Amnesty international - Pakistan Sous l'état d'urgence, les garanties relatives aux droits humains subissent une érosion irréparable

La page est créée Sébastien Daniel
 
CONTINUER À LIRE
Public

   amnesty international

              Pakistan
Sous l'état d'urgence, les garanties
   relatives aux droits humains
subissent une érosion irréparable

                       Index AI : ASA 33/040/2007
                           23 novembre 2007
INTERNATIONAL SECRETARIAT, 1 EASTON STREET, LONDON WC1X 0DW, UNITED KINGDOM
    TRADUIT PAR LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL (ÉFAI)
2     Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

                                     Pakistan
    Sous l'état d'urgence, les garanties relatives aux
    droits humains subissent une érosion irréparable

L'état d'urgence en vigueur au Pakistan entraîne des violations graves des normes du
droit international relatif aux droits humains, y compris de celles qui sont inscrites
dans la Constitution pakistanaise.

Plusieurs centaines d'avocats, de défenseurs des droits humains et de militants
politiques ont été emprisonnés de manière arbitraire dans tout le pays. On reste sans
nouvelles de certaines des personnes arrêtées.

Des chaînes de télévision et des stations de radio indépendantes ont été empêchées de
diffuser leurs émissions dans le pays. De nouvelles lois restreignant la liberté de la
presse et des médias électroniques ont également été promulguées ; les contrevenants
sont passibles de peines de trois à quatre ans d'emprisonnement et de lourdes peines
d'amende.

En proclamant l'état d'urgence au mépris des dispositions constitutionnelles, le général
Musharraf a suspendu la plupart des droits fondamentaux énoncés par la Constitution,
et notamment le droit de ne pas être privé illégalement de la vie, certains éléments
essentiels du droit à un procès équitable, à la liberté de mouvement, de réunion,
d'association et d'expression ainsi que le droit à l'égalité devant la loi.

La destitution de juges, et particulièrement ceux de la Cour suprême, et dans certains
cas leur placement de fait en résidence surveillée, constituent une infraction flagrante
aux dispositions de base des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la
magistrature [ONU]. Le gouvernement ne peut pas « nommer et limoger » les juges
pour faire en sorte que les tribunaux soient à ses ordres. Il ne peut pas davantage
destituer des juges hormis en cas d'incapacité légale ou s'ils sont inaptes à remplir
leurs fonctions.

Amnesty International – 23 novembre 2007                             Index AI : ASA 33/040/2007
Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains                        3

1. L'instauration de l'état d'urgence

Le 3 novembre, en sa qualité de chef d'état-major, le général Musharraf a proclamé
l'état d'urgence et suspendu la Constitution qu'il a remplacée par une « Ordonnance
constitutionnelle provisoire ». Tout en prévoyant que le Pakistan « sera dirigé, autant
que possible, conformément à la Constitution », l'ordonnance soumet cette disposition
aux ordres du général Musharraf. Elle suspend explicitement les droits fondamentaux
garantis par la Constitution et autorise le général Musharraf à modifier la Constitution
à sa guise en dehors de toute procédure, parlementaire ou autre. Enfin, l'ordonnance
interdit à tout tribunal de rendre une décision défavorable au président, au Premier
ministre ou à toute personne relevant de leur autorité.

Le 15 novembre, le général Musharraf a apporté une modification à l'Ordonnance
constitutionnelle provisoire en transférant le pouvoir de lever l'état d'urgence de sa
qualité de chef d'état-major à celle de président. Ceci lui permettra d'exercer ces
pouvoirs quand il décidera de quitter ses fonctions de chef des armées, le cas échéant.

Aux termes de l'Ordonnance constitutionnelle provisoire, les membres de l'appareil
judiciaire supérieur (Cour suprême et quatre hautes cours) sont suspendus de leurs
fonctions jusqu'à ce qu'ils prêtent un nouveau serment de respecter les dispositions de
la proclamation de l'état d'urgence du 3 novembre ainsi que celles de l'ordonnance – et
non celles de la Constitution. Seuls cinq des 17 juges de la Cour suprême ont prêté ce
serment ; les autres ont été placés de fait en résidence surveillée pendant que les
autorités s'efforçaient d'introniser leurs remplaçants.

