UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE - Université de Sherbrooke
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UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE FACULTÉ DE DROIT DIRECTIVES MINISTÉRIELLES LIÉES À LA PERFORMANCE DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX : LES LIMITES POSÉES PAR LA DÉONTOLOGIE ET LE DROIT PROFESSIONNEL Marie-Eve CÔTÉ Programme de maîtrise en droit et politiques de la santé Essai présenté à Me Marco Laverdière et soumis à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, Québec en vue de l’obtention du grade de « Maître en droit ». Juin 2021 © Marie-Eve Côté 2021
i Table des matières INTRODUCTION ............................................................................................................................................ 2 1. LES INDICATEURS DE PERFORMANCE ..................................................................................................... 4 1.2. Les directives ministérielles................................................................................................................ 4 1.3. La DMS pour la clientèle sur civière à l’urgence ................................................................................ 5 1.4. Les NSA ............................................................................................................................................... 6 1.5. Un nouveau mode de gestion axé sur la performance ...................................................................... 8 1.6. L’application des directives au quotidien ........................................................................................... 8 1.7. Les mécanismes de contrôle déployés par les établissements ........................................................ 10 2. LE DROIT DU TRAVAIL ........................................................................................................................... 11 2.1. Le contrat de travail ......................................................................................................................... 12 2.2. Les obligations de l’employeur......................................................................................................... 13 2.3. Les obligations du salarié ................................................................................................................. 14 2.3.1. Le devoir de loyauté ................................................................................................................ 15 2.4. La superposition du statut de salarié à celui de professionnel ........................................................ 17 3. LE DROIT PROFESSIONNEL .................................................................................................................... 20 3.1. L’indépendance professionnelle ...................................................................................................... 21 3.2. L’intervention d’un tiers auprès de l’infirmière assignée à la clientèle ........................................... 24 3.3. L’infirmière gestionnaire .................................................................................................................. 27 3.4. L’établissement de soins .................................................................................................................. 34 4. PISTES DE SOLUTIONS ............................................................................................................................ 41 4.1. Applications et modifications législatives et réglementaires ........................................................... 41 4.1.1. Appliquer et utiliser l’article 123.9 du Code des professions ................................................. 41 4.1.2. Modifier le Code de déontologie des infirmières et infirmiers ............................................... 46 4.2. Octroyer un pouvoir de recommandation et de reddition de comptes au bureau du syndic ......... 47 4.3. Appliquer les dispositions pénales prévues au Code des professions .............................................. 49 4.4. L’incontournable nécessité d’informer les professionnels de leurs obligations .............................. 51 CONCLUSION .............................................................................................................................................. 53 BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................................................................... 55
2 INTRODUCTION Le 1er avril 2015, le système de santé québécois basculait alors qu’entrait en vigueur la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales1 (communément désignée et ci-après : « Loi 10 »). Par l’adoption de cette loi, plusieurs changements ont eu lieu au sein du réseau de la santé et des services sociaux. Auparavant, le système de santé se composait de trois niveaux hiérarchiques, à savoir un palier central constitué du ministère de la Santé et des Services sociaux (ci-après MSSS), un palier régional formé par les agences régionales, ainsi qu’un palier local composé des établissements offrant des services directs à la population. Aujourd’hui, le système de santé ne comprend que deux niveaux hiérarchiques, soit le MSSS et les établissements de santé. L’abolition des agences régionales était nécessaire, selon le ministre de la Santé et des Services sociaux (ci-après ministre de la Santé) de l’époque, « afin de favoriser et de simplifier l’accès aux services pour la population, de contribuer à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d’accroître l’efficience et l’efficacité de ce réseau » 2. Non seulement la Loi 103 confère désormais au ministre de la Santé des pouvoirs à l’égard des établissements, notamment celui d’imposer les règles relatives aux structures organisationnelles des directions des établissements, mais elle lui permet également d’intervenir auprès de la direction générale de ceux-ci s’il est jugé que ses pratiques sont contraires aux règles de saine gestion4. L’abolition des agences régionales fait en sorte que le ministre se retrouve dorénavant beaucoup plus près des établissements. En effet, le fait que le ministre de la Santé nomme maintenant les présidents-directeurs généraux (ci-après PDG) et que ces derniers doivent lui rendre compte directement fait naître un lot de questionnements en matière de reddition de comptes, notamment en supposant le caractère possiblement interventionniste du ministre de la Santé afin que les établissements de soins rencontrent les cibles ministérielles annuelles. En effet, les PDG doivent dorénavant lui rendre compte directement quant à l’atteinte ou non des objectifs contenus au plan stratégique des établissements5. Le contrôle maintenant direct du MSSS à l’égard 1 Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, RLRQ, c. O-7.2 (ci-après « Loi 10 »). 2 Id., art. 1. 3 Id. 4 Id., art. 152. 5 Loi sur l’administration publique, RLRQ, c. A-601, art. 8.
