Anxiété et troubles cognitifs - Anxiety and cognitive deficit

La page est créée Jean-Luc Carlier
 
CONTINUER À LIRE
D              O          S       S       I       E        R              T         H        É        M          A       T        I       Q         U        E
p o i nt

           Anxiété et troubles cognitifs
a u

           Anxiety and cognitive deficit
Mi s e

           ● C.S. Peretti*, F. Ferreri*

           R              É              S            U              M              É
           R              É              S            U              M              É
             C’est P. Janet (1) qui, le premier, a décrit l’existence de troubles cognitifs liés à l’anxiété, notamment des anomalies perceptives (illusions sensorielles,
             sentiment de déjà-vu ou de jamais-vu), des déficits mnésiques et attentionnels, ainsi que des perturbations émotionnelles et affectives. Les perturbations
             attentionnelles sont à l’origine d’une partie des troubles de la mémoire observés chez les sujets anxieux.
             Il y aurait, selon M.W. Eysenck (2), plusieurs effets de l’anxiété sur l’attention. Les sujets anxieux auraient tendance à rechercher les stimuli mena-
             çants se rapportant à leurs symptômes. Ils présenteraient des troubles de l’attention se manifestant par une grande distractibilité. De plus, leur atten-
             tion serait sélective, c’est-à-dire qu’ils focaliseraient leur attention sur des informations bien spécifiques. Enfin, les ressources attentionnelles concer-
             nant leur mémoire de travail seraient limitées.
             Dans le test de Stroop, les patients présentant une anxiété généralisée sont plus lents à dénommer la couleur lorsque les mots présentés ont une conno-
             tation péjorative (par exemple, “infarctus”). Il en est de même chez des patients souffrant de phobie simple lorsque le mot désigne directement le sti-
             mulus phobogène lui-même (par exemple, “obscurité”).
             Dans l’attention visuospatiale, certaines études ont mis en évidence un biais attentionnel en faveur des stimuli menaçants. La nature sémantique des
             mots présentés interviendrait également. Le patient anxieux effectuerait un traitement sémantique inconscient des mots. Plus le mot est congruent
             à ses préoccupations et plus l’interférence serait grande. L’anxiété mobiliserait une partie des ressources attentionnelles des patients, ce qui les pla-
             cerait dans une situation de double tâche (3). En effet, les patients souffrant d’anxiété doivent traiter à la fois l’information pertinente et celle liée à
             l’anxiété, ce qui entraîne un effort attentionnel plus important. Pour le trouble anxieux généralisé (TAG), aucun biais en mémoire explicite n’a été
             trouvé. Il en existe cependant un en mémoire implicite pour les mots à connotation menaçante (4).
             L’existence de déficits mnésiques dans les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) a été mise en évidence à plusieurs reprises. En effet, plusieurs études ont
             montré que les patients souffrant de TOC présentaient des déficits de la mémoire visuospatiale, mais non de la mémoire verbale.
             Dans l’état de stress post-traumatique (ESPT), certaines caractéristiques du souvenir traumatique et des réactions aux traumatismes montrent que les
             émotions du sujet sont essentiellement représentées par les flash-back plutôt que par des formes de souvenirs ordinaires. Ces derniers incorporent
             des pensées concernant la mort et le fait de mourir, qui sont des prédicteurs importants du développement de l’ESPT (5), ainsi que l’existence de
             séquences interconnectées et d’images plutôt que de scènes séparées (6).
             Mots-clés : Mémoire - Attention - Troubles anxieux - État de stress post-traumatique.

           SUMMARY
            SUMMARY
             Janet was the first author to describe cognitive deficits in anxiety (1), namely perceptive anomalies or defects, illusions, déjà-vu or jamais-vu, memory
             or attentional deficits, emotional and affective dysfunctions. Attentional deficits generate memory impairments observed in anxious patients.
             In 1982, M.W. Eysenck proposed different anxiety effects on attention: anxious subjects would be likely to seek threatening stimuli derived from their
             symptoms (2). These subjects are highly distractible, their attention is selective, they tend to focus attention on very specific informations. Attentio-
             nal resources and working memory are impaired.
             In the Stroop task, patients suffering from generalized anxiety disorder exhibit slowness in naming the color when presented with words containing
             pejorative connotations, for example infarctus.
             In patients suffering from simple phobia, the same observation is reported when the word is linked to the phobogen stimulus, for example darkness.
             Studies have highlighted an attentional bias in favor of threatening stimuli. The semantic nature of the words is also important. The anxious patient
             performs an unconscious semantic treatment of the words. The more congruent the word is to anxious patient’s worries, the greater the interference.
             Anxiety might take part of the attentional resources of the patients, resulting in a dual-task situation for the patients (3). Patients suffering from anxiety
             have to treat both the relevant information and the information derived from anxiety, leading to increased attentional cost. In generalized anxiety disor-
             der no memory bias has been observed for explicit memory whereas a bias has been reported for implicit memory of threatening words (4).
             In obsessive compulsive disorder (OCD) different studies have shown memory deficits such as impairment of visuospatial memory but not verbal memory.
             In post-traumatic stress disorder (PTSD) some characteristics of the traumatic memory and of traumatic reactions show that subjects’ emotions are
             mainly formed by flashbacks more than by ordinary memories. The flashbacks contain thoughts about death or about dying that are important pre-
             dictors to develop PTSD (5) as well as interconnected sequences and images rather than separated scenes (6).
             Keywords: Memory - Attention - Anxiety disorders - Post-traumatic stress disorder.

           * Hôpital Saint-Antoine, Paris.

           18                                                                                            La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
p o i nt
             n corpus de travaux de psychologie expérimentale a        c’est-à-dire qu’ils focaliseraient leur attention sur des informa-

U

                                                                                                                                                  a u
             permis de mieux cerner les effets de l’anxiété sur les    tions bien spécifiques. Enfin, les ressources attentionnelles
             capacités mnésiques et attentionnelles des patients       concernant leur mémoire de travail seraient limitées.

