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Appel au courage civil dans la société Racisme en Suisse en 2019 En 2019, divers rapports sur le racisme et la xénophobie ont été publiés par des organismes spécialisés tant au niveau national qu’international. Ces rapports sont importants pour détecter et identifier le racisme et la discrimination au quotidien. C’est la seule façon de maintenir le dialogue de la société civile sur le thème, de sensibiliser également la société majoritaire et de promouvoir le courage civil. Le courage civil, le courage d’un individu, est essentiel lorsqu’il s’agit de préserver les valeurs démocratiques dans une société et de lutter contre l’extrémisme. Comme le montre l’exemple du mouvement des «sardines» en Italie, le courage d’un seul individu suffit pour se rebeller contre les tendances extrémistes et racistes. En Italie, un jeune homme a mobilisé des dizaines de milliers de personnes via les médias sociaux pour protester contre le populisme croissant dans son pays. Cet extraordinaire courage d’une seule personne est juste et important, mais il ne remplace pas un acte courageux au quotidien et à petite échelle, comme au travail, à l’école, dans des espaces publics ou dans le voisinage. Résister courageusement et prendre position lorsque des personnes sont insultées, menacées ou agressées de manière raciste ou antisémite. La faculté de psychologie de l’université de Zurich, qui fait des recherches sur les mécanismes du courage civil au sein de la psychologie de la motivation, écrit à ce sujet: «Par courage civil, nous entendons un acte courageux par lequel quelqu’un s’exprime sur son mécontentement sur quelque chose sans prendre en considération des désavantages possibles pour lui-même. Le courage civil signifie ne pas détourner le regard, mais intervenir. En outre, le courage civil est synonyme de courage personnel car il comporte également certains risques pour la personne courageuse.» Dr Markus Notter, ancien Conseiller d’État du canton de Zurich et ancien président de la Société pour les minorités en Suisse (GMS), réfléchit sur ce thème dans son article. Pour lui, le courage civil signifie que l’on s’engage pour les intérêts des autres et qu’on le fait publiquement. Il s’agit de courage social, on prend un risque pour des intérêts des autres et on s’expose au public.. Le courage civil signifie également chercher des solutions dans la lutte contre la haine en ligne. Dans son rapport d’expertise pour la GRA, Dr Mascha Kurpicz-Briki, professeure de Data Engineering à la Haute École spécialisée bernoise, écrit sur les possibilités techniques pour la détection automatisée des discriminations dans des textes. La lauréate du prix Fischhof de la GRA (2018), Iluska Grass, a prouvé il y a quelques années à quel point le courage d’un individu est important pour le bon fonctionnement d’une société. Elle s’est courageusement interposée entre une horde d’extrémistes et un juif orthodoxe lors d’un incident à Zurich, et a ainsi empêché que l’homme soit frappé. Après la récompense de la GRA, Iluska Grass a également reçu le Prix Courage du magazine «Beobachter» en 2019. Dans une brève interview, elle revient encore une fois sur les événements de l’époque et les effets que son acte courageux a eus sur sa vie jusqu’à maintenant. Courage civil numérique Malgré un calme apparent, le racisme et l’antisémitisme continuent de poser problème en Suisse. C’est un phénomène mondial et avec Internet, des théories de complots aberrantes sont aussi lues et propagées dans les foyers suisses. Les discours haineux («hate speechs») continuent d’augmenter sur Internet dans le monde entier – et par là-même la diffamation et le dénigrement des minorités. Les
