BIENNALE DE L' EDUCATION ET DE LA FORMATION

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BIENNALE DE L’´EDUCATION ET DE LA FORMATION

                                       Biennale 5

   Auteur : DESJARDINS, François

          Les niveaux de compétences technologiques dans la formation
                        professionnelle en éducation
   Problématique
    Les deux dernières décennies ont vu une révolution technologique s'opérer dans notre
société avec des incidences importantes au niveau de notre relation à l'information et au
niveau des relations que nous entretenons entre nous. De nos jours, ce que l'on appelle
les nouvelles technologies sont essentiellement exploitées pour quatre types de tâches:
1. La communication: Une portion grandissante de la population utilise le courrier
   électronique pour s'échanger des messages et des documents, non seulement dans un
   contexte de travail, mais aussi de la maison entre les membres de la famille et les
   amis.     De plus, le médium numérique qu'est l'Internet permet aussi des
   communications écrites en temps réel entre individus ou en groupe. Finalement, on
   assiste aussi à l'émergence de la visioconférence qui permet à des interlocuteurs de se
   voir, de s'entendre ainsi que de partager un espace de travail, et tout ceci à distance
   (parfois d'un bout du globe à l'autre) en temps réel.
2. L'accès à l'information: Cette même population branchée à l'Internet exploite le Web
   pour accéder à une masse croissante d'information et de services en ligne. On n'a qu'à
   penser aux divers services bancaires et au grand nombre de marchands qui nous
   permettent d'effectuer une variété parfois surprenante de transactions en ligne et en
   toute sécurité.
3. La production d'information: Que ce soit l'usage du simple traitement de texte ou les
   présentations multimédiatiques, sans omettre l'installation et le maintien de sites Web,
   les emplois à l'intérieur desquels ces fonctions sont absentes, sont de plus en plus
   rares.
4. Le traitement de l'information : Cette fonction, qui d'ores et déjà était la première
   fonction des ordinateurs, demeure encore la plus importante en usage dans la société.
   Que l'on parle de l'usage des chiffriers en milieu financier ou des bases de données
   pour des inventaires dans plusieurs domaines, ces fonctions sont exploitées pour se
   créer une vision globale d'une situation et pour ensuite tenter de poser des hypothèses
   et de faire des projections de façon à éclairer les décisions qui s'imposent.
    La convergence naturelle de ces fonctions dans un seul type d'outils est déjà sur le
marché depuis longtemps. L'ajout de fonctions à ces systèmes, quoique issue de besoins,
provoque des changements profonds dans nos façons de concevoir l'accès et le traitement
de l'information et de la communication. Le défi de l'école est de préparer les jeunes à
cette nouvelle réalité changeante (Cartier, 1997)
Cependant, pour être en mesure d'utiliser ces outils ou avoir accès aux différentes
fonctions, il importe que l'usager ait construit les compétences techniques de bases.
Perçue comme étant le première barrière à franchir, les pressions sociales se font
d'ailleurs en ce sens à l'endroit de l'école.
     Ceci explique partiellement que les compétences et les habiletés relatives à
l'utilisation des ordinateurs, décrites dans les documents traitant de l'enseignement et de
la formation des enseignants au Canada et aux États-Unis, se réfèrent souvent aux
savoirs-faire techniques, c'est-à-dire au maniement des équipements et des logiciels
(Taylor & Wiebe, 1994; Thomas et al., 1994). Cependant au regard des habiletés qui
apparaissent comme nécessaires pour exploiter à bon escient les fonctions inhérentes aux
TIC dans tous les aspects de nos vies, les recherches sur les processus d'apprentissage
mettent aussi l’accent sur l’importance du développement des compétences de type
informatiques et médiatiques (Tardif 1999, Mendelsohn 1999, Perrenoud, 1998).
    Ceci présente un écart entre un regard à court terme de remédiation au manque perçu
de compétences d'ordre purement technique et un regard à plus long terme qui laisse voir
un besoin de compétences relevant de l'ordre d'une conscience sociale et d'habiletés de
penser, de décider et d'évaluer. Or, c'est à ce problème précis que notre projet de
formation tente de s'adresser.
    Objectif
    Afin de réduire cet écart entre la centration sur les compétences techniques et celles
d’un ordre supérieur, qui sont essentielles à l'intégration des technologies de
l’information et de la communication (TIC) dans les classes, l’objectif de la présente
recherche consiste à proposer un modèle de formation initiale professionnelle à
l'enseignement qui viserait le développement par les stagiaires, de trois types de
compétences en plus des habiletés techniques, c'est-à-dire les compétences d'ordre
didactique, social et enfin, épistémologique (Desjardins et al, 2000).
•   Compétence d'ordre didactique : l'ensemble des aptitudes et des capacités qui
    permettent à l'enseignant d'aider les élèves à tirer le maximum des informations et des
    ressources pédagogiques rendues accessibles par les TIC.
•   Compétence d'ordre social : l'ensemble des aptitudes et des capacités qui permettent à
    l'enseignant d'aider les élèves à développer les habiletés nécessaires pour interagir
    avec d'autres individus ou des groupes par l'entremise des TIC.
•   Compétence d'ordre épistémologique : l'ensemble des aptitudes et des capacités qui
    permettent à l'enseignant d'aider les élèves à tirer profit des capacités de traitement et
    de transformation d'informations de l'ordinateur et des capacités de simulation de
    processus traditionnellement attribuées au cerveau humain telles la construction et la
    gestion de savoirs.
    En visant le développement de ces compétences, un des objectifs de ce projet était de
concevoir un modèle de formation à l'enseignement primaire favorisant l'intégration de
l'ordinateur en apprentissage comme un extension de l'intellect (Desjardins, 1999:
Mendelshon, 1999, Jonassen, 1996) dans une approche constructiviste et de mettre en
place cette nouvelle approche pédagogique au sein du programme de la formation initiale
à la Faculté d'éducation. Cette approche a été instaurée dans l'optique de permettre aux
professeurs impliqués, de mettre en oeuvre une structure favorisant davantage la
construction des savoirs par les futurs enseignants. Des compétences d'abord induites par
le descriptif des cours du programme de formation, et ensuite repensées au regard de la
filière proprement dite, ont permis de cibler les schèmes d'action et les habitudes de
travail que l'on voulait voir développer chez la clientèle étudiante. Le développement des
compétences mentionnées face à l'intégration des TIC, devenait cependant l'une des