                                                                                                                                                  Mi s e
souffrant de troubles anxieux. La caractérisation de ces troubles
cognitifs chez les sujets anxieux reste cependant liée à l’hétéro-
généité des pathologies et aux problèmes de définition de              L’effet Stroop
l’anxiété. Nous présenterons un panorama des études les plus           Certaines études portant sur les performances au test de
intéressantes, sans prétention d’exhaustivité. Nous insisterons        Stroop (8) ont montré que les patients anxieux présentaient une
dans une deuxième partie sur certaines théories actuellement en        sensibilité à l’interférence significativement plus importante que
vue telles que la théorie de la représentation duelle (dual repre-     les sujets témoins.
sentation theory [DRT]) dans l’ESPT, la théorie des systèmes de        Dans l’épreuve classique, une des consignes est de nommer la
mémoire interactive ou encore celle des facteurs GDE (gènes-           couleur de l’encre avec laquelle un nom de couleur est écrit (par
développement-environnement) qui met en jeu l’amygdale, l’hip-         exemple, le mot “rouge” écrit en bleu devra être lu “bleu”). Afin
pocampe, le striatum, le cortex préfrontal, le nucleus accumbens       de réaliser correctement cette tâche, le patient doit inhiber une
et certains noyaux diencéphaliques. Ces différents éclairages sont     activité automatique qui est celle de la lecture du mot (“rouge”)
particulièrement riches et autorisent des interprétations nouvelles    en faveur d’une activité davantage contrôlée : celle de la déno-
de certains résultats expérimentaux ; c’est la raison pour laquelle    mination de la couleur (“bleu”).
nous leur avons fait une place importante dans cette synthèse.         Dans certaines pathologies anxieuses, il est difficile pour les patients
Notre conclusion sera inspirée de ces conceptions de l’étiopa-         d’inhiber l’automatisme, ce qui entraîne une sensibilité à l’interfé-
thogénie cognitive des troubles anxieux.                               rence plus importante. C’est le cas chez les patients souffrant de
En 1991, J. Guelfi (7) confirmait la fréquence des troubles mné-       TOC. En revanche, ce phénomène n’est pas observé chez les
siques chez les sujets anxieux : plus de la moitié des sujets qu’il    patients souffrant de trouble panique. S’agirait-il dans ce cas d’une
a étudiés présentaient une baisse de leur capacité à se concentrer.    anxiété-état (caractérisant un “moment” pathologique) et non d’une
Une perturbation de l’attention et de la mémoire a été observée        anxiété-trait (caractérisant un profil de personnalité, par exemple) ?
chez les patients souffrant d’anxiété, déficit qui se traduirait par   Dans la vie courante, cela peut se traduire par des difficultés sco-
une focalisation de l’attention sur les stimuli menaçants ou un        laires ou professionnelles, de concentration et de compréhension
biais attentionnel en leur faveur. Les capacités mnésiques des         d’un texte par exemple, chez un sujet qui ne cesse d’effectuer des
sujets en seraient diminuées.                                          actes mentaux comme répéter des mots, compter, prier, etc.
                                                                       D’autres travaux ont utilisé une variante du test de Stroop, le
                                                                       Stroop émotionnel (9). Dans cette épreuve, il s’agit toujours pour
L’ANXIÉTÉ : DÉFINITION SELON LE DSM-IV                                 les sujets de dénommer la couleur des mots présentés, mais ces
                                                                       mots ont alternativement une connotation neutre ou menaçante (par
La définition de l’anxiété donnée par l’Encyclopédie est celle de      exemple, les mots “chat”, “obscurité”, “légume” et “infarctus”).
Ribot : “L’anxiété est un sentiment d’insécurité douloureuse           Les patients présentant une anxiété généralisée sont plus lents à
devant un danger à venir, mais intérieur, latent, non défini.”         dénommer la couleur lorsque les mots présentés ont une connota-
Le DSM-IV ne sépare pas les composantes somatiques et psy-             tion péjorative (par exemple, “infarctus”). Il en est de même chez
chiques de l’affect pénible et douloureux qui caractérisent res-       des patients souffrant de phobie simple lorsque le mot désigne
pectivement l’angoisse et l’anxiété. Les déficits cognitifs font       directement le stimulus phobogène lui-même (par exemple, “obs-
partie des critères diagnostiques : il s’agit, par exemple, des        curité”). Ce ralentissement de la vitesse de réponse pourrait s’ex-
troubles de la concentration, de l’attention, responsables d’une       pliquer, selon certains auteurs, par la correspondance entre le
distractibilité. La nosographie établit l’existence de troubles        contenu sémantique du mot stimulus et le thème de l’anxiété.
anxieux dans lesquels le sujet est en proie à un danger imaginaire.
C’est le cas du trouble panique, du trouble anxieux généralisé,
des troubles phobiques, du trouble obsessionnel compulsif (TOC)        Une attention sélective
et de l’état de stress post-traumatique (ESPT). Les manifestations
pathologiques sont très hétérogènes.                                   L’attention visuospatiale
                                                                       Certaines études ont mis en évidence un biais attentionnel en
                                                                       faveur des stimuli menaçants (9-13). Une épreuve de détection
TROUBLES ATTENTIONNELS                                                 dans laquelle les sujets devaient répondre le plus rapidement pos-
                                                                       sible à un signal lumineux apparaissant ponctuellement sur un
Il y aurait selon M.W. Eysenck (2), plusieurs effets de l’anxiété      écran lors de la présentation de couples de mots (mot mena-
sur l’attention. Les sujets anxieux auraient tendance à rechercher     çant/mot neutre) a montré que les patients anxieux détectaient
les stimuli menaçants se rapportant à leurs symptômes. Ils pré-        plus rapidement le stimulus lumineux quand celui-ci apparaissait
senteraient des troubles de l’attention se manifestant par une         à la place du mot menaçant. Un résultat inverse était observé chez
grande distractibilité. De plus, leur attention serait sélective,      les sujets témoins.

La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
                                                                                                                                            19
D            O        S        S       I      E       R             T    H      É       M         A       T       I      Q        U        E
p o i nt

           Une étude de K. Mogg et al. (14) a également montré ce biais de          En effet, une étude de T.M. Mellings et L.E. Alden (15) a mon-
a u

           l’attention sélective lors de la présentation de visages menaçants       tré, lors d’un échange relationnel entre des sujets anxieux et des
           ou souriants. Les sujets anxieux, comparativement aux témoins,           sujets non anxieux, que les premiers restaient focalisés sur leurs
Mi s e