conséquences sont dramatiques: la haine envers les minorités (religieuses) augmente et donc l’acceptation de cette tendance problématique également – les limites de «ce que l’on peut encore dire» sont constamment repoussées, certaines déclarations xénophobes et antisémites sont soudainement considérées comme «exactes». Étant donné que la numérisation englobe (presque) tous les domaines de vie, il n’existe presqu’aucune séparation entre les mondes réel et virtuel. Les étapes préliminaires de la violence sont visiblement atteintes, comme l’ont montré les divers attentats dans le monde entier au cours des dernières années: les auteurs uniques isolés d’extrême droite de la société pourraient ainsi frapper en Suisse, comme cela a été le cas en 2019 à Christchurch en Nouvelle- Zélande, à El Paso aux États-Unis ou à Halle en Allemagne. Comme l’a déclaré l’acteur britannique Sacha Baron Cohen lors d’un discours devant l’Anti-Defamation League (ADL) en novembre dernier à New York, des études montrent que les fausses nouvelles se propagent plus rapidement que la vérité ‒ les théories du complot sont consultées des millions de fois sur Youtube. Il n’est donc pas étonnant qu’Internet ‒ que Baron Cohen nomme «la plus grande machine de propagande de tous les temps» ‒ répande la plus ancienne théorie de complots de tous les temps, c’est-à-dire que les juifs sont dangereux. Baron Cohen souligne dans son discours que des «plateformes dangereuses telles que Breitbart sur Internet font une impression sérieuse comme la BBC, et n’importe quelle théorie aberrante semble aussi sérieuse que les exploits d’un lauréat du prix Nobel. Lorsque des théories du complot prennent soudainement corps pour certaines personnes grâce aux médias sociaux, il est plus facile pour les groupes haineux de recruter de nouveaux membres.» Baron Cohen a appelé les géants technologiques tels que Facebook ou Youtube à assumer plus de responsabilités concernant les hate speechs et à repenser l’utilisation des médias sociaux. Nous faisons appel aux utilisatrices et aux utilisateurs: les hate speechs doivent être reconnus comme tels et signalés aux médias sociaux concernés. Lorsque les nombreux «lecteurs et lectrices silencieux» se réveilleront et réagiront activement face à la haine sur Internet, donc lorsque le courage numérique régnera, nous pourrons lutter efficacement contre les hate speechs. Le groupe des défenseurs des valeurs démocratiques doit devenir plus important et plus fort que le groupe des détracteurs. Chronologie 2019 Introduction La chronologie des incidents racistes que la GRA publie en collaboration avec la Société pour les minorités en Suisse (GMS) répertorie un total de 41 incidents relayés par les médias suisses en 2019 sur www.rassismus.ch. Au cours des 5 dernières années, le nombre d’incidents publiés a toujours été proche de ce chiffre. Cependant, le chiffre réel reste élevé. Le seuil d’inhibition pour signaler un incident raciste ou xénophobe à un centre de consultation, une ONG ou la police demeure. Les incidents contiennent certains cas de xénophobie et de racisme verbal dans des lieux publics. Cependant, le racisme en particulier, a eu lieu dans les transports en commun et dans la rue en public. Ce sont en particulier les personnes de couleur et les musulmans qui ont été insultés ou menacés. Les incidents racistes lors de matchs de football ont également constitué un problème en 2019, bien que le racisme dans ce contexte s’observe de manière récurrente, selon l’ambiance générale. En outre, il y a eu des incidents isolés au travail (offres d’emploi discriminatoires) ou aux entrées des boîtes de nuit, sur les profils de médias sociaux de personnes privées ou publiques et également des rassemblements d’extrémistes de droite, qui ont été relancés du fait de l’atmosphère générale en Europe et dans le monde entier et qui sont apparus plus souvent publiquement (voir la rubrique sur l’extrémisme de droite). L’année dernière, nous avons relevé plus de cas de déni de l’holocauste,
