Comprendre le risque avalanche - Hal Inrae

La page est créée Jacqueline Michel
 
CONTINUER À LIRE
Comprendre le risque avalanche - Hal Inrae
Comprendre le risque avalanche
       Sebastiàn Escalon, Ur Etna, Thierry Caquet, Mohamed Naaim, Patrick
                                             Flammarion

     To cite this version:
    Sebastiàn Escalon, Ur Etna, Thierry Caquet, Mohamed Naaim, Patrick Flammarion. Comprendre
    le risque avalanche. ”Ressources” n°1, la revue INRAE, 1, pp.40-55, 2021, �10.17180/nb59-ks43�.
    �hal-03451284�

                                 HAL Id: hal-03451284
                         https://hal.inrae.fr/hal-03451284
                                    Submitted on 26 Nov 2021

    HAL is a multi-disciplinary open access            L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents
entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de
teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
                                              Copyright
Comprendre le risque avalanche - Hal Inrae
DÉCRYPTAGE

COMprendre
     le
   RISQUE
 AVALANCHE
  Dans le rude milieu de la montagne, les composantes du risque
 – aléa, exposition, vulnérabilité – sont particulièrement délicates
     à appréhender. À l’aide d’une palette d’outils toujours plus
                                                                               © M. Naaim/INRAE

 perfectionnés, les chercheurs développent les connaissances sur
un risque en pleine évolution à l’heure du changement climatique.

              Ce dossier est dédié à Xavier Ravanat, membre de l’unité ETNA,
                  décédé en février 2021 lors d’un accident en montagne.

                                           40
Comprendre le risque avalanche - Hal Inrae
Comprendre le risque avalanche - Hal Inrae
L’écosystème
du risque Avalanche
La prévention contre les avalanches implique
une connaissance fine des phénomènes en jeu et
une interaction continue avec un réseau d’acteurs
professionnels afin de concevoir, fabriquer et mettre
en place un dispositif de protection adapté.

                                                              7

                                                                                         6

                                                                                                                                          8

POURQUOI SE                                     QUELS T YPES D’AVALANCHE ?
DÉCLENCHENT-ELLES ?                              1 Avalanches denses humides
Avalanches à départ ponctuel                    Une avalanche humide contient au moins
Elles se déclenchent lorsque les forces de      10 kg d’eau par m3. Lorsqu’elles contiennent
cohésion du manteau neigeux ne suffisent        plus de 30 kg d’eau par m3, les forces de
plus à assurer sa stabilité. C’est souvent      frottement sont fortement réduites et
le cas des avalanches humides ou des            l’avalanche peut parcourir de plus longues
avalanches de neige fraîche.                    distances. Malgré leur vitesse générale-
                                                ment plus faible, elles sont capables
Avalanches à départ linéaire                    d’exercer des pressions très élevées,
Elles se déclenchent lorsqu’une « couche        notamment lorsque de gros volumes              QUELS DISPOSITIFS
faible », peu cohésive, se retrouve sous une    sont mis en jeu.                               PARAVALANCHES ?
couche plus cohésive, plus dure. Il suffit                                                      4 Ouvrages de défense active
d’une surcharge, comme le passage d’un           2 Avalanches denses sèches                    Ils visent à empêcher les avalanches de
skieur ou la chute d’une corniche, pour que     Ce sont des avalanches de neige dont la        se former. Constitués de râteliers, claies,
la couche faible se fracture, conduisant à la   masse volumique est comprise entre 200         vire-vent, toits-buse ou barrières à neige,
déstabilisation de la couche sous-jacente et    et 400 kg/m3. Elles sont capables d’exercer    ces dispositifs mis en place dans la zone de
au déclenchement de l’avalanche.                de très fortes pressions sur les bâtiments,    départ stabilisent le manteau neigeux ou
                                                quand elles vont vite (jusqu’à 150 km/h).      modifient la répartition de la neige afin
                                                                                               d’éviter qu’une surcharge ne déclenche
                                                 3 Avalanches en aérosol                       l’avalanche.
                                                Composées de neige en suspension dans
                                                l’air, elles se forment au-dessus des           5 Ouvrages de défense passive
                                                avalanches denses. Elles peuvent atteindre     Ils visent à ralentir, dévier ou stopper
                                                50 mètres de hauteur et remonter sur le        l’avalanche. Ils sont constitués de tas
                                                versant opposé contrairement à la partie       freineurs, de digues de déviation, de
                                                dense.                                         galeries et de digues d’arrêt.
Comprendre le risque avalanche - Hal Inrae
T YPES D’AVALANCHE
                                                                                             Départ
                                                       1                                     ponctuel
                                                       Avalanche dense
                                                       humide

                                Départ linéaire

                                                       3
                                                       Avalanche
                                                       en aérosol
4
                        2
Râteliers               Avalanche
                        dense sèche

    5
                                                  10
    Digue d’arrêt
                                      10

                                                           QUI SONT LES
                                                           ACTEURS IMPLIQUÉS ?
                                                           Le travail mené par l’unité ETNA 6
                                                           sur la connaissance du phénomène
                                                           et la conception d’outils de prévention ne
                                                           peut se faire sans une forte synergie avec
                                                           d’autres laboratoires, notamment le Centre
                                                           d’étude de la neige (CEN, au sein du Centre
                               6
                                                           national de recherches météorologiques -
                                                           CNRM), dans le cadre de projets collaboratifs
                                                           à l’échelle nationale ou européenne voire
                    9                                      internationale.
                                                           Les interactions fortes avec l’ensemble des
                                                           acteurs des risques naturels en montagne,
                                                           donneurs d’ordre ou opérationnels : Direction
                                                           générale de la prévention des risques
                                                           (DGPR) au ministère de la Transition
                                                           écologique (MTE) 7 , Service Restauration
                                                           des terrains en montagne (RTM) de l’Office
                                                           national des forêts (ONF) 8 , bureaux
                                                           d’études 9 , communautés de communes 10
                                                           associations… permettent une prévention
                                                           au plus près des besoins de tous.
DÉCRYPTAGE

        UNE APPROCHE
         SYSTÉMIQUE
      POUR UN RISQUE EN
      GRANDE ÉVOLUTION
              Grâce à un engagement continu des chercheurs
           depuis 50 ans, l’approche et les outils d’étude du risque
               Avalanche se perfectionnent, dans une optique
                résolument multidisciplinaire et intégrative.
            Indispensable, à l’heure où le changement climatique
                             complexifie la donne.