conditions premières de cette formation. Pour ce faire, les technologies sont considérées
comme des environnements d'apprentissage exploitables dans le processus de la
construction de la connaissance par l'apprenant (Jonassen , 1996, Wilson, 1996).
   Méthodologie
    Cette recherche s'est réalisée dans le cadre de la formation des futurs enseignants, en
partenariat avec des écoles affiliées, de 1997 à 1999. Elle consiste en une formation
inspirée du constructivisme guidé (Desjardins et al. 2000 ; Bélair, 1999), établie pour les
stagiaires et les enseignants-hôtes en formation continue.
    L’analyse qualitative de l’efficacité et de l’efficience de cette formation a été réalisée
à partir de journaux de bord, de groupes de discussion, d’observations de pratiques,
d’entrevues et d’analyses de réflexions et ce, du début à la fin de la formation. Ces outils
ont permis de dresser un profil pour chaque sujet en fonction des trois types de
compétences à acquérir.
   Résultats
    Un regard sur l'ensemble de ces profils permet de dégager une vue globale de
l'évolution des compétences des stagiaires face aux TIC suite à ces deux années
d'expérimentation.
    Pour chacune des compétences, une analyse des documents et des observations a été
effectué en fonction de critères tels pertinence, profondeur, envergure, etc. et pour chaque
critère, quatre niveaux de performance ont été identifiés par des indicateurs de
performance.
   Compétence d'ordre didactique :
     Quoique cette compétences ait été jugée par les étudiants comme étant d'une très
grande importance, la tendance initiale dans les travaux, était de décrire celle-ci du point
de vue exclusif de l'enseignement. C'est-à-dire de décrire comment l'enseignant pourrait
utiliser l'ordinateur pour enseigner. Dans les premiers ébauches d'une activité
pédagogique que les étudiants devaient produire, la majorité ont évoqué des applications
de l'ordinateur allant surtout dans le sens de la présentation, par l'enseignant, de leçon
avec des outils de projections. Les variances étaient centrées sur la forme du contenu à
présenter. Après une série d'échanges et de discussions autour de la question : «Que peut
faire l'apprenant avec ces outils?», plusieurs étudiants ont rapidement changé la direction
des projets vers des tentatives de descriptions de tâches que l'élève aurait à faire à l'aide
de l'ordinateur. Les premières tâches énoncées ont gravité autour de la recherche sur
l'Internet, des problèmes potentiels et des richesses à y découvrir. Ensuite, un bon
nombre dans chaque groupe ont proposé que les élèves présenteraient les résultats de
leurs recherches dans des diaporama informatisés ou dans des documents imprimés. De
ces groupes d'étudiants, certains ont évoqué des débuts de stratégies de recherche à
développer en classe avec des élèves avant de se lancer sur le web.
    Face aux compétences d'ordre didactique, les étudiants sont passés d'un point de vue
de l'usage de l'ordinateur comme outil d'enseignement à une perception de l'ordinateur
comme un outil de recherche permettant un accès rapide à une masse importante
d'information. Dans plusieurs cas, les activités proposées par les étudiants font état d'une
préoccupation pour le développement d'un sens critique chez leurs élèves en regard de la
pertinence et de la précision des informations retrouvées sur le web. Ces changements
illustrent surtout une prise de conscience, par les étudiants, de la logique de
l'apprentissage dans l'usage de l'ordinateur (Tardif, 1998).
   Compétence d'ordre social :
     À prime abord, la majorité des étudiants n'ont jamais considéré les implications d'une
telle compétence dans les échanges que des élèves pourraient avoir par le biais de
l'Internet, soit par courriel, visioconférence ou autre. Dans les groupes d'étudiants ayant
participé au projet de l'année 1998-1999, moins de 30% avaient une adresse courriel au
début de l'année scolaire et moins de 5% des étudiants affirmaient être conscients des
règles de l'étiquette à respecter dans l'usage du courriel. Des donnés similaires décrivent
les connaissances que les étudiants avaient au début de l'année au sujet de la sécurité et
de la confidentialité sur l'Internet. En exigeant que tous les échanges de documents entre
les étudiants et le professeur passent par les voies électroniques, ceux-ci se sont
rapidement tournés vers l'usage du courriel. À la fin de l'année, tous les étudiants avaient
une adresse électronique et plus de 70% de ces individus l'utilisaient plus d'une fois par
semaine. Aussi, moins de 5% des courriels reçus par le professeur comportaient des
erreurs reliées à la «nétiquette».
    Le problème de l'échange de documents aura facilement forcé les étudiants à se
joindre à la communauté des internautes (Cartier, 1997 ; DeRosnay, 1995) et l'usage du
courriel entre-eux, jumelés à deux discussions au sujet des problèmes survenus, aura à
son tour favorisé une conscientisation au respect d'autrui dans ce nouveau mode de
communication.
   Compétence d'ordre épistémologique :
    Cette dernière compétence a certe été la plus difficile à intégrer par les étudiants.
Cependant, une dizaine de projets sur vingt-quatre la première année et un peu plus de
60% des projets la deuxième année ont présenté des activités pédagogiques où l'élève
exploiterait véritablement les capacités de l'ordinateur pour des tâches telles la résolution
de problèmes, la vérification d'hypothèses, la construction de réseaux sémantiques, ou
pour la mise en place de relations entre éléments de connaissance. Ces activités
proposaient généralement aux élèves de traiter des données à l'aide du chiffrier
électronique ou d'une base de données afin de répondre à des problèmes ou encore afin de
valider des hypothèses. Quoique relativement simples, ces activités ont démontré que les
étudiants sont conscients de l'importance du développement de telles habiletés en milieu
scolaire et des stratégies pédagogiques qu'il s'agit de mettre en place pour y arriver.
     Globalement, les étudiants ont rapidement dépassé la vision du simple usage
technique comme objectif d'apprentissage à réaliser face aux technologies de
l'information et de la communication. Il est même certains qu'une prise de conscience
importante aura été effectuée en lien avec les compétences d'ordre social nécessaires à
l'évolution de la communauté virtuelle de l'Internet. Et finalement, on peut constater un
début d'intégration véritable de l'exploitation de l'ordinateur comme outil puissant
modifiant la façon de travailler et de penser.
   Le modèle de formation évoqué est toujours en expérimentation au sens où l'équipe
de professeurs cherche à former des enseignants qui seront autonomes face aux
changements rapides qui s'opèrent en société, et donc le modèle de formation ne peut
demeurer statique. Un regard critique constant est fondamental à la réflexion et donc à
l'évolution.

