Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d'alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives

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Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d'alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives
Évolution des concepts              INRAE Prod. Anim.,
                                    2021, 34 (2), 111-126

  nutritionnels et des méthodes
  d’alimentation des truies reproductrices :
  historique et perspectives
Jean-Yves DOURMAD, Raphaël GAUTHIER, Charlotte GAILLARD
Pegase, INRAE, Institut Agro, 35590 Saint-Gilles, France
Courriel : jean-yves.dourmad@inrae.fr

„„ Au cours de ces dernières années l’amélioration des performances a été l’un des principaux moteurs de
l’évolution des besoins nutritionnels des truies reproductrices. Dans le même temps, de nombreuses connaissances
scientifiques ont été produites permettant une approche holistique de l’alimentation. Cette synthèse montre
comment ces connaissances peuvent être utilisées pour développer des modèles et des outils d’aide à la décision,
et ainsi améliorer les stratégies d’alimentation dans les élevages, pour plus de durabilité1.

Introduction
                                                           truies, ainsi que sur la survie et la crois-       truies se sont très fortement accrues,
                                                           sance des porcelets jusqu’au sevrage.              comme illustré au tableau 1 pour les éle-
   La rentabilité économique des éle-                                                                         vages français. Les lignées maternelles,
vages porcins est largement dépen-                            Le premier objectif de cette synthèse           le plus souvent issues de croisements
dante de l’efficacité alimentaire, en                      est de décrire l’évolution des concepts            entre des races Landrace et Large-
raison de la contribution prédominante                     et des approches utilisés au cours de ces          White, ont été sélectionnées intensive-
de l’alimentation au coût de produc-                       dernières décennies pour raisonner l’ali-          ment sur des critères de performances
tion, et des performances de repro-                        mentation des truies. Le second objectif           de reproduction, en particulier leur pro-
duction qui conditionnent le nombre                        est de montrer comment les connais-                lificité, et aujourd’hui des lignées hyper-
de porcs produits par truie et par an.                     sances scientifiques sur la nutrition des          prolifiques sont utilisées dans la plupart
L’optimisation des stratégies d’ali-                       truies peuvent être mobilisées pour                des pays du monde. Certaines lignées
mentation des truies nécessite donc                        développer des modèles et des outils               commerciales ont également fait appel
de considérer simultanément le coût                        d’aide à la décision utilisables en pra-           à des races très prolifiques d’origine
annuel de leur alimentation et leurs per-                  tique, dans un contexte de disponibilité           chinoise, soit en croisement, soit dans
formances de reproduction en termes                        croissante d’informations collectées en            le cadre du développement de lignées
de nombre de porcelets sevrés par an.                      temps réel et de développement d’au-               synthétiques. L’accroissement de la
Les stratégies alimentaires doivent éga-                   tomates d’alimentation.                            prolificité (+ 38 % à la naissance entre
lement s’adapter continuellement à                                                                            1980 et 2016, tableau 1) s’est accom-
l’évolution des performances de repro-                                                                        pagné d’une amélioration légèrement
duction des truies, celles-ci ayant forte-
                                                           1. Une forte amélioration                          moindre du nombre de porcelets sevrés
ment progressé suite à la sélection de                     des performances                                   par portée (+ 32 %) alors que le gain de
lignées hyperprolifiques. Ceci implique                    de reproduction                                    poids de portée, un bon indicateur de
de prendre en compte les effets à court                                                                       la production laitière, s’est amélioré de
et à long termes de la nutrition sur la                      Au cours des 40 dernières années,                façon plus marquée (+ 55 %). Dans le
prolificité, la fertilité et la longévité des              les performances de reproduction des               même temps, la sélection de ces lignées

1 Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 53es Journées de la Recherche Porcine (Dourmad et al., 2021).

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2021.34.2.4861                                                  INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d'alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives
112 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard

Tableau 1. Évolution des performances de reproduction des truies dans les élevages français (IFIP, 2017).

                                                                                                                   2016
                  Année                        1980           1990           2000           Moyenne
                                                                                                        « top » 10 %   « top » 1 %

Nombre d’élevages                              8 680         4 800           3 745           1 327          132             13

Nombre de truies/élevage                        49             82             146             262           393            361

Taille de la portée

    nés totaux                                 10,7           11,4           12,8            14,8           15,5           16,8

    nés vivants                                10,2           10,8           11,9            13,7           14,5           15,6

    sevrés                                      8,9            9,4           10,4            11,8           12,8           13,7

    taux de survie, % nés totaux               83,1           82,4           81,2            79,7           82,5           81,5

Croissance de portée, kg/j                     1,80           2,05           2,50            2,80           3,00           3,10

Porcelets sevrés/truie/an                      20,2           22,2           25,2            29,4           32,7           34,8

Int. sevrage saillie fécondante, j             15,1           11,6            9,1             7,9            6,9           6,8

Nombre de portées à la réforme                  4,3           4,6             4,9             5,4            5,3           4,5

