Beyond - o Des médias plus que jamais acteurs du bien commun Marianne Fily - Onepoint
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Beyond. o Des médias plus que jamais acteurs du bien commun Marianne Fily POINT DE VUE SEPTEMBRE 2020
Sommaire INTRODUCTION 3 1. NOUVELLES EXPÉRIENCES, NOUVELLES MANIÈRES DE PRODUIRE : LA CRISE A CRÉÉ LES CONDITIONS D’UNE ACCÉLÉRATION DE L’INNOVATION AU SEIN DES MÉDIAS 6 2. OUVERTURE SUR LE MONDE, VECTEUR DE LIEN SOCIAL : LES MÉDIAS SE SONT RÉVÉLÉS INDISPENSABLES À NOTRE QUOTIDIEN 13 3. LE RÔLE ESSENTIEL DES MÉDIAS AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉ RAVIVÉ ET AMPLIFIÉ PAR LA CRISE 21 4. L’ENJEU MAJEUR : REFONDRE LES BUSINESS MODELS DES MÉDIAS POUR ASSURER LA RÉSILIENCE ET PÉRENNISER LEUR RÔLE 35 CONCLUSION 43 REMERCIEMENTS 47 2
Introduction 94,4% de part d’audience pour Emmanuel Macron le 13 avril 2020, une durée d’écoute moyenne de la TV qui a explosé d’une heure par jour pendant le confinement, y compris chez les 15-24 ans, +150% de consommation d’information sur les plateformes numériques des médias, une bascule majeure vers le numérique dans la presse. Depuis le début de la crise du Covid-19, les médias connaissent un succès ravivé, matérialisé par des audiences record pendant le confinement auprès de l’ensemble des publics, telles que le secteur n’en a connu depuis des années. Ces audiences se maintiennent à des niveaux plus élevés depuis, et ce quel que soit le support (radio, TV, presse, digital, etc.) et quels que soient le type de contenus diffusés. Qui l’eût cru ? Tout était écrit pourtant : les réseaux sociaux sont les nouveaux médias, la TV est morte, la radio disparaît derrière les nouvelles plateformes…Autant de Cassandre battues en brèche par ce regain de popularité des médias. Ces audiences révèlent ainsi ce rôle majeur qu’exercent les médias dans notre quotidien et ce, au-delà de la production et la distribution de contenus : un rôle qui lors du confinement est devenu notre seule fenêtre sur le monde extérieur, un rôle au service du bien commun et du vivre ensemble, rôle pris en main et illustré par les adaptations dont ils ont fait preuve ces derniers mois, avec des moyens limités et en assurant la protection de leurs équipes. Pourtant derrière ce tableau rose, d’autres réalités : audience ne veut pas dire confiance, comme l’illustrent toujours de nombreuses études et la prédominance des fake news. D’autre part, le Covid-19 est un « Media Extinction Event ». Tous les médias souffrent des baisses d’investissement massives en publicité, la presse subit des pertes sans précédents dues au manque de distribution de ses titres en points de vente, des milliers de médias risquent de disparaître à travers le monde, et avec eux la pluralité d’une information et d’une offre de divertissement. Et enfin, l’arrêt des productions pendant plusieurs semaines, si ce n’est plusieurs mois, font peser un risque majeur de pénurie des contenus, mettant en risque les propositions éditoriales de demain. 4
Ces paradoxes nous interrogent en tant que citoyens et acteurs économiques sur notre rapport aux médias, sur ce rôle au sein de la société, sur des questions majeures portant sur : • notre consommation des médias : comment promouvoir ce vivre ensemble et répondre à nos besoins personnalisés ? • notre rapport à l’information, encore contrasté, entre volonté d’adhérer et crise de confiance : comment faire en sorte de traduire un monde incertain auprès du plus grand nombre ? • notre rapport au financement des médias : la chute des revenus publicitaires met en péril de nombreux médias et dans son sillage, la capacité de production de l’information et la pluralité des opinions : comment en assurer la résilience ? En temps normal, toutes ces questions s’inscrivent en toile de fond des changements en cours au sein des médias, tous en transformation profonde de leurs offres et de leurs modèles depuis plus d’une décennie. Toutefois, une tendance se dessine de médias plateforme du bien commun qui passent par 3 axes : • de nouvelles expériences éditoriales et de nouvelles manières de produire accélérées par cette période si particulière, • un rôle indispensable de fenêtre sur le monde et de vecteur de lien social, • un engagement accru des médias au service de la société pour informer et faire agir, et qui implique d’en repenser les financements. 5
Nouvelles expériences, nouvelles manières de produire : 1 la crise a créé les conditions d’une accélération de l’innovation au sein des médias 6
A. Les médias ont démontré leur capacité d’adaptation face à la crise On le dit trop peu, mais une grande qualité des gens de médias est l’agilité face à l’adversité. Le mode “héroïque”, dans les équipes qui se mobilisent au service d’une cause ou d’un sujet, est un mode où ils excellent dans la créativité, où le collectif s’exprime à plein. Cette crise du Covid-19 en est une nouvelle illustration avec une adaptation saluée par le président du CSA lui-même lors de son allocution du 27 avril 2020, se disant « impressionné par la formidable mobilisation de l’ensemble des médias audiovisuels, privés comme publics » 1. Les modalités traditionnelles de production ont en effet été suspendues durant la période de confinement et la reprise de celles-ci est très progressive. Pourtant, les médias doivent continuer à alimenter leurs contenus, face à un public qui n’a jamais été aussi large. Nouvelle stratégie de gestion des stocks, adaptation de la distribution des contenus et réinvention des formats sont les clés pour assurer la continuité et répondre à la promesse. Au sein de l’audiovisuel, gestion des stocks de programmes et logique patrimoniale pour faire face et répondre aux attentes Lors du confinement et tout particulièrement à ses débuts, des changements de programmation ont eu lieu pratiquement tous les jours dans l’audiovisuel. Si d’ordinaire les déprogrammations sont strictement encadrées, le CSA a confirmé faire preuve de tolérance dans un contexte exceptionnel. Ces évolutions répondent à plusieurs enjeux : • Faire place à l’information en dégageant du temps d’antenne : l’information étant particulièrement riche dans cette période exceptionnelle et fortement plébiscitée avec des audiences massives, les médias ont décidé de lui accorder une place prépondérante. Les rendez-vous d’information sont donc renforcés, à l’image des JT de TF1 et France 2 qui sont passés d’un format 35-40 minutes à 48 minutes pour le JT de 13h et 52 minutes pour le JT de 20h. Les chaînes et les radios ont profité de la diminution d’écrans publicitaires et de la suspension de certains programmes pour utiliser ce temps au profit de l’information. 7
