Vitalité et pluralité: le cinéma français au féminin - Project Muse

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Vitalité et pluralité: le cinéma français au féminin
   Françoise Ravaux-Kirkpatrick, Peter S. Kirkpatrick

   Women in French Studies, Special Issue, 2002, pp. 351-379 (Article)

   Published by Women in French Association
   DOI: https://doi.org/10.1353/wfs.2002.0056

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       https://muse.jhu.edu/article/509756/summary

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       Vitalité et pluralité : le cinéma français au féminin

                           Françoise Ravaux-Kirkpatrick

                                University of Richmond
                                              et

                                  Peter S. Kirkpatrick

                        Virginia Commonwealth University

         Les films des femmes sont souvent différents : ils provoquent une rupture
         dans nos habitudes de consommation. Le sujet, le rythme, l'image même, le
         montage enfin, créent une vision nouvelle dont le public n'est pas encore
         coutumier, et qui pourtant est déjà la nôtre. Insolites, déroutants? Les films
         de femmes bouleversent notre conformisme et nos habitudes de pensées.
                                                Manifeste du CollectifMusidora, 1974

    C'est en 1896 qu'Alice Guy, la pionnière des femmes cinéastes, réalise sa
première « bande », La Fée aux choux, en fait le premier court métrage français.
Les réalisatrices françaises seront, dès les débuts du cinéma, animées d'une
même volonté : gagner droit de cité dans un monde professionnel aux pratiques
corporatistes et à domination masculine. Pourtant, si elles sauront se faire
reconnaître, ce n'est pas en faisant éclater les cloisonnements propres au monde
du cinéma ou en s'emparant des outils de production de la machine
cinématographique, structurée et accréditée par un pouvoir à dominance
masculine. Elles s'imposeront en faisant leurs preuves aux différents échelons
de la création et de la production cinématographique et même, pour certaines,
en créant leurs propres stmetures de travail. Ainsi, nombre de femmes sont-elles
passées du métier d'actrice, de photographe de scène, d'écrivain, de scénariste,
de scripte ou d'assistante de metteurs en scène masculins, à celui de réalisatrice.
D'autres ont créé leurs maisons de production pour assurer le financement de
leurs films. C'est le cas des deux pionnières Alice Guy et Germaine Dulac, mais
aussi de Jacqueline Audry après la Deuxième Guerre mondiale, puis d'Agnès
Varda, Vera Belmont et Yannick Bellon dans les années 1950 à 1970 ; la toute
première, Alice Guy, a même créé son propre studio. De plus, si elles se sont
imposées, ce n'est pas en se contentant de dénoncer les valeurs et les rôles
sociaux prônés dans les films de réalisateurs masculins, ou en attaquant les
modes de représentation reconnus. Elles se sont fait leur place en apportant une
vision spécifique, plus attentive et intimiste, de la réalité quotidienne et des
comportements humains. Finalement, même si certaines d'entre elles refusent
l'appellation de « cinéma de femmes » pour leurs œuvres, lui préférant celle de
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cinéma à'auteur, c'est aussi en inventant un langage cinématographique
particulier, en rapport avec leur propos intime et existentiel qu'elles se sont
distinguées des cinéastes masculins.
    Notre présentation de l'apport des réalisatrices françaises comportera deux
sections. La première retracera la progression des cinéastes françaises pour
s'affirmer dans le monde du cinéma français à prédominance masculine, en
insistant sur les événements qui ont permis de lever certains des obstacles à leur
avancement et d'arriver à la consécration de leur talent. Dans la seconde partie,
nous explorerons le cinéma féminin des vingt dernières années, caractérisé par sa
vitalité et son état de continuelle gestation, non plus en suivant une approche
chronologique, mais plutôt thématique, plus appropriée à son objet. Nous
évoquerons également l'aspect de la réception des films en considérant la
transformation, ou la formation, du regard du spectateur, invité par les femmes
cinéastes à une autre sélection du réel à explorer, à un autre rapport au monde,
ainsi qu'à une nouvelle perception de la femme représentée. Un index des films
de réalisatrices françaises et une bibliographie, placés à la fin de l'article,
serviront de répertoire commun à ces deux modes de présentation de la création
cinématographique féminine française.
I. Chronique d'une consécration : le cinéma féminin français de 1896 au
début des années 1980.

    L'évolution du cinéma, sa mutation en une forme d'art à part entière, ne
s'est pas faite sans difficulté. Le cloisonnement des métiers du cinéma,
mentionné précédemment, la commercialisation et l'industrialisation des
productions cinématographiques, l'arrivée du cinéma parlant, l'hégémonie
progressive du cinéma américain sont autant de complications supplémentaires
pour les cinéastes, aussi bien hommes que femmes. Cependant, les femmes dans
le métier ont été davantage affectées parce qu'elles ont été traditionnellement
maintenues dans des positions subalternes vis-à-vis de leurs collègues masculins
et que, d'autre part, les femmes sont toujours plus enclines à prendre des risques
dans le choix de leurs sujets, à sortir des normes habituelles.
     Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, les réalisatrices françaises ont été
quasiment marginalisées, reléguées au rang d'assistantes ou de collaboratrices
malgré leurs accomplissements dans le développement de l'art
cinématographique.
     Alice Guy (1873-1968), la première cinéaste professionnelle au monde,
avec à son actif 770 « bandes » ou films de longueurs variées, était considérée
avant tout comme l'employée de Léon Gaumont. Secrétaire de celui-ci, elle
s'était engagée, à ses débuts, à ne tourner qu'en dehors de ses heures de bureau.
Occupant par la suite les fonctions de chef du « Service des théâtres de prises de
vue » chez Gaumont, elle sera envoyée aux États-Unis pour y établir la filiale de
la firme. Elle deviendra finalement productrice et créera son propre studio,
Solax, dans le New Jersey pour y produire de nombreuses « bandes » de tous
genres : reconstitutions historiques, fictions à sujets sociaux, mélodrames,
LE CINEMA FRANÇAIS AU FEMININ353

