CÉSAR DES LYCÉENS 2022 - Dossier pédagogique Auteur du dossier : Bamchade Pourvali - Eduscol

CÉSAR DES LYCÉENS 2022
                Dossier pédagogique

    Auteur du dossier : Bamchade Pourvali

Ce dossier pédagogique est édité par la Direction générale de l’enseignement scolaire, avec
l’expertise de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche dans le cadre
du César des Lycéens 2022.
Pour fédérer les jeunes générations autour du cinéma français et continuer à en faire un
mode d'expression privilégiée de leur créativité, l'Académie des Arts et Techniques du
Cinéma et le ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports s'associent
pour mettre en place le César des Lycéens, qui s’ajoute, depuis 2019, aux prix prestigieux
qui font la légende des César.
Cette opération est organisée en partenariat avec la fédération nationale des cinémas
français (FNCF), le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et l’entraide du
cinéma et des spectacles.
En 2022, le César des Lycéens sera remis à l’un des sept films nommés dans la catégorie
« Meilleur Film », à travers le vote de près de 2 000 élèves de classes de terminale de
lycées d’enseignement général et technologique et de lycées professionnels.
Le César des Lycéens sera remis le 7 mars à la Sorbonne lors d’une cérémonie, suivie d’une
rencontre entre les lycéens et le lauréat, retransmise en direct auprès de tous les élèves
participants.

En savoir plus :
http://eduscol.education.fr/cid129947/cesar-des-lyceens.htm

Auteur du dossier : Bamchade Pourvali
© Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, 2022

La Fracture
Réalisation : Catherine Corsini
Distribution : Le Pacte
Production : Élisabeth Perez
Avec : Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmaï, Aissatou Diallo Sagna
Durée : 1h38
Sortie : 27 octobre 2021

                          César des Lycéens 2022 – La Fracture - 1

Synopsis
Au cours d'une nuit de décembre 2018, Raf, dessinatrice, au bord de la rupture avec sa
compagne Julie, éditrice de bande-dessinée, se fracture le bras et se retrouve aux urgences
d'un grand hôpital parisien. Dans le même temps, Yann Caron, chauffeur routier révolté,
arrive blessé d'une manifestation de Gilets Jaunes. Ces trois personnages vont se retrouver
confrontés à une atmosphère pesante et troublée dans un service hospitalier en saturation.
La nuit qu’ils vont passer aux urgences, où travaille l’aide-soignante Kim, fait voler en éclats
leurs certitudes et préjugés alors qu’à l’extérieur la tension monte entre forces de l’ordre et
Gilets Jaunes.

Entrée en matière

Après La Belle Saison (2015) et Un amour impossible (2018), deux films situés
chronologiquement dans la France des années 1970 et dans celle des années 1950,
Catherine Corsini renoue avec la réalité du monde contemporain en se rapprochant des
questions qui agitent la société française depuis novembre 2018. Elle retrouve ainsi le genre
de la comédie qui l’avait fait connaître dans les années 1990 avec La Nouvelle Ève (1999)
avant que son cinéma ne prenne un tournant plus introspectif et mélancolique. Ce retour à la
comédie s’inspire d’une histoire authentique qui lui est arrivée, le samedi 1er décembre
2018, au moment du troisième Acte des Gilets Jaunes. Victime d’une chute accidentelle, elle
est admise à l’hôpital de Lariboisière. Au même moment, les manifestations s’intensifient à
Paris, Place de l’Étoile, entraînant l’arrivée de nombreux blessés. Dans cette conjoncture, la
cinéaste imagine pour son film la rencontre de plusieurs personnages durant 24 heures au
sein des urgences de l’hôpital tandis que les chaînes d’information retransmettent des
images d’incendies et d’échauffourées. Comment faire comprendre une réalité non pas à
travers des chiffres et des statistiques mais par des visages et des histoires personnelles ?
Comment instaurer un nouveau dialogue entre les différentes parties d’une société qui se
déchire ? Quelle peut être la place du cinéma dans un monde saturé de sons et d’images qui
finissent par nous rendre insensibles ? Comment éviter la sidération et à travers le rire
permettre une réflexion ? Le film tente de répondre, en actes et en situations, à ces
questions.