L'état d'urgence imposé par le président Musharraf est illégal au regard du système
juridique pakistanais. En effet, en sa qualité de chef d'état-major des armées, le
général Musharraf n'est pas juridiquement habilité à prendre une telle décision. Seul le
président peut proclamer l'état d'urgence, qui doit être appliqué selon les modalités
énoncées par la Constitution.

Autre fait préoccupant, le gouvernement a modifié le 11 novembre la Loi relative aux
forces armées afin de permettre aux autorités militaires de juger des civils. Aux
termes de ces amendements, qui ont été antidatés afin qu'ils soient applicables à
compter de janvier 2003, les civils peuvent être jugés par les autorités militaires pour
des infractions telles que la trahison, la sédition et les « déclarations semant la
zizanie ». Tout article contenant des commentaires critiques à l'égard de l'instauration
de l'état d'urgence risque d'être considéré comme une violation de cette loi modifiée.
En soi, ces amendements représentent une menace grave pour la presse, les médias
électroniques et les militants de la société civile ainsi que pour les droits

Amnesty International – 23 novembre 2007                        Index AI : ASA 33/040/2007
4      Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

fondamentaux des personnes inculpées aux termes des dispositions de la Loi
antiterroriste. L'assurance donnée par le procureur général que les hommes politiques
et les avocats ne seraient pas jugés en vertu de cette loi n'a pas dissipé la crainte que
ces personnes et d'autres considérées comme des opposants au gouvernement soient
traduites devant des tribunaux militaires.

2. Le contexte juridique

Amnesty International dénonce la suspension par le général Musharraf des droits
fondamentaux par le biais de l'état d'urgence, lequel constitue une violation flagrante
du droit international et de la Constitution pakistanaise. Aux termes des règles du
droit international coutumier que le Pakistan est tenu de respecter, le droit à la vie et le
droit de ne pas être soumis à la discrimination ni à la détention arbitraire, ainsi que les
droits fondamentaux à un procès équitable, ne peuvent en aucun cas être suspendus,
quelles que soient les circonstances.

La Cour internationale de justice (CIJ) a indiqué : « En principe, le droit de ne pas
être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités1. » Elle a ajouté
que, de manière plus générale, le droit relatif aux droits humains s'applique dans les
conflits armés2 , ce qui implique de toute évidence qu'il s'applique également dans
d'autres situations d'exception. Le Comité des droits de l'homme, réputé pour son
expertise et ses observations faisant jurisprudence, a fait observer :

         « Le fait que certaines dispositions du Pacte soient, au paragraphe 2 de l'article 4,
         proclamées non susceptibles de dérogation doit être interprété en partie comme une
         constatation du caractère impératif de quelques droits fondamentaux garantis par
         traité dans le Pacte (par exemple les articles 6 et 7)3. »
L'article 6 garantit le droit à la vie et l'article 7 prohibe la torture et les peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants.

1
  Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Rapports d'activité de la CIJ 1996 (I), avis
consultatif du 8 juillet 1996, § 25.
2
  Ibid. ; voir également Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien
occupé. Rapport d'activités de la CIJ 2004, 136, avis consultatif du 9 juillet 2004, § 106.
3
  Comité des droits de l'homme des Nations unies, Observation générale n° 29, États d'urgence (art. 4),
doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, 31 août 2001, § 11.

Amnesty International – 23 novembre 2007                                    Index AI : ASA 33/040/2007
Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains                                     5

Le Comité des droits de l'homme a également souligné le caractère absolu et non
susceptible de dérogation de l'interdiction de la détention arbitraire ou non reconnue et
de la discrimination4, ainsi que la nécessité de respecter en toutes circonstances les
garanties reposant sur « les principes de légalité et la primauté du droit », y compris
le droit d'habeas corpus5.