• Continuer à diffuser des contenus inédits sur une durée inconnue alors que le stock n’est que de trois semaines d’avance environ. C’est ainsi que des saisons de programmes phares comme Top Chef (M6) ou The Voice (TF1) ont été artificiellement rallongées avec un montage revu et des émissions hebdomadaires raccourcies de parfois plus d’une heure. Pour préserver leurs épisodes inédits quelques mois, les émissions et feuilletons dont les tournages ont été interrompus ont souvent été remplacés par des rediffusions. FIG. 1 - Gestion du stock de programmes exemple de Top Chef Source : Les Echos - analyse onepoint • S’adapter au contexte économique : certains contenus rapportent plus que d’autres en revenus publicitaires, c’est par exemple le cas de séries ou de films inédits et onéreux à acquérir. Les chaînes font donc le choix d’en déprogrammer, afin de les conserver pour une relance des investissements des annonceurs. Sur le sport, l’annulation en chaîne des grands évènements sportifs bouleverse les médias sportifs, qui se reposent sur les rediffusions de grands évènements, en attendant la reprise des championnats et évènements, tout en conservant les capacités de production et de diffusion pour faire face à un deuxième semestre inédit et une année 2021 particulièrement dense. 8
L’union fait la force : un redéploiement des contenus au sein des groupes Dans les structures qui le permettent, notamment multicanales, la crise a permis d’accélérer les logiques de groupe pour s’adapter aux besoins et aux nombreuses contraintes imposées par le confinement. À l’échelle locale, le Groupe Nord Littoral a par exemple choisi de regrouper les titres qu’il édite (Nord Littoral, Le Journal des Flandres…) en un seul journal afin de concentrer ses ressources disponibles et de simplifier sa distribution. Radio France, de son côté, a mobilisé la majorité de ses moyens pour privilégier à la fois ses antennes d’information (France Info, France Inter, France Bleu), les plus plébiscitées pendant la période, et le lancement de productions numériques (podcasts…), tout en appliquant une politique de rediffusion sur ses autres chaînes. Les nouveaux contenus produits pour répondre aux attentes des consommateurs de médias connaissent, quant à eux, une exploitation maximisée : c’est le cas de l’émission « Restez en forme » proposée à la fois sur France 3 et sur France 5 quotidiennement, élargie pour deux diffusions le week-end sur France 2, et complétée sur les réseaux sociaux de France Télévisions. La frilosité parfois perçue au sein des groupes de médias laisse ainsi apparaître à la faveur de la crise l’opportunité de réfléchir la proposition de valeur globale du groupe, en travaillant sur un mix ciblage publics, proposition éditoriale, marque, pour maximiser son efficacité et sa pertinence auprès de ses publics. Multiplateformes et digital : les plus diversifiés s’en sortent le mieux, avec une continuité entre formats historiques et digitaux Les parutions physiques des médias ont été mises à mal pendant la période de confinement par leur chaîne de distribution : imprimeries au ralenti, distribution compromise (redressement judiciaire de Presstalis, activité réduite de La Poste, kiosques fermés). Des groupes comme So Press ont vu la parution de leurs magazines (So Foot, Tsugi…) suspendue. Le manque à gagner, déjà marqué par la diminution d’annonceurs publicitaires, s’accentue donc avec la diminution de ventes aux numéros et le remboursement d’abonnés qui ne peuvent recevoir leur édition. 9
Plus facilement accessible et non soumis du physique vers le digital pour de nombreux aux contraintes de la distribution physique, lecteurs. Aux médias désormais de trouver le format digital est devenu la valeur refuge comment proposer une continuité entre formats pour poursuivre la production et la diffusion historiques, qui resteront attendus, et format auprès des publics. Les abonnements aux digital. éditions en ligne et aux sites d’information permettent ainsi, à défaut de compenser les C’est aussi la mise en évidence d’un format digital pertes d’annonceurs, de résister et ont par qui s’affranchit de plus en plus de sa plateforme exemple été multipliés par quatre pour Le Figaro d’origine pour aller directement à la rencontre pendant le confinement. Le Parisien a lui proposé de lecteurs : Reworld Media a distribué ses titres une version PDF de son journal à 1 euro l’unité. directement sur les réseaux sociaux, Madame Figaro y a lancé un hashtag qui lui donne Le confinement aura finalement permis énormément de visibilité. Quel modèle bâtir pour certains un développement accéléré autour de ces nouveaux supports ? des contenus en ligne et une transition B. Une période ayant permis d’accélérer l’innovation sur les formats et les modalités de production Formats innovants et processus de production repensés, ou la logique de Test & Learn adaptée à la production Dans l’impossibilité de produire du contenu de façon traditionnelle, les médias n’ont d’autre choix que de gagner en flexibilité en testant de nouveaux formats et outils. Les processus sont complètement transformés : alors que l’Équipe a repensé ses conférences de rédaction en télétravail grâce à l’outil Whereby, France 3 a dû réorganiser entièrement à distance le montage et le mixage de l’émission La Carte aux Trésors, qui avait déjà été tournée, pour pouvoir livrer les nouveaux épisodes aux dates prévues. Un exploit technique réalisé par de nombreux médias, qui ouvre la voie à une décentralisation plus importante des moyens de production. L’innovation se situe également dans les relations avec les publics : les moyens engagés pour développer les interactions, démultipliées pendant la période de confinement avec des temps d’antenne ouverte accrus, sont de plus en plus importants. FranceInfo a notamment aménagé un temps d’antenne ouverte de 12h à 15h pour que des experts répondent en direct aux questions des auditeurs, en plus des questions déjà posées à l’invité de la matinale de 9h à 10h. Les interactions avec le public se matérialisent aussi de façon plus digitale : Le Monde a lancé un fil de discussion gratuit sur WhatsApp alimenté quotidiennement par une sélection d’actualités, qui permet d’échanger directement avec la rédaction. TF1, de son côté, a développé en 6 jours un chatbot pour répondre aux questions sur la pandémie et sur les mesures de confinement prises par le gouvernement. Projet initié le 11 mars avec la start-up Clustaar, il a été intégré dès le 17 mars sur la page d’accueil du site de LCI. 10
FOCUS TOUS EN CUISINE : exploiter de nouveaux moyens de production légers pour une quotidienne interactive 100% à distance Un concept monté en quelques jours, un animateur chef et connu des Français, une cuisine…c’est ainsi que Cyril Lignac présente l’émission « Tous en cuisine » en direct depuis chez lui tous les soirs de la semaine entre le 21 mars et le 12 juin*, grâce à la société de production Kitchen Factory. La production utilise des moyens très légers, à savoir deux caméras automatisées en plus d’un caméraman sur place pour une émission en direct. Un concept interactif basé sur la participation d’invités (célèbres ou non) en duplex via Skype et l’exploitation des réseaux sociaux pour permettre aux téléspectateurs de se préparer à l’expérience de la cuisine en direct…et de partager leurs réalisations. L’émission a enchaîné les records d’audience depuis son lancement le 21 mars jusqu’à atteindre un pic à 13,5% de part de marché le 4 mai. FIG. 2 - Tous en cuisine - Évolution de l'audience et des parts de marché Source : Médiamétrie – analyse onepoint L’émission s’est maintenue aux alentours de 11% de PDM et de 2 millions de téléspectateurs même après la fin du confinement. De quoi la prolonger jusqu’au 12 juin, publier un livre de recettes et même la reprogrammer dans la grille de rentrée 2020. La preuve que le live et les interactions avec le public sont des formats prometteurs pour l’avenir de cette plage horaire très disputée. L’interactivité proposée pendant le confinement a clairement permis de mobiliser davantage le public, et même de le fidéliser dans le cas de l’émission de Cyril Lignac. Son utilisation grandissante pourrait relancer des concepts déjà existants et lancer de nouvelles émissions. * reprise de l'émission le 24 août 2020 11
Des collaborations L’audiovisuel ne fait pas exception à ces stratégies de collaboration, puisque ce et co-créations renforcées sont des acteurs très transverses qui ont La fragilisation paradoxale des médias participé à l’initiative portée par Mediawan en ces temps de crise entraîne des stratégies pour lancer une chaîne éphémère pendant de collaboration et de co-création de le confinement : partenariats avec le CNC, contenus qui étaient jusque-là limitées, France Télévisions, Brut, Gaumont Pathé voire même inédites, qui concernent tout type Films, M6 ou encore Réservoir Prod, le tout de médias, à toute échelle. diffusé par les opérateurs Télécom, Canal + et Molotov. On observe ce phénomène au niveau des journaux régionaux, comme Ouest France Certains ont même espéré une union sacrée qui s’associe avec AlloVoisins pour inciter des médias : le chef de projet multimédia ses lecteurs à utiliser la plateforme et relayer de TV5 Monde a lancé un appel à l’ensemble les initiatives d’entraide dans ses colonnes des médias français et francophones pour et sur ses réseaux sociaux. Les radios ne sont créer un unique fil média citoyen sans fake pas en reste, avec une initiative internationale news sur le Covid-19. Se dirige-t-on vers un lancée par Radio Nova (Groupe LNEI) pour créer nouveau modèle de partenariats généralisés l’Internationale des Radios Confinées (IRC) : dans le futur ? C’est aussi l’aspiration de France une vingtaine de radios de 15 pays différents Télévisions français via la création d’une alliance font antenne commune pour une internationale autour des sujets d’innovation. émission musicale quotidienne intitulée « Greetings From Home ». En synthèse • En quelques jours, les différents médias ont su mettre en œuvre une qualité intrinsèque : l’adaptation et les principes d’agilité pour adapter les moyens de production et de distribution à l’incertitude, à des niveaux jamais atteints • Ces leviers mis en œuvre — gestion des stocks de contenus, concentration de la distribution avec des logiques de groupe, collaboration et co-création — sont autant de leviers de résilience à capitaliser pour transformer les modèles, • Le digital se révèle au cœur de cette nécessaire adaptation, les médias les plus diversifiés et ayant une stratégie numérique forte se révèlent plus résistants • L’innovation dans les formats identifiés, les processus de production et de relations avec les publics augurent des capacités à conserver dans les mois et années à venir 12
2. Ouverture sur le monde, vecteur de lien social : 2 les médias se sont révélés indispensables à notre quotidien 13
