ZIBELINE - Maisoù va-t-on ? - mensuel culturel - Journal Zibeline
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ZIBELINE 15.01 > 12.02.2021 n n u lé ? mensuel culturel A CULTURE LOISIRS ciné N°7 Mais où va-t-on ?
sommaire Annulé ? 7 Tribune [P.4-5] Marre de tout annuler Grand entretien [P.6-7] Appel des festivals français de musiques Entretien avec François Cervantes, auteur, metteur en scène et directeur de la Cie L’Entreprise Politique culturelle [P.8-9] Technopol ouvre une antenne dans la région Sud Société [P10-13] L’après M, fast social food Cité Queer [P.14-15] Des pesticides dans les lagunes de Méditerranée : Renaissance de l’Eden, repaire trans et afroqueer à Marseille une étude pilote de l’Ifremer Portrait [P.16-17] Rodin Kofman, poète rappeur Dans ton coeur, Akoreacro, Biac 2021 © Richard Haughton Événements [P.16-29] La Biennale internationale des Arts du Cirque, Marseille Les Élancées, Ouest Provence Festival Parallèle, Marseille : entretien avec Lou Colombani Festival Les Hivernales, Avignon Au Mucem Mascarades, SOS Méditerranée à la mairie du 1/7, Marseille Betty Tchomanga, festival Parallèle 2021 Entretien avec Marie Vauzelle pour sa création Maelström © Farah Mirzayeva Entretien croisé avec (LA)HORDE et Rone pour Room with a view Critiques [P.30-32] L’Ouvre-Boîte, le Vitez, Montévidéo, le Joliette, l’Ensemble Télémaque, les Ballets de Monte Carlo Au programme Spectacle vivant (P.33-57) Musiques (P.57-65) Pode Ser, Arts visuels (P.66-67) Leïka Ka, Hivernales 2021 © Martin Launay -Ville de Saint-Nazaire Arts visuels [P.68-69] Chroniques, Biennale des imaginaires numériques, Aix, Marseille, Avignon Litté/CD [P.71-78] Livres du mois : Les descendants de la dame aveugle, Aranyak, Patakès général, Philippe Poncet, Marseille Herbert ; Analphabète ; Broadway ; Le Neveu d’Anchise ; Humeur noire ; Un détail mineur ; La mer Noire dans les Grands Lacs ; Cinéma [P.70] C’était le jour des morts ; Un dîner chez Min ; La maison des Hollandais ; La forêt comestible Africapt, Festival des Cinémas d’Afrique du Pays d’Apt CD du mois : Beethoven, si tu nous entends ; Concertos ; Adonaïs ; Lalo Schiffrin for Mandolin ; Jim younger’s spirit ; Serket & the Cicadas
édito Bad tripes A près la dernière déclaration Convaincre de son utilité. Qu’il lui soit difficile, voire de Jean Castex levant tout impossible, d’amorcer un semblant de calendrier espoir de réouverture des d’une reprise même progressive est tout à fait lieux culturels en janvier, Rose- compréhensible. Qui prendrait ce risque devant lyne Bachelot est sortie de son les mauvais tours que continue de nous jouer la hibernation médiatique. « Je pandémie ? « Je fais tout pour que ce soit possible mets toutes mes tripes sur la table pour protéger mais je ne prends pas d’engagement », feint-elle le monde de la culture », s’est-elle illustrée sur de s’agacer. La ministre refuse donc de s’enfermer une radio publique. La ministre travaille, réunit, dans des dates sur lesquelles l’évolution de la consulte. Soit. Mais visiblement elle n’entend situation sanitaire risquerait de la faire revenir. pas. À la question que tous se posent tellement Soit. Pourtant, en ce qui concerne les festivals celle-ci relève de l’évidence, elle ne répond pas. de l’été 2021, la doyenne du Gouvernement Jamais. Pourquoi les centres commerciaux, les est confiante. La preuve : elle croise les doigts ! transports, les lieux de culte et pas les musées, Quant aux droits des intermittents, la ministre les cinémas et les salles de spectacle ? Madame de la Culture garantit qu’ils seront prolongés. Bachelot contourne ou évoque timidement le De nouvelles aides seront nécessaires ? Qu’à « brassage des populations », argument aussi cela ne tienne, le chéquier est sur la table. Que incohérent que l’est la situation. Devant l’exemple Roselyne est charitable... Et d’affirmer droit dans du concert-test en Espagne, elle finit par évoquer les yeux qu’elle n’est « pas quelqu’un qui fait une la possibilité d’un dispositif de labellisation des carrière politique ». Quelle abnégation ! À faire lieux qui seraient aptes à rouvrir leurs portes presque oublier qu’à 74 ans elle est élue depuis avec les conditions optimales pour protéger les le début des années 80. Pour émouvoir dans équipes et les publics, mais préjudiciables à ceux, les chaumières, l’ancienne Grosse tête parle de plus petits, dont les adaptations seraient plus tragédie. Mais la culture n’a pas besoin d’une compliquées. Comme si les mois de l’entre-deux Cassandre. confinement n’avaient pas prouvé la réactivité et Derrière la parade du soutien et de la générosité la prise d’initiatives des opérateurs culturels pour d’un État redevenu providentiel, la rhétorique mettre en place les protocoles d’accueil les plus pernicieuse du « quoi qu’il en coûte » prive le stricts. La ministre renie-t-elle ses propres affirma- monde culturel d’un de ses pouvoirs essentiels, tions actant qu’aucun cas de contamination n’avait celui de relier les êtres en transcendant le réel pu être constaté après une représentation ? Elle pour ouvrir un horizon commun. Quel mépris ! semble bien à la peine, Roselyne, pour convaincre. LUDOVIC TOMAS Photo couverture : © TnK1PrdZ ZIBELINE MAGAZINE, MENSUEL CULTUREL CULTURE LOISIRS CINÉ Rédactrice en chef : Dominique Marçon Chargée des abonnements : Rédaction : com.zibeline@gmail.com journal.zibeline@gmail.com Contact diffuseurs : Mensuel paraissant le vendredi Commerciale : A juste Titres - tél : 04 88 15 12 41 Édité à 20 000 exemplaires Titre modifiable sur www.direct-editeurs.fr Zoé Guillou par Zibeline zoe.zibeline@gmail.com / 07 67 19 15 54 Maquette : Philippe Perotti BP90007 13201 Marseille Cedex 1 Administration : Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 contact@journalzibeline.fr Imprimé par Rotimpres Directeur de publication : RETROUVEZ TOUS NOS CONTACTS Imprim’vert - papier recyclé Alain Hayot SUR JOURNALZIBELINE.FR