Les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de
l'homme, et notamment le droit à la liberté de mouvement, d'expression, de réunion et
d'association, ne doivent pas être restreints dans le but de réduire l'opposition
politique au silence. Les civils doivent être jugés selon une procédure équitable par
des juridictions civiles ordinaires et indépendantes.

Le remplacement de la Cour suprême et d'autres tribunaux régis par la Constitution
par des juridictions dont les membres ont été choisis vraisemblablement parce qu'ils
étaient considérés comme favorables au pouvoir et ont prêté serment en faveur d'une
ordonnance qui suspend les droits fondamentaux, supprime l'une des garanties
essentielles contre les violations des droits humains et contre l'impunité des auteurs de
ces agissements, à un moment où ces garanties sont tout particulièrement nécessaires.

La Cour suprême ayant entériné la proclamation de l'état d'urgence par le général
Musharraf ainsi que l'Ordonnance constitutionnelle provisoire et les modifications de
la Constitution, non seulement le système mis en place constitue une garantie pour le
mandat du général Musharraf comme président, mais en outre elle préserve l'impunité
généralisée des agents de l'État pour toutes les violations des droits humains
commises sous l'état d'urgence. L'appareil judiciaire n'est plus que l'ombre de lui-
même ; alors qu'il était indépendant et ne craignait pas de s'opposer au gouvernement
sur des questions liées aux droits humains, il s'est transformé en un organe qui
approuve une loi suspendant les droits fondamentaux et qui s'interdit tout réexamen
judiciaire des actes du gouvernement.

4
 Ibid. § 11, 13-b, 13-c.
5
 Ibid. § 16. L'habeas corpus est le droit qu'a une personne de comparaître devant un tribunal afin de
contester la légalité de sa détention. 6 Voir le rapport publié par Amnesty International et intitulé
Pakistan Human Rights ignored in the "war on terror" (index AI : ASA 33/036/2006). Une synthèse de
ce document existe en français sous le titre Pakistan. Les droits humains bafoués au nom de la « guerre
contre le terrorisme » (index AI : ASA 33/035/2006).

Amnesty International – 23 novembre 2007                                   Index AI : ASA 33/040/2007
6     Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

3. Les groupes menacés

Amnesty International est profondément préoccupée par les arrestations massives qui
se poursuivent au Pakistan. Le 21 novembre, les autorités ont annoncé la libération de
5 134 prisonniers, parmi lesquels figuraient des avocats, des militants politiques et des
défenseurs des droits humains, arrêtés depuis l'instauration de l'état d'urgence. Elles
ont également précisé que 202 avocats étaient maintenus en détention. Les
arrestations n'ont pas cessé et l'organisation estime qu'un nombre beaucoup plus
important d'arrestations et de placements en détention non officiellement reconnus ont
eu lieu depuis l'instauration de l'état d'urgence.

Les défenseurs des droits humains

Le 4 novembre, un nombre important de policiers ont fait une descente dans le bureau
de la Commission des droits humains du Pakistan (HRCP). Plus de 50 défenseurs des
droits humains réunis pour discuter de l'état d'urgence ont été arrêtés et inculpés de
tenue de réunion illégale et d'infraction à la loi relative au maintien de l'ordre public.
Ils ont, dans un premier temps, été incarcérés dans la prison de Kot Lakhpat, à Lahore.

Parmi les personnes arrêtées figurait Asma Jahangir, présidente de la HRCP et
rapporteuse spéciale des Nations unies pour la liberté de religion ou de conviction.
Elle avait fait l'objet, le 3 novembre, d'un ordre de placement en détention pour
quatre-vingt-dix jours aux termes des dispositions législatives relatives à la détention
préventive. Elle a été assignée à résidence à son domicile, déclaré « prison
secondaire » par les autorités, jusqu'au 17 novembre, date à laquelle l'ordre de
détention a été annulé. Une mesure similaire a été prise à l'encontre de Hina Jilani,
représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur la situation des
défenseurs des droits de l'homme, qui se trouve actuellement hors du Pakistan.

