Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d'alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives
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Évolution des concepts INRAE Prod. Anim., 2021, 34 (2), 111-126 nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives Jean-Yves DOURMAD, Raphaël GAUTHIER, Charlotte GAILLARD Pegase, INRAE, Institut Agro, 35590 Saint-Gilles, France Courriel : jean-yves.dourmad@inrae.fr Au cours de ces dernières années l’amélioration des performances a été l’un des principaux moteurs de l’évolution des besoins nutritionnels des truies reproductrices. Dans le même temps, de nombreuses connaissances scientifiques ont été produites permettant une approche holistique de l’alimentation. Cette synthèse montre comment ces connaissances peuvent être utilisées pour développer des modèles et des outils d’aide à la décision, et ainsi améliorer les stratégies d’alimentation dans les élevages, pour plus de durabilité1. Introduction truies, ainsi que sur la survie et la crois- truies se sont très fortement accrues, sance des porcelets jusqu’au sevrage. comme illustré au tableau 1 pour les éle- La rentabilité économique des éle- vages français. Les lignées maternelles, vages porcins est largement dépen- Le premier objectif de cette synthèse le plus souvent issues de croisements dante de l’efficacité alimentaire, en est de décrire l’évolution des concepts entre des races Landrace et Large- raison de la contribution prédominante et des approches utilisés au cours de ces White, ont été sélectionnées intensive- de l’alimentation au coût de produc- dernières décennies pour raisonner l’ali- ment sur des critères de performances tion, et des performances de repro- mentation des truies. Le second objectif de reproduction, en particulier leur pro- duction qui conditionnent le nombre est de montrer comment les connais- lificité, et aujourd’hui des lignées hyper- de porcs produits par truie et par an. sances scientifiques sur la nutrition des prolifiques sont utilisées dans la plupart L’optimisation des stratégies d’ali- truies peuvent être mobilisées pour des pays du monde. Certaines lignées mentation des truies nécessite donc développer des modèles et des outils commerciales ont également fait appel de considérer simultanément le coût d’aide à la décision utilisables en pra- à des races très prolifiques d’origine annuel de leur alimentation et leurs per- tique, dans un contexte de disponibilité chinoise, soit en croisement, soit dans formances de reproduction en termes croissante d’informations collectées en le cadre du développement de lignées de nombre de porcelets sevrés par an. temps réel et de développement d’au- synthétiques. L’accroissement de la Les stratégies alimentaires doivent éga- tomates d’alimentation. prolificité (+ 38 % à la naissance entre lement s’adapter continuellement à 1980 et 2016, tableau 1) s’est accom- l’évolution des performances de repro- pagné d’une amélioration légèrement duction des truies, celles-ci ayant forte- 1. Une forte amélioration moindre du nombre de porcelets sevrés ment progressé suite à la sélection de des performances par portée (+ 32 %) alors que le gain de lignées hyperprolifiques. Ceci implique de reproduction poids de portée, un bon indicateur de de prendre en compte les effets à court la production laitière, s’est amélioré de et à long termes de la nutrition sur la Au cours des 40 dernières années, façon plus marquée (+ 55 %). Dans le prolificité, la fertilité et la longévité des les performances de reproduction des même temps, la sélection de ces lignées 1 Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 53es Journées de la Recherche Porcine (Dourmad et al., 2021). https://doi.org/10.20870/productions-animales.2021.34.2.4861 INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
112 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard Tableau 1. Évolution des performances de reproduction des truies dans les élevages français (IFIP, 2017). 2016 Année 1980 1990 2000 Moyenne « top » 10 % « top » 1 % Nombre d’élevages 8 680 4 800 3 745 1 327 132 13 Nombre de truies/élevage 49 82 146 262 393 361 Taille de la portée nés totaux 10,7 11,4 12,8 14,8 15,5 16,8 nés vivants 10,2 10,8 11,9 13,7 14,5 15,6 sevrés 8,9 9,4 10,4 11,8 12,8 13,7 taux de survie, % nés totaux 83,1 82,4 81,2 79,7 82,5 81,5 Croissance de portée, kg/j 1,80 2,05 2,50 2,80 3,00 3,10 Porcelets sevrés/truie/an 20,2 22,2 25,2 29,4 32,7 34,8 Int. sevrage saillie fécondante, j 15,1 11,6 9,1 7,9 6,9 6,8 Nombre de portées à la réforme 4,3 4,6 4,9 5,4 5,3 4,5 sur la vitesse de croissance et la qualité maturité accroît les besoins d’entretien. 50 % de la variabilité entre truies. Ngo des carcasses s’accompagnait d’une Pendant la lactation, l’accroissement de et al. (2012) ont ainsi montré que la réduction de l’adiposité des truies et la production laitière, de près de 70 % production laitière moyenne s’accroît souvent d’un accroissement de leur dans les meilleurs élevages depuis d’environ 0,75 kg/j par porcelet sup- poids vif à maturité (Bidanel et al., 2020). 