CAPITALISME, ESCLAVAGE ET SUCRE À CUBA

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CAPITALISME, ESCLAVAGE
                            ET SUCRE À CUBA
                                                             − 1886)
       Émergence, essor et déclin de l’esclavage cubain (1511−

                                Rémy HERRERA
                                    CNRS *

       Cette contribution examine successivement : les origines, l’essor et
l’effondrement du système esclavagiste à Cuba, des origines à la fin du
XIXème siècle.

       L’apparition de l’esclavage à Cuba

       Les esclaves noirs africains ont très probablement été introduits à
Cuba dès la conquête de l’île, en 1511, pour y travailler dans les mines d’or.
Ce qui est sûr, c’est que, dès les toutes premières années, les grands
propriétaires fonciers bénéficiaires des distributions de terres et de
travailleurs indiens sous le régime de l’encomienda (qui se trouvent être
aussi les concessionnaires des mines) ont demandé officiellement au roi
d’Espagne l’autorisation de déplacer vers Cuba des esclaves déjà déportés
(sans doute dès 1493) à Hispaniola. Des licences d’importations de
travailleurs esclaves sont donc accordées, et régulièrement distribuées, aux
oligarchies minières et foncières. Le cycle de l’or à Cuba, c’est la période
1511-1540 ; avec un pic en 1525. Mais, l’effondrement démographique de
la population indigène amérindo–cubaine est tel (peut-être plus de 200 000
individus en 1510, à peine 15 000 en 1530) que les représentants des classes
dominantes originelles réclament l’accroissement des flux migratoires de
travailleurs forcés indiens (des Caraïbes), et surtout esclaves (d’Afrique).

*
   Chargé de recherche au CNRS, économiste, UMR 8595 (MATISSE) du CNRS, Université
de Paris 1 Panthéon–Sorbonne, Maison des Sciences économiques, 106-112 boulevard de
l’Hôpital, 75013 – Paris, France. Tél : 01 44 07 81 79. E–mail : herrera1@univ-paris1.fr.

Ce travail a fait l’objet de deux communications orales, l’une au séminaire de l’Association
pour l’Étude de la colonisation européenne (La Sorbonne, 1999), l’autre à la conférence
« France et Amériques au temps de Jefferson et Miranda » (La Sorbonne, 7 octobre 2000).
L’auteur remercie ici vivement les organisateurs de ces rencontres, tout spécialement Yves
Bénot et Marcel Dorigny, ainsi que Françoise Rivière pour son aide et ses conseils.

                                             1
Les premières grosses cargaisons d’esclaves, par centaines, arrivent à Cuba,
à partir des années 1520. Très tôt donc, des Indiens et des Africains vont
travailler côte à côte dans les mines. Très tôt aussi, les révoltes : la première,
unissant travailleurs esclaves et forcés, africains et indiens, éclate en 1525
 l’année de l’écrasement des révoltes paysannes en Allemagne  et ne
sera totalement écrasée qu’en 1532. Dès le début, et le temps du pillage des
mines (d’or, puis de cuivre), les Noirs sont, en termes relatifs, nombreux à
Cuba ; même si les déportations restent irrégulières.
   Après cet essor initial, le trafic négrier vers Cuba se stabilise durant plus
d’un siècle, en phase avec l’entrée de l’économie cubaine dans une longue
période de stagnation, entre approximativement 1600 et 1750. Mais les
déportations ne cessent pas : selon Perez de la Riva1 , de 1540 à 1670, au
moins 300 Noirs arrivent en moyenne chaque année à Cuba. Aimes2 évalue
à 60 000 personnes la population africaine déportée (et arrivée vivante) à
Cuba de la conquête à 1760  mais cette estimation paraît sous-évaluée,
compte tenu du fait que le passage de l’asiento entre les mains des négriers
français, puis anglais, accroît très sensiblement les flux de déportés (bien
que les Anglais se soient régulièrement plaints par voie diplomatique auprès
des autorités espagnoles, après 1713, des trop faibles quantités d’esclaves
commandés par les planteurs cubains). Au XVIIème siècle, les esclaves ne
sont plus envoyés dans les mines, mais : en ce qui concerne les hommes,
vers les grands domaines latifundiaires d’élevage (Cuba produit alors du
cuir), mais surtout vers les cultures destinées à l’exportation : tabac, indigo,
plus tard café, et bien sûr — sans doute dès 1511 — le sucre (la canne à
sucre a peut-être été introduite dès le second voyage de Colomb à Cuba, en
1494) ; pour ce qui est des femmes, elles seront souvent domestiques, ou
louées comme prostituées par les bourgeoisies urbaines.
    L’essentiel est que, si l’esclavage est introduit et fait système à Cuba dès
la Conquista, son extension sur grande échelle est étroitement liée à l’essor
de la production du sucre à Cuba ; c’est-à-dire en fait (c’est le tournant
historique–clé) à la montée en puissance des grands propriétaires fonciers
sucriers et à leur stratégie de connexion au marché mondial. Et cette
stratégie sera celle d’une insertion de la colonie périphérique cubaine, en
position dominée mais extrêmement dynamique, dans l’économie–monde
capitaliste ; stratégie opérée par une alliance à l’échelle mondiale entre
classes dominantes créoles (à Cuba, les grands propriétaires fonciers et les
1
  Perez de la Riva, J., 1977, « Cuba : la Formation du paysage économique », in
Connaissance du Tiers Monde, Cahiers Jussieu, UGE, Paris.
2
  Aimes, H., 1907, A History of Slavery in Cuba 1511-1868, Octogon Books inc.,
New York.

