Évolution de l'usage des antibiotiques en filières bovines : état d'avancement et perspectives

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Évolution de l'usage des antibiotiques en filières bovines : état d'avancement et perspectives
Évolution de l’usage                  INRA Prod. Anim.,
                                                  2019, 32 (2), 291-304

               des antibiotiques en filières bovines :
               état d’avancement et perspectives
           Valérie DAVID1, Florence BEAUGRAND2, Émilie GAY3, Jacqueline BASTIEN4, Christian DUCROT5
           1
            Institut de l’Élevage, 75595, Paris, France
           2
            BIOEPAR, INRA, Oniris, Université Bretagne Loire, 44307, Nantes, France
           3
            Université de Lyon, Anses Laboratoire de Lyon, Unité Épidémiologie et appui à la surveillance, 69394, Lyon, France
           4
            Société nationale des groupements techniques vétérinaires, 75011, Paris, France
           5
            ASTRE, Université de Montpellier, CIRAD, INRA, 34988, Montpellier, France
           Courriel : christian.ducrot@inra.fr

           „ La mise en place du plan EcoAntibio visant à réduire les risques d’antibiorésistance a permis une forte
           mobilisation des différents partenaires de l’élevage et de la profession agricole dans les filières bovines. Des actions
           ont été menées à différentes échelles et des travaux de recherche conduits, notamment en sciences humaines et
           sociales. Cet article fait un point sur les avancées et actions en cours, et propose certaines perspectives1.

           Introduction                                               dans le cadre du plan EcoAntibio 2017             jeunes broutards), qui se traduisent
                                                                      (Ministère de l’agriculture, 2016) et l’ob-       par des risques importants de maladies
                                                                      jectif de réduction de 25 % de l’usage            infectieuses respiratoires nécessitant
                                                                      des antibiotiques en 5 ans a été atteint ;        l’usage d’antibiotiques.
             Le développement des résis-                              le plan EcoAntibio 2 (2017-2021) encou-
           tances aux antibiotiques en méde-                          rage la poursuite de ces activités pour              L’objectif de cet article est de faire le
           cine humaine et animale, tant dans                         pérenniser les efforts réalisés (Ministère        point sur l’usage des antibiotiques dans
           les pays développés que les pays en                        de l’agriculture, 2017) et réduire de             les filières bovines et son évolution, de
           développement, fait peser le risque                        50 % l’exposition des animaux de rente            présenter les différentes approches
           de se trouver, à moyenne échéance,                         à la colistine, car c’est un antibiotique         développées au cours des années pas-
           dans une impasse thérapeutique pour                        de dernier recours pour certaines infec-          sées pour faire évoluer cet usage ainsi
           le traitement des infections bacté-                        tions chez l’Homme.                               que les freins rencontrés et les diffi-
           riennes humaines (Zahar et Lesprit,                                                                          cultés à les lever, puis d’envisager les
           2014). Aussi, afin de préserver le bien                      En filières bovines, il existe diffé-           perspectives pour aller plus loin dans
           commun que sont les antibiotiques, les                     rents enjeux liés à l’usage des anti-             cette évolution. Sont abordées notam-
           instances internationales (WHO, 2016 ;                     biotiques. La filière laitière est avant          ment les approches préventives mises
           FAO, 2016 ; OIE, 2016) ont adopté des                      tout concernée par la question des                en œuvre, la rationalisation de l’utilisa-
           plans concertés pour optimiser l’usage                     infections de la mamelle, et viennent             tion des antibiotiques et le recours aux
           des antibiotiques et promouvoir la                         ensuite diverses maladies infectieuses            alternatives thérapeutiques. Un autre
           recherche de solutions préventives ou                      moins fréquentes. En filière allaitante           article sera consacré ultérieurement
           alternatives, tant chez l’Homme que                        et boucherie, un enjeu important                  aux filières hors sol qui ont conduit des
           chez l’animal.                                             concerne la période néonatale (mala-              approches particulières pour réduire
                                                                      dies néonatales) ainsi que les périodes           l’usage des antibiotiques, liées aux
             En France, sur le versant vétérinaire, un                d’allotement d’animaux pour l’engrais-            pratiques d’élevage hors sol et à leur
           ensemble d’actions ont été entreprises                     sement (que ce soit les veaux ou les              organisation.

           1 Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 24es Journées Rencontres Recherches Ruminants (David et al., 2018).

           https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.2.2485                                                  INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 291                                                                                                                                            04/10/2019 13:04:58
292 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT

           1. État des lieux                              Figure 1. Évolution de l’ALEA bovins de 1999 à 2016 (d’après Anses, 2017).
           de l’usage d’antibiotiques                                                     0,4
           dans les élevages bovins
           en France                                                                 0,35
                                                                                          0,3

           „ 1.1. Données globales                                                   0,25

                                                                ALEA
                                                                                          0,2
              Il n’existe pas encore en France de
           système national d’enregistrement des                                     0,15
           prescriptions et/ou des délivrances                                            0,1
           d’antibiotiques comme c’est le cas
                                                                                     0,05
           au Danemark par exemple (DANMAP,
           2016). En revanche, l’Agence Nationale                                          0

                                                                                                                                                                                                                   2014/15
                                                                                                1999
                                                                                                        2000
                                                                                                                2001
                                                                                                                       2002

                                                                                                                              2003
                                                                                                                                      2004
                                                                                                                                             2005

                                                                                                                                                        2006
                                                                                                                                                                2007
                                                                                                                                                                       2008
                                                                                                                                                                              2009
                                                                                                                                                                                     2010

                                                                                                                                                                                             2011
                                                                                                                                                                                                     2012
                                                                                                                                                                                                            2013