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Matière à débat

Un titre polysémique
Le titre La Fracture fait référence à l’expression utilisée par Jacques Chirac lors de la
campagne présidentielle de 1995. Le futur candidat victorieux déclarait ainsi au Journal
télévisé de France 2, le 22 mars 1995 : « […] la fracture sociale qui s’élargit aujourd’hui,
depuis déjà un certain temps, et qui se traduit par un chômage, par de l’exclusion de plus en
plus importants, […] est de nature à inquiéter et […] peut être de nature à exaspérer. »
L’expression est cependant plus ancienne remontant au 11 décembre 1990 dans une tribune
publiée dans le journal Le Monde par une douzaine de députés socialistes préoccupés par la
situation du pays. La fracture dans le film désigne plusieurs réalités. Reliant l’intime et le
politique, elle est aussi bien amoureuse, physique que sociale. Au début du film, la
séparation entre Raf et Julie s’exprime par textos. Ne trouvant pas le sommeil, l’amoureuse
délaissée sature de messages sa compagne qui, indifférente, dort à ses côtés. Au même
moment, nous voyons Yann et Loïc remonter en camion de Nîmes à Paris. Comment ces
vies vont-elles se croiser ? L’hôpital sera ce point de jonction. Si Raf, après sa chute, reste
fidèle à son obsession amoureuse pour Julie, elle va cependant s’ouvrir également aux
autres. Il est intéressant de noter que la réalisatrice se représente sous les traits d’une
dessinatrice en partie empêchée dans son art par l’état de son bras droit. La Fracture
pourrait se définir comme un film tourné dans « l’urgence », de « la main gauche », en
référence à la blessure de Raf du côté droit. L’expression doit alors s’entendre moins au
sens d’un film négligé, pour lequel la cinéaste n’aurait montré que peu d’intérêt, que d’une
œuvre qui assume ses défauts et affirme pleinement son engagement politique aux côtés
des laissés-pour-compte de la société. La cinéaste va chercher à instaurer un dialogue entre
des personnages différents. Le sentiment d’une absence d’écoute est souligné à plusieurs
reprises. « Je veux qu’on m’écoute », dit Raf à Julie. « Ne l’écoute pas », dit Julie à son fils
au sujet des inquiétudes de Raf concernant les manifestations. Julie, qui pense ainsi avoir un
ascendant sur son fils, s’apercevra plus tard qu’Eliott préfère appeler Raf plutôt que ses deux
parents, Julie et Valérie. « Moi, ce que je voulais, c’est que le président nous écoute ! »
répètera Yann dans son fauteuil roulant. C’est pour avoir cherché à dialoguer avec un
policier qu’il s’est retrouvé à l’hôpital. Raf, « la bourgeoise » de gauche, d’après Yann, et
Yann, le « prolo » de droite, selon Raf, finissent par s’entendre au sein de l’hôpital. La
cinéaste joue de manière habile sur la symétrie des deux personnages. Alors que Raf est
blessée à la main droite, Yann l’est à la jambe gauche. Elle doit renoncer à son manteau
Agnès B, qui selon Julie sent le vomi, et lui à son jean taché de sang et impacté d’éclats de
grenade mais qui aurait encore pu servir, à l’en croire. « Ton ami pauvre », dira avec
condescendance Julie à Raf en parlant de Yann sans que l’on sache s’il ne s’agit pas ici
d’une scène de jalousie. La relation entre la dessinatrice et le routier est parsemée de
rapprochements et d’éloignements sans que jamais ne se rompe le dialogue. Yann, qui se
montre intransigeant envers Raf, l’accusant de mépris de classe… et d’avoir voté Emmanuel
Macron, viendra sans hésiter à son aide lorsqu’elle tombera de son brancard dans la pièce
d’à côté. Ce duo improbable assistera même une femme enceinte pour lui prodiguer les
premiers conseils d’accouchement. À travers leur approche, le film souligne un dialogue
possible entre des personnages que tout semble opposer. Les fractures peuvent ainsi être

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résorbées, selon la réalisatrice. Le film nous montre la diversité de la société française à
travers des visages de toutes les couleurs, des accents de toutes les provenances
(régionaux ou étrangers), mais aussi par l’absence d’un modèle familial unique. Julie a quitté
Valenciennes pour vivre à Paris et est la mère biologique d’Eliott qu’elle a désiré et mis au
monde quand elle vivait avec son ancienne compagne Valérie. Laurent Maillard, l’ami
retrouvé, a épousé Mélanie, rencontrée au lycée, et est le père de quatre filles. Raf n’a pas
d’enfant mais s’occupe avec Julie d’Eliott. Enfin, Yann, célibataire, est sans enfant et vit avec
sa mère à Nîmes.

