agissent auprès des gouvernements et des
parlementaires. La définition du vol est aussi un rapport de force.

Pour considérer que le plagiat est un vol, il faut que les idées aient de la valeur ou
porter encore un minimum de considération au travail intellectuel. Pour les victimes
de plagiat, il est aisé de le mesurer au regard de leurs réactions atterrées. Dans ce
cas précis, l’auteur de l’original eut la consolation rare d’être fort opportunément
contacté par une grande maison d’édition pour rééditer (dans une collection de
prestige) une version remaniée de sa biographie originale…deux ans après celle de
Nicolas Sarkozy, et une fois la promotion de celui-ci terminée6. Bertrand Favreau
n’avait pas porté l'affaire devant la Justice. A son grand étonnement d’ailleurs, il sera
même récompensé par le prestigieux Prix de l'Assemblée Nationale, remis en mains
propres par un Philippe Seguin, au terme d’un discours somme toute assez sybillin -
rédigé paraît-il par Roger Karoutchi.

Après tout, pour ceux qui ont recours au plagiat ou aux « nègres », la conscience du
préjudice existe d’autant moins que la dette leur semble avoir été réglée une fois
pour toute, dès lors que la vedette qui signe l’ouvrage, daigne citer l’inconnu qui l’a
auparavant largement « inspiré ».

Reste quelques questions un peu sérieuses. Et d’abord, celle-ci : faut-il prendre les
idées, ces biens immatériels par excellence, au sérieux ? Quelques rares lignes,
cette fois de la main de Nicolas Sarkozy, en disent finalement plus long à ce sujet
que sur leur sujet. S’agit-il de suggérer, en introduction et en conclusion, un sens
général de la vie du personnage ? « Non, le destin de Mandel n’est pas inachevé. Il
est, tout simplement, et c’est déjà beaucoup » (N.S, p. 10). Est-ce si sûr, quand on
lit quelques centaines de pages plus loin : « Quand enfin, il comprit, il était déjà trop
tard. Ce fut injuste. Ce fut cruel. Mais ce fut ! Il fallait la passion. Mandel l’avait. Il
fallait la contenir. Mandel ne le sut pas toujours. Elle emporta tout sur son passage,
ne laissant que le souvenir d’un destin qui aurait pu être achevé » (N.S, p. 323).
Inachevé ? Achevé ? Nicolas Sarkozy ne sait pas très bien ce qu’il en pense.
D’ailleurs, quelle importance ? La question est vaine. Et quelle importance que de
comprendre ? Le style déclamatoire présente une histoire où les choses furent ou
sont, « tout simplement ». Il n’y a donc pas grand-chose à comprendre et à
penser quand le réel est là. En pointillé, tout un programme sur l’inutilité du savoir.

6
    Voir Bertrand Favreau, Georges Mandel ou la passion de la République, Paris, Fayard, 1996.

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