                                        2
grands marchands urbains) et les classes sus–dominantes du centre (les
classes dirigeantes espagnoles, mais aussi et surtout les classes
« hégémoniques », anglo-américaines).

         Esclavage et sucre

        Ce qu’il faut donc repérer, c’est l’importance tout à fait fondamentale
pour Cuba de cette « spécialisation » dans le sucre, qui intervient entre 1750
et 1850, et qui va faire d’elle, dès 1840–1850, le plus grand producteur de
sucre au monde. Et la base de cette production, ce sera la surexploitation du
travail esclave, sur une si grande échelle qu’elle va encore plus massivement
déformer la structure de classes de la colonie, en divisant profondément,
fonctionnellement, son prolétariat « multiracial », en hiérarchisant les
différentes fractions de ce prolétariat selon un critère de race et par
l’institution des statuts de la « pureté de la race », et en complexifiant le
processus de constitution de la « nation » cubaine.
   Donc, si c’est l’or qui attirent les Européens hors de la Méditerranée,
c’est le sucre qui restera sur leurs routes, comme la séquelle de cette
expansion originelle ; et, avec les plantations de cannes, l’esclavage, comme
un élément compatible avec le capitalisme et la formation des mécanismes
de transfert du surplus de la périphérie vers le centre de l’économie–monde
capitaliste (comme l’a montré Amin3 ), et même comme un élément
constitutif fondamental du capitalisme dans sa phase d’accumulation
primitive (comme Marx l’a démontré, dans plusieurs chapitres essentiels du
Capital4 , et aussi dans les Grundrisse5 ). Ne jamais oublier que les États-
Unis restent capitalistes et esclavagistes au Sud (et sur quelle échelle !)
jusqu’en 1865, bien plus tard que tous les autres pays américains
(exceptions faites de Cuba, et du Brésil).
    L’histoire du commerce du sucre est celle d’une lente translation des
échanges de l’Inde (principal producteur jusqu’au XVème siècle) vers la
Méditerranée, sous l’impulsion des marchands perses, puis arabes, puis
italiens, Vénitiens surtout, qui détiennent dès la fin du XIVème siècle un
quasi monopole pour le commerce sucrier et la proto-industrie du raffinage,
et qui vont peu à peu contrôler aussi les centres de production. Car la
réapparition de l’esclavage en Europe, que l’on peut dater du tout début du
XVème siècle et localiser dans les îles méditerranéennes (Chypre, Malte, plus

3
    Amin, S., 1970, L’Accumulation à l’échelle mondiale, UGE, Paris.
4
    Marx, K., 1993, Le Capital, Livre premier, PUF, Paris.
5
    Marx, K., 1980, Manuscrits de 1857-1858 - Grundrisse, Éditions Sociales, Paris.

