Varia - ESSACHESS - Journal for Communication Studies

 
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Varia
ESSACHESS – Journal for Communication Studies

   Les petites phrases                               ESSACHESS –
                                                     Journal for Communication Studies
        dans la                                      Volume 14 Issue 1(27), p. 183-202
                                                     © The Author(s) 2021
communication rioplatense                            Reprints and Permission:
                                                     Ó ESSACHESS
                                                     https://www.essachess.com/
                                                     DOI: 10.21409/essachess.1775-352x

  Damián FERNÁNDEZ PEDEMONTE
  Professeur des universités, Universidad Austral
  ARGENTINA
  e-mail: dfernandez@austral.edu.ar

  Monique VAUGHAN
  Doctorante, Universidad Austral
  ARGENTINA
  e-mail: monique_202@yahoo.com

  Résumé : Cet article cherche à décrire la fonction de la petite phrase dans les discours
  de deux politiciens de gauche, Cristina Fernández de Kirchner (CFK) en Argentine et
  José Mujica en Uruguay, et analyser l´écho de ces phrases dans les médias. Il s`agit
  d´étudier si leur usage dans le scénario politico-médiatique est un phénomène avec
  des mécanismes discursifs idiosyncratiques identifiables.
  Mots-clés : analyse du discours, aphorisation, petite phrase, José Mujica, Cristina
  Fernández de Kirchner

  Article received on the July 22, 2020. Article accepted on the June 2, 2021.
  Conflict of Interest: The author(s) declare(s) no conflict of interest.
184 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

                                             ***
                   Soundbite phrases in Rioplatense political communication

Abstract: This article describes the linguistic function of sound bite phrases in the
discourse of two Latin-American left-wing politicians, Cristina Fernández de
Kirchner in Argentina and José Mujica in Uruguay, and analyzes the echo that these
phrases have in the media. The purpose is to study whether their usage in the media-
political scenario is a phenomenon with identifiable idiosyncratic discursive
mechanisms.
Keywords: discourse analysis, aphorisation, sound bite, José Mujica, Cristina
Fernández de Kirchner

                                                      ***
Introduction
Dans le présent contexte de la politique médiatisée, le discours politique circule dans
un système hybride de médias (Chadwick, 2017), se livrant à un jeu de renvois entre
les médias de masse et les réseaux sociaux. Ceci mène les leaders politiques, surtout
en contexte de campagne électorale, à parler pour être cités dans les titulaires des
journaux et dans les réseaux sociaux comme Twitter. Ce besoin d´avoir un impact sur
la circulation des informations médiatiques et digitales est l´une des conditions de
production de la communication politique contemporaine. L’anticipation aux routines
de production des nouveaux médiateurs de déclarations politiques a fait réapparaitre
l´usage de lemmes, apophtegmes et maximes, qui récupèrent la technique du slogan,
caractéristique du marketing de campagne électorale. Néanmoins, la perspective du
marketing et son emphase sur les cibles (targets) ne suffisent pas pour comprendre la
fonction de cette stratégie dans la construction des collectifs et la dimension
idéologique du discours1 (Verón, 1998b).
    L´objet de cet article est d´identifier la présence et étudier le fonctionnement d´un
recours linguistique qui apparait dans le discours de deux leaders politiques du Rio de
la Plata et qui fut étudié par une tradition de l´Analyse du Discours en tant que trait
caractéristique du discours politique. Certes, la petite phrase est un dispositif qui fut
définit et délimité conceptuellement par les auteurs de l´école française de l´Analyse
du Discours (AD) fondée sur l´analyse empirique de pièces communicationnelles. La
théorie de l´énonciation et la nouvelle rhétorique françaises ont largement influencé
l´Analyse du Discours Politique Latino-Américain, et plus notamment celui du Rio
de la Plata, à travers de la reconfiguration que propose Verón (1998a) dans sa théorie

1 Sigal, S. et Verón, E. (2003). Perón o muerte. Buenos Aires : Eudeba. Contrairement à l´idéologie qui
est contenue dans l´énoncé, la dimension idéologique est le contenu implicite qui jaillit selon les conditions
de production d´un certain type de discours.
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des discours sociaux. Cependant, aucune allusion n´est faite à l´usage actuel des
petites phrases dans les analyses réalisées dans ce contexte de production scientifique.
    La question est de savoir si cette catégorisation décrit un recours en usage dans le
discours des présidents latino-américains appartenant au cycle populiste de gauche.
Le populisme comme catégorie, même si elle renferme plusieurs expressions
idéologiques, a été utilisée pour caractériser une forme relativement stable de la
communication politique (Casullo 2019 ; Fernández Pedemonte, 2018). Cette étude
porte sur les discours de campagne des ex-présidents de l´Uruguay et l´Argentine,
José Mujica et Cristina Fernández de Kirchner (CFK), qui peuvent s´inscrire dans le
cadre du populisme en termes communicationnelles, même si leurs styles diffèrent
considérablement.