sur la vitesse de croissance et la qualité     maturité accroît les besoins d’entretien.     50 % de la variabilité entre truies. Ngo
des carcasses s’accompagnait d’une             Pendant la lactation, l’accroissement de      et al. (2012) ont ainsi montré que la
réduction de l’adiposité des truies et         la production laitière, de près de 70 %       production laitière moyenne s’accroît
souvent d’un accroissement de leur             dans les meilleurs élevages depuis            d’environ 0,75 kg/j par porcelet sup-
poids vif à maturité (Bidanel et al., 2020).   1980, a entraîné une très forte augmen-       plémentaire, alors que la quantité de
La réduction des périodes improduc-            tation des besoins nutritionnels, alors       lait disponible par porcelet diminue,
tives, en particulier l’intervalle sevrage     que l’appétit des truies a peu évolué et      en particulier au-delà de huit porce-
saillie fécondante (ISSF), a également         est généralement insuffisant pour cou-        lets par portée, et de façon plus mar-
contribué à l’amélioration des perfor-         vrir leurs besoins.                           quée au-delà de 12.
mances. C’est en partie le résultat de
l’utilisation de truies croisées depuis           Un autre élément important à consi-
les années 1980 et de l’effet d’hétérosis      dérer dans la définition des besoins
                                                                                             2. Nutrition
pour ce critère. La réduction de l’ISSF        nutritionnels est la forte variabilité        et reproduction,
s’est poursuivie ces dernières années,         des performances entre élevages. Par          importance des réserves
ce qui semble indiquer que le fort             exemple en 2016 les 10 et 1 % des             corporelles
accroissement de la prolificité et de          élevages les plus performants sèvrent
la production laitière n’a pas entraîné        respectivement 8 et 16 % de porcelets
de détérioration des paramètres de             en plus par portée que la moyenne des            Chez les mammifères, le processus
reproduction après sevrage (retour en          élevages. De plus, en raison de la forte      de reproduction, depuis la concep-
œstrus, fertilité), ni de réduction de la      variabilité de plusieurs paramètres           tion jusqu’au sevrage peut être consi-
longévité, comme cela est observé chez         biologiques (prolificité, production lai-     déré comme visant à protéger la
la vache en réponse à la sélection pour        tière, appétit des truies), la variabilité    progéniture des stress physiologiques
la production de lait (Berry et al., 2016).    des performances entre animaux est            ou nutritionnels (Oldham, 1991), en
Cette évolution des performances a for-        également très élevée intra élevage,          mettant en œuvres des mécanismes
tement affecté les besoins nutritionnels       même si elle est en partie compensée          d’homéostasie et d’homéorhèse de
des truies. Pendant la gestation l’ac-         par des pratiques d’élevage comme             contrôle de l’utilisation des nutriments
croissement de la prolificité influence        l’adoption de porcelets (Quiniou et al.,      (Bauman et Currie, 1980), dans lesquels
les besoins pour le développement des          2012). La taille de la portée influence       les réserves corporelles jouent un rôle
fœtus, en particulier en fin de gestation,     fortement la production laitière,             important. Les troubles de la repro-
alors que l’accroissement du poids à           même si elle n’explique qu’environ            duction qui conduisent à la baisse

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Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 113

de la productivité des truies ou à leur       ­ eripartum (Dourmad et al., 1994),
                                              p                                           sevrage sur leur retour en œstrus et
réforme p  ­ rématurée ont souvent été        plus fréquents chez les truies grasses,     leur fertilité (Whittemore, 1980). Plus
associés à des variations prononcées          et favoriser la consommation d’aliment      récemment, les études conduites sur
des réserves corporelles (Whittemore          pendant la lactation qui suit (Dourmad,     des lignées plus productives et plus
et al., 1980 ; King, 1987 ; Dourmad et al.,   1991). Dans une étude épidémiolo-           maigres indiquent que la masse pro-
1994 ; Whittemore, 1996).                     gique sur l’apparition du syndrome          téique au sevrage joue également un
                                              de dysgalactie post‐partum (SDPP ou         rôle important (King, 1987 ; Quesnel
   Pendant la gestation, des réserves         PDS), Miquet et al. (1990) et Léon et       et al., 2005), en particulier chez les
suffisantes doivent être constituées          Madec (1992) observaient ainsi une          jeunes truies.
pour atteindre un état corporel satis-        occurrence accrue de ces problèmes
faisant à la mise bas et prévenir de          chez les truies plus lourdes et plus           Dans les années 1970-1980 et par-
possibles déficits nutritionnels pou-         grasses, en particulier celles présen-      fois même plus tardivement, de nom-
vant survenir au cours de la lacta-           tant également des problèmes loco-          breux élevages dans différentes régions
tion. La motivation alimentaire et            moteurs. De même, Göransson (1989)          du monde ont connu le syndrome
l’appétit des truies gravides sont très       et Maes et al. (2004) observaient une       de la truie maigre (MacLean, 1968 ;
élevés (Friend, 1971) alors que leurs         fréquence plus élevée du syndrome           Martineau et Klopfenstein, 1996). Il
besoins nutritionnels sont faibles. En        SDPP et de la mortinatalité chez les        se caractérisait par un état corporel
conditions naturelles, comme on peut          truies trop grasses à la mise bas, et       dégradé de la plupart des truies du
encore le voir chez le Sanglier, les          dans l’étude de Niemi et al. (2017) elles   troupeau, une fréquence élevée de
femelles gravides passent la majorité         présentaient également une longévité        troubles de la reproduction après le
du temps à chercher de la nourriture,         réduite. Pour qualifier cette situation     sevrage, incluant des retours en œstrus
ce qui leur permet de constituer des          on a parfois parlé de syndrome de la        retardés, un faible taux de conception
réserves corporelles qui seront plus          truie grasse (Martineau et Klopfenstein,    et une faible prolificité, en particulier
tard disponibles pour la production           1996). Dans l’étude de Quiniou (2016)       chez les jeunes truies, et un taux élevé
de lait et ainsi faire face à un éventuel     le nombre de porcelets mort-nés aug-        d’avortement chez les truies plus âgées.
manque d’aliment pendant la lacta-            mentait lorsque l’épaisseur de lard dor-    Cette situation était souvent liée à des
tion. Les mécanismes physiologiques           sal des truies dépassait 21 mm à la mise    apports énergétiques insuffisants, des
impliqués dans ces régulations de l’ap-       bas, alors que les truies trop maigres      conditions de logement non optimales
pétit, du bilan d’énergie et de l’état des    (moins de 14 mm) avaient des por-           entraînant des besoins accrus d’entre-
réserves corporelles sont encore actifs       celets plus légers à la naissance et au     tien et de thermorégulation, ou encore
chez la truie « moderne », même s’ils         sevrage. En effet, l’apport énergétique     une mauvaise maîtrise du parasitisme.
ont probablement été modulés par la           qui influence l’adiposité des truies à la   Les stratégies d’alimentation basées
sélection. Dans les conditions habi-          mise bas affecte également le poids         sur des scores visuels d’état corporel
tuelles d’élevage, les truies gestantes       des porcelets à la naissance, tout au       ont été développées à cette période
sont donc rationnées pour éviter un           moins jusqu’à un certain niveau d’ap-       (Whittemore, 1993) et ont permis de
engraissement excessif et reçoivent           port (Henry et Etienne, 1978 ; Coffey       faire face à cette situation qui a progres-
chaque jour une quantité limitée d’ali-       et al., 1994). Ceci semble indiquer qu’il   sivement disparu.
ment concentré qu’elles consomment            y aurait une plage optimale d’apport
en moins de 20 mn. En conditions              énergétique, résultant d’un compromis          Martineau (1996) mentionne égale-
« naturelles », plusieurs heures auraient     à rechercher entre l’objectif d’accroître   ment dans certains élevages l’existence
été nécessaires pour obtenir la même          le poids des porcelets à la naissance       du syndrome de la truie accordéon qui
quantité d’énergie. Cette durée très          (important pour leur survie et leur         combine la présence de truies trop
réduite d’alimentation peut d’ailleurs        développement ultérieur) et l’objectif      « grasses » à la mise bas et de truies trop
s’accompagner du développement                de limiter le risque d’apparition de pro-   « maigres » au sevrage. Cette situation
de stéréotypies (Ramonet et al., 1999)        blèmes de peripartum.                       résulte généralement d’une consom-
associées à des problèmes de bien-être                                                    mation d’aliment insuffisante pendant
(voir ci-après). En élevage biologique          Pendant la lactation, il est générale-    la lactation, associée à des apports trop
ou dans certains systèmes alternatifs,        ment recommandé d’ajuster les apports       élevés pendant la gestation.
lorsque les truies ont accès à un par-        nutritionnels au plus près des besoins
cours herbager, elles peuvent passer          afin de maximiser la production de lait       Pour optimiser les performances de
beaucoup de temps à pâturer, même             et la croissance des porcelets, tout en     reproduction, les apports nutrition-
si différentes études indiquent que la        minimisant le risque d’apparition de        nels doivent donc être modulés afin de
contribution de l’herbe à la couverture       problèmes de reproduction après le          maintenir un état corporel satisfaisant
de leurs besoins nutritionnels reste          sevrage, qui sont souvent associés à        pour toutes les truies, tout au long de
limitée (Roinsard et al., 2019).              une mobilisation excessive des réserves     leur vie productive. En élevage, ceci
                                              corporelles. De nombreuses études ont       implique d’ajuster la quantité d’ali-
  Les réserves corporelles ne doivent         été conduites dans les années 1980-         ment et sa composition en fonction
pas être excessives à la fin de la ges-       1990 montrant l’influence importante        des performances de chaque truie
tation pour limiter les problèmes             des réserves adipeuses des truies au        et des conditions de logement qui