renforcés par divers théories de complots (antisémites) qui circulent sur Internet. Il y a aussi eu des graffitis avec des croix gammées. Des incidents verbaux de politiciens suisses de droite se sont également produits en 2019, que ce soit dans les médias sociaux ou sur les chats. Mais des membres de la police ou de l’armée ont également fait des faux pas verbaux. L’an dernier en particulier, l’UDC du canton Schwyz a fait parler de lui, sachant que plusieurs membres avec des antécédents d’extrême droite se sont déjà fait remarquer à plusieurs reprises. Le vice-président local de l’UDC de Schwyz a démissionné de son poste et s’est retiré du parti après que des enquêtes à son encontre ont été rendues publiques. Dans le cadre d’une manifestation antiracisme, il avait attaqué un manifestant avec une bombe lacrymogène. Le vice- président de l’UDC Wägital du canton de Schwyz a posté sur Facebook: «La seule chose qui a à nouveau sa place en Allemagne, c’est un nouvel oncle Dolf.». Il a également dû démissionner. Comme l’expert de l’extrémisme de droite Hans Stutz l’a affirmé aux médias, l’UDC est confrontée à un dilemme. «L’UDC ne tolère aucun autre parti politique à sa droite. Il est ainsi ouvert aux personnes d’extrême droite.» L’UDC sait également que les comportements extrêmes ne sont pas tolérables. «Ainsi le parti prend-il une décision uniquement en présence d’une pression du public.» Mais cette pression existe uniquement parce que les médias s’y intéressent de près et rendent ce type de cas publics. C’est le seul moyen de réagir rapidement et de manière adéquate aux faux pas verbaux ou aux dérives dans le domaine de la protection contre la discrimination. On ne signalera jamais assez l’importance d’une presse libre et qui fonctionne bien. Catégories individuelles Extrême droite D’après le Service de renseignement de la Confédération (SRC) dans son rapport de situation annuel «Sécurité suisse 2019», le SRC aurait pris connaissance de 53 événements dans le domaine de l’extrémisme de droite en 2018. «Cela signifie qu’ils ont plus que triplé pour l’extrémisme de droite. Aucun acte violent motivé par l’extrême droite n’a été signalé». Et de poursuivre: «Le SRC a constaté une forte augmentation du nombre d’événements dans le domaine de l’extrémiste de droite en 2018. La scène de l’extrême droite suisse est en pleine évolution. Nous ne savons pas encore si elle évoluera vers l’usage concret de la violence. En 2018 tout du moins, aucun acte violent n’a été enregistré.» Une telle explosion des chiffres s’explique par l’émergence de petits groupes et individus de plus de plus radicalisés, mais pas réellement organisés, en marge de la scène établie d’extrême droite. Il s’agit d’inconnus jusqu’ici, principalement des hommes d’une trentaine d’années, radicalisés via les médias sociaux, qui ne circulent normalement pas dans les groupements classiques. Ceux-ci ont un potentiel de violence relativement élevé. Le service allemand de protection de la Constitution à Berlin a également alerté contre ce nouveau genre d’extrémisme de droite. En outre, les experts affirment que des groupements établis comme le PSN (Parti des Suisses nationalistes) ou «Blood and Honour» apparaissent de plus en plus publiquement, portés par le climat politique surchauffé qui règne en Europe. La scène est globalement en plein essor et les groupements déjà existants ne se sont certes pas développés, mais sont devenus plus actifs, notamment sur le plan des apparitions publiques, ce qui explique le nombre croissant d’événements d’extrême droite. La triste agression contre une synagogue à Halle dans l’est de l’Allemagne en octobre 2019 montre que cette prévision des experts suisses est correcte et que l’on peut encore s’attendre à des incidents similaires en Suisse. Il est exigé de la police, du service de renseignements et des politiciens d’examiner et de prendre les situations à risque au sérieux.