1. Cadre théorique
L´Analyse du Discours Politique se centre sur les dispositifs d´énonciation mis en
scène dans les diverses situations de communication politique : la campagne
électorale, la communication gouvernementale et la gestion des risques et des crises.
Nous nous référons ici à la campagne électorale. En général, cet évènement est abordé
sous une perspective professionnelle de marketing plutôt que sous une perspective
discursive.
    L´école française d´analyse du discours (AD) a considéré le discours politique
comme un domaine privilégié de l´analyse idéologique et rhétorique. Par AD nous
entendons la production d´un groupe d´auteurs appartenant au champ dont
l´émergence coïncide avec l´hégémonie du structuralisme et de la sémiologie, et qui
se centre sur la production du discours selon le point de vue du sujet. Elle reçoit
l´influence de Benveniste (1971) et ensuite de Foucault (1997). Ses principaux sujets
d´études sont le dispositif d´énonciation, l’hétérogénéité énonciative et la polyphonie,
les objets discursifs, la paraphrase et la reformulation, les genres discursifs, la
présupposition, les connecteurs argumentatifs, l´analyse lexique du discours et les
formations discursives (Vázquez Villanueva et al., 2019, p. 24). Cet article se repose
sur les apports de deux de ses principaux exposants, Charaudeau (2005) et
Maingueneau (2011, 2012, 2017).
    Comme indiqué auparavant, le populisme en qualité de nom commun de la science
politique est imprécis et doit s´entendre ici comme un adjectif du terme
« communication populiste ». C´est une stratégie de communication qui, en tant que
telle, entraine la configuration d´un dispositif constitué par plusieurs éléments
narratifs comme : un mythe d´origine, la construction d´un héros et ses antagonistes,
et des points pivots (Fernández Pedemonte, 2018). A cet égard, la communication de
CFK peut se classer comme populiste car elle a pu générer un conflit entre le peuple
et les élites tout en adressant plusieurs demandes insatisfaites. Par ailleurs, la
communication de Mujica peut s´interpréter comme populiste étant donné que le sujet
186 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

de son discours renvoie au peuple, ce qui est renforcé par l´utilisation d´un nous
inclusif.
    La bibliographie établi un rapport entre la petite phrase et la polémique dans la
mesure où son emploi sert à identifier partisans et adversaires conformément s´ils
sympathisent ou non avec la phrase. La théorie des conflits est une théorie de portée
intermédiaire qui est à la base des approches les plus recourus en communication
politique (Borrat, 1995 ; Wolton, 1992 ; Muraro, 1997). Ainsi, Verón (1985)
considère qu´un trait différentiel du discours politique est la polémique. Les divers
discours politiques se disputent un espace de pouvoir là où ne peut qu´habiter un seul
d´entre eux. Le discours politique est un contre-discours dont l´une des fonctions est
de déconstruire le discours adversaire. La construction d´un ennemi est une des
particularités essentielles du discours populiste. En partant de cette hypothèse de
Laclau (2005), les Kirchners en Argentine ont essayé de distinguer leur discours de
celui de leurs adversaires grâce à des opérations de contraste, des répliques aux
opposants et même des sanctions à travers des actes de langage envers ceux qui
encombraient les politiques publiques qu´ils visaient à établir. Mujica, par contre,
appelle à des structures comme « la pauvreté », « la marginalité », la « vieillesse »
pour construire cette altérité.
    Mujica a également pu rassembler les revendications populaires sous son
leadership et peut se considérer comme faisant partie du populisme latino-américain
de gauche. Mais contrairement à CFK, il a alterné un style adversatif avec un style
conciliant. Dans une étude diachronique qui analyse un corpus de cinq discours de
José Mujica entre 1985 et 2011, Vaughan (2014) identifie un « noyau invariant de
valeurs » (Verón, 1985) qui reste stable tout au long de son champ discursif. L´auteure
constate que « la construction de sa propre légitimation (…) se construit avec l´intérêt
de l´énonciateur comme transfiguré par l´intérêt collectif » (Verón, 1987, p. 24). De
plus, il y a une claire préférence de la part de Mujica d´utiliser la première personne
du pluriel ou le « nous inclusif » dans ces discours. Cette étude sur la subjectivité dans
l´énonciation de Mujica dévoile que le « je » se fond avec un « nous collectif » et qu´il
existe une étroite identification de Mujica avec le peuple.
    Une révision de la littérature sur la petite phrase révèle que les définitions du terme
« petite phrase » coïncident sur certains critères fondamentaux donnant lieu au suivant
dénominateur commun : a) brièveté : elle est concise, relève l´essentiel et est associée
à une image ; b) caractère mémorable : elle est mémorable, frappante et attire
l´attention ; c) vaste audience : elle s´adresse à une communauté et à un auditoire
universel ; d) extrait d´un texte : elle est une citation autosuffisante qui peut être
détachée de son contexte, elle est destinée à la reprise et elle circule à l´intérieur
d´autres énoncés ; e) fonction pragmatique illocutoire : elle est souvent associée à la
polémique ; et, f) elle est coproduite par des énonciateurs clés dans le débat public et
le champ politique (politiciens, journalistes et analystes). (Brasart, 1994, p. 106 ;
ESSACHESS vol. 14, no. 1(27) / 2021            187

Krieg-Planque, 2011, p. 27-40 ; Charaudeau, 2014, p. 75-76 ; Maingueneau, 2011, p.
34-47 ; McCallam 2000, p. 52-55 ; Verón, 1989, p. 119 ; 1991).

2 . Méthodologie
Sur la base de la bibliographie et d´une lecture exploratoire d´un échantillon pilote,
les indicateurs ont été spécifiés pour construire l´échantillon de petites phrases et
analyser leur rôle dans l´énonciation politique, à partir de la perspective du sujet, c´est
à dire, en termes de la construction de l´énonciateur, son ethos, le destinataire, et les
opérations de différenciation et polémique dans le discours populiste. C´est une
analyse comparée de deux corpus qui étudie le fonctionnement des petites phrases à
trois niveaux : lexico-sémantique, syntactique et pragmatique.
Notre hypothèse est que ces politiciens utilisent la petite phrase avec une fonction
polémique de manière idiosyncratique, et qu´elles sont détachées du contexte par une
procédure de rupture d´isotopie stylistique. Ceci implique un usage qui vise à marquer
et encadrer des phrases par rapport au cotexte (le registre employé est altéré avant et
après l´apparition de la phrase ou bien l´accent est mis sur la phrase par une
collocation grammaticale inhabituelle), et des marqueurs discursifs qui mettent la
phrase en valeur (l´énonciation est modifiée avec des pauses).
   2.1. Échantillon
    Les petites phrases analysées ont été prises, premièrement, d´un corpus de quatre
discours de caractère électoral prosélyte des ex-présidents José Mujica et Cristina
Fernández de Kirchner (CFK), et deuxièmement, en tant qu´échantillon de contraste,
d´une série de petites phrases qui ont été énoncées dans d´autres contextes ou bien
prononcées à leur sujet. Il s´agit d´un échantillon qualitatif intentionnel.
     La technique de collecte de données a suivi deux étapes : pour les discours
électoraux nous sommes allés du texte vers le contexte, et, pour les petites phrases, à
l`inverse, du contexte vers le texte. Autrement dit, pour le premier cas nous avions
d´abord choisi le texte, recoupé les petites phrases et suivi leur circulation. Pour les
détecter nous avions utilisé le commun dénominateur présenté ci-dessus dérivé de la
littérature sur ce type de constructions discursives. En revanche, l´échantillon de
contraste a été recueilli de la presse et d´Internet, pour ensuite rétablir la situation
d´énonciation.
    Le critère de sélection des discours a été contextuel. Dans le premier groupe de
textes, pour le cas uruguayen, nous avons choisi un discours de campagne électorale
prononcé par Mujica le 28 juin 2009 lorsqu´il gagna les élections internes du parti
Frente Amplio et entra dans la course présidentielle. Dans le cas argentin, nous avons
choisi le discours de lancement de campagne du 10 août 2011 de CFK pour sa
réélection à la présidence. Nous avons pris en compte le fait que ces discours ont eu
188 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