3 des établissements crée une pression non seulement auprès des PDG, mais également auprès des professionnels détenant des postes de gestionnaires, responsables de surveiller l’atteinte des cibles contenues au plan stratégique, et des professionnels sous leur supervision directe. Le défaut d’atteindre les cibles ministérielles recommandées entraîne des impacts tels que les professionnels, peu importe leur titre ou leurs fonctions, peuvent parfois vivre un réel dilemme entre respecter leurs obligations déontologiques à l’égard de la clientèle ou s’acquitter de leurs tâches en suivant des directives favorisant l’atteinte des cibles émanant de leur employeur. Qu’en est-il lorsque nous conjuguons l’obligation de performance, la reddition de compte accrue au ministre de la Santé et les obligations déontologiques en lien avec l’administration de soins et de services de santé? Afin de mieux comprendre ce que peuvent vivre les professionnels de la santé dans ce contexte, nous avons fait le choix de nous pencher plus spécifiquement sur les durées moyennes de séjour (ci-après DMS) ainsi que sur les différents niveaux de soins alternatifs (ci-après NSA) pouvant être déterminés pour un client. Nous verrons les responsabilités des différentes instances du réseau de la santé et des services sociaux, tant à l’égard de la clientèle qu’en termes de reddition de comptes. Plus spécifiquement, nous y élaborerons la possibilité pour les établissements, gestionnaires ou professionnels, de mettre en place une mécanique interne afin d’atteindre les cibles ministérielles menant, de façon bien involontaire, à l’assujettissement des professionnels aux directives ministérielles en regard des résultats à atteindre et ce, parfois au détriment des obligations déontologiques. Nous traiterons ensuite des règles découlant du droit du travail et du droit professionnel, et nous verrons à analyser la cohérence ou l’incompatibilité avec les orientations ministérielles eu égard aux NSA, sous trois angles différents, à savoir : le cas de l’infirmière assignée à la clientèle, le cas de l’infirmière gestionnaire intervenant auprès des professionnels sous sa responsabilité ainsi que le cas de l’établissement de soins. Par souci de concision, nous nous concentrerons sur la législation ainsi que la règlementation encadrant l’exercice infirmier. Nous croyons que cet essai contribuera à identifier certaines pistes de solutions en vue de permettre aux différents professionnels des secteurs de la santé et des services sociaux de respecter leurs obligations déontologiques tout en répondant aux attentes de leur supérieur immédiat quant au respect des directives provenant du MSSS.
4 1. LES INDICATEURS DE PERFORMANCE Afin de bien comprendre les impacts d’une gestion axée sur la performance et les pressions quotidiennes que peuvent ressentir plusieurs professionnels du réseau de la santé et des services sociaux, peu importe leurs fonctions, nous croyons nécessaire de décrire la mécanique interne des établissements dans leur gestion quotidienne. Puisque le présent essai repose essentiellement sur les indicateurs de performance relatifs aux DMS et, plus particulièrement, aux NSA, la prochaine section définit davantage les indicateurs et y détaille la façon dont ils peuvent devenir une source de la pression ressentie par les professionnels dans l’exercice de leur profession. 1.2. Les directives ministérielles Au fil du temps, le MSSS a créé des indicateurs de performance et fixé les cibles à atteindre par les établissements. C’est dans cette optique que le Relevé quotidien de la situation à l’urgence et en centre hospitalier (ci-après RQSUCH) a été mis à la disposition des établissements, qui ont l’obligation de l’alimenter de façon quotidienne6 par l’intermédiaire du système de suivi de gestion et de reddition de comptes GESTRED7. Dans son document intitulé « Niveaux de soins alternatifs, Guide de soutien aux établissements pour prévenir et résoudre le phénomène »8, le MSSS explique que ce document : « Se veut un outil pour questionner, réfléchir et s’inspirer. Il indique le sens du changement, tout en laissant aux établissements la marge de manœuvre nécessaire pour planifier l’action et atteindre les résultats attendus, en fonction des réalités locales. Le rôle du MSSS s’inscrit dans l’optique d’une vigie nationale, soutenant la résolution durable de ce problème systémique. »9 Le MSSS n’impose donc pas de façon de faire aux établissements et leur laisse plutôt une certaine marge de manœuvre tout en s’attendant à ce que les résultats attendus soient atteints. C’est 6 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Guide de l’utilisateur et lexique des variables, Relevé quotidien de la situation à l’urgence et en centre hospitalier (RQSUCH), Québec, Document de travail, version 8 mai 2018, p. 2. 7 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, GESTRED-Système de suivi de gestion et de reddition de comptes, Guide d’utilisateur, Québec, 2006, en ligne :