                                                                                          INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d'alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives
114 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard

peuvent influencer ses besoins et son        Figure 1. Représentation et pilotage des effets de la nutrition, des réserves cor-
appétit. Ceci est illustré à la figure 1     porelles et du niveau de production sur les capacités reproductives des truies
                                             (Dourmad et al., 2008).
où les performances de reproduction
dépendent d’un « tripode » prenant en
compte i) l’état des réserves corporelles,
ii) le niveau des performances et iii) la                                   Réserves
consommation d’aliment. L’état cor-                                         corporelles                             Indicateurs
porel, estimé par notation ou à partir
de mesures d’épaisseur de lard dor-
sal et de pesées (voire de l’épaisseur
de muscle), peut être utilisé comme                                                                                  Contrôle
indicateur du statut des réserves. Les
apports nutritionnels servent à piloter                                      Reproduction
l’équilibre du système, en fonction de
ces informations.

                                                       Niveau                                        Apport d’aliment
3. Évolution des concepts                           de production                                       (appétit)
et des méthodes
pour la détermination
des besoins

   Différentes approches ont été utili-      porcelets, et les variations de poids des      gestantes (ARC, 1981). Ces travaux
sées au cours des dernières décennies        truies (Henry et Etienne, 1978 ; Cole,         ont montré que la rétention protéique
pour déterminer les besoins nutrition-       1982 ; Aherne et Kirkwood, 1985). Les          des truies gestantes était plus élevée
nels des truies. Toutes ces approches,       études menées sur plusieurs portées            que celle des truies taries recevant la
généralement basées sur une revue            ont par ailleurs indiqué que l’effet d’une     même ration (anabolisme gravidique)
de la bibliographie, reflètent l’évolu-      stratégie d’alimentation n’apparaissait        et qu’elle était fortement affectée par
tion dans le temps des concepts et des       parfois qu’à moyen ou long terme               l’apport énergétique qui constituait
connaissances scientifiques.                 (O’Grady et al., 1973).                        souvent le principal facteur limitant
                                                                                            la rétention. À l’inverse, la taille de la
   Jusqu’au milieu des années 80, les          L’interaction entre les effets des           portée et le poids des porcelets ne sem-
recommandations nutritionnelles des          niveaux d’alimentation de gestation et         blaient pas affectés par les apports en
truies étaient principalement basées         de lactation ont également beaucoup            protéines, sauf en cas de carence en
sur des relations empiriques entre les       été étudiés à cette époque (Salmon-            protéines ou de déséquilibres en AA.
performances des truies et/ou de leur        Legagneur, 1965 ; Elsley et al., 1969)         Les recommandations étaient très
portée et les apports en nutriments.         indiquant que l’évolution pondérale            variables selon les pays, entre des
Les études étaient menées à court            des truies dépendait principalement            apports fixes de 175 g/j de Matières
terme, pour un stade physiologique           de l’apport alimentaire total sur l’en-        Azotées Totales (MAT) et des niveaux
donné (par exemple la gestation ou           semble du cycle gestation-lactation.           allant de 250 à 400 g MAT/j, selon le
la lactation), ou à plus long terme sur      Selon les pays et les auteurs (revue de        stade de gestation. Les études sur la
plusieurs cycles. De nombreuses expé-        Henry et Etienne, 1978), les recomman-         lactation indiquaient que la teneur en
riences ont ainsi été conduites dans         dations moyennes pour la gestation             protéines du lait n’était réduite qu’en
différents pays pour évaluer les effets      variaient entre 23,0 et 29,0 MJ/j d’Éner-      cas de très faibles apports. Par contre,
de l’apport d’énergie, de protéines ou       gie Métabolisable (EM) (soit entre 1,8 et      la production de lait et le poids des por-
d’AA sur les performances de reproduc-       2,3 kg/j d’aliment) chez les truies pri-       celets au sevrage étaient plus sensibles
tion. Cependant, en raison de la grande      mipares et entre 26,0 et 36,0 MJ/j d’EM        aux apports en protéines qu’à ceux en
variabilité biologique des critères de       (soit entre 2,0 et 2,8 kg/j d’aliment) chez    énergie. L’ARC (1981) recommandait
réponse et du nombre limité de truies,       les truies multipares, et pour la lactation    des apports en protéines allant de 600
bon nombre de ces études n’étaient pas       entre 55,0 et 76,0 MJ/j d’EM (soit entre       à 825 g/j selon la production laitière
suffisamment sensibles pour mettre en        4,1 et 5,7 kg/j d’aliment) chez les truies     (de 5 à 7 L/j). Sur la base d’un nombre
évidence des effets significatifs (ARC,      primipares et entre 67,0 et 88,0 MJ/j          limité de publications (moins de 10
1981). Néanmoins, la synthèse de ces         d’EM (soit entre 5,0 et 6,6 kg/j d’aliment)    pour la lysine et une ou deux pour les
différentes études, à l’aide de méta-ana-    chez les truies multipares.                    autres AA), le NRC (1979), l’ARC (1981)
lyses, a fourni les concepts et les bases                                                   et l’INRA (1984) ont publié des recom-
permettant de quantifier les effets des        De nombreuses études ont éga-                mandations d’AA essentiels pour la ges-
apports énergétiques sur les perfor-         lement été menées sur l’effet des              tation et la lactation et ont suggéré des
mances reproductives, le poids des           apports de protéines chez les truies           équilibres optimaux entre les AA pour