                                                                                                                                                                                                                             2016
           du Médicament Vétérinaire (ANMV) de
           l’Anses assure un suivi national annuel
           des ventes d’antibiotiques depuis
           1999 (Anses, 2017). Ces données sont
           complétées par des études pharmaco-
           épidémiologiques ponctuelles appor-            pour les antibiotiques critiques (cépha-                                                         dernières années, cette baisse étant
           tant des informations sur des aspects          losporines de 3e et 4e générations et                                                            plus marquée pour les traitements en
           qualitatifs ou quantitatifs de l’usage des     fluoroquinolones, dont on a un besoin                                                            lactation (figure 2).
           antibiotiques.                                 impérieux en santé publique), avec
                                                          un léger report sur les familles plus                                                               Deux enquêtes en région Auvergne-
              Un des points clés dans l’estimation        anciennes telles que les aminosides,                                                             Rhône-Alpes, menées avec d’autres
           de l’usage des antibiotiques est le choix      pénicillines et sulfamides.                                                                      méthodologies, aboutissent à des
           des indicateurs. La quantité utilisée (en                                                                                                       résultats du même ordre de grandeur.
           tonnage) est l’indicateur le plus facile à     „ 1.2. Données par filière                                                                       La première enquête, réalisée en 2016
           collecter, mais aussi celui qui présente                                                                                                        auprès d’élevages laitiers et allaitants
           le plus de limites car il ne tient compte        Les données de suivi des ventes                                                                conventionnés, a obtenu un ALEA de
           ni des différences de posologies entre         d’antibiotiques ne permettent pas de                                                             0,31 pour les bovins laitiers (en baisse
           les différentes molécules ni de la popu-       différencier les bovins laitiers et les                                                          sur les 4 dernières années) et de 0,21
           lation animale traitée. C’est pourtant cet     bovins allaitants pour les traitements                                                           pour les bovins allaitants (stable sur
           indicateur qui est utilisé à l’échelle euro-   oraux et parentéraux. Par contre, un                                                             les 4 dernières années) (Sulpice et al.,
           péenne car il est actuellement le seul         calcul spécifique est effectué pour les                                                          2017). La deuxième enquête, réalisée en
           calculable pour l’ensemble des pays            traitements intramammaires, en attri-                                                            2016 auprès de 11 élevages laitiers et 11
           membres (European Medicines Agency,            buant tous ces types de traitements                                                              élevages allaitants, a permis de différen-
           European Surveillance of Veterinary            aux vaches laitières, et en différen-                                                            cier, en plus des types de production,
           Antimicrobial Consumption, 2017).              ciant la période de lactation et le taris-                                                       les voies d’administration (Mlala et al.,
           Mais, de plus en plus, des indicateurs         sement. Il en ressort que le nombre                                                              2018). Il en ressort que la filière bovine
           d’exposition sont utilisés.                    de traitements intramammaires par                                                                laitière est un peu plus consommatrice
                                                          vache laitière est en légère baisse ces                                                          que la filière allaitante pour la voie
              L’ANMV utilise dans son rapport (Anses,
           2017) l’ALEA (« Animal Level of Exposure to
           Antimicrobials ») qui approche le nombre       Figure 2. Évolution du nombre annuel de traitements intramammaires par vache
                                                          laitière depuis 1999 (d’après Anses, 2017).
           de traitements reçus par animal pour une
           période donnée (ici l’année). La quantité                                      2,0
                                                          de traitements/vache laitière

           vendue est divisée par la dose par traite-                                     1,8
           ment (avec la posologie indiquée dans                                          1,6
                                                                 Nombre annuel

           l’autorisation de mise sur le marché et                                        1,4
                                                                                          1,2
           un poids animal fixe par spécialité et par
                                                                                          1,0
           espèce) et par la biomasse de la popula-                                       0,8
           tion animale potentiellement consom-                                           0,6
           matrice. L’ALEA chez les bovins était de                                       0,4
           0,248 en 2016, avec une évolution à la                                         0,2
           baisse ces dernières années (figure 1).                                        0,0
                                                                                                1999
                                                                                                       2000
                                                                                                              2001
                                                                                                                     2002
                                                                                                                            2003
                                                                                                                                   2004
                                                                                                                                          2005
                                                                                                                                                 2006
                                                                                                                                                         2007
                                                                                                                                                                2008
                                                                                                                                                                       2009
                                                                                                                                                                              2010
                                                                                                                                                                                     2011
                                                                                                                                                                                            2012
                                                                                                                                                                                                   2013
                                                                                                                                                                                                          2014

                                                                                                                                                                                                                    2015

                                                                                                                                                                                                                              2016
                                                                                                                                                                                                                 2014/15

             Le calcul des ALEA par famille d’anti-
           biotiques montre une baisse marquée                                                                                      Lactation             Tarissement

           INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 292                                                                                                                                                                                                           04/10/2019 13:04:59
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 293

           Tableau 1. Médiane du nombre annuel de traitements par animal, par type de                        a. Biosécurité
           production, âge des animaux et voie d’administration (d’après Mlala et al., 2018).                La biosécurité consiste à limiter l’in-
                                                                                                          troduction et la diffusion des patho-
                                          Nombre annuel de traitements par animal                         gènes dans et à l’extérieur du troupeau.
               Types                                                                                      La mise en œuvre de la biosécurité par
             d’animaux          Voie                       Voie intra-    Voie intra-
                                            Voie orale                                      Total         les éleveurs bovins est en lien avec
                             injectable                    mammaire        utérine
                                                                                                          leurs représentations de l’importance
                                                                                                          de ces mesures pour préserver leur
            Allaitants
                                                                                                          cheptel (Frappat et al., 2012 ; Sarrazin
                                                                                                          et al., 2014) qui sont différentes de
                Adultes         0,200             0           0,023          0,019          0,512
                                                                                                          celles des autres productions (Laanen
                                                                                                          et al., 2014). Des enquêtes conduites
                Jeunes          0,109          0,045            –              –            0,167
                                                                                                          par Idele en 2014 (Mounaix et al., 2015)
                                                                                                          auprès des éleveurs bovins ont en effet
            Laitiers
                                                                                                          montré que les éleveurs connaissent
                Adultes         0,333             0           2,600          0,029          2,933
                                                                                                          de manière générale les mesures de
                                                                                                          biosécurité mais qu’ils appréhendent
                Jeunes          0,105          0,049            –              –            0,216
                                                                                                          mal les risques justifiant leur mise en
                                                                                                          œuvre, que cette dernière est en géné-
                                                                                                          ral limitée dans le temps (abandonnée
                                                                                                          quand une situation sanitaire problé-
           orale, et sans surprise beaucoup plus           filière. Pour contribuer à la pérennisation    matique redevient normale) et qu’elle
           consommatrice pour la voie intramam-            de cet observatoire, le développement          se heurte souvent à des freins liés aux
           maire (tableau 1).                              d’un carnet sanitaire informatisé permet-      habitudes de travail, aux équipements
                                                           tant la centralisation de l’information est    et bâtiments. Sur ce sujet, les éleveurs
              La production de veaux de boucherie,         en cours.                                      ont aussi déclaré être plus en attente de
           de par ses spécificités et notamment                                                           retours d’expériences d’autres éleveurs
           le mélange de jeunes veaux d’origines             D’autres démarches sont en réflexion         que des conseils prodigués par leur
           diverses lors de l’allotement, est une          dans les filières bovines afin de consti-      vétérinaire ou d’autres intervenants en
           production pour laquelle l’usage d’an-          tuer des observatoires de l’usage des          élevage. Pour progresser sur ce sujet, il
           tibiotiques est plus important. Dans les        antibiotiques.                                 est donc apparu nécessaire de faire évo-
           rapports Anses de suivi des ventes de                                                          luer les représentations des éleveurs en
           médicaments vétérinaires contenant des                                                         matière de biosécurité et de rechercher
           antibiotiques, un focus sur cette produc-
                                                           2. Leviers techniques                          avec eux des voies d’amélioration pour
           tion a été fait pendant quelques années,        pour un usage                                  sa mise en œuvre. Ce travail est en cours
           et le nombre de traitements oraux par           ciblé et raisonné                              dans le projet Co’innobios, dans le cadre
           veau a été estimé pour les données              des antibiotiques                              du plan EcoAntibio. Il s’appuie sur des
           2009 à 2013. Ce nombre de traitements                                                          collectifs d’éleveurs bovins viande et
           était passé de 6,0 en 2009 à 4,2 en 2013                                                       donne déjà des résultats positifs : une
           (Anses, 2014b). Une enquête ponctuelle             Trois approches complémentaires             perception améliorée et partagée de
           réalisée en 2014 a estimé le nombre de          sont mises en œuvre pour réduire               la biosécurité, et des outils d’auto-éva-
           traitements par veau à 8,5 en moyenne,          l’usage des antibiotiques et limiter           luation co-élaborés par les éleveurs et
           mais la méthodologie était très différente      l’émergence de résistances aux antibio-        qu’ils souhaitent partager pour favoriser
           puisqu’il s’agissait d’une estimation à par-    tiques : i) la prévention de l’apparition et   la sensibilisation du plus grand nombre
           tir des prescriptions d’antibiotiques et        de la dissémination des maladies, ii) un       d’éleveurs (Mounaix, communication
           des dates de traitements indiquées dans         usage plus raisonné des antibiotiques,         personnelle).
           le registre d’élevage, et pas à partir des      et iii) l’utilisation de médicaments
           ventes des fabricants (Jarrige et al., 2017).   alternatifs aux antibiotiques.                   b. Pratiques d’élevage
           À la suite de cette enquête ponctuelle,                                                          Renforcer voire faire évoluer certaines
           un observatoire de l’usage des anti-            „ 2.1. Prévention sanitaire                    pratiques est une condition nécessaire
           biotiques dans la filière (Chanteperdrix        et zootechnique                                à un moindre usage des antibiotiques.
           et al., 2016b) a été mis en place. En effet,
           plus qu’un chiffre ponctuel qui est diffi-        Certaines pratiques et conditions               Dans la filière laitière, la maîtrise des
           cilement comparable à d’autres du fait          d’élevage, certains modes de conduite          infections mammaires reste une ques-
           de méthodes de calcul différentes, c’est        peuvent exposer les animaux à des              tion cruciale. Afin de renforcer la préven-
           l’évolution de l’indicateur choisi qui a        agents infectieux et les rendre plus sus-      tion et ainsi réduire la prévalence des
           du sens. Les premiers résultats issus de        ceptibles de développer une maladie.           mammites en élevage laitier, l’interpro-
           cet observatoire semblent indiquer une          Pour réduire ce risque plusieurs axes de       fession laitière a lancé dès 2013 un pro-
           baisse importante de l’usage dans la            progrès existent. En voici quelques-uns.       gramme national de communication et