Rendre la zone non constructible ou l’aménager              fut alors décidée, lui donnant pour mission prin-
avec un ouvrage de protection ? Entre dévelop-              cipale de mieux appréhender les risques causés
pement et sécurité, la compétition pour l’espace            par les avalanches. « À ses débuts, l’unité s’intéressait
est toujours féroce en montagne. Les décisions              principalement à la localisation des avalanches, au dé-
liées au risque avalancheux se chiffrent en mil-            veloppement et à la mise au point des dispositifs de
lions d’euros et peuvent avoir des conséquences             protection », retrace Florence Naaim, directrice
sur des vies humaines. Les questions de recherche           d’ETNA. « Puis, nous avons basculé sur la recherche
associées sont complexes et recouvrent plusieurs            concernant la nivologie et plus spécifiquement la phy-
échelles, allant de la compréhension de la phy-             sique des avalanches ; nous nous intéressons désormais
sique des avalanches à celle des évolutions des             également aux enjeux, à leur vulnérabilité et à l’ensemble
composantes de ce risque : aléa, vulnérabilité et           des mécanismes physiques et sociaux à l’origine du
exposition.                                                 risque. Ainsi, nous ne nous focalisons pas uniquement
                                                            sur l’aléa mais traitons le risque dans sa globalité avec
Appréhender le risque dans sa globalité                     une approche systémique. »
1970 fut une année noire pour la montagne fran-             Cette dynamique reflète la reconnaissance du
çaise. Le 10 février, une avalanche dévalait sur un         caractère systémique du risque intégrant conjoin-
chalet du centre de vacances UCPA à Val-d’Isère             tement les dimensions d’aléa, de vulnérabilité et
tuant 39 personnes. Deux mois plus tard, sur le             d’exposition et leurs évolutions respectives, pro-
plateau d’Assy, un glissement de terrain, mélange           mu notamment par le cadre de Sendai (2015) 2.
de boue, de neige et d’eau, s’abattait sur un sana-         En effet, prévenir les dommages nécessite de
torium. Bilan : 72 morts.                                   comprendre comment différents facteurs (climat,
Ces deux tragédies ont eu l’effet d’un électrochoc :        topographie, pratiques de l’espace et choix d’amé-
la France s’est vue démunie face à ces phéno-               nagement par les sociétés, etc.), en se conjuguant,
mènes récurrents mais difficilement prévisibles.            peuvent conduire à la catastrophe, ce qui requiert
La création du Service de nivologie du CTGREF 1,            une vision à la fois globale et interdisciplinaire.
ancêtre de l’actuelle unité de recherche Érosion            Le laboratoire compte d’ailleurs aujourd’hui
torrentielle, neige et avalanches (ETNA) d’INRAE,           30 chercheurs, ingénieurs et techniciens, aux

                                                       44
COMPRENDRE LE RISQUE AVALANCHE

        © M. Bonnefoy-Demongeot/INRAE

disciplines variées : physiciens, modélisateurs,                  ↑            caractériser la variabilité de l’activité avalancheuse
spécialistes de la mesure, statisticiens, historiens…      Avalanche en        à différentes échelles de temps et d’espace. C’est
                                                         aérosol, aussi dite
                                                                               utile pour comprendre pourquoi certains massifs
                                                         « de poudreuse »,
Observer, modéliser, quantifier                         reconnaissable par     sont plus actifs que d’autres, en lien avec leur
S’inscrivant dans une tradition d’observation en-        la formation d’un     topographie et leur localisation, de même pour
tamée en 1899 avec la création de l’Enquête per-          nuage d’air et de    comprendre les liens entre activité avalancheuse
                                                         neige en surface,
manente sur les avalanches (EPA, lire p. 47) – tou-                            et forçage météorologique (voir glossaire p. 48).
                                                             lors de son
jours gérée conjointement avec l’Office national         écoulement dans       Dans le même temps, les enjeux et leur vulnéra-
des forêts (ONF) et le ministère de la Transition             la pente.        bilité ont été intégrés. Pour ce faire, des modèles
écologique (MTE) –, les travaux basés sur des                                  de vulnérabilité du bâti et de ses occupants aux
                                                               p. 41
approches à prédominance naturaliste ont été                                   avalanches ont été développés. Ils ont été couplés
                                                          Modélisation
complétés dans les années 1970 par des re-                numérique de         aux modèles d’aléas, sous la forme de modèles
cherches sur la physique et la modélisation des          l’avalanche de        de risque quantitatifs permettant le calcul de ni-
processus. Afin de mieux quantifier l’aléa, définir     Taconnaz (15 avril     veaux de risque individuel exprimés en taux de
les zones où le risque peut être considéré comme         2021), qui a été      décès ou de destruction, et l’optimisation d’ou-
                                                         stoppée par un
acceptable et optimiser les stratégies d’atténua-       système parava-        vrages de protection. Et désormais les sciences
tion du risque, les chercheurs ont, dans les années          lanche.           humaines et sociales complètent cette approche.
2000, associé aux modèles déterministes de pro-
pagation des avalanches l’information contenue
dans l’EPA dans un cadre statistique. Des modèles
                                                                               1. CTGREF : Centre             des risques de catastrophes
numérico-probabilistes de plus en plus précis                                  technique du génie rural       2015-2030, adopté par la 3e
pour l’évaluation des « avalanches centennales »                               des eaux et forêts, ancêtre    Conférence mondiale de
en ont résulté. De l’échelle du couloir avalancheux,                           d’Irstea qui a fusionné le     l’ONU, s’inscrit dans une
l’approche a été étendue à celle de massifs, per-                              1er janvier 2020 avec l’Inra   suite de textes ratifiés
                                                                               pour former INRAE.             depuis 1994 pour
mettant l’évaluation des aléas sur les couloirs pas
                                                                                                              améliorer la réduction des
ou peu documentés. Cette modélisation proba-                                   2. Le cadre d’action de        risques au niveau mondial.
biliste de l’aléa, locale puis régionale, permet de                            Sendai pour la réduction

