BALI : LES REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES

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BALI : LES REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES
CR de Kati Basset sur sa contribution au GREP du 04/11/2014                                                 1 sur 16

        AUTO COMPTE-RENDU développé, avec quelques photos et une bibliographie
            DE LA CONTRIBUTION DE KATI BASSET AU VOLET 1 SUR 2
                            de la comparaison BALI-ATHÈNES
        Ne pas emprunter sans citer l’auteur et ne pas citer sans autorisation de l’auteur.

              BALI : LES REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES
            A. COMME ÉLÉMENTS DU KARYA (« œuvre », « travail »), LE RITUEL :
                        ILMU KE-SAKTI-AN, SCIENCE DE L’ÉNERGIE

                 B . COMME THÉÂTRE/SPECTACLE/BALIH-BALIHAN (à compléter en 2de
                                           séance)
                        MODALITÉS DE LA REPRÉSENTATION DRAMATIQUE

                                           Catherine BASSET, 10 novembre 2014

                                                    PARTIE A
REPRÉSENTATIONS ET PERFORMANCES IMBRIQUÉES DANS L’ŒUVRE RITUEL

Performance de représentation, re-présentation, re-présent-ation
       « Performance » (litt. action), trop largement valable, ne permet pas de distinguer, entre les
performances conjuguées, notamment de différents initiés, celles qui sont dramatiques ou théâtrales.
       Le terme de « représentation », ramené à sa composition linguistique de re-présent-ation (sans la
notion ajoutée de « pour un public de spectateurs ») vaut pour l’ensemble et pour ses parties même
infimes, et permet de mettre en relief les spécificités. En ce sens, il peut être entendu à la fois : comme
représentation (symbole), re-présentation (action cyclique, bali/wali, retour, réitération), présent
(bali/wali, reversement, « offrande », renouvelée, toujours neuve), remettre au présent (bali/wali,
inversion, réversion pour le somya « rajeunissement »), rendre présent (incarner, se-solah-an,
« comportement », terme pour danse et théâtre), et présentation (aspect didactique du théâtre comme
ordre Dharma et messages verbalement délivrés).

Pas de public attentif
         Pendant les actions rituelles, les représentations dramatiques et les musiques n’attirent pas du
tout ou quasiment pas de spectateurs. La foule autour y est indifférente, même si la plupart des gens ne
font que bavarder ou bailler aux corneilles.
         Néanmoins, les acteurs jouent de la même façon qu’en public. Ils accomplissent leur devoir
rituel ayahan et ne sont pas vraiment rémunérés (aucun artiste n’est professionnel dans la tradition).

 Théâtre royal Gambuh dans un grand rituel (karya). Un valet penasar dans l’indifférence des passants et des groupes assis.
                                                        © Basset
BALI : LES REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES
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L’œuvre (karya) est le rituel entier
Il est par lui-même une représentation, comme on le verra. Le principe est sacrificiel, au sens large de
l’Inde ancienne (voir MALAMOUD 1986).

Deux niveaux de fonctions des représentations dramatiques
       Certaines des représentations dramatiques concernées au GREP le 04/11/2014, à fonction de be-
bali, élément de consécration (ou plutôt participant au somya, ré-initialisation), sont également
données comme balih-balihan (bal. « à regarder » = spectacle, ou « théâtre » au sens grec ancien). Cet
aspect théâtral, — l’esthétique scénique et son efficacité —, devrait être brièvement montré dans le
volet 2,/2de séance.
Remarque adressée en réponse à Claude CALAME : non dramatiques, les danses wali (« retour », « sacré »),
rites en soi, sont sciemment laissées de côté dans cet exposé. Ce sont de pures chorégraphies de citoyens non
entrainés — d’autant que le répertoire sacré ne peut être répété, il ne peut être donné qu’avec les autres éléments
de rituel et à la conjonction calendaire adéquate. Ils s’auto-représentant (sans incarnation de tempérament solah
comme les comédiens des bebali) de façon hiératique, en temps que membres d’un corps social — danses de
sous-groupes —, « cosmisé » — analogie entre sujets de royaume ou citoyen et créatures abstraites
accompagnant les déwa.
                   NB : on ne peut pas dire « suite » des dieux, car, comme au théâtre les serviteurs précèdent les
                   maîtres, ces citoyens dansants accueillent la descente des déwaI dans la monde – réitération de
                   genèse du cosmos et de fondation du temple-microcosme où l’on assoit (melinggih) les
                   divinités le temps d’un rituel. L’acte wali est un service rituel ayahan, et « être au service de »
                   se dit « accompagner »/ngiring.

Héritage indo-javanais et fonction politique : le royaume mandala
       Ce qui est en œuvre est un savoir pluridisciplinaire ; les différentes mises en pratique ont leurs
traités tantriques Tutur respectifs, mais, en tous domaines, de même contenu cosmologique et
kabbalistique (cf. « kabbale tantrique », expression d’A . PADOUX 1994).
       Cet héritage de la civilisation indo-javanaise est nourri de textes védiques, d’obédiences
Védanta, Samkhya, shivaïtes (les agama) et de Tantrayana (surtout Vajrayana) qui serait plus ancien
que le tantrisme indien, d’après A. ACRI, philologue. Indianité et javanité des réprésentations
dramatiques légitiment à la fois la hiérarchie des wangsa (peuples) ou warna (couleurs) Brahmana,
Satria, Wésia, Sudra et la royauté hindou-bouddhique (« royaume concentrique », « royaume
mandala » cf. Denys LOMBARD, Le carrefour javanais, 2004, vol.II) javano-balinaise, puis son
relais républicain, dans le rôle de grand sacrifiant pour le Dharma (bon ordre, harmonieux,
consonnant, des choses).
                  Mais certaines représentations dramatiques et même certaines rituels de haut niveau sont
                  également récupérés par les communautés refusant d’être clientes des grand-prêtres Brahmana
                  et ayant intronisé leurs propres grands-prêtres initiés à la même science/ilmu. Ex : appuyé sur
                  les Babad (genèses, généalogies et chroniques des différents lignages), le théâtre masqué
                  Topèng racontera la version du commanditaire.