un objectif de captation électorale, avec des fonctions de polémique, persuasion et
renforcement de croyances (Verón, 1985), et qu´ils ont été repris par les médias en
raison du contexte hautement médiatisé de la communication politique (Verón, 1989).
Le contexte électoral a été choisi vis à vis de l´hypothèse –dérivée de l´état de la
question– que c´est en époque de compétition électorale que les politiciens se
confrontent le plus avec des expressions polémiques, et là où ils rapprochent le plus
leur discours à celui des médias.
    Le deuxième groupe de textes correspond à une situation d´énonciation différente.
Ce sont aussi des discours produits en campagne électorale, cependant, les
énonciateurs maintenant sont légalement empêchés de présenter leurs candidatures à
la présidence, avec la coïncidence que les deux présidents soutiennent les candidats
de leur partis politiques, mais avec réserves et critiques. Ils ne laissent pas pour autant
de faire campagne dans d´autres espaces : un entretien médiatique et un discours de
gouvernement. Il s´agit d´analyser un entretien de Mujica pour CNN quatre jours
avant les élections de 2014 et un discours de CFK le lendemain du premier tour de
l´élection présidentielle de 2015.
    Dans les deux cas, les textes représentent deux variétés de discours électoraux,
lorsque les énonciateurs sont eux-mêmes candidats –la campagne officielle–,
rigoureusement réglementée, et l´autre, lorsqu´ils ne le sont pas –la campagne
officieuse– (Verón, 1989, p. 115). La première a une intention clairement compétitive
et prosélyte, tandis que la deuxième contient des textes qui ne répondent pas au genre
de la harangue de campagne sinon à des situations de communication qui servent pour
susciter des adhésions. Dans la campagne officieuse, les médias opèrent en tant
qu´interface, lieux où la parole politique acquiert sa légitimité parce qu’elle répond à
une demande de communication de la part des médias.
   Finalement, l´échantillon de contraste a été constitué par un ensemble de petites
phrases prononcées à différents moments de leur abondante production discursive et
longue relation avec les médias. Elles ont été choisies par rapport à leur impact,
souvenir, polémique et circulation dans les médias, c´est à dire, parce qu’elles
remplissaient les critères établis par la bibliographie.

3. Les contextes nationaux
   3.1. José Mujica
    Le Frente Amplio (FA), le parti de gauche de l´Uruguay, est né en 1971 et a
gouverné le pays pendant quinze ans. Avant son arrivée au pouvoir en 2004, le pays
avait un système bipartidiste qui date de 1836, avec le Partido Colorado et le Partido
Nacional, les partis les plus anciens du monde. La gauche rompt avec ce modèle
historique lors des triomphes du FA, d´abord à l´Intendance de Montevideo en 1990
et puis à la Présidence en 2004 avec Tabaré Vázquez, et finalement en 2009 avec
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l´élection à la présidence de l´ex-guérillero tupamaro José Mujica. Participant soit
comme candidat soit comme militant du FA, le personnage iconique de Mujica a
toujours été au centre de la scène médiatique. Ses déclarations ont constamment été
publiées, commentées et ont reçu des répliques.
    3.2. Cristina Fernández de Kirchner (CFK)
    CFK a gouverné pendant deux périodes présidentielles consécutives (2007-2011
et 2011-2015), succédant dans le premier mandat à son mari Néstor Kirchner, qui est
décédé le 27 octobre 2010. Sa force politique est le Frente para la Victoria (FPV),
une coalition conformée principalement par le Partido Justicialista (péroniste) et
d´autres partis minoritaires, dans laquelle CFK et son mari ont représenté une
expression de la gauche péroniste, un mouvement populaire structuré sur l´État et un
syndicalisme de droite comme articulateurs de l´identité des travailleurs.
    En résumé, Mujica et CFK appartiennent à deux mouvements de gauche
rioplatenses2 avec une vocation de front et ils rejettent l´idée d´être classifiés sous la
structure partisane de leurs respectifs pays. Nous considérons donc qu´il est pertinent
d´établir une comparaison de leurs leaderships par les capacités qu´ils partagent, le
discours de caudillisme3 qu´ils possèdent, les rituels publiques qu´ils pratiquent et le
langage électoral qu´ils utilisent. Par ailleurs, au fil du temps ils maintiennent des
remarquables capacités de persuasion et de captation clientéliste dans les secteurs plus
marginaux à travers une singulière capacité oratoire. Alors que Mujica est un
communicateur naturel charismatique, avec un style spontané, dramaturgique et
télégénique ; CFK est une grande oratrice avec un style formel, construit et répété.
    Ils diffèrent, d´autre part, dans leur gestion du pouvoir. CFK a exercé un pouvoir
vertical et Mujica un pouvoir horizontal. Alors que Mujica s´adresse à tout le monde,
CFK parle uniquement aux siens. Mujica s´est montré intelligemment ouvert au plus
grand nombre de médias nationaux, et surtout internationaux, tandis que CFK s´est
isolée des médias nationaux et a utilisé la chaîne nationale de radiodiffusion pour
contrebalancer la version des soi-disant médias hégémoniques. Ces deux leaders ont
utilisé les petites phrases pour construire deux images et positionnements divergents.

