Aux racines de la cognition mathématique : comment les quantités numériques sont liées à l'espace dans l'esprit humain - Brain, Behavior ...
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Aux racines de la cognition mathématique : Aux racines de la cognition mathématique : comment les quantités numériques sont liées à l’espace dans l’esprit humain • M.-L. Gardes • J. Prado Pourquoi certaines personnes arrivent à ré- dernière tâche s’apparentait au jeu du Tangram soudre des problèmes mathématiques très com- et consistait à reproduire des motifs donnés au plexes alors que d’autres ont des difficultés à cal- moyen de 16 cubes colorés dans un temps limité. culer des opérations arithmétiques très simples ? Cette tâche est souvent utilisée en psychologie pour En d’autres termes, qu’est-ce qui détermine que cer- mesurer ce qui est dénommé « capacité spatiale » tains individus ont des capacités en mathématiques dans les tests d’intelligence, c’est-à-dire la capa- supérieures à d’autres ? Cette question est fonda- cité d’imaginer et de manipuler des formes et des mentale à l’étude de la cognition numérique, c’est- relations dans l’espace. Les résultats montrent plu- à-dire la discipline qui s’intéresse à la façon dont sieurs éléments intéressants. Premièrement, et de les quantités numériques (et plus généralement cer- façon peu surprenante, les performances des doc- tains concepts mathématiques liés au nombre) sont représentées et traités dans notre esprit. Récemment, pour essayer de répondre à cette FT torants du département de Mathématiques étaient significativement supérieures à celles des étudiants du département de Sciences Humaines sur la tâche de mathématiques avancées. Deuxièmement, et de façon peut-être plus surprenante étant donnée la question, des chercheurs de l’université d’Oxford A au Royaume-Uni ont mené une expérience tout à simplicité de la tâche, les étudiants du département fait originale [15]. Le but était de déterminer quelles de Mathématiques étaient en moyenne significa- compétences de base sous-tendent les capacités tivement plus précis à placer les nombres sur la DR mathématiques les plus avancées, notamment chez ligne numérique que les étudiants du département des individus experts en mathématiques. Pour ce de Sciences Humaines. En fait, les performances faire, les chercheurs ont demandé à des étudiants des participants sur cette tâche étaient un très en doctorat des départements de Mathématiques bon prédicteur statistique de l’appartenance des et de Sciences Humaines de l’université de se prêter participants au département (Mathématiques ver- à une expérience. Les participants devaient effec- sus Sciences Humaines). Mais le résultat le plus tuer trois tâches. La première tâche visait à compa- important est sans nul doute que la différence rer les compétences mathématiques avancées des de performance entre étudiants des deux dépar- étudiants des deux départements. Les participants tements sur la ligne numérique n’était plus statis- devaient estimer le résultat d’opérations arithmé- tiquement significative lorsque les performances tiques complexes (par exemple 546 ÷ 33, 5) dans sur la tâche spatiale étaient prises en compte. En un temps imparti. La deuxième tâche était beau- d’autres termes, les différences de performance sur coup plus simple et consistait à placer un nombre la ligne numérique semblaient être principalement sur une droite dont seules les extrémités étaient déterminées par des différences de capacités spa- indiquées. Par exemple, les participants devaient tiales, les étudiants en Mathématiques ayant des placer le nombre 689 sur une droite dont une ex- capacités spatiales supérieures en moyenne aux trémité indiquait 0 et l’autre 1000. La précision des étudiants en Sciences Humaines. placements sur cette ligne numérique était systé- matiquement mesurée en évaluant la différence de positions entre celle du nombre placé par le partici- pant et celle où le nombre se trouve réellement. La Compilé le 14 septembre 2018 SMF – GAZETTE 1