           étaient beaucoup plus attentifs aux visages menaçants qu’aux             propres symptômes et formulaient des opinions négatives sur les
           visages souriants. La durée de présentation des stimuli ne chan-         autres et sur eux-mêmes (ce qui est le reflet d’une anxiété plus
           geait en rien ces données.                                               importante).
           Lorsque des sujets non anxieux doivent détecter sur un écran un
           stimulus visuel central, un stimulus visuel périphérique, ou les
           deux simultanément, les temps de réponse sont identiques en état         LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
           de relaxation et en état de tension lorsque les stimuli sont
           uniques. Pour les stimuli simultanés, l’état de tension induit une       La mémoire de travail
           préférence pour le stimulus périphérique, tandis qu’un état de           L’anxiété-état, forme d’anxiété transitoire, altérerait les perfor-
           relaxation fait préférer le stimulus central.                            mances en mémoire de travail d’une manière plus marquée que
           Ces données corroborent l’hypothèse de M.W. Eysenck (2), selon           l’anxiété-trait, disposition de base de la personnalité.
           laquelle les patients anxieux présenteraient un déficit du contrôle      L’anxiété mobiliserait une partie des ressources attentionnelles
           attentionnel entraînant une plus grande distractibilité. Ces patients    des patients, ce qui les placerait dans une situation de double
           qui souffrent d’anxiété effectueraient une recherche sélective des       tâche (3). En effet, les patients souffrant d’anxiété doivent traiter
           stimuli menaçants présents dans l’environnement, ce qui provo-           à la fois l’information pertinente et celle liée à l’anxiété, ce qui
           querait une diminution des ressources attentionnelles et de              entraîne un effort attentionnel plus important.
           mémoire de travail ainsi qu’une tendance à focaliser leur attention      Ainsi, les sujets anxieux ont des performances déficitaires
           plus étroitement que des sujets témoins. Cela peut se traduire, par      lorsque les épreuves comportent une grande quantité d’informa-
           exemple, par des difficultés, chez le sujet claustrophobe qui prend      tions. C’est, par exemple, le cas chez des étudiants très anxieux
           l’ascenseur, à se concentrer sur une conversation.                       confrontés à une situation d’examen.
                                                                                    Les patients à fort niveau d’anxiété ont de plus faibles résultats
           L’écoute dichotique                                                      dans les épreuves d’empan mnésique que les sujets témoins. Leur
           Ce biais de l’attention sélective existerait également pour des sti-     capacité en mémoire de travail est réduite, ce qui entraîne une
           muli verbaux. Une étude de A. Mathews et C. Mc Leod (9) réali-           augmentation du temps de réaction et des erreurs quand on leur
           sée chez des patients souffrant de trouble anxieux généralisé            demande d’effectuer une autre tâche. Par exemple, si on leur
           (TAG) a montré un temps de détection plus lent lorsque ceux-ci           demande d’effectuer une addition mentale alors qu’ils réalisent
           devaient détecter un stimulus lumineux présent pendant l’écoute          une épreuve de mémoire, leurs performances sont déficitaires.
           d’un texte à mémoriser. Les sujets étaient munis d’un casque, et
           le texte était diffusé dans un écouteur pendant que des mots
           menaçants étaient émis dans l’autre. Les mots menaçants                  La mémoire à long terme
           n’étaient pas identifiés par les sujets, mais leur effet “inconscient”   Les sujets anxieux seraient davantage sensibles aux stimuli
           perturbait le traitement de l’information lumineuse, en ralentis-        menaçants qu’aux stimuli neutres.
           sant la réaction des patients.                                            Lors d’une épreuve de rappel d’une liste de mots composée pour
                                                                                    moitié de mots neutres et pour moitié de mots menaçants, les
           Le traitement du contenu sémantique                                      patients souffrant de phobie restitueront davantage de mots à
           La nature sémantique des mots présentés interviendrait égale-            connotation menaçante. Il en est de même chez des patients souf-
           ment. Le patient anxieux effectuerait un traitement sémantique           frant de trouble panique. En revanche, on observe un résultat
           inconscient des mots. Plus le mot est congruent aux préoccupa-           inverse chez les patients souffrant d’agoraphobie. S’agit-il, dans
           tions du patient et plus l’interférence serait grande.                   ces conditions, d’un effet dépendant de l’état et qui disparaîtrait
           Cette sélectivité attentionnelle pour des stimuli menaçants a été        en dehors de la présence du stimulus ?
           mise en évidence dans des épreuves de décision lexicale. Les             Une revue de M.E. Coles et R.G. Heimberg (4) consacrée aux
           temps de réaction seraient plus courts pour des mots menaçants           biais de mémoire observés chez des sujets anxieux rappelle que
           lorsque ceux-ci sont amorcés par la présentation préalable d’un          les performances obtenues en mémoire explicite (épreuve de rap-
           autre mot, proche au niveau sémantique ; par exemple, le mot             pel libre de mots) ainsi qu’en mémoire implicite (épreuve de
           “infarctus” précédé du syntagme “crise cardiaque”.                       complémentation de début de mots) n’étaient pas significative-
           Il en est de même lorsque l’amorce est un mot émotionnellement           ment différentes chez les sujets anxieux et chez les sujets
           proche, comme par exemple, le mot “malaise” précédant le mot             témoins.
           “infarctus”.                                                             En revanche, en mémoire implicite, les sujets anxieux présentent
           Ce biais attentionnel pour des stimuli menaçants ou pour des             des performances d’amorçage significativement supérieures pour
           informations à connotation péjorative pourrait selon certains            les mots menaçants. Ce résultat peut être expliqué par une utili-
           auteurs jouer un rôle dans l’anxiété sociale, où il tendrait à biaiser   sation plus fréquente de ce genre de mots chez les sujets anxieux
           les jugements sociaux.                                                   que chez les témoins.

                                                                                           La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
           20
p o i nt
Selon une étude menée par A. Mathews et al. (16), les scores en       tâche de mémoire explicite (rappel libre) et une tâche de mémoire

                                                                                                                                               a u
mémoire explicite (rappel libre) seraient similaires pour les         implicite (complètement de radicaux mots). Aucune différence
anxieux présentant une anxiété-état et les témoins. Ils seraient      entre les sujets anxieux et les témoins n’a été mise en évidence.