4 tribune Marre de tout annuler Une fois de plus Zibeline prépare un donc nous empêcher d’embrasser nos enfants, interdire leurs premiers baisers, la naissance de l’amour, les rela- numéro de reprise, et une fois de plus tions sexuelles, les coups de foudre ? tout ce que les artistes ont répété, les Monstres conservateurs et curateurs rassemblé, La question de notre humanité est posée. Ceux qui nous gouvernent, après le désastre des masques, des tests, des tout ce qui a été longuement imaginé, vaccins, vont-ils continuer à ignorer ce qui constitue notre humanité, et nous préserve de la barbarie ? Alors que les ne verra pas le jour répressions et les violences policières augmentent, les res- trictions ineptes qui pèsent sur nos vies affectives et cultu- J usqu’au mois de mars, une fois nos journées relles deviennent si inacceptables que nous les contour- de travail achevées, pour ceux d’entre nous qui nons. Privés d’activité nous nous pressons dans les queues ne sont pas en chômage forcé, nous rentrerons effarantes des centres commerciaux, sur les chemins fores- nous plonger dans ces fenêtres/écrans qui nous tiers qui n’ont jamais vu autant de marcheurs démasqués. offrent des succédanés de contact, des réalités diminuées. Nous croisons des joggers occasionnels, privés de salles Certains d’entre nous retrouverons des foyers dangereux : de sport, qui postillonnent et crachent sur le sol. Nous nous les violences conjugales ont augmenté de 60%, celles sur perdons dans une surconsommation de culture virtuelle, les enfants, moins comptabilisables encore, ont explosé. prenant l’habitude de ces succédanés qui ne rémunèrent Nous ne pouvons plus « vivre » ainsi. Les êtres humains ont ni les artistes ni les auteurs et vont, s’ils remplacent le vi- besoin de rencontrer l’autre, de le voir, d’échanger. Nous vant, définitivement le tuer. avons accepté, lors du premier confinement, que tout soit Plus grave encore, nous nous désintéressons de ceux qui mis à l’arrêt pour préserver nos vies. Mais nous ne pou- meurent en Méditerranée. Enfermés nous nous refermons vons plus supporter ce demi confinement qui s’éternise sur nous-mêmes, abandonnons nos luttes, privés de joie, et ne permet que de maintenir la vie des entreprises, la de cette indispensable véhicule vers l’autre que sont les vie commerciale, nos vies de labeur, en nous privant de paroles artistiques, littéraires, musicales, la réflexion par- façon insensée de nos joies, spectacles, concerts, cinéma tagée, le débat. distancié, expositions et musées sécurisés. Alors, à Zibeline, pour que chacun mesure ce que nous Pas avant mars, dit notre nouvelle ministre de la Culture, avons perdu en ce début d’année, nous avons décidé de visiblement désolée. Mais pourquoi ? Jusqu’à quand fau- vous montrer tout ce qui a été annulé, et était prévu pour dra-t-il rappeler que les flux dans les musées sont bien que nous le partagions. moins dangereux que ceux des centres commerciaux ? Nous nous retrouverons, si nous luttons ensemble pour Que rire au cinéma est moins risqué que partager le corps ne pas devenir des monstres renfermés sur des plaisirs du Christ dans une église ? Qu’aller dans un théâtre, as- solitaires, que l’on nous impose, et qui nous empêchent sister à un spectacle de cirque sous chapiteau, en plein de partager souffrances et joies de l’humanité. En ce mois air, est nettement moins propice à la contagion, sinon de de janvier, propice aux vœux, nous souhaitons simple- plaisir et d’intelligence, que d’embrasser son enfant qui ment que cette année perdue ne soit pas suivie d’une rentre tous les jours du collège, où il fréquente, dans une trop longue convalescence. Au commencement était le petite salle mal chauffée et mal aérée, trente camarades, Verbe, il reviendra. et une douzaine de professeurs successifs ? Faudra-t-il AGNÈS FRESCHEL Annulé
5 En 2021, ils y croient ! Jardin sonore © Renaud Alouche Un appel signé par plus de 150 festivals originale, serait-il économiquement viable de les mainte- nir dans des formes adaptées ? français de musiques réaffirme leur Clairement non. Le modèle d’un festival, à la base, n’est pas économiquement viable. Donc le but n’est pas de perdre savoir-faire et leur détermination pour des centaines de milliers d’euros à chaque édition. Si l’on met de côté les festivals subventionnés voire très subven- la tenue des manifestations cet été tionnés, l’équilibre financier ne se fait qu’à partir de 90 ou 95% de remplissage. Donc si l’on doit basculer vers du D es indépendantes Transes Cévenoles dans le tout assis distancié, ce n’est pas viable du tout et il faudra Gard au mastodonte marseillais Marsatac, en imaginer une compensation en termes de billetterie. On passant par le Worlwide à Sète, les Escales du ne peut pas demander aux professionnels et artistes de Cargo à Arles ou le Midi Festival à Hyères, les diviser leur salaire par trois. événements musicaux du grand Sud-Est se mobilisent et À quoi pourrait ressembler un festival en plein air et de- expriment leur optimisme. Entretien avec Alexandre Lan- bout avec distanciation ? glais, directeur de Jardin sonore, à Vitrolles. On partirait sur des protocoles décidés l’été dernier, c’est- Zibeline : Comment est né cet appel ? à-dire quatre mètres carrés au lieu d’un, par spectateur Alexandre Langlais : Il est le résultat d’échanges enga- masqué. Le modèle avait été validé et sur le papier, la gés entre festivals et syndicats depuis les premières annu- possibilité existait. Mais de fil en aiguille, la plupart des lations au printemps dernier. Il rassemble des festivals de événements concernés n’ont pas reçu les autorisations toutes tailles, de tous profils et de tous styles, à dominante préfectorales et ont été annulés. musiques actuelles. C’est notre première expression com- Y a-t-il un risque de disparition de certains festivals en cas mune et il nous a semblé de bon ton de penser qu’il n’y a de nouvelle année blanche en 2021 ? pas de raisons que nos éditions 2021 ne se tiennent pas. Bien sûr. Certains vont devoir repenser leur modèle éco- Où en sont les discussions avec le ministère de la Culture nomique ou se mettre en hibernation si ce n’est en fer- à ce sujet ? meture définitive. Et cela ne concerne pas que les petites Il y a eu les états généraux des festivals en octobre der- structures ou les indépendants. Les grand groupes comme nier, à Avignon, en présence de Roselyne Bachelot. N’ayant Live Nation peuvent faire le choix de ne pas reconduire pas de contrôle sur la situation sanitaire, il est très difficile leur participation financière. De même pour les collecti- d’avoir des réponses concrètes depuis. Il y a une oreille vités, si leurs budgets deviennent exsangues. attentive et des rendez-vous, d’éventuelles aides ont été L’appel souligne que le