Seule fenêtre sur l’extérieur, les médias ont joué un rôle d’ouverture sur le monde, à des fins d’information et de divertissement au travers de deux phénomènes concomitants : • Une consommation accrue de contenus personnalisés, • Un rôle de médiateur du lien social. A. Une accélération de la consommation délinéarisée du contenu L’accès à la culture réduit, la fermeture des salles de cinémas et des lieux de spectacles ont précipité les utilisateurs sur les plateformes de vidéo à la demande, avides de contenus toujours plus variés et à l’affût de nouveautés. Les plateformes de streaming vidéo, grandes gagnantes de la période de confinement La période de confinement a eu un impact majeur sur les abonnements aux services de vidéo à la demande en France qui profite à toutes les plateformes, quel que soit leur modèle ou leur mode de distribution (services en ligne des chaînes payantes, plateformes SVOD par abonnement, à l’achat ou à la location). FIG. 3 - Evolution du marché de la SVOD en France - T1 2020 Source : https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/la-svod-tire- le-marche-francais-du-streaming-au-premier-trimestre-39903829.htm 14
FIG. 4 - Classement des plateformes VOD en mars 2020 Source : CNC - Baromètre de la vidéo à la demande (VàD_VàDA) - mars 2020 Sur les trois premiers mois de l’année 2020, le marché de la VOD affiche une croissance de 36,5% à 323,6 millions d’euros, portée majoritairement par la SVOD. La valeur du marché des abonnements progresse à lui seul de 45,5% (CNC) au premier trimestre 2020, et la VOD à l’acte – location d’un film pour une durée ou l’achat d’un film téléchargé définitivement sur son ordinateur – augmente de 6,4% alors qu’elle reculait de près de 24% en 2019. Le baromètre HADOPI révèle notamment que 46 % des internautes français déclarent accéder à un abonnement payant de vidéo à la demande (SVOD) pendant la période de confinement, contre 36 % en 2019. Une progression sans doute accélérée par le confinement, mais qui devrait encore s’accentuer dans les mois et années à venir tant la SVOD s’inscrit désormais dans les habitudes de consommation. La crise sanitaire du Covid-19 marque aussi l’intensification concurrentielle du secteur par l’arrivée de nouveaux acteurs de la SVOD L’offre s’agrandit à mesure que le marché devient de plus en plus compétitif : si Netflix reste la plateforme la plus populaire dans l’Hexagone et occupe toujours la première place du classement des SVOD avec 63,2% des Français qui déclarent avoir visionné au moins un programme sur la plateforme, Disney+, lancée il y a 5 mois aux États-Unis et le 7 avril en France, réalise un démarrage tonitruant. Avec plus de 55 millions d’abonnés dans le monde, la plateforme est déjà en passe d’atteindre ses objectifs 2024. D’autres concurrents se lancent : NBCUniversal a lancé aux États-Unis son service de streaming Peacock le 15 avril, quand le cofondateur de DreamWorks innove dans le secteur avec Quibi, le Netflix des formats courts, proposant des contenus exclusivement pour smartphones. Un enjeu crucial sur le taux d’attrition se profile dans un paysage concurrentiel pléthorique. 15
En parallèle, les acteurs locaux et de niche ont aussi bénéficié des mouvements de masse des audiences, et ont vu leur nombre d’abonnements multiplié par 3 ou 4. C’est le cas de UniversCiné, une plateforme française de vidéo à la demande d’œuvres indépendantes de diverses nationalités, qui est passée de 350 actes de location par semaine à 2 200 et jusqu'à 3000 les weekends pendant le confinement. La Cinetek, consacrée aux plus grands films du XXème siècle et gérée par des réalisateurs, connait le même phénomène avec une multiplication de ses visiteurs. Le plébiscite de la consommation délinéarisée pourrait- elle favoriser un retour en force des contenus thématiques, moins en vue depuis plusieurs années ? Elle semble en tout cas les rendre plus accessibles, à tel point que pour diversifier son catalogue avec 50 films d’auteur, une direction totalement inédite pour le leader du marché. Un changement de consommation qui bouscule la chaîne de valeur de l’audiovisuel L'augmentation de la consommation de films à domicile pourrait perdurer dans le temps et contribuer à la baisse massive de fréquentation des salles constatée depuis leur réouverture le 22 juin (-73,8%*). 29% des consommateurs de films en VOD et/ou SVOD pendant la période de confinement ont l’intention de continuer à regarder autant de films chez eux. Et si l’envie de retourner dans les salles semble intacte avec 92% des consommateurs habituels qui se disent prêts à retourner au cinéma, les films dits « du milieu » avec des budgets modestes pourraient basculer vers des sorties directes plus fréquentes en VOD/SVOD : de plus en plus vus en ligne, ils n’auront pas le même pouvoir d’attraction que les blockbusters pour un retour dans les salles. *Source : CNC 16
FOCUS CINÉMA & CHRONOLOGIE DES MÉDIAS : Le Covid-19, facteur d’opportunité pour revoir la chronologie des médias ? La question de la réforme de la chronologie des médias fait f igure d’arlésienne du monde de la culture et des médias ; sujet de tension, elle apparaît pour beaucoup être une nécessaire adaptation aux nouveaux usages digitaux, à même de préserver création et production f rançaises, notamment cinématographiques. Beaucoup de signaux et d’initiatives au cours du confinement pourraient faire de la crise le déclencheur d’une remise en question de ce totem de la culture française : • La diffusion par Canal+ entre les 16 et 31 mars de tous ses programmes en clair, incluant des films potentiellement diffusés en clair 8 mois après leur sortie en salle, dénoncées par ses concurrents comme une rupture de la chronologie des médias (la diffusion en clair devant en principe attendre entre 22 et 30 mois). • L’autorisation par le CNC de raccourcir de 4 mois le délai entre la sortie en salles et l’exploitation en VOD pour une trentaine de films. • La sortie directe en VOD