Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires - Irdes
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
n° 232 - Avril 2018 Reproduction sur d’autres sites interdite mais lien vers le document accepté : www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/232-action- de-sante-liberale-en-equipe-asalee.pdf Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires Cécile Fournier (Irdes), Isabelle Bourgeois (Icone Médiation Santé, Irdes), Michel Naiditch (Irdes) Le dispositif expérimental Asalée (Action de santé libérale en équipe) a été créé en 2004 afin d'améliorer la prise en charge des maladies chroniques en médecine de ville. Un protocole de coopération permet des délégations d'actes ou d'activités des médecins généralistes vers des infirmières comprenant des dépistages et des suivis de pathologies chroniques. Dans le cadre du programme d’évaluation Daphnee (Repères p. 6), une recherche sociolo- gique fondée sur une approche qualitative a été menée entre 2015 et 2017. Elle s’est intéres- sée d’une part au déploiement et à l’organisation du dispositif Asalée et, d’autre part, aux pratiques et interactions entre patients et professionnels. D'autres aspects de cette évaluation donneront lieu à des publications de l'Irdes, notam- ment une typologie de la coopération entre médecins et infirmières et des résultats concer- nant l'effet du dispositif Asalée sur l'activité des médecins, le suivi et les parcours de soins de leurs patients. L e dispositif Asalée (Action de mopathie chronique obstructive et dépis- politiques et économiques innervent ce santé libérale en équipe), créé tage des troubles cognitifs. mouvement. En proposant dans les cabi- en 2004 et porté par une asso- nets médicaux un accompagnement indi- ciation de médecins généralistes, avait Le développement du dispositif Asalée, viduel des patients par une infirmière for- pour objectif initial d'améliorer la prise sous l’impulsion des professionnels de ter- mée à l’éducation thérapeutique (ETP), le en charge des maladies chroniques en rain et avec le soutien des autorités de santé, dispositif Asalée constitue en ville une offre médecine de ville par la coopération entre s’inscrit dans un mouvement plus large de alternative aux programmes d’ETP collec- médecins généralistes et infirmières (enca- transformation des soins primaires. Leur tive autorisés par les Agences régionales de dré p. 2). Aujourd'hui formées à l’éduca- structuration se renforce, notamment santé (ARS), dans des réseaux de santé et tion thérapeutique (ETP), les infirmières via l’exercice pluriprofessionnel associé des Maisons de santé pluriprofessionnelles interviennent auprès d’un ou plusieurs à de nouveaux modes de rémunération (MSP), par exemple. C’est aussi un labora- médecins généralistes qui leur adressent (Fournier et al., 2014). Les reconfigurations toire où s’inventent de nouvelles modalités des patients en consultation pour parta- de l’offre de soins, du partage des tâches de travail avec les patients et entre méde- ger leur suivi dans le cadre de quatre pro- entre professionnels et de la place donnée cins et infirmières. Deux formes entrela- tocoles : dépistage et prise en charge du au patient en constituent des axes centraux. cées d’innovation organisationnelle appa- diabète, suivi des patients à risque cardio- Différents enjeux à la fois sanitaires, démo- raissent ainsi : des pratiques coopératives vasculaire, dépistage de la broncho-pneu- cratiques, professionnels, technologiques, médecin-infirmière-patient, et leur soutien Institut de recherche et documentation en économie de la santé
Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires G1 E tiques mises en œuvre et les dynamiques Origine et déploiement du dispositif Asalée qui accompagnent leur construction, puis Le dispositif Asalée est créé le 6 février 2004, travail éducatif développé par les infirmières et le ressenti des acteurs. à l’initiative d’un médecin généraliste et d’un leur dynamique collective. Ils soulignent égalen ingénieur ayant l'expérience des systèmes d’inn ment, malgré l’engagement limité des méden formation médicale, avec le soutien de méden cins, le potentiel important du dispositif en cins de santé publique. Ses deux fondateurs termes de transformation à la fois de la pratique Des professionnels évoquent une intuition née de leurs travaux médicale et des relations soignant-patient antérieurs : l’idée qu’une infirmière formée et (Daniellou et Petit, 2007). aux motivations contrastées, outillée, pensée comme un « informédiateur » A partir de 2008, et surtout de 2012, le dispositif aux modes de recrutements (Ig D) exerçant sur le lieu de travail d’un médecin connaît une seconde phase de développement, et configurations d’exercice variés généraliste, peut contribuer à améliorer la avec une extension régionale puis une génén qualité de la prise en charge des patients. Et ralisation nationale, liée au soutien croissant ce en leur donnant du temps pour exprimer de l’Etat. L’institutionnalisation progressive du leurs besoins et être accompagnés vers une A leur entrée dans le dispositif, infirmières dispositif permet une stabilisation des financen et médecins se trouvent dans des dispo- plus grande autonomie dans leur vie avec un ments, mais apporte aussi des contraintes. La facteur de risque ou une maladie. Il s’agissait première extension concerne quatre régions et sitions différentes vis-à-vis du travail à également de répondre à la dégradation des porte l’étiquette « délégation de tâches » en soins construire. Cela tient à leurs attentes, conditions de travail des médecins confrontés primaires, sous condition