Une conception structurelle holiste, pour l’harmonie au sens propre (consonance) et figuré
       Tout est conçu, à toutes les échelles macro- et microcosmiques, comme un CORPS HUMAIN
ARTICULÉ (l’univers et ses parties homothétiques). Son équivalent géométrique ou idéalisation est le
MANDALA (Purusa Mandala, « Mandala de l’Homme » védique = Sanga Mandala balinais
« Mandala en 9 », 8 autour de centre) ou, en 3 dimensions, la MONTAGNE-PYRAMIDE méru ou
candi.
                  Structure de candi fractal, voir les temples tels que candi Borobudur ou Prambanan, les
                  porches candi bentar et candi kurung figurant les pieds et flancs de la montagne dont les autels
                  méru à pagodes sont le sommet, et certaines coiffes candi de personnages).
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                          Purusa Mandala (alias bal. Sanga Mandala) du Vaastru Shastra (Rig Véda),
  avec la répartition des pavillons fonctionnels dans une habitation balinaise, et, en rayonnement, le cycle musical/gongan
            fondamental (roue fractale kalacakra). © C.Basset sur un diagramme tiré du Vaastu Shastra védique.

       Le tantrisme combine à cela la maîtrise de l’ÉNERGIE/SAKTI de nature vibratoire.
       Sur la base des traités tantriques (en kawi, javanais ancien, rédigé en aksara, parfois traduit en
lettres latines), cette organisation est appliquée en tous domaines (urbanisme, architecture, médecine,
fonderie, méditation, arts martiaux, poésie, Wayang plastique et scénique, chorégraphie, musique, rites
de purification Bhuta Yadnya, magie blanche et noire, combats de coqs et autres paris, etc.)

Exemples de représentations du corps cosmique dans les représentations dramatiques :
   • la marionnette de l’arbre-montagne du Wayang, et le gong (au sens local, conceptuel) dans la
      musique, pendants de la clochette bajra/genta des prêtres qui articule tous les aksara du
      syllabaire sanskrit ;
   • le corps des danseurs et comédiens-danseurs entraînés : ils cultivent au plus haut point les
      ARTICULATIONS (sandhi) du corps jusqu’à la plus infime (yeux, bouche, phalanges des
      doigts des mains et pieds) et l’articulation du corps DANS L’ESPACE (positionnements,
      déplacements, regards orientés) ;
   • l’appareil vocal des chanteurs et orateurs : articulations du microcosme qu’est la conjugaison
      appareil vocal-phonation-langues-modes verbaux ;
   • le corps et l’appareil vocal cosmisés des « Maîtres du verbe » (cf. PADOUX) : s’y ajoutent les
      articulations sandhi initiatiques et « magiques » (i.e. vibrantes), entre monde
      manifesté/matériel et non manifesté ou mental, et entre microcosmes et macrocosmes (parties
      du corps humain, de l’univers et les déwaloka), sous forme de RÉSONANCES (analogies
      vibratoires — « kabbale tantrique » cf.PADOUX 1994, et mises en vibration par les mantra-
      s).
                  Certains mantra-s auto-référentiels décrivent le processus de phonation précis, nommant ses
                  parties organiques, mais aussi en tant que placement et déplacements de déwa et de
                  personnages des épopées indiennes (ex : singes du Ramayana associés aux orients du
                  cosmogramme Nawasanga, Nawasandhi en Inde).
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RITUEL avec grand-prêtre = MICROCOSME RE-PRÉSENT-É, GENÈSE RÉ-ACTÉE

Sanskrit et étagement d’initiés
      Les représentations dramatiques à fonction de bebali sont un élement des rituels organisés à un
niveau moyen (madya) et supérieur (utama) faisant appel à la présence optionnelle (clientèle) d’un ou
plusieurs grand-prêtres (« 2 fois nés », la seconde fois par l’initiation), officiant en SANSKRIT, En
tant qu’il est considéré comme amont ou source (ulu) de toutes les langues et littératures de Bali, le
sanskrit induit la présence d’autres littératures, et d’autres initiés dans des performances plus
spectaculaires et didactiques, de « théâtre balinais », précédées et suivies de leurs propres
consécrations avec mantra-s et offrandes.
      Les représentations dramatiques incluses comme bebali sont d’autant plus nombreuses et
incluent des formes d’autant plus anciennes et rares que le niveau de réalisation du rituel est utama
                 Niveau maximal utama-utama-utama 1 fois par siècle, efficacité du rite valable un siècle, sur
                 un mandala (espace concentrique orienté) incluant des îles autour de Bali.

Procédé réversif (wali/bali) de l’acte sacré (wali) du somya, réinitialisation
        Wali, « sacré », « retour » et bali sont le même mot (transcriptions en lettres latines
équivalentes pour b bal., jav. ou w skrt, bal., jav. ou v indien). Il enbloge les sens de retourner dans le
temps et l’espace, de répéter, d’inverser, de reverser (sacrifice) et de réversion (au sens d’inversion de
processus). Cela constitue le procédé de l’acte sacré (wali), censé opérer le somya (litt.
« rajeunissement »), un renouvellement de la création par une ré-initialisation (vraiment une résorption
jusqu’au Un), avant une nouvelle création/expansion (aspersion d’eau consacrée = « cosmisée » par
les aksara-graines, cf. PADOUX 1994 et RAWSON 1995).

Pour tout retourner à la source – l’eau/tirtha — il faut d’abord que tout soit présent, donc re-
présent-er en manifestation physique.

