VW Forest, un conflit atypique - Social
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larevuenouvelle, n° 1-2 / janvier-février 2007 Social VW Forest, un conflit atypique Michel Capron Atypique, le récent conflit chez Volkswagen à Forest ? Il l’est assurément à Une compréhension correcte du plus d’un égard. Tout d’abord, voilà la direction d’une multinationale qui, conflit postule de préciser le après avoir manié le bâton d’une lourde restructuration, en allège le poids contexte dans lequel est intervenue par après et accorde des primes de départ et des montants de prépension la restructuration du site de Forest, jugés « historiques ». Ce faisant, elle vise manifestement à redorer son filiale du groupe Volkswagen AG image de marque passablement ternie par la brutalité de sa décision initiale. qui occupe environ 345 000 per- En face, des représentants syndicaux qui, une fois digéré le premier choc, sonnes dans le monde. Le groupe affichent une stratégie pour le moins peu cohérente et dénuée d’un réel comprend notamment, outre VW, dynamisme. Pour sa part, le pouvoir politique se trouve réduit, malgré les les marques Audi, Seat et Skoda. apparences, à gérer au mieux les conséquences de la restructuration. En L’usine d’assemblage de VW Fo- outre, les travailleurs des entreprises sous-traitantes sont apparus longtemps comme les parents pauvres du conflit. Enfin, le travail a repris sans de rest, une des quatre que compte réelles certitudes quant à l’avenir de VW Forest en 2007. notre pays (Ford à Genk, Opel à Anvers et Volvo à Gand), occu- pait quelque 5 500 travailleurs en 2006, ne constitue donc qu’une
social VW Forest, un conflit atypique Michel Capron petite entité au sein de la multina- Depuis cinq ans, l’usine de Fo- social tendu, les travailleurs ont tionale et fonctionne au sein d’un rest a connu plusieurs restruc- réalisé les efforts de productivité tissu de dépendances. turations : 519 pertes d’emploi et de flexibilité demandés, si bien en 2001, 200 pertes d’emploi fin qu’en 2006, VW Forest figurait au Un contexte économique 2004 et 150 en 20052 , essentiel- deuxième rang des sites les plus et social complexe lement par non-renouvèlement productifs du groupe. Les résultats d’un constructeur de contrats temporaires ou de Depuis plusieurs années, le destin automobile dépendent non seule- contrats Rosetta et par prépen- de VW Forest est lié à la conjonc- ment de la conjoncture, européen- sions, sans compter des périodes tion des variations conjonctu- ne et mondiale, mais aussi de sa régulières de chômage technique, relles affectant le marché de part de marché qu’il s’agit de dé- au gré des volumes de production l’automobile, de l’exacerbation de fendre face à une concurrence de attribués. Depuis 2001, la produc- la concurrence au sein de l’Union plus en plus agressive d’année en tion de VW Forest a été à chaque européenne et de décisions hasar- année et du succès plus ou moins fois inférieure aux prévisions de deuses de la direction du groupe grand des nouveaux modèles qu’il début d’année3, et sa variété de VW engendrant des luttes de pou- est contraint de mettre sur le mar- modèles a été progressivement ré- voir en son sein avec des retom- ché1. Les décisions stratégiques en duite pour l’essentiel aux modèles bées négatives sur l’emploi et les matière de production et de vente Golf dont elle n’a pas l’exclusivité. conditions de travail, en Allema- se répercutent sur le volume et les En outre, la direction de Wolfs- gne d’abord, dans les autres sites types de production des filiales. burg intime à VW Forest d’in- européens ensuite. Ainsi, chaque année, la filiale fo- cessants efforts de productivité et restoise, comme les autres, se voit de réduction des couts : dès 2003, Succédant en avril 2002 à Fer- attribuer des volumes de produc- l’usine travaille en continu avec dinand Piëch, qui fut des tion adaptables en cours d’année quatre équipes (dont une de week années durant le manager tout- et des modèles à produire selon end) en mai 2004, la production puissant du groupe VW, Bernd les décisions prises au siège cen- journalière et la flexibilité sont Pischetsrieder doit faire face aux tral du groupe à Wolfsburg. L’usi- accrues, les heures de travail va- conséquences désastreuses de la ne est mise en concurrence avec riant en fonction des commandes, politique suivie par F. Piëch. Ce les autres sites par une évaluation avec recours au chômage techni- dernier privilégiait la production régulière de ses performances en que en cas de récession conjonc- de voitures haut de gamme avec le