                                                                45
DÉCRYPTAGE

                                                                                                                                  © M. Deschâtres/INRAE
Ainsi, l’expertise historique permet par exemple                ↑           le Centre d’étude de la neige de Météo France
de mieux exploiter et valoriser les archives. De        Les chercheurs      sur la base des scénarios du GIEC (lire p. 48) ont
                                                       interprètent des
même, l’analyse de l’évolution des choix d’amé-                             permis de montrer que l’évolution déjà en cours
                                                         photographies
nagement et des perceptions du risque par les            aériennes pour     va s’amplifier, avec, par exemple, une diminution
sociétés est prise en compte pour comprendre            réaliser la Carte   globale projetée de l’activité avalanches de 20 à
les facteurs de vulnérabilité et l’exposition ac-      des localisations    30 % au cours du XXIe siècle du fait d’une réduc-
                                                       des phénomènes
tuelle, et pouvoir agir dessus…                                             tion drastique de l’enneigement. À noter toutefois
                                                          d’avalanches
Un risque maîtrisé alors ? Loin de là ! Les systèmes         (CLPA).        un cas particulier en haute altitude où, du fait de
socio-environnementaux de montagne évoluent                                 précipitations neigeuses extrêmes, le nombre
à présent extrêmement rapidement sous l’action                              d’avalanches pourrait augmenter pendant quelque
des changements globaux (climatiques, sociétaux,                            temps, avant de diminuer, avec l’occurrence en-
etc.), altérant ainsi le risque.                                            core possible d’avalanches de neige froide et sèche
                                                                            de grande ampleur, comme cela a été le cas en
Un changement climatique
aux multiples impacts
L’impact du changement climatique sur l’aléa a
été la première question traitée. Les chercheurs
                                                                            Si globalement
ont d’abord étudié l’évolution de l’activité avalan-                        l’enneigement diminue,
cheuse aux échelles des processus climatiques.
Ils ont ainsi montré qu’au début des années 1980                            dans les territoires
une série d’hivers très rudes a conduit à un pic
de l’activité avalancheuse en France, puis que,                             de montagne, le risque
dès le milieu des années 1980, les avalanches sont
devenues moins fréquentes et moins importantes
                                                                            avalancheux persiste,
à basse et moyenne altitude, avec une proportion
plus grande d’avalanches de neige humide. Pour
                                                                            avec de nouveaux
le futur, des travaux menés conjointement avec                              contours.

                                                              46
COMPRENDRE LE RISQUE AVALANCHE

1999 à Montroc, dans la vallée de Chamonix. Une                                     RESSOURCES
avalanche avait alors emporté 14 chalets et tué 12
personnes. Les travaux en cours visent à affiner                    Un jeu de données
ces estimations afin d’obtenir des projections
futures plus réalistes en termes d’évolution du
                                                                    unique au monde
nombre, de l’intensité, de la localisation et de la
saisonnalité des avalanches.                           « Là où une avalanche est            Val-d’Isère en février 1970,
                                                       venue, elle repassera ».             cette chronique d’événements
Impact du tourisme et du bâti                          Voilà ce que nous enseigne la        a été complétée à la demande
Les autres déterminants du risque évoluent au          sagesse populaire. En 1899,          de l’État par une carte-inven-
moins aussi rapidement. Avec le réchauffement          face aux dégâts provoqués par        taire des emprises maximales
et la déprise agropastorale, les versants se re-       les avalanches, Paul Mougin,         des phénomènes : la CLPA
boisent très rapidement. En parallèle, les zones       ingénieur des Eaux et Forêts,        (Carte de localisation des
bâties voient globalement leur taille augmenter,       lançait ainsi une initiative         phénomènes avalancheux).
notamment du fait de l’essor du tourisme hiver-        originale : réaliser un inventaire
nal, tandis que des ouvrages de protection sont        des avalanches survenues en          Cette carte reprend les
construits alors que d’autres se dégradent parfois,    Savoie. Ceci permettrait de          phénomènes observés ou
faute d’entretien suffisant, l’ensemble jouant sur     garder une trace de ces              historiques via la représenta-
l’exposition au risque. Les chercheurs mettent à       événements et d’évaluer              tion des limites extrêmes
jour cette mécanique complexe, très variable d’un      l’étendue des forêts détruites       atteintes par les avalanches.
contexte local à un autre, en conjuguant ap-           chaque année.                        Elle est réalisée par l’unité de
proches qualitatives et quantitatives à différentes                                         recherche ETNA, d’abord à
échelles de temps et d’espace. Il a pu notamment       L’ingénieur Mougin ne pouvait        l’aide de photos-interprétations
être montré que, dans les très hautes vallées al-      pas savoir que, 120 ans plus         et d’observations de terrain,
pines, le risque lié aux avalanches pour le bâti et    tard, son œuvre perdurerait :        puis par recueil de documents
ses occupants avait vraisemblablement augmen-          hiver après hiver, 260 agents de     d’archives et de témoignages
té au cours des dernières décennies, sous l’action     l’ONF collectent des données         auprès des habitants et des
conjuguée d’un aléa toujours présent et d’une          sur les avalanches sur               professionnels de la montagne.
exposition en augmentation. A contrario, aux al-       3 600 couloirs répartis dans         EPA et CLPA, dispositifs
titudes plus basses, le risque est en diminution       11 départements français             financés par la Direction
sous l’action conjuguée d’une réduction de l’en-       (Alpes et Pyrénées).                 générale de la prévention des
neigement et d’un boisement progressif des cou-        Consciencieusement, ils notent       risques (DGPR) du ministère de
loirs, parfois jusqu’aux zones de départ d’ava-        leurs dates, leurs altitudes de      la Transition écologique, et
lanches. Des calculs de risque quantitatifs ont pu     déclenchement et d’arrêt, leurs      gérés par INRAE, offrent des
montrer comment le renforcement des bâtiments          volumes et bien d’autres             visions temporelle et spatiale
exposés et la gestion de la forêt à fonction de        caractéristiques. Ces données        complémentaires d’un même
protection, pouvaient être conjugués pour s’adap-      alimentent l’Enquête perma-          phénomène et fournissent un
ter à ces évolutions et maîtriser le risque.           nente sur les avalanches (EPA)       jeu de données unique, exploité
Ainsi, si globalement l’enneigement diminue, dans      qui regroupe aujourd’hui plus        pour l’expertise et la recherche,
les territoires de montagne, le risque avalancheux     de 100 000 observations.             en libre accès sur :
persiste avec de nouveaux contours. Appelés à          À la suite de la catastrophe de      www.avalanches.fr
élaborer des stratégies d’adaptation aux investis-
sements à long terme, les acteurs de ces territoires
doivent pouvoir s’appuyer sur des connaissances         CARTE DE LOCALISATION DES PHÉNOMÈNES AVALANCHEUX (CLPA)
exactes et fiables. L’approche systémique de la
recherche et des travaux de plus en plus précis
accompagnent ces décideurs pour appréhender
                                                       850 000 25 000
                                                       hectares cartographiés   emprises d’avalanches
                                                                                                         13 000
                                                                                                            témoignages
au plus près un risque en grande évolution. ●                                       répertoriées              recueillis

