Évolution de l'usage des antibiotiques en filières bovines : état d'avancement et perspectives
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Évolution de l’usage INRA Prod. Anim., 2019, 32 (2), 291-304 des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives Valérie DAVID1, Florence BEAUGRAND2, Émilie GAY3, Jacqueline BASTIEN4, Christian DUCROT5 1 Institut de l’Élevage, 75595, Paris, France 2 BIOEPAR, INRA, Oniris, Université Bretagne Loire, 44307, Nantes, France 3 Université de Lyon, Anses Laboratoire de Lyon, Unité Épidémiologie et appui à la surveillance, 69394, Lyon, France 4 Société nationale des groupements techniques vétérinaires, 75011, Paris, France 5 ASTRE, Université de Montpellier, CIRAD, INRA, 34988, Montpellier, France Courriel : christian.ducrot@inra.fr La mise en place du plan EcoAntibio visant à réduire les risques d’antibiorésistance a permis une forte mobilisation des différents partenaires de l’élevage et de la profession agricole dans les filières bovines. Des actions ont été menées à différentes échelles et des travaux de recherche conduits, notamment en sciences humaines et sociales. Cet article fait un point sur les avancées et actions en cours, et propose certaines perspectives1. Introduction dans le cadre du plan EcoAntibio 2017 jeunes broutards), qui se traduisent (Ministère de l’agriculture, 2016) et l’ob- par des risques importants de maladies jectif de réduction de 25 % de l’usage infectieuses respiratoires nécessitant des antibiotiques en 5 ans a été atteint ; l’usage d’antibiotiques. Le développement des résis- le plan EcoAntibio 2 (2017-2021) encou- tances aux antibiotiques en méde- rage la poursuite de ces activités pour L’objectif de cet article est de faire le cine humaine et animale, tant dans pérenniser les efforts réalisés (Ministère point sur l’usage des antibiotiques dans les pays développés que les pays en de l’agriculture, 2017) et réduire de les filières bovines et son évolution, de développement, fait peser le risque 50 % l’exposition des animaux de rente présenter les différentes approches de se trouver, à moyenne échéance, à la colistine, car c’est un antibiotique développées au cours des années pas- dans une impasse thérapeutique pour de dernier recours pour certaines infec- sées pour faire évoluer cet usage ainsi le traitement des infections bacté- tions chez l’Homme. que les freins rencontrés et les diffi- riennes humaines (Zahar et Lesprit, cultés à les lever, puis d’envisager les 2014). Aussi, afin de préserver le bien En filières bovines, il existe diffé- perspectives pour aller plus loin dans commun que sont les antibiotiques, les rents enjeux liés à l’usage des anti- cette évolution. Sont abordées notam- instances internationales (WHO, 2016 ; biotiques. La filière laitière est avant ment les approches préventives mises FAO, 2016 ; OIE, 2016) ont adopté des tout concernée par la question des en œuvre, la rationalisation de l’utilisa- plans concertés pour optimiser l’usage infections de la mamelle, et viennent tion des antibiotiques et le recours aux des antibiotiques et promouvoir la ensuite diverses maladies infectieuses alternatives thérapeutiques. Un autre recherche de solutions préventives ou moins fréquentes. En filière allaitante article sera consacré ultérieurement alternatives, tant chez l’Homme que et boucherie, un enjeu important aux filières hors sol qui ont conduit des chez l’animal. concerne la période néonatale (mala- approches particulières pour réduire dies néonatales) ainsi que les périodes l’usage des antibiotiques, liées aux En France, sur le versant vétérinaire, un d’allotement d’animaux pour l’engrais- pratiques d’élevage hors sol et à leur ensemble d’actions ont été entreprises sement (que ce soit les veaux ou les organisation. 1 Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 24es Journées Rencontres Recherches Ruminants (David et al., 2018). https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2485 INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 291 04/10/2019 13:04:58
292 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT 1. État des lieux Figure 1. Évolution de l’ALEA bovins de 1999 à 2016 (d’après Anses, 2017). de l’usage d’antibiotiques 0,4 dans les élevages bovins en France 0,35 0,3 1.1. Données globales 0,25 ALEA 0,2 Il n’existe pas encore en France de système national d’enregistrement des 0,15 prescriptions et/ou des délivrances 0,1 d’antibiotiques comme c’est le cas 0,05 au Danemark par exemple (DANMAP, 2016). En revanche, l’Agence Nationale 0 2014/15 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2016 du Médicament Vétérinaire (ANMV) de l’Anses assure un suivi national annuel des ventes d’antibiotiques depuis 1999 (Anses, 2017). Ces données sont complétées par des études pharmaco- épidémiologiques ponctuelles appor- pour les antibiotiques critiques (cépha- dernières années, cette baisse étant tant des informations sur des aspects losporines de 3e et 4e générations et plus marquée pour les traitements en qualitatifs ou quantitatifs de l’usage des fluoroquinolones, dont on a un besoin lactation (figure 2). antibiotiques. impérieux en santé publique), avec un léger report sur les familles plus Deux enquêtes en région Auvergne- Un des points clés dans l’estimation anciennes telles que les aminosides, Rhône-Alpes, menées avec d’autres de l’usage des antibiotiques est le choix pénicillines et sulfamides. méthodologies, aboutissent à des des indicateurs. La quantité utilisée (en résultats du même ordre de grandeur. tonnage) est l’indicateur le plus facile à 1.2. Données par filière La première enquête, réalisée en 2016 collecter, mais aussi celui qui présente auprès d’élevages laitiers et allaitants le plus de limites car il ne tient compte Les données de suivi des ventes conventionnés, a obtenu un ALEA de ni des différences de posologies entre d’antibiotiques ne permettent pas de 0,31 pour les bovins laitiers (en baisse les différentes molécules ni de la popu- différencier les bovins laitiers et les sur les 4 dernières années) et de 0,21 lation animale traitée. C’est pourtant cet bovins