                                               3
tard la Sicile), est liée à cette émergence du capital marchand et à la
combinaison : d’une part d’un système de cultures de plantations sucrières,
largement travaillistiques, à la fois complètement fermées sur elles-mêmes
(démonétisées) pour fixer par la violence extrême la main d’œuvre et en
même temps produisant une marchandise–clé, et donc totalement ouvertes
sur le marché mondial (Italie du Nord, Hanse, Flandres) ; et d’autre part
d’une structure de propriété de la terre associée à la reconquête chrétienne et
à la formation du capitalisme primitif.
    Ce seront bien sûr les grandes expéditions maritimes ibériques, dans le
mouvement de la Reconquista, qui déplaceront les plantations sucrières de
la Méditerranée vers les îles de la circumnavigation de l’Afrique (à Madère,
où Colomb est propriétaire de plantations et d’esclaves), vers les îles
atlantiques où la culture de la canne ne se fera plus que sur une base
exclusivement esclavagiste, des travailleurs esclaves noirs africains
exclusivement ; ensuite vers le Brésil ; enfin vers les Caraïbes, dans les
possessions hollandaises (Anvers remplace Lisbonne pour le raffinage au
début du XVIIème siècle), puis anglaises (la Barbade, puis la Jamaïque) et
évidemment françaises (Haïti). Haïti est en 1789 le plus gros producteur
mondial de sucre, sur la base d’une structure de classes extraordinairement
difforme, composée à 90% d’esclaves noirs et imposée par un système
pathologiquement hyper–répressif  ou, pour le dire avec Yves Bénot une
« démence coloniale »6 ). C’est Cuba qui va prendre la suite d’Haïti pour
la production du sucre. Et c’est le sucre qui va structurer toute l’histoire de
la Cuba moderne, et jusqu’à aujourd’hui, où, dans une large mesure, la
Révolution socialiste n’a pas pu, malgré ses efforts et les progrès réalisés,
rompre totalement avec les structures de cette spécialisation forcée,
transmises par le passé colonial et impérialiste.

      Les causes externes de l’essor du système esclavagiste

       Reste à comprendre comment les structures de la formation sociale
cubaine ont pu être façonnées par le sucre (ou plutôt par les sucriers),
attachées au marché mondial et soumises aux intérêts du centre capitaliste,
espagnols, puis anglais (Anglais qui sont les plus gros négriers de l’histoire),
et finalement nord–américains (Nord–Américains qui sont les plus gros
esclavagistes de l’histoire). Nous soutiendrons ici la thèse que, si
l’esclavage des travailleurs noirs africains a été massivement développé à

6
  Bénot, Y., 1992, La Démence coloniale sous Napoléon, La Découverte, Paris ; et 1987,
La Révolution française et la fin des colonies, La Découverte, Paris.

                                          4
Cuba, par une alliance entre classes dominantes, et si Cuba a été spécialisée
par ces mêmes classes dominantes dans la mono–production de sucre
(premier producteur mondial dès 1840-1850, et jusqu’à une époque très
récente), c’est que plusieurs chocs exogènes l’ont imposé, en plaçant la
colonie, à la fin du XVIIIème siècle, par à-coups successifs brutaux, sur une
trajectoire périphérique de spécialisation productive particulièrement
dynamique, mais extrêmement violente pour son prolétariat (son prolétariat
noir surtout), durablement désarticulante et profondément handicapante
pour son mode de développement en longue période.
   On pense un moment que le redressement de l’Espagne au
XVIIIème siècle va redynamiser sa colonie ; mais la métropole glisse dans la
« semi–périphérie » européenne de l’économie–monde capitaliste (pour
reprendre la terminologie de Wallerstein7 ). Les chocs exogènes que nous
identifierons ici, au nombre de trois, devaient être autrement plus puissants.
    Le premier de ces chocs exogènes est la prise de La Havane par les
Anglais, en 1762. L’occupation militaire anglaise ne dure que 10 mois, mais
son impact est énorme : Cuba compte environ 30 000 esclaves en 1760
(après 2 siècles et ½ de colonisation), les Anglais en introduisent (d’après
Pino–Santos8 ) près de 15 000 en 10 mois, à partir de leurs marchés négriers
de Virginie, de la Jamaïque, de la Barbade, contrôlés depuis Londres,
Liverpool et Bristol, ce qui provoqua, par cette injection soudaine de
« capital » (une forme toute particulière de « capital humain »), un
changement d’échelle du système esclavagiste à Cuba. Avant 1760, six
bateaux étaient enregistrés par an à l’entrée du port de La Havane ; ils seront
plus de 200 en 1763, surtout nord–américains. Une brèche s’ouvre dans le
monopole colonial, qui jamais ne se refermera. En 1778, le commerce est
« libéré ». Pour répondre à la demande croissante de l’Europe en général, et
de l’Espagne en particulier, les productions cubaines d’exportations
augmentent alors fortement : celle du sucre naturellement (dès 1779, les
quantités de sucre exportés par Cuba vers l’Espagne couvrent la quasi
totalité de la consommation intérieure de cette-dernière), dont l’essor
demeure toutefois encore borné par le fait que l’Angleterre dispose de ses
propres sources d’approvisionnement et entend ne pas les menacer ; mais
pas uniquement celle du sucre, car l’Europe  et d’abord l’Angleterre  a
aussi besoin de cuir, de bois, de tabac, biens alors très demandés. Et pour
suivre le rythme imposé par les forces du marché mondial aux productions

7
  Wallerstein I., 1980, Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, Flammarion, Paris.
8
  Pino Santos O., 1964, Historia de Cuba – Aspectos fundamentales, Editorial
universitaria, La Habana.