termes de productivité, de qua- turelle. Malgré plusieurs arrêts rachat de marques prestigieuses lité des produits, de flexibilité de travail témoins d’un climat comme Bentley, Lamborghini et des travailleurs, de climat social et de couts de production. Enfin, VW Forest doit gérer les relations 1 On estime à six ans la durée de vie moyenne d’un modèle. Il s’agit donc de renouveler sans cesse avec ses multiples sous-traitants le design des voitures et la qualité des innovations technologiques (voir les modèles hybrides ou en fonction de délais de livraison les voitures « propres ») pour attirer les consommateurs, sans compter la guerre des prix, les promotions, etc.. Voyez à cet égard la débauche de publicité chez nous à l’approche du Salon de stricts (le « just in time »). Ce l’auto. contexte de travail à flux tendu 2 Opel Anvers a subi 900 pertes d’emploi fin 2001 et Ford-Genk 3 000 pertes d’emploi fin 2003. produit un stress omniprésent. 3 248 000 voitures en 2001, 230 000 en 2002, 177 000 en 2003, 183 000 en 2004 et 202 000 en 2005. Pour 2006, la prévision était de 193 000 Golf et 11 000 Polo.
larevuenouvelle, n° 1-2 / janvier-février 2007 Bugatti et le lancement de la VW en 2004 (alors que par ailleurs les nistrateur-délégué B. Pischetsrie- Phaeton, tout en se reposant sur ventes d’Audi sont bénéficiaires). der sont chargés de la gestion l’avantage technologique offert Wolfgang Bernhard, nommé à la opérationnelle. Pischetsrieder se par le modèle Golf. direction de la marque VW début trouve en conflit stratégique avec 2005, présente en février 2006 un Piëch : il vise le retour aux mo- Les mauvais résultats de 2003 nouveau plan de restructuration dèles de gamme moyenne, alors amènent Pischetsrieder à élaborer impliquant 20 000 pertes d’em- que Piëch reste axé sur le haut de début 2004 un plan de restruc- ploi sans licenciements, mais gamme et veut investir dans les turation impliquant plusieurs avec retour aux 35 heures sans poids lourds ; par ailleurs, Piëch milliers de pertes d’emploi et compensation salariale : il s’agit reproche à Pischetsrieder l’ineffi- 4 milliards d’euros d’économies de remédier à la sous-utilisation cacité des plans de restructuration pour redresser la situation finan- des capacités de production et à en matière de réduction des couts cière. C’est qu’un euro fort face la perte de rentabilité due au bra- et de surcapacités. Pour leur part, au dollar, un manque de dyna- dage des prix. Les échos venant Wulff et les représentants d’IG misme commercial, l’apparition d’Allemagne se répercutent chez Metall critiquent vivement, sur la de modèles concurrents de la Golf VW Forest. Ce second plan susci- base du compromis de 2004, les et les incertitudes liées au nou- te toutefois des réactions, à la fois pertes d’emploi prévues. veau modèle Golf V, les pertes au sein de la direction du groupe engendrées par la VW Phaeton À l’issue de débats houleux, le VW et de la part du syndicat IG (1 milliard d’euros), le cout du Conseil de surveillance don- Metall. rachat des marques de prestige nera finalement son feu vert, en (2,5 milliards d’euros), l’échec Au sein de la direction du groupe, avril 2006, au plan de restruc- des ventes en Chine et les pertes la lutte d’influence entre F. Piëch turation que le directoire est sur le marché américain pèsent et B. Pischetsrieder apparait au chargé de mettre en œuvre après lourd dans la balance. Le syndicat grand jour. Cela mérite quelques négociation avec IG Metall, mais IG Metall refuse les pertes d’em- explications. Conformément au à condition qu’il n’y ait pas de ploi et des négociations difficiles système de « cogestion » alle- fermetures en Allemagne et que débouchent, en novembre 2004, mand, la direction du groupe VW les pertes d’emploi se fassent sans sur un compromis : acceptation est assurée par deux organes. Le licenciements. De laborieuses d’un gel salarial jusqu’en 2007 Conseil de surveillance, présidé négociations débouchent, fin sep- (hormis une prime de 1 000 euros par F. Piëch4 , est composé en outre tembre, sur un accord avec IG Me- en 2005) contre la garantie d’em- à parité de représentants des prin- tall : il y aura passage à la semaine ploi pour les 103 000 salariés cipaux actionnaires et de repré- de 5 jours avec augmentation du allemands jusqu’en 2011. Ce sentants d’IG Metall. Il nomme le temps de travail (de 28,8 heu- compromis ne suffit pas à redres- directoire et approuve les comp- res par semaine à une fourchette ser la marque VW qui connait tes et les options stratégiques du allant de 25 à 33 heures) sans une perte de 250 millions d’euros groupe. Le directoire et son admi- compensation salariale, mais avec une prime de 1 000 euros en 2007, un intéressement aux 4 Actionnaire indispensable du groupe Porsche, Piëch reste ainsi l’éminence grise du groupe VW bénéfices de VW et un accroisse- dont les deux actionnaires de référence sont le groupe Porsche (27,4 % des parts) et le Land de Basse-Saxe présidé par C. Wulff (20,4 % des parts). ment de 6 300 euros du montant