5 essentiellement cette marge de manœuvre laissée aux établissements qui nous amène à nous questionner quant aux mécanismes internes mis en place par les établissements pour atteindre les cibles fixées par le MSSS. Puisqu’il existe bon nombre d’indicateurs dans les ententes de gestion et d’imputabilité (ci-après EGI), nous utiliserons, pour les fins de l’essai, celui sur la cible à atteindre quant à la clientèle sur civière à l’urgence. 1.3. La DMS pour la clientèle sur civière à l’urgence L’un des objectifs du Plan stratégique 2015-202010 du MSSS était de réduire le temps d’attente à l’urgence11. C’est dans cette perspective que le MSSS a établi, comme cible à atteindre, à 12 heures12 la DMS pour la clientèle sur civière à l’urgence13. Cette cible indiquée dans le tableau du plan stratégique devait être atteinte par les établissements d’ici 202014, sous peine de se voir imposer des sanctions pécuniaires. Il importe de savoir que la DMS pour la clientèle sur civière inscrite à l’urgence et devant être hospitalisée est directement influencée par la disponibilité des lits dédiés aux hospitalisations sur les différentes unités de soins des établissements. La gestion des séjours et un arrimage efficace entre les services intra et interétablissements deviennent alors incontournables. Pour y arriver, il est impératif de connaître les besoins de la clientèle hospitalisée occupant les lits de courte durée afin de s’assurer qu’elle reçoit les bons soins, au bon endroit, par la bonne personne et au bon moment, ce qui permet d’assurer la continuité et la fluidité des soins offerts par le réseau de la santé et des services sociaux. C’est donc dans une perspective de vision globale de la clientèle hospitalisée dans un centre de courte durée et afin de comprendre les besoins des établissements en regard de la fluidité des services interétablissements qu’ont été créés les NSA par le MSSS. 10 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Plan stratégique 2015-2020, Québec, 2017, en ligne :< https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2017/17-717-01W.pdf>. 11 Id., p. 10. 12 Id. 13 La durée moyenne de séjour pour la clientèle sur civière à l’urgence est définie par la « moyenne des durées de séjour pour l’ensemble des patients couchés sur des civières dans les unités d’urgence, inscrits et sortis depuis le début de l’année financière. La durée de séjour représente la durée entre le début de l’épisode de soins et l’heure du départ de l’urgence. Le début de l’épisode de soins correspond au moment de l’inscription à l’urgence, soit par l’accueil ou par le triage. », MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Répertoire des indicateurs de gestion en santé et services sociaux, Québec, 2021, en ligne : . 14 Le nouveau plan stratégique 2019-2023 a reporté la cible à atteindre à 2022-2023. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Plan stratégique 2019-2023, Québec, 2021, p. 12.
6 1.4. Les NSA L’Institut canadien de l’information sur la santé (ICIS) définit le niveau de soins alternatif comme étant « une classification utilisée au Canada lorsque le niveau de soins requis par un patient ne correspond pas au niveau de ressources ou de services dispensés dans le service de soins où il se trouve » 15. Par exemple, un niveau de soins alternatif devra être déterminé pour un client hospitalisé en soins de courte durée, soit un centre hospitalier, mais qui ne nécessite plus de soins aigus. Celui-ci devrait alors être orienté vers son domicile ou un milieu offrant les soins et les services les plus appropriés, et ce, le plus rapidement possible. Toujours selon l’ICIS, est considéré un client en niveau de soins alternatif (ci-après usager en NSA) un client qui « occupe un lit dans un établissement sans qu’il nécessite le niveau de ressources ou de services dispensés dans le service de soins où il se trouve »16. Un document de travail17 du MSSS définit également l’usager en NSA comme étant : « […] toute personne hospitalisée dont la condition requiert toujours des soins et des services, mais qu’il n’est plus nécessaire, en termes de spécificité ou d’intensité, que ceux-ci soient dispensés dans les lits de courte durée du centre hospitalier de soins généraux et spécialisés (CHSGS). L’usager est considéré comme requérant un niveau de soins alternatif (ou usager NSA) à partir du moment où l’équipe soignante détermine que l’unité de courte durée n’est plus le milieu le plus approprié pour lui dispenser le niveau de soins requis par sa condition, jusqu’au départ de celui-ci »18. Une des quatre grandes priorités du MSSS en créant les NSA est ainsi décrite: « Optimiser la gestion de l’épisode en milieu hospitalier : cibler les usagers à risque de devenir NSA dès l’urgence (toutes clientèles vulnérables ou présentant des besoins complexes [SAPA, SM, etc.]) et mettre en place les interventions requises pour fournir les soins et services nécessaires, éviter leur déconditionnement, ne pas prolonger la 15 INSTITUT CANADIEN D’INFORMATION SUR LA SANTÉ, Définitions et lignes directrices pour la désignation des NSA pour les patients hospitalisés en soins de courte durée, 2016, en ligne : , p. 1. 16 Id. 17 Une demande d’accès aux documents de travail a été effectuée auprès du MSSS. Il ne nous a pas été possible de les obtenir. Les documents utilisés sont des documents de travail transmis à l’ensemble des CISSS et des CIUSSS et sont toujours utilisés par ces derniers. Une copie des documents peut vous être fournie à votre demande. 18 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Guide de l’utilisateur et lexique des variables, Relevé quotidien de la situation à l’urgence et en centre hospitalier (RQSUCH), préc., note 6, p. 4.