de protocoles validés modes de recrutement et conditions à une complexité croissante des situations des par la Haute Autorité de santé en application patients, alors que la démographie médicale d’exercice. des dispositions de l’article 51 de la loi Hôpital, était en recul. patients, santé et territoires (HPST). Les pouvoirs Deux phases se distinguent dans le dévelopn publics négocient avec la direction de l’associan Les infirmières ont des attentes fortes et pement de ce dispositif local de coopération tion Asalée un nouveau modèle économique, des motivations relativement homogènes, médecin-infirmière. Au cours de la première reposant sur le postulat selon lequel le travail de la principale étant le développement d’un phase (2004-2008), grâce à un portage instin l’infirmière et la délégation d’actes techniques tutionnel et un financement de l’Union région permettraient au médecin d’économiser du travail relationnel avec les patients, que nale des médecins libéraux (URML) de Poitou- temps. Dans ce modèle, une infirmière à temps certaines lient d’emblée à une approche Charentes pendant un peu plus d’un an, plein travaille en moyenne avec 5 médecins, éducative : « J’avais vraiment envie de me 3 infirmières interviennent auprès de 12 méden rémunérés pour les temps de concertation avec diriger vers l’ETP » (I2). Toutes partagent cins généralistes exerçant dans 3 cabinets médin elle. A partir de 2012, l’extension du dispositif caux des Deux-Sèvres. Le dispositif est consolidé devient nationale, via son intégration à l’Expén le souhait d’une plus grande autonomie fin 2005 avec la création de l’association loi 1901 rimentation des nouveaux modes de rémunéran dans leurs pratiques, et souvent d’un tra- Asalée, qui en reprend le portage avec un finann tion (ENMR) en tant que module de délégation vail d’équipe avec les médecins : « J’ai cement du Fonds d’aide à la qualité des soins de tâches. Le dispositif Asalée se développe trouvé exceptionnel que des médecins et de ville (FAQSV). Le dispositif est piloté par un alors largement dans les Maisons de santé plurin des infirmières arrivent à travailler ensemble bureau composé de 6 médecins généralistes professionnelles (MSP) et les centres de santé et d’un ingénieur invité permanent. Entre 2004 bénéficiaires des ENMR. A partir de 2015 et pour pour construire quelque chose, donc j’avais et 2008, le dispositif se développe uniquement trois ans, ce financement est repris par le Collège un peu ça en tête » (I). Quelques-unes y dans son département d’origine, impliquant des financeurs (ministère en charge de la santé voient l’opportunité d’une transforma- un nombre croissant mais restreint de cabinets et principaux assureurs sociaux). Le plafond médicaux. Embauchées par l’association, les d’effectifs d’infirmiers est maintenu à hauteur de tion du métier d’infirmière, via l’expéri- « infirmières de santé publique » Asalée strucn 167 Equivalents temps pleins (ETP), 50 ETP infirn mentation de pratiques dites « avancées ». turent progressivement leur activité, centrée miers supplémentaires étant prévus en 2016 et Leur motivation est donc forte dès l’entrée sur la prévention, le dépistage et l’accompan 50 en 2017. Au 31 décembre 2017, le dispositif dans le dispositif. Le plus souvent, les gnement de patients atteints de maladies chron Asalée concerne 533 infirmières, représentant niques ou de facteurs de risque. Des travaux de 267 équivalents temps plein, exerçant dans nouvelles recrues sont sélectionnées loca- recherche qualitative révèlent l’importance du 753 cabinets avec 1 959 médecins. lement parmi des candidates nombreuses, à l’issue d’une procédure de recrutement construite et gérée par un groupe d’infir- par une organisation intermédiaire jouant 2005). Ces premières analyses montraient mières référentes. Elles s'assurent de com- un rôle de tiers entre les financeurs et les également la fabrication d’une nouvelle pétences telles que : travailler en autono- professionnels, et entre les infirmières et les figure d’« infirmière de santé publique », mie, prendre seules des décisions, se situer médecins. dont l’activité était tendue entre une dans une approche éducative ouverte et logique de soin individuelle et une logique non prescriptive avec les patients, mais Cette recherche s’inscrit dans la suite de populationnelle (Simondon, 2014). Le dis- aussi négocier leur place auprès des méde- travaux qualitatifs menés dans des lieux positif s’étant fortement développé à par- cins pour faciliter la contribution de ces d’exercice accueillant une infirmière1 tir de 2012, nous étudions son évolution derniers au dispositif. Asalée. Ils révélaient l’émergence d’une au moyen d’une approche compréhensive « alliance originale entre le monde du (encadré Méthode). Celle-ci s’intéresse Les attentes exprimées par les médecins traitement (le cure) et le monde du soin tant aux pratiques et à l’organisation du portent globalement sur une meilleure (le care) » [Daniellou et Petit, 2007], qui dispositif Asalée qu’au vécu des acteurs et qualité de prise en charge pour leurs répondait aux attentes des infirmières et au sens qu’ils leur donnent. des médecins impliqués (Mino et Ghadi, 2 Les extraits d’entretien cités sont accompagnés Après avoir présenté les motivations, de leur source symbolisée par une initiale : I (infirmière), M (médecin), P (patient), 1 Nous adoptons ici le féminin pour les infirmières, modes de recrutement et configurations Ig (ingénieur), doublée le cas échéant de chez qui la proportion de femmes est très d’exercice des professionnels engagés dans leur appartenance à D (la direction : bureau majoritaire, et le masculin (neutre) pour les ou conseil d’administration de l’association). médecins. le dispositif Asalée, nous décrivons les pra- E représente l’enquêteur ou enquêtrice. Questions d’économie de la santé nnnnnnnnnnnnnnnnnnn 2
Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires patients et sur un plus grand confort de niers étaient a priori mieux préparés à un de tâches », puis en se raccrochant aux travail, et non pas sur l’économie de temps travail coopératif avec l’infirmière. ENMR. D’autre part, il s’est emparé de liée à la substitution d’une partie de leur certains concepts et pratiques émergents, activité au profit des infirmières. D’autres Les configurations d’exercice des infir- tout en les adaptant à son cadre d’exercice. attentes, hétérogènes, sont exprimées, mières sont très variées. Elles peuvent exer- Il en va ainsi de l’ETP (Loi HPST 2009), notamment du fait de l’évolution de leur cer dans l’association Asalée à temps plein et plus tardivement des pratiques avancées mode de recrutement au fil de l’histoire ou partiel, sous statut salarié ou libéral, en infirmières (Loi de santé 2016) [encadré]. du dispositif et de leurs trajectoires pro- exclusivité ou en conservant un ou plu- De même, l’hostilité des syndicats infir- fessionnelles. Si dans les premières années, sieurs autres emplois. Elles interviennent miers au salariat a conduit le dispositif à l’extension du dispositif s’est faite via le dans un nombre de lieux et auprès d’un offrir également la possibilité d’une rému- relais de médecins militants appartenant nombre de médecins variables (voir enca- nération sous forme d’honoraires. D’où au réseau syndical (MG France, avec l'aval dré Méthode). Elles peuvent en sus contri- le paradoxe, pour surmonter ces oppo- de la Confédération des syndicats médi- buer de façon diverse au fonctionnement sitions, d’un développement « masqué » caux français (CSMF)), aujourd'hui, les de l’association Asalée. pendant les premières années (absence de médecins ne sont pas engagés individuelle- site Internet et peu de communication), ment comme les infirmières, mais en tant Les configurations d’exercice des méde- contrastant avec une forte dynamique que membres d’un cabinet candidat au cins sont également multiples (cabinet infirmière. Celle-ci, portée dès l’origine dispositif. Les médecins porteurs du pro- individuel, de groupe, MSP ou centre de par les « réunions de secteur », est deve- jet dans les cabinets ont de fortes attentes santé), de même que leur temps de travail nue plus visible à partir de 2015, lors des vis-à-vis d’Asalée. Ils expriment une atti- et leur investissement dans des projets en journées nationales réunissant médecins et rance pour le travail pluriprofessionnel et plus du dispositif Asalée. Ils interagissent infirmières. sont sensibilisés au concept d’éducation généralement avec une seule infirmière thérapeutique. Parmi les autres médecins, Asalée. En interne, l’organisation du dispositif certains répondent à la sollicitation afin de s’est structurée avec certains principes : tester une expérience de coopération qu’ils favoriser « l’autonomie des individus » (Ig jugent intéressante, tandis que d’autres Principes de fonctionnement D) (patients, infirmières, médecins), avec manifestent plus de réticences, voire une affichés de l’organisation Asalée l’idée que « le patron, c’est le patient » (Ig D). certaine méfiance. Cette hétérogénéité a Il s’agissait également de « formaliser prio- eu tendance à augmenter lors de l’extension ritairement les organisations émergentes rapide du dispositif à la France entière. Le Le dispositif a su composer de manière [… et] nommer uniquement les hiérarchies processus de sélection, alors moins maî- pragmatique avec son environnement naturelles » (Ig D). Ainsi, l’organisation trisé par l’association, a conduit à recruter politique, professionnel, syndical et insti- du dispositif s'est structurée pour favori- des médecins sans connaissance réelle du tutionnel. D’une part, il s’est adapté aux ser la créativité et l’engagement des acteurs dispositif, ou en exercice pluriprofession- incitations institutionnelles en s’inscri- et pour permettre une souplesse d’ajuste- nel (notamment au sein de MSP). Ces der- vant dans un processus de « délégation ment dans la gestion du dispositif. Ceci M éthode Configurations de pratiques étudiées et acteurs rencontrés Région au niveau régional Région Région Une approche qualitative compréhensive pionnière (2004-2005) de première extension (2008) d’extension nationale (2012) Le terrain régional de cette recherche est présenté ci-contre. Les données MSP MSP CI MSP ont été recueillies entre 2015 et 2017. Des entretiens et observations ont 1 4 MG 1 3 MG 1 MG 1 5 MG été réalisés dans trois régions correspondant à différentes périodes de la diffusion du dispositif Asalée en France. Dans chaque région, l’enquête MSP MSP CG CG CI CG CG CG s’est intéressée à plusieurs configurations de pratiques selon les lieux 1 3 MG 1 2 MG 2 MG 2 MG 1 MG 2 3 MG 5 MG 2 MG d’exercice et le nombre de médecins généralistes avec lesquels l'infirmière collabore. Des entretiens individuels ont été menés avec 10 infirmières MSP CG CG CG et 26 médecins Asalée (appartenant à 23 binômes médecin-infirmière) 1 3 MG 2 MG 1 1 MG 1 1 MG ainsi qu’avec 17 patients. Des entretiens individuels complémentaires ont été menés avec 13 infirmières. En sus, 23 observations ont été menées (17 consultations patient-infirmière et 5 « réunions de secteur » entre infirn 10 13 7 6 11 5 12 5 mières), ainsi que 5 entretiens collectifs avec 52 infirmières. Au niveau national, 1 entretien a été mené avec la personne pilotant