allaitants pour les traitements pour les bovins allaitants (stable sur indicateur qui est utilisé à l’échelle euro- oraux et parentéraux. Par contre, un les 4 dernières années) (Sulpice et al., péenne car il est actuellement le seul calcul spécifique est effectué pour les 2017). La deuxième enquête, réalisée en calculable pour l’ensemble des pays traitements intramammaires, en attri- 2016 auprès de 11 élevages laitiers et 11 membres (European Medicines Agency, buant tous ces types de traitements élevages allaitants, a permis de différen- European Surveillance of Veterinary aux vaches laitières, et en différen- cier, en plus des types de production, Antimicrobial Consumption, 2017). ciant la période de lactation et le taris- les voies d’administration (Mlala et al., Mais, de plus en plus, des indicateurs sement. Il en ressort que le nombre 2018). Il en ressort que la filière bovine d’exposition sont utilisés. de traitements intramammaires par laitière est un peu plus consommatrice vache laitière est en légère baisse ces que la filière allaitante pour la voie L’ANMV utilise dans son rapport (Anses, 2017) l’ALEA (« Animal Level of Exposure to Antimicrobials ») qui approche le nombre Figure 2. Évolution du nombre annuel de traitements intramammaires par vache laitière depuis 1999 (d’après Anses, 2017). de traitements reçus par animal pour une période donnée (ici l’année). La quantité 2,0 de traitements/vache laitière vendue est divisée par la dose par traite- 1,8 ment (avec la posologie indiquée dans 1,6 Nombre annuel l’autorisation de mise sur le marché et 1,4 1,2 un poids animal fixe par spécialité et par 1,0 espèce) et par la biomasse de la popula- 0,8 tion animale potentiellement consom- 0,6 matrice. L’ALEA chez les bovins était de 0,4 0,248 en 2016, avec une évolution à la 0,2 baisse ces dernières années (figure 1). 0,0 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2014/15 Le calcul des ALEA par famille d’anti- biotiques montre une baisse marquée Lactation Tarissement INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 292 04/10/2019 13:04:59
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 293 Tableau 1. Médiane du nombre annuel de traitements par animal, par type de a. Biosécurité production, âge des animaux et voie d’administration (d’après Mlala et al., 2018). La biosécurité consiste à limiter l’in- troduction et la diffusion des patho- Nombre annuel de traitements par animal gènes dans et à l’extérieur du troupeau. Types La mise en œuvre de la biosécurité par d’animaux Voie Voie intra- Voie intra- Voie orale Total les éleveurs bovins est en lien avec injectable mammaire utérine leurs représentations de l’importance de ces mesures pour préserver leur Allaitants cheptel (Frappat et al., 2012 ; Sarrazin et al., 2014) qui sont différentes de Adultes 0,200 0 0,023 0,019 0,512 celles des autres productions (Laanen et al., 2014). Des enquêtes conduites Jeunes 0,109 0,045 – – 0,167 par Idele en 2014 (Mounaix et al., 2015) auprès des éleveurs bovins ont en effet Laitiers montré que les éleveurs connaissent Adultes 0,333 0 2,600 0,029 2,933 de manière générale les mesures de biosécurité mais qu’ils appréhendent Jeunes 0,105 0,049 – – 0,216 mal les risques justifiant leur mise en œuvre, que cette dernière est en géné- ral limitée dans le temps (abandonnée quand une situation sanitaire problé- orale, et sans surprise beaucoup plus filière. Pour contribuer à la pérennisation matique redevient normale) et qu’elle consommatrice pour la voie intramam- de cet observatoire, le développement se heurte souvent à des freins liés aux maire (tableau 1). d’un carnet sanitaire informatisé permet- habitudes de travail, aux équipements tant la centralisation de l’information est et bâtiments. Sur ce sujet, les éleveurs La production de veaux de boucherie, en cours. ont aussi déclaré être plus en attente de de par ses spécificités et notamment retours d’expériences d’autres éleveurs le mélange de jeunes veaux d’origines D’autres démarches sont en réflexion que des conseils prodigués par leur diverses lors de l’allotement, est une dans les filières bovines afin de consti- vétérinaire ou d’autres intervenants en production pour laquelle l’usage d’an- tuer des observatoires de l’usage des élevage. Pour progresser sur ce sujet, il tibiotiques est plus important. Dans les antibiotiques. est donc apparu nécessaire de faire évo- rapports Anses de suivi des ventes de luer les représentations des éleveurs en médicaments vétérinaires contenant des matière de biosécurité et de rechercher antibiotiques, un focus sur cette produc- 2. Leviers techniques avec eux des voies d’amélioration pour tion a été fait pendant quelques années, pour un usage sa mise en œuvre. Ce travail est en cours et le nombre de traitements oraux par ciblé et raisonné dans le projet Co’innobios, dans le cadre veau a été estimé pour les données des antibiotiques du plan EcoAntibio. Il s’appuie sur des 2009 à 2013. Ce nombre de traitements collectifs d’éleveurs bovins viande et était passé de 6,0 en 2009 à 4,2 en 2013 donne déjà des résultats positifs : une (Anses, 2014b). Une enquête ponctuelle Trois approches complémentaires perception améliorée et partagée de réalisée en 2014 a estimé le nombre de sont mises en œuvre pour réduire la biosécurité, et des outils d’auto-éva- traitements par veau à 8,5 en moyenne, l’usage des antibiotiques et limiter luation co-élaborés par les éleveurs et mais la méthodologie était très différente l’émergence de résistances aux antibio- qu’ils souhaitent partager pour favoriser puisqu’il s’agissait d’une estimation à par- tiques : i) la prévention de l’apparition et la sensibilisation du plus grand nombre tir des prescriptions d’antibiotiques et de la dissémination des maladies, ii) un d’éleveurs (Mounaix, communication des dates de traitements indiquées dans usage plus raisonné des antibiotiques, personnelle). le registre d’élevage, et pas à partir des et iii) l’utilisation de médicaments ventes des fabricants (Jarrige et al., 2017). alternatifs aux antibiotiques. b. Pratiques d’élevage À la suite de cette enquête ponctuelle, Renforcer