7 durée de leur séjour hospitalier au-delà du requis et favoriser le retour dans le milieu de vie antérieur. »19 Les différents NSA20 établis par le MSSS sont les suivants : − Nombre d’usagers en processus d’orientation; − Nombre d’usagers en attente d’organisation de services de soutien à domicile; − Nombre d’usagers en attente d’une place de soins postaigus (réadaptation intensive ou spécialisée, réadaptation d’intensité modérée et progressive, convalescence); − Nombre d’usagers en attente d’une place en soins palliatifs ou d’une organisation de soins palliatifs; − Nombre d’usagers en attente d’une place d’hébergement (en ressource intermédiaire ou en ressource de type familial, en centre d’hébergement et de soins de longue durée); − Nombre d’usagers en attente d’une place pour des services en ressource privée (résidence privée pour aînés (RPA) ou en CHSLD privé non conventionné); − Nombre d’usagers en attente d’hébergement en santé mentale. Pour chacun des NSA, le délai moyen d’attente doit également être inscrit mensuellement au RQSUCH, et ce, au dernier jour de chacune des treize périodes financières. 21 Il faut ajouter ici que le MSSS a établi des délais moyens d’attente pour chacun des NSA. À cet égard, le MSSS mentionne qu’un « Congé ne devrait pas être retardé en raison d’une mauvaise planification ou d’une planification amorcée trop tardivement. […] [L]e congé hospitalier ne devrait pas non plus être donné hâtivement, en l’absence de planification (pour répondre, par exemple, à des exigences administratives). »22 La structure mise en place par les établissements pour atteindre les cibles ministérielles nous amène inévitablement à nous questionner. Comme nous l’avons vu précédemment, les usagers en NSA sont une clientèle stable, ne nécessitant plus les soins de courte durée et, souvent, en attente d’autres services. Il est donc justifié de requestionner leur présence et de tenter de trouver des milieux de transition afin d’éviter qu’ils demeurent dans les lits de courte durée. Il pourrait donc être tentant d’orienter ces clients vers des lits de transition qui proposent une gamme de services ne répondant pas nécessairement aux besoins des clients. 19 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX AVEC LA COLLABORATION DE LA TABLE NATIONALE DE COORDINATION CLINIQUE, Niveaux de soins alternatifs, Guide de soutien aux établissements pour prévenir et résoudre le phénomène, préc., note 8, p. 5. 20 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Guide de l’utilisateur et lexique des variables, Relevé quotidien de la situation à l’urgence et en centre hospitalier (RQSUCH), préc., note 6, p. 4-9. 21 Id., p. 3. 22 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Niveaux de soins alternatifs, Guide de soutien aux établissements pour prévenir et résoudre le phénomène, préc., note 8, p. 10.
8 1.5. Un nouveau mode de gestion axé sur la performance Parallèlement aux NSA, en septembre 2015, le MSSS veut doter l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux de salles de pilotage stratégique, tactique et opérationnel de la performance. Ce nouveau mode de gestion permet l’organisation de rencontres dynamiques et structurées dans lesquelles sont décortiquées plusieurs trajectoires clients et plusieurs statistiques, notamment les indicateurs de performance détaillés à l’EGI. Trois axes sont déclinés, soit l’axe stratégique, l’axe tactique et l’axe opérationnel. Le concept de ces salles est inspiré de la méthode de gestion de la qualité qui exige de planifier, déployer, contrôler et agir (PDCA)23. « Ces salles fonctionnent selon le principe de cascade et d’escalade de l’information, ce qui permet d’orienter les actions vers les opérations et d’amener les problématiques jusqu’aux niveaux hiérarchiques supérieurs. »24 Les salles stratégiques sont animées par les membres du comité de direction, les salles tactiques, par les directeurs, alors que les salles opérationnelles se vivent sur le terrain. L’application au quotidien de ce nouveau mode de gestion sera abordée dans la prochaine section. Ces salles permettent dorénavant un monitorage de la performance en direct, une gestion axée sur la mesure et l’analyse des résultats au sein même des processus, et rend donc la reddition de comptes plus présente non seulement au quotidien, mais pratiquement en temps réel. Les NSA y sont non seulement suivis, mais leurs différentes trajectoires y sont également décortiquées afin d’utiliser les variables NSA comme outil de gestion25. 1.6. L’application des directives au quotidien Chaque établissement s’est doté d’outils qui lui sont propres pour gérer quotidiennement la présence d’usagers en NSA sur les unités de soins de courte durée. La plupart des établissements se sont par exemple dotés d’un coordonnateur des admissions qui, en interdisciplinarité, veille « à la coordination des admissions, des transferts, des séjours et des congés en favorisant l’interaction 23 Denis LAGACÉ et Sylvain LANDRY, « Salles de pilotage, un nouveau mode de gestion de la performance », 2016, Revue Gestion, en ligne : < https://www.hec.ca/ecole-des-dirigeants/formations/seminaires/fichiers/Salle-de-pilotage- TK.pdf>, p. 92. 24 Id., p. 91. 25 « Les variables NSA (8 à 15) permettent de colliger des données (nombre d’usagers en NSA et délais d’attente) visant à cibler les zones d’amélioration dans la trajectoire de soins et de services des établissements en vue de planifier et de mettre en œuvre les stratégies pertinentes pour y remédier. Les données relatives aux variables NSA permettent ainsi de soutenir la recherche de solutions à des problèmes concomitants, ponctuels ou récurrents, dans la disponibilité des ressources et dans l’organisation des services. », MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Outil d’accompagnement pour améliorer les processus cliniques et administratifs d’orientation des usagers en niveau de soins alternatif, Document de travail, septembre 2019, p. 9.