2 Qui provient du Río de la Plata, le fleuve qui sépare l´Argentine de l´Uruguay.
3 Selon le dictionnaire Larousse, le caudillisme est un “phénomène social lié à l'histoire de l'Amérique
latine depuis l'indépendance, il tire son nom de caudillo dont le sens premier est « chef militaire », mais
aussi chef de bande, et même chef d'État. Terme plutôt positif à l'origine, il a peu à peu acquis une valeur
péjorative, et le mot évoque désormais la violence, le pouvoir acquis par la force.
190 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

4. Analyse
   4.1. José Mujica
    Dans la campagne électorale de 2009, Mujica a adopté un style adversatif et
conciliatoire à la fois. Ses idées libertaires lui ont permis un positionnement politique
différent du traditionnel, ce qui lui a conféré une majeure liberté discursive. Il a
développé un ethos d´homme ordinaire qui ignore les conventions bourgeoises pour
réussir à s´identifier avec les plus humbles à travers une co-construction de son image.
Charaudeau affirme à cet égard : « L´ethos est comme un miroir dans lequel se
reflètent les désirs des uns et des autres » (2014, p. 67). Avec sa mise en scène, l´ethos
qu´il construit d´ un personnage débraillé, jacasseur, simple et levier pour l´imaginaire
social, ne correspond pas seulement à ce qu´attendent de lui ces auditeurs, mais aussi
à l´image que construisent de lui les médias. Mujica utilise le discours médiatique
pour divulguer ses idées et faire connaitre l´humanité de son personnage, pendant
qu´il expose une panoplie de phrases courtes et frappantes qui sont connues à niveau
local et international. Mujica est un aphoriseur (Maingueneau, 2012, p. 33) par le
pouvoir de son statut et sa capacité de propager ses énoncés dans les médias. En plus,
les médias le traitent tellement bien qu´ils n’ont pas fait circuler toutes ces gaffes et
dérapages.
    Pendant la campagne officielle (Verón, 1992, p. 115) Mujica a déplié des discours
militants et des harangues, caractérisés les premiers par leur stabilité et formalité, et
les seconds, par leur appellation aux émotions et à l´humour. Cependant, ce furent ses
interventions spontanées dans une campagne officieuse parallèle qui ont donné
origine à la plupart de ses petites phrases. C´est là où Mujica se manifeste comme un
« producteur politiquement incorrect de petites phrases en série » (Maingueneau,
2011, p. 53). En comparaison avec les autres candidats dans la course présidentielle,
on constate un usage démesuré de petites phrases de la part de Mujica. Avec le passage
du temps, le ton du débat public s´est détérioré aboutissant en une campagne négative,
apparaissant les déclarations des deux candidats dans les portées des journaux
uruguayens et ayant une importante couverture dans les médias rioplatenses en
général. Des attaques ad personam de Luis Alberto Lacalle dénigrant le logement de
son adversaire : « cette baraque-là où il habite » ; et Mujica répondant, à son tour,
avec une autre attaque ad personam : « esprit arrogant et aristocratique de classe
sociale détentrice, patrice de nom de famille composé, qui ressent la haine
permanente ».
    Lors de la campagne il a exagéré un ethos caractérisé par la spontanéité et construit
à partir d´une rhétorique de prétérition, recours qui consiste à nier que l´on cherche à
se promouvoir. Mujica l´a utilisé en se discréditant lui-même comme candidat
présidentiable par l´intermédiaire d´une petite phrase lancée dans la chaine argentine
de télévision TN : « J´ai l`air désastreux, je ressemble un légumier ». Une autre phrase
ESSACHESS vol. 14, no. 1(27) / 2021                   191

célèbre et polémique qui lui est attribué : « Comme je te dis une chose, je te dis une
autre » qui a longtemps circulé dans les médias et dans la société, ayant une
connotation négative qui visait son caractère instable. Mujica a dénoncé que la phrase
avait été sortie de son contexte original puisqu´il l´avait dirigé à un législateur qui «
tombait dans des contradictions ». Mujica s´est plaint du mauvais usage que les
journalistes lui ont donné afin de « fabriquer des spéculations ».
    Une autre phrase connue provient d´un vieux proverbe gauchesque4 : « Naides es
mas que naides » ou « personne ne vaut mieux que personne » qui plaide pour une
société égalitaire. Il l´emploie pour commencer ses discours, l´isole avec théâtralité,
des pauses ou une vocalisation élevée, et la rassemble avec d´autres syntagmes
nominaux qui évoquent le républicanisme et les principes d´égalité, de fraternité,
tolérance et liberté.
    4.1.1. Premier discours de Mujica
    Dans son discours du 28 juin 2009 nous avons identifié 21 phrases détachables qui
pourraient fonctionner comme des petites phrases, même si seulement quatre d´entre
elles ont été reprises fréquemment par les médias :
    1. (6:44) « Car il y a un noir au gouvernement des États Unis ! Car il y a Lula au Brésil !
       Car il y a un indien en Bolivie ! » (6:53)
    2. (7:00) « je représente ceux qui sont bien en bas » (7:05)
    3. (7:13) « Mais bien sais-je que personne ne vaut plus que personne » (7:18), et,
    4. (7:29) « je vous prie de tout cœur, le savoir n´est pas suffisant sans un cœur qui bat,
       sans la douleur, sans le zèle. Ce ne sont pas que les raisons, les raisons sont faibles s´il
       n´y a pas de passion, si elles n´ont pas de sentiment, si elles n´ont pas quelque chose
       qui nait des entrailles ! » (7 :56)
    En ce qui concerne le cotexte, les petites phrases 1, 2 et 3 sont liées par une même
idée qui établit qu´un candidat peut être élu en dehors de la classe politique
traditionnelle et que son origine sociale ne l´empêche pas de devenir président ; une
idée qui fut reprise par les médias. Elles sont liées à un message d´égalité, qui est
synthétisée dans l`aphorisation : « personne ne vaut plus que personne » qui conclut
l´énonciation et marque une transition dans le discours. Mujica critique une société
qui a construit des archétypes et accentue le fait que le monde a changé. La première
petite phrase constitue un climax dans son discours lorsqu´ il exclame : Car il y a un
noir aux États Unis ! Cette exclamation est accompagnée par un geste déictique

