Jean-Paul Dubois, La nouvelle vie de Paul Sneijder - Culture, le ...

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Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Lectures pour l'été 2016 - Poches - Romans français

                        Jean-Paul Dubois, La nouvelle vie de Paul Sneijder
S'engouffrer dans l'univers de l'auteur d'Une vie française (Prix Femina) ou de Vous plaisantez Monsieur
Tanner constitue une expérience littéraire et émotionnelle forte. Le romancier met à chaque fois en scène
un personnage évoluant sur la crête d'une dépression douloureusement communicative bien qu'émaillée ci
et là de traits d'humour générateurs de francs éclats de rire. Peu d'écrivains font en effet cohabiter avec une
telle force tristesse et drôlerie. Et de l'un et l'autre, Le cas Sneijder, son vingtième livre rebaptisé La nouvelle
vie de Paul Sneijder, titre du film qui en est l'adaptation, n'en est pas avare.

Depuis que Marie, la fille de son premier mariage, est morte dans la chute d'un ascenseur d'où il a
miraculeusement réchappé. Paul, qui ne s'entend plus guère avec sa deuxième femme, passe une partie
de ses journées à lire des revues sur ces engins potentiellement mortels auprès de l'urne contenant les
cendres de la seule personne qu'il aimait vraiment. Conscient qu'il lui faut trouver un emploi, il prend le
seul qui semble lui convenir, promeneur de chiens. Il s'agit, par tous les temps, de faire faire pipi à Watson,
Charlie ou Julius et, parfois, de les ramener chez leur maître. Il prend plaisir à ce travail, qui fait honte à
sa femme, et sympathise avec son patron, un Chypriote amateur de nombres palindromiques. Comment
le monde tourne-t-il et comment les hommes ont-ils encore la force d'y vivre, ne cesse de ressasser ce
sexagénaire profondément marqué par se descente dans des enfers dont il garde pour lui la teneur exacte,
refusant de révéler ce qu'il a vu avant de perdre connaissance. (Points)

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                       Jean-Marie Blas de Roblès, Là où les tigres sont chez eux
Lauréat du Prix Fnac en 2008, ce roman de Jean-Marie Blas de Roblès qui a bien failli avoir le Goncourt,
reparaît dans la collection poche de son éditeur originel, Zulma. Il a fallu dix ans à son auteur, lui-même
archéologue, pour mener à bien ce projet extrêmement puissant et ambitieux, ample saga épique qui, par
certains côtés, fait penser aux films amazoniens de Werner Herzog. Eléazard von Wogau, un journaliste
perdu dans la Nordeste brésilienne, est chargé de retravailler une hagiographie d'un jésuite allemand,
                                                                               e
Athanase Kirscher, savant polyglotte très célèbre en son temps, le 17 siècle, pour sa curiosité tout azimut
et ses multiples inventions et travaux, même inaboutis, même ratés (et d'ailleurs cités par Flaubert). Le
récit de cette vie riche et variée est l'œuvre d'un autre jésuite qui lui témoigne une admiration absolue. Il
est interrompu par plusieurs histoires contemporaines, le quotidien de son lecteur, souvent sous forme
de carnets, la mission sur le fleuve Paraguay de son ex-femme archéologue, une mission qui tourne
rapidement très mal, ou les voyages dans l'univers de la drogue de sa fille étudiante qui lui réclame de
l'argent. Ou encore, reflets de la situation brésilienne, un politicien louche et un adolescent infirme des
favelas.

Là où les tigres sont chez eux est un livre dense, aux dimensions multiples, riche en événements et
péripéties contés dans une langue limpide et fluide et dans lequel on s'aventure comme dans une forêt
touffue en se frayant son propre chemin. Sa lecture patiente et exigeante est néanmoins «facilitée» par sa
construction éclatée, le lecteur passant, non sans une certaine délectation, d'une époque à une autre, d'un
univers à un autre, d'un personnage à un autre. (Zulma Poches)

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                        Pierre Assouline, Sigmaringen
Sigmaringen se situe dans le Bade-Wurtemberg, un Land du sud de l'Allemagne à quelque 170 km de la
frontière française. C'est là que, sur décision d'Hitler, le gouvernement de Vichy est envoyé en septembre
1944. Il va y rester jusqu'en avril 1945. S'y réfugient également de nombreux collabos et miliciens avec
leurs familles, soit quelque deux mille Français qui vont souffrir du froid et de la faim - l'hiver sera très rude.
Tels Céline et sa compagne Lucette (plus leur chat Bébert) en transit vers la Suisse, imaginent-ils d'abord,
finalement vers le Danemark. L'auteur de Voyage au bout de la nuit est l'un de deux seuls médecins de
la ville qui s'étend en contrebas du château dont ses propriétaires, les Hohenzollern, ont été chassés et
remplacés par Pétain, Laval, Doriot ou Déat qui se détestent. Le lieu jouit d'un statut d'extraterritorialité et
accueille les ambassadeurs d'Allemagne (Otto Abetz), du Japon et d'Italie. Et il est également occupé par
la gestapo. Se considérant prisonnier, le vieux maréchal boude, n'adressant plus la parole à personne. Et
les autres veulent tous prendre la main sur ce «gouvernement en exil» pompeusement intitulé Commission
gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux et présidé par l'ancien journaliste
Fernand de Brinon. Dans l'espoir de récupérer les rênes de la France, ce que l'offensive des Ardennes peut
un temps laisser espérer. À défaut, ils seront malgré eux des otages de luxe.