1980, a entraîné une très forte augmen- plémentaire, alors que la quantité de La réduction des périodes improduc- tation des besoins nutritionnels, alors lait disponible par porcelet diminue, tives, en particulier l’intervalle sevrage que l’appétit des truies a peu évolué et en particulier au-delà de huit porce- saillie fécondante (ISSF), a également est généralement insuffisant pour cou- lets par portée, et de façon plus mar- contribué à l’amélioration des perfor- vrir leurs besoins. quée au-delà de 12. mances. C’est en partie le résultat de l’utilisation de truies croisées depuis Un autre élément important à consi- les années 1980 et de l’effet d’hétérosis dérer dans la définition des besoins 2. Nutrition pour ce critère. La réduction de l’ISSF nutritionnels est la forte variabilité et reproduction, s’est poursuivie ces dernières années, des performances entre élevages. Par importance des réserves ce qui semble indiquer que le fort exemple en 2016 les 10 et 1 % des corporelles accroissement de la prolificité et de élevages les plus performants sèvrent la production laitière n’a pas entraîné respectivement 8 et 16 % de porcelets de détérioration des paramètres de en plus par portée que la moyenne des Chez les mammifères, le processus reproduction après sevrage (retour en élevages. De plus, en raison de la forte de reproduction, depuis la concep- œstrus, fertilité), ni de réduction de la variabilité de plusieurs paramètres tion jusqu’au sevrage peut être consi- longévité, comme cela est observé chez biologiques (prolificité, production lai- déré comme visant à protéger la la vache en réponse à la sélection pour tière, appétit des truies), la variabilité progéniture des stress physiologiques la production de lait (Berry et al., 2016). des performances entre animaux est ou nutritionnels (Oldham, 1991), en Cette évolution des performances a for- également très élevée intra élevage, mettant en œuvres des mécanismes tement affecté les besoins nutritionnels même si elle est en partie compensée d’homéostasie et d’homéorhèse de des truies. Pendant la gestation l’ac- par des pratiques d’élevage comme contrôle de l’utilisation des nutriments croissement de la prolificité influence l’adoption de porcelets (Quiniou et al., (Bauman et Currie, 1980), dans lesquels les besoins pour le développement des 2012). La taille de la portée influence les réserves corporelles jouent un rôle fœtus, en particulier en fin de gestation, fortement la production laitière, important. Les troubles de la repro- alors que l’accroissement du poids à même si elle n’explique qu’environ duction qui conduisent à la baisse INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 113 de la productivité des truies ou à leur eripartum (Dourmad et al., 1994), p sevrage sur leur retour en œstrus et réforme p rématurée ont souvent été plus fréquents chez les truies grasses, leur fertilité (Whittemore, 1980). Plus associés à des variations prononcées et favoriser la consommation d’aliment récemment, les études conduites sur des réserves corporelles (Whittemore pendant la lactation qui suit (Dourmad, des lignées plus productives et plus et al., 1980 ; King, 1987 ; Dourmad et al., 1991). Dans une étude épidémiolo- maigres indiquent que la masse pro- 1994 ; Whittemore, 1996). gique sur l’apparition du syndrome téique au sevrage joue également un de dysgalactie post‐partum (SDPP ou rôle important (King, 1987 ; Quesnel Pendant la gestation, des réserves PDS), Miquet et al. (1990) et Léon et et al., 2005), en particulier chez les suffisantes doivent être constituées Madec (1992) observaient ainsi une jeunes truies. pour atteindre un état corporel satis- occurrence accrue de ces problèmes faisant à la mise bas et prévenir de chez les truies plus lourdes et plus Dans les années 1970-1980 et par- possibles déficits nutritionnels pou- grasses, en particulier celles présen- fois même plus tardivement, de nom- vant survenir au cours de la lacta- tant également des problèmes loco- breux élevages dans différentes régions tion. La motivation alimentaire et moteurs. De même, Göransson (1989) du monde ont connu le syndrome l’appétit des truies gravides sont très et Maes et al. (2004) observaient une de la truie maigre (MacLean, 1968 ; élevés (Friend, 1971) alors que leurs fréquence plus élevée du syndrome Martineau et Klopfenstein, 1996). Il besoins nutritionnels sont faibles. En SDPP et de la mortinatalité chez les se caractérisait par un état corporel conditions naturelles, comme on peut truies trop grasses à la mise bas, et dégradé de la plupart des truies du encore le voir chez le Sanglier, les dans l’étude de Niemi et al. (2017) elles troupeau, une fréquence élevée de femelles gravides passent la majorité présentaient également une longévité troubles de la reproduction après le du temps à chercher de la nourriture, réduite. Pour qualifier cette situation sevrage, incluant des retours en œstrus ce qui leur permet de constituer des on a parfois parlé de syndrome de la retardés, un faible taux de conception réserves corporelles qui seront plus truie grasse (Martineau et Klopfenstein, et une faible prolificité, en particulier tard disponibles pour la production 1996). Dans l’étude de Quiniou (2016) chez les jeunes truies, et un taux élevé de lait et ainsi faire face à un éventuel le nombre de porcelets mort-nés aug- d’avortement chez les truies plus âgées. manque d’aliment pendant la lacta- mentait lorsque l’épaisseur de lard dor- Cette situation était souvent liée à des tion. Les mécanismes physiologiques sal des truies dépassait 21 mm à la mise apports énergétiques insuffisants, des impliqués dans ces régulations de l’ap- bas, alors que les truies trop maigres conditions de logement non optimales pétit, du bilan d’énergie et de l’état des (moins de 14 mm) avaient des por- entraînant des besoins accrus d’entre- réserves corporelles sont encore actifs celets plus légers à la naissance et au tien et de thermorégulation, ou encore chez la truie « moderne », même s’ils sevrage. En effet, l’apport énergétique une mauvaise maîtrise du parasitisme. ont probablement été modulés par la qui influence l’adiposité des truies à la Les stratégies d’alimentation basées sélection. Dans les conditions habi- mise bas affecte également le poids sur des scores visuels d’état corporel tuelles d’élevage, les