pour certains films qui n’auront pas pu sortir en salles, voire en SVOD à l’instar de « Forte » sur Amazon Prime. • Ces dérogations permettent à la fois de limiter les pertes économiques des distributeurs et de répondre à la demande en ligne qui explose : de 7,1% de part d’utilisateurs de VDA début mars 2020, la France a atteint un pic à 12,4% début avril et restait début juin 2020 à plus de 10%. Cet espace conquis par les services La mise en œuvre d’une telle approche de streaming pose donc légitimement impliquerait de repenser : la question de l’amplitude laissée aux médias français. Le retour à la normale dans les salles • L’expérience spectateur du cinéma, n’étant pas encore envisagé à son niveau libre de choisir quel film voir en salle, à la d’avant crise, quels impacts envisager sur maison, et en fonction de quels publics. Une les contrats de production à venir et le expérience récemment diversifiée avec partage de la valeur ? la diffusion en salles d’opéras ou de films orchestrés en direct, De manière plus large, comment ce renforcement des plateformes sera-t-il • La chaîne de financement de cette nouvelle pris en compte lors de la transposition des chronologie repensée et équilibrée, entre directives européennes de taxation de financement publics et privés à la création, celles-ci ? tout en permettant que chacun y trouve son compte à la diffusion, Quel avenir pour ce que d’aucuns appellent déjà le simultaneous release, une remise • Les relations entre diffuseurs historiques, en question complète de la chronologie plateformes VOD, mais tout autant qui permettrait la sortie en salle et en VOD producteurs et volontaires pour maximiser simultanée ? la distribution de leurs films, y compris en salles 17
A. Des médias catalyseurs du lien social : le retour de l’agora virtuelle La création de moments de vivre-ensemble dans un foyer Le conf inement a donné lieu à une hausse générale de la durée d’écoute quotidienne de plus d’une heure (de 3h28 il y a un an à 4h43), particulièrement marquée chez les 15-24 ans : 80% des jeunes ont regardé la télévision chaque semaine, contre 70% il y a un an. La télévision s’est affirmée comme un lieu de rassemblement : les JT sont redevenus des rendez- vous familiaux d’information avec des pics d’audience à 13h et à 20h, des éditions du soir qui ont bondi de 50% et un passage des 15-24 ans de 350 000 à 830 000 en moyenne par soir devant le JT de France 2. Mais c’est surtout le contenu de divertissement qui a créé des moments de partage, dans des conditions pourtant difficiles. Records d’audience pour de nombreuses émissions au public familial (N’oubliez pas les paroles, Top Chef, Quotidien…), scores impressionnants pour les rediffusions de films feel good comme Harry Potter sur TF1 allant jusqu’à 30% de part de marché… Pendant plusieurs mois, les médias ont incarné le vivre ensemble de nombreux foyers français. FIG. 5 - Audience des émissions de flux pendant le confinement Source : https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/la-svod-tire-le-marche-francais- du-streaming-au-premier-trimestre-39903829.htm 18
La tendance avant la crise était à une individualisation de la consommation des médias. Que penser alors de ce regain de consommation collective ? S’il apparaît temporaire, il pourrait toutefois s’agir d’un terreau fertile pour renouer avec le développement de programmes familiaux innovants qui répondent aux attentes des plus jeunes générations : plus interactifs et vers de nouveaux supports. Cette création de lien social a aussi rappelé que les médias sont une valeur refuge pour le public : le secteur est en constante évolution mais il est indispensable aux individus, et comme toute valeur refuge, il attire les investisseurs à long terme. La crise représente donc une opportunité pour accélérer les investissements et les innovations et profiter de la dynamique du secteur FIG. 6 - Téléchargements et utilisateurs de l'application Réinventer les TwoSeven pendant le confinement moments de partage à distance avec de nouvelles technologies Les plateformes qui permettent un partage en ligne ont connu un grand succès, quel que soit leur domaine : on appelle ce phénomène le social streaming. Le Trillerfest, festival de musique en ligne organisé par la plateforme Triller, a notamment réuni plus de 5 millions de personnes en ligne à travers la planète du 10 au 12 avril 2020. Twitch, Caffeine, ou encore TikTok qui a été téléchargée 65 millions de fois en mars et 56 millions en avril, ces nouveaux réseaux sociaux dont l’explosion a été accentuée par le contexte de crise, sont les nouveaux divertissements des jeunes générations. Source : Mozilla Firefox Les plateformes de SVoD deviennent elles aussi le moyen de vivre un moment de partage à distance avec ses proches : l’extension Netflix Party, disponible gratuitement avec le navigateur Google Chrome, gagne en notoriété et en utilisateurs. Elle permet à plusieurs foyers de regarder un film ou une série simultanément. L’application TwoSeven, qui élargit cette fonctionnalité de visualisation synchronisée à Netflix, YouTube, Amazon et Disney+, a vu une soudaine augmentation de son nombre d’utilisateurs (cf. graphique). Une pratique qui pourrait donc bien se développer et s’ancrer dans nos habitudes dès 2021. 19