social VW Forest, un conflit atypique Michel Capron annuel de la pension. Les pertes ils veulent des garanties quant à blème en mains. Il apparut mal- d’emploi s’effectueront par des l’avenir de l’usine. Le 21 novem- heureusement tout aussi vite que prépensions et des départs volon- bre, la réponse est fournie en la marge d’intervention des pou- taires avec une prime de base de conseil d’entreprise sous forme voirs publics était singulièrement 54 000 euros accrue d’une prime d’un coup de massue de 4 000 mince, voire inexistante. » Cette variant de 40 000 à 195 000 euros pertes d’emploi (dont 500 parmi fois, sous le coup de l’émotion, en fonction de l’ancienneté. les employés), la production des on stigmatise à la fois la politique Golf étant transférée vers les sites d’Angela Merkel visant à réduire Dès ce moment, l’inquiétude se allemands de Mosel et Wolfs- le chômage par le rapatriement manifeste à Forest où l’on craint burg. Il n’y aura pas fermeture, de productions en Allemagne, le des transferts de production les quelque 1 500 travailleurs res- « patriotisme » économique de de Golf vers Wolfsburg et donc tants étant affectés à la production la direction de VW et la « tra- d’inévitables pertes d’emploi. Et de modèles Polo. Tout le monde hison » du syndicat IG Metall ce d’autant plus que, début no- est sous le choc : les travailleurs, abandonnant les camarades de vembre, la presse allemande men- partagés entre l’abattement et la Forest. Nombreux sont ceux qui tionne l’intention du groupe VW colère, la fédération patronale appréhendent une fermeture en de supprimer 20 % des emplois Agoria, et le monde politique qui, deux temps, une production avec dans ses sites belge, espagnol tout en clamant son indignation, 1 500 travailleurs ne pouvant être (Pampelune) et portugais (Setu- se trouve fort démuni pour ripos- rentable. Enfin, une première es- bal), soit quelque 1 000 emplois à ter à cette décision. En fait, l’his- timation fait état de quelque 8 000 Forest, alors même que le groupe toire sociale se répète tristement. pertes d’emploi indirectes chez les VW a renoué avec les bénéfices5. En effet, j’écrivais ici même, en sous-traitants6 . Enfin, derniers rebondissements octobre 1986, à propos de la fer- au sein de la direction du groupe L’incompréhension est d’autant meture de l’usine Michelin de VW : l’annonce, le 7 novembre, plus grande que sont énumérés Zuun : « On a rarement connu une de la démission de Pischetsrie- les atouts de VW Forest : l’une telle unanimité pour stigmatiser der fin décembre 2006, suivie en des usines les plus productives, le comportement de la direction janvier de celle de W. Bernhard, des efforts incessants de flexibi- de Michelin, le Parlement — tous qui seront tous deux remplacés lité, des couts inférieurs à ceux partis confondus — chargeant le par Martin Winterkorn (direc- de Wolfsburg, les récents inves- gouvernement de prendre le pro- teur d’Audi et fidèle de F. Piëch). tissements de VW 7, l’Automotive La tension croît chez VW Forest où l’on pressent qu’une décision de restructuration émanant de 5 En 2005, le groupe affiche un bénéfice de 1,7 milliard d’euros pour un chiffre d’affaires de Wolfsburg est imminente. 95 milliards d’euros. Les estimations pour 2006 font état d’un bénéfice d’au moins 1,5 milliard d’euros et de ventes en progression. Quant à la Bourse, elle approuve massivement ces restructu- Une décision brutale rations, l’action VW y étant passé de 45 euros fin 2005 à 82,96 euros le 22 novembre 2006. En outre, chez nous VW est en tête des ventes en 2006. L’inquiétude des travailleurs de 6 Par la suite, ce chiffre sera ramené à 2 300 environ, ce qui reste considérable et pose la question VW Forest les incite à décider de de la responsabilité de VW quant aux plans sociaux futurs chez ces sous-traitants. partir en grève par un arrêt de 7 VW aurait investi quelque 500 millions d’euros pour transformer l’installation de peinture, accroitre l’automatisation du département montage et créer l’Automotive Park jouxtant VW travail le 17 novembre au soir, car pour optimiser la proximité des sous-traitants.