                                                                                                           INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 293                                                                                                                              04/10/2019 13:05:00
294 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT

           d’accompagnement des éleveurs et de          Figure 3. Représentation du déficit de protection immunitaire acquise dans le
           leurs conseillers, dénommé « les mam-        premier mois de vie des veaux (d’après Hulbert et Moisà, 2016).
           mites, j’anticipe ». Cette communication
           a porté ses fruits puisque depuis 2014,
           on observe une réduction notable de
           la moyenne nationale des concentra-
           tions en cellules somatiques des laits
           produit par les troupeaux laitiers fran-
           çais : la moyenne nationale a diminué
           de 30 000 cellules/mL de lait entre
           2014 et 2017 (Roussel et Ballot, 2017,
           communication personnelle2).

              Le veau, futur adulte en devenir, doit
           aussi faire l’objet d’une attention parti-
           culière. En effet, il a un système immu-
           nitaire fonctionnel à la naissance, mais     les filières broutards/taurillons (projet     critères liés à la santé (concentrations
           du fait d’un placenta empêchant le           WelHbeef financé par l’Institut Carnot        en cellules somatiques dans le lait,
           passage des anticorps maternels vers le      France Futur Élevage, projet Sant’Innov       mammites cliniques) ou en lien avec
           fœtus, il naît agammaglobulinémique. Il      financé par le programme PSDR 43 du           la santé (aplombs, conformation de la
           lui faudra quelques jours pour dévelop-      Grand-Ouest) et veaux de boucherie.           mamelle et longévité).
           per une immunité adaptative acquise ;
           il est donc indispensable qu’il boive           c. Bâtiments d’élevage                       Chez les vaches laitières, un index
           dans les premières heures suivant sa            La conception et l’entretien des bâti-     cellules est disponible depuis 1997.
           naissance une quantité suffisante d’un       ments d’élevage sont des éléments             Un index mammite clinique a été
           colostrum de qualité pour ingérer les        clefs de la prévention des maladies.          mis en place en 2010. Combiné à l’in-
           immunoglobulines d’origine maternelle        Ils font partie des facteurs de risque        dex cellules, il constitue aujourd’hui
           et acquérir une immunité adaptative          majeurs des maladies d’élevage. Les           un index « santé de la mamelle » qui
           dite passive (Hulbert et Moisà, 2016)        points clefs sont divers et leur impor-       représente respectivement 16, 18 et
           (figure 3). Cette phase est souvent un       tance varie selon les maladies. Parmi         14,5 % des objectifs de sélection des
           point critique dans les exploitations        eux cependant on peut citer la qualité        races Normande, Prim’Holstein et
           laitières, d’où l’importance de commu-       générale de l’ambiance (humidité, tem-        Montbéliarde (Minery, 2016 ; Institut
           niquer sur la bonne préparation des          pérature, ventilation et renouvellement       de l’Élevage, 2018).
           vaches au vêlage garante d’un colos-         de l’air), les surfaces disponibles et leur
           trum de qualité, et sur la surveillance      entretien, la nature des sols, l’existence      L’outil génomique vise à prédire la
           et les soins à apporter au veau nourris-     d’espaces dédiés à certaines situations       valeur génétique d’un animal à l’aide
           son. Une nouvelle campagne de sensi-         (zone de vêlage, infirmerie, logement         d’un test réalisé grâce à une puce ADN
           bilisation des éleveurs sur ce sujet est     des vaches taries…). Au démarrage du          contenant plusieurs dizaines de milliers
           en cours de préparation, orchestrée par      plan EcoAntibio 2017, le constat a été        de marqueurs. Cette révolution permet
           l’interprofession laitière.                  fait par l’ensemble des acteurs que le        d’accélérer le progrès génétique et de
                                                        bâtiment restait un point critique dans       prendre en compte de nouveaux cri-
             Certaines pratiques, situations ou         la maîtrise de la santé animale. Pour         tères parmi lesquels la résistance aux
           certains environnements (manipula-           progresser dans la prise de conscience        maladies. Parmi les travaux qui ont
           tions, transport, réallotements, chan-       par les différents acteurs des liens entre    permis de progresser dans ce domaine
           gements alimentaires, vêlage, stress         bâtiment et santé, un travail d’explicita-    on peut citer le projet Parabov (Blériot
           thermique…) peuvent générer du               tion, de formalisation et de diffusion a      et al., 2013) initié en 2011 qui a permis
           stress, impactant les défenses immu-         été entrepris. Il a réuni des experts bâti-   de définir un référentiel pour la collecte
           nitaires de l’animal, et le rendant ainsi    ments et des vétérinaires et a abouti à       de données de lésions du pied des
           plus fragile aux infections (Hulbert         des brochures techniques largement            bovins, enregistrées lors du parage. Ce
           et Moisá, 2016). Des travaux sont en         diffusées.                                    travail a été suivi de différents travaux,
           cours pour voir dans quelle mesure il                                                      dont ceux soutenus par Apis-Gène (pro-
           est possible de faire évoluer certaines        d. Sélection génétique                      gramme POD²), visant à développer la
           pratiques pour minimiser le stress ou          Les objectifs de sélection intègrent,       collecte en routine des données de
           le répartir différemment sur la durée.       au-delà des critères de production,           parage des pieds des bovins laitiers, en
           Ces travaux concernent en particuliers       conformation et reproduction, certains        vue d’une évaluation génétique. Le pro-
                                                                                                      jet GénoSanté démarré en 2015 a quant
                                                        3 PSDR 4 http://www.psdr.fr/PSDR.php?categ=
                                                                                                      à lui pour objectif global de produire
           2 https://les-mammites-j-anticipe.com/       103&lg=FR&PHPSESSID=ogt0trdj1tq31se88748f9    des outils de sélection et de conseil
           informations/observatoire-des-cellules/      12e7#ancre415                                 pour améliorer la santé productive des

           INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 294                                                                                                                        04/10/2019 13:05:00
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 295

           vaches laitières. Les premiers résultats      considérées (bronchopneumonies                cette qualité. Compte tenu de ces avis,
           ont abouti en 2016 à un index relatif         infectieuses enzootiques, BVD, gas-           le prix plancher de broutards vaccinés
           à l’acétonémie (maladie métabolique)          troentérites néonatales et entérotoxé-        s’est avéré compliqué à estimer et très
           pour les races Normande, Prim’Holstein        mies), mais qu’une forte proportion           variable (Mounaix, communication per-
           et Pie Rouge (Barbat-Leterrier et al.,        d’éleveurs serait prête à l’envisager. Elle   sonnelle). Des travaux complémentaires
           2016) et depuis fin 2017 à deux nou-          a aussi mis en évidence le rôle prépon-       ont été réalisés pour analyser les effets
           veaux index de résistance aux boite-          dérant du vétérinaire dans la décision        comparés de différentes modalités de
           ries (un index de résistance aux lésions      de mise en œuvre des plans de prophy-         vaccination (Mounaix et al., 2018).
           infectieuses et un de résistance aux          laxie vaccinale (Deleu, 2015). À l’issue
           lésions non infectieuses) pour les races      de ce travail, une campagne de com-           „ 2.2. Usage raisonné
           Prim’Holstein et Pie Rouge4.                  munication a été mise en place par le         des antibiotiques
                                                         Ministère de l’agriculture pour promou-
              e. Vaccination                             voir la vaccination en élevage bovin : la        a. Évolution des prescriptions
              La vaccination contre certaines mala-      campagne Vaccin’acteur.                          Une vaste réflexion et des actions
           dies peut avoir un rôle dans la réduc-                                                      pour préserver l’efficacité des anti-
           tion de l’usage des antibiotiques. Des           Au-delà de ces enquêtes globales,          biotiques ont été conduites dans le
           maladies virales sont aussi concernées,       des travaux plus ciblés ont été conduits      cadre des recommandations de l’Anses
           car la prévention de ces maladies évite       par Idele en partenariat avec ONIRIS          (Anses, 2014a) et du plan EcoAntibio.
           des surinfections bactériennes qui            sur la vaccination des broutards pour         Recommandations et mesures des
           doivent être traitées avec des antibio-       prévenir les maladies respiratoires des       plans convergent vers une limitation
           tiques. Dans le cadre du plan EcoAntibio      taurillons. Ces travaux, réalisés dans        des usages au strict nécessaire et vers
           2017, le Syndicat de l’Industrie du           le cadre du plan EcoAntibio, visaient         l’abandon de pratiques à risque pour
           Médicament Vétérinaire (SIMV) a mené          à répondre aux questionnements de             l’émergence et la sélection de méca-
           deux études visant à identifier les freins    groupements de producteurs ou de              nismes de résistance. Pour atteindre les
           à la vaccination en élevage bovin, et le      coopératives agricoles qui ont entrepris      objectifs du plan EcoAntibio 2017, plu-
           rôle du vétérinaire dans la décision de       des actions pour promouvoir la vaccina-       sieurs mesures ont été déployées, avec
           vacciner (Deleu, 2015).                       tion des broutards. Les objectifs étaient     des objectifs quantitatifs de réduction
                                                         d’identifier les déterminants sociaux et      d’usage des antibiotiques et des objec-
              La décision de mettre en place la          économiques de cette vaccination. Les         tifs qualitatifs de parcimonie d’usage
           vaccination est souvent prise suite à         enquêtes conduites auprès des éleveurs        d’antibiotiques d’importance critique.
           un épisode infectieux avec un impact          naisseurs et/ou engraisseurs de brou-         Parmi celles-ci, les vétérinaires pres-
           sanitaire marquant, par exemple des           tards mettent en évidence une bonne           cripteurs ont élaboré des recomman-
           pertes d’animaux. Mais la pratique de la      perception générale de la vaccination         dations d’usage des antibiotiques lors
           vaccination est rarement acquise défini-      par les éleveurs et ceci indépendam-          de séances de consensus conduites par
           tivement. Les éleveurs la remettent en        ment du lien avec le vétérinaire. Les         la Société Nationale des Groupements
           cause en permanence en fonction de            modalités pratiques de la vaccination         Techniques Vétérinaires (SNGTV). Ces
           leur perception de l’efficacité, du coût      spécifique des broutards avant leur           recommandations d’usage des antibio-
           et du risque encouru. Plus on s’éloigne       entrée dans les ateliers d’engraissement      tiques ont été déclinées par maladie et
           de l’événement sanitaire déclencheur,         étaient cependant mal connues (plan-          par filière de production animale et ont
           plus la tentation d’interrompre la vac-       ning des injections, pathogènes incri-        fait l’objet d’une supervision de l’Anses
           cination est forte (Deleu, 2015).             minés dans les problèmes respiratoires        (Journal officiel, 2015).
                                                         à l’engraissement…). Plusieurs freins
              Les points positifs attendus de la         à la vaccination des broutards par les          De nombreuses mesures réglemen-
           vaccination sont d’ordre économique           naisseurs ont été identifiés, plutôt rela-    taires sont venues par ailleurs encadrer
           (moins de pertes), psychologique              tifs à l’organisation du travail. Le résul-   les prescriptions et les délivrances des
           (sérénité) et organisationnel (diminu-        tat le plus marquant de l’enquête est         antibiotiques :
           tion des interventions sur les animaux,       l’absence de relation/connexion entre
           planification des interventions…). Les        éleveurs naisseurs de broutards et éle-         i) retrait des antibiotiques de la liste
           freins énoncés relèvent principalement        veurs engraisseurs. Ce manque de tra-         positive pour les groupements agréés
           de l’organisation du chantier de vacci-       çabilité constitue un frein important au      d’éleveurs5 ;
           nation, du temps passé et du respect          développement de la vaccination des
           des protocoles vaccinaux et d’hygiène.        broutards chez le naisseur (Mounaix
           L’étude a montré que 31 % des éle-            et al., 2018).
           veurs de bovins disent ne jamais vac-
           ciner leurs bovins contre les 4 maladies        Les personnes enquêtées (nais-
                                                         seurs ou engraisseurs) souhaitaient en
                                                                                                       5 Arrêté du 19 décembre 2014 modifiant l’arrêté
                                                         majorité une valorisation de la qualité       du 28 juin 2011 fixant la liste des médicaments
           4 https://www.evolution-xy.fr/fr/actualite/   globale des broutards et ils plaçaient        vétérinaires prévue au deuxième alinéa de l’article
           deux-nouveaux-index-sante-pied                la vaccination parmi les éléments de          L. 5143-6 du code de la santé publique.