public est en demande et optimiste évoquées pour l’organisation des festivals dans de bonnes puisque certaines personnes n’ont pas réclamé le rembour- conditions mais on ne sait pas encore de quel type. On sement de leur billet. Est-ce le cas pour Jardin sonore ? peut comprendre que ce soit compliqué pour un gou- Cela représente environ 15% de nos spectateurs, ce qui vernement de se positionner à six mois. De notre côté, n’est pas anodin pour nous, en tant que festival assez on connaît déjà les contraintes auxquelles on va devoir jeune qui n’a pas encore marqué l’histoire du territoire. faire face et on commence à réfléchir sur des probléma- Une partie du public est solidaire et en attente mais c’est tiques comme la distanciation et la circulation des publics difficile à estimer. On entend beaucoup de discours alar- sur site, l’accueil des artistes, etc. Des groupes de travail mistes sur les rassemblements et les concerts alors qu’il se réunissent pour tenter de proposer un modèle. Cela n’y a eu aucun retour de contamination avérée. Les gens reste de la théorie. demandent à être rassurés. Si les festivals ne pouvaient avoir lieu dans leur configuration PROPOS RECUEILLIS PAR LUDOVIC TOMAS
6 grand entretien « La période n’est pas du tout inspirante » Dans Le cabaret des absents, François Cette très belle histoire a été un déclencheur de l’écriture du Cabaret des absents. Cervantes met en lumière celles et Que raconte ce Cabaret des absents ? Les relations entre une ville et un théâtre et tous les hasards ceux qui ne poussent pas les portes qui tournent autour. On fait beaucoup de statistiques pour connaître les gens qui viennent aux spectacles. Mais dans un d’un théâtre. Entretien avec l’auteur, théâtre, il y a beaucoup plus d’absents que de présents. Dans metteur en scène et directeur de la la pièce, entre des numéros de cabaret, des personnages ap- paraissent et expliquent pourquoi ils ne sont pas là. C’est une compagnie L’entreprise manière de les rendre manifestes et de montrer que ce lieu est fait pour une communauté très élargie, où même ceux qui n’y sont pas veillent sur lui. Un lieu où l’on partage émo- P our François Cervantes, le théâtre est avant tout une tions et pensées et où les absents sont quand même concer- œuvre collective. Dans sa nouvelle pièce, on retrouve nés par la représentation. Quelqu’un peut aller au théâtre et la complice Catherine Germain, figure emblématique le lendemain, au café, parler de la soirée qu’il a passé. Les de la compagnie, ainsi qu’Emmanuel Dariès que l’on dix personnes qui vont l’écouter, d’une certaine manière, ont a pu voir dans Carnages. Ils sont rejoints de nouveaux aussi participé à cette soirée. Il y a des spectacles dont j’ai des venus, Théo Chédeville, Louise Chevillotte, Sélim Zahrani souvenirs assez précis et que je n’ai jamais vus. et Sipan Mouradian, rencontrés à l’occasion de la précédente Au cours des « debriefings » qui ont eu lieu pendant les répéti- création, Claire, Anton et eux, écrite pour de jeunes acteurs tions, les acteurs pouvaient jusqu’à remettre en question des du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Trois passages voire des personnages de la pièce. Ce fonctionne- générations d’actrices et d’acteurs qui illustrent la volonté de ment est-il commun chez les metteurs en scène ? l’auteur d’élargir la communauté du théâtre. Avec moi, les acteurs ont plus affaire à un auteur qu’à un metteur en scène. Le texte était encore en train de s’écrire et Zibeline : Vous avez écrit Le Cabaret des absents, en vous ins- a continué à s’écrire jusqu’au dernier moment. On teste, on pirant de l’histoire vraie du sauvetage du Théâtre du Gym- modifie. Chacun peut amener son regard. Cet aller-retour nase. Qu’elle est-elle ? permanent entre l’écriture et le plateau est pour moi une des François Cervantes : Gaston Defferre est alors maire choses les plus agréables et les plus spécifiques au théâtre. Par de Marseille. Considérant qu’il y a trop de théâtres en ville, principe, une œuvre théâtrale est collective. Je ne pense pas il compte se séparer du Gymnase, abandonné dans l’attente qu’il y ait un texte qui descende du ciel, qui s’impose à une de sa destruction. Alors qu’il a en projet le site pétrolier de équipe d’acteurs et qui empêche toute traduction ou adapta- Fos-sur-Mer, il accueille Armand Hammer, directeur d’Oc- tion. C’est un élément à travailler parmi d’autres. Je trouve cidental Petroleum, grosse compagnie pétrolière aux États- d’ailleurs dommage qu’un spectacle soit répété puis joué le Unis. Après leur rendez-vous, à la grande surprise du maire, soir d’une première. Ce n’est pas très naturel qu’il soit jeté le riche entrepreneur demande à visiter le Théâtre du Gym- à un public sans jamais avoir été avant frotté à des enfants, nase. Ce dernier explique que ses parents, en 1897, ont fui la des amis, des petits groupes, pour le réajuster. Russie pour les États-Unis car ils étaient persécutés en tant Votre univers est régulièrement habité de clowns, de masques, que juifs. Le bateau, en mauvais état, a fait escale à Marseille de marionnettes. Sont-ils présent dans Le cabaret des absents ? pour des réparations. Les parents qui n’ont pas de sous et Il y a un personnage de masque, un duo de clowns et un nu- pas grand-chose à faire marchent dans les rues de la ville. méro de magie qui sont des éléments intermédiaires entre Un jour d’orage, ils se réfugient sous le balcon de l’entrée du le cabaret, le cirque et le théâtre. Je me suis posé pendant des théâtre. Une ouvreuse les fait entrer pour qu’ils se mettent au années la question dramaturgique sur le statut des masques. chaud. Ils assistent au spectacle et sont tellement enchantés Pour moi, ils représentent des morts, les disparus, donc les qu’en rentrant ils font l’amour dans la cabine du bateau. Ce absents. Mais ces morts-là sont extrêmement vivants, ils élar- spectacle est La dame aux camélias et l’enfant qui naît de ces gissent le champ de la vie. Je trouve très belle cette contradic- ébats est appelé Armand, comme le héros de la pièce. C’est tion. Ce qui se passe entre l’acteur et le masque parle autant pour cette raison qu’Armand Hammer donnera de l’argent de ce qui est mort en nous et qu’on essaie de faire revivre que pour restaurer le Gymnase. Il sera invité à l’inauguration en de ce qui est mort autour de nous et avec quoi on se connecte. 1986. Depuis, une plaque à son nom est apposée à l’entrée. Vous écrivez : « Nous connaissons tous des gens qui n’ont