voire faire évoluer certaines un observatoire de l’usage des anti- 2.1. Prévention sanitaire pratiques est une condition nécessaire biotiques dans la filière (Chanteperdrix et zootechnique à un moindre usage des antibiotiques. et al., 2016b) a été mis en place. En effet, plus qu’un chiffre ponctuel qui est diffi- Certaines pratiques et conditions Dans la filière laitière, la maîtrise des cilement comparable à d’autres du fait d’élevage, certains modes de conduite infections mammaires reste une ques- de méthodes de calcul différentes, c’est peuvent exposer les animaux à des tion cruciale. Afin de renforcer la préven- l’évolution de l’indicateur choisi qui a agents infectieux et les rendre plus sus- tion et ainsi réduire la prévalence des du sens. Les premiers résultats issus de ceptibles de développer une maladie. mammites en élevage laitier, l’interpro- cet observatoire semblent indiquer une Pour réduire ce risque plusieurs axes de fession laitière a lancé dès 2013 un pro- baisse importante de l’usage dans la progrès existent. En voici quelques-uns. gramme national de communication et INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 293 04/10/2019 13:05:00
294 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT d’accompagnement des éleveurs et de Figure 3. Représentation du déficit de protection immunitaire acquise dans le leurs conseillers, dénommé « les mam- premier mois de vie des veaux (d’après Hulbert et Moisà, 2016). mites, j’anticipe ». Cette communication a porté ses fruits puisque depuis 2014, on observe une réduction notable de la moyenne nationale des concentra- tions en cellules somatiques des laits produit par les troupeaux laitiers fran- çais : la moyenne nationale a diminué de 30 000 cellules/mL de lait entre 2014 et 2017 (Roussel et Ballot, 2017, communication personnelle2). Le veau, futur adulte en devenir, doit aussi faire l’objet d’une attention parti- culière. En effet, il a un système immu- nitaire fonctionnel à la naissance, mais les filières broutards/taurillons (projet critères liés à la santé (concentrations du fait d’un placenta empêchant le WelHbeef financé par l’Institut Carnot en cellules somatiques dans le lait, passage des anticorps maternels vers le France Futur Élevage, projet Sant’Innov mammites cliniques) ou en lien avec fœtus, il naît agammaglobulinémique. Il financé par le programme PSDR 43 du la santé (aplombs, conformation de la lui faudra quelques jours pour dévelop- Grand-Ouest) et veaux de boucherie. mamelle et longévité). per une immunité adaptative acquise ; il est donc indispensable qu’il boive c. Bâtiments d’élevage Chez les vaches laitières, un index dans les premières heures suivant sa La conception et l’entretien des bâti- cellules est disponible depuis 1997. naissance une quantité suffisante d’un ments d’élevage sont des éléments Un index mammite clinique a été colostrum de qualité pour ingérer les clefs de la prévention des maladies. mis en place en 2010. Combiné à l’in- immunoglobulines d’origine maternelle Ils font partie des facteurs de risque dex cellules, il constitue aujourd’hui et acquérir une immunité adaptative majeurs des maladies d’élevage. Les un index « santé de la mamelle » qui dite passive (Hulbert et Moisà, 2016) points clefs sont divers et leur impor- représente respectivement 16, 18 et (figure 3). Cette phase est souvent un tance varie selon les maladies. Parmi 14,5 % des objectifs de sélection des point critique dans les exploitations eux cependant on peut citer la qualité races Normande, Prim’Holstein et laitières, d’où l’importance de commu- générale de l’ambiance (humidité, tem- Montbéliarde (Minery, 2016 ; Institut niquer sur la bonne préparation des pérature, ventilation et renouvellement de l’Élevage, 2018). vaches au vêlage garante d’un colos- de l’air), les surfaces disponibles et leur trum de qualité, et sur la surveillance entretien, la nature des sols, l’existence L’outil génomique vise à prédire la et les soins à apporter au veau nourris- d’espaces dédiés à certaines situations valeur génétique d’un animal à l’aide son. Une nouvelle campagne de sensi- (zone de vêlage, infirmerie, logement d’un test réalisé grâce à une puce ADN bilisation des éleveurs sur ce sujet est des vaches taries…). Au démarrage du contenant plusieurs dizaines de milliers en cours de préparation, orchestrée par plan EcoAntibio 2017, le constat a été de marqueurs. Cette révolution permet l’interprofession laitière. fait par l’ensemble des acteurs que le d’accélérer le progrès génétique et de bâtiment restait un point critique dans prendre en compte de nouveaux cri- Certaines pratiques, situations ou la maîtrise de la santé animale. Pour tères parmi lesquels la résistance aux certains environnements (manipula- progresser dans la prise de conscience maladies. Parmi les travaux qui ont tions, transport, réallotements, chan- par les différents acteurs des liens entre permis de progresser dans ce domaine gements alimentaires, vêlage, stress bâtiment et santé, un travail d’explicita- on peut citer le projet Parabov (Blériot thermique…) peuvent générer du tion, de formalisation et de diffusion a et al., 2013) initié en 2011 qui a permis stress, impactant les défenses immu- été entrepris. Il a réuni des experts bâti- de définir un référentiel pour la collecte nitaires de l’animal, et le rendant ainsi ments et des vétérinaires et a abouti à de données de lésions du pied des plus fragile aux infections (Hulbert des brochures techniques largement bovins, enregistrées lors du parage. Ce et Moisá, 2016). Des travaux sont en diffusées. travail a été suivi de différents travaux, cours pour voir dans quelle mesure il dont ceux soutenus par Apis-Gène (pro- est possible de faire évoluer certaines d. Sélection génétique gramme POD²), visant à développer la pratiques pour minimiser le stress ou Les objectifs de sélection intègrent, collecte en routine des données de le répartir différemment sur la durée. au-delà des critères de production, parage des pieds des bovins laitiers, en Ces travaux concernent en particuliers conformation et reproduction, certains vue d’une évaluation génétique. Le pro- jet GénoSanté démarré en 2015 a quant 3 PSDR 4 http://www.psdr.fr/PSDR.php?categ= à lui pour objectif global de produire 2 https://les-mammites-j-anticipe.com/ 103&lg=FR&PHPSESSID=ogt0trdj1tq31se88748f9 des outils de sélection et de conseil informations/observatoire-des-cellules/ 12e7#ancre415 pour améliorer la santé productive des INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 294 04/10/2019 13:05:00