truies gestantes des porcelets à la naissance, tout au ont été développées à cette période sont donc rationnées pour éviter un moins jusqu’à un certain niveau d’ap- (Whittemore, 1993) et ont permis de engraissement excessif et reçoivent port (Henry et Etienne, 1978 ; Coffey faire face à cette situation qui a progres- chaque jour une quantité limitée d’ali- et al., 1994). Ceci semble indiquer qu’il sivement disparu. ment concentré qu’elles consomment y aurait une plage optimale d’apport en moins de 20 mn. En conditions énergétique, résultant d’un compromis Martineau (1996) mentionne égale- « naturelles », plusieurs heures auraient à rechercher entre l’objectif d’accroître ment dans certains élevages l’existence été nécessaires pour obtenir la même le poids des porcelets à la naissance du syndrome de la truie accordéon qui quantité d’énergie. Cette durée très (important pour leur survie et leur combine la présence de truies trop réduite d’alimentation peut d’ailleurs développement ultérieur) et l’objectif « grasses » à la mise bas et de truies trop s’accompagner du développement de limiter le risque d’apparition de pro- « maigres » au sevrage. Cette situation de stéréotypies (Ramonet et al., 1999) blèmes de peripartum. résulte généralement d’une consom- associées à des problèmes de bien-être mation d’aliment insuffisante pendant (voir ci-après). En élevage biologique Pendant la lactation, il est générale- la lactation, associée à des apports trop ou dans certains systèmes alternatifs, ment recommandé d’ajuster les apports élevés pendant la gestation. lorsque les truies ont accès à un par- nutritionnels au plus près des besoins cours herbager, elles peuvent passer afin de maximiser la production de lait Pour optimiser les performances de beaucoup de temps à pâturer, même et la croissance des porcelets, tout en reproduction, les apports nutrition- si différentes études indiquent que la minimisant le risque d’apparition de nels doivent donc être modulés afin de contribution de l’herbe à la couverture problèmes de reproduction après le maintenir un état corporel satisfaisant de leurs besoins nutritionnels reste sevrage, qui sont souvent associés à pour toutes les truies, tout au long de limitée (Roinsard et al., 2019). une mobilisation excessive des réserves leur vie productive. En élevage, ceci corporelles. De nombreuses études ont implique d’ajuster la quantité d’ali- Les réserves corporelles ne doivent été conduites dans les années 1980- ment et sa composition en fonction pas être excessives à la fin de la ges- 1990 montrant l’influence importante des performances de chaque truie tation pour limiter les problèmes des réserves adipeuses des truies au et des conditions de logement qui INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
114 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard peuvent influencer ses besoins et son Figure 1. Représentation et pilotage des effets de la nutrition, des réserves cor- appétit. Ceci est illustré à la figure 1 porelles et du niveau de production sur les capacités reproductives des truies (Dourmad et al., 2008). où les performances de reproduction dépendent d’un « tripode » prenant en compte i) l’état des réserves corporelles, ii) le niveau des performances et iii) la Réserves consommation d’aliment. L’état cor- corporelles Indicateurs porel, estimé par notation ou à partir de mesures d’épaisseur de lard dor- sal et de pesées (voire de l’épaisseur de muscle), peut être utilisé comme Contrôle indicateur du statut des réserves. Les apports nutritionnels servent à piloter Reproduction l’équilibre du système, en fonction de ces informations. Niveau Apport d’aliment 3. Évolution des concepts de production (appétit) et des méthodes pour la détermination des besoins Différentes approches ont été utili- porcelets, et les variations de poids des gestantes (ARC, 1981). Ces travaux sées au cours des dernières décennies truies (Henry et Etienne, 1978 ; Cole, ont montré que la rétention protéique pour déterminer les besoins nutrition- 1982 ; Aherne et Kirkwood, 1985). Les des truies gestantes était plus élevée nels des truies. Toutes ces approches, études menées sur plusieurs portées que celle des truies taries recevant la généralement basées sur une revue ont par ailleurs indiqué que l’effet d’une même ration (anabolisme gravidique) de la bibliographie, reflètent l’évolu- stratégie d’alimentation n’apparaissait et qu’elle était fortement affectée par tion dans le temps des concepts et des parfois qu’à moyen ou long terme l’apport énergétique qui constituait connaissances scientifiques. (O’Grady et al., 1973). souvent le principal facteur limitant la rétention. À l’inverse, la taille de la Jusqu’au milieu des années 80, les L’interaction entre les effets des portée et le poids des porcelets ne sem- recommandations nutritionnelles des niveaux d’alimentation de gestation et blaient pas affectés par les apports en truies étaient principalement basées de lactation ont également beaucoup protéines, sauf en cas de carence en sur des relations empiriques entre les été étudiés à cette époque (Salmon- protéines ou de déséquilibres en AA. performances des truies et/ou de leur Legagneur, 1965 ; Elsley et al., 1969) Les recommandations étaient très portée et les apports en nutriments. indiquant que l’évolution pondérale variables selon les pays, entre des Les études étaient menées à court des truies dépendait principalement apports fixes de 175 g/j de Matières terme, pour un stade physiologique de l’apport alimentaire total sur l’en- Azotées Totales (MAT) et des niveaux donné (par exemple la gestation ou semble du cycle gestation-lactation. allant de 250 à 400 g MAT/j, selon le la