Colloque " DISPO " 2019 Thème : La démocratie Lycée Victor Hugo, Gaillac Crise de la démocratie représentative : peut-on réduire l'écart entre ...
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Colloque « DISPO » 2019 Thème : La démocratie Lycée Victor Hugo, Gaillac Sujet : Crise de la démocratie représentative : peut-on réduire l’écart entre représentants et représentés ? Auteurs : Cherif Anissa Dias Emma Lelandais Océane Perotto Aby Puljiz Enzo Quantin Pierre Serre Lisa. Merci aux deux tutrices, Flora et Marine, pour leur aide précieuse.
La démocratie représentative est remise en question par le mouvement des gilets jaunes, qui manifestent chaque semaine depuis le 17 novembre pour exprimer leur sentiment d'exclusion des décisions politiques et revendiquer le droit des citoyens à participer directement à l’élaboration des lois par la mise en place d’un « référendum d’initiative citoyenne ». L'écart entre représentants et représentés est un sentiment très partagé qui amène certains citoyens à contester la nature démocratique de nos institutions. Dominique Rousseau dans son livre Radicaliser la démocratie explique que « La démocratie a été happée par le principe de représentation, elle n’est pensée que par lui, elle en est devenue prisonnière. » En effet lorsque l’on demande à un citoyen français ce qu’est la démocratie il répondra « c’est le fait que l’on ait le droit de vote ». Mais le fait de pouvoir élire des représentants n’est pas caractéristique de la démocratie, ce serait plutôt la définition du système représentatif. Lorsque nous élisons des représentants, nous donnons notre pouvoir de décision à des personnes qui décideront pour nous sur un temps donné. Selon Bernard Manin, ce système n'est pas de nature démocratique mais plutôt de nature aristocratique. «L'élection est par nature aristocratique, le tirage au sort démocratique, dans la mesure où l'une favorise la naissance d'une élite tandis que l'autre donne à tous les citoyens qui le souhaitent une même probabilité de participer à la gestion des affaires publiques». Nous nous demanderons donc : est-il possible de rendre les systèmes représentatifs plus démocratiques en réduisant l’écart entre représentants et représentés ? Tout d’abord nous verrons ce qui distingue la démocratie directe des systèmes représentatifs, avant d’expliquer pourquoi ceux-ci font naître ce sentiment d’écart entre représentants et représentés. Puis nous nous demanderons si les manifestations de masse constituent un moyen pour les citoyens de participer plus directement aux décisions collectives, et enfin nous aborderons les éventuelles solutions institutionnelles pour introduire plus de démocratie dans nos régimes représentatifs. 1. De la démocratie au système représentatif. La démocratie, « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » (Abraham Lincoln), est aujourd’hui définie comme un mode d'organisation politique par lequel la souveraineté réside dans l'ensemble des citoyens, qui expriment leur volonté par le vote, selon le principe « un homme ou une femme, une voix ». On peut distinguer deux façons d’interpréter le »gouvernement par le peuple », les plus importantes étant la démocratie directe et la démocratie représentative. La démocratie directe a été la première forme mise en place par les athéniens durant l’Antiquité, mais toutes les démocraties actuelles sont représentatives. Tout d'abord, à Athènes, tous les citoyens pouvaient voter les lois dans l'Ecclesia, ce qui en fait une démocratie directe. Mais il y avait aussi des représentants : la magistrature est une institution centrale de la démocratie athénienne. Elle comprend environ 700 magistrats, choisis par élection, désignation, ou par tirage au sort. Leur mandat dure le plus souvent 1 an. Les magistrats gèrent les affaires courantes et veillent à l'application des lois. Les magistrats et les ambassadeurs sont contrôlés à la fin de leur mandat. Avant d'être investis, les hommes tirés au sort devaient passer devant une commission de contrôle qui avait pour mandat de s'assurer que les individus sélectionnés possédaient les compétences nécessaires pour exercer la magistrature pour laquelle ils avaient été désignés. La politique n’était donc pas un métier dans le monde Athénien. La démocratie représentative est l’une des formes de démocratie dans laquelle les citoyens expriment leur volonté par l’intermédiaire de représentants élus à qui ils délèguent leurs pouvoirs. Ces élus, qui représentent la volonté générale, votent la loi et contrôlent éventuellement le gouvernement. C’est la forme contemporaine de démocratie la plus répandue, qui correspondrait en fait, selon la classification d'Aristote, à une oligarchie : seule une infime minorité gouverne. Les démocraties semi-directes empruntent aux deux formes de démocraties. Les citoyens élisent des représentants qu’ils chargent d’établir les lois, mais les citoyens peuvent aussi être amenés à faire des lois par référendum (ou les refuser). C’est le cas, en Suisse, où les droits d’initiative et de référendum sont la norme, et où tous les citoyens sont appelés à voter 4 fois par an. Le 3 mars 2002, par exemple, il y eut deux initiatives populaires : celle pour l’adhésion à l’ONU a