comédies, westerns. C'est à elle également que l'on doit la première expérience
de cinéma parlant par la synchronisation de la caméra et du phonographe.
     Germaine Dulac (1882-1942) qui demeure le symbole de GAvant-Garde
des années 1920, sera d'abord connue en tant que journaliste pour le journal
féministe La Française. Elle aussi créera sa propre maison de production,
D.H., avec Irène Hillel-Erlanger, sa première scénariste. Comme Alice Guy, elle
fait reconnaître le cinéma en tant qu'art à part entière se démarquant du théâtre
filmé, et en revendique les traits distinctifs, en particulier le visuel. Elle a tourné
vingt-six films, dont le premier en 1915, Les Sœurs ennemies. La Souriante
Madame Beudet, réalisé en 1922, représente la première dénonciation par le
cinéma de la tyrannie maritale. Remarquée par ses réalisations Le Diable dans la
ville (1924), La Folie des vaillants (1926), et surtout par La Coquille et le
Clergyman (1927), sur un scénario d'Antonin Artaud, elle verra sa carrière
s'achever avec l'arrivée du cinéma parlant. Son nom demeurera cependant
étroitement lié à l'histoire du cinéma puisqu'elle est à l'origine de la création
des ciné-clubs en 1925 et responsable du magazine France-Actualités Gaumont à
partir de 1931.
     La Deuxième Guerre mondiale marque un ralentissement de la réalisation
cinématographique féminine aussi bien que masculine. Un événement cependant
est à retenir : la création en 1942, par Marcel Lherbier, de l'Institut des Hautes
Études Cinématographique (IDHEC) qui , dans les années à venir, formera aussi
bien les femmes que les hommes aux métiers du cinéma et permettra à
davantage de femmes d'exercer celui de réalisateur. La période de l'après-guerre,
qui marque l'obtention du droit de vote par les femmes, ne représente cependant
pas pour elles l'émancipation espérée. Les réalisatrices françaises demeurent
principalement les assistantes des cinéastes masculins, à l'exception de trois
d'entre elles, Jacqueline Audry, Agnès Varda et Marguerite Duras. C'est
surtout le développement des écoles de cinéma et la création d'organismes
nationaux d'aide à la production qui permettra l'augmentation du nombre de
réalisatrices, quoique celui-ci reste minime par rapport à celui des réalisateurs
masculins. Si l'année 1942 a marqué la création de l'IDHEC, trois grandes dates
sont à retenir pour la période d'après-guerre. L'année 1946 voit la création du
Centre National de la Cinématographie (CNC) pour l'aide à la production et à la
diffusion des films. Le CNC, d'abord sous l'autorité du ministre de
l'Information, puis sous celle du ministre de l'Industrie, est enfin placé sous la
tutelle du ministre de la Culture. Le cinéma est officiellement reconnu comme
un art à part entière. En 1948, est instituée l'aide à l'industrie
cinématographique. Enfin, en 1954, André Malraux crée le système d'avances
sur recettes, qui, comme son nom l'indique, est une aide financière accordée au
réalisateur, basée sur les prévisions des recettes générées par le film lors de sa
projection en salles.
     Jacqueline Audry (1908-1977), une des trois cinéastes féminines qui se
singularisent dans la période d'après-guerre, réalisera quatorze longs métrages
entre 1946 et 1967. Tout d'abord scripte et assistante de réalisateurs masculins,
dont Max Ophuls, elle parvient à la réalisation et sera reconnue comme
représentante de la « qualité française » au même titre que ses collègues
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masculins. Elle se distingue, en tant que cinéaste féminine, pour ses adaptations
des œuvres de la romancière Colette et n'hésite pas à enfreindre les interdits
moraux par des réalisations comme son film Olivia (1950) sur l'amour
homosexuel.
     Marguerite Duras (1914-1996) connaît déjà une certaine notoriété quand
elle se voit confier le scénario du film d'Alain Resnais, Hiroshima mon amour,
en 1959. Mais c'est en tant que romancière qu'elle s'est fait remarquer, par la
publication de romans d'une facture encore relativement traditionnelle, dont Un
Barrage contre le Pacifique (1950). C'est sans conteste sa collaboration avec
Alain Resnais qui va promouvoir le film au rang des créations les plus
marquantes de la période contemporaine. Hiroshima mon amour, magistrale
interrogation sur l'oubli et la mémoire et sur le paradoxe de leur nécessaire
coexistence, se double d'une évocation de la tragédie d'Hiroshima d'une
surprenante vigueur et véracité. Jusqu'en 1968, Marguerite Duras concentrera
ses investigations sur la forme romanesque mais en y transposant les éléments
de l'écriture cinématographique qu'elle a développés dans son travail sur
Hiroshima : prédominance des dialogues, conflit du visuel et du sonore, voix
off contestant le contenu de l'image ou de la fiction principale, thématique
obsédante de la passion, du désir, de la mémoire et de l'oubli.
     Agnès Varda fait une entrée remarquée dans le domaine cinématographique
avec son film La Pointe courte qu'elle réalise en 1955. Le parcours à la
réalisation de cette jeune femme de vingt-sept ans reste sans équivalent.
Photographe au Théâtre National Populaire de Jean Vilar, elle n'a pas
l'expérience du milieu du cinéma. Ses demandes d'avance sur recettes ayant été
rejetées plusieurs fois, elle prend la décision d'assurer elle-même la production
de son film et crée sa propre maison de production, Ciné-Tamaris, qui existe
toujours. La modestie de son budget, le sujet du film (la vie d'un village de
pêcheurs au sein duquel un jeune couple vit une relation compliquée), le ton
intimiste de la réalisatrice, son choix de tourner en extérieur, le statut d'artiste et
l'indépendance qu'elle revendique, font percevoir Agnès Varda comme un
précurseur de la Nouvelle Vague, à laquelle on l'associera encore plus
étroitement, à tort, après son mariage avec Jacques Demy au début des années
1960.
     La Nouvelle Vague demeure, en effet et paradoxalement, une affaire
d'hommes. Ses représentants ne comptent que des cinéastes masculins, même si
la femme et l'élucidation du mystère féminin demeurent leurs sujets favoris.
Durant cette période de renouvellement des formes cinématographiques et
jusqu'en 1968, les femmes participeront à la réalisation des films sans être elles-
mêmes derrière la caméra. Certaines se consacreront à la production des films de
réalisateurs masculins pour la plupart. Ces femmes productrices sont, par
exemple, Mag Bodard (1961) qui produit des films de Jacques Demy, Robert
Bresson, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, André Delvaux, Maurice Pialat, mais
 également d'Agnès Varda ; Michèle de Broca (1966) ; Alina de Boisrouvray
 (1968). D'autres concentrent leur talent sur l'écriture de scénarios pour les
 cinéastes de la Nouvelle Vague. Ces scénaristes féminines qui apparaissent après
 les années 1960, sont, par exemple, Nina Companéez qui écrit pour Michel
LE CINEMA FRANÇAIS AU FÉMININ355