7 François Cervantes © Melania Avanzetto jamais passé la porte d’un théâtre, mais pour qui, pourtant, Gouvernement ? nous continuons à faire du théâtre ». Qu’entendez-vous par là ? J’ai beau le tourner dans tous les sens, je ne comprends pas Je pense par exemple à ma famille paternelle espagnole, des ces décisions arbitraires alors que les théâtres avaient déjà gens sédentarisés du côté de Valence qui travaillaient la terre. pris beaucoup de précautions et s’étaient mobilisées assez J’ai puisé énormément de choses dans les rituels de rassem- vite pour changer les horaires, les jauges, les déplacements. blement, les paroles échangées. Ma culture intuitive théâtrale J’ai été extrêmement choqué de ne pas entendre parler du s’est enracinée dans ces longues soirées passées dans cette tout de culture, dans certaines déclarations. Quelque chose communauté. Ce sont pourtant des gens qui n’ont jamais mis est en train de glisser de l’art vers l’événementiel ou la dis- les pieds au théâtre mais il y avait une science du collectif, traction. On risque de mesurer un peu plus tard tout ce qui une générosité qui m’ont donné goût aux soirées, au plaisir est en train de se passer. de rencontrer des inconnus, de partager des choses avec eux. Pensez-vous que le monde de la culture en gardera des Au contraire, la famille du côté de ma mère, issue de la bour- stigmates ? geoisie tourangelle, donnait plutôt une impression d’ennui Cette crise est en train de révéler qu’il y a un changement de alors que ce sont des gens dont on pourrait dire qu’ils étaient monde dont on ne sait pas grand-chose et qui est en train beaucoup plus cultivés. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a tout d’accélérer. Cela fait plusieurs années que la technologie a un tas de gens qui n’ont jamais passé la porte d’un théâtre installé une violence et on commence à voir le dos du dragon. et qui ne savent pas que c’est fait pour eux. Si un recueil de L’édifice théâtral tel qu’il a été construit va être très fragilisé poèmes peut circuler pendant des générations, la vraie cé- pour sans doute plusieurs années. On peut craindre une ca- rémonie du théâtre est dans l’instant présent. tastrophe économique, peut-être sociale, et un dérèglement Depuis 2004, votre compagnie, L’Entreprise, est implantée à des relations dont on a du mal à mesurer l’amplitude. Peut- la Friche la Belle de Mai, à Marseille. Dans quelle mesure ce être que cela peut aider à poser des questions qui sont vrai- lieu et cette ville influencent, nourrissent votre répertoire ? ment essentielles, à accompagner. Le fait d’avoir décidé d’y vivre, d’être dans cette lumière, de Est-ce une période inspirante ? croiser ces gens, d’entendre ces bruits m’influence beaucoup. Il y a une telle cacophonie de discours et une telle urgence J’aime Marseille parce qu’elle est cosmopolite, plus méditer- assénée tous les jours que la période n’est pas du tout inspi- ranéenne que française. C’est rare que je passe une journée rante et fertile. Cela met en alerte, cela me fait travailler très sans éclat de rire en écoutant les conversations. La parole a profondément de manière instinctive, presque animale. Mais une place particulière dans la ville, avec des formules inven- les choses vont ressortir dans un petit moment. Les chocs tées et une facilité à parler incroyable. Quand il y a un pro- que j’ai vécus n’ont pas du tout été traduits tout de suite en blème, il est dissout dans la parole jusqu’à ce qu’il disparaisse. termes d’écriture. En revanche, cela m’emmène dans des C’est sans doute le métissage entre les différentes cultures, zones différentes. les univers qui se cognent, qui ont enrichi cette parole. C’est PROPOS RECUEILLIS PAR LUDOVIC TOMAS une ville assez théâtrale dans la manière dont les gens vont à la rencontre les uns des autres. Le Cabaret rend bien compte 20 au 22 janvier (pour les professionnels uniquement) de cela car c’est un spectacle construit par contraste. Théâtre du Gymnase, Marseille Comment vivez-vous le traitement infligé aux arts par le 08 2013 2013 lestheatres.net
Avec Technopol, 8 politique culturelle les musiques électroniques s’organisent en PACA Une antenne régionale du réseau se met en place pour fédérer les acteurs de l’électro. Le Cabaret aléatoire, scène de musiques actuelles installée à la Friche la Belle de Mai à Marseille, coordonne la démarche. Entretien avec Aurélien Deloup, son directeur adjoint Zibeline : Quel est le rôle de Technopol ? et se parler est une manière d’être plus solidaires et peut- Aurélien Deloup : Technopol est la structure histo- être plus forts pour passer cette crise et inventer la suite. En rique de représentation et de défense des intérêts des acteurs novembre 2020, une première étape est franchie en Nouvelle des musiques électroniques en France. Elle est née à l’époque Aquitaine. Paca sera la suivante. où la tendance était plutôt aux amalgames et à la répression du Quelles sont les grands axes à développer ou défendre ? milieu. Organiser des événements légaux relevait parfois du Même si les objectifs des uns et des autres sont sans doute très chemin de croix. Pendant longtemps, nos interlocuteurs ont différents, on peut se retrouver sur certains points et créer une davantage été le ministère de l’Intérieur que celui de la Culture. réflexion collective. J’identifierais quatre enjeux. D’abord, celui Technopol a permis d’instaurer un dialogue avec les pouvoirs du statut des artistes. Sans obliger quiconque à devenir in- publics en représentant les organisateur. Cela fonctionne un termittent, il est peut-être nécessaire de promouvoir cette peu comme un syndicat qui fédère les professionnels dans solution, d’en expliquer les intérêts. Ce régime a un sens, leur diversité -artistes comme opérateurs- et dé- y compris pour les artistes des musiques élec- fend la spécificité du réseau tout en continuant troniques. Il y a ensuite la question de l’or- d’agir en tant que médiateur. Alors que les ganisation d’événements. On peut arriver autres esthétiques comme les musiques avec des propositions d’accompagne- actuelles se sont professionnalisées et ment pour que les choses se déroulent structurées, avec des interlocuteurs dans un meilleur dialogue. C’est