Pour raconter l'histoire de cette «tragi-comédie bouffonne sur fond d'apocalypse», Pierre Assouline, auteur
de nombreuses biographies (Jardin, Simenon, Gallimard, Hergé) traversant cette époque, a choisi le biais
romanesque. Son narrateur, Julius Stein, est le majordome imaginaire de la famille Hohenzollern resté sur
place. Il est chargé de veiller qu'à leur retour, ses maîtres retrouvent les lieux comme ils les ont laissés.
Parfaitement francophone, il se lie d'amitié avec Mlle Wolfermann, la gouvernante de Pétain. S'ils ne dit pas
grand-chose, tendant à passer inaperçu, il a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Il est donc le
témoin privilégié de ce monde qui s'écroule inexorablement. (Folio)

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                        David Foenkinos, Charlotte
L'auteur de La Délicatesse a surpris en publiant à la rentrée 2014 ce roman biographique plus grave,
dépourvu de l'humour qui lui était coutumier et écrit à la manière d'un long poème en prose. L'existence de
l'artiste peintre Charlotte Salomon, née en 1917 à Berlin, morte à Auschwitz vingt-six ans plus tard, est un
constant face-à-face avec la mort. Le suicide de sa mère quand elle a huit ans (mais qui ne lui sera révélé
que longtemps après) est «l'aboutissement d'une longue lignée suicidaire», pas moins de huit membres
de sa famille maternelle s'étant en effet donné la mort, dont sa tante qui portait le même prénom qu'elle et
jusque sa grand-mère au début de la guerre. Son père, médecin, se remarie avec une cantatrice qu'elle
adore, mais les lois antijuives les empêchent, lui de soigner, elle de chanter. Et bientôt Charlotte est exclue
de l'Académie des Beaux-Arts où elle a remporté le premier prix… qui ne lui a pas été attribué. Tout la
pousse donc à partir, si ce n'est l'amour qu'elle porte pour le professeur de chant de sa belle-mère, un
personnage torturé, insaisissable. Elle rejoint finalement Nice où ses grands-parents sont hébergés par
une Américaine riche et veuve d'origine allemande, Ottilie Moore. Obligée de se signaler, d'abord comme
Allemande, puis comme Juive, elle sera enfermée au camp du Gurs et échappera de peu à une première
déportation.

Dans son roman, Foenkinos confie que la découverte de cet univers pictural lui a donné «le sentiment
d'avoir enfin trouvé ce qu'[il cherchait]». Il relate ses visites à Charlottenburg, le quartier où a vécu Charlotte,
dans l'école qu'elle a fréquenté, à hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat où, pendant presque deux ans, elle a
peint et écrit. Il rencontre aussi la fille du médecin qui l'a soignée et à qui elle a confié une valise contenant
plus d'un millier de gouaches ainsi que son livre autobiographique Vie? ou Théâtre? (réédité il y a quelques
mois), Ottilie étant retournée aux États-Unis. En lui disant: «C'est toute ma vie». (Folio)

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                       In Koli Jean Bofane, Congo Inc.
Récemment couronné par le prix des Cinq continents de la francophonie, Congo Inc., sous-titré «Le
Testament de Bismarck», est un roman formidablement subtil et intelligent, d'un humour particulièrement
noir. Un pygmée nommé Isookanga quitte son village pour Kinshasa avec l'ordinateur dérobé à une
africaniste belge venue enquêter sur sa communauté (et particulièrement intéressée pas lui) et sur lequel
il a appris à jouer en ligne. Logeant parmi les enfants des rues, ce «mondialiste» convaincu s'associe avec
un Chinois pour vendre une eau soi-disant suisse. Il est contacté par un ancien rebelle qui, pour «venger»
le génocide rwandais, a massacré des villages entiers au Kivu et s'est livré à des trafics d'armes avec un
officier de l'ONU, avant de devenir ministre en RDC. À travers son héros ingénieux et volontaire et cet
individu sans scrupules, l'auteur congolais (de la RDC), qui vit à Bruxelles, se livre à une terrifiante plongée
dans cette région du monde en proie aux pires dérives. (Babel)

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                       Scholastique Mukasonga, La vache du roi Musinga
Ces trois nouvelles sont extraites de Ce que murmurent les collines, un recueil paru en 2014 à travers
lesquelles l'écrivaine rwandaise installée en France fait revivre la culture de son pays natal (et qui possèdent
chacune en guise de postface des «notes à l'attention du lecteur curieux»). Dans celle qui donne son titre
au livre, il est question d'une rivalité entre le roi Musinga, qui affirme que le Rwanda lui appartient, et les
autorités belges qui, vantant leur apport civilisationnel, veulent le faire venir à Kigali, «leur» capitale. Le
bois de la croix, à travers une cordelette à laquelle est accroché un bout de bois et dont une étudiante
en sociologie, même nue, ne se sépare pas, raconte la cohabitation entre les croyances et légendes
vernaculaires et les rites religieux importés par les pères chrétiens. Le héros d'Un pygmée à l'école, enfin,
un pygmée (Cyprien le Mutwa) envoyé par un missionnaire dans une école où il devient le meilleur élève,
révèle le rejet dont sont victimes ces «parias» de la part des Rwandais. (Folio 2€)

                       Patrick Delperdange, Chants de gorges
Réédition chez Espace Nord d'un ancien roman de l'auteur belge de romans noirs Patrick Delperdange,
couronné en 2005 par le prix Rossel. Il est avant tout question d'écriture dans ce récit en sept chants. Car
ses six principaux personnages, qui prennent alternativement la parole, existent davantage par ce qu'ils

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disent que par ce qu'ils font. Un garçon, qui ne connaît ni son âge, ni son prénom - il est simplement «le
fils de Marie» -, fuit son village «noir et pourri» suite au meurtre du curé dont il est accusé. Il s'en défend,
se souvenant seulement que le saint homme, à qui il était venu demander du travail, voulait faire «des
saletés» avec lui. Dans son parcours à la fois violent et spirituel, cet enfant silencieux, innocent, croise un
responsable de chantier, le chef d'une famille gitane ou des êtres paumés, perdus. Sur chacun d'eux, il
exerce une fascination aussi puissante qu'inexplicable.