Deville en 1968 et Suzanne Schiffman, scénariste mais aussi scripte et
assistante de Jacques Rivette, Jean-Luc Godard et Jean-François Truffaut, qui ne
deviendra elle-même réalisatrice qu'en 1987. Enfin, un groupe de romancières à
qui la renommée et la compétence littéraire confèrent une certaine crédibilité,
arrivent à réaliser quelques films, sans pouvoir pour autant se consacrer
entièrement à la carrière de réalisatrice. C'est le cas de Nicole Védrès, écrivain et
brillante critique de cinéma.
    Une fois encore, Agnès Varda se démarque de l'ensemble de ses collègues
féminines. Bénéficiant d'une certaine indépendance par le fait qu'elle produit
elle-même ses films, elle réalise une série de films, Cleo de 5 à 7 (1962), Le
Bonheur (1965), Les Créatures (1966), Loin du Viét-Nam (1967), sur des sujets
d'actualité comme la guerre au Viêt-Nam, contre laquelle elle prend position, ou
sur des propos plus intimes comme la maladie, les relations de couple, le
bonheur.
    La Fiancée du pirate (1969), le film de la romancière et ancienne
collaboratrice d'Abel Gance, Nelly Kaplan, sème la révolution et fait
immédiatement figure de manifeste féministe. Il est vrai que le film célèbre
tambour-battant la revanche de la femme contre l'oppression masculine par le
biais de la sexualité.
     Agnès Varda, qui a réalisé et produit le film Lion's Love en 1969 tourné
dans les communautés hippies de New York, attendra jusqu'en 1977 pour
réaliser le film le plus engagé dans la cause féministe. Il s'agit du film L 'Une
chante l 'autre pas qui rapporte la tragédie réellement vécue d'une jeune femme
de dix-sept ans mise en accusation pour avoir avorté à la suite d'un viol. Le film
met en scène la mobilisation féministe, organisée par l'avocate Gisèle Hamili,
qui avait permis la libération de la jeune femme.
     La même année, Yannick Bellon traite également le sujet dans son film
L 'Amour violé, après avoir réalisé Quelque part quelqu 'un (1972) et La Femme
de Jean (1973), film sur la reconstruction progressive d'une identité féminine
minée et gommée par le mariage. Dans L'Amour violé, la réalisatrice fera
également intervenir les deux avocates de la jeune femme accusée, Gisèle Hamili
et Odile Dhavemas, bien que le sujet soit traité sur le mode de la fiction.
    Dès le début des années 1970, la défense de l'avortement avait mobilisé un
grand nombre de professionnelles du cinéma. À Pâques 1973, le manifeste des
343 avortées est signé par les réalisatrices Marguerite Duras, Ariane
Mnouchkine, Marceline Loridan, les actrices Catherine Deneuve, Jeanne Moreau,
Bulle Ogier, Micheline Presle et Delphine Seyrig. Le texte est présenté comme
un défi à la justice française et les signataires menacent, en cas de poursuite, de
faire « le procès de l'avortement clandestin ». Les cinéastes et actrices se placent
en tête de ligne dans l'affrontement des femmes françaises avec le pouvoir et la
justice officiels, dans leur combat pour le droit de disposer de leur corps. Et
inversement, quand Histoires d'A, film de Marielle Issartel et de Charles
Belmont sur le droit à l'avortement, sera condamné par la censure officielle en
1973, il sera ouvertement soutenu par des milliers de spectateurs et spectatrices.
Le Manifeste du Collectif Musidora (groupe de cinéastes femmes), publié en
356FRENCH AND FRANCOPHONE WOMEN