                                                                                                                                               Mi s e
différents pour les anxieux présentant une anxiété-trait.             Cela suggérerait que la charge émotionnelle des mots ne modi-
En mémoire implicite, les anxieux produiraient davantage de           fierait pas la mémoire explicite ou implicite.
compléments pour les mots menaçants. Les représentations              L’existence de déficits mnésiques dans les TOC a été mise en
internes de ces mots seraient plus rapidement activées dans           évidence à plusieurs reprises. En effet, plusieurs études ont
l’anxiété-état, bien qu’elles ne soient pas nécessairement mieux      montré que les patients souffrant de TOC présentaient des défi-
élaborées.                                                            cits de la mémoire visuospatiale, mais pas de la mémoire ver-
                                                                      bale. En outre, ces patients connaîtraient des difficultés à
                                                                      retrouver une information spécifique et auraient des temps de
Biais de mémoire où déficit mnésique ?                                latence plus longs que les témoins. Une étude utilisant la figure
                                                                      de Rey a confirmé le déficit de ces patients en mémoire visuo-
Trouble panique avec et sans agoraphobie                              spatiale. L’un des aspects importants de cette épreuve est la
Plusieurs études ont relevé un biais de mémoire significatif chez     façon dont le sujet organise l’information durant l’encodage de
ces patients (4), notamment en ce qui concerne les mots mena-         la figure : organiser la figure en différentes unités perceptives
çants. Ce biais serait présent en mémoire explicite et en mémoire     significatives permet un meilleur rappel libre de cette figure.
implicite. Des déficits en mémoire à court terme apparaîtraient       Les patients souffrant de TOC auraient des difficultés à utili-
lors des épreuves de rappel libre.                                    ser une stratégie d’organisation de la figure lors de son reco-
                                                                      piage, ce qui rendrait leur rappel d’information beaucoup
Phobie sociale                                                        moins efficient.
Plusieurs études ont été menées qui ne trouvaient pas de biais        De plus, ils auraient des déficits mnésiques dans le California
mnésique (17, 18). Cela concerne aussi bien la mémoire explicite      Verbal Learning Test (CVLT). La réussite de ce test de mémoire
que la mémoire implicite et se vérifie pour des épreuves de rap-      met en jeu l’utilisation de stratégies durant l’encodage, ce qui
pel ou de reconnaissance de mots à connotation positive, neutre       expliquerait cette constatation expérimentale.
ou négative.                                                          Les faibles performances des patients dans ces épreuves démon-
                                                                      treraient que les déficits en mémoire verbale et non verbale
Phobie spécifique                                                     seraient corrélés à des déficits de mise en place d’une stratégie.
Un grand nombre d’études menées sur des patients présentant           Cette dernière serait liée sur le plan fonctionnel aux fonctions
une phobie des serpents ont montré des biais et des déficits mné-     exécutives, validant les modèles neurobiologiques qui présuppo-
siques (19-21).                                                       sent un dysfonctionnement fronto-striatal chez les patients souf-
En effet, ces patients retiendraient mieux les descriptions de        frant de TOC (24).
sensations abstraites que les descriptions de sensations
concrètes comparativement aux témoins. De même, ils présen-
teraient un déficit dans le rappel de mots relatifs à la réponse      QUE PEUT-ON DIRE DE CES DONNÉES ?
anxieuse et non dans celui des mots relatifs aux caractéristiques
des serpents.                                                         Les troubles anxieux sont responsables de troubles cognitifs
                                                                      et de déficits mnésiques bien décrits dans la littérature. Le
Trouble anxieux généralisé                                            phénomène du biais attentionnel avec sélection préférentielle
Aucun biais en mémoire explicite n’a été trouvé. Il existe cepen-     de stimuli perceptifs à forte congruence avec les thèmes
dant un biais en mémoire implicite pour les mots à connotation        anxieux des patients permet d’expliquer la lenteur apparente
menaçante (4).                                                        du traitement de l’information des patients souffrant de
                                                                      troubles anxieux, qui se retrouvent très souvent en situation
État de stress post-traumatique                                       de double tâche, c’est-à-dire qu’ils doivent traiter en parallèle
Ces patients présenteraient une mémoire explicite accentuée pour      l’information rencontrée et le contenu anxiogène d’une partie
le matériel relatif au traumatisme dans les tests de mémoire expli-   de celle-ci.
cite et implicite. Ils ont aussi des troubles en mémoire autobio-     L’anxiété-trait doit être séparée de l’anxiété-état, car le profil des
graphique. Nous aborderons dans la deuxième partie de cet             effets cognitifs est bien différent (voir supra).
article les principaux troubles cognitifs observés dans l’ESPT, et    Enfin, il faut rappeler les effets mnésiques délétères des benzo-
ferons une place importante à la théorie DRT inspirée des travaux     diazépines (25), qui vont handicaper davantage des patients déjà
de P. Janet.                                                          déficitaires au plan cognitif du fait de leur pathologie, en insis-
                                                                      tant sur le fait que les bénéfices de la disparition de tout ou par-
Trouble obsessionnel compulsif                                        tie de la symptomatologie anxieuse ne sauraient faire disparaître
Une étude de S. Dirson et al. (23) a évalué les effets émotionnels    les troubles mnésiques massifs générés par ces médicaments en
de certains mots sur la mémoire. Ils ont utilisé pour cela une        mémoire explicite.

La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
                                                                                                                                         21
D            O        S        S       I      E       R             T    H      É       M        A        T       I      Q        U        E
p o i nt

           MÉMOIRE ET ESPT                                                          nements traumatiques, mais aussi d’événements non trauma-
a u

                                                                                    tiques d’intensité élevée. En comparant les contenus de ces sou-
           Les patients qui souffrent d’ESPT présentent des épisodes de             venirs, ces auteurs ont remarqué qu’ils différaient de manière
Mi s e