La magie du livre de Delperdange est de créer un univers impalpable, indéfinissable. Où sommes-nous ?
Dans le réel ou dans l'imaginaire ? Dans notre monde ou dans un autre fantasmé ? Son écriture, très
forte, emprisonne le lecteur dans les mêmes filets que ceux qui retiennent ses ombres, ne cessant de le
déstabiliser, de provoquer chez lui ce sentiment de dépaysement que seule engendre la grande littérature.
Ce Chants des gorges est un livre hors du commun dont on ne se libère pas aisément. (Espace Nord)

                        Yanick Lahens, Bain de lune
Un an après la Franco-camerounaise Leonora Miano, c'est une autre romancière issue de la francophonie,
Yanick Lahens, que les dames du Femina ont couronné en 2014. Pour un très beau livre, Bain de lune,
publié chez une «petite» éditrice, Sabine Wespieser. Rythmée par la voix d'une jeune naufragée qui
remonte le fil de son existence, l'histoire contée est celle de deux familles du village haïtien d'Anse Bleue
liées par un mélange d'amour et de rivalités depuis la rencontre de Tertulien Mésidor et d'Olmène Lafleur.
Ce récit est aussi celui d'une île douloureusement marquée par les dictatures successives des Duvalier
père et fils, et leurs tristement fameux Tonton Macoutes, puis par la présidence contestée de Jean-Baptiste
Aristide. Bain de Lune est enfin le portrait d'une communauté où la vie est dure, surtout pour les femmes
éternellement soumises aux hommes. (Points)

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                       Paula Jacques, Au moins il ne pleut pas
En 1959, deux orphelins venus d'Égypte, Solly, 14 ans, et Lola, 15 ans, débarquent à Haïfa. Craignant
d'être séparés par l'Agence juive qui a financé leur voyage, ils se réfugient chez Magda et Ruthie dont la
maison ayant appartenu à un juge de religion musulmane est la plus belle de Wadi Salib. Dans ce quartier
où se sont progressivement regroupés les juifs pauvres d'Afrique du Nord, la splendeur passée se laisse
encore deviner sous son aspect délabré. Tandis que l'adolescente rêveuse suit des cours d'hébreu, son
frère se livre à de fructueux trafics avec Georgie, le neveu de Magda. Née en France - pays qu'elle déteste
pour l'avoir obligée de porter l'étoile jaune avant de la déporter -, Magda est arrivée en Israël en 1947. C'est
une femme chaleureuse et accueillante, débordante d'humanité. Ruthie, quant à elle, Belge issue du «grand
monde» et auteure de poèmes, est tout son contraire: peu amicale, méprisante, «froide comme un poisson
en gelée». Elles étaient toutes deux détenues au camp de Ravensbrück et si Ruthie a survécu, c'est
grâce à son aînée qui a réussi à la «caser» comme secrétaire de bureau. Cette réalité, Lola, totalement
ignorante des crimes nazis, la découvre progressivement. Tout comme elle apprend l'existence de kapos,
ces déportés choisis pour faire régner l'ordre, parfois pires que les gardiens eux-mêmes. Cette accusation
est portée sur Magda, reconnue au marché et interrogée par la police. Mais qui nie farouchement.

Pour écrire ce roman, Paula Jacques s'est partiellement inspirée de son vécu. Née en 1949 au Caire d'où
elle a été chassée par la révolution nassérienne, elle s'est retrouvée à la fin des années 1950 en Israël,
immédiatement séparée de son frère par l'Agence juive. Mais elle y est peu restée, gagnant bientôt le
France qu'elle considère comme sa vraie patrie. Elle est aujourd'hui journaliste sur France Inter où elle
présente l'émission Cosmopolitaine le dimanche après-midi. (Folio)

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                       Valérie Tong-Cuong, Pardonnable, impardonnable
Après L'Atelier des miracles (J'ai lu), un magnifique roman construit autour du thème de l'entraide,
Pardonnable, impardonnable s'attache au pardon. Comment, une fois la colère puis la haine dépassées,
la vengeance et l'amertume vaincues, vient le temps du pardon ? Une question éminemment actuelle que
l'auteure déploie autour d'une cellule familiale infectée par les non-dits.

Un jour d'été sur une route de campagne. Milo, 12 ans, censé réviser avec sa jeune tante, Marguerite,
fait une chute de vélo. Il est plongé dans le coma, les médecins sont d'un optimisme mesuré. Ce drame
provoque une crise familiale. Lino, le père, issu d'une famille ouvrière qui l'a rejeté, sans pour autant être
accepté par sa belle-mère, se culpabilise de s'être toujours montré très exigeant envers son fils afin de
le voir arriver «au sommet de la pyramide», oubliant de lui dire son amour. Il condamne sans jugement
sa belle-sœur avec qui il est lié par un terrible secret. Céleste, la mère, voit remonter en elle une douleur
ancienne, la perte d'un enfant mort-né. Quant à Jeanne, l'intransigeante grand-mère, divorcée, elle se
montre de plus en plus envahissante auprès de sa fille chérie tout en étant confortée dans son désamour
assumé pour sa cadette.