1974,représente également une prise de position, une revendication publique
pour les valeurs féminines.
     C'est durant la période 1966-1980 que dominera l'intérêt de Marguerite
Duras pour la mise en scène. Cependant, son militantisme féministe s'exprime
plus directement dans ses essais ou ses écrits journalistiques. Dans ses films,
c'est davantage par le choix de ses sujets et par l'élaboration d'un nouveau style
cinématographique qu'elle contribue à l'affirmation d'un cinéma féminin.
Scénariste et réalisatrice de ses films, elle développe une écriture
cinématographique personnelle intégrant des procédés romanesques, théâtraux et
filmiques. Certaines de ses œuvres sont tout d'abord des romans, adaptés
ensuite pour des enregistrements radiophoniques, puis mis en scène, dans une
première phase pour le théâtre, enfin pour le cinéma. Ses œuvres sont
caractérisées également par une récurrence thématique à travers toute sa
production : la reprise et la modulation à l'infini d'éléments autobiographiques
ou fictifs présents dès le premier roman, Un Barrage contre le Pacifique
(destitution, injustice faite à la mère, violence familiale, amour incestueux avec
le petit frère, etc.). Le cycle à'India Song, dont la matrice littéraire initiale est
le roman Le Ravissement de Loi V. Stein, regroupe les films La Femme du
Gange (1973), India Song (1974), Son nom de Venise (1976), et conjugue à
l'infini la thématique de la rencontre amoureuse, du désir, du désespoir
existentiel ou amoureux, de l'horreur et de la folie.
     Le féminisme militant ne mobilise pas et n'inspire pas toutes les femmes
réalisateurs ou professionnelles du cinéma, mais il reste déterminant pour
beaucoup de réalisatrices et demeure, quoique parfois à tort, associé dans l'esprit
du public à la création cinématographique féminine de cette période. Lorsqu'en
1975,la loi Veil légalise le droit à la contraception et à l'avortement, la
nouvelle législation est considérée par beaucoup comme une victoire en partie
due au cinéma féminin.
     En 1976, Coline Serreau se penchera sur le sujet en réalisant une enquête
systématique sur les attentes des femmes, Mais qu'est-ce qu'elles veulent?
(1976). Dans la même veine, mais d'un style différent, Chantai Akerman,
réalisatrice belge vivant à Paris, tourne le film Les Rendez-vous d'Anna (1978)
dans lequel elle examine les nouvelles attitudes de la femme vis-à-vis de la
maternité.
    Les années 1975 à 1980 voient la création de festivals de films
indépendants du système commercial, et soutenus par le CNC. L'un d'entre eux,
le Festival International des Films de Femmes de Sceaux puis de Créteil,
créé en 1979, va marquer une avancée considérable pour les femmes réalisatrices.
Consacrant en quelque sorte la création cinématographique féminine, le Festival
constitue un lieu de rencontres et d'échanges pour les réalisatrices féminines,
non seulement françaises, mais de toutes appartenances nationales et ethniques.
Il est également une vitrine pour la production de ces réalisatrices. En ce qui
concerne les Françaises, la devanture est impressionnante. De 1968 à 1980, plus
de 50 femmes ont réalisé des longs métrages. Durant cette période, sur les 298
premiers films qui ont été réalisés, 30 l'ont été par des réalisatrices féminines
(Buet 48).
LE CINEMA FRANÇAIS AU FEMININ357

    Ainsi un tournant semble être pris. La fin des années 1970 et la décennie
1980 semblent annoncer des jours meilleurs. Mais malgré une avancée certaine
des femmes et une cohésion solide entre elles, les difficultés subsistent. La
plupart des femmes producteurs n'ont pas montré grand intérêt pour produire des
films de femmes. De la même façon, les scénaristes professionnelles ont préféré
continuer à travailler avec les réalisateurs masculins. Ainsi, Michelle de Broca
produit les films de Bertrand Tavemier comme, par exemple, Que la fête
commence en 1975. De même, Danielle Thompson écrit le scénario du film de
Jean-Charles Tacchela, Cousin Cousine en 1978. Mais de jeunes femmes
talentueuses, qui sont arrivées à la réalisation à la force du poignet, continuent
leur progression. Diane Kurys, jeune comédienne de la Compagnie Renaud-
Barrault, réussit à faire un million d'entrées, rien que. sur Paris, pour son
premier film Diabolo Menthe, qui remporte le prix Delluc en 1977. Sa
persévérance attire l'attention de Daniel Toscan du Plantier, directeur de
Gaumont, qui produira personnellement son second film, Coup de foudre
(1983) ; Juliet Berto, actrice des films de Jacques Rivette et de Jean-Luc
Godard, passe de l'autre côté de la barrière et produit son premier film, Neige,
en 1981.
    L'année 1981 marque une autre date importante pour les femmes cinéastes
françaises. C'est l'arrivée au pouvoir d'un président de gauche, le socialiste
François Mitterrand qui veut, entre autres, ouvrir la culture au grand public,
faciliter la communication, en particulier l'expression d'artistes encore
marginalisés. C'est la période des radios libres, des grandes expositions d'art
dans les mes, des travaux de modification du Louvre qui s'ouvre à tous, de la
construction de l'Opéra Bastille, de l'institution des grandes fêtes culturelles de
me, comme la Fête de la Musique ou la Fête du Cinéma, qui existent toujours à
l'heure actuelle, non seulement à Paris, mais dans toutes les villes de France.
Le Secrétariat des Droits des Femmes et le Ministère de la Culture sont confiés
à des équipes dynamiques, comptant dans leurs rangs des gens de terrain. De
plus, en 1984, la Femis (École Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et
du Son) prend la succession de l'IDHEC créé en 1942 et continue à accueillir un
grand nombre de femmes. Si les réalisatrices Claire Devers et Dominique
Cabrera, par exemple, sont d'anciennes élèves de l'IDHEC, la Femis formera
nombre de réalisatrices des années 1990.
    Les avances sur recettes, les aides, les commissions et autres structures de
financement favorisées dans le budget du ministre de la Culture, même pour la
création de courts métrages, facilitent l'accès des femmes à la carrière de
cinéaste. Pourtant, la période 1978-1988 est marquée par de grandes variations
dans la production des réalisatrices françaises : 15 films pour la saison 1979-80,
seulement 5 pour celle de 1983-84 alors que 156 films avaient été lancés cette
année-là (Buet 49).
    Si les femmes cinéastes ont désormais plus de facilité pour produire leurs
films que leurs devancières, la lutte pour s'affirmer dans une profession qui
demeure à prédominance masculine est toujours une nécessité, bien qu'elle soit
menée d'une manière moins opiniâtre que par le passé. Pour certaines cinéastes
féminines, les modes d'accès à la réalisation n'ont pas complètement changé, par
358FRENCH AND FRANCOPHONE WOMEN