                                                                                                        INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 295                                                                                                                                 04/10/2019 13:05:00
296 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT

             ii) guide réglementaire de bonnes                    Le traitement sélectif consiste à dis-             sont considérées comme infectées, et
           pratiques d’emploi des antibiotiques6 ;             criminer les vaches qui nécessitent un                reçoivent un traitement antibiotique.
                                                               traitement antibiotique seul ou avec un               Ce traitement antibiotique n’est pas
             iii) restriction des conditions de pres-          obturateur, des vaches pour lesquelles                suffisant pour prévenir les nouvelles
           cription des antibiotiques critiques7.              un obturateur est indiqué pour prévenir               infections pendant la période sèche ;
                                                               les infections pendant le tarissement et              elles peuvent recevoir en plus un obtu-
              Suite à la découverte de gènes de                des vaches pour lesquelles aucun traite-              rateur s’il existe un risque pendant la
           résistance à la colistine portés par                ment n’est requis. Cette stratégie impose             période sèche. Les critères décision-
           des plasmides et aux avis de l’EMA                  un processus de sélection des vaches                  nels pour le traitement sélectif sont
           (« European Medicines Agency ») et de               basé sur leur statut infectieux et sur les            résumés dans le tableau 2.
           l’Anses, des mesures de restriction                 risques de nouvelles infections inhérents
           d’usage de cette molécule ont été                   à l’animal et/ou à la conduite d’élevage.                La stratégie de traitement sélectif fait
           ajoutées :                                                                                                actuellement l’objet d’une promotion
                                                                  L’élaboration de cette stratégie a fait            (Roussel et al., 2016) ; elle requiert un
              i) arrêt des traitements préventifs uti-         l’objet d’études conduites par ONIRIS                 engagement des éleveurs et de leurs
           lisant la colistine et limitation des traite-       en partenariat avec Idele (Roussel et al.,            vétérinaires. Les éleveurs ont besoin
           ments à 7 jours ;                                   2006). Les vaches saines, i.e. celles dont            d’être rassurés, motivés et informés
                                                               le CCI (comptage cellulaire individuel)               pour sélectionner les vaches éligibles à
              ii) retrait des autorisations de mise sur        dans le mois précédant le tarissement                 l’une ou l’autre modalité de traitement.
           le marché (AMM) nationales des asso-                est inférieur à 100 000 cellules/mL de                Ce travail est fait lors de l’établissement
           ciations d’antibiotiques contenant de               lait, peuvent ne recevoir qu’un obtura-               du protocole de soin annuel avec le
           la colistine ;                                      teur, sous réserve qu’elles n’aient pas               vétérinaire traitant, après évaluation
                                                               été affectées par une mammite durant                  du statut épidémiologique du troupeau
              iii) recommandation de l’EMA de                  ce même mois. À condition qu’elles                    au regard des affections mammaires.
           fixer pays par pays des objectifs natio-            ne soient pas exposées à un risque                    L’expérience montre qu’un accompa-
           naux à ne pas dépasser d’ici 3 à 4 ans, à           particulier de nouvelles infections                   gnement en continu des éleveurs pour
           savoir pour la France ne pas dépasser le            pendant la période sèche, les vaches                  statuer au fur et à mesure sur les trai-
           seuil de 5 mg/kg de biomasse ;                      saines pourraient ne recevoir aucun                   tements à administrer à chaque vache
                                                               traitement. Les vaches dont les CCI sont              est un gage de réussite. Des outils pour
             iv) exigence de réduction de 50 % des             supérieurs à 100 000 cellules/mL de lait,             aider les éleveurs dans le choix des
           usages de colistine sur 5 ans inscrite
           dans le plan EcoAntibio 2.
                                                               Tableau 2. Tableau décisionnel pour le choix d’une stratégie de traitement au
                                                               tarissement (Roussel et al., 2016).
             b. Traitement sélectif
                 au tarissement
             Le traitement antibiotique systéma-                          Facteurs de risque par vache(1)                        Autres facteurs de risque(2)
           tique des vaches au tarissement était
                                                                                       Mammite                 Plus de
           un des points des plans de maîtrise des                                                                                                     Au moins
                                                                                    clinique dans             2 facteurs        Pas de risque
           infections mammaires dans les années                                                                                                        un risque
                                                                                 les 3 derniers mois          de risque
           1970 pour guérir les vaches infectées et
           prévenir les nouvelles infections pen-                                          OUI                                         Atb             Atb + Obt
           dant la période sèche. Dans les années
           2000 les obturateurs de trayons ont fait                Vache
                                                                                          NON                    NON             Rien ou Obt               Obt
           leur apparition dans l’objectif de préve-              « saine »
           nir les nouvelles infections pendant le                                                                OUI                 Obt                  Obt
           tarissement. Actuellement un traite-
           ment sélectif est préconisé pour éviter                                                               NON                   Atb             Atb + Obt
           un usage inutile d’antibiotique (SNGTV,                 Vache
                                                                « infectée »
           2013 ; Journal officiel, 2015).                                                                        OUI              Atb + Obt           Atb + Obt

                                                               Atb : Traitement antibiotique au tarissement.
                                                               Obt : Mise en place d’un obturateur au tarissement.
           6 Arrêté du 22 juillet 2015 relatif aux bonnes      Vaches saines : celles dont le comptage cellulaire individuel dans le mois précédant le tarissement est
           pratiques d’emploi des médicaments contenant        inférieur à 100 000 cellules/mL de lait (Vaches infectées : CCI supérieur à 100 000 cellules/mL de lait).
           une ou plusieurs substances antibiotiques en        (1) Les facteurs de risque vache : numéro de lactation, position du plancher de la mamelle par rapport
           médecine vétérinaire.                               au jarret, présence gerçures, blessures ou lésions au niveau du trayon, longueur du trayon, perte de lait
           7 Décret n° 2016-317 du 16 mars 2016 relatif à la   avant vêlages, perte de lait après tarissement.
           prescription et à la délivrance des médicaments     (2) Les facteurs de risque diffèrent si les animaux sont en bâtiment ou au pâturage. Ils sont moindres
           utilisés en médecine vétérinaire contenant une ou   au pâturage. Au pâturage : état des zones de couchage, introduction ou non des vaches taries dans le
           plusieurs substances antibiotiques d’importance     troupeau en production avant le vêlage ; en bâtiment : surface de couchage, entretien et hygiène du
           critique.                                           logement, ventilation du bâtiment, surface des aires d’exercice.

           INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 296                                                                                                                                               04/10/2019 13:05:01
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 297

           vaches à traiter sont disponibles8, ou          des modes d’action pharmacologiques            alternatifs en substitution partielle ou
           en cours de développement.                      vis-à-vis des bactéries ou de l’animal         totale des antibiotiques utilisés lors de
                                                           infecté, en prévention ou en traitement        la métaphylaxie précoce des veaux de
              c. Traitement des boiteries                  des maladies d’étiologie bactérienne           boucherie, approche consistant à trai-
              Dans son rapport de 2014, l’Anses fai-       (Ducrot et al., 2017). Sur les bactéries,      ter un lot entier dès lors qu’un certain
           sait état d’un recours aux traitements          l’activité peut être antibactérienne ou        nombre d’animaux du lot sont clini-
           antibiotiques souvent non justifié dans         réduire la virulence des bactéries en          quement atteints. Parmi les produits
           le traitement des affections podales. Or,       perturbant, par exemple, la communi-           testés on trouve de l’acide citrique,
           la quasi-totalité d’entre elles ne néces-       cation bactérienne (« quorum sensing »)        du tryptophane, des probiotiques
           sitent pas de traitement antibiotique.          ou la formation de biofilm. Sur l’animal,      (microorganismes vivants ajoutés à la
           Dans la majorité des cas, un parage             les propriétés des plantes peuvent être        ration pour conférer un bénéfice en
           curatif associé ou non à la mise en place       anti-inflammatoires, immuno-modula-            matière de santé) et des prébiotiques
           d’une talonnette est suffisant. Une             trices ou physiologiques, réduisant les        (substances alimentaires ajoutées
           seule exception, le panaris, nécessite          signes cliniques de l’infection tout en        pour promouvoir de façon sélective la
           un traitement antibiotique par voie             aidant aux processus de guérison.              croissance de certaines bactéries de
           générale (Guattéo et al., 2010 ; Journal                                                       type probiotique ou l’activité du micro-
           officiel, 2015). Un traitement local anti-         En filière bovin lait, Joly et al. (2016)   bisme intestinal). Ces travaux conduits
           septique ou antibiotique peut aussi             et Hellec et Manoli (2018) ont montré          en station expérimentale ont permis de
           être nécessaire pour certaines lésions          qu’une partie des éleveurs qui sou-            mettre en évidence des résultats zoo-
           de la maladie de Mortellaro. Pour sen-          haitent réduire l’utilisation d’antibio-       techniques globalement satisfaisants
           sibiliser les éleveurs, une campagne de         tiques se tournent vers les formations         mais des résultats sanitaires contrastés,
           communication a été conduite dans le            sur les approches alternatives pour la         des coûts vétérinaires détériorés et des
           cadre du plan EcoAntibio, 2017 ; elle           santé animale, ou s’appuient sur des           conditions de travail non transposables
           conseille d’établir un diagnostic pré-          communautés de pratiques entre éle-            en élevage commercial (Chanteperdrix
           cis des lésions à l’origine de la boiterie      veurs. Sont notamment discutées et             et al., 2016a). En complément et pour
           avant tout traitement antibiotique.             partagées des pratiques basées sur             répondre aux attentes des éleveurs, un
                                                           l’utilisation d’alternatives aux anti-         travail visant à élaborer un guide d’aide
             d. Démarche de filière                        biotiques telles que phytothérapie ou          à la décision sur l’utilisation des subs-
                pour les veaux de boucherie                homéopathie (dont le principe est de           tances alternatives aux antibiotiques
             Dès 2015, Interbev veaux a lancé une          soigner un patient en diluant très for-        dans la filière veau de boucherie est en
           campagne de sensibilisation qui s’est           tement des substances qui, données             cours de réalisation. Ce travail sera basé
           matérialisée par une charte interpro-           à dose supérieure, provoqueraient              sur un recensement des substances d’in-
           fessionnelle de bonne maîtrise sanitaire        des symptômes similaires à ceux du             térêt et sur une évaluation des publica-
           et de bon usage des traitements médi-           patient). Les études qualitatives réali-       tions existantes basée sur la méthode
           camenteux en production de veaux de             sées sur le terrain montrent l’engoue-         proposée par l’Anses (Anses, 2018).
           boucherie. Elle implique l’ensemble des         ment de certains types d’éleveurs pour
           acteurs de la filière que ce soient les         des thérapeutiques à base de plantes ;            Concernant les broutards, des essais
           vétérinaires, les éleveurs, les entreprises     c’est notamment le cas de ceux qui             visant à tester l’efficacité des phéro-
           d’intégration, les organisations de pro-        ont obligation de réduire l’usage d’an-        mones apaisantes sur les troubles
           ducteurs et les techniciens intervenant         tibiotiques par le cahier des charges          respiratoires des jeunes bovins à l’en-
           en élevage.                                     auquel ils adhèrent, particulièrement          graissement viennent de se terminer. Ils
                                                           en agriculture biologique ou dans le           indiquent un effet positif de la réduc-
           „ 2.3. Traitements alternatifs                  cas de certaines Appellations d’Ori-           tion du stress en matière de comporte-
                                                           gine Contrôlée (Poizat et al., 2017). Les      ment et de santé. Un effet des apaisines
             Afin de limiter l’usage d’antibio-            mêmes études montrent en revanche              a été observé sur l’expression des com-
           tiques en cas de maladie ou de situa-           la réserve des conseillers agricoles et        portements de déplacement, interpré-
           tion à risque, une alternative est de           vétérinaires face à l’utilisation de ces       tés comme exploratoires, mais aussi sur
           se tourner vers d’autres molécules ou           thérapeutiques alternatives (Poizat            l’immunité et les signes cliniques des
           produits. Les observations de terrain           et al., 2017), qui tient au manque de          troubles respiratoires. Cependant, ces
           (Joly et al., 2016 ; Poizat et al., 2017)       preuves scientifiques disponibles quant        effets restent peu perceptibles pour les
           montrent un intérêt pour la phytothéra-         à leur efficacité, à l’absence de données      éleveurs (Guiadeur et al., 2018).
           pie, qui désigne l’utilisation des plantes      sur les résidus, les délais d’attente et la
           à des fins thérapeutiques. Les plantes          toxicité potentielle des produits pour            Les travaux d’ores et déjà conduits en
           contiennent en effet un très grand              le consommateur, et au flou réglemen-          élevage sur l’efficacité des huiles essen-
           nombre de molécules pouvant avoir               taire (Ducrot et al., 2017).                   tielles pour la maîtrise des infections
                                                                                                          mammaires (Le Guenic et al., 2015 ;
                                                             Dans la filière veau de boucherie, des       Anses, 2018), n’ont pas encore abouti
           8 http://idele.fr/services/outils/traitement-   essais ont été conduits depuis 2012. Ils       à des résultats probants mais d’autres
           selectif-au-tarissement.html                    ont permis d’évaluer certains produits         travaux sont actuellement en cours.