lactation), ou à plus long terme sur Selon les pays et les auteurs (revue de stade de gestation. Les études sur la plusieurs cycles. De nombreuses expé- Henry et Etienne, 1978), les recomman- lactation indiquaient que la teneur en riences ont ainsi été conduites dans dations moyennes pour la gestation protéines du lait n’était réduite qu’en différents pays pour évaluer les effets variaient entre 23,0 et 29,0 MJ/j d’Éner- cas de très faibles apports. Par contre, de l’apport d’énergie, de protéines ou gie Métabolisable (EM) (soit entre 1,8 et la production de lait et le poids des por- d’AA sur les performances de reproduc- 2,3 kg/j d’aliment) chez les truies pri- celets au sevrage étaient plus sensibles tion. Cependant, en raison de la grande mipares et entre 26,0 et 36,0 MJ/j d’EM aux apports en protéines qu’à ceux en variabilité biologique des critères de (soit entre 2,0 et 2,8 kg/j d’aliment) chez énergie. L’ARC (1981) recommandait réponse et du nombre limité de truies, les truies multipares, et pour la lactation des apports en protéines allant de 600 bon nombre de ces études n’étaient pas entre 55,0 et 76,0 MJ/j d’EM (soit entre à 825 g/j selon la production laitière suffisamment sensibles pour mettre en 4,1 et 5,7 kg/j d’aliment) chez les truies (de 5 à 7 L/j). Sur la base d’un nombre évidence des effets significatifs (ARC, primipares et entre 67,0 et 88,0 MJ/j limité de publications (moins de 10 1981). Néanmoins, la synthèse de ces d’EM (soit entre 5,0 et 6,6 kg/j d’aliment) pour la lysine et une ou deux pour les différentes études, à l’aide de méta-ana- chez les truies multipares. autres AA), le NRC (1979), l’ARC (1981) lyses, a fourni les concepts et les bases et l’INRA (1984) ont publié des recom- permettant de quantifier les effets des De nombreuses études ont éga- mandations d’AA essentiels pour la ges- apports énergétiques sur les perfor- lement été menées sur l’effet des tation et la lactation et ont suggéré des mances reproductives, le poids des apports de protéines chez les truies équilibres optimaux entre les AA pour INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 115 chaque période (protéine idéale). Les par un outil de calcul et de simulation premières ont été déterminées pour les recommandations d’apport en lysine (InraPorc®, Dourmad et al., 2008 ; van porcs en croissance et les truies adultes totale s’élevaient à 0,43 % pour la ges- Milgen et al., 2008) permettant aux (INRA-AFZ, 2004 ; INRA-CIRAD-AFZ, tation et 0,58 à 0,63 % pour la lactation. nutritionnistes d’adapter le calcul des 2018). De la même manière, différentes besoins à la diversité des situations valeurs d’EN sont disponibles pour les Les recommandations nutritionnelles rencontrées en élevage. L’utilisation porcs en croissance (FEgp) et les truies issues de l’approche empirique repré- de tels modèles sera illustrée ci-après. (FEsow) dans les tables danoises de sentent des valeurs moyennes qui ne Pour l’avenir, une évolution majeure valeur des aliments (Tybirk et al., 2018). sont valables que pour les conditions dans la détermination des besoins des L’utilisation d’un système d’évaluation expérimentales dans lesquelles elles truies est attendue grâce au dévelop- énergétique adéquat est particulière- ont été établies. L’extrapolation de ces pement de l’alimentation de précision ment important lors de la formulation recommandations à des conditions (voir ci-après). pour les truies de régimes alimentaires d’élevage différentes en termes d’en- pauvres en protéines et riches en fibres vironnement (température ambiante, visant à améliorer leur bien-être et à humidité, conditions sanitaires…), de 4. L’évaluation réduire l’excrétion d’azote. pratiques d’élevage (logement indi- des aliments chez la truie viduel ou collectif, durée de la lacta- Jusqu’à la fin des années 80, les tion), les caractéristiques des animaux besoins en AA des truies et des porcs en (type génétique, poids à maturité…) Ces dernières années, de nombreuses croissance et leurs teneurs dans les ali- ou d’intensité de production (prolifi- améliorations significatives ont été ments étaient exprimés sur la base des cité, croissance de la portée…) pou- apportées aux systèmes d’évaluation teneurs brutes (NRC, 1988 ; INRA, 1984). vait présenter des risques. Aussi, des des aliments pour le porc. Pour l’éva- Ces valeurs ont été progressivement méthodes analytiques souvent quali- luation du contenu énergétique des remplacées par la digestibilité iléale fiées de « factorielles » se sont progres- aliments et des matières premières, standardisée (SID) qui est maintenant sivement développées depuis le milieu l’Énergie Nette (EN) a progressivement le système le plus couramment recom- des années 80 afin de déterminer les remplacé l’Énergie Digestible (ED) et mandé et utilisé (Stein et al., 2007). Faute besoins en fonction des différentes l’EM pour la formulation des aliments de résultats spécifiques sur les truies, ce « dépenses » des animaux. Pour mettre (INRA-AFZ, 2004 ; NRC, 2012 ; CVB, sont les valeurs obtenues chez le porc en œuvre l’approche factorielle, il est 2016 ; Tybirk et al., 2020). La raison en croissance qui sont utilisées. De la nécessaire de quantifier les besoins principale en est que l’efficacité d’uti- même manière, pour le Phosphore (P), nutritionnels pour l’entretien (y com- lisation de l’ED ou de l’EM dépend du la digestibilité totale apparente (ATTD) pris l’activité physique et la thermoré- type de nutriments (glucides, fibres, ou la digestibilité totale standardisée gulation), les dépôts dans l’utérus et protéines, graisses) (Noblet et al., 1994) (STTD) sont désormais utilisées pour tissus maternels, et l’exportation dans conduisant dans les systèmes ED