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 295 vaches laitières. Les premiers résultats considérées (bronchopneumonies cette qualité. Compte tenu de ces avis, ont abouti en 2016 à un index relatif infectieuses enzootiques, BVD, gas- le prix plancher de broutards vaccinés à l’acétonémie (maladie métabolique) troentérites néonatales et entérotoxé- s’est avéré compliqué à estimer et très pour les races Normande, Prim’Holstein mies), mais qu’une forte proportion variable (Mounaix, communication per- et Pie Rouge (Barbat-Leterrier et al., d’éleveurs serait prête à l’envisager. Elle sonnelle). Des travaux complémentaires 2016) et depuis fin 2017 à deux nou- a aussi mis en évidence le rôle prépon- ont été réalisés pour analyser les effets veaux index de résistance aux boite- dérant du vétérinaire dans la décision comparés de différentes modalités de ries (un index de résistance aux lésions de mise en œuvre des plans de prophy- vaccination (Mounaix et al., 2018). infectieuses et un de résistance aux laxie vaccinale (Deleu, 2015). À l’issue lésions non infectieuses) pour les races de ce travail, une campagne de com- 2.2. Usage raisonné Prim’Holstein et Pie Rouge4. munication a été mise en place par le des antibiotiques Ministère de l’agriculture pour promou- e. Vaccination voir la vaccination en élevage bovin : la a. Évolution des prescriptions La vaccination contre certaines mala- campagne Vaccin’acteur. Une vaste réflexion et des actions dies peut avoir un rôle dans la réduc- pour préserver l’efficacité des anti- tion de l’usage des antibiotiques. Des Au-delà de ces enquêtes globales, biotiques ont été conduites dans le maladies virales sont aussi concernées, des travaux plus ciblés ont été conduits cadre des recommandations de l’Anses car la prévention de ces maladies évite par Idele en partenariat avec ONIRIS (Anses, 2014a) et du plan EcoAntibio. des surinfections bactériennes qui sur la vaccination des broutards pour Recommandations et mesures des doivent être traitées avec des antibio- prévenir les maladies respiratoires des plans convergent vers une limitation tiques. Dans le cadre du plan EcoAntibio taurillons. Ces travaux, réalisés dans des usages au strict nécessaire et vers 2017, le Syndicat de l’Industrie du le cadre du plan EcoAntibio, visaient l’abandon de pratiques à risque pour Médicament Vétérinaire (SIMV) a mené à répondre aux questionnements de l’émergence et la sélection de méca- deux études visant à identifier les freins groupements de producteurs ou de nismes de résistance. Pour atteindre les à la vaccination en élevage bovin, et le coopératives agricoles qui ont entrepris objectifs du plan EcoAntibio 2017, plu- rôle du vétérinaire dans la décision de des actions pour promouvoir la vaccina- sieurs mesures ont été déployées, avec vacciner (Deleu, 2015). tion des broutards. Les objectifs étaient des objectifs quantitatifs de réduction d’identifier les déterminants sociaux et d’usage des antibiotiques et des objec- La décision de mettre en place la économiques de cette vaccination. Les tifs qualitatifs de parcimonie d’usage vaccination est souvent prise suite à enquêtes conduites auprès des éleveurs d’antibiotiques d’importance critique. un épisode infectieux avec un impact naisseurs et/ou engraisseurs de brou- Parmi celles-ci, les vétérinaires pres- sanitaire marquant, par exemple des tards mettent en évidence une bonne cripteurs ont élaboré des recomman- pertes d’animaux. Mais la pratique de la perception générale de la vaccination dations d’usage des antibiotiques lors vaccination est rarement acquise défini- par les éleveurs et ceci indépendam- de séances de consensus conduites par tivement. Les éleveurs la remettent en ment du lien avec le vétérinaire. Les la Société Nationale des Groupements cause en permanence en fonction de modalités pratiques de la vaccination Techniques Vétérinaires (SNGTV). Ces leur perception de l’efficacité, du coût spécifique des broutards avant leur recommandations d’usage des antibio- et du risque encouru. Plus on s’éloigne entrée dans les ateliers d’engraissement tiques ont été déclinées par maladie et de l’événement sanitaire déclencheur, étaient cependant mal connues (plan- par filière de production animale et ont plus la tentation d’interrompre la vac- ning des injections, pathogènes incri- fait l’objet d’une supervision de l’Anses cination est forte (Deleu, 2015). minés dans les problèmes respiratoires (Journal officiel, 2015). à l’engraissement…). Plusieurs freins Les points positifs attendus de la à la vaccination des broutards par les De nombreuses mesures réglemen- vaccination sont d’ordre économique naisseurs ont été identifiés, plutôt rela- taires sont venues par ailleurs encadrer (moins de pertes), psychologique tifs à l’organisation du travail. Le résul- les prescriptions et les délivrances des (sérénité) et organisationnel (diminu- tat le plus marquant de l’enquête est antibiotiques : tion des interventions sur les animaux, l’absence de relation/connexion entre planification des interventions…). Les éleveurs naisseurs de broutards et éle- i) retrait des antibiotiques de la liste freins énoncés relèvent principalement veurs engraisseurs. Ce manque de tra- positive pour les groupements agréés de l’organisation du chantier de vacci- çabilité constitue un frein important au d’éleveurs5 ; nation, du temps passé et du respect développement de la vaccination des des protocoles vaccinaux et d’hygiène. broutards chez le naisseur (Mounaix L’étude a montré que 31 % des éle- et al., 2018). veurs de bovins disent ne jamais vac- ciner leurs bovins contre les 4 maladies Les personnes enquêtées (nais- seurs ou engraisseurs) souhaitaient en 5 Arrêté du 19 décembre 2014 modifiant l’arrêté majorité une valorisation de la qualité du 28 juin 2011 fixant la liste des médicaments 4 https://www.evolution-xy.fr/fr/actualite/ globale des broutards et ils plaçaient vétérinaires prévue au deuxième alinéa de l’article deux-nouveaux-index-sante-pied la vaccination parmi les éléments de L. 5143-6 du code de la santé publique. INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 295 04/10/2019 13:05:00