larevuenouvelle, n° 1-2 / janvier-février 2007 Park voisin comprenant une série car les multinationales restent revendication d’un plan social : de sous-traitants. On ne peut tou- souveraines en matière de déci- primes de départ volontaire, tefois ignorer ce que Wolfsburg sion économique : l’Europe n’em- prépension à cinquante ans, pri- considère comme des faiblesses : pêchera jamais qu’un constructeur mes de licenciement et cellules les couts salariaux élevés, un automobile mette en concurrence de reconversion. Les délégués climat social tendu, le manque ses usines européennes. Le vote, syndicaux ne proposent aucune de possibilités d’extension vu la le 13 décembre, par le Parlement action immédiate et, à l’issue de localisation urbaine, la quasi- européen de la création d’un cette assemblée fort peu mobili- monoproduction des Golf, égale- Fonds européen d’ajustement à la satrice, seuls quelques centaines ment produites en Allemagne. mondialisation ne doit pas faire il- de travailleurs manifestent leur lusion : ce fonds viendra soutenir colère dans les rues de Forest. On Quant aux politiques, ils sou- la réinsertion professionnelle des l’aura compris : les organisations lignent les efforts des pouvoirs travailleurs victimes de restructu- syndicales veulent éviter tout publics en faveur de l’industrie rations internationales, mais les « dérapage ». La suite du conflit automobile : la réduction du cout conditions qui y sont liées laissent prouvera que VW Forest n’est pas du travail de nuit et en équipes, peu de chances aux travailleurs de Renault Vilvorde et encore moins l’étalement de la flexibilité hebdo- VW de pouvoir en bénéficier. les Forges de Clabecq. madaire de la durée du travail sur le cycle de vie d’un modèle, la mise Côté syndical, on encaisse mal le Une décision à disposition des terrains pour coup et on tente de parer au plus tactiquement allégée l’Automotive Park et la réduction pressé : une assemblée générale Tandis que des délégations de des taxes communales d’urbanis- d’information se tient le 22 no- VW Forest informent et mobili- me. L’impuissance du pouvoir po- vembre, d’où ne ressortent pas sent les autres sites d’assemblage, litique apparait également au plan de mots d’ordre précis, sauf celui mais aussi d’autres usines et, de l’Union européenne : interrogés, de rester chez soi dans les pro- plus largement, le grand public, les commissaires européens Danu- chains jours. Appel est fait pour le gouvernement fédéral s’active. ta Hübner (politique régionale) et organiser des piquets de grève, D’une part, les ministres fédéral Vladimír Spidla (emploi et affai- une manifestation est annoncée et régionaux de l’Emploi et de la res sociales) doivent reconnaitre à Bruxelles pour le 2 décembre, Formation décident de créer une que les éventuelles interventions la grève continue, avec paiement cellule de crise pour coordon- des fonds structurels ou du Fonds des salaires. Les priorités syn- ner leur action et celle des orga- social européen se limitent à de dicales sont esquissées : d’abord nismes régionaux de formation possibles subsides pour aider à assurer un avenir à l’entreprise, pour constituer le point d’entrée la formation ou à la reconversion donc exiger un plan industriel, unique pour les interlocuteurs des travailleurs ayant perdu leur d’autres modèles à produire sociaux de VW Forest. Cette cel- emploi. Il n’y a toujours ni Europe à l’avenir et le maintien d’un lule recevra et triera les offres sociale ni modèle social européen, maximum d’emplois. Ensuite la d’emploi proposées8 et veillera à organiser des formations visant à réinsérer les travailleurs licenciés 8 Très rapidement la SNCB, les secteurs d’Agoria et de la construction notamment ont proposé (y compris ceux des entreprises plusieurs centaines d’emplois, alors que le taux de chômage reste élevé dans le pays. 10