Des liens forts entre espace et Figure 1 – Stimuli utilisés pour mesurer les capacités numériques capacités spatiales des bébés. D’après [10]. Ce résultat est peut-être l’un des plus récents d’une longue série d’études mettant en relation capacités spatiales et performances en mathéma- tiques. En effet, il est maintenant relativement bien établi que les capacités spatiales sont un bien meilleur prédicteur statistique de l’apprentissage des mathématiques que les capacités verbales (re- présentées par exemple par le vocabulaire ou la capacité de faire des analogies entre différents mots) [19, 1]. Comme reflété dans l’étude décrite ci-dessus, les individus qui font des études supé- rieures dans le domaine des mathématiques ont également tendance à avoir des capacités spatiales supérieures à la moyenne de la population [1]. En Pourquoi ce lien entre espace et mathéma- fait, ce lien entre capacités spatiales et appren- tiques ? Bien sûr, il existe des explications plus ou tissage des mathématiques s’observe dès les pre- moins triviales. Clairement, les compétences spa- mières années de la vie. Une expérience intéres- tiales jouent un rôle évident en géométrie, où des sante en donne un exemple. Des chercheurs amé- modèles en deux ou trois dimensions doivent par ricains ont tenté de mesurer des différences d’ap- exemple être créés et manipulés dans l’espace. titudes spatiales chez des bébés âgés de 6 à 13 Comprendre la notation positionnelle dans le sys- mois [10]. Pour ce faire, les chercheurs ont montré tème numérique hindo-arabe nécessite également aux bébés une série de flux vidéo mis côte à côte. Les deux flux présentaient une pièce de Tetris qui changeait d’orientation au cours de chaque présen- FT tation (Figure 1). Dans l’un de ces flux, la forme pou- de traiter des informations spatiales. Ajouter, sous- traire, multiplier et diviser des nombres à plusieurs chiffres sur une feuille de papier implique égale- ment de positionner les nombres dans l’espace. Mais la contribution des capacités spatiales à la vait parfois devenir une image miroir. Dans l’autre A flux, la forme n’était jamais une image miroir. L’expé- cognition numérique pourrait ne pas se limiter à rience visait à déterminer le temps que chaque bébé ces exemples. En fait, il est probable que les capa- passait à regarder l’un ou l’autre des flux. L’idée cités spatiales soient au cœur même du dévelop- pement de la pensée mathématique chez l’enfant. DR était que les bébés qui avaient les meilleures capa- cités spatiales étaient sûrement ceux qui pouvaient En effet, de plus en plus de recherches indiquent détecter le plus facilement que l’un des flux avait qu’un codage spatial semble sous-tendre la repré- une image en miroir, et donc passer plus de temps sentation des quantités numériques. Cela pourrait à regarder ce flux par rapport à l’autre. Les cher- expliquer pourquoi les enfants ayant de faibles ha- cheurs ont ainsi pu observer qu’effectivement il y biletés spatiales ont souvent des difficultés avec avait une variabilité importante dans le temps que les mathématiques et pourquoi une faible capacité chaque bébé passait à regarder le flux avec l’image spatiale est une caractéristique des enfants ayant en miroir, certains le regardant beaucoup plus que des difficultés d’apprentissage des mathématiques d’autres. Mais le résultat le plus impressionnant ré- (un trouble appelé dyscalculie) [18]. side dans ce que les chercheurs ont découvert lors- qu’ils ont rappelé ces mêmes enfants au laboratoire trois ans plus tard. Le temps passé à regarder le La représentation spatiale des flux avec l’image miroir lors de la première visite au grandeurs numériques laboratoire était corrélé aux apprentissages numé- riques (comme le comptage, la lecture de nombres L’une des premières études démontrant que les en écriture chiffrée ou l’arithmétique simple) des nombres sont encodés de façon spatiale dans le enfants lorsqu’ils avaient 4 ans ! En d’autres termes, cerveau humain provient d’une expérience menée les capacités spatiales des enfants en tant que bé- en 1993 par Stanislas Dehaene et ses collabora- bés prédisaient statistiquement leurs capacités en teurs [2]. Les chercheurs voulaient étudier la fa- mathématiques plus tard à l’école maternelle. çon dont les adultes traitent les nombres pairs et 2 SMF – GAZETTE Compilé le 14 septembre 2018
Aux racines de la cognition mathématique : impairs. Ainsi, ils ont présenté à des participants Dans la première partie, les chercheurs ont pré- adultes des nombres de 0 à 9 sur un écran d’ordina- senté à ces nouveau-nés des extraits sonores de teur. Les participants devaient décider si le nombre syllabes répétées, tels que « ba » ou « ta ». Certains était pair ou impair. Dans une partie de l’expérience, bébés en écoutaient 6 et d’autres 18. Les nourris- les participants appuyaient sur une touche située sons voyaient ensuite des lignes de tailles diffé- à gauche du clavier si le nombre était impair et sur rentes sur un écran. Ceux qui avaient entendu 6 une touche située à droite du clavier si le nombre syllabes voyaient une ligne courte, alors que ceux était pair. Ceci était inversé au cours de la deuxième qui en avaient entendu 18 voyaient une ligne