9 entre les différents intervenants, la fluidité des services dans les unités de soins et les interventions contribuant à désencombrer l’urgence »26. Selon le MSSS, le rôle de coordonnateur des admissions : « peut être assumé par le DSP, le DSP adjoint, le coordonnateur médical de l’urgence ou une infirmière gestionnaire. Dans les établissements où ce mandat n’est pas confié à un médecin, il est important que le DSP ou un médecin désigné travaille en tandem avec cette personne et la soutienne dans ses décisions »27. Vu les exigences requises pour exercer cette fonction, cette personne sera nécessairement un professionnel qui est soumis à un code de déontologie. Les décisions prises quotidiennement par le coordonnateur des admissions doivent respecter les politiques relatives à la gestion de l’achalandage de l’urgence, les cibles ministérielles, notamment quant à la durée des séjours, de même que les multiples critères d’accessibilité aux différents services offerts par l’établissement ou ses partenaires28. Une rencontre quotidienne du coordonnateur des admissions avec ses différents partenaires (directeurs, gestionnaires et cliniciens) permet d’acquérir une vision globale de la situation actuelle des clients hospitalisés et d’anticiper les problématiques de fluidité au regard des différents programmes des services externes et de la situation actuelle de l’urgence. Plus précisément, c’est au terme de ces rencontres quotidiennes qu’est établi le niveau de débordement du centre hospitalier et du niveau d’encombrement de l’urgence29. Le plan de gestion du débordement à l’urgence peut alors être déployé selon le niveau d’alerte30 en vigueur, suggérant aux différents professionnels des interventions à effectuer dans l’ensemble de l’organisation afin de minimiser les impacts sur les cibles à atteindre, donc dans ce cas-ci, sur la DMS des clients sur civière à l’urgence. 26 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Guide de gestion de l’urgence, 2006, en ligne : < https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2006/06-905-01.pdf>, p. 190. 27 Id. 28 Id. 29 Le plan proposé par le Guide de gestion de l’urgence distingue trois niveaux d’encombrement de l’urgence, soit une situation de niveau d’alerte 1, situation de niveau d’alerte 2 et une situation de niveau d’alerte 3, niveaux qui sont établis selon les critères décrits. Id., p. 197-198. 30 Id., p. 199.
10 1.7. Les mécanismes de contrôle déployés par les établissements Comme nous l’avons vu précédemment, lorsque, par exemple, un centre hospitalier est en niveau d’alerte 331 selon le « Guide de gestion de l’urgence »32, plusieurs interventions doivent être effectuées par différents professionnels, selon leurs fonctions, à différents niveaux, dans le but d’optimiser la fluidité et de désengorger le secteur de l’urgence. Des demandes peuvent parfois provenir des directeurs à l’égard de gestionnaires intermédiaires ou encore, des interventions à différents niveaux hiérarchiques peuvent être posées pour dénouer certaines problématiques. Ces interventions ont pour but d’augmenter le nombre de congés sur les unités de soins de courte durée, de sorte qu’y soient admis les clients en attente d’une hospitalisation à l’urgence. Pour leur part, les directeurs pourraient demander aux gestionnaires intermédiaires d’identifier les besoins de chacun des clients, principalement ceux pour lesquels un statut NSA a été déterminé, afin de mettre en place les services nécessaires pour un congé, et ce, le plus rapidement possible. Les gestionnaires intermédiaires doivent alors questionner les professionnels sous leur responsabilité et prendre en note les besoins des clients, pour ensuite les rapporter à leur directeur respectif. Au terme des interventions, des solutions seront mises en place rapidement, souvent par les directeurs ou les gestionnaires intermédiaires eux-mêmes, pour favoriser des retours à domicile ou des transferts en lit de transition de la clientèle stable et ne nécessitant plus les soins de courte durée, soit les usagers en NSA, et ce, même si ce dernier avait été déterminé autrement que pour un retour à domicile. La direction générale pourrait également procéder à des achats de places temporaires dans le réseau privé en vue de soutenir les besoins de l’organisation, toujours dans l’optique de transférer les usagers en NSA. Ces places temporaires pourraient, par exemple, ne pas répondre aux besoins des clients évalués par les professionnels. Bien involontairement, de telles situations pourraient engendrer des pressions auprès des professionnels qui les amèneraient à modifier ou ajuster leurs évaluations et ainsi, laisser un tiers influencer leurs décisions quant à la détermination du NSA requis pour le client. Compte tenu des pouvoirs octroyés au ministre de la Santé par l’entrée en vigueur des dispositions de la Loi 1033, soit notamment de sélectionner le PDG34 de chacun des établissements 31 « Durant plus de six heures par jour, le taux d’occupation des civières dépasse 140 %; durant plus de six heures par jour, plus de 25 % des patients sur civière sont en attente d’un lit pour hospitalisation. », Id., p. 198. 32 Id., p. 198. 33 Loi 10, préc., note 1. 34 Id., art. 9.