296 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT ii) guide réglementaire de bonnes Le traitement sélectif consiste à dis- sont considérées comme infectées, et pratiques d’emploi des antibiotiques6 ; criminer les vaches qui nécessitent un reçoivent un traitement antibiotique. traitement antibiotique seul ou avec un Ce traitement antibiotique n’est pas iii) restriction des conditions de pres- obturateur, des vaches pour lesquelles suffisant pour prévenir les nouvelles cription des antibiotiques critiques7. un obturateur est indiqué pour prévenir infections pendant la période sèche ; les infections pendant le tarissement et elles peuvent recevoir en plus un obtu- Suite à la découverte de gènes de des vaches pour lesquelles aucun traite- rateur s’il existe un risque pendant la résistance à la colistine portés par ment n’est requis. Cette stratégie impose période sèche. Les critères décision- des plasmides et aux avis de l’EMA un processus de sélection des vaches nels pour le traitement sélectif sont (« European Medicines Agency ») et de basé sur leur statut infectieux et sur les résumés dans le tableau 2. l’Anses, des mesures de restriction risques de nouvelles infections inhérents d’usage de cette molécule ont été à l’animal et/ou à la conduite d’élevage. La stratégie de traitement sélectif fait ajoutées : actuellement l’objet d’une promotion L’élaboration de cette stratégie a fait (Roussel et al., 2016) ; elle requiert un i) arrêt des traitements préventifs uti- l’objet d’études conduites par ONIRIS engagement des éleveurs et de leurs lisant la colistine et limitation des traite- en partenariat avec Idele (Roussel et al., vétérinaires. Les éleveurs ont besoin ments à 7 jours ; 2006). Les vaches saines, i.e. celles dont d’être rassurés, motivés et informés le CCI (comptage cellulaire individuel) pour sélectionner les vaches éligibles à ii) retrait des autorisations de mise sur dans le mois précédant le tarissement l’une ou l’autre modalité de traitement. le marché (AMM) nationales des asso- est inférieur à 100 000 cellules/mL de Ce travail est fait lors de l’établissement ciations d’antibiotiques contenant de lait, peuvent ne recevoir qu’un obtura- du protocole de soin annuel avec le la colistine ; teur, sous réserve qu’elles n’aient pas vétérinaire traitant, après évaluation été affectées par une mammite durant du statut épidémiologique du troupeau iii) recommandation de l’EMA de ce même mois. À condition qu’elles au regard des affections mammaires. fixer pays par pays des objectifs natio- ne soient pas exposées à un risque L’expérience montre qu’un accompa- naux à ne pas dépasser d’ici 3 à 4 ans, à particulier de nouvelles infections gnement en continu des éleveurs pour savoir pour la France ne pas dépasser le pendant la période sèche, les vaches statuer au fur et à mesure sur les trai- seuil de 5 mg/kg de biomasse ; saines pourraient ne recevoir aucun tements à administrer à chaque vache traitement. Les vaches dont les CCI sont est un gage de réussite. Des outils pour iv) exigence de réduction de 50 % des supérieurs à 100 000 cellules/mL de lait, aider les éleveurs dans le choix des usages de colistine sur 5 ans inscrite dans le plan EcoAntibio 2. Tableau 2. Tableau décisionnel pour le choix d’une stratégie de traitement au tarissement (Roussel et al., 2016). b. Traitement sélectif au tarissement Le traitement antibiotique systéma- Facteurs de risque par vache(1) Autres facteurs de risque(2) tique des vaches au tarissement était Mammite Plus de un des points des plans de maîtrise des Au moins clinique dans 2 facteurs Pas de risque infections mammaires dans les années un risque les 3 derniers mois de risque 1970 pour guérir les vaches infectées et prévenir les nouvelles infections pen- OUI Atb Atb + Obt dant la période sèche. Dans les années 2000 les obturateurs de trayons ont fait Vache NON NON Rien ou Obt Obt leur apparition dans l’objectif de préve- « saine » nir les nouvelles infections pendant le OUI Obt Obt tarissement. Actuellement un traite- ment sélectif est préconisé pour éviter NON Atb Atb + Obt un usage inutile d’antibiotique (SNGTV, Vache « infectée » 2013 ; Journal officiel, 2015). OUI Atb + Obt Atb + Obt Atb : Traitement antibiotique au tarissement. Obt : Mise en place d’un obturateur au tarissement. 6 Arrêté du 22 juillet 2015 relatif aux bonnes Vaches saines : celles dont le comptage cellulaire individuel dans le mois précédant le tarissement est pratiques d’emploi des médicaments contenant inférieur à 100 000 cellules/mL de lait (Vaches infectées : CCI supérieur à 100 000 cellules/mL de lait). une ou plusieurs substances antibiotiques en (1) Les facteurs de risque vache : numéro de lactation, position du plancher de la mamelle par rapport médecine vétérinaire. au jarret, présence gerçures, blessures ou lésions au niveau du trayon, longueur du trayon, perte de lait 7 Décret n° 2016-317 du 16 mars 2016 relatif à la avant vêlages, perte de lait après tarissement. prescription et à la délivrance des médicaments (2) Les facteurs de risque diffèrent si les animaux sont en bâtiment ou au pâturage. Ils sont moindres utilisés en médecine vétérinaire contenant une ou au pâturage. Au pâturage : état des zones de couchage, introduction ou non des vaches taries dans le plusieurs substances antibiotiques d’importance troupeau en production avant le vêlage ; en bâtiment : surface de couchage, entretien et hygiène du critique. logement, ventilation du bâtiment, surface des aires d’exercice. INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 296 04/10/2019 13:05:01