et EM le calcul factoriel des besoins et la for- le lait (Noblet et al., 1990). Un effort à une surestimation de la valeur éner- mulation des régimes, au lieu du phos- de recherche important a été réalisé gétique des ingrédients riches en proté- phore total (Jondreville et Dourmad, au cours des 30 dernières années, ines ou en fibres, et inversement, à une 2005 ; NRC, 2012 ; Bikker et Blok, 2017). en particulier à l’INRA (actuellement sous-estimation des ingrédients riches Pour le Calcium (Ca), les besoins et la INRAE) pour fournir ces informations en lipides ou en sucres/amidon. Il est teneur dans les aliments sont toujours et développer des outils de prédiction maintenant généralement admis que le exprimés sur une base totale, en raison permettant de faciliter l’utilisation de système EN est le système le plus appro- d’un manque de données sur sa diges- la méthode factorielle en pratique. Il prié pour exprimer les besoins énergé- tibilité. Cependant, le calcul factoriel des s’agissait d’un changement majeur tiques des porcs et formuler les régimes besoins en Ca est basé sur le Ca diges- dans la dixième édition du NRC sur les alimentaires les moins coûteux (Noblet tible puis exprimé sur une base totale besoins en nutriments des porcs (NRC, et van Milgen, 2004). Ce système est en retenant une valeur de digestibilité 1998), dans laquelle ont été fournies maintenant largement utilisé dans le du Ca donnée, généralement de 50 % les bases biologiques utilisées pour monde entier. (Gueguen et Perez, 1981 ; Bikker et Block, établir les besoins en énergie et en AA 2017). Une autre approche, très souvent sous forme d’équations mathématiques De plus, la comparaison de la valeur utilisée en pratique, consiste à utiliser les (modèles). L’approche factorielle a éga- énergétique de régimes alimentaires besoins en Ca calculés selon un rapport lement été utilisée assez tôt pour la différant par leur teneur en fibres Ca total/P digestible donné, qui peut détermination des besoins en minéraux indique qu’en moyenne la digestibilité différer pour la gestation et la lactation (INRA, 1984). La onzième édition révisée de l’énergie est plus élevée chez les (Jongbloed et al., 1999 ; Quiniou et al., du NRC (NRC, 2012) intègre une grande truies adultes que chez le porc en crois- 2019). Faute d’informations suffisantes, quantité d’informations obtenues sance, avec une différence qui s’accroit les valeurs de digestibilité du Ca et du P au cours des 15 années précédentes. avec l’augmentation de la teneur en des ingrédients alimentaires mesurées De la même manière, les tableaux de fibres (Le Goff et Noblet, 2001). À par- sur les porcs en croissance sont géné- recommandations nutritionnelles pour tir de ces résultats, différentes valeurs ralement utilisées pour les truies, bien le porc (INRA, 1984) ont été remplacés de teneur en ED, EM et EN des matières que certaines études indiquent une INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
116 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard digestibilité du Ca et du P plus faible Excel®. De même, l’outil d’aide à la déci- sous forme de lipides et de protéines. chez les truies que chez les porcs en sion InraPorc® (Dourmad et al., 2008) À l’inverse, les réserves corporelles croissance (Kemme et al., 1997). La rai- permet le calcul factoriel des besoins peuvent être mobilisées lorsque la son de cette différence n’est pas com- en énergie, en AA et en minéraux des demande en nutriments est supé- plètement élucidée. Elle peut être liée truies et il intègre en plus un modèle de rieure à l’apport en nutriments, notam- à des capacités digestives différentes simulation qui permet d ’évaluer à court ment en fin de gestation et pendant la entre les porcs jeunes et adultes ou à ou à long terme la réponse des truies à lactation. Chez les truies en lactation, certains aspects méthodologiques. En une stratégie d’alimentation donnée. la priorité est donnée à l’entretien et effet, la mesure de la digestibilité du Ca Ce modèle est présenté plus en détail à la production laitière, et les réserves et du P chez les truies est généralement ci-après et l’outil associé peut être télé- corporelles contribuent souvent à l’ap- effectuée pendant la gestation lorsque chargé sur https://inraporc.inra.fr provisionnement pour ces fonctions le besoin est très faible, notamment prioritaires. Les truies se trouvant en sur les deux premiers tiers de la ges- 5.1. Description générale généralement situation de thermoneu- tation. L’absorption du Ca et dans une du module truie d’InraPorc tralité, les besoins de thermorégulation moindre mesure du P étant régulée par ne sont pas pris en compte. Les diffé- son potentiel de rétention, cela pour- Dans le modèle InraPorc®, la truie rentes équations décrivant l’utilisation rait expliquer la moindre digestibilité est représentée comme la somme de des nutriments et de l’énergie par les mesurée chez les truies, qui serait donc différents compartiments (protéines truies en gestation et en lactation ont la conséquence d’un apport excessif. Un corporelles, lipides corporels, énergie été tirées de la bibliographie et utilisées autre grand changement dans la nutri- corporelle, minéraux corporels et uté- pour construire le simulateur informa- tion minérale des truies, comme chez les rus) qui évoluent au cours du cycle tisé (InraPorc® ; Dourmad et al., 2008). porcs en croissance, est l’utilisation de de reproduction (figure 2). Les princi- Ce simulateur détermine au quotidien phytases microbiennes qui permet une paux flux de nutriments sont l’énergie, les flux de nutriments et d’énergie de réduction de la teneur totale en Ca et P les AA et les minéraux. Chez les truies l’alimentation