social VW Forest, un conflit atypique Michel Capron sous-traitantes) sur le marché fallait frapper fort d’emblée pour décidé qu’aucun site européen ne du travail, une fois connues les casser les ripostes éventuelles, produirait les volumes perdus à la intentions de la direction de VW puis adoucir la pilule pour ten- suite de la grève à Forest. par rapport au plan social à né- ter de restaurer quelque peu son gocier. D’autre part, Guy Verhofs- image de marque et ce, comme Un plan social ? Oui, mais… tadt multiplie les rencontres pour par hasard, à la veille d’une ma- Après la manifestation du 2 dé- trouver une solution garantissant nifestation qui aurait pu l’inquié- cembre, les incertitudes demeu- l’avenir de VW Forest. Il recevra ter. L’octroi de primes de départ et rent quant à l’avenir industriel successivement C. Wulff, F. Piëch de prépensions « généreuses » au de VW Forest. Les syndicats, ne et M. Winterkorn. plan social ira évidemment dans disposant toujours pas d’informa- le même sens. tions précises quant aux niveaux Il en résulte, le 1er décembre, que le nouveau modèle Audi A1 pour- En fait, la manifestation du 2 dé- de production pour 2007 et 2008 rait être attribué en exclusivité à cembre, si elle a exprimé un soutien ni de garanties fermes quant à la Forest à partir de 2009, ce qui certain des 25 000 manifestants production d’Audi A1 en 2009, garantirait 3 000 emplois (dont aux grévistes de VW Forest, n’a décident de continuer la grève, une partie prise en charge par les guère eu d’effet sur la direction d’autant plus que les seules certi- sous-traitants) pour un volume de Wolfsburg. Pour ce faire, il eût tudes concernent les exigences de de production d’au moins 100 000 fallu rassembler au moins 100 000 la direction allemande. Il s’agit voitures. Cette proposition impli- personnes aux abords de Wolfs- en effet de passer de 35 à 38 heu- quera néanmoins une réduction burg, ce qui dépassait de loin les res par semaine sans compensa- des couts9, que ce soit sous forme capacités — et sans doute aussi tion salariale, de supprimer les d’accroissement du temps de tra- les intentions — de la Fédération équipes de nuit et de weekend, vail sans compensation salariale européenne des métallurgistes. de remplacer les primes par une ou sous forme de réduction des La manifestation a néanmoins participation aux bénéfices et de cotisations sociales et des char- permis à IG Metall de lever toute fermer le restaurant de l’entre- ges sur le travail en équipes ou ambigüité sur son attitude face à prise, dans la seule optique d’une de chômage temporaire. Restera la restructuration de VW Forest : réduction des couts. à trouver une solution transitoire en Conseil de surveillance, les re- À ce moment, au lieu d’imaginer pour les années 2007 et 2008 qui présentants syndicaux ont refusé des moyens pour accroitre la pres- sera discutée en janvier. Un plan de voter la restructuration qui fut sion pour l’obtention d’un plan social sera négocié pour les 2 400 alors décidée par le directoire ; industriel fiable, les organisations partants. en outre, IG Metall a exclu toute syndicales vont inverser leurs fermeture et exigé une production priorités, s’engager dans la négo- Contrairement aux apparences, ce de remplacement pour assurer ciation du plan social et se rési- n’est pas l’insistance de Verhofs- un avenir à Forest. Enfin, il a été tadt qui aurait modifié les inten- tions de la direction de VW. Je pense que, dès le départ, celle-ci visait cette restructuration « al- 9 La direction de VW veut aligner ces couts sur ceux du site de Mosel, inférieurs de 20 %, une légée », mais tactiquement il lui usine rénovée, destinée à accueillir une bonne partie de la production des Golf transférée progres- sivement de Forest. 11