Racisme dans les écoles D’après le rapport annuel «Discrimination raciste en Suisse» du Service fédéral de lutte contre le racisme (SLR), les domaines les plus concernés par les discriminations racistes sont encore le lieu de travail et l’école. La GRA l’a également reconnu et a conçu en 2019 un flyer d’information sur la manière de faire face au racisme et à l’antisémitisme (www.gra.ch/flyer-rassismus-und- antisemitismus-an-schulen). La demande de ce flyer est élevée. Les chats de classes, dans lesquels le racisme et l’antisémitisme se répandent, sont de plus en plus problématiques. Les élèves ont rarement conscience que certaines déclarations faites en public (même un chat sur WhatsApp peut être considéré comme public) sont punies par la loi. Les écoles et institutions éducatives doivent prendre conscience de leur grande responsabilité, informer, parler, regarder et agir immédiatement lorsque les limites sont franchies. Comme le décrit également le rapport annuel «Incidents racistes recensés par les centres de conseil» du Réseau fédéral de centres de conseil pour les victimes de racisme (publié par la CFR et Humanrights), «un nombre important de cas de discrimination raciste signalés se produisent au travail ou dans le milieu éducatif.» Et de poursuivre: «Les formes de discrimination raciste les plus souvent décrites étaient les insultes et les discriminations. La motivation la plus fréquente était la xénophobie, suivie par le racisme contre les personnes de couleur. L’islamophobie et l’hostilité envers les personnes des régions arabes restent également élevées.» Mais les insultes antisémites sont un sujet de plus en plus importants dans les cours d’école suisses et dans les chats de classe. Toutes les personnes chargées de la prévention contre le racisme visent à ce que les institutions éducatives en particulier respectent leur obligation de faire preuve de courage civil et de prendre les brimades racistes ou antisémites au sérieux. La prévention commence dès le plus jeune âge. C’est pourquoi l’association partenaire de la GRA, la Fondation pour l’éducation à la tolérance (SET), a développé une boîte de la diversité à remettre cette année dans les écoles maternelles et les jardins d’enfants. La gestion de la diversité est abordée avec les plus petits et avant tout chez les personnes assurant l’encadrement. La GRA propose divers projets d’éducation qui favorisent la transmission de valeurs fondamentales telles que le respect et la tolérance (plus d’informations sur https://www.gra.ch/fr/education/education-et-formation/). Antisémitisme Comme la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) l’écrit dans son rapport sur l’antisémitisme, publié le 25 février 2020, en collaboration avec la GRA, «La Suisse ne recense heureusement aucun cas de graves agressions physiques contre des juifs en 2019. Ceci contraste avec d’autres pays en Europe, dont le point culminant a certainement été l’attentat de Halle en Allemagne. Cela a de nouveau montré que la police et le Service de renseignement doivent clairement surveiller de près et lutter contre les dangers d’extrême droite. Il y a eu de nombreux insultes et graffitis aux connotations antisémites en Suisse en 2019. (…). Les plateformes enregistrant le plus grand nombre d’incidents antisémites restent Internet et les médias sociaux tels que Facebook et Twitter. L’antisémitisme classique basé sur des stéréotypes est encore répandu. L’antisémitisme lié à Israël et les théories de complots antisémites les plus aberrantes sont cependant à la hausse. Tous deux confirment la théorie de la "haine du juif caméléon": l’antisémitisme et sa constante adaptation aux conditions actuelles et aux discours sociaux et politiques.» Une synthèse nationale des rapports sur l’antisémitisme de la Suisse alémanique et romande a pour la première fois été publiée dans le rapport sur l’antisémitisme de cette année. L’ensemble du rapport sur l’antisémitisme 2019 peut être consulté sur www.antisemitismus.ch.