Ces quatre êtres ravagés par le chagrin prennent alternativement la parole, comme dans les deux romans
précédents de Valérie Tong Cuong, Providence et L'Atelier des miracles. Leurs périples intérieurs sont
merveilleusement retracés, Lino, Céleste, Marguerite et Jeanne fournissant petit à petit les pièces d'un
puzzle qui ne sera dévoilé qu'en toute fin du livre. Un livre porteur d'une charge émotionnelle tout à fait
sidérante qui naît de la richesse humaine dont sont dotés tous les personnages, même ceux qui, a priori,
en sont le moins pourvus. Car, à défaut de justifier ou même d'excuser tel acte, tel comportement, le lecteur
est amené à le comprendre. Et dès lors à ne plus condamner d'emblée quelqu'un dont le comportement lui
semble blâmable. À réviser son jugement. Ce qui, au final, constitue une admirable leçon de vie. (J'ai lu)

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                       Saphia Azzeddine, Bilqiss
Bilqiss est en prison. Femme dans un pays (non cité) où il vaut mieux «être n'importe quoi d'autre, et si
possible un volatile», elle est menacée de lapidation. Son crime ? Être libre et indépendante. Elle refuse
de se conformer à cette société muselée où la musique et la poésie sont interdites, où les bibliothèques
et les écoles sont brûlées, où les femmes n'ont pas le droit d'acheter des légumes de forme phallique. Un
expert en droit islamique l'accuse d'une vingtaine d'infractions : porter des chaussures à talons, posséder un
recueil de poésie persane, une peluche, des collants, une pince à épiler… Mais sa faute suprême est d'avoir
remplacé le muezzin un matin où, ayant «englouti» des hectolitres d'arak, il était incapable d'atteindre
le sommet du minaret. Tout en rappelant que «la prière est meilleure que le sommeil», elle a, dans son
discours, félicité publiquement certains habitants - le boulanger, le jardinier, le maraîcher et le professeur -
de vaquer à leurs bénéfiques occupations au lieu de prier. Scandale !

Son procès, qui aurait dû être promptement réglé, traîne en longueur. Le juge, qui fut un jeune homme gai
et insouciant avant de devenir un accusateur impitoyable et craint, ne cesse en effet, sous les huées d'une
assistance vindicative, de reporter son verdict au lendemain - un peu comme dans Les Mille et une nuits.
Car il voudrait sauver celle qui fut la confidente de sa femme à la fin de sa vie. Chaque soir, il se rend dans
sa cellule pour la convaincre de faire amende honorable. Mais, parce qu'elle préfère mourir que vivre dans
ces conditions, elle refuse obstinément. Mais si Bilqiss s'insurge avec une telle force contre une société
qu'elle juge mortifère, ce n'est pas du tout par athéisme. Elle en est convaincue, «il n'y a Dieu qu'Allah» et
à Lui seul elle doit rendre compte. En voulant la condamner, ses juges s'arrogent donc un droit qui relève
de l'«imposture». Dans ce monde obscurantiste et totalitaire dont l'actualité se fait quotidiennement l'écho,
les États-Unis sont doublement présents. Par le biais de deux soldats violemment antimusulmans qui ont
pris Bilqiss en affection et tiennent grâce aux psychotropes et à l'alcool. Et sous l'aspect d'une journaliste
idéaliste mais farcie de préjugés alertée par ce procès au retentissement international. Et qui se rend
compte que sa générosité ne suffit pas à vaincre l'hostilité d'un peuple à l'égard des Occidentaux et de leurs
bons sentiments. (J'ai lu)

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                       Gilles Paris, L'été des lucioles
«J'ai deux mamans et un papa qui ne veut pas grandir.» Par cette phrase, Victor, 9 ans, entame le récit de
ses vacances estivales. Un été qu'il a passé, comme les années précédentes, à Roquebrune-Cap Martin,
non loin de Nice, avec sa mère, sa sœur aînée et sa «seconde maman», une peintre argentine. Sa vraie
maman a en effet fini par quitter son père, lassée de son immaturité. Dans la résidence, Victor s'est fait deux
amis, Gaspard et Justine, auxquels sont venus s'adjoindre deux jumeaux de son âge habitant les environs,
Tom et Nathan.

Débutant comme un charmant roman d'enfance, L'Été des lucioles prend progressivement une tonalité plus
grave et acquiert un caractère mystérieux. Qui sont réellement ces deux jumeaux qui possèdent les clés
des splendides villas bordant le chemin des douaniers? Et pourquoi le père du narrateur n'a-t-il jamais voulu
accompagner sa famille dans cet appartement hérité de sa propre sœur alors qu'il y est venu petit, comme
le prouve une photo ancienne? Ces deux énigmes sont intimement liées et c'est une baronne octogénaire,
malmenée par la vie, qui va conduire le jeune détective vers leur résolution.

Ce roman est le quatrième publié par Gilles Paris depuis plus de vingt ans, après Papa et maman sont
mort, L'autobiographie d'une courgette (dont l'adaptation en film d'animation a été dernièrement présentée
à Cannes) et Au pays des kangourous. Abordant à chaque fois des sujets importants de la vie quotidienne
(la mort, la dépression, les conflits parentaux, l'homosexualité) à travers les yeux d'un enfant de 9 ans,
l'écrivain trouve toujours le ton juste, entre gravité et légèreté. Ces livres se singularisent aussi par leur
dimension merveilleuse, onirique. (J'ai lu)