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pour l’exportation, il faut à Cuba des travailleurs, en plus grand nombre :
des déportations massives d’hommes et de femmes esclaves d’Afrique
fourniront aux grands propriétaires terriens la main-d’œuvre nécessaire. Les
exportations cubaines sont multipliées par deux entre 1763 et 1774, par 20
entre 1763 et 1790 : ce n’est pas là le signe d’une « croissance »
économique, mais bien celui d’une dépendance.
    Le deuxième choc exogène qui touche Cuba est la connexion, après
1776, au marché des États-Unis, proche, vaste, très dynamique. Mais cette
connexion correspond à un basculement de Cuba dans une nouvelle
dépendance, économique, en un sens beaucoup plus prégnante que la
dépendance politique coloniale. Cuba devient dans le même mouvement le
premier marché extérieur des États-Unis. Et des liens étroits se nouent entre
classes dominantes cubaines (foncières et marchandes) et classes sus–
dominantes nord–américaines (des industriels, des négociants, des
armateurs). Quelle est la nature de ces liens économiques ? Une nature en
réalité assez singulière : les Nord–Américains achètent à Cuba du sucre,
brut, non transformé, pour leurs raffineries industrielles de la côte Est ; et,
en échange, ils lui fournissent de quoi produire ce sucre, et d’abord des
moyens de production, en l’occurrence : des esclaves, en grand nombre,
payables à crédit sur les exportations futures de sucre ; du matériel agricole ;
et puis des denrées alimentaires pour alimenter les captifs ; et encore des
caisses et des sacs, pour les remplir de sucre à exporter. A partir de 1778, les
navires marchands américains entrent en commerce de droiture, libres de
toute entrave et de toute taxe, dans les ports cubains. L’indépendance
américaine a coupé les États-Unis des sources sucrières britanniques
traditionnelles, et contribué ainsi à les connecter étroitement à Cuba. Les
relations commerciales cubano−américaines vont encore se resserrer entre
1790 et 1815 : la neutralité des États-Unis pendant les guerres européennes
suivant la Révolution française va faire d’eux l’intermédiaire
d’import−export pour le transport et la distribution du sucre cubain sur le
marché mondial.
   Le troisième choc qui frappe Cuba (et pas seulement économiquement)
est la guerre d’indépendance d’Haïti, qui, en détruisant la base systémique
esclavagiste haïtienne, élimine avec elle le principal concurrent sucrier sur
le marché mondial, et provoque à Cuba une expansion fulgurante des
productions et des exportations de sucre. Cuba pourra en effet produire du
sucre, massivement, et exporter ce sucre, massivement, parce que la guerre
haïtienne a fait décupler les prix sur les marchés européens, ruiné son plus
grand rival, et provoqué le départ des planteurs français, qui seront peut-être

                                       6
10 000 à immigrer vers Santiago de Cuba et à s’implanter sur les terres de
                        l’Oriente. Ces derniers emmenèrent avec eux leur capital, en monnaie,
                        machines et esclaves (au moins 10 000), leur technique, à l’époque à la
                        pointe de l’agronomie tropicale, et leur réseau commercial et financier, fait
                        de connexions puissantes avec les marchands et les banquiers européens
                        jusque-là inaccessibles ou hostiles aux exportateurs cubains : à Bordeaux, à
                        Marseille, à Paris ; mais aussi à Londres, à Milan, à Amsterdam. Ces
                        immigrés français de premier choix  rejoints par les grands propriétaires
                        espagnols émigrant de la Louisiane rachetée par les États-Unis en 1800 
                        sauront bientôt constituer une force des plus réactionnaires à l’appui des
                        intérêts des sucriers cubains, dans leurs efforts acharnés pour maintenir et
                        prolonger jusqu’au bout le système esclavagiste à Cuba. Le « modèle »
                        d’exploitation caribéen perdure dans le temps en se déplaçant dans l’espace.
                        Mais il perdure, dans les premières décennies du XIXème siècle, dans un
                        contexte économique international en plein bouleversement, en raison
                        notamment de la découverte d’une seconde source de sèves saccharifères à
                        haut rendement disponible en Europe (la betterave).