Bilan Lorsqu’il s’agit de projets pour l’égalité des chances de minorités, la protection contre la discrimination est encore très peu présente en Suisse. La discrimination et le racisme posent encore problème pour l’ensemble de la société et doivent donc être traités en conséquence. Lorsque des personnes avec une couleur de peau différente, une autre origine ou une autre religion, sont régulièrement discriminées lors de la recherche d’un logement ou d’un emploi, il faut en chercher les raisons dans les structures sociales, qui privilégient les personnes appartenant au «même groupe» contre «ceux qui n’y appartiennent pas». Mais il est aussi très important que la société majoritaire reconnaisse que le racisme et l’antisémitisme existent encore et qu’il ne s’agit pas uniquement des «sensibilités» des minorités concernées. Dans l’actuel baromètre des préoccupations du Credit Suisse, la préoccupation envers les étrangers a certes baissé par rapport aux années précédentes, mais avec 30 pour cent des personnes interrogées, elle se classe encore à la troisième place des plus grandes préoccupations des suisses (www.credit- suisse.com/about-us-news/de/articles/media-releases/2019-credit-suisse-worry-barometer-- retirement-provision-remains-201912.html). La Suisse a déjà lancé en 2014 les programmes d’intégration cantonaux, qui doivent aider à aborder le problème structurel. Depuis lors, la protection contre la discrimination est certes devenue une partie intégrante de la politique d’intégration, mais il manque encore en partie des stratégies sur le long terme pour la mise en place de la protection contre la discrimination, comme l’écrit le SLR dans son dernier rapport. La prévention et la sensibilisation précoces dans les établissements scolaires, mais aussi le courage civil ainsi que des déclarations politiques claires restent indispensables pour lutter efficacement contre le racisme et l’antisémitisme. En effet, chaque attaque contre une minorité représente également une attaque contre les valeurs démocratiques de notre société. Dans ce contexte, la chronologie de la GRA (www.rassismus.ch) continuera d’assumer son rôle principal, celui de chien de garde, ainsi que d’évaluer de manière critique et de répertorier de façon systématique et selon des critères et catégories éprouvés les incidents racistes, xénophobes et discriminatoires en Suisse, afin que les incidents discriminatoires qui s’y produisent actuellement soient rendus visibles et soient consignés et archivés pour les générations futures. **********************************
Rapports de fond I. Courage civil: bien plus que du simple courage Par Markus Notter* En 2018, la GRA et la GMS ont décerné le prix Fischhof à Iluska Grass. Iluska Grass, une jeune graphiste, a été témoin d’une agression à Zurich-Wiedikon, où un juif orthodoxe a été attaqué par un groupe d’hommes d’extrême droite. Lorsqu’elle a entendu la victime crier à l’aide, elle a couru sur les lieux sans hésiter et s’est interposée entre les agresseurs et leur victime. Par son acte de bravoure, elle a pu protéger la victime de ses agresseurs et empêcher ainsi une nouvelle escalade. Les responsables de la GRA et de la GMS ont rencontré Iluska Graf avant la remise de prix. Je me rappelle bien ce qu’elle m’a répondu quand je lui ai demandé où elle avait puisé son courage: «C’était une évidence. Je n’ai pas réfléchi longtemps.» Cela ne me semble pas évident. Je ne suis demandé si j’aurai eu le même courage d’agir avec autant d’audace dans une telle situation. En toute franchise. Je ne suis pas certain. Le courage civil demande vraiment du courage. C’est-à-dire être prêt à courir un risque personnel. Mais le courage civil, c’est encore plus que du simple courage. Il faut du courage pour plonger de cinq mètres de haute dans la piscine ou faire du parapente. On peut aussi prendre des risques lors d’un placement de fortune ou au jeu. Tout cela peut être courageux, parfois excessif. Mais il ne s’agit pas là de courage civil. Le courage civil signifie défendre les intérêts des autres, et ce, publiquement. Il s’agit donc de courage social. On prend des risques dans l’intérêt des autres et on s’expose au public. Pourquoi fait-on cela? Pour Iluska Graf, cela était évident. Je crois que cela a à voir avec notre idée de la justice et de la bienséance. Les personnes gênées par le fait que d’autres personnes soient traitées avec condescendance, humiliation ou exclusion cherchent à lutter contre cela. À leurs yeux, il est indécent de se comporter de la sorte. Or justice et bienséance ne vont