Au moins 53 militants incarcérés ont été remis en liberté sous caution, mais ils
risquent d'être de nouveau arrêtés.

Les avocats

Les juristes pakistanais sont en première ligne des protestations contre l'abrogation
des garanties constitutionnelles, les violations des droits humains et l'attaque contre
l'indépendance de la magistrature.

Amnesty International – 23 novembre 2007                             Index AI : ASA 33/040/2007
Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains                        7

Plusieurs juristes éminents, dont les anciens présidents de l'Association du barreau de
la Cour suprême Tariq Mahmood et Munir A. Malik, sont maintenus au secret depuis
leur arrestation le 3 novembre. L'état de santé de Munir Malik suscite de vives
inquiétudes ; selon son conseil, sa santé s'est dégradée et, outre ses problèmes de
prostate qui étaient connus, des examens préliminaires ont révélé que cet homme
souffrirait probablement aussi d'une hépatite. Il est actuellement privé des soins dont
il aurait besoin et n'est pas autorisé à consulter des spécialistes. L'épouse de Munir
Malik affirme que les autorités continuent de le priver des visites de ses proches et
qu'elles restreignent également la remise de médicaments.

Aitzaz Ahsan est détenu dans la prison d'Adiala, à Rawalpindi, où il risque d'être
maltraité. Alors qu'il était incarcéré depuis le 3 novembre, ce n'est que le 21 novembre
que son avocat a été autorisé à lui rendre visite pour la première fois.

On est toujours sans nouvelles d'Ali Ahmed Kurd, ancien vice-président du Conseil
de l'ordre et meneur du mouvement des avocats, également arrêté le 3 novembre.
L'organisation craint que cet homme et les autres avocats emprisonnés, dont certains
sont en mauvaise santé, ne soient maltraités ou torturés.

Selon les médias, entre autres sources d'information, plusieurs centaines d'avocats ont
été arrêtés dans tout le pays depuis l'instauration de l'état d'urgence, notamment dans
les villes de Karachi, Lahore, Peshawar, Rawalpindi, Quetta, Hyderabad et Sukkur,
ainsi que dans de nombreuses petites villes où ils protestaient pacifiquement contre
l'état d'urgence et le limogeage des juges de la Cour suprême. Les forces de sécurité
auraient, dans plusieurs cas, battu des avocats et utilisé du gaz lacrymogène pour
disperser la foule des manifestants à Lahore et à Karachi.

Bon nombre des avocats interpellés sont maintenus en détention administrative pour
une durée de trente à quatre-vingt-dix jours, aux termes de la Loi relative au maintien
de l'ordre public. Les personnes incarcérées en vertu de cette loi ou d'autres
dispositions relatives à la détention provisoire sont détenues sans inculpation ni
jugement. Huit avocats ont par ailleurs été accusés de sédition par la police de Karachi.

Les journalistes

Des chaînes de télévision et des stations de radio indépendantes ont été empêchées de
diffuser leurs émissions dans le pays. De nouvelles lois restreignant la liberté de la
presse et des médias électroniques ont également été promulguées ; les contrevenants
sont passibles de peines de trois à quatre ans d'emprisonnement et de lourdes peines

Amnesty International – 23 novembre 2007                        Index AI : ASA 33/040/2007
8     Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

d'amende. De nombreux journalistes ont été arrêtés depuis l'instauration de l'état
d'urgence, notamment le 21 novembre, date à laquelle des policiers ont frappé à coups
de matraque et interpellé plus d'une centaine de journalistes qui manifestaient à
Karachi.
Ces journalistes ont été remis en liberté par la suite, mais d'autres ont été arrêtés dans
tout le pays. Le climat d'intimidation est entretenu par la succession d'arrestations et
de remises en liberté de ceux qui tentent de protester pacifiquement contre l'état
d'urgence.
Il est probable que les journalistes continueront d'être harcelés et incarcérés. Le
17 novembre, le rédacteur en chef du quotidien de langue ourdou Tulu publié à
Islamabad a été arrêté à son bureau par des policiers en civil. Ceux-ci lui ont bandé les
yeux et l'ont emmené dans un endroit non identifié où ils l'ont interrogé à propos de
ses articles. On lui a dit qu'il avait été interpellé sur ordre de hauts responsables
gouvernementaux. Il a été remis en liberté le 19 novembre.