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                       Olivier Adam, Peine perdue
Peine perdue est le fruit d'un vrai travail d'écriture sur une matière romanesque peu traitée en littérature, le
vécu d'hommes et de femmes qui, quotidiennement, se battent pour sauver leur travail, pour se faire une
(petite) place dans la société, pour garder la tête hors de l'eau et permettre à leur vie de conserver une
certaine dignité. Le décor assez sinistre est une cité balnéaire de la côte d'Azur entre Marseille et Nice, mais
hors-saison. Le point de départ est le passage à tabac d'Antoine, un joueur de foot du club local engagé
pour retaper des mobil-homes. L'intrigue progresse en se focalisant alternativement sur une vingtaine de
personnages plus ou moins concernés par ce drame, au moment où une tempête ravage les hôtels et
campings et voit la mer engloutir quelques corps et en rejeter un autre. C'est passionnant de bout en bout,
formidablement écrit, terriblement humain, le lecteur est happé par ces individus aux contours complexes
dont l'auteur de Je vais bien, ne t'en fais pas ou Le Cœur régulier (récemment adapté au cinéma) suit les
méandres existentiels pour mieux faire émerger leur nature profonde. (J'ai Lu)

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                       Adrien Bosc, Constellation
Le premier roman d'Adrien Bosc, qui publie des revues littéraire et sportive, a reçu le Prix de la Vocation
avant d'être présent sur les listes du Goncourt et du Renaudot en 2014. Son titre, Constellation, désigne
l'avion qui, parti d'Orly dans la soirée du 27 octobre 1949 en direction de New-York, s'est écrasé dans
l'Archipel des Açores. À son bord se trouvent deux «stars», Marcel Cerdan, réclamé par Édith Piaf qui l'a fait
revenir par les airs plutôt que par la mer, et la violoniste Ginette Neveu, dont on retrouvera un morceau de
l'un des deux instruments. Le premier va tenter de récupérer son titre mondial détenu par Jack La Motta, le
second se lance à la conquête de l'Amérique. L'auteur raconte l'erreur d'orientation de l'avion, qui percute le
Mont Redondo tout proche de l'île de Santa Maria où il doit se ravitailler, et les recherches menées ensuite.
Tout en présentant quelques-uns parmi les 48 passagers et membres d'équipage morts dans l'accident :
le peintre mondain Bernard Boutet de Monvel, Amélie Ringler, une ouvrière alsacienne venue rejoindre sa
riche tante, cinq bergers basques s'en allant faire fortune outre-Atlantique, Kay Kamen, responsable du
marchandising de Walt Disney, etc. (Le Livre de Poche)

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                       Patrick Deville, Viva
Primé en 2012 par la FNAC et le Femina, Peste & Choléra, la vie d'Alexandre Yersin, l'inventeur du vaccin
contre la peste, a révélé son discret auteur à un plus large public. Pourtant, Patrick Deville était déjà l'auteur
d'une dizaine de romans dont trois d'«aventures», Pura Vida, Equatoria et Kampuchéa, réunis en un volume
sous le titre Sic transit (Seuil). À William Walker en Amérique centrale, à Brazza en Afrique et à Henri
Mouhot découvrant les temples d'Angkor vient aujourd'hui s'ajouter Trotsky. Dans Viva, le compagnon de
lutte de Lénine condamné à mort par Staline débarque en 1937 à Tampico, un port du Mexique où, après
une décennie d'errance, il a reçu l'asile politique. Il est hébergé par les peintres Diego Rivera et Frida Kahlo
avec qui il a une liaison passionnée. Il sera assassiné trois ans plus tard par Ramon Mercader. D'une plume
travaillée, l'auteur élargit sa focale en s'intéressant au passé du révolutionnaire russe, aux écrivains français
de passage (Antonin Arthaud, André Breton) et, surtout, à Malcolm Lowry qui y entame son œuvre majeure,
Au-dessous du volcan. Tout en se mettant lui-même en scène sur la piste de ces ombres anciennes, du
Mexique à la Sibérie. (Points)

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                       Mathieu Belezi, Un faux pas dans la vie d'Emma Picard
Lorsqu'elle pose le pied à Mercier-le-Duc, un village «tout neuf» bâti entre Alger et Sid Bel Abbès, Emma
en est convaincue : une belle vie l'attend. À cette mère de quatre garçons, dont le dernier, Léon, a six
ans, l'État français a offert vingt hectares de terres en Algérie, «pour la faire sortir du trou» dans lequel
elle se débat depuis la mort de son mari. Nous sommes à la fin des années 1860 et la France encourage
le peuplement de ses départements. Mais la ferme se situe à plusieurs heures de marche du village et le
seul puits est à sec pendant les mois d'été. Aidée par «son Arabe», Mekika, ainsi que par ses aînés, les
plus petits allant à l'école à Mercier, elle va tenter de faire vivre sa terre et ses quelques animaux - poules,
lapins, vaches -, malgré la chaleur estivale, les rigueurs hivernales et les sauterelles qui dévorent tout sur
leur passage. Mais son agriculture européenne, trop intensive, ne correspond pas au climat et elle échoue.
Et pourtant, elle s'obstine, sourde à la demande pressante de Jules, un révolutionnaire parisien devenu son
amant, de le suivre à Alger.