                                                            47
DÉCRYPTAGE

GLOSSAIRE                                     CHANGEMENT CLIMATIQUE

Aléa                                          Que dit le GIEC
                                              sur les avalanches ?
Phénomène plus ou moins probable
sur un espace donné, caractérisé par
sa localisation, son intensité, son
ampleur, sa fréquence et le degré             Connu pour ses synthèses                circulation (CRM) par les modèles
de probabilité qui lui est associé.           internationales de référence            généraux (CGM), adaptation à la
                                              (6e rapport publié le 9 août 2021) le   topographie de montagne,
Vulnérabilité                                 Groupe d’experts intergouverne-         modélisations de l’enneigement
Condition provoquée par des facteurs          mental sur l’évolution du climat        à l’aide de modèles physiques
ou processus physiques, sociaux,              (GIEC) produit également des            corrigés par l’observation. Il est
économiques et environnementaux,              « rapports spéciaux ». Celui dédié      alors possible d’alimenter des
qui ont pour effet de rendre                  aux océans et à la cryosphère           relations empiriques entre
les personnes, les communautés,               (Special Report on the Ocean and        enneigement et activité avalan-
les biens matériels ou les systèmes           Cryosphere in a Changing Climate        cheuse établies sur le passé.
plus sensibles aux aléas.                     – SROCC), en 2019, a été le premier
                                              comportant un chapitre spéci-           Ce rapport, auquel INRAE a
                                              fique sur les zones de montagne.        contribué, conclut avec un niveau
Exposition                                                                            de confiance élevé que les aléas
Situation des personnes,                      « Alors que les rapports du GIEC        naturels en montagne, dont les
infrastructures, logements,                   font traditionnellement la part         avalanches spontanées, se
capacités de production et autres             belle aux glaciers et aux milieux       produiront dans le futur dans des
actifs tangibles situés dans des              polaires, ils ne disaient jusqu’ici     lieux et/ou à des saisons où ils ne
zones à risque.                               presque rien de l’évolution des         se produisaient pas jusqu’alors.
                                              avalanches et du risque associé         Cette formulation, fruit d’un
Mesures                                       en raison d’un manque de
                                              résultats disponibles dû à la
                                                                                      compromis scientifique et
                                                                                      politique, sans nier la possible
d’atténuation                                 complexité du problème », expose        réduction locale de l’aléa avec

ou de mitigation                              Nicolas Eckert, chercheur de
                                              l’unité ETNA. En effet, pour
                                                                                      l’enneigement, met l’accent sur
                                                                                      les problèmes potentiellement
Elles correspondent à la réduction            détecter des changements                posés par l’évolution rapide dans
ou limitation des conséquences                passés, il est nécessaire de            la localisation spatiale et
négatives d’un événement                      disposer de séries d’observations       temporelle des phénomènes
dangereux.                                    longues et homogènes, et de les         dangereux. Ainsi, on s’attend à
                                              exploiter avec un arsenal               davantage d’avalanches de neige
Forçage                                       statistique relativement avancé.        humide aux altitudes élevées et
(de l’activité avalancheuse)                  De même, pour appréhender les           au cœur de l’hiver, où l’enneige-
Caractéristiques météorologiques              évolutions futures de l’activité        ment est pour l’instant préservé.
qui déterminent l’enneigement et              avalancheuse, il faut convertir les     Cette évolution doit être prise en
donc l’activité avalancheuse locale :         scénarios d’évolution globaux du        compte, par exemple, pour
température, précipitation, vent…             climat en scénarios locaux              adapter les dimensionnements
                                              d’évolution de la météorologie et       des remontées mécaniques qui
                                              de l’enneigement. Cela nécessite        pourraient être touchées par des
                                              d’utiliser des techniques com-          avalanches exerçant potentielle-
                                              plexes de changement d’échelle          ment de fortes pressions en pleine
(Source : cahier no 10 de l’ANR :
                                              et de correction de biais : forçage     saison touristique.
Risques et catastrophes naturelles ; INRAE)   des modèles régionaux de

                                                         48
COMPRENDRE LE RISQUE AVALANCHE

         UNE RECHERCHE
          À MULTIPLES
           FACETTES
        De l’échelle du micromètre à celle d’un massif montagneux,
              de l’observation à la modélisation, les chercheurs
          convoquent l’ensemble des techniques et technologies
           d’aujourd’hui, en nivologie et au-delà, pour connaître
                    et anticiper ce phénomène complexe.