nécessité pour certaines ou par goût d'indépendance pour d'autres. Véra
Belmont, Agnès Varda continuent à produire leurs propres films. Catherine
Breillat suit un cheminement assez semblable à celui de ses aînées. Romancière
et scénariste, elle est la collaboratrice du cinéaste Maurice Pialat avant de devenir
elle-même réalisatrice. Camille de Casablanca et Pascale Ferran exercent
également le métier de scénaristes avant de passer à la réalisation. De même,
Nicole Garcia, Daniele Dubroux, Jeanne Moreau profitent de leur notoriété
d'actrice pour se lancer dans la réalisation. D'autres contournent les
cloisonnements corporatistes toujours existants dans         l'industrie
cinématographique en assurant elles-mêmes diverses fonctions. Ainsi, Guila
Braoudé est à la fois scénariste, réalisatrice et co-productrice de son premier
film Je veux tout (1999) qui ironiquement traite, sur un mode à la fois comique,
véridique et touchant, des difficultés des femmes à concilier carrière
professionnelle et vie familiale. Evelyne Dress assure non seulement l'écriture
du scénario et la réalisation, mais tient également le rôle de l'actrice principale
dans son premier film Pas d'amour sans amour (1993), film plein d'humour
sur la nécessité de l'amour dans les relations sexuelles. D'autres formes de
cloisonnement se sont créées également, entre télévision et cinéma, et retardent
pour certaines femmes l'entrée dans la carrière de réalisatrice de cinéma, tel que
peut l'illustrer l'exemple de la cinéaste Jeanne Labrune qui travaille pour la
télévision depuis 1978 ou encore celui de la réalisatrice Josée Dayan.
IL Le cinéma de femmes des vingt dernières années. Autres regards sur le
monde intime et social. Expressions et représentations de ces nouvelles
façons de voir.

     Si la grande industrie cinématographique est encore principalement dirigée
par des hommes et si les films à gros budgets sont presque exclusivement
réalisés par des cinéastes masculins, à l'exception de Marquise (1997) de Véra
Belmont, le cinéma de femmes se porte bien en France. Parfois insolites,
souvent déconcertants, les films de femmes présentent un point de vue étranger
aux genres et aux modes conventionnels. Ils s'inscrivent dans la réalité
quotidienne et intimiste et proposent d'autres rapports au monde personnel ou
social qui ont su trouver et toucher leur public. Leur programme passe d'une
part, par une interrogation sur la spécificité féminine, d'autre part, par une
revendication du droit au bonheur et à l'expression, non seulement pour la
femme mais pour tout laissé-pour-compte, exploité ou exclu de nos sociétés
contemporaines, d'où la dimension sociale et humanitaire du cinéma féminin.
Ces changements de focalisation s'accompagnent de transformation des formes
d'expression cinématographique. C'est à ces renouvellements de la vision et de
l'expression, apportés par les cinéastes françaises durant ces vingt dernières
années que les pages suivantes seront consacrées.
      L'interrogation sur la spécificité de la féminité, du désir et du plaisir
féminins passe par l'examen des différentes facettes de l'être féminin. La
spécificité de la demande amoureuse ou affectueuse de la femme constitue une
des directions d'exploration les plus empmntées par les cinéastes françaises.
LE CINEMA FRANÇAIS AU FÉMININ359

Féminité, désir, plaisir

    L'ensemble de la production cinématographique féminine française constitue
une recherche quasi exhaustive sur la sexualité féminine, pour laquelle toutes
formes de relations amoureuses sont abordées et explorées sans inhibition ni
exhibitionnisme.
    Le couple et le triangle amoureux servent de base d'exploration dans de
nombreux films mettant en scène les tribulations des femmes contemporaines
dans leurs relations avec les hommes, comme par exemple, En avoir ou pas
(1995), A vendre (1998) de Laeticia Masson et J'ai horreur de l'amour (1997)
de Laurence Ferreira Barbosa. À vendre met en scène une jeune femme qui
s'enfuit à la veille de son mariage et la relation des errances et des rencontres
présentes et passées de la jeune fugitive prennent la forme d'une recherche de
soi. Le film Chimère (1988) de Claire Devers sonde la complexité de
l'affectivité adolescente. Post coïtum, animal triste (1997) de Brigitte Rouan
explore le problème de la différence d'âge des partenaires amoureux et les affres
de la dissolution du couple. Tonie Marshall dans Vénus Beauté Institut (1999)
montre que la quête du bonheur est commune à toutes les femmes, quel que soit
le stage de développement de leur vie amoureuse. L'une d'entre elles, la
quarantaine, désabusée par l'échec d'une relation qu'elle imaginait permanente,
retrouve sa confiance en elle par l'amour que lui porte un homme plus jeune
qu'elle et décide de prendre le risque de s'embarquer dans cette relation
passionnelle. Le film a reçu quatre Césars en 2000, dont celui du meilleur film.
     Le couple homosexuel féminin fait le sujet de nombreux films de
réalisatrices françaises, comme J'ai pas sommeil (1994) de Claire Denis ou
encore Ce même corps qui m'attire (1980) de Jeanne Labrune, un des films
les plus sensibles sur l'homosexualité féminine. Marie-Claude Treilhou, dans
Simone Barbes ou la vertu, met en scène une ouvreuse de cinéma pomo et le
couple homosexuel qu'elle forme avec son amie, en l'absence de tout jugement
ou commentaire, liberté étant laissée aux spectateurs de réagir comme bon leur
semble. Toujours sur le sujet du couple homosexuel féminin, Coup de foudre
(1982) de Diane Kurys est un film autobiographique qui met en scène la
relation homosexuelle de la mère de la réalisatrice, relation plus d'affinités
d'esprit que de corps dans ce film tout en pudeur et en retenue. Gazon maudit
(1994) de Josiane Balasko reprend le même sujet, la séduction d'une épouse et
mère par une autre femme ; mais ici l'épanouissement de la sexualité féminine
s'atteint dans la double pratique de l'homosexualité et de l'hétérosexualité :
l'épouse se partageant entre sa maîtresse et son mari. Le film de Geneviève
Lefèbvre, Le Jupon rouge (1987) traite du ménage à trois lesbien.
    Si des films comme Mina Tannenbaum (1994) de Martine Dugowson
explorent une relation d'amitié de vingt-cinq ans entre deux amies d'enfance
jusqu'au suicide de l'une d'entre elles, Catherine Corsini choisit d'analyser
avec minutie, dans La Répétition (2001), la manière dont le sentiment d'amitié
peut se transformer, chez l'une des partenaires, en engouement passionnel puis
en désir homosexuel.
360FRENCH AND FRANCOPHONE WOMEN