larevuenouvelle, n° 1-2 / janvier-février 2007 gner à abandonner la lutte pour lement accordés par VW en Alle- ge ; ils ne seront cependant licen- l’emploi en se conformant au plan magne. La prime, d’un montant ciés que trente jours après la fin de restructuration « allégé ». Cette minimum de 25 000 euros bruts de la procédure Renault (ramenée incohérence stratégique peut sans (octroyé aussi aux intérimaires) à deux mois pendant laquelle les doute s’expliquer par la pression est liée aux années d’ancienneté et salaires actuels sont garantis), croissante des travailleurs qui calculée sur la base de 1,5 fois le soit début mars 2007. exigent de connaitre au plus vite salaire mensuel brut le plus élevé La négociation s’avère plus com- les primes de départ et les condi- parmi les ouvriers, avec un maxi- pliquée en ce qui concerne les tions de prépension. Les repré- mum de 144 000 euros. Même prépensions10. Moyennant l’ac- sentants syndicaux entament dès s’il s’agit de montants soumis à cord — à obtenir — du ministre lors à partir du 8 décembre les taxation, les sommes restent ap- fédéral de l’Emploi, 915 person- discussions relatives au plan so- préciables et, très rapidement, le nes ayant atteint cinquante ans cial, non d’une manière globale plafond des 1 500 départs fixé par pourraient quitter l’entreprise. mais par tranches qui concerne- la direction est dépassé. Début Celle-ci prendra en charge 100 % ront successivement diverses ca- janvier 2007, 1 950 demandes ont (pour les ouvriers) et 90 % (pour tégories de travailleurs. Les plus été enregistrées. La liste d’attente les employés) de la différence jeunes, déjà à la recherche d’un reste d’ailleurs ouverte jusque fin entre le dernier salaire mensuel autre emploi, attendent les moda- janvier. En réponse aux critiques net et l’allocation de chômage, lités d’un départ volontaire ; les émanant des milieux patronaux, sur la base de vingt-huit ans prépensionnables se posent des les syndicats font remarquer que d’ancienneté. Toutefois, l’aile li- questions quant à l’application du les travailleurs n’ont pas deman- bérale du gouvernement fédéral Pacte de solidarité entre les géné- dé de perdre leur emploi, que les réclame l’application stricte du rations, tandis que les employés conditions de travail et la flexibi- volet du Pacte de solidarité entre s’interrogent sur les éventuels li- lité exigée sont astreignantes et les générations11, soit l’insertion cenciements. qu’il n’est pas anormal de reven- pendant six mois des candidats diquer des montants analogues à Les primes de départ — égales à la prépension dans une cellule ceux perçus par leurs collègues pour ouvriers et employés — font d’emploi où ils devront prouver allemands. Les candidats au dé- rapidement l’objet d’un accord leur volonté de recherche d’em- part volontaire devront toutefois qualifié d’« historique », car il ploi. À la suite de quoi, ils pour- s’inscrire dans la cellule d’emploi dépasse largement la moyenne ront être prépensionnés, tout en prévue par le Pacte de solidarité des primes accordées dans des cas restant disponibles sur le marché entre les générations, sous peine similaires. En fait, ces primes se de l’emploi jusque cinquante-huit de perdre leurs droits au chôma- réfèrent aux montants habituel- ans. Toutefois, côté socialiste, on préfère une application souple du Pacte, en écho aux objections syn- dicales selon lesquelles il n’est pas 10 Les syndicats avaient revendiqué, en sus du montant de la prépension, une prime individuelle de normal d’obliger des travailleurs 10 000 euros à laquelle ils ont renoncé vu le refus patronal et le montant des prépensions finale- ayant œuvré vingt-cinq ou trente ment obtenu. ans sur la chaine, à rester dispo- 11 Voir à cet égard Th. Moulaert, « Le Pacte de solidarité entre les générations », Courrier hebdo- madaire du Crisp, n° 1906-1907, 2006, p. 49-53. nibles sur le marché du travail en 12
social VW Forest, un conflit atypique Michel Capron sachant bien que leurs chances de le travail. Ce qui pose question, glomération bruxelloise. Il s’agit, retrouver un emploi à cet âge sont à mon sens, c’est que cette re- pour l’essentiel, de filiales de plutôt minimes. prise du travail sous la pression groupes américains, allemands et de la direction et des syndicats français, occupant quelque 1 800 Quant aux employés, sur la base estimant, pour leur part, avoir travailleurs, sans compter qu’elles des départs volontaires actuels et obtenu le maximum possible au sous-traitent elles-mêmes certai- des prépensions possibles, une plan social, s’effectue alors que ni nes activités à d’autres entreprises. centaine d’entre eux pourront être le