           reviviscence de la scène traumatique, qualifiés de flash-back, qui       nette. Les événements traumatiques étaient rappelés sous forme
           sont considérés par certains auteurs comme une forme spécifique          d’expérience somato-sensorielle fragmentaire, d’intensité élevée,
           de mémoire (26, 27). D’autres auteurs comme M.A. Conway (28)             par flash-back. Le discours des patients concernant ce type d’ex-
           considèrent qu’il s’agit de la fragmentation et de la désorganisa-       périences n’apparaissait que secondairement, après le trauma-
           tion de la mémoire autobiographique. Les patients qui présentent         tisme. Les événements non traumatiques, quant à eux, étaient
           un ESPT souffrent également de cognitions intrusives qui sont            rappelés assez constamment, sous une forme narrative, et aucun
           communément rencontrées dans l’ESPT, la dépression, l’anxiété,           flash-back n’était décrit.
           le TOC, mais également chez des sujets sains et chez certaines           Un certain nombre d’études ont tenté de mettre en évidence des
           personnes qui à un moment de leur existence peuvent manifes-             pensées intrusives, notamment celle de D.A. Clark (45), qui a
           ter de tels phénomènes, à un degré plus ou moins important (29,          comparé des patients psychiatriques et des témoins dans une ana-
           30). Les rappels intrusifs, ou souvenirs intrusifs, et l’oubli partiel   lyse factorielle. Cet auteur identifie trois dimensions de pensées
           des événements traumatiques sont des phénomènes caractéris-              négatives : les cognitions dépressives (comme “je n’ai pas d’ave-
           tiques de l’ESPT (31), mais les patients présentant un ESPT souf-        nir” ou “mon avenir est bouché”) ; les images ou pensées d’hu-
           frent également de plaintes subjectives associant des chutes de la       miliations ou d’expériences douloureuses (“je n’en peux plus”,
           concentration et un déficit de mémoire (32-35) ; leurs capacités         “je suis épuisé”) ou les pensées à contenu anxieux (“j’ai des
           attentionnelles sont détournées et l’allocation de ressources atten-     images ou des pensées qui me persuadent que je suis en mauvaise
           tionnelles se fait préférentiellement en faveur des stimuli              santé ou que je suis tombé malade”) ; les pensées intrusives
           effrayants (36-38). L’ESPT est associé à un déficit de mémoire           comme des pensées ou images “de devoir dire des choses inac-
           et d’attention et à une chute des capacités intellectuelles (39-40).     ceptables à quelqu’un”. Pour P.M. Salkovkis (30, 46), les pensées
           Le déficit cognitif dans l’ESPT est considéré par certains auteurs       intrusives et les cognitions répétitives négatives sont fondées sur
           comme un déficit de la mémoire déclarative (41, 42) et par               l’imagination et sont irrationnelles et égodystoniques.
           d’autres comme un déficit de la mémoire de travail et de l’atten-        Les déficits cognitifs dans l’ESPT sont rapportés au fonctionne-
           tion (33). Les expériences de J.D. Bremner et al. (41) ont mis en        ment de régions cérébrales spécifiques. Le déficit en mémoire
           évidence une diminution des performances de la mémoire ver-              déclarative peut être la conséquence d’un dysfonctionnement hip-
           bale en rappel différé ou immédiat chez des vétérans du Vietnam          pocampique qui viendrait révéler des lésions de stress chronique
           souffrant d’ESPT, comparés à des témoins sains. Cette même               sur les cellules hippocampiques (47, 42). Les capacités atten-
           équipe, deux années plus tard, montrait une mémoire verbale dif-         tionnelles et la mémoire de travail déficitaires pourraient révéler
           férée ou immédiate diminuée dans les performances de 21 per-             une atteinte préfrontale (48). Cependant, les déficits cognitifs
           sonnes victimes d’abus sexuels dans l’enfance et présentant des          pourraient précéder l’apparition de l’ESPT chez ces patients, et
           symptômes d’ESPT, comparées à 20 témoins appariés. Une cor-              on ne peut exclure qu’ils se développent tout au long de l’évolu-
           rélation significative entre la performance en mémoire verbale et        tion de cette pathologie. La première hypothèse serait confortée
           la sévérité du traumatisme était retrouvée dans ces deux études.         par des études mettant en évidence un quotient intellectuel plus
           Des preuves expérimentales ont été apportées par S.J. Hellawell          faible chez les vétérans du Vietnam qui développent plus tard un
           et C.R. Brewin (43) qui ont montré que certains passages de dis-         ESPT (49). Le déficit en mémoire déclarative qui apparaît très
           cours décrivant le traumatisme et énumérés par les patients souf-        précocement après un événement traumatique pourrait résulter
           frant d’ESPT correspondaient à des flash-back, et que ces élé-           d’une inhibition hormonale induite par le stress et ses consé-
           ments pouvaient être totalement distincts du reste du discours, en       quences sur les fonctions hippocampiques (47).
           plusieurs points. Ces flash-back étaient considérés comme des            Il est donc très important de comprendre et d’évaluer les liens qui
           phénomènes mnésiques associés à une chute sélective de la per-           peuvent exister entre les symptômes de l’ESPT et le déficit
           formance dans des tâches visuospatiales ainsi qu’à une augmen-           cognitif de cette maladie. Les patients qui présenteraient très pré-
           tation du comportement moteur et du degré de stimulation du              cocement des symptômes d’ESPT particulièrement intenses
           système nerveux autonome. Ces mêmes auteurs considèrent que              seraient susceptibles de développer des formes plus sévères ou
           les flash-back diffèrent totalement de la mémoire ordinaire en ce        d’avoir un risque plus élevé d’ESPT que les autres (50). Les défi-
           qu’ils utilisent un contenu et une forme grammaticale spéci-             cits cognitifs sont susceptibles d’interférer avec la capacité du
           fiques.                                                                  patient de récupérer à la suite d’un traumatisme, processus qui
           Certains chercheurs soutiennent que les situations traumatiques          demande un réapprentissage et une réadaptation (51). Les défi-
           sont susceptibles de provoquer des souvenirs très prolongés,             cits cognitifs précoces pourraient conduire à un déficit d’acqui-
           mais, curieusement, un petit nombre d’études a tenté de caracté-         sition des souvenirs traumatiques et expliquer partiellement
           riser précisément les souvenirs des événements traumatiques              l’amnésie de certaines scènes. L’absence de dysfonctionnement
           vécus par les patients souffrant de telles pathologies. B.A.Van der      cognitif précoce chez les survivants qui présentent des symp-
           Kolk et R.E. Fisler (44) ont étudié les patients souffrant d’ESPT        tômes suggère qu’un déficit cognitif pourrait survenir et se déve-
           en leur demandant de décrire les souvenirs qu’ils avaient des évé-       lopper tout au long de l’ESPT. Il est donc important d’évaluer les

                                                                                           La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
           22
p o i nt
liens entre symptômes d’ESPT et fonctionnement cognitif                 sont susceptibles de décrire, par des mots, les flash-back et de les

                                                                                                                                               a u
comme l’ont fait Brandes et son équipe en 2002, dix jours après         intégrer au système de mémoire, au système des souvenirs acces-
la survenue d’un événement traumatique. Il est impossible de            sibles verbalement dans la mesure où ils le font de manière déli-