« La physique des avalanches reste une thématique-clé…           nous permettent de mesurer la pression qu’elle exerce »,
Nous travaillons de l’échelle du grain de neige à celle          explique Emmanuel Thibert, chercheur à ETNA.
du massif », explique Florence Naaim, directrice                 « On a ainsi montré qu’une avalanche peut entraîner
de l’unité de recherche ETNA. En effet, lorsqu’on                une grande quantité de neige allant jusqu’à 10 fois celle
parle d’avalanches, « on ne peut pas comprendre le               mobilisée dans la zone de départ, ou encore que le coef-
très grand sans connaître le tout petit ». Observation,          ficient permettant de calculer la pression exercée sur
expérimentation et modélisation constituent le                   un obstacle à partir de la vitesse de l’avalanche et de sa
triptyque des chercheurs permettant d’améliorer                  masse volumique était jusqu’alors très largement sous-
la connaissance pour mieux anticiper les phéno-                  estimé (d’un facteur 10) dans les zones de faible vitesse
mènes.                                                           (zones d’arrêt) » détaille Florence Naaim.
                                                                 Au col du Lac-Blanc à 2 700 m, à proximité de la
Des observations grandeur nature                                 station de l’Alpe-d’Huez (Isère), les chercheurs
pour alimenter les connaissances                                 étudient l’interaction entre la neige et le vent en
Les chercheurs d’ETNA s’appuient sur plusieurs                   collaboration avec leurs collègues du Centre
sites de terrain pour réaliser leurs observations.               d’étude de la neige du Centre national de re-
Pour comprendre la dynamique des avalanches,                     cherches météorologiques (CNRM). En effet, le
ils disposent depuis 1973 d’un lieu exceptionnel :               vent est un élément central dans le déclenchement
le site expérimental du Lautaret, dans les Hautes-               des avalanches. Celui-ci modifie les dépôts de
Alpes. Grâce à un exploseur au gaz, ils peuvent y                neige et crée des corniches ou des accumulations
déclencher des avalanches et les analyser sous                   qui, à tout moment, peuvent entraîner des ava-
toutes les coutures. « On étudie leurs caractéristiques          lanches. « Véritable soufflerie naturelle, instrumenté
telles que la vitesse d’écoulement ou le volume de neige         depuis 30 ans, notre site a permis d’éprouver de nou-
déplacé. Grâce à des systèmes d’imagerie, on peut filmer         velles techniques de mesure, et de créer une base de
l’avalanche avec une caméra rapide ou en 3D, et mieux            données climatologiques unique, attirant équipes scien-
comprendre l’interaction entre l’avalanche et le terrain.        tifiques autrichiennes et japonaises. Ce sont, en effet,
Les capteurs posés sur un obstacle le long du parcours           plusieurs centaines de tonnes de neige par mètre linéaire

                                                            49
DÉCRYPTAGE

                                                                                               Chambon, directeur de recherche adjoint de l’uni-
                                                                                               té ETNA. Pour étudier cette microstructure, les
                                                                                               chercheurs utilisent des tomographes à rayons X.
                                                                                               « Ces appareils nous permettent d’observer des détails de
                                                                                               quelques micromètres. On peut ainsi étudier l’évolution
                                                                                               de la neige en fonction de divers paramètres, comme la
                                                                                               température ou la pression, et créer des modèles tridi-
                                                                                               mensionnels pour explorer la réponse mécanique du
                                                                                               matériau au moyen d’expériences numériques », ajoute
                                                                                               le chercheur.

                                                                                               Des modèles numériques
                                                                                               pour l’exploitation des données
                                                                                               Toutes ces observations et expériences ne pour-
                                                                                               raient cependant être exploitées, notamment pour
                                                                                               la prévention, sans une autre méthode employée
                                                                                               par l’unité : la modélisation numérique. Le but ?
© H. Raguet

                                                                                               « Nous essayons d’intégrer dans un même modèle des
                                                                                               connaissances qui vont de l’échelle microscopique à celle
                                                                                               d’un versant entier », explique Guillaume Chambon.
              de crête que voient défiler nos capteurs chaque saison »,            ↑           Ces modèles et simulations numériques per-
              précise Florence Naaim.                                          Maquette        mettent ensuite de déclencher des avalanches
                                                                            modélisant une
                                                                                               virtuelles en faisant varier les paramètres de dé-
                                                                           avalanche dense.
              Des expérimentations en laboratoire                          Un procédé qui a    part. À partir de ces modèles croisés avec les scé-
              pour mieux comprendre                                        permis le dimen-­   narios climatiques du GIEC, il est alors possible
              Mais étudier les avalanches « en vrai » ne suffit             sionnement du      d’imaginer à quoi ressembleront les avalanches
              pas. Pour comprendre la façon dont chaque grain              paravalanche de     du futur. La combinaison de ces méthodes a déjà
                                                                               Taconnaz.
              de neige roule sur les autres, accélère ou ralentit,                             porté ses fruits. Les modèles d’avalanches denses
              d’autres méthodes sont nécessaires. C’est ainsi                                  et en aérosol sont déjà très fiables, et permettent,
              que les modèles réduits entrent en jeu. Ceux-ci                                  par exemple, de faire des recommandations pré-
              permettent de réaliser des expériences sur la dy-                                cises sur les structures paravalanches à mettre
              namique des écoulements neigeux. « Nous utilisons                                en place.
              deux analogies », décrit Thierry Faug, chercheur et
              ingénieur de l’unité. « Pour les avalanches denses et                            Le changement climatique invite cependant la
              sèches, on mime le comportement des grains de neige                              recherche à poursuivre ses travaux pour mieux
              sèche, à savoir leur cohésion et leur frottement, en uti-                        connaître les avalanches humides, dans lesquelles
              lisant des billes de verre et de la poudre de PVC. Pour                          l’eau liquide et la glace se mêlent, et dont la dy-
              les avalanches en aérosol, nous faisons couler un fluide                         namique n’est pas encore bien comprise.
              lourd, de l’eau salée par exemple, dans un fluide plus                           Pour cela, l’observation, l’expérimentation et la
              léger, de l’eau claire. Le fluide lourd permet d’imiter le                       modélisation seront sans doute encore une fois
              mélange d’air et de particules de glace en suspension                            la combinaison gagnante pour perfectionner la
              qui constitue ce type d’avalanches. »                                            connaissance d’un phénomène complexe et op-
              Il faut cependant descendre à des échelles encore                                timiser les outils de prévention. ●
              plus réduites pour connaître les lois qui régissent
              la déformation de la neige dans le manteau nei-
              geux et son écoulement durant l’avalanche. « Les
              propriétés mécaniques de la neige dépendent de la micro-
              structure du matériau », rappelle Guillaume