Personnes interrogées Configurations d’exercice l'expérimentation au ministère en charge de la santé, 2 entretiens avec MSP CG CI la Cnam, et 19 entretiens avec des professionnels exerçant des missions transversales dans le dispositif Asalée (8 médecins, 7 infirmières et 4 ingén Infirmière Réunions de secteur Maison de santé Cabinet Cabinet nieurs). Asalée des infirmières Asalée pluriprofessionnelle de groupe individuel L’analyse des entretiens et notes de terrain a été conduite par une équipe MG : 1 7 Lieux où travaille de trois chercheurs, en s’appuyant sur la sociologie interactionniste Médecin l’infirmière Asalée interrogée (Strauss, 1992 ; Hugues, 1996). Les monographies rédigées pour chaque généraliste Patients Effectifs région ont donné lieu à une analyse thématique en équipe, à la fois Lecture : Dans la région de première extension, la deuxième infirmière travaille avec 7 méden déductive et inductive, suivie d’une analyse comparative. cins exerçant dans 4 lieux (1 MSP, 2 cabinets de groupe et 1 cabinet individuel). 3 Questions d’économie de la santé nnnnnnnnnnnnnnnnnnn
Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires répondait à plusieurs enjeux : faire face à d’exercice du médecin. Les infirmières une alerte dans le dossier) et une surveil- la diversité des configurations d’exercice ; mobilisent des techniques relationnelles lance dans les dossiers de l’état de santé gérer l’extension géographique et numé- relevant d’une démarche d’ETP s’ap- de la patientèle vue en consultation. Les rique en articulant les niveaux locaux puyant sur les souhaits des patients pour infirmières assurent par ailleurs un suivi et le niveau national ; protéger le travail les aider à construire et réajuster au fil du de leur activité sur le Portail de santé quotidien des infirmières mais aussi leur temps leur projet de santé. Elles réalisent Asalée (PSA) et, en partie, dans les dos- capacité d’innovation en leur laissant le parfois des actes dérogatoires de dépis- siers médicaux. temps de faire leurs preuves et enrôler les tage ou de suivi, inscrits dans les proto- médecins. Car l’organisation a surtout été coles (biologies, examens du fond d’œil, A travers ces interactions autour de fais- pensée pour s’adapter à l’hétérogénéité des des pieds, Electrocardiogramme (ECG)...). ceaux de tâches complexes (Hugues, souhaits des médecins adhérents au dis- La réalisation d’actes ponctuels peut égale- 1996), on assiste à l’élaboration d’un positif et à leur disponibilité limitée, en ment être le point d’entrée d'une démarche « ordre négocié » (Strauss, 1992) du travail- leur demandant le moins possible, ce qui d'éducation pour la santé. Par exemple, ler ensemble, avec le patient et entre profes- a placé de facto les infirmières en situa- avec certains patients souffrant de surpoids sionnels. Il s’agit d’un processus social fra- tion d’agents du changement. C’est donc qui ont été adressés à l'infirmière pour un gile, qui se construit sur le long terme et se autour des infirmières qu’un soutien s’est ECG, elle peut échanger sur leur alimen- réinvente en permanence autour de tâches structuré progressivement. tation, les facteurs de risque cardiovascu- nouvelles. Celles-ci ne sont pas décrétées laires et initier un suivi éducatif. mais se construisent « en faisant », dans des ajustements quotidiens entre ces trois Des faisceaux de tâches Le travail développé au sein des équipes acteurs. Au sein de chaque binôme méde- complexes qui se construisent infirmière-médecin engage différentes cin-infirmière, un partage des tâches se dans l’expérimentation tâches pour les patients, pour les infir- négocie notamment autour des actes délé- mières et pour les médecins (figure ci-des- gués et autour de la dimension éducative sous). Ces interactions correspondent à un de la prise en charge. Certains médecins Chaque infirmière Asalée invente et expé- travail relationnel entre les acteurs, dou- délèguent en effet la dimension éduca- rimente un nouveau travail articulé avec blé d’un travail organisationnel. Certaines tive du suivi tandis que d'autres préfèrent celui du ou des médecins avec qui elle col- tâches sont menées individuellement que l’infirmière vienne en complément à labore. Le médecin propose d’abord une par le patient, l’infirmière et le médecin. ce qu’ils mettent déjà en place. Une infir- consultation infirmière à certains patients Parmi ces tâches, certaines sont dévelop- mière explique la difficulté de prendre repérés par lui-même ou par l’infirmière, pées par l’infirmière hors de la présence confiance dans un travail qu’elle découvre sur la base des protocoles. Si le patient des patients (figure) : une gestion de la et invente et, simultanément, d’acquérir accepte, il planifie les rencontres suivantes patientèle du médecin à partir des dossiers la confiance du médecin pour lui donner et choisit des objectifs avec l’infirmière. informatisés (vérification de la réalisation envie de travailler avec elle. Parlant d’un Les consultations durent environ trois de dépistages et repérage de risques que médecin qui lui avait envoyé un patient quarts d’heure, sont gratuites, sur le lieu l’infirmière signale au médecin en créant en lui indiquant l’objectif glycémique pro- G1 F Principales tâches des acteurs impliqués dans le dispositif Asalée en 2017 NIVEAU LOCAL : CABINET DU MÉDECIN Médecin Patient Infirmière l Suit les patients sur le plan médical l Gère au quotidien sa vie l Organise les rendez-vous avec le patient Sélectionne les patients à adresser avec une maladie chronique l l Écoute, reformule, valorise, informe et propose des apprentissages à l’infirmière Accepte ou