Un zoo particulier Texte : François Arleo Illustrations : Roxane Arleo

 
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Un zoo particulier Texte : François Arleo Illustrations : Roxane Arleo
grandma

Un zoo particulier

       Texte : François Arleo
   Illustrations : Roxane Arleo

                      Tau
Notre grand-mère Janet est d’une curiosité insatiable. La série                 Allez Grandma, prépare-toi, je t’emmène en balade. Au
« Physique pour Grandma» a pour but de lui expliquer quelques aspects           zoo. Je sais que tu as une sainte horreur de voir de
de la physique des particules et d’astrophysique. Cette série s’adresse         pauvres bêtes confinées, ça te fend le coeur. Rassure-
également à tous les curieux, qui, comme Janet, souhaitent découvrir            toi, le zoo où je t’emmène est bien particulier. C’est le
le monde de la physique de façon simple et ludique.                             zoo des particules élémentaires.
                                                                                Les physiciens sont des naturalistes modernes ! Ils cher-
                                                                                chent à découvrir quelles sont les particules élémen-
                                                                                taires, leurs caractéristiques, et à les classifier à l’inté-
                                Déjà paru :
                                                                                rieur de grandes familles. La première chose à faire en
                Une soupe nommée plasma quarks-gluons                           arrivant au zoo est donc de se procurer un plan, sur
                                                                                lequel on distingue deux grandes familles aux noms fort
                                                                                peu évocateurs. Ici, point de mammifères, d’oiseaux ou
                                                                                de poissons, mais la famille des fermions et des bosons,
                                                                                renfermant chacune plusieurs espèces. Ça commence
                                                                                bien. Après tout, les physiciens des particules perpétuent
                                                                                la tradition scientifique consistant à nommer les grandes
                                                                                découvertes à partir des plus illustres d’entre eux. Aux
                                                                                grands chercheurs, la communauté reconnaissante ! En
François Arleo est chercheur en physique théorique au CNRS au sein du
Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de Physique Théorique
                                                                                l’occurrence, les fermions et bosons tirent leurs noms
http://cern.ch/arleo                                                            de l’italien Enrico Fermi et de l’indien Satyendra Bose.
Roxane Arleo est illustratrice. Elle collabore avec des magazines tels que Le
Monde de l’Éducation, L’Entreprise, L’École des Parents, Alternative Santé...   Des bosons grégaires et des fermions solitaires
http://rarleo.free.fr                                                           La différence essentielle entre la famille des fermions
Contact : physiquepourgrandma@gmail.com

                                                                                                              3
et celle des bosons réside dans la valeur de leur « spin »,
caractéristique reliée à la rotation des particules sur
elles-mêmes n’ayant pas d’équivalent dans notre monde
macroscopique. Cette différence est fondamentale quant
à leur comportement collectif ! Jugez plutôt : laissez
mijoter ensemble des bosons de la même espèce, ils
pourront partager exactement les mêmes caractéris-
tiques, comme leur énergie. Imaginez un troupeau de
gnous... ou un banc de sardines. À l’inverse, deux fer-
mions d’espèce identique ne se retrouveront jamais dans
un même état. Ce comportement très individualiste des
fermions est connu sous le nom de principe d’exclusion,
que l’on doit à Wolfgang Pauli.
Des quarks et des leptons
Dirigeons-nous tout d’abord vers ces loups solitaires que
sont les fermions. Cette famille se divise en deux genres,
les quarks (prononcez « couarques ») et les leptons. La
partie réservée aux quarks contient six cages, renfer-
mant chacune une espèce différente nommée saveur.
Quand le modèle des quarks a été introduit par Murray
Gell-Mann dans les années 60, seules trois saveurs
étaient alors connues, baptisées « up », « down » et

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« étrange ». Ce sont des espèces légères, les quarks up      du charme. En associant en duos les saveurs up et down,
et down ayant par exemple une masse cent fois plus           puis étrange et charme, l’existence même du quark de
petite que celle du proton, le noyau de l’atome d’hydro-     beauté a conduit les physiciens à supposer l’existence
gène ! Bref, de petits gabarits. Par un soir de novembre     d’une sixième saveur. Le pari s’est révélé gagnant quand
1974, cependant, une nouvelle particule découverte si-       le très lourd quark « top » - presque deux cents fois la
multanément dans deux laboratoires américains déclenche      masse du proton - est découvert en 1995.
une petite révolution : ses caractéristiques particulières   À deux pas des quarks se trouvent également six cages,
impliquent l’existence d’une nouvelle espèce de quark,       réparties de part et d’autre de l’allée des leptons. La
jusqu’alors inconnue et sensiblement plus lourde, le         première que l’on rencontre sur notre droite
« charme ». Il a donc fallu aménager une quatrième cage      renferme un animal que l’on connaît bien
pour accueillir cette saveur, puis rapidement une cin-       et depuis longtemps (1897 !), l’électron.
quième, la découverte de la « beauté » succédant à celle     Celui-là même qui tourne autour des
                                                             noyaux pour former des atomes. Il justifie bien l’éty-
                                                             mologie de son espèce - lepton signifiant léger - avec
                                                             sa masse deux mille fois plus petite que celle du proton.
                                                             La cage faisant face à l’électron semble désespérément
                                                             vide. On peut pourtant y lire : « neutrino de l’électron
                                                             (1956) - soyez attentifs ». Il s’agit effectivement d’une
                                                             particule qui interagit très peu, et donc fort délicate à
                                                             observer. Pour preuve, une pluie de quelques dix mille
                                                             milliards de neutrinos provenant du soleil nous traver-
                                                             sent chaque seconde, sans même que l’on s’en aperçoive.