Une nuit à l’hôpital
Construit en vingt-quatre heures en s’intéressant au passage de la nuit du samedi 1er au
dimanche 2 décembre, La Fracture transforme l’hôpital en rond-point où se rencontrent dans
un huis clos, animé et déluré, différents destins solidaires, malgré eux, le temps d’une nuit.
Le film nous fait découvrir le protocole de la prise en charge des patients à l’hôpital, le
formulaire qu’ils doivent remplir, le bracelet orange ou rouge qu’ils reçoivent selon le degré
de priorité de leur prise en charge, la promiscuité de la salle d’attente et l’isolement des
boxes individuels. Ce n’est pas tant les blouses blanches des médecins qui intéressent la
réalisatrice que les blouses bleues des infirmiers et infirmières dont fait partie Kim. Le film a
fait appel à de véritables aides-soignants qui reproduisent à l’écran les gestes qu’ils
pratiquent quotidiennement. Pour éviter l’aspect théâtral du huis clos et traduire au plus près
l’état d’urgence du service hospitalier, la cinéaste a également opté pour une caméra mobile,
en alerte, toujours sur le qui-vive, se déplaçant sans cesse comme les aides-soignants. Le
hors-champs sonore et les plans de coupe permettent de passer d’une histoire à l’autre avec
une grande fluidité sans perdre le spectateur qui suit ainsi plusieurs récits simultanément.
Comme elle le rappellera, Kim enchaîne sa sixième nuit de garde d’affilée alors qu’elle n’est
autorisée qu’à trois nuits par semaine. Mais elle n’a pas le choix, dit-elle, compte tenu du
sous-effectif. Elle sacrifie ainsi une partie de sa vie privée, laissant à son compagnon la
charge de leur fillette, quand bien même celui-ci serait dépassé par la situation. Ce qui rend

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cette nuit du 1er décembre inédite, c’est l’afflux de patients présentant des « blessures de
guerre » avec des mains sectionnées, des yeux crevés, des jambes ensanglantées pour
avoir participé aux manifestations. Dès le début de la soirée, l’ordre a été donné au
personnel d’identifier les Gilets Jaunes. Cette directive ne sera pas suivie par tous les
soignants. Le film montre les conséquences de cette tension sur l’état psychique des
patients, qu’il s’agisse d’Adrien, le schizophrène, persuadé qu’il est recherché par la police et
que Kim l’a dénoncé, ou d’Élodie, la manifestante, traumatisée par la charge policière qu’elle
a subie.

 « Urgences en souffrance »
En inscrivant son action dans un hôpital, La Fracture rappelle une crise qui précéda celle des
Gilets Jaunes et qui sera à nouveau mise en lumière avec la Covid 19. En effet, bien qu’en
grève depuis plusieurs mois, les aides-soignants continuent leur travail. « Urgences à bout
de souffle », lit-on au dos d’une infirmière ; « Soignants épuisés = patients en danger », dit
un panneau, ou encore : « L’hôpital n’est pas une usine ». À ces slogans répondent d’autres
inscriptions informatifs : « Attente 8-10 heures pour voir un médecin en Urgences. Merci de
votre compréhension ». Comment ne pas être frappé par l’absurdité de ces mots. Cette
situation est à l’origine de scènes de comédie comme lorsque Raf doit passer une radio avec
une soignante peu expérimentée qui transforme l’appareil d’auscultation en instrument de
torture involontaire soulevant brusquement Raf du sol et la rabaissant aussi violemment. Le
rire souvent nerveux que provoque le film s’accompagne de scènes de grande tension
comme le siège de l’hôpital par les forces de l’ordre ou l’agression de Kim par Adrien. On
comprend alors le désarroi des soignants exprimé par la jeune femme qui déclare penser à
quitter ce métier qu’elle aime pourtant : « Si tout le monde s’en va, ils vont peut-être enfin
comprendre que quelque chose ne va pas », dit-elle. Regrettant de : « donner de sa
personne, tout le temps, tout le temps, tout le temps… Et de pas sentir qu’on nous respecte,
ni nous ni notre travail. » Au petit jour, le calme semble revenu. L’Acte III des Gilets Jaunes
est clos. Les commerçants peuvent retirer les façades en bois de leur boutique et Raf et
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Julie regagner leur domicile. Quelques heures auparavant, Yann avait pu quitter l’hôpital en
troquant son gilet jaune contre une blouse blanche. Le film semble se terminer sur une fin
heureuse. Mais la comédie va à nouveau être rattrapée par le drame. Si Raf abandonne à la
fin du film le brancard pour un fauteuil roulant rappelant celui dans lequel se déplaçait Yann,
le routier retourne, quant à lui, au service des urgences mais cette fois-ci sur un brancard,
gravement blessé pour avoir voulu reprendre la route. La violence de l’accident ne semble
laisser aucun doute sur l’issue probable de l’opération comme le soulignent les larmes de
Kim. La seule interrogation qui reste au terme du film concerne la jeune femme. Quittera-t-
elle l’hôpital ? Ou continuera-t-elle à y travailler malgré ces conditions difficiles car c’est sa
vocation de venir en aide aux patients et qu’elle ne peut envisager sa vie autrement ?