                                                                                                                                               Mi s e
faire un diagnostic d’ESPT si précocement ; on ne peut qu’évo-          bérée. Les observations de P. Janet (1), au début du XXe siècle,
quer l’état de stress aigu. Cependant, certains survivants expri-       sont corroborées par la DRT, qui propose trois aspects des flash-
ment de hauts niveaux de symptômes d’ESPT tandis que d’autres           back et les distingue des souvenirs autobiographiques ordinaires :
ne manifestent pas de tels symptômes. Cet auteur montre que les         leur mode exclusivement automatique de recouvrement, le haut
patients qui ont de hauts niveaux de symptômes précoces d’ESPT          niveau de détails perceptifs et la distorsion subjective du temps,
manifestent un déficit attentionnel et une chute du quotient intel-     qui fait que l’événement est vécu comme s’il survenait dans le
lectuel. D. Brandes et al. n’ont pas trouvé de lien entre les symp-     présent.
tômes précoces d’ESPT et les performances en apprentissage ou           Le modèle DRT suggère que les flash-back contiennent l’infor-
en mémoire verbale. Ils suggèrent que les déficits attentionnels        mation qui est issue des scènes traumatiques et du traitement de
peuvent affecter la récupération des événements traumatiques.           l’information perceptive de bas niveau provenant de celle-ci.
Ces résultats sont corroborés par ceux de M.W. Gilbertson et al.        Les flash-back ont, en outre, davantage de détails dans leur
(52), ceux de J.J. Vasterling et al. (48) et ceux de M.L. Macklin       contenu et sont davantage fondés sur des événements perceptifs
et al. (49), qui montrent que les vétérans du Vietnam qui possé-        que les souvenirs ordinaires en raison du fait qu’ils sont produits
daient un quotient intellectuel plutôt faible avant la guerre étaient   à partir d’une information le plus souvent non consciente et asso-
davantage susceptibles de présenter un ESPT. On ne peut consi-          ciés à une transmission automatique rapide à l’intérieur du sys-
dérer que la performance des patients de l’étude de D. Brandes et       tème de traitement de l’information cérébrale.
al., dix jours après un événement traumatique, est susceptible de
différer de celle obtenue dans des circonstances normales, et le
niveau de quotient intellectuel pourrait ne pas être représentatif      LE TRAITEMENT DE L’INFORMATION
d’une mesure des caractéristiques dispositionnelles ou de type
prétraumatique.                                                         Le mouvement, particulièrement intéressant à étudier, permet
L’association entre des symptômes précoces d’ESPT et les per-           d’expliquer certaines imageries mentales qui, dans l’anxiété et les
formances cognitives ne peut s’expliquer par des différences            peurs, sont focalisées dans ce que J.H. Riskind (55) appelle la
d’anxiété ou de symptômes dissociatifs. Le déficit des perfor-          théorie de la vulnérabilité qui aurait reçu des arguments corro-
mances cognitives n’est pas lié au niveau anxieux.                      borant celle-ci issue d’observations faites dans d’autre troubles
                                                                        anxieux. Les patients souffrant d’ESPT manifestent des souve-
                                                                        nirs intrusifs qui comportent des séquences d’images ou de
LA THÉORIE DE LA REPRÉSENTATION DUELLE DE L’ESPT                        vidéo-clips aussi bien que des images fixes (6). L’approche d’une
(DRT [DUAL REPRESENTATION THEORY])                                      personne impressionnante ou terrorisante ou d’un objet suscep-
                                                                        tible d’être particulièrement pertinent dans l’ESPT est importante
Certains auteurs considèrent que les souvenirs d’un événement           à considérer, mais la présence de mouvements n’a pas été suffi-
traumatique vécu peuvent être décrits et classés en deux catégo-        samment étudiée. C.R. Brewin et al. (27) suggèrent que les sou-
ries, sous des représentations différentes. Le premier type de for-     venirs ordinaires sont accompagnés d’émotions, comme la cul-
mat de représentation est celui de la mémoire accessible verba-         pabilité ou la colère, produites par des conséquences de
lement, représentée par les souvenirs autobiographiques                 l’événement. L’appréhension de l’événement survient normale-
ordinaires qui peuvent être rappelés soit de manière automatique,       ment naturellement après le traumatisme et jouerait un rôle dans
soit en utilisant des stratégies ou des processus stratégiques. Les     ce phénomène. En revanche, les flash-back sont accompagnés
souvenirs autobiographiques ordinaires peuvent être produits et         d’émotions primaires, telles que la peur, le sentiment d’abandon
interagir avec le reste des connaissances autobiographiques de          et d’horreur, qui sont vécues au moment du traumatisme lui-
base, de telle sorte que le traumatisme est représenté au sein d’un     même.
contexte personnel complet comprenant le passé, le présent et le        Les propositions faites par D.B. Pillemer (56) sont intéressantes :
futur. Le deuxième type de format est considéré comme un sou-           cet auteur a observé que les personnes décrites comme ordinaires
venir accessible situationnel ; il est représenté par des rêves liés    sont susceptibles de manière abrupte et spontanée de basculer de
aux traumatismes spécifiques et les fameux flash-back, qui carac-       l’utilisation de la tension du présent à un certain moment en par-
térisent de manière spécifique l’ESPT. Les flash-back ne peuvent        lant ou en produisant le discours autobiographique narratif qui se
être retrouvés que de manière automatique et non de manière             nourrit de la tension du passé ou qui la décrit. Il suggère que les
stratégique, et ils ne peuvent interagir avec le reste du système de    switches non intentionnels du “présent tendu” surviennent à l’oc-
mémoire autobiographique de l’individu. Ils sont formés typi-           casion d’émotions particulièrement fortes et que ces switches
quement de morceaux d’histoire de grande intensité et de certains       communiquent l’intensité et le sentiment au discours. Des
fragments de la reviviscence de l’événement traumatique, bien           exemples de shifts particulièrement brutaux du “passé tendu” au
que certains éléments additionnels puissent – mais moins com-           “présent tendu” surviennent au point où le discours explique que
munément – être inclus dans les souvenirs (53, 54). Les sujets          la vie de celui qui parle ou la vie de quelqu’un d’autre est en dan-

La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
                                                                                                                                         23
D            O        S       S       I      E       R             T    H      É       M        A        T       I      Q        U        E
p o i nt

           ger (56). D.B. Pillemer soutient que l’utilisation du “présent          Certaines caractéristiques du souvenir traumatique et des réac-
a u

           tendu” suggère que le narrateur n’est pas simplement en train de        tions aux traumatismes montrent que ces émotions sont essen-
           raconter un épisode, mais qu’il le revit ou en revit certains aspects   tiellement représentées par les flash-back plutôt que par des
Mi s e