plus moitié de l’expérience, de sorte que la touche im- longue. Dans la deuxième partie de l’expérience, les paire était située sur le côté droit et la touche paire chercheurs présentaient 18 syllabes aux nourris- sur le côté gauche. Les chercheurs ont fait une dé- sons qui avaient précédemment entendu 6 syllabes. couverte frappante qui n’avait en fait pas grand- Puis ils leur montraient successivement deux lignes chose à voir avec la parité : les petits nombres (par longues, l’une située à gauche et l’autre à droite exemple 1, 2 ou 3) étaient traités significativement de l’écran (l’ordre de présentation était aléatoire). plus rapidement lorsque les participants appuyaient Les chercheurs se sont aperçus que les nourris- sur la touche gauche que sur la touche droite du sons accordaient en moyenne une attention plus clavier alors que les grands nombres (par exemple longue à la ligne située à droite que celle située 7, 8 ou 9) étaient traités significativement plus rapi- à droite de l’écran (de manière statistiquement si- dement lorsque les participants appuyaient sur la gnificative). L’expérience était répétée sur les nour- touche droite que sur la touche gauche du clavier. rissons qui avaient au départ entendu 18 syllabes. Tout se passe donc comme si les participants imagi- On leur présentait maintenant 6 syllabes et deux naient que les petits nombres étaient à gauche de lignes courtes, l’une à gauche et à droite de l’écran. l’espace et les grands nombres à droite. Cette expé- Ces nourrissons accordaient en moyenne une at- rience a été la première à suggérer que les nombres tention plus longue à la ligne située à gauche que pouvaient être organisés spatialement dans l’esprit humain, avec des quantités de taille croissante al- lant de gauche à droite. Cette idée est théorisée dans la littérature par le concept de « ligne mentale numérique » [7]. A FT celle située à gauche de l’écran. En clair, tout se passe comme si les nourrissons associaient les pe- tites quantités avec l’espace gauche et les grandes quantités avec l’espace droit. Ce résultat peut pa- raitre surprenant mais il est en fait cohérent avec L’une des questions majeures que l’on peut se une autre étude, menée cette fois-ci chez le pous- poser est de savoir si cette organisation spatiale sin [14]. des nombres dans l’esprit de participants adultes Dans cette deuxième expérience, des cher- DR résulte simplement de facteurs culturels, comme le cheurs entrainaient des poussins dans une cage fait de lire de gauche à droite. Beaucoup d’études à chercher de la nourriture derrière un cache sur se sont donc intéressées à mesurer les associa- lequel étaient indiqués 5 points (Figure 2). Une fois tions entre nombres et espace dans différents types cet entrainement terminé, les poussins étaient mis de populations (dont certaines lisant de droite à dans une cage différente au sein de laquelle deux gauche). Même s’il apparait clairement que les fac- caches étaient disposés, l’un à gauche et l’autre à teurs culturels influencent les associations entre droite. Sur ces caches était indiqué un nombre de nombres et espace (par exemple certaines études points différent de celui que les poussins avaient ont montré que les individus lisant de droite à pu voir lors de l’entrainement. Dans une condition, gauche ont une tendance à davantage associer les les caches montraient 2 points (ce qui représentait petites quantités à l’espace droit [4]), des études donc une quantité plus petite que 5) et dans l’autre récentes suggèrent que cette organisation spatiale 8 points (ce qui représentait donc une quantité plus est aussi (du moins en partie) indépendante de grande que 5). L’idée était d’observer si, dans ce la culture. En d’autres termes, il se pourrait que choix forcé, les poussins allaient en moyenne plu- l’on naisse au monde avec des quantités numé- tôt dans une direction que dans une autre. Et c’est riques organisées de gauche à droite dans notre effectivement ce qui a été observé. Les poussins (en- esprit. Deux expériences supportent notamment trainés avec 5 points) allaient plus souvent (de fa- cette hypothèse. Dans la première expérience, les çon statistiquement significative) à gauche dans la chercheurs se sont demandés si des nouveau-nés, cage avec 2 points alors qu’ils allaient plus souvent âgés d’à peine 45 heures en moyenne, avaient (de façon statistiquement significative) à droite qu’à déjà une association entre quantités numériques et gauche dans la cage avec 8 points. L’expérience a espace [6]. L’expérience comportait deux parties. ensuite été répétée en entrainant les poussins à Compilé le 14 septembre 2018 SMF – GAZETTE 3