Etagement d’états ou modes de l’être, du son et du verbe
       L’œuvre karya rituel (yadnya, skrt yajna) est agencé comme un MICROCOSME (uni-vers,
diversité unie) : « un instant de tous les temps », « une présence, en re-présent-ation, de tous les états
d’être », c’est-à-dire de l’état de déwa « dieu » jusqu’à celui de bhuta et kala (micro-composants de la
matière et du temps), selon la conception d’une graduation (naturelle, cosmologique) ou plutôt d’une
dégradation allant de nis-kala (« sans parties », indivis - skrt kala= partie, fraction —, uni,
indifférencié) jusqu’au niveau le plus se-kala (fractionné, différencié, divers).
                 Exemples heuristiques physiques repris en métaphysique : du blanc et du son grave (seul
                 nommé gong) à la déclinaison d’un maximum de couleurs et de sons plus aigus contenus dans
                 leur fractionnement (fréquences vibratoires). Par exemple, dans la musique de gamelan, strates
                 de fréquences de frappe et changements de ratios entre strates — exposé et CR précédent de
                 Kati Basset au GREP sur les Changements de rythme.
      Aussi est-il ménagé un étagement des performances et re-présentations, au sens dérivé et plus
commun de niskala vs sekala comme signifiant « perceptible vs imperceptible » (par les 5 sens) et
« immatériel vs matérialisé ».
      Etagées dans l’espace et dans le temps, certaines performances « magiques » et dramatiques se
succèdent, tandis que d’autres doivent être simultanées et dans le même espace, à différents
emplacements hiérarchisés. Remarque : c’est aussi une logique pratique, mettre le plus volumineux et
sonore à ou vers l’extérieur.

Exemple concret et théorisé dans le traité Tutur Catur Muni-Muni « Traité des 4 sons/musiques/verbes »
1. Le théâtre dansé de cour Gambuh a 4 fils, 4 formes de représentations, associées à 4 orients — le Gambuh
occupant le centre et tout l’espace —, aux déwi/énergies sakti correspondantes, à des moments du jour et de la
nuit, à des âges de la vie et des interprètes, et formant une sorte de parcours initiatique et purificateur du
tantrisme fondé sur la littérature javanaise dite du « Cycle de Panji », le prince archétypal :
     • 2. « Amour couché » (gamelan Semar Pagulingan) — l’union et la conception : musique de la chambre
         du roi pour les amours du roi (et les mariages de niveau utama) ;
     • 3. « Amour s’éveille » (Légong Kraton) — la naissance : dans la cour intérieure du palais, ballet de
         cour, 3 danseuses (légong) prépubères (une confidente et 2 jumelles) avec partie abstraite et
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             géométrique (légod bawa, de skrt linggot bava, du lingga de Shiva) et partie narrative avec des
             personnages et récits ;
    •        4. « Amour assis » (Jogèd Pingitan) — maturation sexuelle et troubles de la personnalité : dans la cour
             d’honneur à l’entrée du palais, danse d’une danseuse fille de joie (jogèd) réservée au palais, avec partie
             de danse de couple (et plus si autorisé par le propriétaire) et partie narrative où la danseuse, experte,
             joue au moins 8 des rôles de l’histoire de la sorcière Calonarang (adepte du tantrisme dit « de gauche »,
             i.e. spécialiste de la sakti de la décomposition et de sa maîtrise, symbolisée par celle « des bhuta-
             kala ») ;
    •        5. « Amour dressé » (théâtre Calonarang, ballet de Barong et Rangda) — la maturation spirituelle, les
             usages adéquats et inadéquats de la sakti et du savoir-pouvoir, la mort et le somya rédempteur : au
             cimetière en aval, mise en scène de Calonarang avec réunion des masques sacrés de Barong et Rangda
             (redevenant ainsi le couple initial Shiva-Sakti/Uma/Parvati, acte de somya), actes magiques, combats de
             sakti entre tantrika-s, et/ou transes de possession par les bhuta-kala.

ÉTAGEMENT DES REPRÉSENTATIONS ET PERFORMANCES NARRATIVES

       Toutes ces performances (de grand-prêtres et d’acteurs dramatiques) de re-présentation ou re-
présent-ation mettent en œuvre VERBE, GESTE ET SON, selon plusieurs niveaux ou fréquences
d’émission (densité vibratoire et densité spatio-temporelle).
       Toutes ces performances sont, d’une manière ou d’une autre, « LITTÉRAIRES» et
« NARRATIVES» : le grand-prêtre lui-même (ainsi que le marionnettiste dalang, et les porteurs de
masques sacrés dans leurs consécrations) décrit et ordonne, en le positionnant (nyasa, cf. André
PADOUX, J.F. GUERMONPREZ) l’univers sous sa forme la plus condensée, de syllabes-lettres-
graines aksara sanskrits et de formules mantra en phonèmes. Le somya est litté…rairement une
réinitialisation.

Niveaux d’êtres, verbe, geste, son et narration superposés : expansion et diversification
       A la source (ulu, source, amont, tête/chef) est situé l’acte le plus discret et concentré, le moins
« ex-primé », le plus intériorisé (hiérarchie jero/dalem-jaba : intérieur-extérieur, eso-exo). Celui du
grand-prêtre pour consacrer l’eau (littéralement resourcer l’univers dedans) : syllabaire d’aksara
mentaux, écrits sans ou avec marque, sonnés intérieurement, mantra intériorisés ou murmurés, gestes
mudra plaçant (nyasa) mentalement ou faits physiquement, clochette bajra/vajra/genta). Plus bas, y
compris dans les représentations narratives et dramatiques, d’autres initiés (dalang du Wayang Lemah,
porteurs de masques sacrés) font usage des mêmes procédés (des mantra-s, surtout sur les espaces et
objets ayant préalablement été consacrés par le nyasa/positionnement d’aksara).
       Au-dessous s’étend un étagement de représentations. La gradation va jusqu’au plus bas de
l’espace, où sont situées la ou les représentation les plus lourdement et diversement manifestées en
matière, décibels et ampleur gestuelle, donc « le plus spectaculaire ».

Variables selon le niveau de rituel = l’expansion du microcosme re-présent-é pour être traité
       Le nombre et l’expansion de chacune des re-présentations/performances dans la durée et dans
l’exposé de la diversité terrestre dépendent du niveau de rituel : nombre d’offrandes à consacrer,
longueur/durée des mantra-s du grand-prêtre pour ce faire, et nombre de corps sociaux et d’initiés
participant au service rituel ayahan avec leurs propres représentations musicales et/ou dramatiques.
       Conséquence : dans un rituel relativement modeste, le récit est souvent interrompu par la fin de
l’office du grand-prêtre, avant la fin de l’histoire et la sortie de certains personnages du peuple. Cela
n’arrive évidemment pas pour les mêmes représentations dans la fonction de spectacle balih-balihan.