     Coline Serreau explore le sujet de la relation amoureuse hétérosexuelle et
homosexuelle à trois, puis à quatre dans Pourquoi pas? (1976). Agnès Varda,
avec Kung-fu master (1987) expose une relation audacieuse quasi incestueuse
entre un adolescent et une femme de quarante ans, en accentuant le caractère
intime et familial de la situation par le choix des acteurs : son propre fils,
Mathieu Demy dans le rôle de l'adolescent, Jane Birkin, dans celui de la femme
plus âgée, et la jeune Charlotte Gainsbourg, fille de Jane Birkin dans la vie
réelle.
     Catherine Breillat, spécialiste de la libido féminine, dans ses romans
comme dans ses films, donne libre cours à toute manifestation ou libération de
la sexualité féminine dans des réalisations comme 36 Fillette (1988), Sale
comme un ange (1991), Romance (1998). Dans ce demier film, le plaisir de la
femme est mis au premier plan et, dans les scènes de pratique sado-masochiste,
l'homme n'est qu'un assistant au service de la femme qui lui dicte les gestes qui
pourront la satisfaire. Sans inhibition et sans restriction aucune, la réalisatrice
braque sa caméra sur le visage de la femme pendant l'orgasme, auquel seule cette
dernière participe. La plupart des films de la réalisatrice accentuent la violence
dans les relations amoureuses ou sexuelles. Parfait Amour! (1996) montre
comment l'intensité de la passion chamelle peut amener un des partenaires à la
destruction physique de l'autre. C'est ce que montrait déjà le film Noir et blanc
(1986) de Claire Devers. Le film, qui obtient la Caméra d'Or au Festival de
Cannes de la même année, met en scène un couple homosexuel interethnique,
animé d'une grande violence passionnelle et sadomasochiste, allant jusqu'à
l'assassinat d'un des partenaires. Jeanne Labrune, dans son film Si je t'aime...
prends garde à toi (1998), montre également comment une femme peut se
laisser entraîner dans une relation de violence physique qui constitue un moyen
d'exploration de sa propre sexualité.
    Le pur désir, sans orientation sexuelle définie, peut aussi devenir matériau
de recherche. Marguerite Duras en a fait le sujet de la plupart de ses livres
aussi bien que de ses films. Chantai Ackerman reprend l'enquête dans son
dernier film, La Captive (2000), basé très librement sur La Prisonnière de
Marcel Proust.

Amour et affectivité

     Nombre de films réalisés par des femmes mettent en valeur des situations
plus consensuelles que conflictuelles dans les relations femme/homme,
enfants/parents et privilégient la tendresse et l'intimité fusionnelle. Les films de
Coline Serreau, Pourquoi pas? (1976) ; Qu'est-ce qu'on attend pour être
heureux? (1982) ; Trois hommes et un couffin (1985) ; Romuald et Juliette
(1988), accentuent la tendresse réciproque, au sein du couple ou de la famille, au
détriment des rapports de force et des tensions conflictuelles. Ma chérie (1979)
de Charlotte Dubreuil est une comédie intimiste sur les relations d'une mère et
de sa fille dans laquelle les audaces sexuelles (relation à trois) n'excluent pas
l'affectivité et la tendresse filiale et maternelle.
LE CINEMA FRANÇAIS AU FÉMININ36 1

     L'amour maternel est un amour charnel, fusionnel (Brahimi 77), qui se
manifeste par des gestes de tendresse, des caresses, entre la mère et l'enfant,
comme le montrent le film de Nicole Garcia, Un Week-end sur deux (1990), et
déjà le Molière d'Anne Mnouchkine en 1977. Le rapport à la maternité donne
également lieu à de fructueuses explorations cinématographiques. Chantai
Ackerman, entre autres, dans Les Rendez-vous d'Anna (1978), balaie les vieilles
conceptions morales culpabilisantes régissant les rapports de la femme à ses
enfants et définit de nouvelles relations identitaires pour celle-ci.
    Le regard des femmes cinéastes se pose volontiers sur les enfants, même les
très jeunes enfants, comme c'est le cas dans Trois hommes et un couffin (1985)
de Coline Serreau. C'est un regard plus attentif, plus vigilant, que les
réalisatrices portent sur l'enfance. C'est une contemplation qui touche à la
fascination, comme on peut le voir dans le film de Claire Simon, Récréations
(1998). Les drames de la vie quotidienne reliés à l'enfance font le sujet de
beaucoup de films de femmes : l'enlèvement d'un enfant par un des parents,
dans Un Week-end sur deux (1990) de Nicole Garcia, par exemple ; l'anormalité
physique et mentale des enfants ; la maladie et la mort d'un enfant dans Le
Petit Prince a dit (1992) de Christine Pascal, où le thème de la maladie
incurable rejoint celui de l'enlèvement de l'enfant. Ce demier film est primé à
Cannes en 1992 et sélectionné pour quatre nominations aux Césars de 1993.