pas de soi. Elles exigent des valeurs, que certains peuvent également rejeter. Les valeurs supposent une transmission. Tout dépend aussi du poids que leur accorde la société. Le courage civil a donc un double visage. Il exige, comme nous l’avons dit précédemment, un courage individuel. Mais comme il se manifeste toujours en public pour correspondre au courage social, il nécessite aussi une base sociale. La justice et la bienséance doivent avoir du poids dans la société pour que moi aussi, je puisse faire acte de courage civil. On est également plus enclin à prendre un risque si l’on pense trouver d’autres personnes qui partagent les mêmes idées. Mais pour le savoir, il faut faire preuve de courage civil. Cela signifie que le courage civil a un double effet. On vient en aide à une personne en difficulté. Et parallèlement, cela permet de confirmer et de transmettre publiquement les valeurs qui sous-tendent cette aide. En faisant preuve de courage civil, nous transformons la société. Nous renforçons les valeurs de la justice et de la bienséance, et par là même nous encourageons à plus de courage social car la base sociale prérequise existe. On pourrait définir ce phénomène comme une «spirale ascendante». Encore une fois: en toute franchise, toutes ces réflexions ont beau être fondées, quand un juif orthodoxe crie à l’aide car il est attaqué par un groupe d’hommes d’extrême droite, quand des blagues sexistes sont faites en soirée, quand un compagnon de sport sympathique tient des propos racistes ou
quand un chef explique le bon comportement à avoir avec les musulmans, elles ne sont d’aucune utilité. Souvenez-vous alors d’Iluska Grass. «C’était une évidence. Je n’ai pas réfléchi longtemps.» *À propos de l’auteure: Dr Markus Notter était maire de Dietikon et conseiller d’État du canton de Zurich. Il est entre autres président de l’institut européen de l’université de Zurich et de l’opéra de Zurich. Il est maître de conférences à l’université de Zurich et intervient souvent comme expert en matière de droit et de sécurité. Il préside la Commission indépendante d’experts mise en place par le Conseil fédéral pour l’examen scientifique des internements administratifs en Suisse. ***************************** II. Possibilités techniques pour la détection automatique de la discrimination dans les textes Par Mascha Kurpicz-Briki* Introduction Les textes sont écrits par des personnes et peuvent donc représenter un certain style ou une une certaine position. Mais que ce passe-t-il lorsque cette position conduit à ce que certaines personnes soient représentées différemment des autres personnes? Il est par exemple connu que dans les articles Wikipédia, les femmes ou les hommes sont décrits différemment d’un article à l’autre[1] [2]. Qu’en est-t-il des autres textes? Constate-t-on également des discriminations fondées sur l’origine ou l’appartenance religieuse? Dans notre recherche, nous étudions l’application de méthodes automatisées, soutenues par l’apprentissage machine, pour détecter dans les textes les discriminations liées à l’origine ou à l’appartenance religieuse. Ce type de logiciel permettra à terme de détecter plus efficacement les discriminations grâce à la numérisation. Défis techniques Le traitement de texte automatisé est un domaine complexe, car certaines expressions, qui nous semblent évidentes en tant qu’humains, ne sont pas toujours compréhensibles pour la logique de l’ordinateur. L’utilisation de termes clairement discriminatoires peuvent être relativement bien automatisés, cependant les discriminations indirectes sont plus difficiles à détecter. Pour un programme informatique, il est difficile par exemple de savoir si la référence à une nationalité est justifiée ou discriminatoire. Alors qu’une phrase comme «En tant que nationalité, il doit se rendre à l’ambassade correspondante» est reconnue comme une phrase objective, «En tant que nationalité, il est toujours agressif» doit être jugée problématique. Ces finesses de la langue doivent être enseignées au programme informatique. L’un des défis consiste à trouver le contexte à partir d’un texte automatisé. Cela signifie découvrir qui parle dans le texte, de quoi ou de qui traite le texte, quelle est la position et comment cette position peut être reconnue.