Représentations et performances narratives et dramatiques
dans l’ordre de l’expansion-fractionnement/diversification-dégradation :
        1.     Réédition de la genèse par le verbe primordial condensé (aksara-s, apparus en premier avec Déwi
               Saraswati, déesse des Lettres et Arts, la sakti du Déwa Brahma — force d’expansion par
               rayonnement —) :
                   a. En amont à l’Ouest, grand-prêtre, cosmisant l’eau/tirtha (les autels sont à l’Est et au Nord) :
                       aksara, phonèmes sanskrits mantra, bajra/genta.
                   b. Au milieu, dalang du Wayang, qui redit (sans être entendu) la genèse par le verbe et
                       l’écriture (cf. ZURBUCHEN), en cosmisant tout son matériel et surtout, en y implantant les
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              déwaloka dans la marionnette de l’arbre-montagne, symbole de l’univers (tout en Un), avant
              de commencer la représentation de théâtre de marionnettes Wayang Lemah.
          c. En bas, un ou plusieurs initiés consacrant les offrandes au gong du ou des gamelan ; et un
              ou plusieurs autres initiés — un par représentation — consacrant les offrandes à l’espace de
              jeu, aux coiffes et masques avant la représentation de théâtre dansé.
              gong, en italiques, au sens local peut-être originel (qui signifie « totalité, globalité »),
              désigne uniquement le son le plus grave et l’objet quelconque ou la voix qui l’émet, c’est un
              des symboles du tout en Un, équivalent du mantra Om/Ong)
2.   Epopée indienne, déclamée en vieux javanais et métrique sanskrite (littérature Kekawin, 9e à 11e
     siècle) avec traduction verset par verset et exégèse en balinais : Mahabharata pour le pur, espaces
     enceints « intérieurs »/jero/dalem ou en amont/ulu/kaja; Ramayana pour l’impur et espaces ouverts/
     jaba ou en aval/kelod..
3.   Chants poétiques (littérature des Kidung, Java du 12e-15e siècle, puis Bali), souvent chantés en
     chœur, en moyen javanais et métrique javanaise (kabbale tantrique encore).
4.   Epopée indienne par un seul mage-dalang, aux marionnettes, avec couple de métallophones et toute
     la hiérarchie des langues, modes verbaux et types d’intonations ; Wayang Lemah (wayang,
     « apparences, projection », lemah « de jour ») sans l’écran et les ombres de sa forme de spectacle
     balih-balihan nommée Wayang Kulit. Mahabharata, sauf parfois dans les espaces impurs.
5.   Musique de grand gamelan en bronze, masques et/ou maquillages, archétypes de tempérament
     (solah), d’états/modes d’être (jati) et de rang socio-cosmique (wangsa, warna)… descendant, dans le
     théatre masqué Topèng, jusqu’à une infinité de figures de « tarés » (et de nos jours invitant des
     clowns individuels dans les balih-balihan).
6.   Avec en plus, dans le « théâtre de l’impur » (Barong, Calonarang), au cimetière (ou autres lieux
     impurs, jungle, plage, carrefour), des divinités tombées dans la matérialisation jusqu’à la
     décomposition et donc sous leur aspect le plus extraverti, « tout dedans dehors » : couple des
     masques sacrés de Barong La Bête pour Siwa/Shiva et de Rangda la Veuve — « sorcière » tantrika,
     étripée, figure de Durga, l’énergie sakti au niveau du fractionnement maximal, au bord de la
     désagrégation putride symbolisée par la sakti suivante, Kali — Calonarang aurait eu pour modèle une
     reine javanaise historique, tantrika « de gauche » représentée à Bali par une statue de Kali.

       g. Wayang Lemah, par Ketut Sariana (mage-dalang, danseur, musicien, peintre et sculpteur).
        d. Topèng Sidha Karya. : roi Dalem et valet ainé penasar kelihan nommé Wayan ou Punta.
 Ces deux formes, données simultanément, sont les plus fréquemment couplées à l’office d’un grand-prêtre,
                                     dès le niveau madya. © C.Basset
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                                                      PARTIE B
MODALITÉS DE LA REPRÉSENTATION DRAMATIQUE

Arguments narratifs exemplaires du rituel en cours
       Inspiré de tel ou tel type de littérature écrite indo-javanaise ou indo-javano-balinaise selon la
forme de représentation, l’argument narratif est choisi pour résonner avec l’objet du rituel et le
légitimer (anniversaire de temple Dewa Yadnya, mariage et autres rites de passage Manusa Yadnya,
funérailles Pitra Yadnya, purification Bhuta Yadnya). Tout Yadnya sera évoqué simultanément par la
narration dans l’Inde du Mahabharata et du Ramayana, dans le Java de Kediri ou de Majapahit, et dans
l’histoire Babad du lignage javano-balinais sacrifiant/faisant le Yadnya.
       Le thème sera repris dans les mêmes formes de représentations ou dans d’autres, dans les
spectacles de divertissement nocturnes (balih-balihan).

Mise en scène en direct et verbe improvisé du sesolahan, théâtre et danse
       La tradition ne connaît pas le « théâtre de texte » : il y inspiration de la littérature écrite, mais
pas de pièces de théâtre, ni même de paroles fixées.
       Il n’y a pas de répétitions avant les représentations publiques, mais une formation de chaque
acteur à un ou plusieurs tempéraments solah ou archétypes de caractères, c’est-à-dire une formation-
transformation pour l’incarnation d’abstractions.
       Chaque représentation est une MISE EN SCÈNE EN DIRECT, qui chaque fois doit être
différente, neuve (pour les offrandes, on dit qu’elles doivent être sukla, non usagées).