demande l Réalise des actes techniques et prescrit des examens complémentaires Informe, propose un rendez-vous un rendez-vous avec l’infirmière l l avec l’infirmière l Échange avec le médecin sur le suivi du patient Échange avec l’infirmière Développe des connaissances Repère des patients éligibles dans les dossiers du médecin l et compétences l l sur les motifs d’orientation et le suivi du patient Surveille les données des patients qu’elle suit Échange sur ses réussites, l l l Échange avec les patients ses difficultés, ses besoins l Saisit son activité (portail santé Asalée) Médecin référent régional Toutes les infirmières en réunion de secteur : analyse de pratiques et autoformation NIVEAU RÉGIONAL Médecins du bureau Infirmières/ Ingénieurs Certaines infirmières et certains médecins et ingénieurs et du conseil comité d’entreprise Gestion des ressources humaines Activités transversales : d’administration et du système d’information recrutement, compagnonnage, formation des infirmières... NIVEAU NATIONAL Note : Les tâches mises en œuvre par les médecins référents régionaux, Interactions liées... du bureau, du conseil d’administration et les infirmières du comité d’entreprise au suivi du patient au soutien des infirmières dans leur activité ne sont pas détaillées. au soutien émergent au travail pluriprofessionnel Questions d’économie de la santé nnnnnnnnnnnnnnnnnnn 4
Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires posé : « Ça veut dire qu’il a reconnu notre la construction d’une confiance, condi- efficacité, mais ce n’était pas comme ça au La construction d’un binôme, tions nécessaires pour que s’élaborent début. Je le sentais beaucoup plus en retrait voire d’une équipe élargie des accords sur des principes communs et dans l’observation. C’est venu petit à petit, d’organisation et de coopération. Ces au fur et à mesure des réussites : un patient échanges s'appuient sur différents types de qui a perdu 10 kilos, on voit les résultats… Il Ce travail s’appuie sur la construction supports : « alertes » déposées par l’infir- a fallu prouver. Même la première année, il originale d’un binôme médecin-infir- mière dans les dossiers médicaux infor- faut réussir à prouver l’efficacité d’Asalée et mière, dont l’infirmière est généralement matisés, documents numériques partagés, même pour moi. (…) Je ne savais pas dans le moteur principal. Un médecin décrit le supports imprimés ou post-it, SMS, ou quelle proportion ça pouvait marcher. Donc, défi que cela représente : « Avec Asalée, le appels téléphoniques. Mais les interactions on est moins convaincant quand on n’est pas médecin est dans une conduite de change- les plus structurantes ont lieu au cours de sûr. » (I). ment, c'est-à-dire que d’une posture haute, rencontres programmées ou non, formelles il faut qu’il passe dans une posture de colla- ou informelles, de fréquence variable, très Car même si les infirmières sont toutes boration… de la verticalité, il faut qu’il passe dépendantes de la volonté et de la disponi- formées à l'ETP, sa mise en pratique est dans la transversalité. Ce n’est pas simple, on bilité des médecins, et des temps de copré- nouvelle pour elles. Cette nouveauté tient a été élevés à être les chefs, les meilleurs, les sence entre médecins et infirmières sur le au temps qui lui est alloué par le disposi- décideurs et donc, il faut accompagner les lieu d’exercice : tif - « le luxe d’Asalée, qui n’est pas un luxe, médecins dans le changement. » (M). - E : « Dans votre organisation avec l’infir- c’est le temps ! » (I) - mais aussi à l’approche mière, vous lui envoyez un SMS avec un de l’ETP qui considère le patient comme Vue du côté des infirmières, la difficulté motif, elle contacte vos patients. Elle remplit acteur. Cela nécessite d’adapter son rôle n’est pas moindre : votre dossier… professionnel : « Au début, c'est vrai que - I1 : « On se retrouve dans le cabinet médi- - M : Elle a accès aux dossiers. De façon c’était un peu déroutant. (…) Six mois à me cal, les patients nous regardent, ils ne savent parfois formelle, on se réunit sur les patients dire : c’est quoi ce travail ? Vraiment la décou- pas qui on est. On ne sait pas trop bien com- mais c’est plutôt souvent de façon informelle. verte totale d’un autre fonctionnement, pas ment faire (…) Jusqu’où on va dans la rela- - E : En fonction de critères particuliers ou habituel, avec des nouvelles notions : qu’on tion avec les médecins ? (…) C’est tellement c’est plutôt vos possibilités ? ne fait pas à la place des patients, que c’est nouveau comme concept que, même les - M : C’est plutôt mes possibilités. Je la vois les patients qui doivent conduire leur patho- médecins, il leur faut beaucoup de temps. souvent, [prénom de l’infirmière] quand logie, conduire leur diabète, conduire leur - I2 : Moi, je dis un an. même. Je vais la voir, je lui dis : "Vous avez surpoids et mettre en face ce qu’il faut. Nous, - I1 : Oui, un an et peut-être même plus. La vu Monsieur Machin ?". Après ça ne dure pas on n’est là que pour les aider à cheminer. » preuve de l’efficacité, c’est la première étape. une heure. (I) et aussi de trouver une nouvelle place : - I2 : Du coup en découle une relation de - E : Vous vous servez de ce qui est marqué « L’infirmière devient un peu pivot de la confiance. Ils ont compris qu’on pouvait leur dans le dossier ? prise en charge du patient, c’est un nouveau apporter quelque chose. On peut confronter - M : Bien sûr. Elle me fait des préconisations métier » (I). les avis. que je suis. Nous, des fois, on a un peu la tête - E : Quelle est l’étape d’après ? dans le guidon, il y a des choses qu’on oublie En parallèle, il