11 et de définir les mécanismes de redditions de comptes prévus35, ainsi que la mécanique interne qui pourrait être instaurée par les établissements afin d’atteindre les cibles ministérielles quant à la gestion des NSA, il est permis de croire que cette structure aura nécessairement comme conséquence, bien involontaire soit-elle, de créer une certaine pression sur les différents professionnels de la santé pour qu’ils atteignent les cibles établies par le MSSS. Comme nous l’avons expliqué précédemment, l’orientation initialement prévue pour le client à l’obtention de son congé pourrait être modifiée pour privilégier un transfert dans une ressource disposant immédiatement d’un lit vacant bien que cette dernière n’offre pas l’entièreté des services requis par l’état de santé du client. Ces mécanismes mis en place par les établissements en matière de DMS et de NSA sont nombreux et font l’objet d’un suivi serré par les niveaux supérieurs de gestion des établissements. Ce faisant, la pression vécue par ces mêmes niveaux supérieurs de gestion des établissements est transmise jusque dans les équipes professionnelles agissant auprès de la clientèle, en raison des directives émises afin d’atteindre les cibles. C’est alors que les professionnels, peu importe leur titre, peuvent se retrouver face à un dilemme : répondre à la demande de leur gestionnaire ou répondre aux besoins du client. 2. LE DROIT DU TRAVAIL Cette branche du droit encadre notamment les relations employeur-employés. Bien que divers lois36 et règlements définissent le droit du travail, nous nous intéresserons davantage aux règles et principes généraux applicables, telles que les règles découlant notamment du Code civil du Québec37. Nous nous attarderons donc, dans cette section, non seulement au contrat de travail, aux obligations de l’employeur et à celles des salariés, mais également à la superposition du statut de salarié à celui de professionnel. Nous serons donc en mesure de répondre à l’une de nos questions, à savoir ce que le professionnel doit privilégier : ses obligations déontologiques ou son devoir de loyauté. 35 Id., art. 55. 36 Code du travail, RLRQ, c. C-27; Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1; Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001; Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1, pour ne nommer que celles-ci. 37 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991 (ci-après « C.c.Q. »).
12 Il est légitime de penser que ces différentes directives ministérielles pourraient faire en sorte que les gestionnaires responsables donneront à leur tour des directives à des professionnels, lesquelles pourraient parfois entrer en contradiction avec leurs obligations déontologiques. Sans présumer du fait que de telles situations sont vécues, il apparaît nécessaire de réfléchir à cette possibilité, surtout lorsque l’atteinte des cibles ministérielles influent sur le mode de gestion38 et qu’elle devient une priorité au sein des organisations. Quelle importance convient-il alors d’accorder aux obligations des professionnels prévues par le contrat de travail, notamment quant au devoir de loyauté envers l’employeur parallèlement aux obligations déontologiques? Dans un contexte où les gestionnaires professionnels n’ont pas de clients directement sous leur responsabilité, mais qu’ils exercent plutôt un rôle administratif, sont-ils également soumis aux lois et règlements régissant leur profession en regard de la clientèle? Qu’adviendrait-il d’un professionnel assigné directement auprès de la clientèle qui commettrait une infraction déontologique à la suite de la directive d’un supérieur immédiat? Et, le cas échéant, qu’adviendrait- il du professionnel gestionnaire qui a émis cette directive, ou encore à l’établissement de soins de santé qui a mis en place un système39 qui pourrait compromettre les obligations des professionnels? Afin d’apporter des réponses à ces questions, il nous semble nécessaire de présenter, dans la section suivante, les dispositions législatives et réglementaires pertinentes, tant sur le plan du droit du travail qu’au point de vue déontologique en ce qui a trait au conflit qui pourrait subsister entre le devoir de loyauté et les obligations déontologiques du professionnel. 2.1. Le contrat de travail Tout d’abord, la définition même du contrat de travail40 établit les grandes caractéristiques d’un contrat entre un employeur et un salarié, soit la prestation de travail, la rémunération, la durée limitée et finalement, la subordination. C’est essentiellement cette dernière caractéristique qui nous mène à nous poser quelques questions à l’égard des obligations de l’employeur, mais aussi des employés face à cet état de subordination, ce contrôle du salarié par l’employeur. Afin de bien 38 Voir section 1.5 intitulée : « Un nouveau mode de gestion axé sur la performance ». 39 « Moyen, plan employé pour obtenir un résultat », Larousse, 2021, sub verbo « système », en ligne : . 40 « Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur. », Code civil du Québec, préc., note 37, art. 2085.
13 cerner les situations présentées précédemment et pour lesquelles nous tenterons de répondre quant à l’état du droit, il nous faut tout d’abord définir les obligations des employeurs ainsi que celles des salariés. 2.2. Les obligations de l’employeur L’article 2087 du Code civil du Québec41 prévoit comme suit les obligations de l’employeur en regard du contrat de travail : « L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié. »42 Cet article suppose certaines obligations de l’employeur, dont le fait de prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la dignité du salarié. Bien qu’il fixe le lien hiérarchique, il stipule expressément la protection de la dignité du salarié, soit « le respect que mérite quelqu’un »43. Quant à la nature du travail, il est reconnu, dans la jurisprudence, que les codes de déontologie ainsi que le Code des professions44 sont inclus dans la définition du contrat de travail. En effet, dans la décision du Tribunal des professions Couture c. Ingénieurs forestiers (Ordre professionnel des)45, ce dernier, relativement à l’article 143446 du Code civil du Québec47, mentionnait : « Ce qui signifie en pratique que le contrat de travail […] comprend non seulement ce qui y est exprimé mais comprend notamment le Code de déontologie et le Code des professions »48. L’honorable Marie-France Bich, j.c.a., alors professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, mentionnait d’ailleurs dans son ouvrage intitulé « Le professionnel salarié–Considérations civiles et déontologiques » que « [l]es obligations propres à l’exercice 41 Id. 42 Id., art. 2087. 43 Larousse, 2021, sub verbo « dignité », en ligne : . 44 Code des professions, RLRQ, c. C-26. 45 Couture c. Ingénieurs forestiers (Ordre professionnel des), 2005 CanLII 95 (QC TP). 46 « Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. », C.c.Q., préc., note 37, art. 1434. 47 Id. 48 Couture c. Ingénieurs forestiers (Ordre professionnel des), préc., note 45, par. 108.