Rôles cruciaux des rôles ajoutés des domestiques
      Pour la mise en scène en direct et pour une efficacité globale, sont ajoutés des rôles cruciaux de
DOMESTIQUES de sexe masculin (pour les nobles maîtres) et parfois aussi féminin, s’il y a une ou
des maîtresses. Ils sont absents de la littérature ancienne de référence narrant les actes de leurs maîtres,
mais présents dans le Wayang plastique — sculpté, peint — depuis plus de 1000 ans.

                                             A droite, un serviteur punakawan.
       Représentation en style Wayang du côté Adharma, des ogres raksasa (tantrisme dit « de gauche »), bhuta et corps
      démembrés, au cimetière avec son temple (cf. le méru à pagodes). Candi Sukuh, Java Centre, 15e siècle. © C. Basset

Fonctions des domestiques ajoutés dans la représentation plastique (destinée à conter et être contée) et
surtout scénique :
-­‐        DIRIGER la mise en scène en direct et les autres comédiens ou rôles (y compris les marionnettes de
           domestiques vis à vis des marionnettes de leurs maîtres)
-­‐        ACTUALISER, faire la navette entre « autrefois en tel lieu » et « ici et maintenant » et user de méta-
           théâtralité
-­‐        être narrateurs, conduire le récit
BALI : LES REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES
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-­‐     DONNER VOIX ET PAROLES aux maîtres ou héros portant des masques pleins qui ne font que suivre
        en mimant un discours.
-­‐     RAPPORTER EN LANGAGE PARLÉ leurs chants et ceux de leurs maîtres
-­‐     TRADUIRE en balinais courant, dans la langue du public, les paroles de leurs maîtres en kawi (skrt.
        kavya, ici, « langue savante/littéraire, vieux ou moyen javanais, pendants de nos grec ancien et latin).
-­‐     DONNER L’EXEMPLE des comportements adéquats Dharma et inadéquats Adharma.
-­‐     ENSEIGNER, commenter, et faire l’exégèse de certaines notions et termes (étymologies « sauvages »
        mais euristiques, à base d’acronymes et surtout backronymes)
-­‐     ENDOCTRINER, y compris messages du gouvernement (et même, fut un temps, publicitaires)
-­‐     USER DE SENS CRITIQUE et de bon ou mauvais « sens populaire »
-­‐     AMUSER.

Sortie dans le monde créé, manifesté > on « sort en scène »
      A Bali, on dit SORTIR EN SCÈNE/medal (et non « entrer » en scène), car les incarnations par
les comédiens-danseurs ou marionnettes émanent de l’intérieur (jero, dalem) au sens physique de
l’espace orienté (hiérarchies amont-aval, levant-couchant et haut-bas) et de son aménagement.
      Cet agencement lui-même illustre l’autre niveau de sens de jero/dalem : le monde des
abstractions mentales et principes physiques, le niveau Swah (Soi) des déwaloka (loka : lieu) alias du
kahyangan.
                Ka-(h)yang-an. univers des (h)yang, i.e. des « Le », des « Ce qui » principiels et atemporels,
                titre suivie de noms communs (plutôt que des noms propres) spécifiant ce qui élevé au divin.
                C’est ce que sont les déwa (skrt. déva, parent de deo, deus, dieu), alias batara ou sang(h)yang :
                seulement des représentations symboliques de ce niveau principiel appréhendé par l’esprit
                humain, lequel est le divin en soi (Swah), le Purusa Se-jati (l’Homme authentique).

      NB : PAS DE SURNATUREL dans cette conception. Cette ilmu (science) physique et
      cognitive est MÉTA-PHYSIQUE dans la mesure de ce que la science contemporaine
      (cosmologie, fractales, études des vibrations et des résonances sous toutes leurs formes, neuro-
      sciences et sciences cognitives) n’a pas encore confirmé ou infirmé comme étant PHYSIQUE (or,
      elle tend à confirmer).
      INITIATIQUE, fondée sur des sciences (dont « dures »), visant à la connaissance (et au savoir-
      pouvoir), elle S’OPPOSE AUX CROYANCES, comme au DUALISME BIEN-MAL, donc aux
      « BON-DIEUSERIES ».
      MONISTE (malgré le Samkhya dit « dualiste »), ultimement NON-THÉISTE, le divin étant
      L’HUMAIN ACCOMPLI et les déwa-déwi & cie des objets de connaissance, symboliques,
      assumés comme créés (par l’esprit humain), elle est mal servie par l’appellation «polythéisme ».
      EN FINIR AVEC LES CONTRESENS COURANTS :
       -­‐      Le terme d’exorcisme est un contresens : le procédé est exactement inverse, un
                « ENDORCISME» (mon néologisme). Le mal n’étant que la désagrégation, le chasser comme
                dans les exorcismes le causerait plus encore, et il faut au contraire intégrer ou ré-intégrer, ce qui
                est censé avoir pour effet une remontée en grade des créatures (cf. STEPHEN et autres). FD’où
                le procédé de réversion bali/wali pour le retour à l’unité et le somya .
       -­‐      Il ne convient guère de parler de « culte des ancêtres » (au pluriel), notamment pour les
                (h)yang — impensable impureté, car à l’inverse, les rites funéraires visent à fondre les défunts
                dans l’indifférencié de l’origine/kawitan ; à cet effet, on brûle des défunts le corps, puis le
                nom/identité terrestre) et ne doit plus les évoquer, ni rêver d’eux sans devoir faire de nouvelles
                offrandes pour les renvoyer;
       -­‐      Le pire contresens est de traduire par « esprits » ou « mauvais esprits » l’expression bhuta-kala
                (bhuta = fait matière/manifesté/créature — kala = fraction en général et période de temps), i.e.
                matière décomposée (que deviennent les défunts avant ou sans crémation), autrement dit, ce
                qui est le plus dénué d’esprit ;
       -­‐      La « magie », fondée sur une cosmologie shivaïte, est une ilmu/science tantrique du
                fractionnement (dont les fractales au sens strict), de la concentration d’énergie (sakti), des
                analogies (apparemment sur une parenté vibratoire) et des résonances de toutes sortes.
       -­‐      Les « sorciers » sont en fait des adeptes du tantrisme dit « de gauche »/ ilmu pengiwa (qui
                travaille à maîtriser la décomposition naturelle), mais qui le font dans un but égoïste nuisant à
                l’équilibre général (Dharma).
BALI : LES REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES
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Espace de jeu : kalangan selon le Purusa Mandala
       En rituel, l’espace est choisi pour chaque forme de représentation, il est orienté et de forme
quadrilatère, mais pas matériellement délimité.
       Pour un spectacle balih-balihan, des barrières basses peuvent clore un quadrilatère, et, si les
sorties des acteurs ne se font pas par un porche candi, un rideau de fond de scène à 2 pans peut
masquer une coulisse – la danse de l’ouverture du rideau fait partie du vocabulaire gestuel et
chorégraphique même en l’absence de rideau. Le public se tient sur les 3 autres côtés, et la
chorégraphie répète les mêmes séquences aux 4 points cardinaux.
       Manifestement délimité ou non, cet espace est le kalangan. Ce quadrilatère reproduit les
invisibles subdivisions en 8 carrés et centre (9/nawa/sanga carrés) du Purusa Mandala alias Sanga
Mandala (voir ci-dessus). La « sortie », avec ou sans porche ou rideau de fond de scène, se trouve à
l’emplacement, virtuellement reporté sur un sol nu, de la tête du corps cosmico-humain, qui est la
place des autels dans le Sanga Mandala d’une habitation.