lui faut tisser une relation - I2 : La délégation, qu’ils trouvent un intérêt (…). avec chaque médecin pour un suivi par- à déléguer des tâches à l’infirmière Asalée. » - E : Elle vous met des alertes parfois ? tagé. Là, les infirmières se heurtent au fait - M : Ah oui, oui ! Elle sait qu’elle a le droit de que ce qui est demandé aux médecins est Un autre médecin explique la manière le faire, qu’on ne va pas aller lui ruer dans les encore plus déroutant pour la majorité dont ce binôme s’est construit avec l’infir- brancards en lui disant : "Vous vous occupez d’entre eux : seuls quelques-uns sont for- mière : « Il n’y a pas deux couples Asalée qui de quoi ?" ». més à la démarche d’ETP (HCSP 2009 sont pareils. L’infirmière est venue au début, et 2015) et ils disent avoir rarement la un petit peu. Elle a pris connaissance, elle a Ce travail en équipe se limite le plus sou- possibilité de la développer en pratique pris ses marques. Je n’étais pas tenue de lui vent au binôme formé par le médecin et (Fournier et al., 2018). De plus, certains donner 12 heures, 8 patients, une rentabi- l’infirmière. Dans les cas les plus fréquents n’ont pas l’habitude d’exercer en pluripro- lité. Rien du tout. C’est monté en puissance où une infirmière travaille avec plusieurs fessionnalité, et ils déclarent souvent ne à notre rythme, à mon rythme. Ça part vrai- médecins au sein d’une structure, une rela- pas penser à adresser des patients à l’infir- ment de nous et on construit, nous, notre tion particulière se construit avec chaque mière. Un médecin décrit ainsi les solu- couple Asalée (...). Ça, c’est vraiment très médecin. Mais les interactions vont par- tions qu’il a développées pour intégrer le sécurisant, très rassurant. Donc, elle vient fois au-delà pour concerner une « équipe recours à l’infirmière : afficher sur le coin deux jours par semaine maintenant. Le élargie » à tous les médecins. Une infir- de son bureau la liste des critères d'inclu- matin, je me coordonne avec elle. J’ai à peu mière indique : « Ma plus grande réussite, sion dans le dispositif Asalée, remettre près une demi-heure de coordination pour c’est d’avoir pu favoriser le travail des méde- systématiquement une plaquette d’infor- voir un peu les patients qu’elle va voir, des cins entre eux. Ils échangeaient avant moi, mation aux patients, préparer la consulta- papiers qui sont en suspens... » (M). mais surtout sur LE pratique. Grâce à moi, ils tion infirmière avec le patient et partager ont travaillé sur LA pratique ». Cependant, avec l’infirmière le bilan éducatif réalisé Les échanges dans le binôme permettent « [mettre une infirmière Asalée dans un cabi- (Glorieux, 2016). une meilleure connaissance mutuelle et net], ça n’est pas suffisant pour changer les 5 Questions d’économie de la santé nnnnnnnnnnnnnnnnnnn
Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires médecins. (…) Dans mon cabinet, on a fait cation nutritionnelle, avec des psycholo- miques décrites, des ressources complé- changer un de nos collègues, mais parce gues sur l’écoute des patients, ou encore mentaires ont été déployées. Les « réu- qu’on était trois autres (médecins) très impli- avec des programmes d'ETP portés par nions de secteur », organisées toutes les qués. (…) Ça n’a pas changé que grâce à des acteurs différents. Selon les cas, cette six semaines « en complète auto-gérance » l’infirmière » (M). Or les médecins engagés situation peut être bloquante, ou bien (I) par les infirmières, toutes formées à dans le dispositif Asalée ne peuvent pas ou être discutée et favoriser un renforcement l'analyse de pratiques, sont à cet égard ne souhaitent pas toujours jouer ce rôle mutuel et un relais entre professionnels. essentielles. Les infirmières les décrivent vis-à-vis de leurs confrères réticents. comme un « lieu d’échange et de forma- tion » (I) permettant de briser leur isole- Le cas échéant, l’équipe peut aussi s’élargir Des ressources pour soutenir ment, un espace d’auto-support pour par- à d’autres professionnels de santé ou à des l’infirmière dans ce travail tager leurs difficultés et leurs ressources, secrétaires du lieu d’exercice, voire à des et un environnement pour acquérir et professionnels extérieurs. « Asalée, au départ, mettre en pratique des savoirs et savoir- on était vraiment plus intégré avec les médecins La construction et l’entretien de cette faire, comme elles le disent : « une tenta- qu’avec les autres professionnels. Ça s’est fait petit dynamique représentent donc un tra- tive de répondre à nos besoins de forma- à petit, le fait d’intégrer Asalée comme une dimen- vail qui repose en grande partie sur un tion non couverts (…), pour uniformiser nos sion de la maison de santé » (I). Au sein des investissement continu de l’infirmière, pratiques et se sentir capables de former de MSP, les infirmières Asalée occupent tou- mais cette construction demeure fragile. nouvelles personnes… On essaye de faire ce tefois des positions variables, en fonction Certaines infirmières rencontrent des qui nous a manqué » (I). Les infirmières de l’histoire de la structure, du moment difficultés qui parfois perdurent. Elles ont aussi la possibilité de s’investir dans le d’arrivée de l’infirmière dans la construc- soulignent que la responsabilité de pro- fonctionnement de l’association : depuis tion du projet de santé, et de la connais- poser aux patients une aide qui leur soit 2012, des fonctions rémunérées de réfé- sance mutuelle préalable entre les profes- utile est lourde, d’autant que ses limites rentes sont confiées à certaines pour des sionnels. Ces positions s’échelonnent selon sont floues, que chacune doit