vers le stockage dans l’or- de l’aliment. Cependant, la quantité de P gestantes, la priorité est donnée aux ganisme, l’excrétion ou la dissipation. et de Ca digestible libérée par la phytase besoins d’entretien, à l’activité physique microbienne semble dépendre de l’état et la thermorégulation, aux besoins des D’autres fonctionnalités ont été physiologique du porc, avec une effica- fœtus et au développement de l’utérus ajoutées au simulateur afin qu’il puisse cité généralement plus faible chez les et de la glande mammaire. Si l’apport être utilisé comme un outil d’aide à la truies que chez les porcs en croissance, nutritionnel dépasse ces besoins, les décision (figure 3). Un module animal en particulier au début de la gestation, nutriments en excès contribuent à la (« profil truie ») est utilisé pour décrire comme l’ont examiné Bikker et Block constitution des réserves corporelles les caractéristiques du troupeau. Trois (2017). Les mêmes raisons méthodo- logiques que celles avancées ci-des- Figure 2. Description de l’utilisation des nutriments dans le modèle InraPorc sus pour expliquer les différences de (Dourmad et al., 2008). digestibilité du Ca et du P des aliments peuvent être suggérées pour expliquer Énergie Acides Aminés digestibles ces écarts. Métabolisable (EM) au niveau iléal (AAdi) 5. Modélisation Entretien de l’utilisation Activité des nutriments Comparativement au porc en crois- Utérus sance, assez peu de modèles nutri- tionnels ont été publiés pour les truies (Williams et al., 1985 ; Dourmad, 1987 ; Whittemore et Morgan, 1990 ; Pomar Lait et al., 1991 ; Pettigrew et al., 1992 ; NRC, 1998 ; Dourmad et al., 2008 ; NRC, 2012) et la plupart d’entre eux sont des modèles de recherche. Parmi les modèles utilisables en pratique, le modèle NRC Lipides Protéines corporels corporelles (2012) prédit les besoins en énergie, en AA et en minéraux selon une approche factorielle. Ce modèle est disponible Épaisseur de gras sous forme de feuille de calcul au f ormat Poids vif INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 117 Figure 3. Description de l’outil InraPorc d’aide à la décision pour l’alimentation des truies (Dourmad et al., 2008). (PV : Poids Vif, P2 épaisseur de gras dorsal). Base Description de l’élevage INRA-AFZ (truies/portées) Composition Niveau Alimentation Performance Logement des aliments d’alimentation Plan Conditions Profil truie d’alimentation Calibration de logement Simulation Calcul factoriel Élevage Truie État corporel Facteurs limitants (PV - P2) Excès Besoins nutritionnels autres modules permettent de décrire de reproduction (c’est-à-dire la taille f actoriel des besoins, il est également le type d’aliment utilisé sur une période de la portée, le poids des porcelets, la possible d’évaluer l’effet du stade de donnée (« plan d’alimentation »), production de lait) sont considérées gestation ou de la prolificité, sur les la quantité d’aliment ou d’énergie comme des entrées de l’utilisateur et besoins en AA ou en P digestible, ou consommée (« plan de rationnement ») ne sont donc pas sensibles à l’apport l’effet de la croissance de la portée et et les conditions de logement (« loge- en nutriments. de l’appétit des truies sur les besoins ment »). Le module truie est connecté pendant la lactation. au module alimentation qui peut être À titre d’exemple d’utilisation d’In- utilisé pour calculer les teneurs en nutri- raPorc®, les besoins en énergie, en 5.2. Simulation ments des aliments à partir des taux AA et en P des truies d’un troupeau des performances d’incorporation des matières premières sevrant 30 porcelets par truie et par an, à court et long terme à l’aide de la base de données INRA-AFZ avec respectivement 13,8 et 12,1 por- (2004). Lors de la définition d’un « pro- celets nés vivants et sevrés par portée, Les modèles peuvent également être fil truie », une procédure de calibration ont été calculés (tableau 2). Pendant utilisés pour simuler les effets à court et est utilisée pour ajuster certains para- la gestation, le besoin énergétique à long terme de différentes stratégies de mètres du modèle au génotype/phé- moyen s’accroît entre les portées 1 logement ou d’alimentation. L’existence notype en fonction de caractéristiques et 3, puis reste constant par la suite. de carences ou d’excès de nutriments observées dans une situation de réfé- Le besoin énergétique moyen pour peut également être identifiée comme rence. Cet étalonnage est basé sur une la lactation augmente jusqu’à la por- illustré sur la figure 4 pour l’utilisation procédure d’optimisation automatisée tée 4. En moyenne, la consommation de la lysine par une truie en première qui minimise la différence entre les per- énergétique « à volonté » est suffi- portée sur la gestation et la lactation. formances observées et prédites. sante pour couvrir 77 % des besoins énergétiques pendant la lactation, 5.3. Prise en compte Après calibration, le modèle peut avec une couverture plus faible chez de la variabilité des besoins être utilisé pour déterminer les besoins les truies primipares (69 %). Pendant nutritionnels selon une approche fac- la gestation, les besoins en AA par kg Une question importante dans la torielle classique, ou pour prédire les d’aliment sont plus élevés pour les nutrition des truies en pratique est de performances (variation de poids et truies de première et de deuxième savoir comment gérer la variabilité des d’épaisseur de lard dorsal) et analyser portée, principalement en raison besoins entre les individus. Celle-ci pro- par simulation l’utilisation des nutri- d’une consommation alimentaire vient de la variabilité des performances ments. Dans la version actuelle du logi- plus faible et d’une croissance mater- de reproduction (taille de la portée), ciel, les données sur les performances nelle plus élevée. En utilisant le calcul de la capacité de production (lait), de INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