Après Notre terre et Les Vieux Fous, Mathieu Belezi referme avec ce roman remarquable sa trilogie
algérienne. En modifiant son point de vue puisqu'il s'intéresse ici non plus aux riches colons mais aux
victimes de l'engouement colonisateur. C'est un texte de Maupassant, Au soleil, dans lequel l'auteur du
Horla croise une Alsacienne victime de ce leurre qui a coûté la vie à ses enfants en la plongeant dans la
misère, qui a servi de terreau à son roman. Pour conter cette lente descente en enfer, le romancier adopte
une forme originale. Le récit d'Emma, un long souffle sans point, avec de fréquents retours à la ligne, est
régulièrement rompu par des adresses à son fils en train de mourir, laissant ainsi présager l'issue finale de
ce combat perdu d'avance. (Le Livre de Poche)

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                      Grégoire Delacourt, Les quatre saisons de l'été
Le cinquième roman de l'auteur à succès de La Liste de mes envies est divisé en quatre parties qui portent
chacune le nom d'une fleur - Pimprenelle, Eugénie Guinoisseau, Jacinthe, Rose - et dont les héros affichent
des âges différents À 15 ans, Louis rêve d'aimer toujours sa voisine de 13 ans, Victoire, quitte à être très
patient. Une femme de 35 ans, mère d'un enfant de 9 ans et dont le mari s'est «envolé», retrouve «l'amour
fou de [ses] quinze ans» dans l'hôpital où a été hospitalisé le vieil homme qu'elle a sauvé de la noyade.
À 55 ans, chagrine que son mari «ne la regarde plus», Monique veut désormais s'appeler Louise pour se
donner l'impression de pouvoir revivre sous les traits d'une autre femme. Et, à 75 ans, après un demi-siècle
de bonheur partagé, Rose et Pierre, qui se sont promis de s'aimer toujours sous le fracas des bombes, ont
le sentiment d'avoir atteint le bout de leur route.

Ces quatre histoires se déroulent en un même lieu - dans la station balnéaire du Touquet - et à une même
époque, l'été 1999, quelques mois avant le bug annoncé de l'an 2000. L'un des tubes de cet été est Hors-
saison, la chanson de Francis Cabrel qui traverse le roman parmi d'autres porteuses d'émotions en lien
avec celles que vivent les personnages. (Le Livre de Poche)

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                       Jean-Teulé, Héloïse, ouille !
«Où est la très sage Hélloïs, /Pour qui chastré fut et puis moyne /Pierre Esbaillart à Saint Denis? / Pour
son amour eut ceste essoyne.» En écrivant en 2006 Je, François Villon, Jean Teulé a croisé une première
fois Héloïse et Abélard mis en vers par le poète médiéval dans la Ballade des Dames du temps jadis dont
Georges Brassens a fait l'une de ses plus fameuses chansons. Et il y a repensé huit ans plus tard. Pendant
six mois, il a lu les livres - «très sérieux» - consacrés à leur histoire ainsi que leur correspondance (publiée
en Folio). Le résultat est un roman fort drôle malgré sa dimension tragique, qui mêle avec bonheur des
expressions et mots d'époque à un parler contemporain.

Abélard a 38 ans, Héloïse 18, lorsqu'ils se rencontrent en 1118. Le premier, un philosophe qui se verrait
bien archevêque ou pape, est engagé comme précepteur de la seconde par l'oncle de celle-ci, un chanoine
haut-placé. Qui a la malencontreuse idée de les loger dans deux chambres attenantes reliées par une porte.
Autant dire, comme le remarquera la servante, que les draps du savant ne devront guère être changés.
Quant à ceux de la demoiselle… C'est d'ailleurs la chambre elle-même que l'infortuné tonton va retrouver,
hélas bien trop tard, dans un état déplorable. Cette période de presque deux ans, dont les biographes se
débarrassent en une ligne en parlant «d'amours torrides», l'auteur du Magasin des suicides la développe en
une centaine de pages, s'appuyant sur le récit qu'en a fait Abélard lui-même dans sa «Lettre de consolation
à un ami».

Les amants sont l'un et l'autre extrêmement modernes. Abélard est considéré comme le plus important
philosophe de son époque, des jeunes de toute l'Europe viennent l'écouter. À rebours de son temps, il
cherche la logique de Dieu et pense que la religion catholique doit évoluer. Après son émasculation (qui
vaudra la pareille à ses tourmenteurs, en plus d'avoir les yeux crevés), attaqué pour ses livres, il est d'abord
emprisonné avant de se réfugier à l'abbaye de Saint-Denis. Où il conteste l'identité de ce Denis. On le
retrouve ensuite en Champagne puis en Bretagne. Héloïse est peut-être, quant à elle, la première féministe
de l'histoire. Elle veut faire des études, refuse d'abord d'épouser son amant afin de «rester libre» et finit par
se sacrifier pour lui en entrant au couvent. Dont elle finira mère supérieure, tout en ne croyant pas en Dieu.
C'est pourquoi elle refuse de donner à son fils un prénom chrétien, lui préférant celui d'Astrolabe, le nom
d'un instrument d'astronomie.

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Les deux anciens amoureux finissent pourtant par diverger, comme en témoignent les quelques lettres qu'ils
s'échangeront. Si Héloïse reste éprise de celui qu'elle a tant aimé, continuant à lui parler abondamment de
sexe, ce n'est pas son cas à lui. Devenu très pieux, convaincu d'avoir été puni par où il a péché, Abélard
se dit soulagé que le Seigneur ait fini par les «délivrer» de leurs «débauches incroyables». Ils mourront
au même âge - 63 ans -, à vingt ans d'intervalle. Et lorsqu'Héloïse sera déposée dans le caveau, les
ossements de son amant se refermeront sur elle, l'enlaçant une dernière fois. (Pocket)