Le secteur appelé Sentiment Analysis offre un soutien précieux pour identifier les positions. Lors d’une analyse du sentiment, un texte est classé selon que son affirmation est positive ou négative. Souvent, ces technologies sont utilisées par des entreprises pour déterminer si leurs produits sont décrits de manière positive ou négative sur Internet. Ces méthodes peuvent également être appliquées pour analyser si une personne est décrite avec un point de vue négatif ou positif. Les technologie d’analyse du sentiment sont un domaine de recherche relativement récent et de nombreux défis subsistent encore, entre autres l’amélioration des technologies pour les langues locales comme l’allemand ou le français. Une grande partie de la recherche se concentre sur la langue anglaise. Et comme ces technologies sont mise en œuvre à l’aide de l’apprentissage machine, des données d’apprentissage sont nécessaires. Il s’agit de textes déjà classés et utilisés par les technologies pour apprendre de manière automatisée et gagner ainsi en précision. Le programme informatique apprend à l’aide de ces données à quoi peut ressembler la discrimination. Un autre défi est de comprendre qui est l’objet du texte, c’est-à-dire de qui on parle dans le texte. Prenons comme exemple les biographies sur Wikipédia. Des analyses ont montré par le passé que les femmes sont décrites avec des attributs différents de ceux des hommes [1] [2]. Dans ces évaluations, il a été constaté notamment que les femmes sont souvent décrites par rapport à leurs relations sentimentales ou leur situation familiale, alors que les hommes sont associés à d’autres thèmes. En outre, il a été démontré que, du fait de leurs formulations, les biographies des hommes étaient plus appréciées que celles des femmes. Nous pouvons développer des programmes informatiques basés sur des méthodes similaires pour constater de manière automatique si un article sur une personne A issue de l’immigration est formulé différemment d’un article sur une personne B qui n’est pas issue de l’immigration. Dans le cas des biographies, la personne décrite dans le texte est clairement visible. Cela devient plus difficile lorsqu’il faut d’abord identifier la personne décrite avant d’en déduire la position du texte par rapport à cette personne. L’un des moyens d’y parvenir est de s’appuyer sur le nom. À l’aide de l’apprentissage machine, un système peut être formé pour faire une estimation sur l’origine d’un nom.[3] Sur la base d’une longue liste de noms, la technologie apprend quels noms sont typiques de telle région et peut classer et reconnaitre de nouveaux noms lorsque certains groupes sont victimes de discrimination. En plus des noms, il peut également vérifier si certains mots-clés ont une connotation positive ou négative pour une appartenance religieuse ou ethnique . Grâce à une détection automatique de telles discriminations, nous pourrons à terme analyser de grandes quantités de données en peu de temps et lutter plus efficacement contre la discrimination. Possibilités Le développement de telles technologies de détection automatique de discrimination constitue une étape clé vers la numérisation des questions sociales et sociétales. Pour le moment, les cas de discrimination sont souvent détectés car ils ont été signalés par quelqu’un. Avec les technologies automatisées, il sera dorénavant possible de chercher activement et efficacement des discriminations et d’exploiter l’ère numérique pour aspirer à plus d’équité et de diversité dans notre société. Lorsque la discrimination sera mesurable automatiquement, il sera possible d’appliquer des mesures concrètes. Dans le cas de Wikipédia, des Edit-a-thons sur le thème des «femmes pour Wikipédia» [4] ont régulièrement lieu pour mieux représenter les femmes sur Wikipédia. Quand nous pourrons
détecter automatiquement si et où des discriminations liées à l’origine ou à l’appartenance religieuse augmentent, nous pourrons entreprendre les mesures adéquates. Dans nos recherches, nous nous concentrons sur le développement des technologies et des outils nécessaires pour y parvenir. Les outils logiciels automatisés permettent de traiter efficacement un grand nombre de textes via un programme informatique et de souligner les passages critiques. Ce soutien devrait renforcer à l’avenir l’efficacité de la lutte contre la discrimination en Suisse. Et si ces programmes informatiques atteignaient leurs limites, ils pourront également compter sur le soutien de la communauté: dans le projet Stop Hate Speech [5] par exemple, les manifestations d’hostilité et les discriminations sous diverses formes dans les médias sociaux sont localisées à l’aide d’un programme