une au sein des institutions, les musiques méconnaissance du milieu d’un côté électroniques n’ont pas suivi le même ou le manque d’encadrement admi- processus du fait du modèle même du nistratif, juridique ou technique de secteur. Nos particularités ont pu en- l’autre qui rend l’obtention d’autorisa- traîner une sorte de relégation du genre tions toujours plus compliqué que pour qui n’a pas été traité comme une disci- d’autres esthétiques. Il faut progresser pline artistique en tant que telle. aussi dans le domaine de la formation et Pourquoi n’y avait-il pas encore d’antenne de l’information sur les soutiens possibles. régionale en PACA après 30 ans d’existence au Aure Nous sommes un secteur qui se construit à la lien Deloup © X-D.R. niveau national ? périphérie des systèmes d’aides et de subvention- La structure avait comme lacune d’être perçue comme cen- nement. Pour certains c’est en partie une volonté, mais la ré- tralisée en région parisienne puisque c’est là que sont les alité est plus complexe. Pour d’autres, cela relève aussi d’une institutions. C’est encore une réalité avec plus de 70% des forme de manque de représentation et d’information sur les adhérents basés en Île-de-France. Si Technopol doit s’em- dispositifs. Le choix de l’indépendance est concevable mais parer d’une réflexion qui concerne l’ensemble des acteurs, il doit être pris en connaissance de cause. Enfin, les cultures il faut penser la décentralisation en irriguant le territoire électroniques viennent d’un mouvement aux valeurs utopistes, avec des antennes régionales. Les conséquences de la crise de partage, d’ouverture et d’inclusion. Dans le contexte actuel, ça sanitaire sur le secteur ont transformé cette volonté en besoin, reprend sens. C’est quelque chose qu’il faut remettre en avant, voire en évidence. On a été le premier secteur à s’arrêter et on revendiquer et défendre. Faire attention à toutes formes de dis- sera vraisemblablement l’un des derniers à pouvoir redémar- criminations, de comportements agressifs, sexistes, racistes fait rer. Le contexte remet donc en avant l’idée qu’être ensemble partie de l’ADN de ce mouvement qui est précurseur dans le
9 Soichi Terada © Joffrey Wingrove domaine et qui s’affirme comme un enjeu d’importance pour repères, aucune visibilité. Quand on s’est arrêtés en mars, per- la nouvelle génération. S’y ajoute la notion de responsabilité en sonne ne nous a dit -et pour cause, personne ne savait- que cela termes d’environnement. Est-ce vraiment un bon modèle qu’un reprendrait dans trois mois, six mois ou un an. On a l’impres- artiste vienne en avion pour se produire deux heures et repartir sion de bâtir sur du sable, de faire, défaire et refaire sans fin. On à l’autre bout de la planète ? Ne vaut-il pas mieux construire les a décidé d’arrêter de reporter et de rembourser intégralement tournées, arrêter le jetable, etc. ? tout le monde. La période est certes difficile pour les opérateurs, Quel est le rôle du Cabaret aléatoire dans cette démarche ? mais pour les publics c’est la même chose. Nous ne sommes pas Pour initier et accompagner la constitution d’une antenne en accord avec les festivals qui relancent les locations en ligne en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Cabaret aléatoire en annonçant leur programmation pour juin 2021. Déontologi- s’est proposé comme point d’appui et relais actif auprès de quement on n’est pas à l’aise avec l’idée de garder l’argent de la la direction nationale de Technopol. La première étape du billetterie. On préfère communiquer et remettre en vente même processus est le lancement d’une campagne régionale de re- tardivement mais quand on aura des éléments tangibles et sé- censement pour mobiliser un maximum d’acteurs. L’intérêt rieux de la part du Gouvernement. de Technopol doit être aussi de proposer une photographie Quelle est votre activité dans la période ? de la scène des musiques électroniques qui va des milieux les À défaut de pouvoir accueillir du public, on a essayé d’utiliser plus institutionnels aux plus underground. Viendra ensuite ce temps pour initier d’autres projets. On a créé des dispositifs le temps de la concertation, on l’espère en présentiel et au d’expérimentation, d’accueil de résidence, des formations. On premier trimestre 2021, afin de définir, avec tous ceux qui ont a ouvert beaucoup plus les portes pour des collaborations avec répondu à l’appel, les thématiques qui les intéressent. des artistes et d’autres organisateurs. On a aussi développé le Le monde des musiques électroniques manque-t-il d’unité ? volet actions culturelles et sensibilisation. Nous avons travaillé Historiquement, la grande région de Nice à Montpellier est d’une sur une nouvelle manifestation étendard, un festival porté par grande diversité et compte beaucoup d’acteurs. C’est un terri- le Cabaret aléatoire sur l’ensemble du site de la Friche, avec toire conséquent pour le secteur qui va des clubs emblématiques différents espaces. On souhaite une programmation qui reflète à une scène plus alternative, avec de nombreux artistes qui ont l’ensemble des courants des musiques électroniques. Nous vou- émergé d’ici, se sont exportés et ont des carrières internatio- lons donner une place importante à la performance, la pluridis- nales en tant que producteurs et DJ. Je pense qu’on peut faire ciplinarité et créer un vrai parcours sonore et visuel. On espère mieux en termes de dialogues et d’échanges. On se parle dans que cela pourra voir le jour les 24 et 25 septembre. On ne peut des petits cercles locaux, mais dès qu’on en sort on se connaît pas être que dans l’attente, si on ne se projette pas, c’est extrê- moins par rapport aux musiques actuelles par exemple. C’est mement dur pour l’équipe. une question de structuration. La question de l’antenne, c’est PROPOS RECUEILLIS PAR LUDOVIC TOMAS justement de s’imprégner des modèles qui fonctionnent bien. Comment se porte le Cabaret aléatoire ? On va comme on peut. On essaie d’avancer mais on n’a aucun