                      Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Patrick Modiano affectionne l'automne, saison entre chien et loup, mélange de clarté et de pénombre.
Ce roman aurait plus s'appeler Du plus loin de l'oubli s'il n'avait déjà eu lui-même recours à ce titre. S'y
trouvent entremêlées plusieurs époques diversement lointaines qui toutes ont l'automne pour cadre. Comme
dans l'un de ses plus beaux romans, Dora Bruder, le «héros» mène une enquête, mais dans son propre
passé. Le point de départ en est un nom, Guy Torstel, figurant dans son carnet retrouvé par un certain
Gilles Ottolini qui habite square Graivisaudan où, par une étrange coïncidence, il a lui-même vécu autour
de ses 20 ans. Cet individu trouble, accompagné d'une intrigante jeune femme, écrit un article sur un fait
divers ancien dans lequel apparaît le nom de sa mère. Ainsi que d'autres patronymes - Perrin de Lara, Bob
Bugnan et surtout Annie Astrand - qui renvoient Jean Daragane à «une période de sa vie qui avait fini par
lui apparaître derrière une glace dépolie», laissant «filtrer une vague clarté, mais on ne distinguait pas les
visages, ni même les silhouettes». Un roman à nouveau douillettement mélancolique. (Folio)

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                 François Emmanuel, Le Sommeil de Grâce, Le tueur mélancolique et
La Passion Savinsen
Dans Regarde la vague (roman paru en 2007), les frères et sœurs Fougerey se retrouvaient pour le mariage
de l'un d'eux dans la demeure familiale normande à la veille de sa mise en vente. Huit ans plus tard, la
maison n'est toujours pas vendue et les voilà à nouveau réunis, sous la neige, à l'occasion d'un événement
autrement dramatique : le coma dans lequel est tombée Grâce suite à un accident de voiture. Le Sommeil
de Grâce raconte deux jours et deux nuits au cours desquels ceux qui restent vont tenter de vivre malgré la
menace d'un possible silence éternel. Les deux sœurs de l'endormie, Alexia, aimantée par Milan, son amant
insaisissable, et Marina, qui, à la lecture de son journal personnel, sent que lui échappe Hyacinthe, sa fille
adolescente. Ainsi que son frère adoptif indien, Jivan, accompagné de sa compagne russe et de la fille de
celle-ci.

Glissant d'un personnage à un autre, d'une pensée à une autre (chez Emmanuel, les dialogues s'inscrivent
dans le cours du texte, les seuls retours à la ligne sont théâtralisés dans quelques scènes autonomes),
le roman reste constamment en suspension sur une crête émotionnelle que seul un minutieux travail
littéraire est à même de traduire avec une telle justesse. On peut s'arrêter sur chaque phrase pour la laisser
pénétrer en soi tant elle est porteuse de bien autre chose que de ce qu'elle dit. Est-ce parce que l'écrivain
est psychanalyste qu'il parvient à universaliser à ce point des ressentis individuels? Ce roman, dont les
personnages sont bien réels, faits de chair et de vie, qui aiment (également physiquement) et se déchirent,
se lit ainsi presque comme un essai philosophique tant ce qui est murmuré, ou crié, nous offre un regard
neuf sur notre propre vie. On se demande, dans cette écriture à ce point ciselée, ce qui, chez son auteur,
relève de l'intentionnel, de réfléchi, du délibéré, et de l'inconscient, issu de cette région intérieure impalpable
d'où naît la poésie. (Points)

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                                             De François Emmanuel, la collection Espace Nord réédite
deux romans nettement plus anciens. La Passion Savinsen (Prix Rossel 1998) met en scène une folle
passion amoureuse sur fond de grande demeure ardennaise occupée par les Allemands l'automne 1941.
Comme l'écrit Estelle Mathey dans sa postface, «le silence donne forme à une parole fragmentée et à une
mémoire fragmentaire que l'héroïne tente de rassembler. Le roman est tout entier parcouru de signifiants
isolés qui participent au mécanisme de refoulement, au non-dit et au mutisme ambiant.» Publié trois ans
plus tôt, Le tueur mélancolique est également un roman initiatique, mais d'un tout autre ordre. Son héros,
employé dans une agence de détectives, est chargé d'éliminer un sans-abri. Mais une relation fraternelle
naît entre les deux hommes et le roman devient ainsi un double voyage, à la fois humain et géographique
au cœur d'une ville du Nouveau Monde alternant gratte-ciels et égouts. (Espace Nord)

                      Léonor de Récondo, Amours
Nous sommes quelques années avant la Première Guerre mondiale dans le Cher, en plein centre de la
France. Anselme de Boisvaillant, notaire, et sa seconde femme, Victoire, ont à leur service Huguette et
Pierre, qui ont connu Anselme enfant, et Céleste, une petite bonne que Monsieur culbute lorsque l'envie
devient trop pressante - il fait en effet chambre à part avec sa femme qui refuse quasiment tout contact
physique avec lui, profondément dégoûtée par ce qu'elle nomme un «enchevêtrement immonde». Résultat:

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après cinq ans de mariage, elle n'est toujours pas enceinte, ce qui rend de moins en moins cordiale l'attitude
de la belle-maman qui s'inquiète que «ça fonctionne bien». Celle qui va sauver la jeune femme des rares
assauts nocturnes de son époux, de son image publique et de tout le reste, notamment de l'ennui (elle se
délecte à suivre la «dépravation» d'Emma Bovary, «un ramassis de merde» selon Anselme), c'est Céleste
bientôt grosse des œuvres de son amant épisodique. Puisqu'il est trop tard pour avorter, Victoire fera passer
l'enfant pour le sien, et tout le monde sera content, y compris le notaire qui, démasqué, s'en tire avec un
héritier.