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
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Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 115

chaque période (protéine idéale). Les        par un outil de calcul et de simulation      premières ont été déterminées pour les
recommandations d’apport en lysine           (InraPorc®, Dourmad et al., 2008 ; van       porcs en croissance et les truies adultes
totale s’élevaient à 0,43 % pour la ges-     Milgen et al., 2008) permettant aux          (INRA-AFZ, 2004 ; INRA-CIRAD-AFZ,
tation et 0,58 à 0,63 % pour la lactation.   nutritionnistes d’adapter le calcul des      2018). De la même manière, différentes
                                             besoins à la diversité des situations        valeurs d’EN sont disponibles pour les
   Les recommandations nutritionnelles       rencontrées en élevage. L’utilisation        porcs en croissance (FEgp) et les truies
issues de l’approche empirique repré-        de tels modèles sera illustrée ci-après.     (FEsow) dans les tables danoises de
sentent des valeurs moyennes qui ne          Pour l’avenir, une évolution majeure         valeur des aliments (Tybirk et al., 2018).
sont valables que pour les conditions        dans la détermination des besoins des        L’utilisation d’un système d’évaluation
expérimentales dans lesquelles elles         truies est attendue grâce au dévelop-        énergétique adéquat est particulière-
ont été établies. L’extrapolation de ces     pement de l’alimentation de précision        ment important lors de la formulation
recommandations à des conditions             (voir ci-après).                             pour les truies de régimes alimentaires
d’élevage différentes en termes d’en-                                                     pauvres en protéines et riches en fibres
vironnement (température ambiante,                                                        visant à améliorer leur bien-être et à
humidité, conditions sanitaires…), de
                                             4. L’évaluation                              réduire l’excrétion d’azote.
pratiques d’élevage (logement indi-          des aliments chez la truie
viduel ou collectif, durée de la lacta-                                                      Jusqu’à la fin des années 80, les
tion), les caractéristiques des animaux                                                   besoins en AA des truies et des porcs en
(type génétique, poids à maturité…)             Ces dernières années, de nombreuses       croissance et leurs teneurs dans les ali-
ou d’intensité de production (prolifi-       améliorations significatives ont été         ments étaient exprimés sur la base des
cité, croissance de la portée…) pou-         apportées aux systèmes d’évaluation          teneurs brutes (NRC, 1988 ; INRA, 1984).
vait présenter des risques. Aussi, des       des aliments pour le porc. Pour l’éva-       Ces valeurs ont été progressivement
méthodes analytiques souvent quali-          luation du contenu énergétique des           remplacées par la digestibilité iléale
fiées de « factorielles » se sont progres-   aliments et des matières premières,          standardisée (SID) qui est maintenant
sivement développées depuis le milieu        l’Énergie Nette (EN) a progressivement       le système le plus couramment recom-
des années 80 afin de déterminer les         remplacé l’Énergie Digestible (ED) et        mandé et utilisé (Stein et al., 2007). Faute
besoins en fonction des différentes          l’EM pour la formulation des aliments        de résultats spécifiques sur les truies, ce
« dépenses » des animaux. Pour mettre        (INRA-AFZ, 2004 ; NRC, 2012 ; CVB,           sont les valeurs obtenues chez le porc
en œuvre l’approche factorielle, il est      2016 ; Tybirk et al., 2020). La raison       en croissance qui sont utilisées. De la
nécessaire de quantifier les besoins         principale en est que l’efficacité d’uti-    même manière, pour le Phosphore (P),
nutritionnels pour l’entretien (y com-       lisation de l’ED ou de l’EM dépend du        la digestibilité totale apparente (ATTD)
pris l’activité physique et la thermoré-     type de nutriments (glucides, fibres,        ou la digestibilité totale standardisée
gulation), les dépôts dans l’utérus et       protéines, graisses) (Noblet et al., 1994)   (STTD) sont désormais utilisées pour
tissus maternels, et l’exportation dans      conduisant dans les systèmes ED et EM        le calcul factoriel des besoins et la for-
le lait (Noblet et al., 1990). Un effort     à une surestimation de la valeur éner-       mulation des régimes, au lieu du phos-
de recherche important a été réalisé         gétique des ingrédients riches en proté-     phore total (Jondreville et Dourmad,
au cours des 30 dernières années,            ines ou en fibres, et inversement, à une     2005 ; NRC, 2012 ; Bikker et Blok, 2017).
en particulier à l’INRA (actuellement        sous-estimation des ingrédients riches       Pour le Calcium (Ca), les besoins et la
INRAE) pour fournir ces informations         en lipides ou en sucres/amidon. Il est       teneur dans les aliments sont toujours
et développer des outils de prédiction       maintenant généralement admis que le         exprimés sur une base totale, en raison
permettant de faciliter l’utilisation de     système EN est le système le plus appro-     d’un manque de données sur sa diges-
la méthode factorielle en pratique. Il       prié pour exprimer les besoins énergé-       tibilité. Cependant, le calcul factoriel des
s’agissait d’un changement majeur            tiques des porcs et formuler les régimes     besoins en Ca est basé sur le Ca diges-
dans la dixième édition du NRC sur les       alimentaires les moins coûteux (Noblet       tible puis exprimé sur une base totale
besoins en nutriments des porcs (NRC,        et van Milgen, 2004). Ce système est         en retenant une valeur de digestibilité
1998), dans laquelle ont été fournies        maintenant largement utilisé dans le         du Ca donnée, généralement de 50 %
les bases biologiques utilisées pour         monde entier.                                (Gueguen et Perez, 1981 ; Bikker et Block,
établir les besoins en énergie et en AA                                                   2017). Une autre approche, très souvent
sous forme d’équations mathématiques            De plus, la comparaison de la valeur      utilisée en pratique, consiste à utiliser les
(modèles). L’approche factorielle a éga-     énergétique de régimes alimentaires          besoins en Ca calculés selon un rapport
lement été utilisée assez tôt pour la        différant par leur teneur en fibres          Ca total/P digestible donné, qui peut
détermination des besoins en minéraux        indique qu’en moyenne la digestibilité       différer pour la gestation et la lactation
(INRA, 1984). La onzième édition révisée     de l’énergie est plus élevée chez les        (Jongbloed et al., 1999 ; Quiniou et al.,
du NRC (NRC, 2012) intègre une grande        truies adultes que chez le porc en crois-    2019). Faute d’informations suffisantes,
quantité d’informations obtenues             sance, avec une différence qui s’accroit     les valeurs de digestibilité du Ca et du P
au cours des 15 années précédentes.          avec l’augmentation de la teneur en          des ingrédients alimentaires mesurées
De la même manière, les tableaux de          fibres (Le Goff et Noblet, 2001). À par-     sur les porcs en croissance sont géné-
recommandations nutritionnelles pour         tir de ces résultats, différentes valeurs    ralement utilisées pour les truies, bien
le porc (INRA, 1984) ont été remplacés       de teneur en ED, EM et EN des matières       que certaines études indiquent une