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 297 vaches à traiter sont disponibles8, ou des modes d’action pharmacologiques alternatifs en substitution partielle ou en cours de développement. vis-à-vis des bactéries ou de l’animal totale des antibiotiques utilisés lors de infecté, en prévention ou en traitement la métaphylaxie précoce des veaux de c. Traitement des boiteries des maladies d’étiologie bactérienne boucherie, approche consistant à trai- Dans son rapport de 2014, l’Anses fai- (Ducrot et al., 2017). Sur les bactéries, ter un lot entier dès lors qu’un certain sait état d’un recours aux traitements l’activité peut être antibactérienne ou nombre d’animaux du lot sont clini- antibiotiques souvent non justifié dans réduire la virulence des bactéries en quement atteints. Parmi les produits le traitement des affections podales. Or, perturbant, par exemple, la communi- testés on trouve de l’acide citrique, la quasi-totalité d’entre elles ne néces- cation bactérienne (« quorum sensing ») du tryptophane, des probiotiques sitent pas de traitement antibiotique. ou la formation de biofilm. Sur l’animal, (microorganismes vivants ajoutés à la Dans la majorité des cas, un parage les propriétés des plantes peuvent être ration pour conférer un bénéfice en curatif associé ou non à la mise en place anti-inflammatoires, immuno-modula- matière de santé) et des prébiotiques d’une talonnette est suffisant. Une trices ou physiologiques, réduisant les (substances alimentaires ajoutées seule exception, le panaris, nécessite signes cliniques de l’infection tout en pour promouvoir de façon sélective la un traitement antibiotique par voie aidant aux processus de guérison. croissance de certaines bactéries de générale (Guattéo et al., 2010 ; Journal type probiotique ou l’activité du micro- officiel, 2015). Un traitement local anti- En filière bovin lait, Joly et al. (2016) bisme intestinal). Ces travaux conduits septique ou antibiotique peut aussi et Hellec et Manoli (2018) ont montré en station expérimentale ont permis de être nécessaire pour certaines lésions qu’une partie des éleveurs qui sou- mettre en évidence des résultats zoo- de la maladie de Mortellaro. Pour sen- haitent réduire l’utilisation d’antibio- techniques globalement satisfaisants sibiliser les éleveurs, une campagne de tiques se tournent vers les formations mais des résultats sanitaires contrastés, communication a été conduite dans le sur les approches alternatives pour la des coûts vétérinaires détériorés et des cadre du plan EcoAntibio, 2017 ; elle santé animale, ou s’appuient sur des conditions de travail non transposables conseille d’établir un diagnostic pré- communautés de pratiques entre éle- en élevage commercial (Chanteperdrix cis des lésions à l’origine de la boiterie veurs. Sont notamment discutées et et al., 2016a). En complément et pour avant tout traitement antibiotique. partagées des pratiques basées sur répondre aux attentes des éleveurs, un l’utilisation d’alternatives aux anti- travail visant à élaborer un guide d’aide d. Démarche de filière biotiques telles que phytothérapie ou à la décision sur l’utilisation des subs- pour les veaux de boucherie homéopathie (dont le principe est de tances alternatives aux antibiotiques Dès 2015, Interbev veaux a lancé une soigner un patient en diluant très for- dans la filière veau de boucherie est en campagne de sensibilisation qui s’est tement des substances qui, données cours de réalisation. Ce travail sera basé matérialisée par une charte interpro- à dose supérieure, provoqueraient sur un recensement des substances d’in- fessionnelle de bonne maîtrise sanitaire des symptômes similaires à ceux du térêt et sur une évaluation des publica- et de bon usage des traitements médi- patient). Les études qualitatives réali- tions existantes basée sur la méthode camenteux en production de veaux de sées sur le terrain montrent l’engoue- proposée par l’Anses (Anses, 2018). boucherie. Elle implique l’ensemble des ment de certains types d’éleveurs pour acteurs de la filière que ce soient les des thérapeutiques à base de plantes ; Concernant les broutards, des essais vétérinaires, les éleveurs, les entreprises c’est notamment le cas de ceux qui visant à tester l’efficacité des phéro- d’intégration, les organisations de pro- ont obligation de réduire l’usage d’an- mones apaisantes sur les troubles ducteurs et les techniciens intervenant tibiotiques par le cahier des charges respiratoires des jeunes bovins à l’en- en élevage. auquel ils adhèrent, particulièrement graissement viennent de se terminer. Ils en agriculture biologique ou dans le indiquent un effet positif de la réduc- 2.3. Traitements alternatifs cas de certaines Appellations d’Ori- tion du stress en matière de comporte- gine Contrôlée (Poizat et al., 2017). Les ment et de santé. Un effet des apaisines Afin de limiter l’usage d’antibio- mêmes études montrent en revanche a été observé sur l’expression des com- tiques en cas de maladie ou de situa- la réserve des conseillers agricoles et portements de déplacement, interpré- tion à risque, une alternative est de vétérinaires face à l’utilisation de ces tés comme exploratoires, mais aussi sur se tourner vers d’autres molécules ou thérapeutiques alternatives (Poizat l’immunité et les signes cliniques des produits. Les observations de terrain et al., 2017), qui tient au manque de troubles respiratoires. Cependant, ces (Joly et al., 2016 ; Poizat et al., 2017) preuves scientifiques disponibles quant effets restent peu perceptibles pour les montrent un intérêt pour la phytothéra- à leur efficacité, à l’absence de données éleveurs (Guiadeur et al., 2018). pie, qui désigne l’utilisation des plantes sur les résidus, les délais d’attente et la à des fins thérapeutiques. Les plantes toxicité potentielle des produits pour Les travaux d’ores et déjà conduits en contiennent en effet un très grand le consommateur, et au flou réglemen- élevage sur l’efficacité des huiles essen- nombre de molécules pouvant avoir taire (Ducrot et al., 2017). tielles pour la maîtrise des infections mammaires (Le Guenic et al., 2015 ; Dans la filière veau de boucherie, des Anses, 2018), n’ont pas encore abouti 8 http://idele.fr/services/outils/traitement- essais ont été conduits depuis 2012. Ils à des résultats probants mais d’autres selectif-au-tarissement.html ont permis d’évaluer certains produits travaux sont actuellement en cours. INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 297 04/10/2019 13:05:01