118 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard Tableau 2. Estimation des besoins moyens en énergie nette, en lysine digestible et l’appétit (pendant la lactation), de l’ac- en phosphore digestible pendant la gestation et la lactation en fonction du rang tivité physique et plus généralement de portée des truies (1). de l’historique des animaux. De plus, les besoins diffèrent également selon Rang de portée 1 2 3 4 5 6 le rang de portée et le stade physiolo- gique. Pendant la gestation, la stratégie Gestation (à la thermoneutralité) pour atteindre l’objectif de l’état corpo- rel à la mise bas est d’abord d’adapter Énergie nette (MJ/j) 25,7 28,3 28,4 27,7 27,7 27,6 l’apport d’énergie et d’aliment en fonc- tion de l’état corporel à l’insémination, Lysine digestible(2) (g/j) 14,3 13,5 12,8 12,4 12,2 12,1 du rang de portée, des performances attendues et des conditions de loge- Lysine digestible (g/kg) 5,3 4,5 4,3 4,2 4,2 4,1 ment, notamment car elles jouent sur l’activité physique des animaux et leurs Phosphore digestible(2) (g/j) 7,5 7,7 7,7 7,4 7,3 7,2 besoins de thermorégulation. Dans ce contexte, il est important de mesurer Phosphore digestible (g/kg) 2,8 2,6 2,6 2,5 2,5 2,5 ou d’estimer le poids vif et l’épaisseur de lard dorsal pour adapter l’apport Lactation (3,0 kg/j de croissance de portée) d’aliment à la situation de chaque truie. Ceci est illustré sur la figure 5 avec les Énergie nette (MJ/j) 73,9 77,5 81,7 82,5 82,0 81,2 données obtenues à partir d’une ferme expérimentale (Dourmad et al., 2017 ; Ingestion (% du besoin) 69 % 76 % 79 % 78 % 79 % 80 % Gaillard et al., 2019). Le poids corpo- rel moyen des truies à l’insémination Lysine digestible(2) (g/j) 48,5 49,8 51,7 51,7 51,1 50,4 augmente avec le rang de portée alors que ce n’est pas le cas pour l’épaisseur Lysine digestible (g/kg) 9,0 8,0 7,6 7,6 7,5 7,4 moyenne du gras dorsal. Cependant, pour les deux critères, la variabilité Phosphore digestible(2) (g/j) 17,9 18,7 19,7 19,8 19,6 19,4 est élevée, ce qui entraîne une forte variabilité des besoins énergétiques (35 ± 2,4 MJ EM par jour). Phosphore digestible (g/kg) 3,3 3,0 2,9 2,9 2,9 2,8 1 Calculé pour un élevage sevrant 30 porcelets par truie productive et par an, avec une croissance de Lorsque la quantité totale d’aliment portée moyenne de 3,0 kg/j et une consommation moyenne en lactation de 6,4 kg d’aliment/j. ou d’énergie allouée est définie, diffé- 2 Les besoins en lysine digestible iléale standardisée et en phosphore digestible sont calculés pour le rentes stratégies peuvent être utilisées dernier mois de gestation, pour un aliment contenant 9,4 MJ d’énergie nette par kg d’aliment. pour répartir cette quantité totale sur la gestation. Il est généralement admis que l’augmentation de la ration alimen- Figure 4. Simulation de l’utilisation de la lysine digestible au cours de la gestation taire à la fin de gestation, au cours des et de la lactation (portée 1). trois 3 dernières semaines, peut amélio- rer la vitalité et la survie des porcelets à la naissance, en particulier chez les truies hyperprolifiques (Quiniou, 2005). La stratégie optimale pendant les deux premiers tiers de la gestation est moins claire et peut dépendre du type de logement et de l’équipement dispo- nible pour la distribution des aliments. En Europe, deux stratégies sont souvent appliquées pendant cette période : soit un niveau d’alimentation assez constant, soit plus communément une période de suralimentation des truies maigres, sur environ 4 semaines, suivie d’une période de restriction. Cette seconde stratégie, qui permet une reconstitu- tion rapide des réserves corporelles des truies en début de gestation, est INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 119 Figure 5. Besoin moyen en énergie métabolisable (EM, MJ/j) des truies en gesta- r espectivement à 8,3 – 7,3 et 6,7 g de tion, selon le rang de portée et le poids vif à l’insémination (rouge : rang 1, vert : lysine SID par kg d’aliment. Cependant, rang 2 ; bleu : rang 3 et plus) (d’après Gaillard et al., 2019). en raison de la variabilité des besoins, des apports plus élevés sont néces- saires pour répondre aux besoins de la majorité des truies, comme illustré à la figure 7. Par exemple, pour répondre aux besoins de 80 % des truies, l’appro- visionnement en lysine SID doit dépas- ser 9,8 – 8,6 et 7,6 g/kg d’aliment, pour les parités 1, 2 et 3 et plus, respective- ment, soit environ 15 % de plus que le besoin moyen. 5.4. Vers une alimentation de précision des truies de plus en plus courante dans le cadre élevées chez les primipares que chez les de la législation européenne sur le bien- truies multipares et en fin qu’en début L’utilisation de données individuelles être des truies, qui impose un héberge- de gestation (Gaillard et al., 2019). collectées par l’éleveur (évènements, ment en groupes après 4 semaines de taille de portée, poids des porcelets…) gestation. Cependant, selon Quiniou Pendant la lactation, les besoins nutri- ou à l’aide de capteurs (poids vif, épais- et Quesnel (2008), elle pourrait réduire tionnels par kg d’aliment sont princi- seur de lard dorsal, consommation d’ali- le poids des porcelets à la naissance, si palement affectés par la production ment, température ambiante, activité le niveau d’ingestion est trop bas en de lait et l’appétit des truies. Il ressort physique…) en combinaison avec des milieu de gestation. clairement des résultats présentés dans modèles nutritionnels permet d’envi- le tableau 2 que les