    Le thème de l'enfance se retrouve également dans des films intimistes
autobiographiques qui constituent un retour à l'enfance personnelle de la
réalisatrice, une tentative de retrouver le regard que l'enfant que l'on était a porté
sur la mère ou sur le groupe parental. C'est le cas du film Chocolat (1988) de
Claire Denis et de Coup de foudre (1982) de Diane Kurys qui met en scène la
dissolution du couple parental, sous les yeux de l'enfant, au moment où la mère
quitte le père pour entrer dans une relation homosexuelle.
    À l'intérieur du couple, ou dans la relation de la mère à l'enfant, les films
des réalisatrices françaises ont fait éclater les préjugés moraux et sociaux qui
figeaient traditionnellement les rôles et les rapports hommes/femmes,
enfants/parents, et ont fait apparaître de nouvelles structures relationnelles.
Les rôles

    Plusieurs films réalisés par des femmes redéfinissent les rôles sociaux et
familiaux sur lesquels s'appuie notre société. Élever, dorloter les enfants, ce
n'est pas seulement une affaire de femme. C'est ce qu'apprennent, dans le film
Trois hommes et un couffin de Coline Serreau, trois célibataires qui s'attachent
éperdument au jeune bébé que leur a confié une mère désemparée. Le film de
Claire Denis, Nénette et Boni (1996) accentue aussi les caractéristiques dites
maternelles de l'homme. De la même façon, le film Pas très catholique (1994)
de Tonie Marshall montre qu'il n'y a rien d'anormal à ce qu'un enfant soit
élevé par le père et que la mère n'a plus à être culpabilisée par cette situation.
     En ce qui concerne les rôles à l'intérieur du couple, les films des
réalisatrices féminines marquent une volonté de rompre avec les catégorisations
362FRENCH AND FRANCOPHONE WOMEN

traditionnelles associant faiblesse et vulnérabilité à la femme et reconnaissant
solidité et cohérence comme des qualités principalement masculines. Des films
comme Nettoyage à sec (1997) d'Anne Fontaine font voler ces généralisations
en éclats. Ils exposent les déficiences et les fragilités du personnage masculin,
l'incapacité de celui-ci à accepter cette image plus réelle de lui-même et à
fonctionner dans ses nouveaux rapports à la femme. Cependant, la destitution
du personnage masculin n'est pas invariablement le sujet des films de femmes
sur le couple. Le film de Guila Braoudé, Je veux tout (1999), débouche sur la
possibilité de rapports égalitaires au sein du couple par le partage des
responsabilités parentales et le respect du droit de l'autre à l'épanouissement
affectif aussi bien que professionnel.
     Le droit au travail et la place de la femme dans le monde professionnel est
bien sûr une préoccupation des réalisatrices françaises. La recherche difficile de
l'équilibre entre activité professionnelle et vie affective, sentimentale ou
familiale, demeure la toile de fond de beaucoup de leurs films si elle n'en est
pas le sujet principal. C'est avec beaucoup de finesse que le film d'Agnès
Merlet, Artemisia (1997), expose le problème de la privation des femmes du
produit de leur travail. Dans ce film, il s'agit plus précisément de la
dépossession de la femme de ses créations artistiques, mais le film touche à une
pratique généralisée dans beaucoup de domaines professionnels. De nombreux
sujets de société, dépassant le cadre des préoccupations spécifiquement
féminines, sont abordés par les réalisatrices.

Les problèmes de société contemporains ; les tragédies humaines du
quotidien

    Le problème de la marginalisation économique et sociale, phénomène de
société des pays riches, est exploré avec beaucoup de sensibilité dans Le destin
de Juliette (1983) d'Aline Isserman et d'une façon magistrale dans deux films
d'Agnès Varda. Sans toit ni loi, qui reçoit le Lion d'Or au festival de Venise
en 1985, retrace l'errance et la mort d'une jeune femme sans domicile fixe. Les
Glaneurs et la glaneuse (2000), émouvant et personnel, est un document
sociologique sur le problème de la faim dans notre société de consommation.
     Les femmes cinéastes dirigent leur attention sur ces formes d'injustice, de
violation de droit, de violence, perçues comme banales parce que quotidiennes.
Leur caméra s'arrête sur des êtres simples, ordinaires, non reconnus. Le film
Chocolat (1988) de Claire Denis expose les jeux de pouvoir inter-ethniques
pratiqués durant la période coloniale à travers la relation de la réalisatrice, alors
enfant, avec le domestique noir, Aimé.
     Comme leur devancière Agnès Varda le fait dans ses films depuis La
Pointe courte (1955), les jeunes réalisatrices françaises attachent leur regard sur
les milieux sociaux provinciaux ou populaires. Le film de Claire Denis,
Nénette et Boni (1996), pose le problème de la responsabilité maternelle en
choisissant de mettre en scène deux êtres déshérités des quartiers pauvres de la
région marseillaise. C'est le même choix de porter son regard hors des milieux
parisiens privilégiés que fait Laurence Ferreira Barbosa dans son film Les
LE CINEMA FRANÇAIS AU FEMININ363