           particulièrement saillants, et que le fait de revivre le phénomène      formes de souvenirs ordinaires. Ces derniers incorporent des pen-
           est le signe externe d’un switch interne à partir d’une représenta-     sées concernant la mort et le fait de mourir qui sont des prédic-
           tion s’appuyant sur la narration vers une représentation fondée         teurs importants du développement de l’ESPT (5) et l’existence
           sur une image dans les souvenirs. Selon ce modèle, les switches         de séquences interconnectées et d’images plutôt que de scènes
           entre des représentations comportent des mouvements de bascule          séparées (6). Comparativement aux approches habituelles des
           de l’attention flottante vers des images perceptives et des senti-      souvenirs traumatiques, le modèle DRT génère des prédictions
           ments. Le résultat est que des sensations actives apparaissent.         qui semblent corroborées par certaines données (43). C.R. Bre-
           Contrairement au modèle DRT, D.B. Pillemer met l’accent sur             win (24, 53), avance que la distinction et le type de souvenirs
           l’émotion forte, plutôt que sur les émotions spécifiques de peur,       reflèteraient des circuits anatomiques différents : le système des
           d’abandon ou d’horreur survenant dans l’ESPT. Cet auteur consi-         souvenirs ordinaires, verbalement accessibles, dépendrait du pro-
           dère que le haut degré d’élévation de l’affect n’est pas suffisant      cesseur hippocampique, qui faciliterait l’intégration au reste des
           pour produire systématiquement le “verbe tendu” et les shifts.          souvenirs autobiographiques, et les flash-back ou les souvenirs
           Les études de A.G. Harvey et R.A. Bryant (57) ont montré que            accessibles situationnels dépendraient de voies neuronales alter-
           les souvenirs des patients souffrant d’ESPT et racontant leur trau-     natives qui résulteraient de l’isolement de la base de données
           matisme étaient désorganisés et fragmentés. Le recouvrement du          autobiographiques. L’étude des souvenirs traumatiques est
           traumatisme était soit naturel, soit facilité par la psychothérapie     capable de mener à une véritable compréhension de la nature de
           et il comportait la réalisation de ces souvenirs (58, 59). Le sys-      l’ESPT et de son traitement.
           tème des souvenirs composites ou à multiples niveaux permet de          Ces voies de recherche passionnantes sont actuellement en plein
           faire la prédiction de différences au sein du discours narratif à un    essor et débouchent sur une plus grande compréhension des
           point précis dans le temps. Selon le modèle DRT ainsi que les           mécanismes de survenue de l’ESPT et des modes de traitement
           descriptions de D.B. Pillemer (56) et celles de A. Ehlers et            de l’information traumatique, péritraumatique et post-trauma-
           R. Steil (6), ces auteurs ont prédit que les flash-back comparés        tique. Les futurs traitements seront issus de ces explorations.
           aux souvenirs ordinaires chez les patients seraient :
           ❯ plus détaillés, particulièrement riches en détails perceptifs
           comme le mouvement ou la sensorialité ;                                 CONCLUSION
           ❯ descriptifs de scènes particulièrement interactives ou intercon-
           nectées les unes aux autres ;                                           Les troubles anxieux sont associés à des niveaux de peur et à des
           ❯ les véhicules de davantage de peurs, d’abandon et d’horreur ;         attributs physiologiques et comportementaux générés par un
           ❯ plus susceptibles de parler de mort ou du sentiment de mourir,        contexte ou un événement. Certains auteurs supposent que des
           et démontrant davantage l’utilisation du “présent tendu”.               dérèglements du système de neurotransmetteur GABAergique
           Les auteurs prédisaient également que les souvenirs ordinaires,         expliquent l’étiologie des troubles anxieux ainsi que le large suc-
           comparés aux flash-back, contiendraient davantage d’émotions            cès du traitement par les benzodiazépines (64).
           secondaires comme la culpabilité ou la colère. Les flash-back se        Un certain nombre de systèmes comportementaux et de mémoire,
           sont révélés associés à plus d’émotions primaires de peur,              en particulier l’hippocampe et l’amygdale, permettraient à des
           d’abandon et d’horreur, tandis que les émotions secondaires, cul-       individus de développer une capacité à contraindre et limiter les
           pabilité et colère, survenaient davantage au sein des souvenirs         réponses de peur secondaires à l’événement initial. Les troubles
           ordinaires. Ce type d’observation souligne que les flash-back sont      anxieux résulteraient d’un affaiblissement de ces systèmes, ce qui
           caractérisés non pas par l’intensité émotionnelle en elle-même,         engendrerait une généralisation de la peur liée à des situations ou
           mais davantage par la nature spécifique et le moment de l’émo-          des indices non pertinents. Ainsi, un patient souffrant d’un
           tion. La peur, l’abandon et l’horreur peuvent avoir des consé-          trouble anxieux serait dans l’incapacité de différencier les
           quences psychologiques différentes de celles observées avec les         indices, les contextes environnementaux ou les épisodes associés
           autres émotions. Des associations spécifiques entre peur et revi-       à la peur et ceux qui ne le sont pas. De nombreux chercheurs
           viscence et entre perte d’espoir ou sentiment d’abandon et disso-       considèrent que les troubles anxieux doivent être liés à des modi-
           ciation ont été déjà rapportées (60, 61).                               fications hippocampiques et/ou de l’amygdale (65-69). Il est pos-
           Le souvenir de peur associé à un événement traumatique reste            sible que ces modifications soient secondaires à des interactions
           stable dans le temps, alors que le souvenir pour l’intensité émo-       entre les composantes du système GDE. Chez le sujet anxieux,
           tionnelle générale fluctue (62). La peur, l’abandon et l’horreur ne     les changements intervenus au niveau de l’hippocampe et de
           sont pas exclusivement associés aux flash-back. D’autres auteurs        l’amygdale et/ou leurs liens respectifs ainsi qu’avec d’autres
           comme N. Grey et al. (63) ont donné des exemples soulignant la          régions cérébrales telles que le diencéphale ou l’hypothalamus
           manière dont les émotions comme la colère, l’humiliation et la          seraient à l’origine d’une anxiété généralisée. Une perte du
           culpabilité pouvaient être contenues dans les flash-back, et mon-       contrôle de l’amygdale et de l’hippocampe sur le diencéphale et
           trant que ces émotions étaient vécues au moment du traumatisme.         les régions hypothalamiques qui opèrent la médiation des

                                                                                          La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
           24
p o i nt
réponses physiologiques associées à la peur et à l’anxiété va                      11.  Mogg K, Mathews A, Weinman J. Selective processing of threat cues in

                                                                                                                                                                        a u
accroître la généralisation de la peur secondaire à des situations                 anxiety states: a replication. Behav Res Ther 1989;27:317-23.
non pertinentes.                                                                   12. Mathews A. Why worry? The cognitive function of anxiety. Behav Res Ther