Les militants politiques

À mesure que les partis d'opposition intensifiaient les protestations contre l'état
d'urgence, le nombre d'arrestations et de cas d'utilisation excessive de la force par des
responsables de l'application des lois contre des manifestants pacifiques a augmenté.

Le Parti du peuple pakistanais (PPP) a signalé qu'au moins 7 500 de ses membres
avaient été arrêtés depuis la proclamation de l'état d'urgence, dans la plupart des cas
pour trouble à l'ordre public. Le 12 novembre, Benazir Bhutto, dirigeante du PPP, a
été placée en résidence surveillée pour une durée de sept jours. Cette mesure avait
pour but de l'empêcher de prendre la tête d'une marche de protestation entre Lahore et
Islamabad.

Trois hommes politiques et un syndicaliste ont été arrêtés à Karachi et inculpés de
sédition le 8 novembre. On leur reprochait d'avoir prononcé des discours et d'avoir
participé à une manifestation contre l'état d'urgence devant le club de la presse de la
ville.

4. Des « disparitions » justifiées par la « guerre contre le terrorisme »

Lors de l'instauration de l'état d'urgence, le général Musharraf a invoqué la violence
extrémiste dans le pays et accusé les membres de l'appareil judiciaire de
« contrecarrer les efforts des pouvoirs exécutif et législatif dans la lutte contre le
terrorisme et l'extrémisme ».

Amnesty International – 23 novembre 2007                             Index AI : ASA 33/040/2007
Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains                          9

Amnesty International est de plus en plus préoccupée par le sort des milliers de
personnes qui auraient été victimes de disparition forcée au cours des six dernières
années et dont 485 noms au moins figuraient sur une liste en cours d'examen devant la
Cour suprême. L'audience suivante de la Cour devait se tenir le 13 novembre.

La Cour suprême étant désorganisée à la suite du limogeage de son président et
d'autres juges, l'examen de cette affaire est suspendu. On ignore tout du sort des
personnes dont le cas devait être examiné ainsi que des centaines d'autres qui ont été
victimes de disparition et qui risquent fortement d'être torturées ou autrement
maltraitées.

La très grande majorité de ces personnes, dont certaines ont été qualifiées de
terroristes ou sont considérées comme représentant une menace pour la sécurité
nationale, n'ont pas été inculpées. Elles sont probablement incarcérées au secret et de
manière arbitraire dans des lieux tenus secrets ou ont été transférées illégalement à la
garde des autorités d'autres pays, notamment les États-Unis. Le nombre de 485 ne
représente qu'une petite partie des personnes qui auraient été victimes de disparition
forcée depuis le déclenchement, en 2001, de la « guerre contre le terrorisme ».

La nature clandestine de cette guerre empêche de connaître le nombre exact de ces cas
de disparition, mais Amnesty International estime qu'il est supérieur à 2000 depuis
l'an 2001.

La Cour suprême avait pris une position très ferme sur les disparitions forcées,
exigeant que le gouvernement et les services de renseignement fassent comparaître
devant elle les personnes victimes de ces pratiques. La Cour s'était basée sur une liste
fournie par la HRCP et le groupe Défense des droits humains, qui avait été créé par
des familles de personnes ayant « disparu ».

Début novembre, la Cour avait regroupé les cas de disparition forcée qui lui avaient
été soumis et renvoyé l'audience au 13 novembre. À cette date, elle devait prendre
connaissance des progrès accomplis par le gouvernement dans la vérification des
listes des personnes victimes de disparition après leur arrestation, et ces personnes
devaient lui être présentées. Le président de la Cour suprême, Iftikhar Chaudhry, qui a
été limogé et se trouve de fait en résidence surveillée, avait déclaré qu'il existait « des
preuves irréfutables que les personnes disparues étaient détenues par les services de
renseignement ». Il avait ajouté que la Cour suprême allait engager une procédure
contre les responsables présumés.