Gens normaux n'ont rien d'exceptionnel (1993) qui traite de la folie et de la
nécessité d'en dédramatiser les conséquences. Nombre de jeunes réalisatrices
opteront pour les mêmes champs d'investigation : Agnès Merlet dans Le Fils
du requin (1993) qui met en scène deux jeunes frères provinciaux que l'abandon
de leurs parents entraînera à la violence criminelle, ou encore Marion Vernoux
(Personne ne m'aime, 1994), Pascale Ferran (Petits arrangements avec les
morts, 1994, L'âge des possibles, 1995), Noémie Lvovsky (Oublie-moi, 1995),
Laetitia Masson (En avoir ou pas, 1995, À vendre, 1998). C'est plus
précisément le milieu paysan que choisit Sandrine Veysset, dans Y a-t-il de la
neige à Noël? (1996), film émouvant sur le combat quotidien que mène une
mère de sept enfants dans une exploitation agricole. Comme Juliet Berto dans
son film, Neige (1981), Claire Denis, dans J'ai pas sommeil (1994), porte sa
caméra dans les milieux africains, antillais et métisses du dix-huitième
arrondissement de Paris.
     Les problèmes quotidiens engendrés par la crise économique, les « galères »
des jeunes femmes chômeuses ou allant de petit boulot en petit boulot, sont
explorés dans des films comme L'Âge des possibles (1996) de Pascal Ferran,
ou Nadia et les hippopotames (1999) de Dominique Cabrera, qui met en scène
une jeune mère sans ressources au moment des grèves de 1995. Rien à faire
(1999), de Marion Vernoux, expose d'une façon sobre et poignante la liaison
d'un couple de chômeurs d'origines sociales différentes que le désœuvrement
rapprochera jusqu'à ce que l'homme retrouve sa place dans le monde actif
auquel sa partenaire n'aura pas accès. La satire sociale fait le sujet du premier
film de la jeune scénariste et actrice Agnès Jaoui, Le Goût des autres (1999).
C'est une comédie douce-amère sur les jeux de manipulation pratiqués dans les
milieux bourgeois qui sera consacrée par le César du meilleur film 2001.
    Les femmes se distinguent également par la façon dont elles abordent les
« tragédies humaines ». Dans les années 1960, au moment même des
événements du Viêt-Nam, plusieurs femmes cinéastes ont pris des positions
tranchées sur le sujet en manifestant leur opposition comme Agnès Varda dans
ses films Cleo de cinq à sept (1962), Loin du Viêt-Nam (1967), Lion's Love
(1969). En ce qui concerne les réalisatrices des années 1990, c'est davantage
l'inscription de la guerre coloniale dans la vie quotidienne et les conséquences
sur la vie privée qui en découlent, qui vont retenir leur attention, en particulier
sur le sujet de la Guerre d'Algérie. Le film à caractère autobiographique, Outre-
Mer (1990) de Brigitte Rouan, présente les rejaillissements de cette guerre sur
la vie intime de trois sœurs vivant différemment ces événements tragiques
durant lesquels chacune d'entre elles perdra son partenaire masculin : un époux
officier de la Marine française pour l'aîné, un amant résistant FLN pour la plus
jeune. De l'autre côté de la mer (1995) de Dominique Cabrera, explore aussi
les conséquences de la guerre d'indépendance de l'Algérie sur la vie personnelle
d'un individu.
    De la même façon, dans un film comme Petits Arrangements avec les morts
(1994) de Pascale Ferran, c'est l'incidence de la mort dans la vie de tous les
jours qui est le sujet des observations de la réalisatrice dans une série de trois
364FRENCH AND FRANCOPHONE WOMEN

scénarios qui se recoupent et explorent les différents modes de négociation que
l'on fait avec soi-même après la mort d'un proche.
    Le thème de la folie, celui de la maladie retiennent aussi l'attention des
réalisatrices comme déjà Marguerite Duras dans le cycle à'India Song (1974),
mais plus récemment Laurence Ferreira Barbosa dans son film Les Gens
normaux n'ont rien d'exceptionnel (1993). Les conséquences des blessures
psychologiques sont explorées dans des films comme Martha... Martha (2001)
de Sandrine Veysset dans lequel l'héroïne reproduit dans sa vie familiale
d'adulte la situation émotionnelle dont elle a souffert étant enfant.
    Après Yannick Bellon dans son film L'Amour nu (1981), la réalisatrice
Soleveig Ansprach aborde le thème du cancer dans son film Haut les cœurs
(1999), relatant sur le mode de la fiction sa propre expérience de la maladie.
C'est également sur le mode personnel qu'Agnès Varda explore le thème du
vieillissement, vieillissement de l'être aimé (son mari Jacques Demy) dans le
film Jacquot de Nantes (1991), vieillissement de la réalisatrice elle-même dans
Les Glaneurs et la glaneuse (2000).
    C'est donc sur l'exploration de l'intime, du psychique, du charnel, que de
nombreux films réalisés par des cinéastes françaises se concentrent. De plus, le
regard de ces réalisatrices s'inscrit dans le quotidien, ses drames, ses joies, ses
déchaînements qui sont la trame même de notre vie. C'est le senti, le vécu, la
« texture du réel », selon la formule d'Agnès Varda, qui se saisissent et
s'expriment par leurs œuvres. On peut se demander à présent si cette expression
se doit de passer par des formes et des rythmes spécifiques.
Autres formes, autres rythmes

    Y a-t-il une expression cinématographique spécifiquement féminine? Tenter
de définir les formes qui caractériseraient l'écriture cinématographique féminine
serait ne pas tenir compte de la nature même de l'entreprise des réalisatrices
françaises. Le matériau intimiste, psychologique, et même physiologique que la
plupart d'entre elles explorent, échappe aux catégorisations formelles ou
structurelles, au dictât narratologique, et chaque cinéaste, parfois chaque sujet
traité, semble inventer sa propre écriture dont les plus marquées sont
certainement celles de Marguerite Duras, Agnès Varda et Claire Denis.
      Chez Marguerite Duras, la transgression des délimitations formelles se
traduit par le fusionnement des genres. India Song, nous en avons déjà fait la
remarque précédemment, c'est la poursuite d'une même exploration à travers
trois formes de médiation artistique : le roman, le théâtre et le cinéma. Le
matériau exploré (le désir, le désespoir existentiel ou amoureux, l'horreur) ne
peut être explicité que par la complémentarité de ces trois formes d'expression.
Le caractère expérimental de l'écriture cinématographique de Marguerite Duras se
traduit par de nombreuses audaces techniques dont la plus représentative est
l'autonomie de la bande-son et de la bande-image, procédé déjà introduit dans
Hiroshima mon amour, et récurrent dans ses films comme India Song (1974),
Navire Night (1978), L'Homme Atlantique (1981). L'effacement des
démarcations entre réalité et univers diégétique est un autre exemple de
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