plan industriel ni le plan social Leur apport va des portières et siè- licenciés, avec une prime dont le ne sont entièrement terminés. Il ges au câblage ou aux pare-chocs. montant n’est pas encore déter- subsiste à tout le moins des flous Ces entreprises ont subi à des de- miné à l’heure actuelle. C’est éga- en ce qui concerne la production, grés divers la restructuration chez lement le cas pour quelque 300 tandis que la question des licen- VW et les travailleurs victimes ouvriers. ciements n’est pas réglée et que des pertes d’emploi subséquentes Entretemps, la direction a laissé les conditions de travail pour ont revendiqué des traitements so- filtrer quelques informations ceux qui reprennent (la durée du ciaux équivalents à ceux réservés supplémentaires quant aux pro- travail, le salaire) ne semblent pas à leurs collègues de VW. La mise ductions futures. Pour la période particulièrement précises. Quant en œuvre de tels plans sociaux 2007-2008, il semble acquis que à la situation des travailleurs des n’a toutefois pas été aisée. Il sem- 2 200 travailleurs auront à pro- entreprises sous-traitantes, elle ble cependant que, début janvier, duire 84 000 voitures, soit 46 000 fait encore l’objet de certaines né- les représentants syndicaux des Polo, 14 000 Golf et 24 000 exem- gociations laborieuses. travailleurs de la plupart de ces plaires d’un modèle à déterminer entreprises aient réussi à conclure (probablement l’Audi A1), en sa- Et les sous-traitants ? des accords sociaux satisfaisants à chant qu’il leur faudra travailler On le sait, VW Forest, comme les leurs yeux, dont les modalités sont 38 heures par semaine et qu’ils autres sites d’assemblage, fonction- cependant diverses12 . Comme des seront soumis à 90 jours de chô- ne avec un ensemble d’entrepri- problèmes subsistent dans certai- mage technique. Quant aux pers- ses sous-traitantes, fournisseurs nes entreprises, les organisations pectives pour 2009, les précisions d’éléments à intégrer dans l’en- syndicales ont déposé un préavis se font encore attendre, étant semble du modèle à assembler. de grève valable pour l’ensemble donné que l’entrée en fonction du Parmi les dix principaux sous- des sous-traitants si des solutions nouveau directeur du groupe VW, traitants dont l’activité dépend en acceptables n’étaient pas dégagées M. Winterkorn, n’est effective que tout ou partie de VW Forest, cinq pour toutes les entreprises. depuis début janvier. se trouvent sur l’Automotive Park, Dès lors, c’est dans le contexte les autres (sauf Johnson Control d’un mélange de certitudes (les à Geel) étant situées dans l’ag- primes de départ et les prépen- sions) et d’incertitudes (le profil exact du futur plan industriel) que, 12 Par exemple, chez Decoma Belplas, est octroyée une indemnité de licenciement variant de le 8 janvier, une courte majorité 10 000 à 30 000 euros en fonction de l’ancienneté avec une prime de départ de 1 000 euros par année de travail ; chez Faurecia, il s’agit d’un préavis variant de 100 à 300 jours selon l’ancien- de 54,2 % a décidé de reprendre neté ainsi que d’une prime de 1 000 euros par année d’ancienneté. 13
larevuenouvelle, n° 1-2 / janvier-février 2007 Des questions en suspens que doivent en penser, par exem- avoir frappé fort initialement, il Tout d’abord, la gestion de l’en- ple, les ex-grévistes d’AGC Auto- n’y a eu ni recours en justice ni semble du conflit par les orga- motive… provocation pour forcer la reprise nisations syndicales suscite plus du travail. Tout s’est passé comme Enfin, on a rarement connu des d’une question. Une fois dépassé si, chez VW, on pouvait, sans réel conflits sociaux se terminant le choc initial et à part la mani- problème, se passer de plusieurs dans un contexte marqué par tant festation à Bruxelles et quelques milliers de véhicules non produits d’incertitudes : non seulement des démarches auprès d’autres entre- du fait de la grève. flous subsistent quant aux licen- prises et chez Agoria, cette grève ciements, aux conditions salariales Sans doute F. Piëch était-il plus ne fut pas active. Seule une mino- et organisationnelles