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comme le cas des quarks, une cage avait
                                                              déjà été préparée bien longtemps avant
                                                              d’accueillir en 2000 le dernier pension-            tau
                                                              naire en date du zoo : le neutrino du tau.
                                                              Bien que l’avenir - même en physique
                                                              des particules - soit toujours diffi-

Autant dire que les parapluies à neutrinos ne sont pas        cile à prédire, de nombreux résultats

près d’exister !                                              expérimentaux laissent à penser que de nouvelles es-
                                                              pèces de leptons ne sont plus attendues.
En progressant dans l’allée, on peut découvrir un muon
qui se repose. Il est très similaire à l’électron, à part     Règles du jeu
sa masse qui est deux cents fois plus importante. Son         Ainsi donc, nous terminons la visite des fermions et de
existence n’avait absolument pas été imaginée par les         leurs deux genres, les quarks et les leptons. Comme les
        dirigeants de ce zoo, ce qui a d’ailleurs fait dire   animaux, les fermions interagissent joyeusement en-
         au prix Nobel Isaac Rabi : « Mais qui a com-         semble, selon des règles du jeu bien précises. On distin-
         mandé ça ?! », lors de sa découverte en 1936. À      gue quatre types d’interaction agissant sur certaines
          nouveau, une cage apparemment déserte se            espèces de fermions :
           trouve de l’autre côté de l’allée. Sans sur-       •   la gravitation, que l’on connaît tous bien pour l’ex-
             prise, il s’agit du neutrino du muon, tout       périmenter avec plus ou moins de bonheur dans notre
              aussi difficile à voir que son compère. Après   vie quotidienne. Elle est notamment responsable de la
            l’électron et le muon et leur neutrino associé,   chute d’une pomme sur la tête d’Isaac Newton, lequel
la dernière espèce de lepton que l’on rencontre se nomme      a formalisé la loi de la gravitation universelle;
tau, beaucoup plus lourd que ses deux congénères. Tout
                                                              •   l’interaction faible, qui est responsable de certains

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processus de radioactivité. Tout comme la gravitation, l’in-    de la gravitation ? Paradoxalement, bien qu’étant la plus
teraction faible agit sur toutes les espèces de fermions;       connue dans notre monde macroscopique, la gravitation
•   l’interaction électromagnétique qui, comme son nom          demeure au niveau des particules l’interaction la moins
l’indique, régit les phénomènes électriques et magné-           intense - et de très loin !
tiques, depuis la foudre jusqu’à l’orientation de l’aiguille    Sous les interactions, les bosons
d’une boussole. Toutes les particules portant une charge        Après avoir fait la part belle aux fermions, il est dé-
électrique - à savoir les six saveurs de quarks, l’électron,    sormais grand temps de découvrir les pensionnaires de
le muon et le tau – y sont sensibles;                           l’autre secteur du zoo, les bosons. Leur rôle est bien
•   l’interaction forte qui soude les quarks au sein de         particulier. Alors que les hommes utilisent le langage
particules nommées hadrons, dont le proton est un               pour communiquer, dans le monde des particules élé-
exemple. Elle assure aussi la cohésion des protons et des       mentaires ce sont les bosons qui ont pour but de « vé-
neutrons pour for mer les noyaux des atomes.                    hiculer » chacune des interactions entre les fermions.
Contrairement aux quarks, les leptons sont exemptés de          Le premier boson que l’on rencontre est le photon, le
cette interaction.                                              « grain » de lumière qu’Albert Einstein a mis en... lumière
L’intensité de chacune de ces interactions est très va-                               en 1905. Quant à son champ de com-
riable. La bien-nommée interaction forte est environ cent                              pétences, le photon est en charge de
fois plus importante que l’interaction électromagnétique,                               l’interaction électromagnétique qui
et surtout dix mille milliards de fois plus intense que                                 agit sur les particules chargées.
l’interaction faible. À titre d’exemple, les neutrinos, étant                            Bien qu’il soit difficile de l’imaginer,
à la fois des leptons et sans charge électrique, ne sont                  ction          sa masse est nulle ce qui oblige le
                                                                   Intermaagnétique
pas sensibles à l’interaction forte ni à l’interaction élec-    électro                  photon à se déplacer à une vitesse
tromagnétique, d’où leur extrême timidité ! Qu’en est-il                                constante, la vitesse de la lumière,