                                                                                  50
COMPRENDRE LE RISQUE AVALANCHE

CLIMAT                                     Revoir les dispositifs de protection
                                           Ainsi, les dispositifs de défense
                                                                                         freineurs, de digues d’arrêt ou de
                                                                                         digues de déviation. Mais, sur

Les avalanches                             active, faits de râteliers, filets, claies
                                           ou vire-vent pour empêcher le
                                                                                         certains sites, la marge de ces
                                                                                         structures de protection par rapport
humides, un                                déclenchement des avalanches en
                                           haut des pentes, pourraient être
                                                                                         aux aléas n’est pas très grande.
                                                                                         Or, l’avalanche humide ne suit pas
risque émergent                            emportés ou s’avérer inopérants.              toujours la trajectoire attendue
                                           En effet, avec le réchauffement,              suivant la plus grande pente. Une
                                           le comportement de la neige en                avalanche humide de grand volume,
L’une des évolutions majeures              reptation 1 change du fait de son             du fait de ses trajectoires difficiles à
provoquées par le changement               humidification. « La présence d’eau en        prédire, pourrait alors déborder ces
climatique est l’augmentation de la        plus grande quantité alourdit la neige et     protections et causer des dégâts.
fréquence des avalanches humides.          entraîne plus de glissements du manteau       L’heure n’est pas à la panique mais à
Ces avalanches constituent un              neigeux et ceci amplifie les forces sur les   la prudence. « Il n’y a pas à réinventer
risque émergent vis-à-vis duquel           ouvrages », explique Thierry Faug.            les stratégies paravalanches », tempère
certains sites ne sont pas bien            Aussi, ils devront être conçus pour           Thierry Faug. « Néanmoins, il y a des
préparés.                                  résister à des pressions désormais            endroits où il faudra optimiser les
                                           plus fortes en raison de l’évolution          dispositifs afin de réduire la vulnérabilité,
Les écoulements dus aux avalanches         du manteau neigeux et des condi-              notamment en envisageant un scénario
humides, lorsqu’ils surviennent plus       tions de départ des avalanches.               neige humide en plus de, ou à la place, du
tôt dans la saison hivernale, sont         Ils devront également être envisagés          scénario neige sèche. » Pour ce faire, les
capables de mobiliser de gros              dans de nouveaux sites, où le                 chercheurs continuent de collaborer
volumes de neige et d’eau, et              glissement à la base était peu actif          avec les acteurs de la montagne pour
d’exercer des pressions élevées de         jusque-là.                                    une adaptation au plus juste. ●
l’ordre de 10 t/m2, malgré leur faible     La défense passive pourrait elle aussi
                                                                                         1. Reptation : mouvement lent de la
vitesse, et causer d’importants dégâts.    souffrir de cette évolution. Ce type
                                                                                         neige sous l’effet de la gravité, qui combine
Dans certains cas extrêmes, lorsque        de stratégie vise à freiner, dévier ou        tassement et cisaillement ainsi que
la proportion d’eau est très élevée,       stopper l’avalanche à l’aide de tas           glissement à la base.
ces écoulements peuvent parcourir
des distances étonnamment longues
allant de plusieurs centaines de
mètres au kilomètre, dépassant les
périmètres habituels. Autre pro-
blème : la dynamique des avalanches
humides n’est pas encore bien
connue. « Nous sommes là à la limite de
nos connaissances sur ce phénomène.
Nous ne savons pas encore bien modéliser
leur comportement », admet Thierry
Faug, chercheur à l’unité ETNA.
Or, dans beaucoup de sites de
montagne, les dispositifs parava-
lanches sont dimensionnés pour pro-
téger contre un scénario d’avalanche
                                                                                                                                         © C. Maréchal/RTM73

de neige froide et sèche. Face à une
avalanche humide de fortes dimen-
sions, ces protections pourraient,
dans certains cas, ne pas suffire.

                                                               51
DÉCRYPTAGE

             LA
       COLLABORATION
       AU CŒUR DE LA
        PRÉVENTION
           Fortement impacté par le changement climatique,
       le risque Avalanche évolue rapidement. Entre recherche
       et expertise, la collaboration entre les scientifiques et les
     multiples acteurs de la prévention est la clé de la connaissance
          et de l’anticipation des risques actuels et émergents.

Avec des températures et des précipitations en             ci sont amenés à caractériser le risque qui doit
grande évolution, les territoires de montagne sont         être pris en compte dans la planification et l’amé-
amenés à rapidement s’adapter pour assurer aux             nagement du territoire, en particulier via les Plans
habitants une activité économique d’avenir et              de prévention des risques naturels prévisibles
préserver une activité touristique majeure en              (PPRNP), qui s’imposent aux plans d’occupation
France, le tout dans la plus grande sécurité. Pour         des sols. Les communes, en charge de la sécurité
cela, ils déploient des stratégies locales d’adap-         publique, de la prévention et l’organisation des
tation élaborées en cohérence avec la politique            secours contre les catastrophes, les départements
nationale de prévention des risques portée par             et les régions mobilisés pour la sécurité du réseau
le ministère de la Transition écologique (MTE),            routier, l’aménagement du territoire et l’informa-
en particulier la Direction générale de la préven-         tion préventive, et les citoyens, premiers concer-
tion des risques (DGPR), et nourries, en premier           nés et bénéficiaires de cette prévention, com-
lieu, par les travaux de la recherche d’INRAE et           plètent le dispositif de prévention des risques et
du Centre national de recherches météorolo-                de protection des bâtiments et infrastructures.
giques (CNRM).
                                                           Expertise scientifique et prévention,
Une prévention des risques collective                      un dialogue fructueux
 pour une meilleure efficacité                             Si le développement des connaissances et les
Classé dans la catégorie des risques majeurs de            nouvelles données jouent un rôle essentiel dans
la politique nationale de prévention, le risque lié        l’élaboration des plans de prévention et les pres-
aux avalanches est pris en charge par une multi-           criptions pour l’ensemble des actions (conception
tude d’acteurs. Porté par l’État, il est confié aux        de dispositifs de défense active et passive, loca-
services Restauration des terrains de montagnes            lisation et construction des routes de montagne,
(RTM) de l’Office national des forêts (ONF). Ceux-         plantation de forêts de protection, édification de