aller chercher de la nourriture derrière un cache qu’ils allaient plus à droite qu’à gauche dans la cage comprenant 20 points. Cette fois-ci, ils étaient en- avec 32 points. En d’autres termes, tout comme les suite mis dans une cage avec des caches sur les- nouveau-nés, les poussins semblent associer de pe- quels étaient inscris 8 points (ce qui représentait tites et grandes quantités à gauche et à droite de une quantité plus petite que 20) ou 32 points (ce l’espace (respectivement). Ainsi, l’organisation spa- qui représentait une quantité plus grande que 20). tiale des nombres (de gauche à droite) dans l’esprit Dans ce contexte, les poussins allaient plus sou- humain pourrait être très primitive et ne pas avoir vent à gauche dans la cage avec 8 points alors grand-chose à voir avec la culture. Figure 2 – L’association entre espace et quantités numériques chez le poussin. (A) Un poussin est entrainé à chercher de la nourriture derrière la quantité « 5 ». (B) Le poussin choisi d’aller chercher de la nourriture à gauche lorsque les caches indiquent la quantité « 2 ». (C) Le poussin choisi d’aller chercher de la nourriture à droite lorsque les caches indiquent la quantité « 8 ». D’après [14]. A FT DR Espace et arithmétique élémentaire (irmf), des chercheurs ont mesuré l’activité céré- brale de participants adultes pendant qu’ils résol- vaient des additions et des soustractions [8]. Ils ont À première vue, il n’est pas évident de voir dans découvert que les régions du cerveau qui étaient quelle mesure cette organisation spatiale des quan- activées lors de la résolution d’additions étaient tités numériques pourrait affecter la manipulation semblables aux régions du cerveau qui étaient ac- de ces quantités chez les adultes. Par exemple, nous tivées lorsque les mêmes participants déplaçaient n’avons certainement pas le sentiment de manipu- leurs yeux vers le côté droit de l’espace. Inverse- ler les nombres dans l’espace si nous devons calcu- ment, les régions cérébrales qui étaient activées ler 2 + 3 ou 7 − 3. Pourtant, des études suggèrent pendant la résolution de soustractions étaient sem- que notre cerveau pourrait s’appuyer sur des intui- blables aux régions cérébrales qui étaient activées tions spatiales pour résoudre ce type de problèmes lorsque les participants déplaçaient leurs yeux vers arithmétiques. Par exemple, grâce à la technique de le côté gauche de l’espace. Par conséquent, pour l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle 4 SMF – GAZETTE Compilé le 14 septembre 2018
Aux racines de la cognition mathématique : notre cerveau, résoudre une addition pourrait être mêmes puissent activer automatiquement des ré- comparable à déplacer son attention vers le côté gions cérébrales impliquées dans l’attention spa- droit d’une ligne mentale numérique, alors que ré- tiale [12]. Nous avons donc présenté à des partici- soudre une soustraction pourrait évoquer un mou- pants des opérateurs arithmétiques comme le signe vement vers la gauche le long de cette ligne. Par de l’addition alors que leur activité cérébrale était exemple, la résolution de 5 + 3 ou de 5 − 3 peut être mesurée par la technique de l’irmf. Nous avons pu conceptualisée comme un déplacement de 3 unités voir que la simple perception du signe de l’addition à droite ou à gauche du nombre 5. activait un réseau de régions cérébrales normale- Cette hypothèse a été confirmée par d’autres ment impliquées dans l’attention spatiale (Figure 4). études conduites dans notre laboratoire. Dans une Plus précisément, tout se passe un peu comme si, étude récente, nous avons demandé à des adultes pour notre cerveau, le signe de l’addition représente de résoudre à voix haute des opérations arithmé- un indice indiquant la nécessité de déplacer son at- tiques simples présentées sur un écran d’ordina- tention sur la droite d’une ligne mentale numérique. teur [11]. Ces opérations étaient présentées de Figure 4 – Régions cérébrales activées lors façon séquentielle, avec tout d’abord le premier de la perception du signe « + » (tâches opérande, puis l’opérateur, et enfin le second opé- rouges) et régions cérébrales activées lors rande. Alors que le premier opérande et l’opérateur d’un déplacement des yeux (lignes oranges) étaient présentés au centre de l’écran, nous pré- D’après [12]. sentions le second opérande soit à gauche soit à droite du centre de l’écran (Figure 3). Nous avons pu constater que les additions simples comme 2 + 3 tendaient à être résolues plus rapidement (en moyenne) lorsque le deuxième opérande était pré- senté à droite qu’à gauche du centre de l’écran. L’effet