14 d’une profession, parce qu’elles sont d’ordre public, s’imposent à l’employeur » 49. C’est donc dire que les obligations déontologiques diminuent le degré de contrôle de l’employeur envers un professionnel. Comme nous l’avons vu précédemment quant à l’obligation du professionnel de faire primer ses obligations déontologiques, il appert nécessaire de mentionner que l’employeur ne pourrait pas « exiger d’un professionnel que celui-ci se comporte d’une façon contraire aux prescriptions de son code de déontologie, à celles du Code des professions50 lui-même ou, le cas échéant, à celle de la loi particulière et des règlements qui gouvernent son ordre et sa profession »51. L’honorable Marie-France Bich s’exprimait également ainsi quant aux obligations de l’employeur : « […] l’employeur d’un professionnel, lorsqu’il embauche celui-ci, est tenu de faire en sorte que son salarié puisse respecter les obligations propres à sa profession. D’une certaine façon, son obligation sur ce point pourrait sans doute être fondée sur l’article 1434 du C.c.Q. »52 2.3. Les obligations du salarié Quant à elles, les obligations du salarié sont prévues à l’article 2088 du Code civil du Québec : « Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail »53. Cet article nous intéresse particulièrement, puisqu’il revient au salarié d’exécuter son travail « en suivant les règles de conduite et les méthodes dictées par l’employeur »54. L’insubordination ou l’incompétence du salarié pourraient donc mener l’employeur à lui imposer une mesure disciplinaire ou encore à résilier le contrat de travail. La prudence et la diligence dont il est question à l’article 2088 du Code civil du Québec réfèrent au fait que le salarié doit accomplir ses tâches avec « l’attention, l’application et la célérité 49 Marie-France BICH, « Le professionnel salarié : considérations civiles et déontologiques », dans Le défi du droit nouveau pour les professionnels : Le Code civil du Québec et la réforme du Code des professions. Les journées Maximilien-Caron 1994, Montréal, Éditions Thémis, 2005, p. 67. 50 Code des professions, préc., note 44. 51 M.-F. BICH, préc., note 49, p. 66. 52 Id., p. 69. 53 C.c.Q., préc., note 37, art. 2088. 54 Robert BONHOMME et Justine B. LAURIER, Le contrat de travail, Réseau juridique du Québec, 2019, en ligne : .
15 que manifeste une personne prudente dans la réalisation d’une tâche ou l’exécution d’une fonction »55. L’honorable Marie-France Bich mentionne à cet effet que : « La prudence et la diligence dont un salarié doit faire preuve seront ainsi appréciées diversement selon que l’on a affaire à un salarié subalterne, occupant des fonctions répétitives ou ne nécessitant aucun savoir particulier, un salarié professeur d’université, un salarié p.d.g. d’entreprise ou un salarié exerçant l’une des professions reconnues par le Code des professions. De même, la portée et l’intensité de l’obligation de loyauté varieront selon le salarié : en fait, elles augmenteront avec le degré de latitude dont jouit le salarié dans l’exécution de ses fonctions et le niveau de confiance que lui manifeste en conséquence l’employeur. Le cadre, le salarié qui détient un savoir de haut niveau ou le professionnel seront tenus à un plus haut standard de loyauté qu’un salarié subalterne ou fortement contrôlé par l’employeur. »56 2.3.1. Le devoir de loyauté Comme nous l’avons vu précédemment, le contrat de travail impose une subordination, un lien d’autorité entre l’employeur et le salarié. Mais autre que ce lien, la définition même du contrat de travail, toujours prévue à l’article 2085 du Code civil du Québec, impose également au salarié un devoir de loyauté envers son employeur, c’est-à-dire qu’il « […] doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail »57. Le dictionnaire Le Robert définit l’adjectif loyal comme suit : « Qui obéit aux lois de l’honneur et de la probité »58. Le devoir de loyauté se base sur la confiance d’un employeur envers son employé. L’employé doit donc être honnête envers l’employeur, mettre les intérêts de son employeur avant les siens et protéger l’information confidentielle qu’il obtient dans le cadre de ses fonctions. Les conséquences d’un bris de loyauté peuvent être grandes, que ce soit l’imposition d’une mesure disciplinaire, une rétrogradation ou encore un congédiement. Le professeur Louis-Phillipe Lampron s’exprimait d’ailleurs à propos du devoir de loyauté : « La mission première des institutions et organismes publics n’est pas la rentabilité, mais plutôt la dispense de services publics à la population. Ainsi, contrairement aux entreprises privées, ces institutions appartiennent à l’ensemble de la population et ont une obligation de reddition de comptes à son endroit. Ce faisant, l’impact réputationnel d’une critique formulée à l’encontre du mode de fonctionnement ou de décisions prises 55 Juridictionnaire, 2021, sub verbo « diligence », en ligne : . 56 M.-F. BICH, préc., note 49, p. 64. 57 C.c.Q., préc., note 37, art. 2088. 58 Le Robert, 2021, sub verbo « loyal », en ligne : .