                              Les causes internes de l’essor du système esclavagiste

                             Si puissants qu’ils aient été, ces chocs n’auraient pas pu produire leurs
                      effets — c’est-à-dire métamorphoser les structures sociales de Cuba — s’ils
                      n’avaient pas interagi et été amplifiés par des conditions proprement
                      endogènes à la colonie cubaine : des conditions physiques (d’ordres
                      topographique, climatiba                                — s’ils
      n’avaient pas interagi et été amplifiés par des conditions proprement
      endogènes à la colonie cubaine : des conditions physiques (d’ordres
      topographique, climatiba                                — s’ils
 pas interagi et été amplifiés par des conditions proprement
s à la colonie cubaine

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Car le fait de considérer que l’analyse des structures est surdéterminante
en dernière instance (comme on disait il y a quelques années) et de dire que
les décisions des individus sont attachées à des comportements de classes ne
vide absolument pas de toute pertinence l’examen des actions des agents
individuels (comme on dit aujourd’hui). Exemple. Deux individus vont être,
à partir de 1790, les « agents personnels » de l’ouverture de Cuba au libre–
échange avec les États-Unis : Luis de Las Casas, gouverneur de Cuba, et
José Pablo Valiente, administrateur du Trésor. Le premier fut persuadé du
bien-fondé d’une telle orientation libérale par les classes dominantes créoles
qui surent se montrer généreuses au point d’offrir au gouverneur, en guise
de présent, une cannaie, avec son moulin et ses esclaves (le nom de cette
plantation ? Amistad !) ; le second fit faire des économies aux sucriers,
puisque le hasard voulut qu’il fût propriétaire de la plus grande sucrerie de
l’époque, au monde, ce qui lui permettait ainsi d’épouser plus intimement
les intérêts de classe des grands propriétaires et de se comporter en
« délégué de classe » dévoué 9 . Et plus tard, le fait qu’un Tacón ou qu’un
O’Donnell, deux gouverneurs de l’île qui se distinguèrent notamment par la
répression des révoltes d’esclaves, aient été directement intéressés au trafic
négrier, ne montre rien d’autre que l’État ne fait pas que protéger et
« raisonner » le capital spontanément poussé à la surexploitation du travail ;
l’État (de classe) en profite lui même abondamment.
    La production de sucre cubain, presque intégralement destinée à
l’exportation, bondit de manière fulgurante dans la première moitié du
XIXème siècle : l’évolution en volume de cette production a l’allure d’une
fonction exponentielle. Malgré de violentes crises consécutives aux
fluctuations de la demande européenne, le secteur sucrier cubain connut
entre 1750 et 1850 un essor tout à fait fulgurant, métamorphosant la
stagnante et archaïsante colonie espagnole en premier producteur et
exportateur de sucre au monde ; et ce en dépit d’une concurrence de plus en
plus exacerbée, côté offre, des betteraviers d’Europe. La production de sucre
à Cuba était d’environ 12 milliers de tonnes métriques en 1785, pour passer
à 29 milliers en 1800, puis à 44 en 1815, à plus de 75 en 1830, près de 165
en 1840, et 268 en 1850 ; dix ans plus tard, elle atteignait 473 milliers de
tonnes ; en 1867, un an avant le début de la guerre civile : 761 milliers de
tonnes métriques, exportées pour le plus grande partie. On comptait 478
centres de production (plantations, moulins et sucreries) en 1760 à Cuba ; il
y en avait plus de 1 000 en 1820 ; 1 442 y furent dénombrés en 1846. Les

9
    Allahar, A., 1982, The Sugar Planters of Colonial Cuba, Two-Thirds Edition, Toronto.

                                              8
profits dégagés par les classes dominantes créoles et étrangères sont
                       proprement prodigieux.
                          Cette augmentation de la production et des profits extra n’était rendue
                       possible que par l’accélération du rythme des déportations de travailleurs,
                       lesquels, en ce point du globe et à cette époque, sont noirs, africains,
                       esclaves : à Cuba, ils sont 64 500 lors du recensement de 1792, 286 500 à

prodigieux.
gmentation de la production et des profits extra n’était rendue
e par l’accélération du rythme des déportations de travailleurs,
  ce point du globe et à cette époque, sont noirs, africains,