10 société Retourner le Mac Do Un restaurant McDonald’s des quartiers Nord arrivée au printemps pour demander de l’aide : son association Dyhia ne parvenait plus à répondre au nombre de personnes de Marseille, symbole des luttes populaires en détresse. Elle n’est plus repartie. « Si je ne viens pas chaque jour, je ne me sens contre les multinationales, mise sur l’entraide pas bien », dit-elle avec un grand sourire. « Il se passe de belles choses ici. Chacun et l’autogestion. Reportage amène ses idées, on peut faire beaucoup plus que chacun dans son coin. » Karima Djelat opine : « Au mois d’avril, même la 6 janvier 2021. Visite dans l’ancien Instagram... Sans négliger d’accueillir à banque alimentaire n’a pas pu faire face ». McDonald’s des quartiers Nord bras ouverts quiconque franchit le seuil. Le restaurant occupé de Saint-Barthé- de Marseille, réquisitionné par On vous offre un café plutôt deux fois lemy a donc pris les choses en main, ses salariés au printemps 2020. qu’une, et vous ne repartirez pas sans un devenant un maëlstrom d’énergies et Arriver à l’Après M, c’est tout de petit carton au logo Mc Do, taille ham- d’entraide, irriguant jusqu’en Pays d’Aix, suite être embarqué dans un tourbillon burger-frites-coca, mais recelant... des avec des excursions solidaires dans les d’activités. À peine le temps d’admirer la noix et des dattes. Alpes-Maritimes sinistrées. fameuse enseigne détournée splendide- Le McDonald’s, symbole de la malbouffe ment, ou de survoler les articles placardés et de la mondialisation, est retourné au sur les murs extérieurs. Outre les mé- Un maëlstrom d’énergies propre et au figuré. Ici, autour du noyau dias locaux et nationaux, Forbes, le New et d’entraide dur d’anciens salariés et d’habitants du York Times, et jusqu’à des titres japonais Ce n’est pas jour de grande distribution, quartier, se côtoient des Gilets Jaunes, les et chinois ont écrit sur ce symbole de la comme c’est le cas chaque semaine depuis jeunes écolos d’Extinction Rebellion ou lutte populaire contre les multinationales. le premier confinement, où 40 000 per- de Zéro déchet Marseille, les suppor- Dehors, une vidéo de vœux se tourne sonnes ont bénéficié de l’aide alimentaire ters de l’OM de Mentalité virage Depé dans l’effervescence. Dedans, un petit transitant ici. Pourtant, ex-employés et qui préparent paniers et habits chauds à groupe débat du nouveau « pôle com- militants rallient les lieux dans un flux distribuer, les Maraudes du cœur cui- munication » : identité visuelle, Twitter, continu et chaleureux. Sarah Tabti est sinant des repas. « Avant-hier, à force
11 Au-delà du symbole, sur son rond-point, M, José Bové a proposé de venir les sou- ce lieu est idéalement placé pour que vive tenir. Il a été bien accueilli, comme tout un projet de développement du territoire le monde. Parmi les centaines de per- par et pour les habitants. » Les quartiers sonnes présentes, il a pu savourer l’ex- Nord de Marseille, « ce sont des gens qui cellent hamburger vegan au menu et la se sentent relégués, dans une ville qui se citronnade maison. Mais sa moustache ferme, avec un clientélisme qui les écrase, légendaire de démonteur de Mac Do a la montée de l’extrême droite. Le bouil- attiré nombre de flashs dans un ballet lonnement qui survient ici est l’occasion médiatique qui peut être délicat à arti- de recouvrer les relations humaines, de culer à une telle initiative, foisonnante. s’extraire des racismes, des hiérarchies, « Aussi nous voulons une gouvernance des blocages sociaux ». partagée le plus largement possible pour Des acheteurs potentiels se sont pré- éviter toute appropriation des biens ou sentés, avec des suggestions de reprise du pouvoir. » Peut-être une Scic, société très traditionnellement mercantiles. coopérative à intérêt collectif, sans but L’Après M, lui, fait tranquillement évo- lucratif. luer son idée d’un « fast social food » vers Quant aux autres écueils, des tensions un restaurant d’insertion, pour former humaines dans l’équipe par exemple, et employer ceux qui peinent à trouver bien sûr qu’il y en a ! « On s’engueule du travail. Sous quelle forme ? Nombre parfois, ce n’est jamais facile ». Mais Fa- d’options sont encore envisageables, en thi Bouaroua a confiance en l’esprit des fonction des décisions que prendra la lieux, avec « un ciment ». Qui donc ? Ka- multinationale. mel Guemari, ancien sous-directeur du restaurant, continuellement sollicité © Alix Pelegrin par les uns et par les autres. « Il a le ré- Naviguer entre les écueils flexe de l’altérité. Il me fait penser à l’Abbé d’insister auprès du 115, j’ai trouvé un « Cela nous a pris du temps de rencontrer Pierre, avec sa façon de servir d’abord le hébergement pour une femme enceinte à la Mairie de Marseille, se souvient Fathi plus souffrant. » Encore une forte image, la rue, raconte Sarah Tabti. Elle est re- Bouaroua, mais nous avons été reçus le 24 religieuse cette fois, pouvant être déli- venue avec un gâteau pour nous remer- août, et Laurent Lhardit, élu en charge cate à manier pour un collectif qui tire cier. On lui a dit que si elle se sent seule de l’économie, s’est mis en relation avec sa force... du collectif. elle est la bienvenue quand elle veut. » Au McDonald’s France pour ouvrir une pas- GAËLLE CLOAREC mois de décembre, ont été construits des serelle de dialogue. » Les membres du abris en bois de palettes et bâches pour collectif, bien rodés à l’autogestion, sont * Association de préfiguration pour un les personnes sans domicile. Les quatre conscients d’un risque fatidique : « On restaurant économique et social disposés devant la Bibliothèque de l’Al- va être un enjeu politique, et même élec- cazar n’ont pas tenu longtemps, avant toral ; nous acceptons tous les soutiens, que la police ne les dégage manu mili- mais aucune récupération ». Le 19 dé- tari. « Ma priorité n’est pas de savoir qui cembre, jour de l’inauguration de l’Après en a donné l’ordre, mais de trouver une solution pour ces gens. Je vois beaucoup Karima Djelat © Alix Pelegrin d’enfants dehors lors des maraudes. » De l’ambition « Au moment où les difficultés des plus pauvres se sont exacerbées, devant la dé- ficience des pouvoirs publics, des institu- tions et des grandes associations, précise Fathi Bouaroua, président de l’Après* M, il fallait agir. Le Covid a servi de déclen- cheur : c’est alors que nous sommes passés du conflit social au projet de quartier. » Car le restaurant appartient à McDonald’s France, peu enclin, alors qu’une longue procédure juridique est toujours en cours, à laisser gracieusement la place. Pour que ce bel élan perdure, il va falloir renfor- cer son assise. « Il est hors de question de partir, comme on a pu nous le proposer.