                                                      52
COMPRENDRE LE RISQUE AVALANCHE

refuges…), les scientifiques peuvent également
être missionnés comme experts en matière de                           Le dialogue avec les
protection paravalanche auprès des collectivités
locales, des bureaux d’études et des communes.                        porteurs de politiques
« Nous n’intervenons que dans les cas complexes, lorsque
l’utilisation des derniers résultats de la recherche est
                                                                      publiques nourrit la
requise et/ou que les enjeux sont tels que le comman-
ditaire de l’expertise se tourne exclusivement vers nous »,
                                                                      recherche via l’émer-
explique Florence Naaim, directrice de l’unité de                     gence de nouvelles
                                                                      questions et contribue
recherche ETNA. « INRAE a d’ailleurs reçu pour la
première fois, en janvier dernier, la certification ISO
9001 pour l’ensemble de son système qualité d’expertise
ayant trait à la gestion des risques gravitaires en mon-
                                                                      à lui donner du sens.
tagne, dont les avalanches ». Sur ce sujet, comme sur
d’autres traités par les équipes d’INRAE, re-
cherche et expertise sont en dialogue permanent.
Les résultats de la recherche sont mobilisés pour
accompagner les porteurs de politiques publiques.                     délisation physique (eau salée dans l’eau). « Et
En retour, le dialogue avec ces acteurs nourrit la                    comme l’expert garde son ADN de chercheur, nous
recherche via l’émergence de nouvelles questions                      avons profité de la construction des dispositifs parava-
et contribue à lui donner du sens.                                    lanches pour y inclure des capteurs automatiques de
                                                                      vitesse et de pression, afin de nous permettre d’évaluer
Données et modélisation                                               l’efficacité des dispositifs paravalanches et de mieux
à la rescousse                                                        comprendre leur influence sur l’écoulement », poursuit
Ainsi les chercheurs d’ETNA ont, par exemple,                         Thierry Faug. Des pressions d’impact allant jusqu’à
participé à la conception de la digue de Taconnaz                     95 t/m² ont ainsi pu être enregistrées, en accord
(en association avec le bureau d’études Ingerop                       avec la prédiction des modèles. Un contrôle qua-
pour le compte de la Communauté de communes                           lité, en quelque sorte…
de la vallée de Chamonix–Mont-Blanc), un ou-
vrage massif de 25 m de haut, placé au pied du                        Diffuser les connaissances
plus long couloir d’avalanches des Alpes dans le                      En parallèle, afin d’aider les bureaux d’études et
massif du Mont-Blanc. « Notre tâche a été de dire                     les maîtrises d’œuvres à réduire la vulnérabilité
quelle taille, quelle position et quelle forme devaient               des zones habitées, des guides techniques sur les
avoir la digue et les autres dispositifs de défense passive »,        dispositifs de protection sont rédigés. Ainsi, un
explique Thierry Faug, chercheur de l’unité. La                       guide européen de référence pour la construction
combinaison des données historiques issues de                         de digues paravalanches d’arrêt et de déviation
l’Enquête permanente sur les avalanches (EPA)                         a pu être réalisé en 2009 à partir des travaux
et des modèles numériques de propagation a                            d’équipes de recherche européennes dont ETNA.
permis de déterminer les événements centennaux                        D’autres objets de diffusion des connaissances
de référence (définis par le volume et l’énergie                      sont régulièrement élaborés.
de l’avalanche).
Les différentes stratégies de protection, conçues                     L’impact rapide du changement climatique, en
pour arrêter les avalanches denses, ont alors été                     particulier sur l’occurrence et la nature des ava-
testées par modélisation physique au laboratoire                      lanches, impose le maintien de recherches sur
(billes de verre et PVC), puis mises à l’épreuve de                   l’aléa, le risque et la mise à jour des données, mais
la modélisation numérique sur topographie réelle,                     c’est surtout grâce à une collaboration continue
le risque résiduel lié à la partie poudreuse de                       avec les acteurs nationaux et locaux qu’une pré-
l’écoulement ayant été estimé à partir de la mo-                      vention adaptée et efficace sera possible. ●

                                                                 53
DÉCRYPTAGE

           Une gestion
      du risque qui s’appuie
          sur la science
                             Un entretien avec Véronique Lehideux, cheffe du service Risques naturels
                                     et hydrauliques au ministère de la Transition écologique