4 Adjectif qui dérive du mot gaucho. Selon le dictionnaire Larousse, le gaucho est le “gardien des grands
troupeaux bovins d'Amérique du Sud, particulièrement dans les pampas.
192 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

ostensif et l´emphase est mise sur les sujets des trois segments nominaux : « un Noir »,
« Lula », « un Indien ».
    Au niveau syntactique, la longueur du passage excède la typique petite phrase mais
la structure parallèle des trois segments nominaux les rend facilement mémorisables.
Au niveau sémantique, son identification avec d´autres présidents d´origine humble
évoque un futur semblable pour Mujica. Avec cette énonciation, il se définit comme
un politicien atypique exclu de l’élite politique, qui ressemble à Lula, Obama ou
Morales. Une isotopie syntactique et une redondance au niveau de la structure
grammaticale sont observées.
    Cette petite phrase a été reprise par les médias dans le corps de plusieurs articles
de la presse nationale, régionale et internationale. Le 28 octobre 2009, le journal
français Le Monde a commencé un de ses articles avec cette phrase de Mujica, qui
subit de petites altérations : « Un Noir gouverne aux États-Unis, un ouvrier
métallurgiste au Brésil, un Indien en Bolivie, pourquoi pas moi en Uruguay ! »
L´adjectif qualificatif « ouvrier métallurgiste » a été ajouté. Ces modifications
semblent être une caractéristique de la petite phrase. A cet effet, Maingueneau (2012,
p. 90) souligne que : « le sens de l´aphorisation ¨flotte¨ (…) est disponible pour les
investissements les plus variés ». Effectivement, il a été vérifié que les journalistes
adaptent ces aphorisations aux objectifs de leurs rédactions et au sens général qu´ils
souhaitent retransmettre ; souvent, celui-ci ne correspond pas au message du texte
source.
    Une petite phrase qui est apparu dans quelques titulaires est celle de : « Je
représente ceux qui sont de bien en bas », réduite dans la presse à : « Je représente
ceux d´en bas ». Avant d´énoncer emphatiquement cette petite phrase Mujica fait une
longue pause. Il ferme cette énonciation avec une énergique répétition de « je sens de
l´orgueil ! ». La phrase est mise en valeur avec un ton de voix descendant et doux, et
par une rupture isotopique qui ferme son énonciation avec le proverbe égalitaire
« personne ne vaut plus que personne », qui synthétise son idée essentielle.
    L´observation que fait Maingueneau à propos des altérations que subissent les
petites phrases, se constate dans un article de la BBC5, dans lequel apparaissent les
trois petites phrases commentées ci-dessus dans l´ordre inverse (3, 2, 1). Maingueneau
(2017, p. 5) écrit : « many detached utterances have been extracted from texts (…)
Most of the time the people who detach a fragment modify it, even when the original
text is right next to it ». En outre, Maingueneau (2011, p. 46) illustre des altérations
comme la disparition d’un terme ou l´addition de points de suspension accusateurs,
en ajoutant que : « Le propre de l´aphorisation est de fonctionner de façon autonome,
hors de son texte source ».

5 http://www.bbc.com/mundo/america_latina/2009/06/090628_0237_uruguay_internas_gm.shtml
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    D´un côté, une rupture d´isotopie stylistique marque la présence de la petite phrase
avec la déclaration prémonitoire « le monde est en train de changer » et introduit le
texte où apparaissent les trois petites phrases signalées. De l´autre, à la fin de
l´énonciation une autre rupture survient avec l´aphorisation « personne ne vaut plus
que personne ». La rupture est identifiée à niveau des significations et du
métalangage, et permet l´encadrement d´une idée-force du début jusqu´à la fin.
Suivant cette phrase, il y a un changement de sujet et Mujica cherche motiver ses
électeurs par voie des émotions pour qu´ils aillent voter.
   4.1.2. Deuxième discours de Mujica
    Il s´agit d´un entretien avec Mujica le 22 octobre 2014 réalisé par la journaliste
mexicaine Carmen Aristegui de la chaîne CNN Espagnol, quatre jours avant les
élections présidentielles quand Mujica ne s´est pas présenté comme candidat dans la
course électorale, tandis qu´il a partagé ses opinions dans les médias. Le 17 octobre
2014 le président Mujica fut accusé par l´opposition de violer la constitution par
l´utilisation de son image dans un spot de campagne de son parti. Le lendemain,
suivant les critiques et la menace d´un jugement politique, il est interviewé par le
journal de gauche La República où il publie une note de page entière intitulée :
« Mujica défend son droit à l´expression en matière de politique ». En dépit des
critiques, Mujica a poursuivi sa participation indirecte dans la campagne en polarisant
avec son propre candidat (Vázquez) et avec le candidat de l´opposition (Lacalle-Pou).
Cette participation a irrité Lacalle-Pou, qui a critiqué la position partisane du président
avec une déclaration qui fut publiée dans les titulaires uruguayens : « Mujica ne
comprends pas : il est le président de tous ».
   Dans le texte de ce discours nous avons identifié 49 phrases détachables qui
pourraient fonctionner comme des petites phrases, desquelles seulement 10 sont
apparues répétées fréquemment dans les médias, dont les plus citées furent :
   (1:51) « Je ne suis pas pauvre. Je suis sobre, léger d´équipage, vivre avec le juste » (1 :58)
   (pause) ;
   (3:13) « Il me semble qu`il faut vivre comme les majorités (pause) et non pas comme les
   minorités » (3 :22) (pause et s´incline vers l´avant) ;
   (4:01) « Le président est un fonctionnaire (pause) que les gens ont choisi (pause) pour un
   moment, pour une étape. (Exclame) Personne ne vaut plus que personne ! (l´énonce
   emphatiquement) (4 :10) ;
    (4:54) « Mais dans la politique nous devons séparer. Ceux qui aiment beaucoup le fric il
   faut les déplacer de la politique, parce qu’ils sont un danger en politique » ;
   (6:31) « Si celles qui gouvernent sont les majorités, il faut essayer de se situer dans la
   perspective des majorités, et non des minorités » (6 :22) (il s´incline vers l´avant, il laisse
   tomber les s finales).
194 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