12 société Des pesticides dans Une étude pilote relève des taux de contamination aux pesticides alarmants dans les lagunes de Méditerranée E n novembre dernier, l’Agence de l’eau Rhône Médi- Camargue, royaume du vent, du sel, des flamands roses et des terranée Corse et l’Ifremer (Institut français de re- chevaux en liberté, est aussi celui des méconnues pelouses à cherche pour l’exploitation de la mer), en partenariat saladelle, du rare lys des sables fleurissant les dunes, de la avec l’Université de Bordeaux, ont envoyé à la presse discrète tortue cistude, et offre une halte migratoire majeure un rapport sur l’état des lagunes de Méditerranée1. pour les canards... Les scientifiques du laboratoire Environnement Ressources Languedoc Roussillon, basé à Sète, ont étudié, entre 2017 et 2019, dix de ces zones humides à la biodiversité exception- Impact humain délétère nelle : les étangs de Canet, Bages-Sigean, l’Ayrolle, la Palme, Hélas, ces écosystèmes parmi les plus riches du monde sont Thau, Vic, l’Or, Berre, Biguglia, et du Méjean. lourdement impactés par les activités humaines. Même si, depuis une trentaine d’années, des efforts ont été consentis pour améliorer leur état écologique global. Les pouvoirs pu- Qu’est-ce qu’une lagune ? blics peinent notamment à contenir l’eutrophisation, due à Ces étangs relativement peu profonds sont situés le long du un apport trop important d’azote et de phosphates, engrais littoral marin. Ils se sont formés lorsqu’à la fin de la der- ou détergents drainés depuis l’amont, entraînant la prolifé- nière glaciation, il y a 10 000 ans, le climat s’est réchauffé. ration d’algues, jusqu’à l’asphyxie. Certains contaminants Le niveau de la mer s’est alors élevé, avec une stabilisation chimiques dits « historiques » (métaux, hydrocarbures, PCB…) au niveau actuel il y a environ 6 000 ans. Les eaux saumâtres diminuent, lentement. Mais le DDT, par exemple, insecticide ayant envahi les parties les plus basses de la plaine littorale chloré interdit en France depuis 1972, reste présent dans l’en- ont progressivement été séparées de la mer par une bande de vironnement sur de très longues périodes, et peut parcourir sable, le « lido ». Alimentées par les cours d’eau douce, elles des distances considérables dans l’atmosphère. Entre autres restent reliées à la mer via des chenaux appelés « graux ». méfaits, il perturbe la reproduction des oiseaux : les coquilles D’où leur caractère unique : hybrides, les lagunes sont en d’œufs en sont fragilisées, ce qui engendre des éclosions permanente évolution et bouillonnent de vie. Le delta de la prématurées. Il se fixe dans les graisses des animaux aqua- tiques et terrestres, s’accumule le long de la chaîne alimentaire. On trouve du DDT dans les huîtres, les moules que nous consom- mons allègrement... Sans compter l’effet cocktail Tout ceci suffit largement à faire froid dans le dos. Mais les cher- cheurs de l’Ifremer ont soulevé un nouveau motif d’inquié- tude : le cumul des pesticides. Il y a cinq ans, une biologiste du Centre de biochimie structurale de Montpellier, Vanessa Del- fosse, a démontré le fameux « ef- fet cocktail » des perturbateurs endocriniens2, mettant en évi- dence que certaines substances, prises isolément, peuvent être inoffensives, mais deviennent un poison une fois mélangées.