                                                             9
Pino–Santos13 dénombre plus de 85 000 esclaves arrivés vivants et déportés
depuis les centres concentrationnaires d’Afrique. Curtin14 compte encore
près de 125 000 arrivées pendant la décennie 1851-1860 (presque un demi–
siècle après l’abolition de la traite).
   L’Espagne abolit la traite négrière, dans l’élément du droit, en 1817, au
moment où les intérêts des classes dirigeantes espagnoles s’intéressent le
plus activement à ce trafic. Elle le fait surtout sous la pression de
l’Angleterre ; cette Angleterre qui, après avoir fourni à la traite ses plus gros
négriers, décide de l’abolir, la première, alors que  là réside la
paradoxe  elle s’affirme dans le même temps comme la première
puissance coloniale du monde, à la tête du plus vaste empire colonial du
monde.

      Le déclin du système esclavagiste à Cuba

       L’esclavage est aboli à Cuba en 1886, plus d’un demi–siècle après les
colonies britanniques, seulement 20 ans après les États-Unis du Sud (où la
ségrégation raciale va y demeurer longtemps comme une séquelle de
l’esclavage). Mais la Cuba coloniale espagnole est déjà économiquement
dépendante des États-Unis, depuis au moins le milieu du XIXème siècle : en
1850, 65 % des exportations cubaines (du sucre évidemment) sont dirigées
vers les États-Unis, 25 % vers l’Angleterre, moins de 5 % vers l’Espagne,
presque rien vers l’Amérique latine. Les investissements directs des États-
Unis ne vont débuter à Cuba que dans les années 1880 ; c’est-à-dire après la
guerre civile des Dix Ans (de 1868 à 1878), laquelle oppose sucriers
modernes de l’Ouest et sucriers archaïques de l’Est et ruine la moitié des
sucreries de Cuba et la plupart de ses capitalistes ayant réussi à intégrer
activités sucrières, marchandes, bancaires et infrastructurelles. 1880, c’est la
mise en place du système du patronato (l’apprentissage) qui annonce le
passage, non réversible, de l’esclavage au salariat.
    Ce qu’il nous faut donc comprendre, ce sont les causes essentielles de
l’effondrement du système esclavagiste à Cuba et, en creux, les raisons pour
lesquelles était rendu absolument nécessaire pour le capital impérialiste son
remplacement par une forme adaptée, relativement plus rentable,
d’exploitation du travail — en l’espèce, le salariat —, devant servir de base

13
   Pino Santos, O., 1964, Historia de Cuba – Aspectos fundamentales, Editorial
universitaria, La Habana.
14
   Curtin, P., 1970, The Atlantic Slave Trade – A Census, Wisconsin University Press,
Madison.

                                         10
à une économie sucrière encore étendue, modernisée surtout, et dominée
presque intégralement par les intérêts impérialistes nord–américains (qui ne
seront renversés qu’en 1959 par la Révolution). J’avancerai ici une série de
raisons, chronologiquement articulées et étroitement imbriquées.
   La première raison, extérieure à Cuba mais tout à fait décisive pour elle,
est l’abolition de la traite, puis de l’esclavage par l’Angleterre colonialiste
 qui, après 1808, a les moyens de faire plier l’Espagne, et donc Cuba. Ma
position est que l’Angleterre a fortement intérêt à précipiter ces abolitions
(et ses négriers pourront soit passer dans la trafic clandestin, soit se
reconvertir dans le transport des coolies chinois). L’Angleterre y a intérêt :
d’abord parce qu’à partir du début du XIXème siècle, ses raffineries sucrières
s’approvisionnent principalement en Inde et à l’île Maurice, où sont utilisés
des travailleurs libres à des salaires extrêmement bas15 ; ensuite parce qu’en
bloquant la traite négrière, dès 1807, l’Angleterre fait monter les prix des
esclaves sur le marché, donc accroît le « coût du capital » pour les sucriers
rivaux, et menacent leur rentabilité — l’enjeu était de taille : Cuba est le
premier producteur mondial de sucre, l’Angleterre consomme au milieu du
XIXème siècle le tiers du sucre produit dans le monde — ; enfin, parce que
l’Angleterre, en prenant l’initiative d’un passage accéléré au salariat, au
travers d’un continuum de contrats de travail contraint, sacrifiait certes ses
colons caribéens, mais consolidait surtout son hégémonie globale au centre
de l’économie–monde capitaliste.
    La deuxième série de raisons qui font entrer le système esclavagiste dans
la crise à Cuba sont internes, et fondamentales. Elles tiennent d’une part à la
radicalisation de la lutte des classes à Cuba, et notamment à la
multiplication des soulèvements d’esclaves (et des fuites des cimarrones
vers les palenques) ; d’autre part aux échecs répétés des classes dominantes
cubaines dans leurs tentatives de réforme du système esclavagiste. Car les
grands propriétaires sucriers répondent à l’interdiction de la traite négrière
et aux révoltes d’esclaves  de plus en plus fréquentes au XIXème siècle 
par l’accélération des approvisionnements clandestins en main d’œuvre
africaine, par l’intensification de la surexploitation en durcissant les
conditions de travail et de vie des esclaves, et par une répression
extrêmement violente. Cuba est sous commandement militaire ; les rebelles
sont traduits en conseil de guerre. C’est, à dire vrai, qu’un système
esclavagiste ne se réforme pas ; il ne se « régule » pas ; il interdit par