en définir le activités transversales, structurantes pour un gradient progressif entre d’un côté un périmètre, et que le soutien reçu (compa- le dispositif, en termes de fonctionnement fonctionnement en silo, où l’infirmière gnonnage, formation) pourrait encore être quotidien et de réflexion sur son avenir : Asalée est considérée uniquement comme amélioré. A cette responsabilité nouvelle recrutement, formation, compagnonnage prestataire de services des médecins pour s’ajoute celle d’être le moteur essentiel du des nouvelles infirmières et, plus récem- des activités éducatives et de suivi précises, développement de pratiques pluriprofes- ment, réflexion sur la recherche et sur les et à l’autre extrême, une participation de sionnelles, alors que ce développement ne pratiques avancées infirmières. l’infirmière à la construction du projet de dépend pas uniquement d’elles. De plus, santé et à la vie de la MSP. les infirmières sont la principale variable Du côté des médecins, une fonction de d’ajustement en cas d’aléa et de remise en « référent régional » a commencé à être Leur travail peut aussi occasionner des question de leur temps de travail (lorsque formalisée à partir de 2015. concurrences, liées à des recouvrements de leur activité est trop faible parce que les compétences et/ou des conflits de finan- médecins leur adressent peu de patients, Une équipe d’ingénieurs intervient dans cement. Ces concurrences peuvent appa- qu’ils ont peu de temps à consacrer aux la gestion des ressources humaines et des raître avec certains professionnels, par échanges, ou en cas d’arrêt de travail ou fournitures, et en support à l’élaboration exemple avec des diététiciens sur l’édu- de départ d’un médecin…), en cas de et à l’adaptation des outils techniques, modifications de leurs conditions d’exer- ainsi qu'à l’organisation des missions R epères cice (manque de locaux du fait de l’arrivée d’un nouveau collaborateur par exemple). Elles indiquent que la grande adaptabilité transversales. Des aménagements ont été apportés à l’organisation de ces ressources, avec notamment l’internalisation de la L'évaluation du dispositif Asalée a été confiée à l’Irdes par la Direction de la sécurité sociale dont elles doivent faire preuve, ainsi que formation à l’ETP en 2012, une forma- (DSS) du ministère des Solidarités et de la Santé l’énergie déployée pour inciter un ou plu- tion de formatrices pour démultiplier les et par la Caisse nationale de l'Assurance maladie sieurs médecins à coopérer, les exposent à capacités de formation, et l’amélioration (Cnam). Elle vise à préciser l'opportunité et les conditions d'une pérennisation de ce protocole un risque d’épuisement, surtout lorsque du système de suivi de l’activité avec l’aide de coopération. les médecins restent peu engagés. de la Cnam. Le programme d'évaluation de l’expérimentation de coopération entre généralistes et infirmières Asalée est intitulé Daphnee (Doctor and advanced C’est pourquoi des ressources sont mises public health nurse experiment evaluation). Il a à leur disposition par l’association Asalée Des binômes infirmière-médecin donné lieu à divers travaux de recherche : (figure p. 4), avec une organisation terri- - Une analyse qualitative sur le déploiement hétérogènes dans leurs pratiques du dispositif et sur les pratiques infirmières, toriale et nationale. D’une part, il s’agit de et leurs interactions médicales et des patients, synthétisée ici. rendre possible leur travail quotidien : for- - Une analyse exploratoire par enquête mation initiale, compagnonnage, accès aux déclarative auprès des médecins généralistes et des infirmières, pour construire dossiers médicaux, protocoles, réunions Au total, du point de vue des acteurs- une typologie sur leur coopération. de concertation médecin -infirmière, et mêmes, les binômes infirmière-médecin - Des évaluations d'impact du dispositif Asalée sur l’activité des médecins, le suivi système d’information PSA. D’autre part, fonctionnent plus ou moins bien. Dans et les parcours de soins des patients. pour étayer sur le long cours les dyna- les binômes qui « fonctionnent », l’infir- Questions d’économie de la santé nnnnnnnnnnnnnnnnnnn 6
Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires mière a un poste de travail identifié et un médecins engagés, l’accès facile aux don- accès aux dossiers médicaux. Le méde- Un travail et un dispositif appréciés nées médicales et la reconnaissance par cin, qui connaît et valorise le travail de des différents acteurs en dépit les médecins de leur travail, ainsi que la l'infirmière, lui adresse suffisamment de des difficultés rencontrées position d’interface qu’elles occupent patients. Elle peut développer son travail avec d’autres acteurs pouvant répondre avec les patients à la fois en autonomie à des besoins, notamment éducatifs, des et en coopération avec le médecin. Ces Les patients interrogés voient l’infirmière patients. Certaines espèrent que les pra- médecins considèrent qu’un travail de comme une professionnelle compétente, à tiques avancées qu’elles expérimentent qualité en matière éducative est un travail l’écoute, disponible et facile d’accès, car bénéficieront d’une reconnaissance profes- qui permet au patient de s’impliquer, de exerçant sur le même lieu que le médecin sionnelle. Toutes jugent essentiel l’étayage « prendre le pouvoir » (M), en étant écouté et aisément joignable au téléphone : apporté par la formation et par les « réu- et en recevant des réponses personnali- - P (homme) : « Je discutais d’ailleurs ce nions de secteur ». sées à ses demandes, dans un espace et un matin avec un ami à moi, qui a du diabète