298 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT Un rapport récent de l’Anses (Anses, pour les animaux producteurs de den- gradation d’une utilisation systématique 2018) recense les substances et prépa- rées, les substances thérapeutiques d’antibiotiques à une reconfiguration rations commerciales qui sont revendi- entrant dans la préparation doivent complète vers un système d’exploitation quées, comme étant une solution pour disposer d’une LMR (Limite Maximale sans antibiotiques (Bluhm et Cholton, limiter l’usage des antibiotiques chez de Résidus). Enfin, le produit à base 2016). On retrouve ces profils dans les tra- les animaux dans différentes filières de de plantes peut aussi être considéré jectoires d’une cinquantaine d’éleveurs productions animales. Les préparations dans certains cas comme un additif à décrits dans les projets de recherche commerciales les plus fréquemment l’alimentation animale, avec un effet TRAJ et RedAB financés respectivement citées contiennent majoritairement positif sur la production, le rendement par le métaprogramme Gestion intégrée des plantes, des huiles essentielles, des ou le bien-être, en influençant la flore de la santé des animaux de l’INRA et le probiotiques, des acides organiques gastro-intestinale ou la digestibilité des programme CasDAR (Bonnet-Beaugrand et des acides gras. Le rapport souligne aliments pour animaux (fonctions défi- et al., 2016). L’intérêt de la typologie des l’hétérogénéité des données dispo- nies par le règlement européen (direc- trajectoires (tableau 3) est d’associer les nibles pour en évaluer l’innocuité et tive 2009/767/CE)). La réglementation motivations des éleveurs et leurs modes l’efficacité, et la nécessité de travaux en matière d’alimentation animale doit d’apprentissage. approfondis pour lever les incertitudes alors être respectée. sur leur efficacité et leur innocuité. En France, si le suivi des ventes de L’Anses recommande également de médicaments vétérinaires contenant porter la question du statut juridique de 3. Appui des antibiotiques par l’Anses est publié ces produits au niveau européen dans et accompagnement chaque année, il n’existe pas de réfé- le cadre du plan de lutte contre la résis- pour le changement rences individuelles d’usage des anti- tance aux antibiotiques, afin que soient de pratiques biotiques qui permettraient aux éleveurs étudiées la pertinence et la faisabilité de de se situer, comme cela peut être le cas créer un statut spécifique pour les pro- dans d’autres pays européens (aux Pays duits induisant la réduction de l’usage 3.1. Diversité Bas, en Belgique, au Danemark ou en des antibiotiques, sans les considérer de motivations Allemagne) (EMA et EFSA, 2016). comme des médicaments vétérinaires. Confrontés à des injonctions sociales ou réglementaires, les éleveurs sont sus- Les motivations des éleveurs à réduire a. Réglementation ceptibles d’adopter différentes attitudes leur usage ne reposent donc pas sur Il y a en effet consensus sur la néces- face à l’utilisation d’antibiotiques (Ducrot des normes techniques, mais sont sité d’adapter le cadre réglementaire et al., 2018). Dans une étude menée dans intrinsèques. Elles peuvent reposer pour les produits à base de plantes les exploitations de lycées agricoles, a sur une recherche d’efficience accrue, (Ducrot et al., 2017). Compte tenu de la priori sensibilisées car participant à l’en- mais aussi sur la réponse à l’injonction définition juridique actuelle du médi- seignement et se devant d’être au fait des sociale de réduire l’usage des antibio- cament vétérinaire (directive 2001/82/ préoccupations scientifiques et socié- tiques, voire s’inscrire dans un souhait CE, Code de la Santé Publique article tales, on observe quatre profils types de conversion de l’élevage à des pra- L 5141-2), dès lors que le produit reven- d’utilisation d’antibiotiques, avec une tiques plus écologiques (Hill et Mac Rae, dique des indications de prévention et de traitement des maladies infectieuses Tableau 3. Différents types de trajectoires de changement dans l’usage des anti- avec une présentation destinée à une biotiques, en fonction du déclencheur, des références recherchées et du mode administration à l’animal, il relève du d’usage des antibiotiques (d’après Bluhm et Cholton, 2016 ; Bonnet-Beaugrand statut de médicament vétérinaire et et al., 2016). doit se conformer à cette réglementa- tion et suivre le processus d’évaluation Trajectoire Mode d’usage conduisant à une Autorisation de Mise Déclencheur Références de changement des antibiotiques sur le Marché (AMM). Très peu de ces produits ont actuellement cette AMM. Diverses Sans réduction d’usage Systématiques Aucun références Dans le cadre de la cascade (article L 5143-4 du Code de la Santé Publique) À certaines conditions Substitution Volonté qui détermine les conditions de pres- Formations aux antibiotiques de réduire cription en l’absence de médicament Avec alternatives vétérinaire approprié autorisé, le vétérinaire peut également prescrire Recherche Recherche d’efficience Diverses pratiques d’efficience ou Conseil expert une préparation magistrale à base de problème drogues végétales et produits dérivés, qui sera fabriquée dans le respect de Reconfiguration du Peu d’antibiotiques Échanges bonnes pratiques réglementaires de Innovation système d’élevage nécessaires avec les pairs préparation extemporanée. Toutefois INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 298 04/10/2019 13:05:01