gagné par 54,6% et celle pour réduire le temps de travail a échoué. La démocratie semi-directe apparaît comme la plus adaptée aux États modernes car nombreux sont les représentants qui, une fois élus abandonnent leurs électeurs d’autant plus que leurs mandats ne sont pas impératifs et sont irrévocables. Il faut attendre le terme de leurs mandats pour qu’ils écoutent les souhaits de la population afin d'être élus de nouveau. 2. Comment expliquer cet écart entre représentants et représentés ? Nos démocraties représentatives sont minées par un sentiment grandissant d’écart entre représentants et représentés. Celui-ci s'explique par les inégalités importantes qui existent entre les différentes classes sociales. Selon les déclarations d'activités et d'intérêts des parlementaires, qui sont publiques, l’année précédant leur élection, les parlementaires français gagnaient en moyenne 65.904 euros. C’est le double du revenu moyen des Français et leurs 36.300 euros par an. Ces inégalités sont aussi culturelles : « La politisation différentielle des classes sociales se trouve liée aux inégalités culturelles, elles-mêmes principalement déterminées par les inégalités scolaires qui séparent les groupes sociaux », explique Daniel Gaxie, dans son livre le Cens caché. Ce titre fait référence au suffrage censitaire, dans lequel le droit de vote est réservé aux citoyens qui acquittent un impôt direct au-delà d'un seuil appelé cens électoral. Le cens en tant que tel n'existe plus aujourd'hui mais pour Gaxie il a juste évolué et trouve désormais son origine dans les écarts culturels qui se cristallisent dans la capacité à participer activement à la vie politique. Cet écart est lié à l’origine sociale des élus. Ainsi, en 2017, selon l’Observatoire des Inégalités, 4,6 % des députés sont employés, aucun n’est ouvrier, alors que ces catégories représentent la moitié de la population active. Les employés et les ouvriers sont également très peu présents dans les instances locales: la part des ouvriers est de 7,5 % parmi les conseillers municipaux, 3 % parmi les maires et ils sont quasiment absents des conseils départementaux (0,3 %) et régionaux (1,3 %). Ces chiffres assez évocateurs montrent bien ce sentiment d’exclusion des décisions politiques d’une partie de la population. 3. La manifestation de masse, une façon d’exprimer directement la volonté des citoyens ? Cette rupture mène des parties de la population à exprimer leurs désaccords à travers des manifestations de masse, qui permettent aux citoyens de pouvoir exprimer directement leur opinion et leur volonté de changement. Mais ces manifestations peuvent-elles vraiment se passer de représentants ? Afin de traiter cette question, nous avons comparé deux mouvements sociaux qui, au cours du XXème siècle en France, ont pu traduire une remise en cause globale des institutions de la démocratie représentative : les évènements de mai 68 et la mobilisation des « gilets jaunes ». Début mai 1968, les étudiants manifestent dans les rues à Nanterre pour qu'il y ait un changement de la société, puis ce mouvement devient national. Quelques jours plus tard, les étudiants sont rejoints par les syndicats et les ouvriers. A l'apogée de cette manifestation, nous comptons plus de 7 millions de grévistes. Ces derniers revendiquent une augmentation des salaire et plus de libertés. Fin mai 1968, au Ministère des Affaires Sociales entre le gouvernement du Premier Ministre, Georges Pompidou, les syndicats des ouvriers et les organisations patronales, a été négocié les accords de Grenelle, qui comprennent notamment l'augmentation du SMIC de 35 % ,une hausse de 10 % pour tous les salaires, et une quatrième semaine de congés payés. Ces manifestations transforment en profondeur le pays dans de nombreux domaines : par exemple les élèves peuvent maintenant s'exprimer et participer aux décisions ; l'arrivée des contraceptifs donne une liberté sexuelle, des pratiques d’autogestion apparaissent dans les entreprises. La manifestation de mai 1968 a donc permis de créer une amélioration démocratique qui s'est basée sur les demandes exprimées par les syndicats. Cependant, la mobilisation actuelle des gilets jaunes est différente. C’est d'abord un mouvement contre l'augmentation des taxes sur le carburant, qui a rapidement évolué vers de demandes plus larges : augmentation du SMIC et des minima sociaux, plus de justice fiscale, mais surtout, le « référendum d'initiative citoyenne » qui permettrait aux citoyens de proposer des lois et de révoquer
des élus. Tout ceci révèle une fracture profonde, une sorte de "crise de la représentativité". On le voit par le fait que ce mouvement a refusé de désigner des représentants. Or sans représentant, il n'y a pas d’interlocuteur pour mener des discussions ou des négociations. Or sans débat, comment dépasser les désaccords autrement que par un affrontement? La démocratie ne se définit pas seulement par la participation directe des citoyens : elle suppose aussi la possibilité de débattre. 