Véronique Lehideux pilote                  réduisant en prescrivant des mesures           périglaciaire avec l’appui d’INRAE. Il est
le service chargé d’élaborer               dans les autres zones. Leur élaboration        aujourd’hui piloté par l’ONF avec une
                                           s’appuie sur l’événement le plus grave         implication toujours très forte d’INRAE.
et d’animer la politique                   connu ou sur une référence propre à
nationale de prévention                    l’aléa – la centennale pour la crue et         Quel est l’objectif de ce travail
des risques naturels et de                 l’avalanche par exemple. Pour                  sur les risques d’origine glaciaire ?
                                           l’avalanche, la référence tri-centen-          L’objectif est d’anticiper ces risques
coordonner les actions                     nale a été ajoutée pour délimiter les          nouveaux : dégel du pergélisol ou
de prévention des risques                  zones d’aléas de référence exception-          effondrement de glacier. Sur ce dernier,
majeurs. Nous l’avons                      nelle (zones jaunes). L’amélioration           INRAE porte avec l’Institut des
                                           des connaissances de l’impact du               géosciences de l’environnement (IGE)
interrogée sur le risque
                                           changement climatique sur les aléas            une action d’appui sur le suivi et le
Avalanche, sa prévention                   pourra poser, à terme, la question de          devenir du glacier de Taconnaz, qui
et la collaboration avec la                l’évolution des seuils de référence,           tend à devenir tempéré. Des labora-
recherche.                                 comme cela a été fait sur le risque            toires de l’Observatoire des sciences
                                           de submersion marine. Il faut pour cela        de l’univers de Grenoble (ETNA, IGE,
                                           que cet impact soit aussi très bien            Isterre) se sont mobilisés en appui à la
Face à l’évolution du climat et de         documenté. Pour les avalanches, un             préfecture et la mairie de Saint-Gervais
l’urbanisme, comment s’assurer             autre paramètre d’évolution à prendre          sur l’étude des poches d’eau dans le
que les procédures d’évaluation et         en compte est la nature de la neige.           glacier de Tête-Rousse. INRAE a
de prévention du risque Avalanche ne       Son contenu devient plus riche en eau.         également contribué à la vidange du
deviennent pas obsolètes ?                 Afin de mieux connaître les change-            lac du glacier d’Arsine en 1986. Ce sont
La prévention des risques naturels         ments de comportement induits, la              des exemples concrets de recours aux
s’appuie en premier lieu sur les Plans     Direction générale de la prévention des        dernières avancées de la recherche
de prévention des risques naturels         risques (DGPR) missionne INRAE depuis          afin de diagnostiquer et de proposer
(PPRN). Ils visent à la prise en compte    plusieurs années pour étudier et               des solutions que les bureaux d’études
des aléas dans l’urbanisme, en             modéliser les avalanches humides.              ne seraient pas en mesure de gérer. La
empêchant la densification et              Concernant les risques en montagne,            DGPR soutient ces actions afin de faire
l’augmentation de vulnérabilité dans       le ministère a initié un travail sur les       progresser la connaissance et de
les zones les plus exposées, et en la      risques d’origine glaciaire et/ou              caractériser les bassins de risques.

                                                               54
COMPRENDRE LE RISQUE AVALANCHE

Comment la prévention des risques           prolonger cette présidence d’un an du       À LIRE
naturels intègre-t-elle les éléments        fait du contexte sanitaire. Ces deux        Les risques naturels
de contexte économique et social des        instances permettent de mettre en           en montagne
zones concernées ?                          relation des chercheurs, des universi-      Florence Naaim-Bouvet et Didier
La prévention des risques naturels a        taires, des associations, des gestion-      Richard, Édition Quae, Oct. 2015.
pour objectif premier la préservation       naires, des décideurs en matière de         Avalanches, risques glaciaires,
des vies humaines et la réduction des       politiques publiques de l’ensemble des      crues et laves torrentielles,
dommages. Elle est priorisée sur les        pays alpins. Les groupes de travail sont    mouvements de pente et
zones de fort croisement entre aléas et     l’occasion de partager et de développer     chutes de blocs font partie
enjeux et, dans ces zones, est propor-      des connaissances, des bonnes               du vécu de tout habitant ou
tionnée à l’importance des risques.         pratiques tout en les adaptant au           pratiquant de la montagne.
Interdire qu’il y ait davantage de          contexte spécifique de chaque pays en       Cet ouvrage apporte au
constructions dans les zones les plus       termes de gouvernance et de                 lecteur, simple amateur ou
exposées à certains risques naturels        transcription dans la réglementation.       passionné de montagne, du
contribue à préserver le tissu écono-       On peut citer, à titre d’exemple, les       grand public au décideur, une
mique et social, et à assurer la            projets européens Interreg. Les             meilleure connaissance des
soutenabilité du dispositif de solidarité   échanges transfrontaliers sont très         phénomènes, des techniques
nationale qu’est le régime « Catnat ». La   importants pour maintenir une certaine      de protection pour s’en
prévention des risques naturels est une     harmonisation et sont en accord avec        prémunir, des recherches en
composante à part entière du dévelop-       les attentes des élus locaux.               cours et de leurs limites…
pement durable des territoires et de                                                    Il a été rédigé par les meilleurs
l’adaptation au changement climatique.      Pouvez-vous donner un exemple               spécialistes du domaine afin
Le juste émoi qui suit des catastrophes     de travaux réalisés en coopération          de renforcer la prise de
naturelles rappelle qu’il est responsable   avec nos pays voisins ?                     conscience des risques et
de ne pas construire en zone fortement      Certaines études réalisées en               des actions de prévention par
exposée aux risques naturels.               coopération avec les experts italiens,      les différents acteurs de la
                                            suisses et français, ont permis d’établir   montagne. Schémas pédago-
Dans un contexte transfrontalier,           les contours des zones rouges et            giques, photos prises sur le vif
comment la France gère-t-elle les           bleues du PPR avalanche sur les             et témoignages en font un
liens entre recherche, expertise et         couloirs les plus sensibles de la vallée    ouvrage de référence sur les
appui aux politiques publiques,             de Chamonix, en confrontant les             risques naturels dans tous les
pour le risque avalanche ?                  méthodes, modèles et pratiques. Par         massifs montagneux euro-
La France est membre de la convention       ailleurs, côté pyrénéen, la cartographie    péens.
alpine qu’elle a présidée en 2019           des extensions maximales des
et 2020. Elle assure également la           avalanches de Catalogne en Espagne a
présidence de la stratégie de l’Union       été réalisée à partir de la méthodologie
européenne pour la région alpine            développée en France par INRAE. ●
(SUERA) depuis 2020, et a accepté de

« Le ministère a besoin de la
recherche à la fois pour diagnosti-
quer les nouveaux risques et
proposer des actions de prévention. »

                                                               55
Vous pouvez aussi lire