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 299 1995). Ces motivations se heurtent à la module de formation interne aux GTV certains faisant valoir une prescription façon dont les éleveurs appréhendent et module, élaboré conjointement par plus importante des spécialités à forte le risque associé à la diminution d’usage la SNGTV et l’administration vétérinaire, marge (Kim, 2015 ; Boblin, 2016) et des antibiotiques. En effet, ces derniers déployé dans le cadre de la formation d’autres montrant que l’amélioration constituent une solution économique- continue au mandat sanitaire. Enfin, de cette même marge n’a pas d’impact ment efficace d’assurance contre l’ap- un réseau expérimental de référents sur la prescription (Montesinos, 2016 ; parition d’un dommage lié à la maladie antibiotiques mis en place récemment Serrand, 2016). Dans certains pays (Lhermie et al., 2015). permet aux vétérinaires praticiens d’in- européens, il est établi un benchmar- terroger des référents sur des stratégies king entre les pratiques des vétérinaires 3.2. Conseil de diagnostic et/ou de traitements et pour guider l’évolution des prescrip- et accompagnement d’avoir accès à une base documentaire tions (Pays-Bas, Belgique, Suisse), par les professionnels et à des questions récurrentes sur un site chaque vétérinaire voyant son niveau de santé animale dédié. de prescription comparé à celui de ses collègues. Quoi qu’il en soit, le débat Pour une partie des éleveurs, l’accom- Cependant, la disponibilité accrue des renforce la mutation du rôle du vétéri- pagnement par les conseillers en santé informations via les nouvelles technolo- naire de la prescription vers le conseil animale (vétérinaire, Groupement de gies de l’information et la complexité du de long terme davantage fondé sur une Défense Sanitaire (GDS), technicien) changement de pratiques – tant dans la approche globale de la santé. demeure un point clef dans l’applica- décision que dans la mise en œuvre – tion de nouvelles pratiques. Soit les amènent une redéfinition du rôle des 3.3. Accompagnement éleveurs restent dans une situation conseillers en élevage, qui dépasse collectif : formation classique, et l’appui de leur conseiller leur rôle usuel d’experts. Leur position- et groupes de pairs leur permet d’explorer de nouvelles nement évolue ; le vétérinaire et les pratiques en confortant leur confiance conseillers accompagnent les éleveurs La relation de conseil n’est pas le en eux (Hellec et Manoli, 2018). Soit dans un changement long, avec une seul mode d’accompagnement vers ils recherchent une efficience maxi- co-construction des solutions à appor- la réduction de l’utilisation des anti- male en ayant recours à une expertise ter et une capitalisation des essais-er- biotiques, et comme déjà évoqué, scientifique et des solutions éprouvées reurs (par exemple Rénier et al., 2018). nombre d’éleveurs recourent plutôt (Bonnet-Beaugrand et al., 2016). à des formations pour appréhender La convergence des visions entre éle- des alternatives aux antibiotiques. Ils La réduction des antibiotiques en veurs et conseillers a alors un impact mènent eux-mêmes des expérimenta- élevage fait partie intégrante de la for- sensible sur le changement (Poizat et al., tions dans leur exploitation, souvent mation des vétérinaires. Ainsi, l’usage 2017). Cependant, cet impact peut aussi sans protocole de validation très éta- raisonné des antibiotiques est un des bien être un moteur qu’un frein selon bli ni sans en référer à leurs conseillers thèmes majeurs de la formation ini- que l’éleveur et son conseiller consi- et vétérinaire usuels (Joly et al., 2016 ; tiale des vétérinaires. Le référentiel de dèrent la réduction d’antibiotiques Ducrot et al., 2018). Ces essais peuvent compétences 2017 stipule ainsi dans comme un acquis déjà dépassé (modèle aboutir à un abandon comme à un long les compétences attendues : « bonnes de production moderne), comme un processus d’apprentissage et de conso- pratiques d’administration, notamment projet sur lequel ils s’engagent (rela- lidation des nouvelles pratiques. l’usage prudent et raisonné des antibio- tion interventionniste) ou comme une tiques et antiparasitaires », à charge pour contrainte réglementaire externe (rela- Enfin, une autre partie des éleveurs les écoles de développer les modalités tion autonomiste) (Buller et al., 2015). s’appuie sur des groupes de pairs pour d’enseignement adéquates. En outre, Dans ce dernier cas, tant les éleveurs partager des expériences, se former, l’antibiothérapie et l’antibiorésistance que les conseillers perçoivent un trop élaborer leur décision. Il peut s’agir de constituent un des sujets majeurs de for- grand risque sur les performances de groupes formels (par exemple menés mation continue dispensée par la SNGTV production pour réduire l’usage des par une chambre d’agriculture ou un pour les vétérinaires exerçant en produc- antibiotiques (Frappat et al., 2015 ; centre de partage en agriculture biolo- tions animales. De nombreux supports Duval et al., 2017). gique) ou de groupes informels. Parfois, ont été et sont mis à disposition via le ces groupes se constituent sur des bulletin des GTV, via les Journées natio- Pour le vétérinaire, la réduction forums virtuels (Phillips et al., 2018). Ce nales des GTV qui réservent une large d’usage des antibiotiques pose aussi mode d’apprentissage repose sur une place aux antibiotiques et à leurs effets. des questions déontologiques, éco- longue tradition de démonstrations à la Ce thème était central dans l’édition nomiques et régulatrices du fait de ferme (Burton et al., 2018) ou de forma- 2010 des journées, un atelier lui est dédié la coexistence de ses deux missions tion « au champ » (« farmer field school », chaque année. Un référentiel paru en de prescription et de délivrance des Cooreman et al., 2018). Labarthe estime 2013 pour les traitements des affections médicaments (Fortané, 2016). Les tra- que c’est le mode principal de diffusion mammaires définit les bonnes pratiques vaux sont contradictoires sur l’impor- des pratiques innovantes (Labarthe, en la matière. Des modules de formation tance du conflit d’intérêt qui pourrait 2010). Des expériences prometteuses sont régulièrement diffusés en région : limiter l’implication des vétérinaires, sur la réduction d’antibiotiques ont INRA Productions Animales, 2019, numéro 2 15_Ducrot.indd 299 04/10/2019 13:05:01
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