                                                                                          INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
116 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard

digestibilité du Ca et du P plus faible       Excel®. De même, l’outil d’aide à la déci-       sous forme de lipides et de protéines.
chez les truies que chez les porcs en         sion InraPorc® (Dourmad et al., 2008)            À l’inverse, les réserves corporelles
croissance (Kemme et al., 1997). La rai-      permet le calcul factoriel des besoins           peuvent être mobilisées lorsque la
son de cette différence n’est pas com-        en énergie, en AA et en minéraux des             demande en nutriments est supé-
plètement élucidée. Elle peut être liée       truies et il intègre en plus un modèle de        rieure à l’apport en nutriments, notam-
à des capacités digestives différentes        simulation qui permet d   ­ ’évaluer à court     ment en fin de gestation et pendant la
entre les porcs jeunes et adultes ou à        ou à long terme la réponse des truies à          ­lactation. Chez les truies en lactation,
certains aspects méthodologiques. En          une stratégie d’alimentation donnée.              la priorité est donnée à l’entretien et
effet, la mesure de la digestibilité du Ca    Ce modèle est présenté plus en détail             à la production laitière, et les réserves
et du P chez les truies est généralement      ci-après et l’outil associé peut être télé-       corporelles contribuent souvent à l’ap-
effectuée pendant la gestation lorsque        chargé sur https://inraporc.inra.fr               provisionnement pour ces fonctions
le besoin est très faible, notamment                                                            prioritaires. Les truies se trouvant en
sur les deux premiers tiers de la ges-        „„5.1. Description générale                       généralement situation de thermoneu-
tation. L’absorption du Ca et dans une        du module truie d’InraPorc                        tralité, les besoins de thermorégulation
moindre mesure du P étant régulée par                                                           ne sont pas pris en compte. Les diffé-
son potentiel de rétention, cela pour-          Dans le modèle InraPorc®, la truie              rentes équations décrivant l’utilisation
rait expliquer la moindre digestibilité       est représentée comme la somme de                 des nutriments et de l’énergie par les
mesurée chez les truies, qui serait donc      différents compartiments (protéines               truies en gestation et en lactation ont
la conséquence d’un apport excessif. Un       corporelles, lipides corporels, énergie           été tirées de la bibliographie et utilisées
autre grand changement dans la nutri-         corporelle, minéraux corporels et uté-            pour construire le simulateur informa-
tion minérale des truies, comme chez les      rus) qui évoluent au cours du cycle               tisé (InraPorc® ; Dourmad et al., 2008).
porcs en croissance, est l’utilisation de     de reproduction (figure 2). Les princi-           Ce simulateur détermine au quotidien
phytases microbiennes qui permet une          paux flux de nutriments sont l’énergie,           les flux de nutriments et d’énergie de
réduction de la teneur totale en Ca et P      les AA et les minéraux. Chez les truies           l’alimentation vers le stockage dans l’or-
de l’aliment. Cependant, la quantité de P     gestantes, la priorité est donnée aux             ganisme, l’excrétion ou la dissipation.
et de Ca digestible libérée par la phytase    besoins d’entretien, à l’activité physique
microbienne semble dépendre de l’état         et la thermorégulation, aux besoins des             D’autres fonctionnalités ont été
physiologique du porc, avec une effica-       fœtus et au développement de l’utérus            ajoutées au simulateur afin qu’il puisse
cité généralement plus faible chez les        et de la glande mammaire. Si l’apport            être utilisé comme un outil d’aide à la
truies que chez les porcs en croissance,      nutritionnel dépasse ces besoins, les            décision (figure 3). Un module animal
en particulier au début de la gestation,      nutriments en excès contribuent à la             (« profil truie ») est utilisé pour décrire
comme l’ont examiné Bikker et Block           constitution des réserves corporelles            les caractéristiques du troupeau. Trois
(2017). Les mêmes raisons méthodo-
logiques que celles avancées ci-des-
                                              Figure 2. Description de l’utilisation des nutriments dans le modèle InraPorc
sus pour expliquer les différences de         (Dourmad et al., 2008).
digestibilité du Ca et du P des aliments
peuvent être suggérées pour expliquer                 Énergie                                             Acides Aminés digestibles
ces écarts.                                      Métabolisable (EM)                                         au niveau iléal (AAdi)

5. Modélisation
                                                                                     Entretien
de l’utilisation
                                                                                      Activité
des nutriments