de la reprise préoccupé d’affermir indirecte- rité a assuré les piquets de grève et du travail, au troisième modèle à ment son pouvoir sur le groupe deux assemblées générales pour produire et à l’éventuelle renta- VW en éliminant ses opposants une grève de cinq semaines, c’est bilité d’un volume de production et en installant des hommes à lui vraiment la portion congrue. réduit en 2007 et 2008, mais la aux postes de direction, tout en Cette sorte d’apathie et de quasi- seule certitude concerne la réduc- évitant le recours onéreux d’une résignation de la majorité des tra- tion des couts exigée par la direc- offre publique d’achat de Porsche vailleurs interpelle. C’est comme tion allemande. Par ailleurs, la sur le groupe VW. L’autre objec- si, dès le départ, la perte d’em- dérogation pour les prépensions à tif de Piëch est d’obtenir l’abro- plois était vécue comme une fata- cinquante ans n’est pas encore ac- gation de la « loi Volkswagen » lité, tandis que la détermination cordée et l’application des dispo- qui octroie un droit de véto à tout affichée par les délégations syn- sitions du Pacte de solidarité entre actionnaire disposant de plus de dicales en matière de maintien de générations est loin d’être exclue. 20 % des parts, comme c’est le cas l’emploi et de plan industriel ap- Enfin, la promesse de la produc- du Land de Basse-Saxe dont le paraissait plus incantatoire qu’ef- tion exclusive de l’Audi A1 dès président ne cache pas sa volonté fective. En effet, une fois connue 2009 n’est toujours pas consignée de pousser Piëch vers la retraite. la restructuration « allégée », c’est par écrit à la mi-janvier. En outre Ce dernier veut tout simplement la négociation du plan social qui a si le statut des 2 200 travailleurs pouvoir imposer au groupe VW occupé le devant de la scène, sous actuellement occupés se précise un taux de rentabilité élevé sans la pression — sans doute com- progressivement, dans quelles plus assumer les risques du ma- préhensible — des travailleurs conditions les 800 travailleurs nagement et donc, à cet effet, toute désireux de partir ailleurs, nantis prévus en plus en 2009 seront-ils restructuration et toute réduction de primes intéressantes, au détri- engagés ? Autant de questions qui des couts sont bonnes à prendre. ment d’une solidarité collective laissent le gout amer d’un conflit On peut dès lors comprendre que, insistant davantage sur les garan- vraiment atypique. dans ce contexte de lutte de pou- ties de pérennité de l’activité que voir, les dirigeants de Porsche et Au total subsiste l’impression sur des solutions individuelles. de VW ont dû considérer le conflit d’une grève lisse, sans vagues ni chez VW Forest comme un acci- Que dire alors d’une grève pres- du côté syndical où tout a été mis dent de parcours que l’on pouvait que entièrement payée par la di- en œuvre pour éviter les « dérapa- maitriser à condition de procéder rection de l’usine ? On devine ce ges » ni du côté patronal où, après avec patience et d’y mettre le prix, 14
social VW Forest, un conflit atypique Michel Capron ce que le retour du groupe aux bé- néfices permettait aisément. Enfin, remarquons que le conflit chez VW Forest a mis, une fois de plus, en lumière la faiblesse des organisations syndicales face à l’arbitraire des multinationales opérant au sein de l’Union euro- péenne. L’existence des conseils d’entreprise européens (CEE) est sans doute un acquis incontesta- ble. Cela s’avère toutefois insuffi- sant pour établir un réel rapport de forces face à des décisions de multinationales manipulant des milliers de travailleurs comme des pions et jouant sur la concurrence entre sites de production pour ac- croitre leur rentabilité. À cet effet, il y aurait lieu de créer, en plus des CEE, des délégations syndicales européennes habilitées à conclure des conventions collectives de tra- vail et, en cas de conflit, à négocier directement, en s’appuyant sur les délégués locaux, avec la direc- tion des multinationales qui dis- pose seule du pouvoir de décision stratégique. n 15
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