    Le segment « léger d´équipage » est apparu dans un titulaire espagnol le 24
octobre de la manière suivante « Mujica s´en va léger de bagage ». Cette phrase est
devenue le titre d´un livre de l´écrivain Malú Sierra, « Mujica, léger d´équipage ».
Cette phrase apparaît dans des articles publiés en 2014 et 2015 qui énumèrent les
phrases célèbres de Mujica. Mujica l´a aussi énoncée le 23 octobre sur la chaîne de
télévision Telesur.
    La déclaration « vivre comme la majorité » apparait surtout dans le texte des
articles intitulés avec la phrase « Si celles qui gouvernent sont les majorités, il faut
essayer de se situer dans la perspective des majorités, et non des minorités. » Le
fragment « il faut vivre comme la majorité » a été largement propagée. Un article
publié le 28 octobre dans le journal La República a été intitulé « Jose ¨Pepe¨ Mujica :
Les présidents nous devons vivre comme la majorité et non pas comme vivent les
minorités ». Plusieurs journaux en Amérique Latine ont continué de citer cette phrase
tout au long de 2015, même en incluant ses destinataires : « les politiciens doivent
vivre comme la majorité, pas comme la minorité ». Encore une fois, son idée sur le
républicanisme est synthétisée dans le proverbe « personne ne vaut plus que
personne ».
    La phrase « Mais dans la politique nous devons séparer. Ceux qui aiment
beaucoup le fric il faut les déplacer de la politique, parce qu’ils sont un danger en
politique » a été reprise comme titulaire de plusieurs articles journalistiques,
cependant, elle a été recoupée pour inclure le segment « Ceux qui aiment beaucoup le
fric, il faut les déplacer de la politique ». Bien que dans le feu de la campagne
électorale cette déclaration a pu être interprétée par l´opposition locale comme une
attaque classiste, en réalité ce fut une critique générale de Mujica contre ceux qui ont
une conception capitaliste de la politique. Cette phrase a été reprise et viralisée plus
que toutes les autres. Elle est apparue comme titulaire sur CNN, dans deux journaux
principaux de l´Uruguay, El Observador et La República, dans les journaux argentins
Infobae, Telam, Ámbito Financiero, et autres, et dans les journaux du Chili, Espagne,
Pérou, Mexique, et Honduras, entre autres. Cette phrase a occupé tous les titulaires
d´articles qui ont fait référence à l´entretien de CNN.
   4.2. Cristina Fernández de Kirchner (CFK)
    Dans la campagne de 2011, CFK a été réélue présidente avec le 54% de votes et
une majorité absolue qui lui a permis d´éviter le ballotage. La candidate, encore en
deuil pour le décès de son mari, ressort fortifiée par son veuvage. Elle fonde sa
campagne sur les politiques publiques déjà réussis et non pas sur des promesses. Elle
reçoit des critiques sur son autoritarisme et ses tentatives de contrôler la presse et les
institutions républicaines, qui n´eurent aucune conséquence. En plus, le deuxième
candidat du Parti Socialiste a entrainé 40 points derrière elle.
   En 2015, la campagne est bien différente car on lui est interdit poser sa candidature
pour une nouvelle réélection. Les élections législatives de 2013 où le FPV a réduit
ESSACHESS vol. 14, no. 1(27) / 2021            195