informatique constamment amélioré grâce aux commentaires de personnes bénévoles. Bilan La numérisation permet de développer des outils efficaces pour combattre la discrimination. La détection rapide et automatisée des discriminations laisse plus de temps pour se concentrer sur les mesures et la sensibilisation. À l’ère du numérique, les personnes et les programmes informatiques combattent côte-à-côte contre la discrimination et ce, plus efficacement qu’auparavant. *À propos de l’auteure: Dr Mascha Kurpicz-Briki est professeure de Data Engineering à la Haute École spécialisée bernoise. Dans le cadre de ses recherches, elle développe des technologies d’utilisation de la numérisation pour résoudre des problématiques sociales et sociétales. mascha.kurpicz@bfh.ch Twitter: @SocietyData Bibliographie [1] C. Wagner, E. Graells-Garrido, D. Garcia und F. Menczer, „Women through the glass ceiling: gender asymmetries in Wikipedia,“ EPJ Data Science, Bd. 5, Nr. 1, 2016. [2] M. Jadidi, M. Strohmaier, C. Wagner und D. Garcia, „It's a man's Wikipedia? Assessing gender inequality in an online encyclopedia,“ in Ninth international AAAI conference on web and social media, 2015. [3] A. Ambekar, C. Ward, M. Jahangir, S. Male und S. Skiena, „Name-Ethnicity Classification from Open Sources,“ in Proceedings of the 15th ACM SIGKDD international conference on Knowledge Discovery and Data Mining, ACM, 2009, pp. 49--58. [4] SRF/Ringier/Wikimedia, [Online]. Available: https://www.eveni.to/editathon. [5] Alliance f, [Online]. Available: http://www.stophatespeech.ch/. ***********************************
III. Interview avec Iluska Grass: Faire la différence avec peu Iluska Grass, Zurichoise, récompensée par le prix Fischhof de la GRA et la GMS 2018, répond aux questions sur le thème du courage civil. Le prix Fischhof lui a été remis en novembre 2018 pour son comportement exemplaire et altruiste dans d’une situation dangereuse. Le soir du 4 juillet 2015, Iluska a été témoin d’une agression à Zurich-Wiedikon, où un juif orthodoxe a été attaqué par un groupe d’hommes d’extrême droite. Lorsqu’Iluska Grass a entendu la victime crier à l’aide, elle a couru sur les lieux sans hésiter et s’est interposée entre les agresseurs et leur victime. Grâce à cet acte de bravoure, elle a pu protéger la victime de ses agresseurs et empêcher ainsi une nouvelle escalade. Plus tard elle a également reçu le Prix Courage 2019. GRA: Iluska, que retenez vous personnellement de l’incident à Manesseplatz? Il y a-t-il quelque chose qui vous préoccupe encore aujourd’hui? Iluska Grass: L’incident, ou plutôt ce qui s’est passé après, m’accompagne presque tous les jours. Comme l’incident a eu lieu il y a un certain temps déjà et que j’ai dû prendre mes distances émotionnelles par rapport au délit, cet après-midi-là n’est pas au centre de mon attention. J’ai tout simplement fait ce que je pensais être juste et je pense encore qu’il fallait le faire. La gratitude de la victime m’accompagne tous les jours. De savoir que l’on peut réaliser quelque chose avec peu de moyens. D’apprendre qu’il est bon d’écouter son intuition et ses réflexes. J’essaie de me rappeler les choses positives de cet incident. GRA: Comment pouvons-nous sensibiliser la société au courage civil ? Dans quels domaines faudrait- il plus de courage civil? Iluska Grass: Je suis convaincu que le courage social s’apprend. Le fait de défendre quelqu’un et soi- même est étroitement lié à la conscience de soi et la confiance en soi. Quiconque croit en lui-même, croit également en la capacité de changer les choses. Je vois le potentiel de l’éducation pour sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge, à eux-mêmes et à leurs semblables. Cela commence au jardin d’enfants. En tant que jeune mère, je suis très impliquée dans l’éducation. J’aimerais éduquer ma fille de telle manière qu’elle puisse se défendre elle-même et tous ceux qui en ont besoin. S’engager pleinement pour la justice. Selon moi, cela devrait également avoir une place prépondérante dans l’éducation scolaire. J’espère qu’avec cet événement, j’ai pu motiver certaines personnes à réagir dans leur quotidien, lorsque c’est nécessaire. GRA: Après les remises de récompenses, as-tu eu des retours de la population? Positifs comme négatifs? Iluska Grass: Après la remise de prix, j’ai reçu beaucoup de mots bienveillants de personnes qui m’ont connu enfant et qui ont lu quelque part sur moi, d’inconnus et de mes connaissances. Je n’ai jamais reçu de retours négatifs, mais je ne sais pas non plus ce qui se dit sur Internet, cela peut bien sûr être complètement différent, mais cela ne me dérangerait pas.
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