inverse était observé pour les soustractions simples, avec une résolution plus rapide lorsque le deuxième opérande était présenté à gauche qu’à droite. Par conséquent, l’organisation spatiale des quantités numériques dans le cerveau pourrait A FT avoir de profondes conséquences sur de nombreux aspects des compétences mathématiques, et y com- pris sur la façon dont nous résolvons les opérations DR arithmétiques les plus simples. Figure 3 – Exemple de présentation d’une opération arithmétique dans l’expérience de [11]. L’importance des associations entre nombres et espace pour l’apprentissage des mathématiques Plusieurs études indiquent que la qualité des as- sociations entre nombres et espace est essentielle à l’apprentissage des mathématiques dès le plus jeune âge chez les enfants. Par exemple, à mesure que les enfants se familiarisent avec les symboles numériques à l’école primaire, ils augmentent la La force de ce lien entre arithmétique et es- précision de leur représentation des nombres dans pace est également observable dans le cerveau. l’espace [16]. Ceci est généralement évalué avec Dans une autre expérience récente, nous avons des tâches dans lesquelles on demande aux en- par exemple voulu savoir si ces associations entre fants de positionner un nombre donné sur une ligne opérations arithmétiques et espace avaient pour tracée sur une feuille de papier, avec 0 ou 1 à une conséquence que les opérateurs arithmétiques eux- extrémité et un nombre plus grand (généralement Compilé le 14 septembre 2018 SMF – GAZETTE 5
variant de 10 à 1 000) à l’autre extrémité (Figure 5). muler les capacités spatiales des enfants pendant Les enfants plus jeunes ont tendance à surestimer l’apprentissage des mathématiques. Par exemple, la position des nombres relativement petits, les pla- une étude a révélé une amélioration de la perfor- çant trop à droite (par exemple, ils ont tendance mance en arithmétique des enfants de 6 à 8 ans à mettre 8 à la place de 30). Ceci a pour effet de après la pratique d’une tâche s’assimilant à un jeu pousser les grands nombres vers la fin de la ligne. de Tangram [16]. L’amélioration était observée pour On parle donc de représentation logarithmique des les problèmes « à trou », comme 2 + _ = 5. D’autres nombres sur la ligne. Avec l’âge et l’expérience, ces études ont montré que l’amélioration de la repré- erreurs disparaissent et les enfants vont progres- sentation spatiale des nombres peut avoir plusieurs sivement adopter une représentation plus linéaire avantages pour les enfants. Par exemple, le fait de et plus précise sur toute la ligne. On parlera donc donner un feedback correctif aux enfants lorsqu’ils de représentation linéaire des nombres sur la ligne. se trompent dans le placement d’un nombre sur Il est intéressant de noter que la « linéarité » de la une ligne numérique leur permet de recalibrer re- ligne numérique est non seulement un très bon pré- lativement rapidement les positions des nombres dicteur statistique des capacités spatiales des en- sur la ligne. L’entrainement à ce type de tâches est fants mais est aussi corrélée à leurs compétences également associé à des réductions d’activité dans numériques [16]. plusieurs régions du cerveau, ce qui pourrait indi- Figure 5 – Performance d’enfants de ce1 et quer une automatisation des processus impliqués cm1 lors d’une tâche de ligne numérique. En dans les associations entre nombres et espace [9]. haut, exemple de ligne numérique et de ques- Mais il est important de noter que l’amélioration tion. En bas, valeur estimée par des enfants de cette représentation des nombres dans l’espace de ce1 et cm1 en fonction de la valeur réelle. peut également se faire par des activités à la mai- son. Notamment, les jeux de société dans lesquels les enfants naviguent le long d’un agencement sé- FT quentiel de cases numérotées, comme le jeu de l’oie, peuvent être très bénéfiques. Par exemple, des chercheurs ont demandé à des enfants à la ma- ternelle de jouer à un jeu de société dans lequel ils devaient déplacer un jeton de gauche à droite A d’une séquence de cases numérotés [17] (Figure 6). Les chercheurs ont constaté que, par rapport à un jeu de plateau dans lequel les cases n’étaient pas DR numérotées mais simplement colorées, jouer à ce jeu de plateau numéroté conduisait à des améliora- tions statistiquement significatives dans diverses compétences comme le comptage, l’identification des nombres écrits, la comparaison de grandeurs et la linéarité de la ligne numérique dont nous par- lions précédemment. Cela pourrait s’expliquer par le fait que jouer à des jeux de société dans les- quels