                                                                                                                                                                        Mi s e
Le TOC est une autre catégorie de trouble de l’humeur qui se                       1990;28(6):455-68.
caractérise par la récurrence d’obsessions et/ou de compulsions                    13. Mathews A, Mogg K, Kentish J, Eysenck M. Effect of psychological treatment on
qui dérèglent et interrompent les fonctions quotidiennes normales                  cognitive bias in generalized anxiety disorder. Behar Res Ther 1995;33(3):293-303.
de l’individu (DSM-IV). Les obsessions sont définies comme des                     14. Mogg K, Philippot P, Bradley B. Selective attention to angry faces in clinical
pensées incessantes, intrusives, ou des impulsions. Les compul-                    social phobia. J Abnorm Psychol 2004;113:160-5.
sions sont des profils de réponses répétitives qui surviennent en                  15. Mellings TM, Alden LE. Cognitive processes in social anxiety: the effects of
réponse à certaines obsessions. La moindre velléité du sujet souf-                 self-focus, rumination and anticipatory processing. Behav Res Ther
frant de TOC de résister à ces comportements compulsifs se tra-                    2000;38(3):243-57.
duira par une anxiété importante. Selon la théorie des systèmes                    16. Mathews A, Mogg K, Eysenck M. Implicit and explicit memory bias in
de mémoire interactive (70), le TOC serait dû à une altération de                  anxiety. J Abnorm Psychol 1989;98(3):236-40.
la relation entre le striatum dorsolatéral, le cortex préfrontal et                17. Rapee RM, Mc Callum SL, Melville LF et al. Memory bias in social phobia.
l’axe amygdalo-hippocampique. Ces changements d’organisation                       Behav Res Ther 1994;32:89-99.
au sein de ces différents systèmes de mémoire et de comporte-
                                                                                   18. Cloitre M, Cancienne J, Heimberg RG et al. Memory bias does not genera-
ment seraient dus à des interactions avec les facteurs GDE. Un                     lize across anxiety disorders. Behav Res Ther 1995;33:305-7.
dysfonctionnement amygdalien ou hippocampique entraînerait
                                                                                   19. Bouton ME. Context, ambiguity and classical conditioning. Current direc-
une élévation des niveaux d’anxiété. Une disparition de la fonc-                   tions in Psychol Sci 1994;3:49-53.
tion du cortex préfrontal conduirait à une réduction du contrôle
inhibiteur exercé sur les pensées et sur le comportement. Une                      20.  Bouton ME. A contextual analysis of fear extinction. In: P. Martin (ed).
                                                                                   Handbook of behavior therapy and psychological science: an integrative
autre conséquence du dysfonctionnement de cette région serait                      approach. New-York : Pergamon, 1991;435-53.
une augmentation de la domination du système des “habitudes”
                                                                                   21. Blaney PH. Affect and memory: a review. Psychol Bull 1986;99:229-46.
S-R (stimulus-réponse) du striatum dorsolatéral, qui entraînerait
des compulsions, c’est-à-dire des profils de réponses répétitives                  22. Bower GH. Mood and memory. Am Psychol 1981;36:129-48.
inappropriées. Un certain nombre d’arguments expérimentaux                         23. Dirson S, Bouvard M, Cottraux J, Martin R. Visual memory impairment in
sont récemment venus étayer cette hypothèse sur le fonctionne-                     patients with obsessive-compulsive disorder: a controlled study. Psychother
ment complexe de ces systèmes dans le TOC, qui impliquent des                      Psychosom 1995;63(1):22-31.
modifications au sein du striatum dorsal, du cortex préfrontal et                  24. Urucu D, Peretti CS. Trouble obsessionnel compulsif et frontalité. Act Med
de l’axe amygdalo-hippocampique (71-77).                         ■                 Int 2001;(18)8.
                                                                                   25. Vidailhet P, Danion JM, Chemin C, Kazès M. Lorazepam impairs both visual
                                                                                   and auditory perceptual priming. Psychopharmacology (Berl) 1999;147(3):266-73.

R   É F É R E N C E S            B I B L I O G R A P H I Q U E S
                                                                                   26. Brewin CR. A cognitive neuroscience account of posttraumatic stress disor-
                                                                                   der and its treatment. Behav Res Ther 2001;39:373-93.
                                                                                   27. Brewin CR, Dalgleish T, Joseph S. A dual representation theory of posttrau-
1. Janet P. L’amnésie et la dissociation des souvenirs par l’émotion. J Psychol    matic stress disorder. Psychol Rev 1996;103(4):670-86.
1904;1:417-453.
2. Eysenck MW. Attention and arousal: cognition and performance. New York :        28. Conway MA, Pleydell-Pearce CW. The construction of autobiographical
                                                                                   memories in the self-memory system. Psychol Rev 2001;107:261-88.
Springer-Verlag, 1982.
3. Peretti CS. Anxiety and cognition disorders. Encephale 1998;24(3):256-9.        29. Rachman SJ, De Silva P. Abnormal and normal obsessions. Behav Res Ther
                                                                                   1978;16:233-48.
4. Coles ME, Heimberg RG. Memory biases in the anxiety disorders: current sta-     30. Salkovkis PM. Cognitive-behavioural factors and the persistence of intrusive
tus. Clin Psychol Rev 2002;22:587-622.
                                                                                   thoughts in obsessional problems. Behav Res Ther 1989;27:677-82.
5. Blanchard EB, Hickling EJ, Taylor AE et al. Who develops PTSD from motor        31. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of men-
vehicle accidents? Behav Res Ther 1996;34(1):1-10.
                                                                                   tal disorders (4th ed). Washington DC: American Psychiatric Association, 1994.
6. Ehlers A, Steil R. Maintenance of intrusive memories in posttraumatic stress    32. Klonoff H, McDougall G, Clark C et al. The neuropsychological, psyhiatric
disorder: a cognitive approach. Behavioural and Cognitive Psychotherapy
1995;23:217-49.                                                                    and physical effects of prolonged and severe stress: 30 years later. J Nerv Ment
                                                                                   Dis 1976;63:246-52.
7. Guelfi J. Pharmacovigilance and 2nd generation antidepressive agents.           33. Goldfield AE, Mollica RF, Pesavento BH, Faraone SV. The physical and psy-
Encéphale 1991;1:139-44.
                                                                                   chological effects of torture: symptomatology and diagnosis. J Am Med Assoc
8. Stroop JR. Studies of interference in serial verbal reactions. J Exp Psychol    1988;259:2725-9.
1935;18:643-61.
                                                                                   34. Weiner H. Perturbing the organism: the biology of stressful experience.
9. Mathews A, Mac Leod C. Selective processing of threat cues in anxiety states.   Chicago: University of Chicago Press, 1992.
Behav Res Ther 1985;23:563-9.
                                                                                   35. Uddo M, Vasterling JJ, Brailey K, Sutker PB. Memory and attention in com-
10. Martin M, Williams RM, Clark DM. Does anxiety lead to selective processing     bat-related posttraumatic stress disorder, PTSD. J Psychopathol Behav
of threat-related information? Behav Res and Ther 1991;29:147-60.                  Assessment 1993;15:43-52.

La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
                                                                                                                                                                  25
Vous pouvez aussi lire