Des archétypes (solah) aux personnages de récits circonstanciés
      Dans la durée des représentations, d’abord les archétypes sont présentés, parfois pendant
plusieurs heures : ils dansent, chantent et émettent — en cas de masque plein, par le truchement du
mime et la voix d’un serviteur — quelques paroles protocolaires truffées de citations littéraires.
        NB : Dans toute adaptation ou création, même pour le public étranger, il faut tenir compte de la règle
        qui veut que le solo de danse (nglembar) ne peut être exécuté qu’à la première apparition d’un
        personnage (donc en tant qu’archétype). Si pour une raison ou une autre la mise en scène ne le lui
        permet pas, il sera privé de nglembar, donc de vraie danse, il ne restera que la stylisation plus ou moins
        poussée de son comportement dans les actions du récit.

                Un ARCHÉTYPE OU TEMPÉRAMENT SOLAH est une conjugaison de types de
                gestuelle, de place et déplacements dans la hiérarchie spatiale, de langue et de niveau
                de langue, de pose, de tessiture et d’intonation de voix, de mode d’itération chantée
                et/ou parlée (voire mimée, pour le masque Dalem), de coiffe, de costume, de
                comportement et d’actions.

        Il y a toujours représentation de la hiérarchie d’une cour royale ou princière. Selon les
littératures associées aux différentes formes dramatiques ou selon la structure des formes elles-mêmes,
il y a une seule cour ou deux qui sont antagonistes (Dharma vs Adharma) ; il y a ou non le côté des
femmes ; la ou les cours sont soit « indienne(s) » (et de Sri Lanka dans le Ramayana), soit javanaise
(s), soit javano-balinaise (s).
        Ensuite, les rôles de domestiques-metteurs en scène font entrer la représentation dans le récit.
Dès lors, les archétypes descendent dans le temps linéaire, historique, en DEVENANT DES
PERSONNAGES précis de la littérature, d’une époque et d’un lieu situés, lors d’un événement
spécifique.
        Dans les formes Wayang, il n’y a pas d’entrées d’archétypes, les représentations graphiques
(marionnettes ou autres supports) figurent les personnages des épopées. Néanmoins l’éventail inclut
aussi des archétypes apparaissant toujours, et toujours sous la même allure, quelle que soit la
littérature de référence et l’épisode : ce sont notamment les raksasa (« ogres-géants », symboles
d’adeptes du tantrisme dit « de gauche ») et leurs armées de bhuta et kala.
Le parti Dharma est à main droite du dalang, l’Adharma à main gauche, donc à Bali, des assistants du
dalang se passent les marionnettes dans son dos pour que les entrées des personnages puissent se faire
du bon côté même à grande vitesse.

Accélération et résolution dans le retour à l’unité
       Il y a accélération progressive du jeu, densification de l’action et de la musique (cycles plus
courts). Cela mène généralement à un combat final ou à une soumission sans usage des armes, avec
victoire du parti Dharma (ou de celui du commanditaire/sacrifiant), qui résout dans l’unité les
contraires du départ. « Tout est bien qui finit bien » est une obligation, d’autant que la représentation
d’une fiction (vérité ontologique) est censée traiter aussi la réalité socio-cosmique. Le public n’est
parfois pas autorisé à quitter la place avant cette victoire du Dharma.
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        Dans les formes Wayang, on trouve une structure précise du déroulement narratif par
subdivisions fractales en base 3 (cf. A.BECKER), donc comme dans le Purusa ou Sanga Mandala. Elle
plus manifeste à Java, mais à Bali sont permanentes au moins les étapes suivantes : l’exposition du
problème, le passage par la jungle avec un premier combat contre les ogres raksasa (voyage
initiatique), la confrontation des 2 partis et le combat final avec victoire du parti Dharma.

LES TEMPÉRAMENTS SOLAH
Typologie
       On parle et écrit toujours « dualités » mais il s’agit là encore plutôt de gradations, de alus
(raffiné) à kasar (rustre), de manis (doux, sucré, comme l’anglais sweet) à buduh (fou) ou keras (dur).
       Les coiffes sont le principal indicateur de la position dans la hiérarchie, mais pas du
tempérament, qui est traduit par la couleur du teint ou du masque, les yeux et la bouche plus ou moins
ouverts, les gestes et démarches plus ou moins amples, assortis de cycles musicaux inversement
proportionnels : plus longs pour les personnages raffinés (alus) dont les gestes et démarches sont les
plus lents, restreints et centrés.