13 nos lagunes Etang de Berre © Do.M. L’équipe de Sète a transposé aux écosystèmes marins les (DVP) de 5 mètres minimum ». Avec des mesures filtrantes connaissances acquises sur les effets toxiques de ces mé- pareilles, on se sent tout de suite rassuré... langes sur l’être humain. « Auparavant, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme bon puis qu’aucun des vingt-deux pesticides prioritaires Quels moyens pour agir ? suivis d’ordinaire tous les trois ans dans le cadre de la direc- « Grâce à ces nouvelles données, nous disposons d’informa- tive-cadre sur l’eau ne dépassait sa valeur-seuil », explique tions concrètes pour agir en amont sur les usages des pesticides Karine Bonacina, directrice de la délégation territoriale de qu’ils soient d’origine agricole, urbaine ou industrielle », s’est Montpellier de l’Agence de l’eau. « Cette étude modifie notre toutefois réjouie Karine Bonacina. Mais tandis que les multi- regard ; elle met en lumière l’urgence de prendre en compte les nationales engrangent des profits stratosphériques, reculent cocktails de pesticides et leurs effets sur ces milieux naturels. » l’interdiction du glyphosate, forcent la réintroduction des néonicotinoïdes, les Agences de l’eau, comme les Parcs na- tionaux ou l’ONF, œuvrent avec un budget insuffisant, avec, Huit lagunes sur dix contaminées pour assumer des missions toujours plus importantes, et de Résultat, huit lagunes de Méditerranée sur les dix suivies dans plus en plus urgentes, toujours moins de personnel. Établis- le cadre de cette étude pilote se sont avérées contaminées par sements publics de l’État sous tutelle du ministère de l’Envi- les pesticides, avec un « risque préoccupant » pour la santé ronnement, elles ont pour objectif la reconquête du bon état de ces écosystèmes et leur biodiversité. Les plus gravement de l’eau et des milieux aquatiques. Le 3 septembre dernier, le atteintes sont les étangs de l’Or, Ayrolle et Méjean ; seuls les gouvernement a présenté France Relance, plan pour préparer étangs de La Palme et de Biguglia ont présenté des « périodes et construire la France de 2030. Cent milliards d’euros. Dont de risque chronique peu préoccupant ». 135 millions pour la restauration écologique des rivières, 60 À Berre, l’une des plus grandes étendues d’eau saumâtre pour la protection des aires marines, 40 pour la protection d’Europe, alimentée par l’Arc, la Touloubre, la Cadière et la du littoral. On voit où sont les priorités. Durançole, reçoit aussi leur charge chimique. En particulier Bien-sûr, c’est toujours cela de pris, mais tellement insuf- du métolachlor, désherbant extrêmement toxique répandu fisant par rapport aux enjeux de biodiversité et de santé ! dans les champs de maïs ou tournesol en amont. Seul relevé GAËLLE CLOAREC encourageant, « une fréquence de détection de ces substances est plus faible sur l’Arc ». Il est vrai que Syngenta, société suisse 1 OBSLAG - Volet Pesticides. Bilan 2017-2019 du suivi des lagunes spécialisée dans la chimie et l’agroalimentaire, qui le commer- méditerranéennes. Rapport final. Munaron Dominique, Derolez Valerie, cialise, et déclarait en 2019 pas moins de 1 500 000 euros de Foucault Elodie, Cimiterra Nicolas, Tapie Nathalie, Budzinski Hélène, Giraud Anaïs (2020) archimer.ifremer.fr/doc/00656/76769/ lobbying auprès de la Commission européenne, conseille sur sa vitrine Internet, pour toutes les parcelles en bordure d’un 2 Lire sur journalzibeline.fr notre compte-rendu de sa conférence point d’eau, « d’implanter un Dispositif Végétalisé Permanent du 5 avril 2018 dans le cadre des Jeudis du CNRS à Marseille
14 actualité lgbtqi du sud-est Cité Considéré comme le plus vieux bar lesbien marseillais, l’établissement va renaître grâce à l’association Baham arts Queer L’Eden, repaire trans et afroqueer L orsque les inséparables Paulo et Erika montaient la rue Curiol avec leur sono à roulettes en direction de la Plaine, le numéro 7 éveillait déjà leur curiosité. « On avait envie mais on n’osait pas entrer parce qu’on ne voulait pas déranger des personnes en plein travail », avouent- ils. Si les travailleuses du sexe se retrouvent bel et bien dans l’établissement situé dans l’une des artères emblématiques de la prostitution du centre-ville de Marseille, elles ne sont pas les seules. Derrière le comptoir où elle officie depuis plu- sieurs décennies, l’actuelle gérante de l’Eden, Geneviève, a ouvert ses portes à d’autres publics. Lesbiennes et personnes trans s’y savaient déjà bien accueillies. À l’époque de la précé- dente tenancière, une certaine Clairette, mafia et prostitution cohabitaient dans un joyeux brassage des genres. Mais à 73 ans, Geneviève a décidé de passer la main. Elle a même pris les futurs acquéreurs sous son aile, glissant à ceux qu’elle ap- pelle ses « enfants » un attendrissant « faites attention ! ». Des anecdotes, des sulfureuses aux plus légères, Erika Nomeni et Paulo Higgins Guérin en ont entendu sur ce lieu inter- lope, bar queer avant l’heure. Leur projet de reprise devrait se concrétiser d’ici quelques mois, grâce en partie à un finan- cement participatif en ligne*. Si la somme nécessaire pour racheter le fonds de commerce est acquise (30 000 euros), la collecte continue pour entreprendre quelques travaux et s’as- surer une année de loyer d’avance pour plus de tranquillité. Reste donc 15 000 euros supplémentaires à rassembler avec l’objectif de remonter le rideau en septembre prochain. À plus long terme, Erika et Paulo espèrent pouvoir se salarier tout en gardant le statut associatif de l’établissement, qui permet l’obtention d’éventuelles subventions. Pour le binôme, ou- vrir un lieu comme l’Eden concrétise deux parcours réunis par des vécus certes différents mais dans un même combat. La solitude tue L’une, 27 ans, est née au Cameroun et arrivée en France en 2001. « J’ai fait mon coming-out au lycée. Comme j’habitais © Alix Pelegrin la région parisienne, mon premier réflexe a été d’aller dans le Marais. Autant dire que c’était inhospitalier. Je me suis sentie communautaire dédiée aux personnes prostituées. « Contrai- très seule en tant qu’afroqueer. Pourtant, je pensais y trouver rement à Erika, j’ai fait mon coming-out très tard parce que une communauté. Je suis restée en manque d’espaces qui me je ne savais pas que les hommes trans existaient, jusqu’à ce correspondaient. J’ai toujours eu envie de les créer pour que les que j’en rencontre vers 24 ans. C’était dur d’être jeune et queer gens comme moi puissent se sentir bien. Le plus dur dans la à Marseille, surtout pour des personnes comme moi. Si, plus LBGT-phobie est la solitude dans laquelle ça nous renvoie. Et jeune, j’avais connu un lieu fait pour et par les personnes trans, c’est cette solitude-là, après les coups, qui tue », explique po- j’aurais probablement fait mon coming-out beaucoup plus tôt. sément cette rappeuse et beatmakeuse, chargée de mission J’ai envie de rencontrer des personnes trans ailleurs que dans à Radio Galère. L’autre, 29 ans, est né à Marseille et vient de le militantisme associatif, dans un lieu du quotidien qui ne soit terminer un contrat à Autres regards, association de santé pas lié au médico-social. ». En 2015, ils imaginent ensemble
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