15
  « The work done by free men comes cheaper than that performed by slaves » : Adam
Smith, dans La Richesse des Nations, était parfaitement clair (Smith, A., 1976, Recherches
sur la nature et les causes de la richesse des nations, Gallimard, Paris).

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essence les opportunités de modernisation des processus de production et
d’incorporation de progrès technique. Les esclaves ne s’éduquent pas ; ils
s’achètent sur le marché, adultes, comme des moyens de production
inorganiques, propriétés des classes dominantes qui tirent leurs profits de
leur travail, c’est-à-dire de leur mort physique au travail intensif. On a parlé
d’esclavage « doux » à Cuba, et souvent d’une douceur relative de
l’esclavage espagnol (Chaunu dit que c’est « une idée unanimement
reconnue » 16 ) ; il ne faudrait peut-être pas oublier que, dans la réalité, en
tant que système total, le travail des esclaves dans les plantations de sucre
est si dur (la chaleur, l’humidité, le fouet, les chiens...) qu’il les tue
physiquement, rapidement, par épuisement ... quitte à ce que le taux de
dépréciation de ce capital fixe s’élève... En clair, la rentabilité du système
esclavagiste à Cuba n’a pu être maintenu que par l’augmentation du nombre
d’esclaves au travail et l’intensification de leur surexploitation. Mais les
révoltes et les fuites de travailleurs captifs des barracones rendaient de plus
en plus coûteux économiquement et instable politiquement ce système
d’exploitation extrême.
    Les déportations s’accélèrent donc. Mais il faut encore favoriser les
« réallocations factorielles » des esclaves des zones rurales (ceux, 40 000,
des caféières notamment), pour les concentrer dans les cannaies ; les
bourgeoisies urbaines louent certains de leurs esclaves domestiques comme
coupeurs de canne à des sucriers ; l’État lui-même contraint les quelque
26 000 Noirs libérés lors des interceptions du trafic interlope à travailler,
pour la plupart évidemment dans des plantations ; la pratique du rapt de
Noirs libres, revendus par les marchands comme esclaves aux sucriers, n’est
pas exceptionnelle dans la Cuba de l’esclavagisme déclinant. Les grands
propriétaires essaieront encore d’imiter une innovation qui fit la fortune de
nombreux planteurs nord–américains et anglais : l’élevage d’esclaves noirs,
par la reproduction d’étalons et de reproductrices ; mais cette expérience ne
marcha pas aussi bien qu’aux États-Unis. Ces mêmes planteurs tentèrent un
instant de contraindre par la loi les petits paysans pauvres blancs à venir
travailler sur les terres à sucre, aux côtés des travailleurs esclaves (comme
ce fut le cas par exemple à Porto Rico) ; mais, à Cuba, cela comportait de
trop grands risques économiques (en coupant les planteurs de leurs
fournisseurs d’alimentations pour esclaves) et politiques (en soudant, par
des conditions de travail presque identiques, les fractions noire et blanche
du prolétariat cubain, jusque-là fonctionnellement séparées, hiérarchisées et

16
  Chaunu, P., 1949, Histoire de l’Amérique latine, PUF, Paris ; et 1969, Conquête et
exploitation des nouveaux mondes, PUF, Paris.

                                         12
confrontées dans un rapport de haine raciale par lequel les grands
propriétaires asseyaient leur domination de classe). Que faire dans ces
conditions ?