Tel maître, tel serviteur
      Attestés depuis plus de 1000 ans, les valets du Wayang sont deux côté Dharma/droite et deux
côté Adharma/gauche.
                Dharma : Tuwalèn père docte et son fils Merdah, jeune moderne, plein de questions — la
                marionnette du père Tuwalèn (de wali) est sacrée. Adharma : Délem, un fat extraverti qui ne
                connaît pas la différence entre ce qui convient ou non, et Sanggut, malin et baratineur, qui la
                connaît très bien mais ne pense qu’à tirer lâchement son épingle du jeu.
      Mëme chose pour le Topèng Panca (« à 5 ») de divertissement, l’opéra dansé Arja, le Prembon
qui combinec ces deux gens, le Calonarang du cimetière, etc.
                Deux valets penasar manis (le kelihan, « plus vieux » et le cenikan « plus petit »,
                respectivement nommés, comme tous les Balinais, Wayan = « aîné » et Ketut = « puiné (4e
                enfant) »). Et deux penasar buduh idem.
                Quand il y a le côté femmes (Arja, Prembon, Calonarang), une confidente alus Condong de la
                princesse ou reine Galuh raffinée Dharma/alus, et, côté sorcières Adharma/buduh, une servante
                buduh impertinente de la méchante belle-mère ou reine Limbur et de sa fille la princesse
                coquette, extravagante et libidineuse Liku.
       Les ministres patih : il y en a de sages, respectueux des règles et du souverain, se contrôlant très
bien, et d’autres fous et dont la violence n’est pas aussi maîtrisée.
                NB : patih nomme de vrais ministres comme dans la société coutumière, ce n’est pas une
                appellation symbolique comme dans l’exemple grec cité en séminaire.

Ad libitum : personnages du peuple traditionnels et nouveaux, et clowns contemporains
       On ajoute librement d’autres personnages hors littérature, balinais ou « touristes » : en rituel si
la durée de l’office du grand-prêtre le permet ou si le grand-prêtre l’autorise en restant « divin » (en
gardant sa coiffe et son costume), et sans contraintes dans les divertissements, où ces dernières années,
leur jeu prend la moitié ou plus du temps de représentation.
                Exemples : Les bondrès du Topèng qui figurent diverses tares et que les valets penasar
                ramènent dans la droite ligne du service rituel et royal. Le balian (mage, sorcier) du
                Calonarang. Les bhuta monstrueux. Les singes.
      Depuis 20 ans et de plus en plus, des individus inventent leurs personnages comiques
personnels, comme le sont les clowns en Occident. On invite ces célébrités pour attirer le public, quel
que soit le type de représentation et l’argument narratif, que leurs numéros interrompent sans
ménagement. Mais ils s’y mêlent aussi : ce sont de tels clowns, mais devant comprendre les langues
kawi, qui, à un moment crucial du théâtre Calonarang « magique » joué au cimetière, accompagnent le
patih pandung, rôle (pour initié) du ministre chargé de tuer la reine sorcière alors qu’elle est déjà
invincible sous forme de Rangda, son énergie sakti exacerbée.
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Représentations sexuées
       A l’origine, les femmes ne jouaient pas dans les représentations dramatiques. Les rôles féminins
et de princes raffinés pouvaient être confiés à des enfants, mais un excellent danseur, même vieux,
peut être crédible dans tout rôle.
A partir des années 1920, la tendance s’est inversée : des femmes ont pris les rôles féminins et de
princes rafinnés.
Depuis la fin des années 1990, retour en force des rôles féminins joués par des hommes, mais cette
fois pour l’effet comique du travesti.
       Néanmoins, les rôles demandant une initiation — des pouvoirs « magiques », de la sakti, et
d’être invulnérable — restent toujours à des hommes, même si les personnages sont féminins, comme
la reine-sorcière Matah Gedé (alias Calonarang, Waluh Nateng Dirah) et sa transformation en Rangda
la Veuve (figure de Déwi Durga) sous le masque de Rangda.

        Théâtre Calonarang au temple du cimetière : g. Desak Madé Rai, servante buduh (folle), ici par un traversti.
  m. La veuve tantrika « de gauche » qui n’a pas suivi feu son époux dans la crémation, Matah Gede (« La Grande Crue »)
                                       alias Calonarang « qui devrait être en cendres ».
                        d. la transformation de la ou du tantrika en Rangda La Veuve (rôle d’initié),
                figure de Durga, énergie sakti extravertie de Shiva au stade de la désagrégation. © C.Basset

HIÉRARCHIE ET TRAITEMENT DES ÉMOTIONS

Pourquoi les superpositions de plusieurs représentations et dans les représentations ?
       Le sacré s’oppose au spectacle. Pas au spectaculaire, car les rituels balinais le sont éminemment.
Mais plusieurs musiques et représentations dramatiques en même temps et dans des espaces à la fois
proches et non délimités empêchent de jouir de chacune comme d’un spectacle. Le son est
cacophonique pour le visiteur étranger, qui peut aussi percevoir l’ensemble comme chaotique.
       Même dans la fonction de divertissement, dans une seule représentation dramatique, plusieurs
styles d’expression et les évocations de plusieurs littératures et époques, des passages fréquents et
abrupts de la fiction à « ici et maintenant », des ruptures de ton drastiques, la juxtaposition de ton
grave et stylisé et de clowneries dans un moment crucial de grande tension, des coupures de récit pour
des enseignements, pour d’interminables improvisations comiques, pour des actions rituelles ou pour
des transes de possession, tout cela est spectaculaire, voire sensationnel, mais brouille le récit et se
situe bien loin de la mise en scène comme on l’entend dans le théâtre occidental.
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       Les raisons de superposer en rituel plusieurs musiques et représentations sont multiples mais
toutes en relation à la structure exposée plus haut et au but, le retour (bali/wali) à l’Unité primordiale,
indifférenciée.
           • Eléments d’office rituel à combiner
           • Système kabbalistique (d’analogies et correspondances)
           • Participation volontaire de plusieurs groupes
           • Fusion (et son ressenti) de tous les temps (strates fictionnelles et historiques), de toutes
                les strates de l’espace-temps de l’Un au multiple le plus différencié, de toutes les strates
                de la représentation verbale.
           • Ramé (du sanskrit ramya, beau), qui en Indonésie signifie « profus », « animé », est un
                gage de réussite de tout événement. En ce sens, une foire ou une kermesse sont beaux,
                car ramé, au même titre que les rituels réussis.