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soit environ sept fois le tour de la planète en une se-                     Avant de quitter le zoo, tu peux t’interroger, Grandma,
  conde. Un peu plus loin on aperçoit deux frères jumeaux                     sur cette grande cage autour de laquelle de nombreux
  très lourds (80 fois la masse du proton !), les W, ainsi                    scientifiques et journalistes sont agglutinés. Sur la pointe
  qu’un troisième acolyte encore un peu                                       des pieds, j’arrive à lire l’écriteau suivant : « Boson de
  plus lourd, le Z. Eux s’occupent de l’in-                                   Mr. Higgs - Recherché activement ». Une grande partie
  teraction faible, d’où leur surnom de                                       de la communauté scientifique pense que l’animal existe,
  bosons faibles; ils ont été découverts                                      mais nul ne l’a encore jamais vu malgré la chasse lancée
  en 1983 au CERN, le grand laboratoire                  Interaction faible   il y a plus de vingt ans. C’est à cause de cette particule
  de physique des particules à Genève.                                        que la majorité des pensionnaires du zoo sont massifs !
  En continuant la promenade, on ne                                           Mais il est déjà tard, et cela nous emmènerait trop loin
  peut s’empêcher de remarquer la famille nombreuse                           pour aujourd’hui. Je t’expliquerai la prochaine fois com-
                              et colorée des gluons, au nombre de             ment la traque de cet étrange individu s’organise...
                               huit, qui se fait un plaisir de véhiculer
                               l’interaction forte entre les quarks.
                               Il ne nous reste plus qu’à rendre                                           Boson de Higgs

                               visite au boson responsable de la
            Forocne forte e    gravitation et le tour du zoo des par-
Iélnectetrroacmtiagnétiqu
                               ticules sera presque achevé. Las !
                              Celui que l’on appelle graviton n’a ja-
  mais été détecté, et nul ne sait réellement s’il existe
  tant la gravitation est une interaction bien différente
                                                                                               Au prochain numéro :
  des trois autres.
                                                                                      La physique des particules tourne rond
                                                                               Pour en savoir plus : http://physiquepourgrandma.blogspot.com

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LEXIQUE                              Lepton : Genre regroupant l’électron, le muon, le tau et
Boson : Famille de particules véhiculant les interactions      leurs neutrinos associés.
entre fermions.                                                Muon : Particule élémentaire du genre des leptons, similaire
Électron : Particule élémentaire du genre des leptons. Il      à l’électron mais avec une masse plus importante.
est le plus léger des leptons portant une charge électrique.   Neutrinos : Particules élémentaires appartenant au genre
Fermion : Famille de particules regroupant le genre des        des leptons, sans charge électrique et de très petites
quarks et le genre des leptons.                                masses. Les trois types de neutrinos sont associés à l’élec-
Gluon : Particule élémentaire responsable de l’interaction     tron, au muon, au tau.
forte entre les quarks.                                        Particule élémentaire : particule qui n’a pas de sous-struc-
Gravitation : La moins intense des interactions fondamen-      ture, c’est-à-dire qui n’est pas elle-même composée
tales, la gravitation agit sur tous les fermions.              d’autres particules.
Graviton : Jamais observé, le graviton est la particule hy-    Photon : Particule élémentaire véhiculant l’interaction élec-
pothétique qui pourrait véhiculer la gravitation.              tromagnétique.
Hadron : Particule composée de quarks et de gluons, dont       Quark : Particule élémentaire sensible à l’interaction forte
le proton ou le neutron sont des exemples.                     et qui compose les hadrons. Les quarks existent sous la
Interaction électromagnétique : Interaction responsable des    forme de six types différents appelés saveurs.
phénomènes électriques et magnétiques et agissant sur          Saveur : Caractéristique permettant de différencier les
les particules ayant une charge électrique. Elle est véhi-     différents types de quarks. Il existe 6 saveurs, baptisées :
culée par le photon.                                           up, down, étrange, charme, beauté, top.
Interaction faible : Interaction véhiculée par les bosons W    Tau : Particule élémentaire du genre des leptons, similaire à
et Z et agissant sur tous les fermions. Elle est responsable   l’électron et au muon mais avec une masse plus importante.
de certains processus radioactifs.                             W et Z : Particules élémentaires véhiculant l’interaction
Interaction forte : Interaction agissant entre les quarks et   faible.
véhiculée par le gluon.
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