jeunes truies ont sager le développement de systèmes La définition d’une stratégie d’ali- moins d’appétit et doivent être nourries d’aide à la décision capables de déter- mentation des truies gestantes néces- avec une alimentation plus concentrée miner au jour le jour la quantité opti- site d’adapter la teneur en nutriments en nutriments, notamment en AA et male et la composition de l’aliment à (AA, minéraux, vitamines…) en fonc- en minéraux. En pratique, l’appétit des distribuer à chaque truie du troupeau, tion du stade de gestation et/ou du truies en lactation varie fortement en et de piloter des équipements « intelli- rang de portée ; bien qu’en pratique, fonction du rang de portée, de la tempé- gents » de distribution d’aliment met- le plus courant reste d’utiliser le même rature ambiante, de l’état corporel, etc. tant en œuvre ces décisions (figure 8). régime pour toutes les truies. En effet, De plus, le potentiel de production lai- les besoins en AA et minéraux dimi- tière varie également entre les truies, Ainsi, une alimentation de précision, nuent avec le rang de portée et varient en partie selon la taille de la portée, appliquée au niveau individuel ou à également en fonction du stade de augmentant la variabilité des besoins. l’échelle d’un petit groupe, semble gestation. Les besoins moyens en lysine En utilisant les données individuelles une stratégie prometteuse pour mieux digestible augmentent avec le stade de de 1 450 truies dans deux fermes, adapter l’apport en nutriments aux gestation avec une grande variabilité Gauthier et al. (2019) ont calculé les besoins individuels, améliorer l’efficacité entre les truies (figure 6). Le besoin est besoins individuels en lysine SID selon de l’utilisation des nutriments et réduire également influencé par le rang de por- le modèle InraPorc. Les besoins moyens le coût de l’alimentation. L’intérêt d’une tée des truies avec des valeurs bien plus pour les portées 1, 2 et 3+ s’élevaient telle stratégie d’alimentation de préci- sion a été évalué par simulation chez les Figure 6. Évolution du niveau moyen et de la dispersion des besoins en lysine truies gestantes (Dourmad et al., 2017 ; digestibles au cours de la gestation (Gaillard et al., 2019). Gaillard et al., 2020). Dans cette étude, une stratégie d’alimentation conven- tionnelle en une phase (CG) a été com- parée à une stratégie d’alimentation de précision consistant en un mélange jour- nalier de deux régimes avec une teneur en nutriments faible (FG) ou élevée (EG). La teneur en lysine digestible était de 4,8, 3,0 et 6,0 g/kg d’aliment et la teneur en protéines de 14, 9 et 16 % respecti- vement dans les régimes CG, FG et EG. En moyenne, le taux d’incorporation du régime FG dans la stratégie de précision était de 84 %, la valeur étant plus faible INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
120 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard Figure 7. Évolution, selon le rang de portée (bleu : rang1, orange : rang 2 et vert : en lactation. Une stratégie d’alimen- rang 3), du taux de couverture des besoins en lysine des truies en lactation en tation conventionnelle en une phase fonction de la teneur dans l’aliment. Les lignes en pointillés correspondent à l’ap- (CL) était comparée à une stratégie port permettant de couvrir les besoins de 80 % des truies. (Gauthier et al., 2019). d’alimentation de précision consistant 100 en le mélange de deux régimes avec une teneur en nutriments faible (FL) ou élevée (EL). La teneur en lysine diges- 80 tible s’élevait à respectivement 10,1, 6,5 % cumulé de truies et 13,5 g/kg d’aliment et la teneur en 60 protéines à 17,9, 12,3 et 22,50 % dans les régimes CL, FL et EL. En moyenne, le taux d’incorporation du régime FL dans 40 la stratégie de précision était de 29 %. Par rapport à la stratégie en une phase, l’alimentation de précision a entraîné 20 une diminution de 20 % de l’apport total de protéines, une réduction de 28 % de l’excrétion d’azote et une dimi- 0 nution de 11 % du coût alimentaire. 2 5 8 11 14 Lysine digestible (g/kg) 6. De nouveaux objectifs chez les truies de première parité (67 %). l’alimentation conventionnelle à moins en lien avec l’évolution Par rapport à la stratégie en une phase, de 5 % avec l’alimentation de précision. de la demande sociétale l’alimentation de précision a entraîné Parallèlement, la proportion de truies une diminution de 24 % de l’apport total suralimentées a été considérablement de protéines, une réduction de 30 % de réduite. Jusqu’à récemment, la maximisation l’excrétion d’azote et une diminution des performances de reproduction de 4,6 % du coût alimentaire. De plus, la De la même manière, Gauthier (2021) des truies et de leurs portées était le proportion de truies sous-alimentées en a évalué dans un essai conduit au principal objectif pris en compte lors AA au cours des semaines 3 et 4 de lac- Canada sur 500 truies l’intérêt de l’ali- de la définition des apports nutrition- tation est passée de plus de 60 % avec mentation de précision chez la truie nels. Cela impliquait i) de considérer Figure 8. Représentation schématique de l’application de l’alimentation de précision aux truies reproductrices (d’après Gauthier et al., 2019 ; Gaillard et al., 2019, 2020 ; Gauthier, 2021). Information Information Ingestion Parité et âge Décision Poids vif Besoins en temps réel Modèle Épaisseur de lard nutritionnels Base de nutritionnel Taille de portée individuels Quantité données Croissance de portée et composition Éleveur Ingestion de l’aliment Production Température... laitière Prolificité et poids des porcelets Informations INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
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