Pour changer de décor tout en restant chez soi, la réalité virtuelle s’est également avérée être un média particulièrement efficace. La plateforme de jeux vidéo en ligne Steam a ainsi relevé un pic d’utilisation de casques de réalité virtuelle en avril en passant de 1,7 millions de personnes à 2,5 millions en à peine un mois. Un concert finlandais en VR a lui rassemblé 150 000 personnes le 1er mai, avec un groupe jouant sur une réplique virtuelle de la place du Sénat d’Helsinki. Une technologie qui peut aussi s’appliquer pour des visites de musées ou tous types de spectacle. Un potentiel qui reste encore à exploiter et représente peut-être les moments de partage de demain. En synthèse • Une accélération nette de la consommation délinéarisée de contenus, ayant profité à l’ensemble des plateformes de streaming vidéos, y compris aux nouveaux acteurs • Un changement de consommation bouleversant la chaîne de valeur de l’audiovisuel et questionnant l’évolution de la chronologie des médias et plus largement l’expérience spectateur / téléspectateur, le financement des contenus, les relations entre les acteurs • Parallèlement, une réaffirmation du rôle de lien social et d’agora virtuelle permise par les médias, redonnant un nouveau souffle au live permettant une réinvention des moments de partage 20
Le rôle essentiel des médias au service de la société ravivé 3 et amplifié par la crise 21
A. Garantir la continuité et la fiabilité de l’information L’exigence d’informer devient cruciale en temps d’incertitude, le bien commun débute par une information fiable, partagée pour embarquer le plus grand nombre Audience et confiance ne vont pas de pair : FIG. 7 – de la PdA des chaînes évolution derrière les succès d’audience, les médias ont un d'information enjeu de confiance pour assurer l’acquisition et la compréhension du message. Des audiences record qui traduisent le besoin d’information lié à cette crise sans précédent Dans un rapport commun publié en mars 20202, l’ONU, l’OSCE et la CIDH réaffirment l’importance de l’accès à l’information dans un contexte de crise sanitaire : « le journalisme remplit une fonction cruciale en période d’urgence de santé publique, en particulier lorsqu’il vise à informer le public avec des informations critiques et à surveiller Source : Baromètre des effets de la crise sanitaire sur les audiences des groupes audiovisuels et sur le les actions du gouvernement ».3 marché publicitaire (juillet 2020) FIG. 8 – Évolution de la fréquentation Cette importance capitale des médias, au-delà de des applications des éditeurs TV et radios la critique en filigrane de certains gouvernements (opérations de discrédits menées par la Chine et la Russie contre l’UE, RFI4), est illustrée par l’appétit massif et constant des Français au cours de la crise pour les médias écrits et audiovisuels. Elle s’inscrit en contraste avec la période précédant la crise où l’intérêt porté à l’actualité était au plus bas depuis 1987, avec tout de même 59% des Français déclarant suivre les nouvelles avec grand intérêt (Kantar5). Pendant la crise des Gilets jaunes, variation similaire avait aussi été observée, renforçant l’idée d’une corrélation entre les périodes dites « de crise » et le recours aux médias par la population6. Source : Baromètre des effets de la crise sanitaire sur les audiences des groupes audiovisuels et sur le marché publicitaire(mai vague 3 2020) 22
FIG. 9 - Évolution de la fréquentation des sites web des éditeurs TV et radios - Source : Baromètre des effets de la crise sanitaire sur les audiences des groupes audiovisuels et sur le marché publicitaire(mai vague 3 2020) Une explosion de l’audience des médias numériques d’information sur le web et sur le mobile Ces derniers mois, cet appétit s’est notamment manifesté par des records d’audience lors des allocutions d’Emmanuel Macron (le 13 avril 2020, 36,4 millions de téléspectateurs sur 11 chaînes avec 94,4% de part d’audience globale 7,8), appétit exacerbé par le confinement et l’inquiétude qui en résultait pendant le confinement, 25% des Français déclaraient se sentir « seuls » et 22% « n’avoir personne vers qui se tourner », CEVIPOF). Une confiance dans les médias toujours fragile En dépit de cet afflux et de l’intérêt accordé aux médias qui semblent attester d’une forme de relation privilégiée entre les Français et les médias, la défiance à leur égard reste importante. Cette défiance est complexe et varie en fonction des médias observés et des populations concernées. Consulter ces médias n’implique pas de leur faire confiance : les graphiques illustrent l’hétérogénéité de la consultation et de la confiance envers les médias (Press Club et YouGov)9 . FIG. 10 - Comparaison fréquentation de médias et confiance accordée Médias Chaînes TV Information Réseaux Radio Presse Aucun classiques TV en continu sociaux écrite Quel(s) média(s) 69% 48% 42% 35% 34% N/A consultez-vous ? (%) En quel média avez-vous 29% 15% 7% N/A 13% 18% le plus confiance ? (%) Source : Press Club et YouGov - analyse onepoint 23
À la question de savoir si les choses se sont passées telles que décrites par le média, les réponses varient peu et illustrent une faible crédibilité d’Internet et une part importante de Français qui met en doute la véracité des informations présentées : FIG. 11 – Perception de la crédibilité de l'information Les choses se sont passées La Radio Le journal La télévision Internet comme le raconte… Part d’interrogés répondant 50% 46% 40% 23% positivement Source : Press Club et YouGov - analyse onepoint FIG. 11 – Perception de l'indépendance des journalistes Démontrer son indépendance comme Les journalistes … pressions des partis … pressions résistent aux… politiques et du pouvoir de l’argent un gage de qualité Non, ils n’en sont 68% 61% Si ces chiffres peuvent surprendre, pas indépendants ils appellent aussi à une réflexion sur les Oui, ils en sont 25% 26% causes de ce rejet d’une partie importante indépendants des citoyens. Kantar révélait début 2020 Oui, ils en sont 7% 13% que les Français ont une très mauvaise indépendants perception de l’indépendance des journalistes vis-à-vis des organes Source : Kantar, baromètre de la confiance de pouvoir et des forces financières10. des français dans les médias Malgré une très forte amélioration ces 3 dernières années, les journalistes eux-mêmes considèrent qu’une majorité des Français ne leur font toujours pas confiance quant à la qualité des informations qu’ils véhiculent11 (Cision, État des médias en France) : FIG. 12 – Perception de la confiance en leur travail par les journalistes Années 2016 2017 2018 2019 Part des journalistes estimant que les Français 50% 46% 40% 23% ne leur font pas confiance Source : 11ème édition de l’étude « État des médias en France » menée auprès de 355 journalistes par Cision, spécialiste de solutions et de services pour les RP, l’influence, la veille et l’intelligence média 24