   Comparativement au porc en crois-                                                  Utérus
sance, assez peu de modèles nutri-
tionnels ont été publiés pour les truies
(Williams et al., 1985 ; Dourmad, 1987 ;
Whittemore et Morgan, 1990 ; Pomar                                                      Lait
et al., 1991 ; Pettigrew et al., 1992 ;
NRC, 1998 ; Dourmad et al., 2008 ; NRC,
2012) et la plupart d’entre eux sont des
modèles de recherche. Parmi les modèles
utilisables en pratique, le modèle NRC                   Lipides                                                    Protéines
                                                        corporels                                                   corporelles
(2012) prédit les besoins en énergie, en
AA et en minéraux selon une approche
factorielle. Ce modèle est disponible                                          Épaisseur de gras
sous forme de feuille de calcul au f­ ormat                                        Poids vif

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 117

Figure 3. Description de l’outil InraPorc d’aide à la décision pour l’alimentation des truies (Dourmad et al., 2008). (PV : Poids
Vif, P2 épaisseur de gras dorsal).

             Base                                                          Description de l’élevage
           INRA-AFZ                                                           (truies/portées)

          Composition                      Niveau              Alimentation       Performance         Logement
          des aliments                 d’alimentation

              Plan                      Conditions                               Profil truie
         d’alimentation                                                                                       Calibration
                                        de logement

                          Simulation                                             Calcul factoriel

                                                                       Élevage                        Truie
          État corporel                Facteurs limitants
           (PV - P2)                        Excès
                                                                              Besoins nutritionnels

autres modules permettent de décrire            de reproduction (c’est-à-dire la taille     f­ actoriel des besoins, il est également
le type d’aliment utilisé sur une période       de la portée, le poids des porcelets, la     possible d’évaluer l’effet du stade de
donnée (« plan d’alimentation »),               production de lait) sont considérées         gestation ou de la prolificité, sur les
la quantité d’aliment ou d’énergie              comme des entrées de l’utilisateur et        besoins en AA ou en P digestible, ou
consommée (« plan de rationnement »)            ne sont donc pas sensibles à l’apport        l’effet de la croissance de la portée et
et les conditions de logement (« loge-          en nutriments.                               de l’appétit des truies sur les besoins
ment »). Le module truie est connecté                                                        pendant la lactation.
au module alimentation qui peut être              À titre d’exemple d’utilisation d’In-
utilisé pour calculer les teneurs en nutri-     raPorc®, les besoins en énergie, en         „„5.2. Simulation
ments des aliments à partir des taux            AA et en P des truies d’un troupeau         des performances
d’incorporation des matières premières          sevrant 30 porcelets par truie et par an,   à court et long terme
à l’aide de la base de données INRA-AFZ         avec respectivement 13,8 et 12,1 por-
(2004). Lors de la définition d’un « pro-       celets nés vivants et sevrés par portée,       Les modèles peuvent également être
fil truie », une procédure de calibration       ont été calculés (tableau 2). Pendant       utilisés pour simuler les effets à court et
est utilisée pour ajuster certains para-        la gestation, le besoin énergétique         à long terme de différentes stratégies de
mètres du modèle au génotype/phé-               moyen s’accroît entre les portées 1         logement ou d’alimentation. L’existence
notype en fonction de caractéristiques          et 3, puis reste constant par la suite.     de carences ou d’excès de nutriments
observées dans une situation de réfé-           Le besoin énergétique moyen pour            peut également être identifiée comme
rence. Cet étalonnage est basé sur une          la lactation augmente jusqu’à la por-       illustré sur la figure 4 pour l’utilisation
procédure d’optimisation automatisée            tée 4. En moyenne, la consommation          de la lysine par une truie en première
qui minimise la différence entre les per-       énergétique « à volonté » est suffi-        portée sur la gestation et la lactation.
formances observées et prédites.                sante pour couvrir 77 % des besoins
                                                énergétiques pendant la lactation,          „„5.3. Prise en compte
  Après calibration, le modèle peut             avec une couverture plus faible chez        de la variabilité des besoins
être utilisé pour déterminer les besoins        les truies primipares (69 %). Pendant
nutritionnels selon une approche fac-           la gestation, les besoins en AA par kg        Une question importante dans la
torielle classique, ou pour prédire les         d’aliment sont plus élevés pour les         nutrition des truies en pratique est de
performances (variation de poids et             truies de première et de deuxième           savoir comment gérer la variabilité des
d’épaisseur de lard dorsal) et analyser         portée, principalement en raison            besoins entre les individus. Celle-ci pro-
par simulation l’utilisation des nutri-         d’une consommation alimentaire              vient de la variabilité des performances
ments. Dans la version actuelle du logi-        plus faible et d’une croissance mater-      de reproduction (taille de la portée),
ciel, les données sur les performances          nelle plus élevée. En utilisant le calcul   de la capacité de production (lait), de

                                                                                            INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
118 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard

Tableau 2. Estimation des besoins moyens en énergie nette, en lysine digestible et                        l’appétit (pendant la lactation), de l’ac-
en phosphore digestible pendant la gestation et la lactation en fonction du rang                          tivité physique et plus généralement
de portée des truies (1).
                                                                                                          de l’historique des animaux. De plus,
                                                                                                          les besoins diffèrent également selon
          Rang de portée                    1          2         3         4          5         6         le rang de portée et le stade physiolo-
                                                                                                          gique. Pendant la gestation, la stratégie
                               Gestation (à la thermoneutralité)                                          pour atteindre l’objectif de l’état corpo-
                                                                                                          rel à la mise bas est d’abord d’adapter
 Énergie nette (MJ/j)                     25,7       28,3      28,4       27,7      27,7      27,6        l’apport d’énergie et d’aliment en fonc-
                                                                                                          tion de l’état corporel à l’insémination,
 Lysine digestible(2) (g/j)               14,3       13,5      12,8       12,4      12,2      12,1        du rang de portée, des performances
                                                                                                          attendues et des conditions de loge-
 Lysine digestible (g/kg)                  5,3       4,5        4,3       4,2        4,2       4,1        ment, notamment car elles jouent sur
                                                                                                          l’activité physique des animaux et leurs
 Phosphore digestible(2) (g/j)             7,5       7,7        7,7       7,4        7,3       7,2        besoins de thermorégulation. Dans ce
                                                                                                          contexte, il est important de mesurer
 Phosphore digestible (g/kg)               2,8       2,6        2,6       2,5        2,5       2,5        ou d’estimer le poids vif et l’épaisseur
                                                                                                          de lard dorsal pour adapter l’apport
                        Lactation (3,0 kg/j de croissance de portée)                                      d’aliment à la situation de chaque truie.
                                                                                                          Ceci est illustré sur la figure 5 avec les
 Énergie nette (MJ/j)                     73,9       77,5      81,7       82,5      82,0      81,2        données obtenues à partir d’une ferme
                                                                                                          expérimentale (Dourmad et al., 2017 ;
 Ingestion (% du besoin)                  69 %      76 %       79 %      78 %       79 %      80 %        Gaillard et al., 2019). Le poids corpo-
                                                                                                          rel moyen des truies à l’insémination
 Lysine digestible(2) (g/j)               48,5       49,8      51,7       51,7      51,1      50,4        augmente avec le rang de portée alors
                                                                                                          que ce n’est pas le cas pour l’épaisseur
 Lysine digestible (g/kg)                  9,0       8,0        7,6       7,6        7,5       7,4        moyenne du gras dorsal. Cependant,
                                                                                                          pour les deux critères, la variabilité
 Phosphore digestible(2) (g/j)            17,9       18,7      19,7       19,8      19,6      19,4
                                                                                                          est élevée, ce qui entraîne une forte
                                                                                                          variabilité des besoins énergétiques
                                                                                                          (35 ± 2,4 MJ EM par jour).
 Phosphore digestible (g/kg)               3,3       3,0        2,9       2,9        2,9       2,8

1
  Calculé pour un élevage sevrant 30 porcelets par truie productive et par an, avec une croissance de        Lorsque la quantité totale d’aliment
portée moyenne de 3,0 kg/j et une consommation moyenne en lactation de 6,4 kg d’aliment/j.                ou d’énergie allouée est définie, diffé-
2
  Les besoins en lysine digestible iléale standardisée et en phosphore digestible sont calculés pour le   rentes stratégies peuvent être utilisées
dernier mois de gestation, pour un aliment contenant 9,4 MJ d’énergie nette par kg d’aliment.             pour répartir cette quantité totale sur
                                                                                                          la gestation. Il est généralement admis
                                                                                                          que l’augmentation de la ration alimen-
Figure 4. Simulation de l’utilisation de la lysine digestible au cours de la gestation                    taire à la fin de gestation, au cours des
et de la lactation (portée 1).
                                                                                                          trois 3 dernières semaines, peut amélio-
                                                                                                          rer la vitalité et la survie des porcelets
                                                                                                          à la naissance, en particulier chez les
                                                                                                          truies hyperprolifiques (Quiniou, 2005).

                                                                                                            La stratégie optimale pendant les
                                                                                                          deux premiers tiers de la gestation est
                                                                                                          moins claire et peut dépendre du type
                                                                                                          de logement et de l’équipement dispo-
                                                                                                          nible pour la distribution des aliments.
                                                                                                          En Europe, deux stratégies sont souvent
                                                                                                          appliquées pendant cette période : soit
                                                                                                          un niveau d’alimentation assez constant,
                                                                                                          soit plus communément une période
                                                                                                          de suralimentation des truies maigres,
                                                                                                          sur environ 4 semaines, suivie d’une
                                                                                                          période de restriction. Cette seconde
                                                                                                          stratégie, qui permet une reconstitu-
                                                                                                          tion rapide des réserves corporelles
                                                                                                          des truies en début de ­gestation, est

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
Évolution des concepts nutritionnels et des méthodes d’alimentation des truies reproductrices : historique et perspectives / 119

Figure 5. Besoin moyen en énergie métabolisable (EM, MJ/j) des truies en gesta-            r­ espectivement à 8,3 – 7,3 et 6,7 g de
tion, selon le rang de portée et le poids vif à l’insémination (rouge : rang 1, vert :      lysine SID par kg d’aliment. Cependant,
rang 2 ; bleu : rang 3 et plus) (d’après Gaillard et al., 2019).
                                                                                            en raison de la variabilité des besoins,
                                                                                            des apports plus élevés sont néces-
                                                                                            saires pour répondre aux besoins de la
                                                                                            majorité des truies, comme illustré à la
                                                                                            figure 7. Par exemple, pour répondre
                                                                                            aux besoins de 80 % des truies, l’appro-
                                                                                            visionnement en lysine SID doit dépas-
                                                                                            ser 9,8 – 8,6 et 7,6 g/kg d’aliment, pour
                                                                                            les parités 1, 2 et 3 et plus, respective-
                                                                                            ment, soit environ 15 % de plus que le
                                                                                            besoin moyen.