son nombre de voix jusqu´à 33,60%, bloquant toute possibilité de réforme
constitutionnelle pour autoriser une autre période à la présidente. CFK choisi comme
candidat officiel à Daniel Scioli, le gouverneur de la populeuse Province de Buenos
Aires, pour rivaliser avec le candidat indépendant allié aux partis traditionnels,
Mauricio Macri. Bien qu´elle n´est jamais été convaincue par son candidat, il avait
une ferme intention de vote d´après les sondages.
   4.2.1. Premier discours de CFK
     Le premier texte est le discours de clôture de campagne des élections primaires,
quand CFK annonce dans un acte publique son intention d´être réélue président (10
août 2011). La phrase la plus attendue, énoncée comme un titulaire de presse ou de
journal télévisé fut : « Contez avec moi pour ce qu´il reste faire en Argentine » (5:16).
Plusieurs médias comme La Nación ou Ámbito Financiero ont intitulé leurs articles
avec cette citation textuelle. CFK a ajouté : « J´aimerais être le président de l´unité de
tous les argentins ». Les journaux de l´intérieur du pays, El Territorio, La Voz et La
Capital, ont intitulé leurs articles avec cette phrase. Il en fut de même dans les médias
sur les portails de TV (chaine officielle Visión Siete), les radios (FM del Sol), et les
médias natifs de l´internet (Elciudadanoweb). Ses phrases la situent comme serviteuse
de la patrie qui prend la candidature avec sacrifice et responsabilité pour compléter la
tâche déjà initiée, avec quoi beaucoup a été fait, mais, elle reconnait : « il reste encore
beaucoup à faire ». Répondant à une critique latente de représenter un projet fondé
sur l´avidité de pouvoir d´un groupe soutenu par des pratiques de corruption, elle
affirme : « Ce projet politique a des valeurs qui n´ont pas une cotation en bourse mais
il a des valeurs qui sont enracinées non seulement dans les argentins mais aussi dans
la société globale ». Il s´agit d´une phrase qui est construite et énoncée (de manière
emphatique, séparée des phrases antérieures et suivie d´un silence) pour être
applaudie, et c´est peut-être pour cela qu´elle a été citée dans les médias Ámbito
Financiero, El Territorio et La Capital. En continuant avec les métaphores financières
aux connotations négatives qui lui permettent de se placer dans un système de valeurs
contraire au capitalisme, elle affirme : « On ne peut pas vivre une vie à terme fixe ».
C´est une phrase qui sera cité par les médias, quoique pas dans les titulaires mais à
l´intérieur des articles qui ont couvert le discours : Ámbito Financiero, La Capital.
    En dénonçant le manque de générosité de l´opposition à l´heure de reconnaître les
conquêtes de son gouvernement, elle ajoute : « Ne demandons pas des poires a
l`orme » (13:45). Dans le même sens, elle promet plus de dialogue et d´unité parmi
les argentins. Un style conflictuel avait caractérisé sa première présidence et celle de
son mari, étant donné que leur respectives stratégies de construction du pouvoir
s´étaient centrés sur le choix d´ennemis successifs comme le secteur agroalimentaire
et les médias. C´est pour cela qu’ensuite de s´engager à une conciliation elle ajoute :
« Et croyez-moi que j´ai une langue tranchante, une langue tranchante, je le sais »
(14:28). Cette expression colloquiale accompagnée de gestes qui exagèrent le défaut
est fêtée par la multitude. C`est un recours rhétorique par lequel elle s´exalte sous une
196 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

apparente disqualification. Dans le champ politique, d´autant plus quand il s´agit d´un
leader féminin, un style firme et âpre n´est pas un défaut mais une vertu. Pour qu´il
ne leur reste aucun doute à ses adversaires elle ajoute : « Je ne vais pas me faire
maintenant la petite humble et la toute petite » (16:15). Dans cette section, CFK se
dirige à un contre-destinataire, à l´opposition politique, dans laquelle elle situe
toujours les médias. Elle fait aussi appel à une expression colloquiale quand elle fait
référence à l´inversion de son gouvernement dans l´éducation publique gratuite dans
tous les niveaux. « Hier je voyais la mobilisation des étudiants du Chili qui
demandaient une éducation comme en Argentine et ma poitrine crevez d´orgueil. »
(16:36), une phrase reprise par les journaux Clarín et La Nación qui fixent l´agenda
en Argentine.
    La section suivante est centrée sur la mémoire de son défunt mari. Dans ses
allocutions publiques, CFK se réfère à Nestor Kirchner comme « il », en utilisant ce
pronom avec une intention mystifiante : « Quelle tête et cœur il avait qu´ils ne sont
pas rentrés dans son corps qui a éclaté de tant se battre pour moi, de tellement me
défendre, de tant m´aimer ». C´est un moment personnel, chargé d´émotions, tel que
le connotent son ton de voix et les larmes aux yeux. Recevant une forte empathie de
ses adeptes, elle reconnait : « Pardonnez-moi, parce que cela ressemble une séance
thérapeutique. » Néanmoins, ces passages attirent l´attention des journaux Clarín et
La Nación. Il en est de même avec la phrase suivante, qui avance sur l´élection d´un
pro-destinataire qui reçoit avec plaisir une communication intime. « C´était le seul
homme qui me rendait nerveuse. Certains m´ennuient, d´autres m´irritent, mais lui il
arrivait à me rendre nerveuse ». La phrase est plus complexe qu´il n´y parait à
première vue. Elle contient un contrat de lecture de symétrie, de confiance
personnelle, mais aussi un métalangage de leadership féminin qui rivalise en
forteresse avec le masculin et se positionne dans un lieu asymétrique de supériorité
vis-à-vis des hommes. Elle renforce cette idée et ferme la section avec la mémoire de
Néstor Kirchner : « Si j´étais le président courage, il fut le président militant ». Les
deux phrases sont citées par Clarín. Vers la fin du discours elle retourne sur la critique
à sa politique adversative : « La haine fait plus de mal à celui qui l´émet qu´au
destinataire même » (26:23). Malgré les crises et les conflits qu´elle a subi dans son
premier mandat, elle les a surmontés sans pertes d´adhésions : « Et voyez si j´ai passé
de la turbulence, je pourrais même réclamer un poste de pilote à Aerolíneas
Argentinas » (27:36).
   4.2.2. Deuxième discours de CFK
    Alors que le discours d´août 2011 s´est inscrit dans la campagne officielle, celui-
là correspond au domaine de la campagne officieuse (Verón, 1989, p. 115). C´est la
première exposition publique de CFK après les élections générales où son candidat a
perdu. Elle souligne qu´elle continuera d´être la présidente jusqu´au moment du
transfert de pouvoir et qu´elle laisse un pays en plein développement. La petite phrase
ESSACHESS vol. 14, no. 1(27) / 2021           197