Amnesty International – 23 novembre 2007                          Index AI : ASA 33/040/2007
10    Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

Comme cela a été indiqué plus haut, le gouvernement pakistanais a modifié la Loi
relative aux forces armées de manière à conférer aux tribunaux militaires le pouvoir
de juger des civils soupçonnés de toute une série d'infractions commises depuis 2003,
et notamment des actes de « terrorisme », de trahison ou de sédition. Ceci met encore
plus en péril le sort des « disparus » et de leurs familles ainsi que leur droit d'obtenir
justice.

Dans le climat actuel, Amnesty International craint qu'il ne se produise de nouvelles
disparitions forcées de « terroristes » présumés, et que les victimes ne soient des
avocats et des militants politiques, entre autres. Le droit international prohibe
vigoureusement les disparitions forcées en toutes circonstances. Dans certains cas,
celles-ci constituent un crime contre l'humanité. Les disparitions forcées peuvent
également être considérées comme des mauvais traitements infligés aux proches, dès
lors que l'incertitude quant à leur sort et leur lieu de détention, qui résulte directement
du refus délibéré des autorités de fournir des informations, est susceptible d'entraîner
une angoisse profonde et une peur extrême.

5. Le contexte politique

« L'instabilité politique » au Pakistan s'est aggravée au lendemain du 11 septembre
2001, lorsque les forces américaines et celles de la coalition ont lancé des attaques
contre le gouvernement des talibans en Afghanistan et que le Pakistan est devenu un
allié de premier plan de Washington dans la « guerre contre le terrorisme ». Le
Pakistan, et plus particulièrement le général Musharraf, se sont attiré une forte
opposition tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger. Les États-Unis et l'Afghanistan ont
tout particulièrement reproché au Pakistan de ne pas prendre des mesures assez
fermes pour mettre un terme au soutien que les membres d'Al Qaida et les talibans
trouvaient dans les régions frontalières.

Au cours des dernières années, les zones tribales pakistanaises situées le long de la
frontière afghane – les Zones tribales sous administration fédérale (FATA) – ont été la
cible principale des opérations menées par les services de renseignement pakistanais
au nom de la « guerre contre le terrorisme ». En 2003, les forces de sécurité
pakistanaises ont lancé des opérations de grande ampleur à Wana, dans le Sud-
Waziristan (l'une des sept zones tribales), qui ont coûté la vie à de nombreuses
personnes des deux camps. Les médias et les organisations de défense des droits
humains se sont vu refuser l'accès à cette région. Durant les opérations, les forces de
sécurité se sont rendues coupables de nombreuses violations des droits humains, et

Amnesty International – 23 novembre 2007                             Index AI : ASA 33/040/2007
Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains                                  11

notamment de disparitions forcées et d'arrestations et détentions arbitraires 6 . Des
civils non armés qui ne participaient pas aux combats sont régulièrement victimes des
attaques inconsidérées lancées par les deux camps.

Cette augmentation visible de l'activité militante au Pakistan a également été perçue
comme rendant service au président Musharraf dans la mesure où elle lui a permis de
se présenter comme un rempart contre le radicalisme islamique et d'échapper aux
pressions de la communauté internationale en faveur d'un retour rapide à la
démocratie. Dans ce cadre, le gouvernement pakistanais a semblé fermer les yeux sur
un certain nombre d'événements, par exemple les activités illégales menées dans la
mosquée rouge (Lal Masjid) d'Islamabad et dans les madrassas (écoles coraniques) de
la capitale qui lui étaient affiliées.