C'est dans son écriture, très pure, très travaillée, que ce quatrième livre de Léonor de Récondo tire sa
beauté et sa densité émotionnelle. Son calme apparent dissimule un flot de cris étouffés et de violence
contenue, et c'est cette opposition entre un ton presque neutre, mais non dépourvu de sensibilité, et des
sentiments écorchés, voire violents, qui fait de cet Amours un objet singulier et fragile, dans la lignée de ce
que publie depuis plus de dix ans son éditrice, Sabine Wespieser. (Points)

                       Gaëlle Nohant, La Part des flammes
Né en 1885, le Bazar de la Charité rassemble des œuvres de bienfaisance organisées par des aristocrates
parisiennes où l'on vend des objets et des vêtements en faveur des pauvres. En 1897, il déménage dans
un hangar en bois de 80 mètres de long bordé de part et d'autre par vingt-deux comptoirs. Les places sont
chères, les dames patronnesses considérant cette manifestation annuelle comme la juste récompense de
leur temps consacré aux plus démunis et aux malades. Notamment auprès des très contagieux tuberculeux
enfermés dans des sanatoriums en plein Paris. L'un de ces comptoirs, celui des noviciats dominicains,
est tenu par la joviale et généreuse duchesse de Bavière, sœur de l'impératrice Sissi, devenue duchesse
d'Alençon suite à son mariage avec le petit-fils du roi Louis-Philippe.

C'est vers 16h30, le mardi 4 mai, peu après la bénédiction par le nonce apostolique, que le feu se
déclenche dans le local mitoyen où est installé le cinématographe projetant des films des frères Lumière.
Rapidement, un rideau s'enflamme. Une rumeur dira que les hommes se fraient un passage avec leurs
cannes, n'hésitant à piétiner les femmes, majoritaires en ce lieu. Tandis que certaines d'entre elles tentent
de s'extraire du brasier par la porte à double battants qui donne sur la rue, d'autres se réfugient dans la cour

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intérieur fermée par l'Hôtel du Palais. D'où, brisant les barreaux d'une fenêtre, le personnel tente d'extraire
les malheureuses.

On dénombrera plus de cent-vingt victimes, dont la duchesse d'Alençon. Mais pas les deux femmes qu'elle
avait invitées à son comptoir, les héroïnes - fictives - du roman, Violaine de Raezal et la jeune Constance
d'Estingel. La première, qui se languit depuis la mort de son mari, rejetée par les enfants que celui-ci a eus
d'un premier lit, «brûle du désir de [se] consacrer à des œuvres de charité.». La seconde, sur les conseils
de la mère dominicaine chez qui elle a été pensionnaire, vient de rompre avec son fiancé, Laszlo de Nérac.
Mais l'infortuné délaissé, convaincu de la réciprocité de son amour, veut à tout prix la faire changer d'avis.
Or, cet apprenti écrivain est accusé d'avoir trahi sa caste en signant des articles favorables à la Commune
de Paris qui a secoué la capitale un quart de siècle plus tôt. C'est comme journaliste pour Le Matin qu'il se
retrouve sur les lieux de la tragédie. Si Violaine se remet rapidement de ses brûlures, ce n'est pas le cas de
Constance en proie à des crises qui conduisent sa mère, qu'elle déteste, à la faire interner dans un institut
psychiatrique situé non loin de la célèbre clinique du Docteur Blanche.

Autour d'un drame et d'une époque admirablement reconstruits, Gaëlle Nohant crée une intrigue d'une
grande puissance dramatique et émotionnelle. (Le Livre de Poche)

                       Jean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h27
Ce Liseur du 6h27 est un premier roman tout à fait enthousiasmant remarqué lors de sa sortie en 2014.
Pour tromper la tristesse de voir des milliers de livres envoyés quotidiennement au pilon, son héros sauve
régulièrement de l'impitoyable broyeuse, la Zerstor 500, des feuillets qu'il lit aux passagers partageant la
voiture de son RER matutinal. Autant de morceaux d'histoires volées au temps qui passe, sans débuts,
ni fins, avant ni après. Il est si convaincant que deux vieilles dames lui proposent de venir lire dans leur
résidence. Guylain a deux compagnons, son poisson rouge et l'un de ses anciens collègues dont les jambes
ont été broyées par la «Chose» et qui recherche depuis, avec l'appui des bouquinistes parisiens, les 1299
exemplaires d'un certain livre de jardinage. À ce mystère, vient s'en ajouter un autre, celui d'une clé USB
retrouvée sous son siège par le conteur. Elle contient les extraits d'un journal tenu par une Madame Pipi qui

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ne laisse pas de marbre son indiscret lecteur. À qui il ne reste plus qu'à retrouver son auteur dans l'un des
multiples centres commerciaux bâtis autour de Paris. (Folio)

                       Virginie Carton, La blancheur qu'on croyait éternelle
Dans le premier roman de Virginie Carton, Des amours dérisoires, l'un des personnages apercevait Julien
Clerc en rue. Dans celui-ci, c'est Alain Souchon que l'on voit en maillot de bain sur une plage de la côte
d'Azur. D'ailleurs, son titre, La blancheur qu'on croyait éternelle, est extrait de L'Amour à la machine,
une chanson de 1994. La chanson française, qui forge notre imaginaire culturel, mais aussi émotionnel,
constitue la matrice de cette histoire. D'un côté Lucien, pédiatre, terriblement old school dans ses goûts -
d'intérieur notamment. De l'autre Mathilde, vendeuse de chocolats sortie d'une grande école de commerce,
qui désespère sa mère qui la voudrait plus «rigolote» et ambitieuse. Ils se croisent à une soirée costumée
chez le nouveau locataire de leur immeuble. Lui est déguisé en Joe Dassin, elle en fantôme. Moyennant
de fréquents retours dans leurs enfances, l'auteure trace à mi-voix et avec tendresse, comme dans un
murmure, les chemins parfois chaotiques de ces deux solitaires qui finiront par se rencontrer. (Le Livre de
Poche)

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