                                                                                                           INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 297                                                                                                                            04/10/2019 13:05:01
298 / VALÉRIE DAVID, FLORENCE BEAUGRAND, ÉMILIE GAY, JACqUELINE BASTIEN, ChRISTIAN DUCROT

              Un rapport récent de l’Anses (Anses,       pour les animaux producteurs de den-           gradation d’une utilisation systématique
           2018) recense les substances et prépa-        rées, les substances thérapeutiques            d’antibiotiques à une reconfiguration
           rations commerciales qui sont revendi-        entrant dans la préparation doivent            complète vers un système d’exploitation
           quées, comme étant une solution pour          disposer d’une LMR (Limite Maximale            sans antibiotiques (Bluhm et Cholton,
           limiter l’usage des antibiotiques chez        de Résidus). Enfin, le produit à base          2016). On retrouve ces profils dans les tra-
           les animaux dans différentes filières de      de plantes peut aussi être considéré           jectoires d’une cinquantaine d’éleveurs
           productions animales. Les préparations        dans certains cas comme un additif à           décrits dans les projets de recherche
           commerciales les plus fréquemment             l’alimentation animale, avec un effet          TRAJ et RedAB financés respectivement
           citées contiennent majoritairement            positif sur la production, le rendement        par le métaprogramme Gestion intégrée
           des plantes, des huiles essentielles, des     ou le bien-être, en influençant la flore       de la santé des animaux de l’INRA et le
           probiotiques, des acides organiques           gastro-intestinale ou la digestibilité des     programme CasDAR (Bonnet-Beaugrand
           et des acides gras. Le rapport souligne       aliments pour animaux (fonctions défi-         et al., 2016). L’intérêt de la typologie des
           l’hétérogénéité des données dispo-            nies par le règlement européen (direc-         trajectoires (tableau 3) est d’associer les
           nibles pour en évaluer l’innocuité et         tive 2009/767/CE)). La réglementation          motivations des éleveurs et leurs modes
           l’efficacité, et la nécessité de travaux      en matière d’alimentation animale doit         d’apprentissage.
           approfondis pour lever les incertitudes       alors être respectée.
           sur leur efficacité et leur innocuité.                                                         En France, si le suivi des ventes de
           L’Anses recommande également de                                                              médicaments vétérinaires contenant
           porter la question du statut juridique de
                                                         3. Appui                                       des antibiotiques par l’Anses est publié
           ces produits au niveau européen dans          et accompagnement                              chaque année, il n’existe pas de réfé-
           le cadre du plan de lutte contre la résis-    pour le changement                             rences individuelles d’usage des anti-
           tance aux antibiotiques, afin que soient      de pratiques                                   biotiques qui permettraient aux éleveurs
           étudiées la pertinence et la faisabilité de                                                  de se situer, comme cela peut être le cas
           créer un statut spécifique pour les pro-                                                     dans d’autres pays européens (aux Pays
           duits induisant la réduction de l’usage
                                                         „ 3.1. Diversité                               Bas, en Belgique, au Danemark ou en
           des antibiotiques, sans les considérer
                                                         de motivations                                 Allemagne) (EMA et EFSA, 2016).
           comme des médicaments vétérinaires.              Confrontés à des injonctions sociales
                                                         ou réglementaires, les éleveurs sont sus-         Les motivations des éleveurs à réduire
              a. Réglementation                          ceptibles d’adopter différentes attitudes      leur usage ne reposent donc pas sur
              Il y a en effet consensus sur la néces-    face à l’utilisation d’antibiotiques (Ducrot   des normes techniques, mais sont
           sité d’adapter le cadre réglementaire         et al., 2018). Dans une étude menée dans       intrinsèques. Elles peuvent reposer
           pour les produits à base de plantes           les exploitations de lycées agricoles, a       sur une recherche d’efficience accrue,
           (Ducrot et al., 2017). Compte tenu de la      priori sensibilisées car participant à l’en-   mais aussi sur la réponse à l’injonction
           définition juridique actuelle du médi-        seignement et se devant d’être au fait des     sociale de réduire l’usage des antibio-
           cament vétérinaire (directive 2001/82/        préoccupations scientifiques et socié-         tiques, voire s’inscrire dans un souhait
           CE, Code de la Santé Publique article         tales, on observe quatre profils types         de conversion de l’élevage à des pra-
           L 5141-2), dès lors que le produit reven-     d’utilisation d’antibiotiques, avec une        tiques plus écologiques (Hill et Mac Rae,
           dique des indications de prévention et
           de traitement des maladies infectieuses
                                                         Tableau 3. Différents types de trajectoires de changement dans l’usage des anti-
           avec une présentation destinée à une          biotiques, en fonction du déclencheur, des références recherchées et du mode
           administration à l’animal, il relève du       d’usage des antibiotiques (d’après Bluhm et Cholton, 2016 ; Bonnet-Beaugrand
           statut de médicament vétérinaire et           et al., 2016).
           doit se conformer à cette réglementa-
           tion et suivre le processus d’évaluation             Trajectoire              Mode d’usage
           conduisant à une Autorisation de Mise                                                                Déclencheur        Références
                                                              de changement             des antibiotiques
           sur le Marché (AMM). Très peu de ces
           produits ont actuellement cette AMM.                                                                                      Diverses
                                                          Sans réduction d’usage          Systématiques             Aucun
                                                                                                                                    références
             Dans le cadre de la cascade (article
           L 5143-4 du Code de la Santé Publique)                                     À certaines conditions
                                                                Substitution                                       Volonté
           qui détermine les conditions de pres-                                                                                   Formations
                                                              aux antibiotiques                                   de réduire
           cription en l’absence de médicament                                           Avec alternatives
           vétérinaire approprié autorisé, le
           vétérinaire peut également prescrire                                                                   Recherche
                                                          Recherche d’efficience        Diverses pratiques      d’efficience ou Conseil expert
           une préparation magistrale à base de                                                                    problème
           drogues végétales et produits dérivés,
           qui sera fabriquée dans le respect de             Reconfiguration du         Peu d’antibiotiques                         Échanges
           bonnes pratiques réglementaires de                                                                     Innovation
                                                             système d’élevage             nécessaires                            avec les pairs
           préparation extemporanée. Toutefois

           INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

15_Ducrot.indd 298                                                                                                                            04/10/2019 13:05:01
Évolution de l’usage des antibiotiques en filières bovines : état d’avancement et perspectives / 299

           1995). Ces motivations se heurtent à la       module de formation interne aux GTV          certains faisant valoir une prescription
           façon dont les éleveurs appréhendent          et module, élaboré conjointement par         plus importante des spécialités à forte
           le risque associé à la diminution d’usage     la SNGTV et l’administration vétérinaire,    marge (Kim, 2015 ; Boblin, 2016) et
           des antibiotiques. En effet, ces derniers     déployé dans le cadre de la formation        d’autres montrant que l’amélioration
           constituent une solution économique-          continue au mandat sanitaire. Enfin,         de cette même marge n’a pas d’impact
           ment efficace d’assurance contre l’ap-        un réseau expérimental de référents          sur la prescription (Montesinos, 2016 ;
           parition d’un dommage lié à la maladie        antibiotiques mis en place récemment         Serrand, 2016). Dans certains pays
           (Lhermie et al., 2015).                       permet aux vétérinaires praticiens d’in-     européens, il est établi un benchmar-
                                                         terroger des référents sur des stratégies    king entre les pratiques des vétérinaires
           „ 3.2. Conseil                                de diagnostic et/ou de traitements et        pour guider l’évolution des prescrip-
           et accompagnement                             d’avoir accès à une base documentaire        tions (Pays-Bas, Belgique, Suisse),
           par les professionnels                        et à des questions récurrentes sur un site   chaque vétérinaire voyant son niveau
           de santé animale                              dédié.                                       de prescription comparé à celui de ses
                                                                                                      collègues. Quoi qu’il en soit, le débat
              Pour une partie des éleveurs, l’accom-       Cependant, la disponibilité accrue des     renforce la mutation du rôle du vétéri-
           pagnement par les conseillers en santé        informations via les nouvelles technolo-     naire de la prescription vers le conseil
           animale (vétérinaire, Groupement de           gies de l’information et la complexité du    de long terme davantage fondé sur une
           Défense Sanitaire (GDS), technicien)          changement de pratiques – tant dans la       approche globale de la santé.
           demeure un point clef dans l’applica-         décision que dans la mise en œuvre –
           tion de nouvelles pratiques. Soit les         amènent une redéfinition du rôle des         „ 3.3. Accompagnement
           éleveurs restent dans une situation           conseillers en élevage, qui dépasse          collectif : formation
           classique, et l’appui de leur conseiller      leur rôle usuel d’experts. Leur position-    et groupes de pairs
           leur permet d’explorer de nouvelles           nement évolue ; le vétérinaire et les
           pratiques en confortant leur confiance        conseillers accompagnent les éleveurs           La relation de conseil n’est pas le
           en eux (Hellec et Manoli, 2018). Soit         dans un changement long, avec une            seul mode d’accompagnement vers
           ils recherchent une efficience maxi-          co-construction des solutions à appor-       la réduction de l’utilisation des anti-
           male en ayant recours à une expertise         ter et une capitalisation des essais-er-     biotiques, et comme déjà évoqué,
           scientifique et des solutions éprouvées       reurs (par exemple Rénier et al., 2018).     nombre d’éleveurs recourent plutôt
           (Bonnet-Beaugrand et al., 2016).                                                           à des formations pour appréhender
                                                            La convergence des visions entre éle-     des alternatives aux antibiotiques. Ils
              La réduction des antibiotiques en          veurs et conseillers a alors un impact       mènent eux-mêmes des expérimenta-
           élevage fait partie intégrante de la for-     sensible sur le changement (Poizat et al.,   tions dans leur exploitation, souvent
           mation des vétérinaires. Ainsi, l’usage       2017). Cependant, cet impact peut aussi      sans protocole de validation très éta-
           raisonné des antibiotiques est un des         bien être un moteur qu’un frein selon        bli ni sans en référer à leurs conseillers
           thèmes majeurs de la formation ini-           que l’éleveur et son conseiller consi-       et vétérinaire usuels (Joly et al., 2016 ;
           tiale des vétérinaires. Le référentiel de     dèrent la réduction d’antibiotiques          Ducrot et al., 2018). Ces essais peuvent
           compétences 2017 stipule ainsi dans           comme un acquis déjà dépassé (modèle         aboutir à un abandon comme à un long
           les compétences attendues : « bonnes          de production moderne), comme un             processus d’apprentissage et de conso-
           pratiques d’administration, notamment         projet sur lequel ils s’engagent (rela-      lidation des nouvelles pratiques.
           l’usage prudent et raisonné des antibio-      tion interventionniste) ou comme une
           tiques et antiparasitaires », à charge pour   contrainte réglementaire externe (rela-         Enfin, une autre partie des éleveurs
           les écoles de développer les modalités        tion autonomiste) (Buller et al., 2015).     s’appuie sur des groupes de pairs pour
           d’enseignement adéquates. En outre,           Dans ce dernier cas, tant les éleveurs       partager des expériences, se former,
           l’antibiothérapie et l’antibiorésistance      que les conseillers perçoivent un trop       élaborer leur décision. Il peut s’agir de
           constituent un des sujets majeurs de for-     grand risque sur les performances de         groupes formels (par exemple menés
           mation continue dispensée par la SNGTV        production pour réduire l’usage des          par une chambre d’agriculture ou un
           pour les vétérinaires exerçant en produc-     antibiotiques (Frappat et al., 2015 ;        centre de partage en agriculture biolo-
           tions animales. De nombreux supports          Duval et al., 2017).                         gique) ou de groupes informels. Parfois,
           ont été et sont mis à disposition via le                                                   ces groupes se constituent sur des
           bulletin des GTV, via les Journées natio-       Pour le vétérinaire, la réduction          forums virtuels (Phillips et al., 2018). Ce
           nales des GTV qui réservent une large         d’usage des antibiotiques pose aussi         mode d’apprentissage repose sur une
           place aux antibiotiques et à leurs effets.    des questions déontologiques, éco-           longue tradition de démonstrations à la
           Ce thème était central dans l’édition         nomiques et régulatrices du fait de          ferme (Burton et al., 2018) ou de forma-
           2010 des journées, un atelier lui est dédié   la coexistence de ses deux missions          tion « au champ » (« farmer field school »,
           chaque année. Un référentiel paru en          de prescription et de délivrance des         Cooreman et al., 2018). Labarthe estime
           2013 pour les traitements des affections      médicaments (Fortané, 2016). Les tra-        que c’est le mode principal de diffusion
           mammaires définit les bonnes pratiques        vaux sont contradictoires sur l’impor-       des pratiques innovantes (Labarthe,
           en la matière. Des modules de formation       tance du conflit d’intérêt qui pourrait      2010). Des expériences prometteuses
           sont régulièrement diffusés en région :       limiter l’implication des vétérinaires,      sur la réduction d’antibiotiques ont

                                                                                                       INRA Productions Animales, 2019, numéro 2

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