Les tensions politiques se sont également renforcées dans le pays à la suite de la
suspension, le 9 mars 2007, du président de la Cour suprême, Iftikhar Chaudhry.
Celui-ci gênait le président Musharraf car il avait rendu un certain nombre de
décisions contre le gouvernement, notamment à propos des cas de disparition forcée.
Le président de la Cour suprême a été mis en congé d'office et le gouvernement a
intenté contre lui une procédure pour faute professionnelle devant le Conseil judiciaire
suprême. Iftikhar Chaudhry a été maintenu au secret pendant quatre jours puis
maltraité par la police quand il a tenté de comparaître devant le Conseil judiciaire
pour assurer sa défense.

La suspension du président de la Cour suprême a suscité de vives réactions dans tout
le pays et elle a renforcé le mouvement pour la justice mené par des avocats éminents
et des juges en faveur de la réintégration d'Iftikhar Chaudhry et de l'indépendance de
la justice. Cette initiative du gouvernement a également provoqué des manifestations
dans tout le pays ; plus de 40 personnes ont été tuées à Karachi, le 12 mai, lors
d'affrontements violents. En juin, des centaines de militants politiques ont été arrêtés
de manière arbitraire et placés en détention au Pendjab et dans d'autres régions du
pays alors qu'ils tentaient d'organiser des rassemblements pacifiques en faveur
d'Iftikhar Chaudhry.

Le 20 juillet, 13 juges de la Cour suprême se sont prononcés en faveur de la
réintégration d'Iftikhar Chaudhry dans ses fonctions. Cette mesure représente certes
un nouveau chapitre de l'histoire judiciaire du Pakistan, mais elle a également

6
  Voir le rapport publié par Amnesty International et intitulé Pakistan Human Rights ignored in the
"war on terror" (index AI : ASA 33/036/2006). Une synthèse de ce document existe en français sous le
titre Pakistan. Les droits humains bafoués au nom de la « guerre contre le terrorisme » (index AI :
ASA 33/035/2006).

Amnesty International – 23 novembre 2007                                 Index AI : ASA 33/040/2007
12    Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

déclenché une nouvelle phase d'hostilité gouvernementale envers l'indépendance de la
justice.

La confiance de la population dans la justice ayant été rétablie, de nombreuses
requêtes ont été introduites devant la Cour suprême. Parmi les plus importantes
figurent celle de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif – exilé en Arabie saoudite
depuis décembre 2000 – qui souhaitait rentrer au Pakistan, ainsi que des cas de
disparition forcée et une contestation de la possibilité pour le président Musharraf de
se présenter à l'élection présidentielle d'octobre tout en restant chef d'état-major des
armées.

En août, la Cour suprême s'est prononcée en faveur de Nawaz Sharif et elle a enjoint
le gouvernement de ne pas l'empêcher de rentrer au Pakistan. Cette décision n'a pas
été respectée et les autorités ont renvoyé Nawaz Sharif en exil quelques heures après
son arrivée à l'aéroport d'Islamabad, le 10 septembre. Un recours pour outrage à
l'autorité de la justice a été introduit devant la Cour suprême contre de hauts
responsables gouvernementaux, dont le Premier ministre.

Entre temps, la Cour suprême s'est également autosaisie de plusieurs affaires dans
lesquelles les autorités avaient commis des excès de pouvoir. Les décisions rendues
par la Cour suprême à la suite de ces requêtes devraient déterminer le discours
politique à venir et les relations entre les trois principaux organes de l'État.

Tout en permettant la tenue du scrutin présidentiel le 6 octobre, la Cour suprême a
ordonné à la Commission électorale de ne pas rendre publics les résultats tant qu'elle
n'aura pas statué sur l'éligibilité du général Musharraf. Des membres des partis
d'opposition, à l'exception de ceux appartenant au PPP, parti de l'ancien Premier
ministre Benazir Bhutto, ont démissionné des assemblées nationale et provinciales qui,
avec le Sénat, forment le collège électoral pour l'élection présidentielle. Le mandat du
président Musharraf expirait le 15 septembre, mais il peut continuer à exercer ses
fonctions jusqu'à la prise de pouvoir de son successeur. Aux termes de la Constitution
pakistanaise, un président ne peut exercer aucune autre fonction rémunérée et aucun
agent de l'État n'est autorisé à être candidat à la présidence de la République. À la
veille de la décision de la Cour suprême sur son éligibilité, le général Musharraf,
agissant en qualité de chef d'état-major des armées, a proclamé l'état d'urgence.