« Il paraît que les seuls qui ont de la famille sont les péronistes » (26:36) est reprise
par les journaux La Nación, El Día, Diario Uno et Página 12.
    Elle cherche se positionner comme la promotrice du leadership féminin dans la
politique argentine : « Quand j´étais petite les filles jouaient à la princesse,
aujourd’hui les filles jouent à être président » (27:40), et rappelle la phrase
traditionnelle : « Je crois que j´ai mis une pique en Flandre. Une femme président,
réélue, a mis une pique en Flandre pour que les autres femmes le puissent faire (…) »
(28:09). La construction de l´image de l´énonciateur comme femme, parfois héroïne
faible (récemment veuve, harcelée par las corporations), parfois menaçante (« Il faut
seulement craindre Dieu, et me craindre un peu ». Son discours revient à la
compétition électorale avec ses adversaires, les reprochant de vouloir s`approprier de
réussites sociales, sans même connaitre le langage : « Quand j´entends parler de
programmes sociaux ça me fait hérisser les poils : il n´y en a pas » (32:54). Dans la
conception de CFK ce sont des droits sociaux ; deux journaux populaires, Minutouno
et Diario Popular, reprennent cette petite phrase.
    Pour CFK l´approche de l´opposition ne devrait pas être vraisemblable pour
l´électorat, comme l´a construit l´axe de la campagne partisane pour le ballotage. « Et
que personne ne se déguise de ce qu´il n´est pas » (37 :45). « Nous sommes ce que
nous sommes, mais nous sommes. On n´est pas une chose un jour, et une autre,
l´autre » (38:04). Sur la même ligne, et cette fois du côté de l´opposition, CFK
rappelle, avec un langage colloquial, quelques lois clef qu´elle a promues et que
l´opposition n´a pas appuyé. « Ils nous avaient recommandé de payer au comptant au
juge américain Griesa, sans broncher et silencieux » (39:33). Elle renvoi au juge qui
a prononcé le jugement contre l´Argentine dans une cause suivie par des créanciers
de la dette du pays. « Ces choses-là ne sont pas des blagues argentines. Ce ne sont pas
des sujets ou on peut dire avec légèreté un jour, je suis contre, et le lendemain, je suis
pour. Après, tu ne peux pas dire je me repens, car tu sais ce qui se passe : toi tu le
regrettes, mais 40 millions d´argentins sont emmerdés » (40:16). Cette phrase, de
même que son registre grossier, a été citée par plusieurs médias : La Voz, Diario
Popular, La Nación, Minutouno, Los Andes, La Prensa. Pour conclure son fil
argumentatif, elle ajoute : « Que l´arbre ne cache pas la forêt ».
    Elle a aussi formulé des critiques envers son propre candidat, en le
responsabilisant du résultat négatif parce qu’il a promis d´augmenter les retraites, et
en supposant que les gens ne lui ont pas cru « Vous savez pourquoi ? Les argentins
ne mangent pas de verre » (47:15). Cette petite phrase a plu et a été reprise par les
deux médias officiels, Página 12 et Diario Popular.
    Avec ses petite phrases CFK répond, réfute, se situe dans une position supérieure
vis-à-vis de son antagoniste, le contre destinataire de son discours. Les médias
représentent son principal adversaire et le blanc de ses phrases. Par exemple, quand
elle a présenté sa candidature à la présidence, et que son mari vivait encore, les médias
198 FERNÁNDEZ PEDEMONTE & VAUGHAN

spéculaient sur un plan matrimonial pour se perpétuer au pouvoir en se succédant dans
le gouvernement. Elle réfute avec la phrase « Le pouvoir n´est pas un acquêt » (9
octobre 2007). Durant cette même époque elle conteste les critiques reçues de son
ostentation avec des habits élégants et sa joaillerie (faiblesse qu´elle partage avec
Evita Perón, leader féminine du péronisme) : « Devrais-je me déguiser de pauvre pour
être considérée une bonne dirigeante politique ? » (25 octobre 2007).
    Quand les médias commencent à parler de sa réélection après la mort de son mari,
elle traduit dans une phrase colloquiale la demande de ne pas trop spéculer : « Ne vous
faites pas d´illusions » (2 mars 2011). Dans un discours de campagne la même année,
face aux exigences d´investissements sociaux majeures de l´opposition, elle déclare :
« En Argentine tout le monde est socialiste avec l´argent des autres » (21 décembre
2011), en allusion à une phrase libérale sur le socialisme. Celle-ci et d´autres petites
phrases furent reprises par des fonctionnaires en plus de se propager dans les médias.
Effectivement, un des messages de la communication politique kirchneriste fut le
verticalisme. CFK réglais tous les débats internes et exprimait le dernier mot sur les
sujets publics débattus dans les médias, dans les discours transmis en directe par la
chaine nationale de radiodiffusion (voir: « Il faut seulement craindre Dieu, et me
craindre un petit peu » (6 septembre 2012). Les fonctionnaires se reposaient sur ce
script. Un autre exemple fut sa définition des protestes du secteur agroalimentaire –
un secteur aisé de la société– à cause de la hausse d´impôts, qu´elle a qualifiées
comme « grèves de l´abondance » (25 mars 2008).
    Sa nature adversative s´observe clairement dans une autre phrase qui peut être
interprétée comme un acte manqué. Une personne du public lui crie « génie » et elle
répond : « Si j´étais un génie j´en ferais disparaitre quelques-uns, comme le font les
génies » (19 janvier 2015). En Argentine l´idée de faire disparaitre une personne, au-
delà du sens littéral d´un acte magique, invoque des souvenirs de la disparition forcée
de milliers de personnes pendant la dictature militaire.
    D´autres petites phrases furent amusantes, même si ce n´est pas pour cette raison
qu´elles ont cessé d´être polémiques : « Je me sens un peu Napoléon » (1 mars 2012)
lorsqu´elle a lancé une réforme du Code Civil. D`autres ont été récupérées par le
marketing électoral, réapparaissant dans des affiches et des spots et même dans des
organismes publics : « Ce ne fut pas de la magie » s´agissant des succès remportés par
son gouvernement.6
    La plupart de petites phrases identifiées ont signifié une rupture d´isotopie
stylistique par rapport au cotexte à plusieurs niveaux. Dans une perspective
syntactique, ce sont des phrases avec une unité de sens, placées au début de
paragraphes et qui succèdent un silence dans l´oralité. Dans une perspective
paralinguistique, elles sont accompagnées d´un ton élevé, une tonalité émotive, une

6 https://www.youtube.com/watch?v=K5JCGlklI98
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