16 par les gestionnaires de ces institutions ne devrait pas pouvoir être pris en compte pour déterminer si un-e agent-e de l’État a manqué à son obligation de loyauté. »59 Pour ce qui est du fait de ne pas obéir à son supérieur dans un contexte où le professionnel choisit de respecter ses obligations déontologiques, l’honorable Marie-France Bich mentionne que ce dernier, « qui désobéit à un tel ordre agit légitimement et ne s’expose, en théorie du moins, à aucune sanction »60. Elle ajoute également qu’en cas de sanction, il sera possible de la « contester selon les voies ordinaires du droit du travail »61. Nous verrons par ailleurs un peu plus loin62 les dispositions du Code des professions63 en cas de représailles, notamment d’un employeur envers un professionnel. Bien que cette théorie existe, il peut demeurer difficile pour un professionnel de faire valoir ses droits. En effet, il est reconnu que : « [l]e travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers […]. L’emploi est une composante essentielle de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel »64. Il est donc humainement compréhensible de vouloir préserver son emploi et sa bonne relation avec son supérieur immédiat, plutôt que de préférer mettre ses énergies à récupérer un emploi à la suite d’une mise à pied injustifiée. La pression indue que pourraient vivre les professionnels de la santé quant à l’atteinte de certains objectifs prévus par le ministre de la Santé pourrait placer le professionnel dans une situation de tension où il devrait choisir entre les intérêts de son employeur, ses propres intérêts à titre de salarié et ceux de ses clients. Les directives émises par les supérieurs immédiats au sujet des NSA, par exemple, pourraient, dans certains cas, contraindre les professionnels à vouloir délaisser leurs obligations déontologiques en exécutant la directive qui les amène à enfreindre leur code de déontologie. Nous verrons donc, dans la prochaine sous-section, la superposition du statut 59 Louis-Philippe LAMPRON, « La culture du silence et le devoir d’envergure », Blogue Contact (Université Laval),11 mai 2020, en ligne : . 60 M.-F. BICH, préc., note 49, p. 67. 61 Id., p. 67. 62 Voir section 4.1.1. 63 Code des professions, préc., note 44. 64 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act, [1987] 1 RCS 313, 1987 CanLII 88, par. 91 (CSC).
17 de salarié à celui de professionnel ainsi que les dispositions applicables et la façon dont elles ont été interprétées dans la doctrine et la jurisprudence. 2.4. La superposition du statut de salarié à celui de professionnel Comme nous l’avons vu précédemment, le devoir de prudence impose au salarié certaines normes de conduite dans l’accomplissement de ses tâches. À cet effet, l’employeur soit s’assurer que soient respectées les obligations déontologiques des professionnels. L’honorable Marie-France Bich s’exprimait également quant à cet aspect dans son ouvrage : « Non seulement l’employeur est-il en quelque sorte lié par les obligations incombant au professionnel, mais on peut même présumer que si un employeur embauche à ce titre un professionnel, c’est pour que ce dernier exécute professionnellement ses obligations, notamment sur le plan éthique. […] De ce point de vue, le professionnel doit autant à son employeur qu’à son ordre d’exercer selon les normes et standards fixés par la loi et les règlements applicables. »65 L’honorable Marie-France Bich s’est également penchée sur la conciliation entre les obligations déontologiques, notamment quant à l’indépendance et l’autonomie professionnelles, et la subordination imposée par le contrat de travail. Elle s’exprimait ainsi : « Mais la superposition des qualités de professionnel et de salarié a d’autres effets. Par exemple, il est important de souligner que, les codes de déontologie étant d’ordre public, ils doivent être pris en considération aux fins de définir le contenu obligationnel du contrat d’emploi qui unit l’employeur à celui ou à celle qui a choisi d’exercer sa profession dans le cadre d’un contrat de travail. D’une certaine façon on pourrait dire que l’employeur qui embauche un professionnel pour œuvrer à ce titre hérite en même temps du faisceau des exigences et des contraintes qui entourent l’exercice de la profession en cause. L’employeur ne peut donc exiger d’un professionnel que celui-ci se comporte d’une façon contraire aux prescriptions de son code de déontologie, à celles du Code des professions lui-même ou, le cas échéant, à celles de la loi particulière et des règlements qui gouvernent son ordre et sa profession. »66 Puisque les obligations déontologiques sont d’ordre public, elles doivent primer sur les demandes de l’employeur. À cet effet, l’honorable Marie-France Bich spécifiait ceci : « À défaut de pouvoir concilier les deux, le professionnel doit faire primer les intérêts du client sur ceux de l’employeur, surtout lorsque celui-ci est aussi un professionnel ou une société de professionnels, et donc tenu tout autant aux devoirs 65 M.-F. BICH, préc., note 49, p. 70. 66 Id., p. 66.
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