Les tendances de ces dernières années sont positives pour les médias, mais le Covid-19 rappelle qu’elles ne sont pas toujours acquises et que leurs causes sont difficiles à analyser. Les médias ont ainsi un rôle à jouer, Il apparaît ainsi encore plus primordial dont les États doivent garantir les de réaffirmer le rôle d’un média de cultiver libertés. son indépendance et sa liberté de ton : les Français ont besoin de « contre- En Angleterre, le Guardian a pris depuis pouvoirs », pour équilibrer toutes les forces des années ses responsabilités de média dont l’excès d’importance nuirait de premier plan : les articles y sont à la démocratie. gratuits pour tous sur leur site internet au nom du libre accès à l’information En France, France Télévisions s’est associée (« Available for everyone, funded by à la Global Task Force for Public Media, readers »), basant son modèle économique un ensemble de huit groupes médias sur une relation de confiance avec le plus internationaux (ABC aux USA, ZDF en grand nombre, pariant sur la qualité Allemagne, KBS en Corée du Sud, et l’indépendance. la BBC au Royaume-Uni…) appelant les gouvernements à soutenir et défendre l’indépendance des médias, notamment du service public, en cette période de crise sanitaire. Dans la lignée de cette initiative La diversité des idées, internationale, l’UNESCO appelait en avril la richesse des contenus, 2020 « à ne pas imposer de restrictions à la la capacité à apprendre liberté d’expression qui peuvent nuire au rôle essentiel d’une presse indépendante, et à émouvoir sont autant mais à reconnaître le journalisme comme un d’outils que les médias pouvoir contre la désinformation ». doivent continuer à mettre au service des citoyens s’ils veulent affirmer leur importance contemporaine. Ces outils classiques de la presse comme contre-pouvoir se doublent aujourd’hui du recours à de nouveaux outils… 25
DES LEVIERS MIS EN ŒUVRE À L’AUNE DE LA CRISE, QUI COMMENCENT A PORTER LEURS FRUITS La continuité de l’information est l’enjeu n° 1 : de nouvelles formes d’organisation pour faire tourner les rédactions De nombreuses rédactions ont anticipé la période de confinement et s’y sont préparés avec des tests grandeur nature pour assurer la continuité de l’information. Avec le déploiement du télétravail, il a donc fallu déployer au plus vite des moyens techniques au domicile des journalistes : connexion à la fibre, accès à distance aux serveurs, ordinateurs adaptés, et notamment pour la radio, matériel son aussi performant que ceux disponibles en studio. Il n’aura fallu qu’une à deux semaines pour équiper pratiquement tout le monde La recherche de l’information s’est adaptée aux contraintes : interviews réalisées par téléphone ou par application de visioconférence, utilisation des images des internautes pour pallier la diminution des rushes des équipes internes, reportages terrain moins nombreux sur la base du volontariat, mais dans de nouvelles conditions (respect des gestes barrières, non-utilisation des micros-cravates…). La couverture internationale est garantie par les correspondants à l’étranger et l’instauration de coopérations internationales : le directeur de l’innovation et des relations internationales de France Télévisions a par exemple mis en place une cellule de veille de l’UER (Union européenne de radiotélévision). On note également l’augmentation Ces nouveaux modes du nombre d’invités qui compense la baisse du nombre de reportages. d’organisation ont des Côté franceinfo, on en recense conséquences notables, désormais une trentaine par jour. qui pourraient être durable : Il s’agit de plus en plus souvent la remise en question d’invités non habitués à intervenir du métier de pigiste, dans les médias, qui apportent un renouvellement de l’information coupé de commandes, déjà disponible. ou encore le basculement de la production des La complexité réside surtout journalistes d’un mode dans le montage et la construction collectif vers un mode des programmes d’information, qui prennent plus de temps. individuel La communication surtout, élément clé dans les rédactions, est bousculée : comme il n’est plus possible de s’informer de l’avancée du travail en se rendant dans le bureau d’à côté, les conférences téléphoniques ont pris le relai. 26
Le retour de l’expertise : s’appuyer sur la figure de confiance de l’expert Pour remédier à la fragilisation de la confiance envers les journalistes, les médias comme le gouvernement reconstruisent leur légitimité vis-à-vis des Français par le truchement des « experts ». Un expert est une personne présentée comme compétente sur un sujet et indépendante des influences qui entourent celui-ci. Il répond ainsi aux deux critiques émises à l’encontre des médias et du pouvoir : les manques de compétence et d’indépendance. Durant cette crise, toutes les rédactions mobilisent la figure rassurante des experts : médecins, historiens, psychiatres, économistes, virologues, sociologues, etc. pour expliquer, décrypter et crédibiliser les propos autour de la crise sanitaire. FIG. 13 – Figures de confiance pour les français Les experts du Le Les Les réseaux Les médecins gouvernement gouvernement médias sociaux % déclarant avoir 89% 66% 39% 35% 16% confiance en… % déclarant n’avoir pas du tout 3% 9% 31% 25% 44% confiance en… Source : analyse onepoint Figures de confiance par excellence en lesquelles les citoyens s’en remettent pour juger et décrypter, fortement mobilisés en temps de crise, les experts favorisent la crédibilité et la légitimité des discours relayés dans les médias. Si la question du choix des experts et des critères les définissant se pose, il n’en demeure pas moins qu’ils font partie d’une tendance visant à rassurer et faire montre d’une haute exigence à l’égard de l’information, dans la droite ligne des attendus de la population. Le déclin de la crédibilité des réseaux sociaux depuis quelques années atteste d’un inversement de tendance, d’un trop-plein de fake news qui appelle au travail du média qui éclaire. 27