      De l’esclavage au salariat

       Il fallait que les grands sucriers importent des travailleurs de
l’extérieur. Ce fut d’abord, vers 1835–1840, des paysans espagnols pauvres,
des Blancs donc, qui arrivèrent des Canaries, de Catalogne, de Galice...
Mais, soumis à des conditions de travail proches de celles des esclaves,
contractuellement contraints mais statutairement libres, ils s’enfuyaient
presque tous (d’où des lois interdisant le vagabondage, comme en Europe, à
cette époque). Mais qui alors ? Il fallait aux grands sucriers des étrangers
présentant les mêmes caractéristiques que les Africains, et qu’ils puissent
engager par le mensonge (et la force) et fixer dans les plantations par la loi
(et la force), via des contrats de salariat bridé (au-delà de la contrainte
monétaire). Ce furent, à partir de 1845, des Indiens du Yucatan, prisonniers
de guerre de l’armée mexicaine qui les céda aux marchands et aux sucriers
cubains.
    Puis ce fut le tour des engagés chinois : 150 000 Cantonnais arrivèrent à
La Havane, transportés par les négriers eux-mêmes (autant confier ce genre
de travail à des spécialistes... les Zulueta et consors...), et envoyés dans les
plantations et les sucreries17 . Les profits de la traite des Jaunes étaient
faramineux : les trafiquants anglais, français, nord–américains... s’en
gavèrent. Et ils offraient en même temps aux grands propriétaires cubains, là
était l’essentiel, les moyens d’accélérer encore leur production de sucre pour
le marché mondial (en fait : pour satisfaire la demande du centre de
l’économie–monde capitaliste) et les conditions d’une abolition progressive
et lente de l’esclavage  sans même que soit nécessaire une indemnisation
de la part de l’Espagne qui, pour sa part, continua, par la voie fiscale, à
pomper de sa colonie le maximum de surplus  et jusqu’à un tiers de son
budget national à la fin du XIXème siècle18 .
   Mais cet afflux de travailleurs contraints, tenus par des contrats de travail
bridé extrêmement sévères19 et payés sous le coût de location d’un esclave

17
   Helly, D., 1979, Idéologie et ethnicité – Les Chinois Macao à Cuba, Presses de
l’Université de Montréal, Montréal.
18
   Philip, J., 1995, L’Esclavage à Cuba au XIXème siècle d’après les documents de
l’Archivo Histórico Nacional de Madrid, L’Harmattan, Paris.
19
   Moulier Boutang, Y., 1998, De l’esclavage au salariat – Économie historique du salariat
bridé, PUF, Paris.

                                           13
sans qualification, allait encore accroître davantage les inégalités entre petits
et grands propriétaires fonciers sucriers. Les crises capitalistes du secteur
sucrier, dont l’épicentre était toujours situé hors de Cuba, toujours lié, côté
demande, aux fluctuations de la consommation centrale (européenne et
nord–américaine), côté offre, aux évolutions de la concurrence des
betteraviers centraux (français et allemands tout spécialement), vont ainsi
concentrer par itérations successives très brutales (y compris au travers
d’une guerre civile) la structure de la propriété foncière à Cuba, pour
finalement reconstituer le latifundium moderne. Ce sont ces latifundia qui
vont passés progressivement sous contrôle des capitaux impérialistes nord–
américains, à partir des années 1880, puis presque totalement après 1898.

        Mais, pour reprendre l’expression gramscienne, dans cet interrègne
entre l’ancien et le nouveau, des « monstres » ont surgit : une longue
période d’instabilité, guerre civile, guerre de libération nationale, guerre
impérialiste et soumission aux États-Unis. Dans la seconde moitié du
XIXème siècle, l’échec du colonato20 , c’est-à-dire de la tentative
d’approfondissement de la division du travail par la séparation des activités
agricoles (des planteurs de cannes) et industrielles (des producteurs de
sucre),      marquera        l’impossibilité     d’enclencher un    processus
d’industrialisation périphérique, quand bien même celle-ci s’appuierait sur
le secteur de spécialisation mono–productive du pays. Cuba devra limiter
son rôle à planter de la canne, à la couper, à en extraire un sucre brut et à
l’expédier non transformé vers les États-Unis ; c’est là-bas que se
développeront les industries ; pas à Cuba. Jusqu’à la Révolution socialiste
en tout cas. Un mot pour finir : un sondage effectué en janvier 1959 par
l’Institut catholique de La Havane révéla que 90 % des Noirs (et 95 % des
travailleurs noirs) soutenaient la Révolution socialiste...

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20
     Guerra, R., 1990, Cuba : une Société du sucre, L’Harmattan, Paris.

                                               14
Bénot, Y., 1987, La Révolution française et la fin des colonies, La
Découverte, Paris.
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