4. Délibération et participation: une solution pour réduire l’écart entre représentants et représentés ? Pour répondre à cette crise de la représentation, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé l’organisation d’un grand débat national. Quatre thèmes sont abordés : la fiscalité, l’organisation de l’Etat des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté. Est-ce une façon de rendre le système plus démocratique ? Pendant quelques semaines, les maires de France ont permis aux citoyens d’exprimer leurs attentes lors de débats locaux, afin qu’un grand dialogue national s’engage entre tous et que chaque citoyen puisse y contribuer. La première « synthèse intermédiaire » des contributions au Grand débat national devaient être finalisées mi-mars. Avant de laisser l’Assemblée nationale et le Sénat se pencher sur les propositions des Français et par la suite, proposer d'éventuelles nouvelles lois. Cependant, un simple débat ne signifie pas que les citoyens peuvent prendre des décisions. Reporterre cite ainsi des gilets jaunes qui estiment que «la décision finale ne nous appartient pas», «nous sommes là, présents, nous participons, nous voulons être constituants». C’est la limite de la démocratie « délibérative » : avoir le droit de discuter ne réduit pas forcément le sentiment d’être exclu des décisions. La principale revendication des “gilets jaunes”, le référendum d'initiative citoyenne, exprime justement une volonté de participation aux décisions collectives. Celui-ci servirait à proposer de nouvelles lois, à en supprimer, ou encore à « révoquer le mandat d’un représentant », ce qui est contraire au fonctionnement actuel de la démocratie représentative. Certains pointent en effet le risque d’une instrumentalisation de ces référendums. De plus, si les élus sont toujours sous la menace d’une révocation, les conditions d’un débat serein pourraient ne plus être réunies. La solution pourrait alors venir de la démocratie participative, qui désigne l'ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d'augmenter l'implication des citoyens dans la vie politique et d'accroître leur rôle dans les prises de décision. La démocratie participative se présente comme un système mixte dans lequel le peuple délègue son pouvoir à des représentants qui proposent et votent des lois, mais conserve cependant le pouvoir de se saisir lui-même de certaines questions, relatives à des décisions aussi bien à échelle locale que nationale (exemple : Comités Consultatifs, Conseils de Quartiers...). Il n’est cependant pas sûr que ces dispositifs permettent réellement de réduire le sentiment d’exclusion de certains citoyens. Les critiques faites à la démocratie participative portent principalement sur le fait qu’elle est très complexe à mettre en place. En effet, pour que cela fonctionne il faut que les citoyens s'intéressent à la politique, se sentent à l'aise à l'oral et capables d’émettre une opinion. On retrouve ce que Daniel Gaxie appelle le "cens caché" : les citoyens ne sont pas égaux face à la participation politique car ils ne disposent pas du même capital culturel. Pour conclure, le ressenti des citoyens concernant l'écart entre représentants et représentés s'explique par des inégalités de conditions de vie et par une professionnalisation des élus. De plus, l'absence de mandat impératif implique que les candidats peuvent instrumentaliser une partie de la population pour être élu sans appliquer par la suite leur programme. De ce fait, la politique menée étant différente de celle qui est annoncée, les manifestations de masse sont un moyen pour les citoyens de s'exprimer directement. Mais on voit avec l'exemple du mouvement des « gilets jaunes » que sans représentant, il est difficile de débattre pour dépasser les désaccords. Plutôt que de chercher à supprimer le principe de représentation, il faudrait donc le compléter par des dispositifs de démocratie délibérative et participative, qui pourraient être un moyen de réduire l'écart entre représentants et représentés. Il n’y a pas de solution parfaite, mais pour
reprendre la formule célèbre de Churchill, la démocratie reste « le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ». Sources Article universitaire Anne-Hélène Le Cornec Ubertini, « La démocratie au risque de la représentation », 2007 https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00142384/document Ouvrages GAXIE Daniel, Le Cens caché, Seuil, 1993 MANIN Bernard, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy , 1995 ROUSSEAU Dominique, Radicaliser la démocratie, Seuil, 2017 Articles de presse https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/07/presidentielle-2017- abstention-record-pour-un-second-tour-depuis-l-election-de-1969_5123757_4854003.html https://reporterre.net/Amers-decus-enthousiastes-vos-avis-sur-le-grand-debat-national https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/22/cinquante-ans-de-mai-68-revivez-les-moments- cles-du-mouvement-de-protestation_5274694_3224.html https://www.la-croix.com/France/Politique/Quelles-sont-revendications-gilets-jaunes-2018-11-30- 1200986627 www.lefigaro.fr/politique/2019/01/12/01002-20190112ARTFIG00126-de-l-acte-i-a-l-acte-ix-la- mobilisation-des-gilets-jaunes-en-chiffres.php http://www.lemondepolitique.fr/culture/mai-68 Sites internet Site de l'observatoire des inégalités https://www.inegalites.fr Politeia n°2, « La démocratie participative est-elle un conte de féés ? », Conférence de Clément Victorovitch https://www.youtube.com/watch?v=J2sZnK-HtJ4bn Sites institutionnels du « Grand débat national » https://granddebat.fr/ https://www.gouvernement.fr/le-grand-debat-national Autres https://initiadroit.com/signifie-democratie-directe-representative-participative/ https://www.1jour1actu.com/histoire/en-mai-1968-on-avait-envie-de-vivre-intensement-avec-plus-de- libertes-46944/ .https://www.andlil.com/definition-daccords-de-grenelle-151985.html
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