Une meilleure prise en compte des citoyens La crise a été et est l’occasion d’un grand nombre de questionnements pour les citoyens : les changements législatifs, les inquiétudes économiques, les contraintes de déplacement, etc. ont été autant de sujets qui ont appelé à un décryptage précis et empathique. Les médias ont constitué l’interface tampon entre le citoyen et l’information complexe, parfois incomplète ou contradictoire, avec notamment l’apparition de live et d’espaces dédiés aux questions. L’exemple de la polémique entre les grandes rédactions de presse et le gouvernement à propos d’une page gouvernementale recensant les articles « de qualité » en témoigne : les médias se veulent indépendants du pouvoir et ont conscience du danger d’en être trop près, ils n’ont pas besoin que l’on estampille pour eux ce qui est vrai et ne l’est pas, c’est leur rôle et ils ne le laisseront pas s’éroder. S’éloigner des pouvoirs centraux pour se rapprocher des citoyens, de leurs auditeurs, lecteurs et autres s’est ainsi encore affirmé comme un enjeu majeur de l’information. Pendant la crise, les médias se sont recentrés sur des problématiques très proches des citoyens et ont joué un rôle de soutien important : ils ont montré leur rôle de service au public et leur valeur ajoutée pour rassurer, informer et décrypter. Plus proches des citoyens, mieux compris et perçus comme plus utiles, les médias ont enquêté, questionné et clarifié là où les citoyens étaient confinés, isolés et perdus : un vrai atout pour une société plus saine. Pour incarner cette posture, les médias ont massivement décidé d’offrir l’accès à leur contenu numérique, à l’image du Courrier International, de Canal+, de Majelan ou d’Ouest France, ce dernier mettant en place de nombreuses initiatives de collaboration en ligne, aidées par la portée de son édition papier. Dans la même lignée, les radios ont massivement maintenu leurs contenus en direct en dépit des chutes publicitaires, plutôt que d’avoir recours à la rediffusion, et ce souvent dans l’objectif de créer du lien par le biais d’interviews en live de personnes confinées (Radio France) ou de moment d’échanges directs entre des auditeurs et des experts et/ou politiques. 28
Tendance ancienne, beaucoup de médias ouvrent des espaces dédiés au blogging de façon à attirer le débat en leur sein au détriment des réseaux sociaux, à l’exemple du travail du Guardian avec la section Comment is Free ouverte aux journalistes externes, aux lecteurs et autres. Cette prise de risque, comme l’attestent les controverses suscitées par de nombreux articles dédiés au Covid sur Médiapart, est un signe à l’endroit des citoyens : les médias sont un lieu d’expression de tous où l’on questionne et on écoute. En outre, le ciblage, plutôt dénoncé lorsqu’il s’agit de publicité, permet aux médias d’atteindre des populations qui leur sont habituellement éloignées, souvent à cause des bulles créées par les algorithmes sociaux. On a vu notamment France Télévisions ouvrir un compte officiel sur l’application chinoise TikTok, très prisée des enfants et adolescents en Occident, et ce avec des codes orientés vers une population souvent éloignée de la télévision. Les réseaux sociaux, souvent désignés comme vecteurs principaux des fausses informations, ont été des moyens d’atteindre toutes les populations avec des informations de qualité et des appels à l’exigence en matière d’information. Facebook renvoie notamment vers le site de l’OMS tout en annonçant le lancement de sa « Cour suprême », WhatsApp bride le transfert massif de groupe en groupe de liens et messages, et ce pour éviter des comportements viraux liés à de fausses informations. On observe une montée en puissance du lien qui unit les médias et l’information aux nouvelles technologies, en tant que vecteur, mais aussi et surtout comme augmentation de qualité. FIG. 14 - Infographie de "DataViz" Un développement de la technologie sur l'expansion du virus au service de l’information À l’instar de l’expert, les médias se sont fortement appuyés sur les technologies au cours de cette période. Elles leur ont permis d’améliorer la qualité de l’information, des manières de la présenter et de la transmettre. La visualisation de données permet par exemple aux médias de se présenter comme des vulgarisateurs de l’information dense et quotidienne des chiffres du Covid : les notions de pics, de vagues, de décélération de l’augmentation, etc. appelaient des explications claires et visuelles. Le média affirme ici sa valeur ajoutée et devient Source : https://www.nytimes.com/interac- un acteur indispensable pour le citoyen : il compile tive/2020/03/22/world/coronavirus-spread. l’information, la source, la traite et la présente avec html pédagogie, un combo qu’aucun autre acteur ne dispense à la population avec une telle magnitude. L’exemple du New York Times avec les infographies How The Virus Got Out12 (illustration à gauche) ou The Workers Who Face The Greatest Coronavirus Risk13 a montré la puissance de la clarté conjuguée au storytelling journalistique. En France comme ailleurs, l’importance qu’ont eue les médias dans l’explication de la nécessité « d’aplatir la courbe » des contaminations a été centrale dans la prise de conscience de la population, pour accepter le confinement et respecter les règles qui en découlaient. 29
Vous pouvez aussi lire