temps dédiés, non contraints. Ils consi- aussi. Je lui ai dit : "Tu verras, c’est sympa ! Les médecins engagés dans une coopé- dèrent que les conditions de travail des On t’explique bien… ça ne te prend que du ration étroite plébiscitent cette nouvelle infirmières Asalée sont plus propices à ce temps, c’est tout… un petit peu de temps, et offre de service pour leurs patients, le tra- travail que leurs propres consultations, du puis ça t’aiguille beaucoup". vail de l’infirmière venant compléter leur fait des motifs multiples qui amènent les - E : Qu’est-ce que l’infirmière vous apporte pratique médicale individuelle dans des patients et du temps souvent compté. Un de spécifique par rapport au médecin ? dimensions éducatives et d’accompagne- travail de qualité est aussi pour eux un tra- - P : Ben c’est un complément, et puis ment qu’ils assuraient peu jusque-là. De ce vail d’équipe sur un même lieu d’exercice, comme elle est dans le truc même, alors c’est partage dans la prise en charge des mala- reposant sur un partage d’activités et des plus… pas plus clair, mais vous comprenez dies chroniques, certains disent retirer interactions avec une infirmière. Le dispo- mieux ! Elle prend son temps, voilà, elle vous plus de confort d’exercice, de qualité et de sitif Asalée est alors vu comme un moyen explique, parce que c’est son métier, quoi ! sécurité, allant pour quelques-uns jusqu’à d’amorcer ou d’approfondir ce type de (…) En plus de ça, je peux un peu discuter (de affirmer que cela contribue à les protéger travail. Médecin et infirmière intera- soucis personnels) ». du risque de burn-out. Les plus engagés gissent pour répondre à des situations qui soulignent que le travail avec l’infirmière posent question, ce qui permet à la fois un L’infirmière est perçue comme une colla- les a amenés à modifier leurs propres pra- suivi conjoint des patients et la construc- boratrice proche du médecin, ayant accès tiques cliniques. Etre rassurés sur le fait tion progressive d’une forme spécifique à ses dossiers et pouvant échanger avec lui que la dimension éducative sera dévelop- de coopération médecin-infirmière, dans facilement. Lorsque les patients vont la pée en parallèle par l’infirmière leur per- l’expérimentation. voir pour la réalisation d’un test de dépis- met de gagner en disponibilité d’esprit tage, pour un acte délégué par le médecin pour gérer les motifs de consultation sou- Cette construction dépend fortement ou un bilan, ils mettent en avant le côté vent multiples des patients et les objectifs de l’implication des médecins. En effet, pratique : une organisation simple, dans médicaux qu’ils se fixent dans le suivi de tous les binômes sont loin de fonction- un même lieu, qui leur fait gagner du chacun. Ils évoquent ainsi une optimisa- ner ainsi, comme l’ont rapporté plusieurs temps en évitant de devoir aller rencontrer tion de leur intervention qui peut se recen- infirmières : « Avec Asalée, j’ai quand même un ou plusieurs spécialistes ou paramédi- trer sur certaines activités ou développer travaillé avec (…) plusieurs médecins avec caux dans différents lieux. Ceux qui vont davantage certaines prises en charge. Une qui j’ai arrêté parce que je trouvais qu’il n’y voir l’infirmière pour un suivi éducatif minorité de médecins indiquent que cela avait pas suffisamment d’activité, que c’était la perçoivent non seulement comme leur a permis de libérer du temps3 pour pas très intéressant ni pour moi, ni pour le une source d’informations, mais aussi prendre en charge de nouveaux patients, patient, ni pour le médecin. » (I) Ou : « Il y comme un soutien sur le long terme pour notamment dans des zones où la démogra- a des médecins qui sont prêts, il y en a qu’on modifier certaines de leurs habitudes de phie médicale était en forte baisse. Enfin, peut convaincre, et il y en a qui vont rester sur vie, et un support pour mieux vivre une l’amélioration de la qualité de leur prise une attitude défensive » (I). Dans ces situa- situation de chronicité. en charge se traduit selon eux, pour cer- tions, un certain nombre de facteurs par- tains patients, en termes de connaissances fois combinés sont observés : le médecin De leur côté, de nombreuses infirmières et de compétences acquises dans la gestion n’adresse pas ou peu de patients ou utilise disent s’épanouir professionnellement de leur maladie, en termes d’améliora- un petit nombre de protocoles ; l’infir- dans ce nouvel exercice qui leur permet tions biologiques (hémoglobine glyquée), mière se trouve dans une situation maté- de développer avec les patients un travail cliniques (perte de poids), ou encore de rielle difficile (absence de bureau, difficul- relationnel inscrit dans la durée, qu’elles qualité de vie, et en termes de diminu- tés d’accès aux logiciels médicaux, etc.) ; assimilent à leur cœur de métier. Elles tion des thérapeutiques médicamenteuses. les interactions entre infirmière et méde- apprécient la liberté qui leur est donnée Certains perçoivent également une trans- cin restent rares avec pour conséquence d’expérimenter de manière relativement formation de leur relation avec les patients des suivis du patient juxtaposés et des dif- autonome de nouvelles manières de tra- ficultés à construire un binôme ; enfin, vailler, en réponse aux besoins qu’elles 3 L’analyse des données d’une enquête déclarative l’infirmière ne trouve pas de solution pour identifient chez les patients. Elles appré- par questionnaire auprès des médecins confirme améliorer la situation. cient également la coopération avec les ce résultat (Menini, 2016). 7 Questions d’économie de la santé nnnnnnnnnnnnnnnnnnn
Vous pouvez aussi lire