Le ressenti spécifique de la conjonction de tout : neutralité sereine
       Le ressenti (skrt., bal. , jav., indonésien rasa) est spécifique dans le ramé et surtout le
grouillement rituel. C’est le ressenti global, d’un espace tout vibrant, d’un son environnant fait du
mélange de tous les sons musicaux, voix et bruits, mais très différent selon où l’on se trouve (à
l’opposé de l’homogénéité recherchée dans les églises et salles de spectacle), et aussi de quantité de
paroles, de gestes, de couleurs et d’odeurs mêlés, indifférenciés. La sensation du passage du temps —
l’Ogre Kala, une forme dégradée de Shiva — s’efface, les tensions disparaissent, et, surtout à entendre
et encore plus à jouer la musique cérémonielle si arithmétique, impersonnelle et lancinante, les
préoccupations personnelles s’éloignent, ego passe au dernier plan. Cet effet d’anesthétise d’ego et de
guérison de ses problèmes est relativement durable.
       Ce rasa (skrt, bal, jav « saveur » et « ressenti ») du « multicolore » (pancawarna, quintessence
des couleurs) est supérieur à tous les rasa d’objets discrets, et ultimement fusionne au blanc ou
absence de couleurs, autrement dit, au gong, au Om/Ong, à l’Un. Le ressenti de l’Unité est infiniment
supérieur au ressenti d’objets ou entités discrets (éléments différenciés et réifiés comme entités).
       NB : ceci est un témoignage, personnel et de Balinais, suivi de lectures en confirmant la
pertinence, et non un délire interprétatif.

Contrôle des émotions en société et transes de possession
       Bali, et encore plus Java, sont des sociétés et cultures où l’expression des émotions, même
positives, est considérée comme néfaste. On y dit que la personne extravertie « ne connaît pas la
honte » — honte, peur et trac social sont signes d’éducation et/ou de raffinement inné (tempérament
inné). Exprimés, les affects d’ego affectent autrui et le corps social, et cette expression entérine dans la
réalité vécue ce qui, la plupart du temps, gardé secret, n’aurait été que passager ; donc, en retour de
boomerang, ces affects se renforçent ou créent des conflits dans la personne elle-même.
       Cela fonctionne bien, à l’exception de très rares crises de folie furieuse (amuk) comme quand la
pression dans une cocotte-minute est trop élevée ou qu’un liquide enfermé s’est alcoolisé.
       Mais il y aussi les transes de possession par les bhuta-kala, qui, si elles n’ont pas que ce rôle,
ont probablement un effet exutoire en plus d’être un spectacle sensationnel. Outre des actes
absolument inhumains (même « magiques », encore inexplicables), elles transforment les possédés,
citoyens très normés au quotidien, en des personnalités extrêmement contrastées et égoïstes, avides,
excentriques et extravertis – c’est logique, les bhuta-kala sont le morcellement.

Représentations : hiérarchie des rasa, correspondant à celle des solah
       Si la société ne le permet pas, les représentations dramatiques ont en revanche pour fonction,
entre autres, de montrer les affects et tempéraments contrastés. Mais non sans former le public à la
hiérarchie du rasa, à la fois « saveur » et « ressenti », notion d’origine indienne unissant l’objet et le
sujet.
       Le masque blanc aux yeux et à la bouche presque fermés du roi Dalem (« Intérieur »), sa
féminité (bi-sexualité ou neutralité sexuelle de Shiva Ardhanarisvara), ses gestes contenus, notamment
des sortes de mudra, sont une des représentations de la valeur suprême de l’intériorité et de
l’indifférencié à la conscience duquel conduit cette intériorité.
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On a déjà évoqué plus haut la hiérarchie dans la danse et le théâtre, descendant jusqu’aux hommes et
femmes les plus dominés par leurs passions charnelles et désirs matériels, aux initiés raksasa égoïstes,
et à la variété des bhuta monstrueux, des possédés par les bhuta-kala, et des clowns individuels les
plus divers, extravagants et bariolés.

          Mauvaises postures de « tarés » bondrès du Topèng : g. bondrès luh la Fille, m. bondrès turis le Touriste.
    Théâtre Barong/Calonarang au cimetière : possédés par les bhuta-kala. L’un danse tout en contorsions saccadées, en
     extirpant les boyaux d’un poulet vivant qui disparaîtra intégralement dans son gosier, sans être dégluti. © C.Basset

Conception indienne, javanaise et balinaise de la personne : une quintessence
       Chaque ainé ou centre d’une quintessence, comme celle des 5 frères Pandawa dans le
Mahabharata, symbolise la même chose que le roi Dalem, le Soi indifférencié fusionnant les 4 autres
(bal. kandapat, « 4 frères ainés» cosmiques d’ego). Ces kandapat, conception indienne de la personne
qui habite encore Javanais et Balinais, sont 4 grands tempéraments aux 4 points cardinaux, 4 déwaloka
contenant chacun une classe d’éléments analogues (températures, couleurs, wangsa et warna sociaux,
voyelle-note, métal, bois, partie du corps humain, partie de l’appareil vocal, etc.).

                                             g : Kandapat et aksara cruciaux.
m : Le Suprême ou Homme (Purusa) primordial accompli, aux noms (sanskrits) de Sang(h)yang Acintya « L’Indéfinissable »
                              ou Sang(h)yang Widi Wasa « Le Vainqueur de l’ignorance »,
                       alias Yang Esa ou Yang Tunggal, « L’Unicité », du monisme indo-balinais.
                                   d : posture du roi Dalem dansant, axe de l’univers.
Cokor I Déwa, « Pied de Dieu » est un des titres d’adresse encore en usage pour le Dalem et les princes vivants. © C.Basset

       Les dalang du Wayang à Java et Bali sont particulièrement chargés de recentrer ego entre ses
kandapat, et de délivrer les victimes potentielles de Batara Kala, le raksasa divin du Temps qui Passe
- via une représentation de la cosmogenèse où Kala est piégé et où lui est révélée sa vrai nature de roue
kalacakra et son origine dans le moyeu atemporel de cette roue.
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