                                                                                           „„5.4. Vers une alimentation
                                                                                           de précision des truies
de plus en plus courante dans le cadre       élevées chez les primipares que chez les
de la législation européenne sur le bien-    truies multipares et en fin qu’en début         L’utilisation de données individuelles
être des truies, qui impose un héberge-      de gestation (Gaillard et al., 2019).         collectées par l’éleveur (évènements,
ment en groupes après 4 semaines de                                                        taille de portée, poids des porcelets…)
gestation. Cependant, selon Quiniou             Pendant la lactation, les besoins nutri-   ou à l’aide de capteurs (poids vif, épais-
et Quesnel (2008), elle pourrait réduire     tionnels par kg d’aliment sont princi-        seur de lard dorsal, consommation d’ali-
le poids des porcelets à la naissance, si    palement affectés par la production           ment, température ambiante, activité
le niveau d’ingestion est trop bas en        de lait et l’appétit des truies. Il ressort   physique…) en combinaison avec des
milieu de gestation.                         clairement des résultats présentés dans       modèles nutritionnels permet d’envi-
                                             le tableau 2 que les jeunes truies ont        sager le développement de systèmes
   La définition d’une stratégie d’ali-      moins d’appétit et doivent être nourries      d’aide à la décision capables de déter-
mentation des truies gestantes néces-        avec une alimentation plus concentrée         miner au jour le jour la quantité opti-
site d’adapter la teneur en nutriments       en nutriments, notamment en AA et             male et la composition de l’aliment à
(AA, minéraux, vitamines…) en fonc-          en minéraux. En pratique, l’appétit des       distribuer à chaque truie du troupeau,
tion du stade de gestation et/ou du          truies en lactation varie fortement en        et de piloter des équipements « intelli-
rang de portée ; bien qu’en pratique,        fonction du rang de portée, de la tempé-      gents » de distribution d’aliment met-
le plus courant reste d’utiliser le même     rature ambiante, de l’état corporel, etc.     tant en œuvre ces décisions (figure 8).
régime pour toutes les truies. En effet,     De plus, le potentiel de production lai-
les besoins en AA et minéraux dimi-          tière varie également entre les truies,          Ainsi, une alimentation de précision,
nuent avec le rang de portée et varient      en partie selon la taille de la portée,       appliquée au niveau individuel ou à
également en fonction du stade de            augmentant la variabilité des besoins.        l’échelle d’un petit groupe, semble
gestation. Les besoins moyens en lysine      En utilisant les données individuelles        une stratégie prometteuse pour mieux
digestible augmentent avec le stade de       de 1 450 truies dans deux fermes,             adapter l’apport en nutriments aux
gestation avec une grande variabilité        Gauthier et al. (2019) ont calculé les        besoins individuels, améliorer l’efficacité
entre les truies (figure 6). Le besoin est   besoins individuels en lysine SID selon       de l’utilisation des nutriments et réduire
également influencé par le rang de por-      le modèle InraPorc. Les besoins moyens        le coût de l’alimentation. L’intérêt d’une
tée des truies avec des valeurs bien plus    pour les portées 1, 2 et 3+ s’élevaient       telle stratégie d’alimentation de préci-
                                                                                           sion a été évalué par simulation chez les
Figure 6. Évolution du niveau moyen et de la dispersion des besoins en lysine              truies gestantes (Dourmad et al., 2017 ;
digestibles au cours de la gestation (Gaillard et al., 2019).                              Gaillard et al., 2020). Dans cette étude,
                                                                                           une stratégie d’alimentation conven-
                                                                                           tionnelle en une phase (CG) a été com-
                                                                                           parée à une stratégie d’alimentation de
                                                                                           précision consistant en un mélange jour-
                                                                                           nalier de deux régimes avec une teneur
                                                                                           en nutriments faible (FG) ou élevée (EG).
                                                                                           La teneur en lysine digestible était de
                                                                                           4,8, 3,0 et 6,0 g/kg d’aliment et la teneur
                                                                                           en protéines de 14, 9 et 16 % respecti-
                                                                                           vement dans les régimes CG, FG et EG.
                                                                                           En moyenne, le taux d’incorporation du
                                                                                           régime FG dans la stratégie de précision
                                                                                           était de 84 %, la valeur étant plus faible

                                                                                           INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
120 / Jean-yves dourmad, Raphaël gauthier, Charlotte gaillard

Figure 7. Évolution, selon le rang de portée (bleu : rang1, orange : rang 2 et vert :                en lactation. Une stratégie d’alimen-
rang 3), du taux de couverture des besoins en lysine des truies en lactation en                      tation conventionnelle en une phase
fonction de la teneur dans l’aliment. Les lignes en pointillés correspondent à l’ap-
                                                                                                     (CL) était comparée à une stratégie
port permettant de couvrir les besoins de 80 % des truies. (Gauthier et al., 2019).
                                                                                                     d’alimentation de précision consistant
               100                                                                                   en le mélange de deux régimes avec
                                                                                                     une teneur en nutriments faible (FL) ou
                                                                                                     élevée (EL). La teneur en lysine diges-
                     80                                                                              tible s’élevait à respectivement 10,1, 6,5
% cumulé de truies

                                                                                                     et 13,5 g/kg d’aliment et la teneur en
                     60                                                                              protéines à 17,9, 12,3 et 22,50 % dans
                                                                                                     les régimes CL, FL et EL. En moyenne, le
                                                                                                     taux d’incorporation du régime FL dans
                     40                                                                              la stratégie de précision était de 29 %.
                                                                                                     Par rapport à la stratégie en une phase,
                                                                                                     l’alimentation de précision a entraîné
                     20
                                                                                                     une diminution de 20 % de l’apport
                                                                                                     total de protéines, une réduction de
                                                                                                     28 % de l’excrétion d’azote et une dimi-
                     0
                                                                                                     nution de 11 % du coût alimentaire.
                          2                 5            8               11                  14
                                                Lysine digestible (g/kg)
                                                                                                     6. De nouveaux objectifs
chez les truies de première parité (67 %).              l­’alimentation conventionnelle à moins      en lien avec l’évolution
Par rapport à la stratégie en une phase,                 de 5 % avec l’alimentation de précision.    de la demande sociétale
l’alimentation de précision a entraîné                   Parallèlement, la proportion de truies
une diminution de 24 % de l’apport total                 suralimentées a été considérablement
de protéines, une réduction de 30 % de                   réduite.                                      Jusqu’à récemment, la maximisation
l’excrétion d’azote et une diminution                                                                des performances de reproduction
de 4,6 % du coût alimentaire. De plus, la                 De la même manière, Gauthier (2021)        des truies et de leurs portées était le
proportion de truies sous-alimentées en                 a évalué dans un essai conduit au            principal objectif pris en compte lors
AA au cours des semaines 3 et 4 de lac-                 Canada sur 500 truies l’intérêt de l’ali-    de la définition des apports nutrition-
tation est passée de plus de 60 % avec                  mentation de précision chez la truie         nels. Cela impliquait i) de considérer

Figure 8. Représentation schématique de l’application de l’alimentation de précision aux truies reproductrices (d’après
Gauthier et al., 2019 ; Gaillard et al., 2019, 2020 ; Gauthier, 2021).

                              Information                                                               Information

                                                                           Ingestion

           Parité et âge                                                                                                Décision
           Poids vif                                                                                  Besoins         en temps réel
                                                                            Modèle
           Épaisseur de lard                                                                        nutritionnels
                                                    Base de               nutritionnel
           Taille de portée                                                                          individuels         Quantité
                                                    données
           Croissance de portée                                                                                       et composition
   Éleveur Ingestion                                                                                                   de l’aliment
                                                                          Production
           Température...                                                   laitière

                                                                      Prolificité et poids
                                                                        des porcelets

                                 Informations

INRAE Productions Animales, 2021, numéro 2
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