Prolongements pédagogiques

Éducation à l’image
Sur une affiche reproduisant une photographie en noir et blanc avec la main d’un patient et
celle d’un infirmier, on peut lire : « L’humain passe par les mains ». À de nombreuses
reprises, le film souligne les gestes de soin et d’attention de Kim envers les malades à
travers des gros plans sur ses mains en action : mains qui réconfortent, massent, coupent,
plâtrent, nettoient. Ces gestes, qui sont des gestes d’amour, seront proches de ceux de Julie
envers Raf quand elle sortira de l’hôpital, l’aidant à mettre son manteau qu’elle lui offre,
nouant autour de son cou son écharpe qu’elle lui donne avant de pousser son fauteuil. On
s’intéressera à cette symbolique des mains et la manière pour la cinéaste de les filmer en
s’attardant sur la précision et l’implication des gestes.

Lettres
Le service des urgences filmé par Catherine Corsini s’apparente à une véritable arène, cour
des miracles, où se croisent des personnages à la fois drôles, émouvants et pathétiques. On
s’interrogera sur les différentes formes de comiques utilisées dans le film : le comique de
gestes, de mots, de situation, de caractère, de répétition. On s’intéressera aussi au mélange
des genres auquel se livre la cinéaste, passant de la comédie au drame. On relèvera plus
particulièrement les moments où se produisent ces changements de registres et la manière
dont la cinéaste traduit à l’image le passage d’un genre à l’autre, notamment dans les
dernières images où le fauteuil de Raf, poussé par Julie, croise sans le savoir l’ambulance
transportant Yann. Le spectateur ne réalise pas immédiatement que le registre du film a
changé. L’arrivée du routier à l’hôpital laisse aussi un doute sur la manière d’appréhender la
scène. On ne comprend vraiment qu’avec les larmes de Kim que nous sommes dans la
tragédie.

Éducation morale et civique
À moins d’un an de l’élection présidentielle d’avril 2022, La Fracture, présenté en compétition
officielle au Festival de Cannes en juillet 2021, recense les maux de la société française. Au
début du film, on peut lire sur un drapeau tricolore, avec au centre un simley jaune, les
lettres RIC qui renvoie à une des revendications des Gilets Jaunes : le « Référendum
d’Initiative Citoyenne » permettant de faciliter la consultation du peuple, sans associer le
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Parlement en amont, comme c’est le cas pour le référendum « d'initiative partagée ». On
s’interrogera sur la pertinence de cette mesure en réfléchissant sur les notions de
démocratie représentative et de démocratie directe. La place du cinéma comme art de
représentation sera aussi interrogée comme lieu où peuvent s’exprimer une réalité et des
problématiques en relation plus ou moins symbolique avec la société.

Références :
Urgences (1994-2009), H (1998-2002), Hippocrate (2018-2020), de nombreuses séries se
sont intéressées à l’hôpital depuis les années 1990 utilisant une forme chorale que La
Fracture retrouve. Si les Gilets Jaunes ont fait l’objet de plusieurs documentaires : Je veux
du soleil (François Ruffin, Gilles Perret, 2019), Un pays qui se tient sage (David Dufresne,
2020), La Fracture est cependant la première fiction à aborder ce sujet. Deux films d’action
américains en huis clos servirent de modèle à la réalisatrice : Un après-midi de chien (1975)
de Sidney Lumet et Assaut (1976) de John Carpenter. Enfin, le cinéma italien, et plus
particulièrement les films de Nanni Moretti, constituèrent un modèle de comédie sociale et
politique.

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