   Références.

Bélair, L.M. (1999). L’évaluation dans l’école. Paris : ESF éditeurs.
Cartier, M. (1997). Le nouveau monde des infostructures. Montréal : Fides
DeRosnay, J. (1995). L'homme symbiotique. Regards sur le troisième millénaire, Paris :
    Seuil.
Desjardins, F. J. (1999). La classe de 2025 : autonomie intellectuelle et interaction
     mondiale, In Bélair, M.L. L'éducation en 2025 ... Ottawa : CFORP, p. 149-173.
Desjardins, F., Bélair, L.M. & Boyer, J.-C. (2000). L’intégration de l’ordinateur à la
     formation à l’enseignement comme outil d’apprentissage dans un modèle de
     constructivisme guidé, Apprentissage et socialisation, vol. 21.
Jonassen, D.H. (1996). Computers in the classroom ; mindtools for critical thinking.
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Laguerre, C. (1999).       École, informatique et nouveaux comportements, Paris :
    L’Harmattan.
Mendelsohn, P. (1999). La place des TIC dans la formation professionnelle, Ottawa :
    ACFAS.
Perrenoud, Ph. (1998) Se servir des technologies nouvelles, L'éducateur, no.3-98,20-27
Tardif, J. (1998). Intégrer les nouvelles technologies : quel cadre pédagogique ?, Paris :
     ESF éditeurs
Taylor, H.G. & Wiebe, J.H. (1994). National standards for computer / technology
     teacher preparation: A catalyst for change in American education. Journal of
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Thomas, L.G., Wiebe, J.H., Friske, J.S., Knesek, D.G., Sloan, S. & Taylor, H.G. (1994).
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Wilson, B. G. (1996), “What is a constructivist learning environment”, in Constructivist
     learning environments : case studies in instructional design, Wilson, Brent, G.
     (Ed), Englewood-Cliffs, N.J., : Educational Technology Publications, p. 3 - 9.
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