les enfants déplacent un jeton le long d’une séquence de cases numérotées peut leur fournir plusieurs indices importants lorsqu’ils apprennent les grandeurs numériques. Ainsi, comme le dit l’un des chercheurs impliqués dans cette découverte, « plus grand est le nombre indiqué dans une case, plus grand est (a) le nombre de mouvements du Utiliser l’espace pour développer les jeton que l’enfant doit faire pour l’atteindre, (b) le compétences numériques nombre de mots-nombres que l’enfant dit avant de l’atteindre, (c) la distance parcourue à partir de l’ori- Le lien entre les associations nombres et espace gine pour l’atteindre, et (d) le temps que l’enfant met et les compétences en mathématiques suggère na- pour l’atteindre » [16]. Le fait que la représentation turellement qu’il pourrait être intéressant de sti- des nombres dans l’espace peut être stimulée de 6 SMF – GAZETTE Compilé le 14 septembre 2018
Aux racines de la cognition mathématique : façon explicite a également été démontré par une Conclusion expérience récente. Dans cette expérience, les cher- cheurs ont demandé à des enfants de maternelle En résumé, la recherche en psychologie et en de comparer des quantités numériques tout en ef- neurosciences met en évidence un lien très clair fectuant des mouvements harmonieux du corps sur entre les capacités spatiales et les habiletés numé- un tapis de danse (par exemple déplacer leur pied riques. Cela amène certains chercheurs à faire l’hy- vers la gauche pour les plus petits nombres et vers pothèse que « les objets mathématiques peuvent la droite pour les plus grands nombres) [5]. Par trouver leur origine ultime dans des intuitions fon- rapport à une activité dans laquelle aucun mouve- damentales sur l’espace, le temps et le nombre qui ment dans l’espace était requis, les chercheurs ont ont été intériorisées au cours de millions d’années constaté que ce programme basé sur un entraîne- d’évolution dans un environnement structuré et qui ment sensoriel-moteur spatial a permis d’améliorer émergent tôt dans l’ontogénie, indépendamment de façon statistiquement significative les compé- de l’éducation » [3]. Même si cette hypothèse est tences en mathématiques ainsi que la linéarité de débattue [13], il n’en reste pas moins que le lien la ligne numérique. entre le développement de la pensée mathématique Figure 6 – Exemple de jeu de plateau me- chez l’enfant et les habiletés spatiales semble indé- nant à une amélioration des capacités nu- niable. Ceci offre de multiples pistes pour favoriser mériques chez des enfants de maternelle. l’émergence et la construction des compétences en D’après [17]. mathématiques grâce à l’utilisation d’activités fai- sant appel aux capacités spatiales des enfants. Plus généralement, les résultats de ces recherches four- nissent aussi un bon exemple de la façon dont les sciences cognitives peuvent enrichir les recherches sur l’apprentissage des mathématiques. A FT Références DR [1] V. Crollen et M.-P. Noël. « How Does Space Interact with Numbers? » In : Visual-spatial Ability in STEM Education. Springer, 2017, p. 241–263. [2] S. Dehaene, S. Bossini et P. Giraux. « The mental representation of parity and number magnitude ». Journal of Experi- mental Psychology: General 122, no 3 (1993), p. 371. [3] S. Dehaene et al. « Log or linear? Distinct intuitions of the number scale in Western and Amazonian indigene cultures ». science 320, no 5880 (2008), p. 1217–1220. [4] M. H. Fischer et S. Shaki. « Spatial associations in numerical cognition—From single digits to arithmetic ». The Quarterly Journal of Experimental Psychology 67, no 8 (2014), p. 1461–1483. [5] U. Fischer et al. « Sensori-motor spatial training of number magnitude representation ». Psychonomic bulletin & review 18, no 1 (2011), p. 177–183. [6] M. D. de Hevia et al. « At Birth, Humans Associate “Few” with Left and “Many” with Right ». Current Biology 27, no 24 (2017), p. 3879–3884. [7] E. M. Hubbard et al. « Interactions between number and space in parietal cortex ». Nature Reviews Neuroscience 6, no 6 (2005), p. 435. [8] A. Knops et al. « Recruitment of an area involved in eye movements during mental arithmetic ». Science 324, no 5934 (2009), p. 1583–1585. [9] K. Kucian et al. « Mental number line training in children with developmental dyscalculia ». NeuroImage 57, no 3 (2011), p. 782–795. [10] J. E. Lauer et S. F. Lourenco. « Spatial processing in infancy predicts both spatial and mathematical aptitude in childhood ». Psychological science 27, no 10 (2016), p. 1291–1298. Compilé le 14 septembre 2018 SMF – GAZETTE 7
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