Amnesty International – 23 novembre 2007                             Index AI : ASA 33/040/2007
Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains                        13

6. Recommandations

Amnesty International appelle les autorités pakistanaises à prendre immédiatement les
initiatives ci-après.

1. Rétablir les droits fondamentaux

La suspension par le général Musharraf des droits fondamentaux par le biais de l'état
d'urgence constitue une violation flagrante du droit international et de la Constitution
pakistanaise. L'état d'urgence doit être levé immédiatement et les droits fondamentaux,
y compris le droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion, doivent être
rétablis sans restrictions.
2. Libérer les prisonniers
Toutes les personnes détenues arbitrairement en vertu des dispositions de l'état
d'urgence, et parmi lesquelles figurent des défenseurs des droits humains, des juges,
des avocats, des journalistes et des militants politiques, dont beaucoup risquent d'être
torturés ou de subir d'autres formes de mauvais traitements, doivent être remis
immédiatement en liberté sans condition.
3. Rétablir l'indépendance du pouvoir judiciaire

L'indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour la protection des droits
humains et de l'état de droit. Le président de la Cour suprême et tous les autres juges
qui ont été limogés doivent être rétablis sans délai dans leurs fonctions.
4. Dire « non » aux tribunaux militaires pour juger des civils
La modification récente de la Loi de 1952 relative aux forces armées, qui confère aux
autorités militaires de vastes pouvoirs pour engager des poursuites contre des civils,
doit être abrogée. Les civils doivent être jugés selon une procédure équitable par des
juridictions civiles ordinaires et indépendantes.

Amnesty International appelle également la communauté internationale à
prendre les mesures ci-après.

1. Les Nations unies doivent se pencher en priorité sur la situation au Pakistan.
     La haut-commissaire aux droits de l'homme doit mener sans délai une mission
       d'enquête au Pakistan pour évaluer la situation et émettre des
       recommandations à l'adresse du gouvernement pakistanais et de tous les
       organes compétents des Nations unies.

Amnesty International – 23 novembre 2007                        Index AI : ASA 33/040/2007
14        Pakistan. Érosion des garanties relatives aux droits humains

          Le Conseil des droits de l'homme doit inviter sans délai le Pakistan à lever
           l'état d'urgence, à rétablir les droits humains et les libertés fondamentales, à
           libérer les personnes détenues en vertu des dispositions de l'état d'urgence, à
           réinstaurer l'indépendance du pouvoir judiciaire et à lever toutes les
           restrictions frappant les médias.

          Le Conseil de sécurité doit examiner la situation au Pakistan découlant de
           l'atteinte portée aux droits humains et à l'état de droit afin d'empêcher
           l'apparition d'une menace à la paix et à la sécurité de la région. Il doit par
           ailleurs appeler tous les États membres à suspendre immédiatement toutes les
           formes de coopération militaire et de sécurité avec le Pakistan tant que l'état
           d'urgence n'aura pas été levé.

2. Les gouvernements doivent user de leur influence sur le Pakistan pour qu'il
rétablisse les droits fondamentaux.

3. Tous les gouvernements doivent suspendre sans délai toutes les formes de
coopération avec le gouvernement pakistanais dans le domaine de la sécurité, et
notamment l'aide militaire, jusqu'à la levée des dispositions de l'état d'urgence qui
violent le droit international relatif aux droits humains.

     La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat
      international, Peter Benenson House, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre :
                          Pakistan: Fatal erosion of human rights safeguards under emergency.
       La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international
           par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI – janvier 2008.
              Vous pouvez consulter le site Internet des ÉFAI à l'adresse suivante : http://www.efai.org

Amnesty International – 23 novembre 2007                                            Index AI : ASA 33/040/2007
Vous pouvez aussi lire